Il y a quelques jours, l’Académie des Oscars a annoncé les films shortlistés dans 10 catégories dont celles liées aux courts-métrages. À ce stade, 45 films sont en lice pour l’Oscar du meilleur court 2023, que ce soit en fiction, en animation et en documentaire. Les nominations seront annoncées d’ici un mois (le 24 janvier) tandis que la cérémonie des Oscars aura lieu le 12 mars.
Certains de ces films sont visibles en ligne (grâce à Court-Circuit, le projet Op-Docs du New York Times et les comptes Vimeo/You Tube des réalisateurs). On vous invite à les voir et à les partager 😉
Fiction
All in Favor (Votamos) de Santiago Requejo (Espagne)
Almost Home de Nils Keller (Allemagne)
An Irish Goodbye de Tom Berkeley et Ross White (Irlande)
Ivalu de Anders Walter (Danemark)
Le Pupille de Alice Rohrwacher (Italie, États-Unis)
The Lone Wolf (O Lobo Solitário) de Filipe Melo (Portugal)
Nakam de Andreas Kessler (Allemagne)
Night Ride (Nattrikken) de Eirik Tveiten (Norvège)
Plastic Killer de Jose Pozo (Espagne, Andorre)
The Red Suitcase de Cyrus Neshvad (Luxembourg)
The Right Words (Haut les cœurs) de Adrian Moyse Dullin (France)
Très bien reçu dans le circuit festivalier, Warsha, le premier film professionnel de la réalisatrice libanaise Dania Bdeir, passée par les Etats-Unis et vivant aujourd’hui à Dubaï, interroge la notion de choix et de liberté. L’histoire, c’est celle d’un homme cherchant à s’élever dans les airs au moyens d’une grue pour être lui-même (on ne vous en dit pas plus, le film est visible en ligne grâce à Court-Circuit).
En lice aux César 2023, Warsha a remporté le prix du Jury à Sundance, le Grand Prix à Brest et celui à Tous Courts à Aix. À l’occasion de la sélection du film à Djeddah, en Arabie saoudite, pendant le Red Sea International Film Festival, on a rencontré la réalisatrice pour l’interroger sur ce Liban qu’elle affectionne et qui lui pose problème en même temps, sur les films arabes et sur sa collaboration avec la France.
Format Court : Tu es née à Beyrouth. Qu’est-ce qui t’a orienté vers le cinéma ?
Dania Bdeir : Quand j’étais très jeune, je voulais être actrice. Je regardais beaucoup la télévision, je faisais du théâtre et je passais mon temps à jouer les rôles que je voyais à la télé. J’aimais beaucoup cette idée de reproduire, de raconter des histoires en jouant. Pour mes 16 ans, mon père m’a offert comme cadeau d’anniversaire une caméra vidéo, très chère. Ma mère lui a demandé : « Pourquoi tu achètes quelque chose d’aussi cher ? ». Il lui a répondu que j’avais quelque chose de spécial, que j’allais aimer ce cadeau. J’ai commencé à tout filmer autour de moi, puis j’ai fait des montages. J’ai appris toute seule. J’ai commencé à aimer être derrière la caméra et pas devant. J’ai su que je voulais devenir réalisatrice à mes 17 ans. Il y a quelques bonnes universités de cinéma au Liban, comme la Lebanese American University (LAU), mais je n’avais pas tellement envie d’y aller. En parallèle, je n’étais pas très encouragée par les gens autour du moi qui disaient que le cinéma, ce n’était pas un travail pour gagner de l’argent.
L’American University of Beyrouth (AUB) est la meilleure université au Liban. Ils n’ont pas de section cinéma mais du graphic design. Ça, c’était considéré comme un vrai métier. J’ai suivi ce cursus. Je ne le regrette pas parce que c’était une bonne formation qui m’a appris beaucoup : la communication visuelle, la critique, la couleur, la composition, etc. Le design graphique est très général, on fait des logos, des magazines, des sites internet, des typographies, … . J’aime bien le programme de l’AUB, qui est très ancré dans l’environnement. On nous dit d’aller dans les rues de Beyrouth, de trouver un magasin qui a besoin d’un nouveau logo, de parler avec les gens et de leur faire le travail. Je n’étais pas douée du tout mais pendant ces années, j’ai voyagé partout dans le pays, dans les montagnes, les vallées, les quartiers. J’ai parlé avec beaucoup de gens. Ce qui m’intéressait, c’était de rassembler les histoires. Mes travaux étaient un peu médiocres en tant que rendus, mais j’avais de la matière humaine. J’aimais trouver les spécificités, les complexités de chaque personne. Pour quelqu’un qui a passé son enfance et son adolescence devant la télévision, je recueillais des choses chez les gens que je ne voyais pas représentées à l’écran. Le cinéma, c’est du drame, et il y en a beaucoup au Liban. Des bons personnages sont faits de complexités, de contradictions. Et dans ce pays, il y en a beaucoup ! De cette manière, j’ai constitué plein de matériels.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller étudier aux Etats-Unis ?
