Maureen Fazendeiro : « Comment rend-t-on visible la mémoire d’une vie entière ? »

De la danse au cinéma en passant par la distribution ou l’édition, Maureen Fazendeiro est une grande voyageuse de cinéma. Elle nous livre un premier film, « Motu Maeva », qui est lui-même un voyage, celui d’une passagère du siècle. Entre deux aller-retours portugais où elle travaille avec Miguel Gomes, elle revient pour Format Court, sur son film qui a remporté le Grand Prix Europe au dernier Festival de Brive.

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Tu travailles dans le cinéma depuis un moment et « Motu Maeva » est ton premier film. Quel fut le déclic pour faire de Sonja André ton personnage principal ?

Maureen Fazendeiro : Pour une raison très simple : Sonja est très âgée et je me suis dit que ses histoires allaient disparaître avec elle sans laisser de traces. Personne d’autre que moi n’allait les connaître si je ne faisais pas quelque chose maintenant. Ça a été impulsif quand j’ai décidé de faire ce film. J’ai senti qu’il fallait le faire à cette étape de mon désir de cinéma tout autant que pour elle.

Comment as-tu rencontré Sonja ?

Je connaissais Sonja depuis longtemps, et cela faisait des années que j’allais dans son jardin en Bourgogne, celui qu’on voit dans le film. J’allais la voir au début pour lire, me reposer, discuter et passer du temps avec elle. C‘était un endroit où je ne me sentais pas du tout en France, aujourd’hui. On y trouve une végétation luxuriante, des bambous partout, des objets ramenés de Tahiti et des masques africains. J’ai projeté beaucoup de choses dans ce jardin qui réveillait mon imaginaire de littérature, de cinéma. Je m’étais donc dit que filmer Sonja revenait à filmer ce lieu qu’elle avait créé et montrer comment elle réinventait sa vie. Ça a été le départ du film.

Comment as-tu décidé de faire se répondre images d’archives et images du présent ?

Dès le départ, j’avais l’idée que ce jardin serait un « ici et ailleurs ». Aussi, je souhaitais jouer avec cette idée de proche et de lointain. Le contraste se situait entre la solitude extrême de Sonja dans son jardin et toutes ces personnes qu’elle avait rencontrées et qui sont présentes avec elle en souvenirs et en traces enregistrées qu’elle avait accumulées au fil du temps. Elle ne se sentait donc jamais seule.

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Comment s’est passé le montage ?

On a monté en deux semaines à Lisbonne et quand on est revenu à Paris, on a travaillé plus précisément que dans le premier montage les archives que Sonja avait retrouvées dans son jardin. Les images dataient de 1956 à 1976 environ. Sonja et Michel, son mari, avaient filmé dans tout les pays où ils sont allés, en Afrique, à Tahiti, en Asie.

Comme j’avais 18h d’archives et pas les moyens de tout numériser, j’ai fait le montage à la colleuse (NDR : petit appareil mécanique pour découper et assembler les éléments de pellicule cinéma) et je n’ai numérisé que les moments qui m’intéressaient. A la visionneuse (NDR : Appareil doté d’une loupe rétro éclairée permettant de voir le film sur pellicule sur un petit écran), image par image, on doit couper le film original et choisir ce qui va être intégré au film. Je réfléchissais donc beaucoup à chaque coupe. Je faisais toujours de nombreux tests avant de couper et c’était vraiment très différent de ce que l’on fait de nos jours, en montage virtuel, avec Final Cut. Cela a duré plus d’un mois, mais pour retrouver un autre temps, c’était très juste de travailler comme ça.

La voix-off de Sonja sert un peu de fil d’Ariane dans ces passages du passé au présent. Comment l’as-tu élaborée ?

Comme c’était mon premier film, j’ai tout fait de manière intuitive. Pendant une bonne semaine, je suis passée la voir tous les jours et j’enregistrais 2 à 3 heures de nos discussions afin de la faire parler. En ce sens là, « Motu Maeva » est un documentaire et à la fin, j’avais donc une douzaine d’heures de son.

Ce n’est qu’au montage que j’ai réécouté tout ce que j’avais enregistré. J’avais un tableau et j’isolais des phrases qui m’intéressaient, des bribes d’histoires. Je ne voulais pas faire un film à la structure chronologique, je savais que ça ne serait pas très explicatif. Ce que je cherchais, c’était plutôt des impressions, quelque chose qui ressemble à de la mémoire.

Mon film est donc constitué de fragments. J’avais isolé plusieurs fragments de sons. J’avais tout retranscrit et avec la monteuse, chaque matin, on relisait le texte. On montait l’image, mais ce n’est pas le son qui a dicté l’image, ça s’est vraiment fait de manière très organique. L’image amenait une lumière, une émotion, que le son venait rejoindre mais il a fallu se poser la question : « comment rend-t-on visible la mémoire d’une vie entière ? ». On a construit comme ça une voix. Ensuite, une fois que le montage image était fait, j’ai travaillé avec un monteur son portugais, Miguel Martins qui est aussi le monteur son de Miguel Gomes et de João Nicolau.