D.B. : Quand j’étais en dernière année, je suis allée visiter ma sœur à New York. Là-bas, j’ai pris rendez-vous pour visiter la NYU et la Columbia parce que je savais qu’elles faisaient partie des meilleures universités de cinéma dans le monde. Quand j’ai vu le genre de cours, de projets, j’ai compris que c’était là que je devais être. J’ai fini mes études à Beyrouth. Deux mois plus tard, j’étais à New York et je commençais une formation en cinéma. Être à l’étranger, ça te permet de raconter ton histoire de manière un peu universelle, surtout quand tu ne rencontres des gens du monde entier. Ça t’aide à apprendre à écrire en dehors de ton pays, sans l’oublier. C’est utile de pouvoir communiquer, de trouver des choses universelles, d’apprendre à raconter une histoire efficacement, de toucher les gens.
À la NYU, on nous a offert beaucoup de moyens pour réaliser. On nous a donné accès à du matériel gratuit, à des acteurs. Le problème, c’est je n’arrivais pas à écrire à New York. Mes histoires se passaient encore à Beyrouth. La première année, j’ai écrit l’histoire d’un Libanais à New York. Les cinq années passées là-bas ont été difficiles mais très formatrices. Tu pars de chez toi, loin, dans un endroit complètement anonyme. Tu te construis avec le regard des autres, sur base de ce qu’ils connaissent ou non de ta culture. Tu partages ta culture, tu échanges, tu mélanges. Mon film de fin d’études, En blanc, était l’histoire d’une libanaise qui revient chez elle pour les funérailles de son père et qui veut changer les rituels. On lui reproche d’être américaine, ce qui m’arrivait souvent.
Au Red Sea Film Festival, il y a des films locaux, régionaux et internationaux. Tu as été amenée à faire pas mal de festivals. Comment vois-tu ce festival, la présence de ton film et de manière générale, les festivals arabes ?
D.B. :Warsha est un film arabe, fait par une personne arabe, pour un public arabe et pour le monde. C’est très important pour moi qu’on ne me voit pas comme quelqu’un qui fait des films juste pour les Occidentaux. L’objectif, c’est d’être authentique, honnête, de raconter quelque chose qui n’est pas obligé de représenter tout le monde et de plaire à tout le monde. Pour ce film, c’était difficile parce que tous les festivals arabes importants ont lieu en fin d’année et mon film est sorti en janvier. J’ai dû m’asseoir dessus et je ne pouvais pas le partager jusqu’à maintenant avec le monde arabe. Je voulais le Red Sea parce que je voulais toucher le public d’ici. L’Arabie saoudite est un pays très conservateur, qui n’avait pas de possibilité de cinéma jusqu’à tout récemment, il y a cinq ans. Il n’y avait pas de musique, les femmes ne pouvaient pas conduire, il y avait beaucoup d’interdictions et c’est un pays qui a la plus grande population jeune du monde. 60-70% des gens ont moins de trente ans et ils ont soif de culture, d’histoires. Je voulais vraiment commencer ici le trajet arabe de ce film. C’est un pays qui change, qui évolue, qui grandit. Il change vite mais pas du jour au lendemain.
Le gouvernement américain défend beaucoup de choses que je n’aime pas. On n’entend jamais qu’il faut boycotter les Etats-Unis. Je suis énervée d’entendre des médias occidentaux parler de boycott de la Coupe du monde du Quatar, du festival en Arabie Saoudite… On condamne un peuple qui essaie de changer, de grandir, d’évoluer en disant à ses habitants qu’ils vont rester dans cette image qu’on a d’eux pour toujours.