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Comment as-tu choisi d’intégrer l’émouvante lettre sonore de la mère de Sonja qu’on entend à la fin du film ?

La lettre, j’y tenais beaucoup. Il y avait beaucoup d’images d’archives mais aussi beaucoup d’archives sonores, près de 200 cassettes de musique enregistrée avec des messages que les deux époux se laissaient l’un à l’autre.

Après le tournage, j’ai passé beaucoup de temps à écouter et quand je suis tombée sur cette lettre de sa mère, je l’ai trouvée déchirante et j’ai pleuré. Et puis, Sonja avait l’habitude de raconter sa vie comme un conte de fée et elle l’a fait pour transformer toute sa souffrance en quelque chose de meilleur. Dans le film, il y a des moments comme des contrepoints à ce qu’elle raconte, d’où la lettre.

C’est un élément qui n’est pas très expliqué dans le film. Rien ne l’est vraiment, rien n’est évident. Je sais que tout est à la fois et fragmentaire et mystérieux mais ce rapport mère/fille est important dans la vie de Sonja. On voit dans les archives qu’elle a une fille et pourtant elle vit seule sur une île comme si elle était la dernière descendante d’une famille qui n’existe plus.

Comment as-tu décidé que le film aurait la durée d’un moyen-métrage ?

À nouveau, ça s’est fait au montage, de manière organique. Je savais que le film se construirait sous la forme d’une journée avec Sonja. On commence à l’aube et on finit à la nuit tombée en ayant parcouru toute une vie.

Ramener toute une vie à une journée, c’était travailler avec des lumières et des émotions différentes. Le temps du film, sa durée, s’est basée sur les étapes émotionnelles qu’on voulait mettre en avant, comme la joie ou la solitude, l’éloignement de sa mère, la tristesse, etc…

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Vous avez été deux à filmer, pourquoi ?

On avait essentiellement une caméra, une Beaulieu 1008 XL. Je décidais avant le plan qui allait filmer. Les plans de Sonja, c’est moi qui les ai tous filmés à cause du rapport personnel que j’essayais d’établir avec elle. Pour chaque autre plan, on décidait avec mon acolyte Isabelle Paglai qui allait filmer.

J’avais l’idée que raconter une histoire, c’était un mouvement. Aussi, à l’image, il fallait chercher ce mouvement. Les déplacements dans le jardin nous ont pris beaucoup de temps. Ça a été une sorte de territoire de jeux et aussi un espace qu’on a voulu explorer.

Le premier plan du film est aussi le premier que j’ai filmé en arrivant là-bas. Je savais que je voulais explorer ce jardin, comme j’allais explorer la vie de Sonja, comme elle- même avait exploré le monde. C’est pour ça qu’on était deux à filmer, avec Isabelle.

Et puis, j’avais une deuxième caméra plus légère, une petite Canon, sans aucune option ou réglage. C’est la monteuse du film qui me l’avait offerte avant que je parte en tournage. Elle m’avait dit : « Ça sera ton stylo ». C’était pour attraper certaines choses au vol sans avoir à rassembler l’équipe ou prévenir qui que ce soit, histoire de ne rater aucun instant. Il y a un arc-en-ciel dans le film que j’ai attrapé comme ça.

Maintenant que le film semble avoir sa vie propre, quels sont tes projets ?

J’ai continué à filmer régulièrement en Super 8 cette année. Je suis passé au 16mm et j’ai appris à développer moi-même mes films pour être autonome. Je ne filme pas des images pour qu’elles intègrent un film, je les filme pour que ça devienne une pratique quotidienne. Les écrivains, quand ils ne sont pas en train d’écrire un roman, ils écrivent quand même plein de choses. Je trouve que c’est important de pratiquer quotidiennement en tant que cinéaste. Certains ne le font pas et le vivent très bien mais pour moi, c’est important de filmer.

Je me suis installée à Lisbonne et j’y travaille, j’aimerai filmer cette ville. Peut-être que le Portugal, c’est un peu comme l’île de Sonja pour moi. Elle y a mis tout le monde qu’elle a traversé et a fait un endroit imaginaire qui regroupe tout ce qu’elle a connu.

Je ne suis pas originaire du Portugal, je n’y suis pas née, mais j’ai des origines portugaises et pour ma famille, ce pays représente l’idée du bonheur. C’est un endroit où je projette beaucoup de choses, par l’histoire de ma famille justement, le cinéma portugais que j’aime beaucoup et par la lumière qu’on y trouve. C’est ce pays que j’ai envie de filmer, notamment dans les villages portugais où la tradition orale est préservée. Les Portugais ont une manière particulière de raconter les histoires, ils ont une grande tradition du conte. Ça me plaît.

Propos recueillis par Georges Coste

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