Il y a une évolution et pas une révolution de la société saoudienne. On projette encore des choses sur les films arabes…
D.B. : Mon film est sur la liberté. N’importe qui avec un sentiment claustrophobe, sentant être observé, qui ne peut pas être libre, peut se sentir connecté au film. Il y a plein de gens dans le monde arabe, partout, qui ont ce même désir, cette même liberté. On peut se reconnaître et s’identifier à mon personnage. L’autre jour, c’était la première du film dans le monde arabe et un homme saoudien m’a arrêtée, en habits traditionnels avec une femme voilée, pour me dire combien, tous les deux, ils ont aimé le film, combien ils ont ce sentiment de liberté, de désir. Moi aussi, je découvre ce monde et ce peuple, même en tant qu’arabe, parce qu’il a été fermé pour plein de gens. Je suis en train de rencontrer de nombreuses réalisatrices saoudiennes qui ont beaucoup de projets. On doit se donner cette possibilité avec des films comme Warsha qui ouvrent au dialogue, qui créent des ponts. L’ouverture, c’est mieux que la fermeture. Tout doit commencer quelque part.
Pourquoi ce titre ?
D.B. : Je ne suis pas très bonne en titre. « Warsha », ça veut dire chantier, site de construction, en arabe. Ça peut peut-être aussi dire qu’on est tout le temps en construction.
Warsha est ton premier film professionnel, réalisé en dehors de l’Université. Comment as-tu été amenée à raconter cette histoire ?
D.B. : Mon film de diplôme, En blanc, a fait sa première à Clermont-Ferrand en 2017. J’avais déjà en tête Warsha, et j’ai reçu un mail du festival disant qu’ils allaient organiser une rencontre auteurs-producteurs. J’ai pris ça comme une deadline pour écrire un scénario. Beaucoup de producteurs français ont été intéressés par le pitch. Quand je suis allée à Clermont, j’ai eu plusieurs rendez-vous. J’ai rencontré Coralie Dias (Inter Spinas Films) là-bas et on a commencé à travailler ensemble. On a développé le scénario, elle m’a beaucoup aidée. On a déposé le projet pour une aide au financement. Petit à petit, le scénario s’est développé et on a reçu des aides : la Région Grand Est, un préachat de Arte… On a rencontré différents problèmes et en 2021, on a enfin pu tourner.
Avec les fonds régionaux, j’ai eu l’opportunité de travailler avec des gens que je n’aurais jamais rencontrés. À la région Sud, on a travaillé dans un studio de production virtuelle, La Planète Rouge. C’est une toute nouvelle technologie, avec un mur de Led, de presque 360 degrés, où on envoyait des images du Liban qu’on avait prises avec un drône. On a apporté une cabine physique. Même l’acteur, quand il regardait autour de lui, il voyait le Liban à hauteur de grue. C’était magique de travailler là. On n’a pas cette technologie au Liban, c’était une très belle expérience. Je sentais qu’on était au Liban : on voyait la mer Méditerranée, la mosquée. L’acteur a pu jouer en voyant quelque chose de vrai. Avec mon chef opérateur, on a pu avoir des idées créatives sur le plateau, changer des choses. C’était très libre. J’ai aussi travaillé à Strasbourg, avec des ingénieurs du son géniaux d’Innervision. Ils venaient surtout du monde de l’animation et on a travaillé ensemble à construire le monde sonore. J’ai beaucoup aimé le partage, la collaboration culturelle qu’on a pu faire avec la France.
As-tu montré ton film au Liban ?
D.B. : Au Liban, il n’y a eu qu’une projection privée. Beaucoup de Libanais ont vu Warsha dans d’autres pays. Je suis curieuse de voir l’impact du film dans mon pays mais je ne crois pas qu’il soit controversé. On m’a posé la question : comment ça se fait que le personnage prie et qu’il danse en même temps ? Il danse, il chante, il rêve d’être vu et de performer devant le monde. Le thème du film porte d’ailleurs plus sur les normes du genre plus que sur la sexualité. Le genre a été inventé par les humains. Qui a dit que la danse, le maquillage, c’était pour les femmes, ? Dans l’histoire arabe, on a tout le temps eu du maquillage ou de la danse pour les hommes. Il faut faire bouger les règles.
As-tu des prochains projets ?
D.B. : Je travaille sur mon premier long-métrage, il se déroule à Beyrouth. Le titre pour le moment, c’est Pigeon War. Le film parle aussi du thème du genre, du patriarcat et même de la hauteur ! C’est l’histoire d’une fille à l’université à Beyrouth qui découvre le monde très masculin des guerres de pigeons. C’est un loisir de classes ouvrières d’avoir des troupeaux de pigeons sur son toit. Les gens habillent les pigeons comme une équipe de sport avec des bracelets colorés. Chaque jour, les pigeonniers lâchent leur troupeau dans le ciel et ils sont entraînés à voler ensemble pour que les troupeaux se mélangent et reviennent plus ou moins sur les toits. C’est un monde très masculin et en même temps très maternel : ils s’occupent d’élever ces pigeons depuis qu’ils sont bébés, ils les nourrissent. Mon personnage découvre ce monde et elle veut conquérir elle-même le ciel. Elle va travailler avec un garçon qui vient d’un monde très différent. Au début, ils se détestent mais sur les toits de Beyrouth, ils construisent une amitié. Elle a des traits de caractère masculins, alors que lui, il est plus traditionnellement féminin.
Pour moi, tout ce qui peut être beau et qui va naître entre eux se fait en laissant la ville en bas, loin d’eux. La façon dont le patriarcat nuit aux femmes et aux hommes, le fait de ne pas avoir des rêves, des désirs, ce sont des thèmes qui m’intéressent. Je suis actuellement en développement, on a écrit la première version du scénario, on va écrire la deuxième version.
C’est quoi l’intérêt de filmer Beyrouth encore et encore ?
D.B. : Jusqu’à maintenant, les histoires que j’ai en tête se passent à Beyrouth. Je me considère comme libanaise, j’y ai grandi toute ma vie. C’est un pays qui ne laisse pas indifférent. C’est un endroit qui donne beaucoup de peine comme beaucoup de plaisir. Tu as envie de le quitter tellement il y a des choses que tu détestes et en même temps, il ne quitte pas ton esprit. C’est l’une des raisons pour lesquelles mes histoires se passent là-bas. Je suis à la recherche des choses que j’aime et que je déteste à la fois.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Agathe Arnaud
Comme chaque année, notre équipe prépare son Top 5 annuel des meilleurs courts-métrages, exercice réalisé depuis 12 ans déjà. Depuis 7 ans, vous avez également la possibilité de voter pour vos 5 courts-métrages préférés de l’année par mail.
L’an passé, 4 films avaient recueilli le plus de suffrages : L’homme silencieux de Nyima Cartier (France), T’es morte Hélène de Michiel Blanchart (Belgique, France), L’inspection de Caroline Brami et Frédéric Bas (France) et Le Monde en soi de Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck (France).
Faites-nous part jusqu’au mardi 27.12 inclus de vos 5 courts-métrages favoris remarqués cette année, tous pays et genre confondus, par ordre de préférence, en n’oubliant pas de mentionner leurs réalisateurs et pays d’appartenance.
Nous ne manquerons pas de publier les résultats de vos votes sur Format Court !
Ce mercredi 14.12, sort en salles Les Années Super 8 grâce au distributeur New Story. Présenté en avant-première lors de la 11e édition du Champs-Elysées Film Festival, le premier long-métrage de la femme de lettres française Annie Ernaux résume une décennie de sa vie à partir des pellicules enregistrées par son ex-mari, Philippe Ernaux-Briot. Le film est également signé par leur fils David Ernaux-Briot, et a fait partie de la sélection 2022 de la Quinzaine des Réalisateurs.
En 1971, la caméra super 8 est un appareil prisé, facilement transportable, qui fait l’objet de l’excitation dans la famille Ernaux. Les premières images retranscrivent cette joie du film amateur, destinées à enregistrer des souvenirs et non à créer un véritable film. Pourtant, accoutumée à une écriture autobiographique, Annie Ernaux se permet ici de créer un roman à partir d’images, en posant sa voix derrière les pellicules muettes de la caméra pour nous raconter ses impressions.
Le film de 62 minutes s’arrête sur des paysages, des visages familiers, avec une voix douce et calme, qui peut ennuyer… voire endormir. Mais ce n’est pas gênant, car chaque image dévoile une autre histoire, une autre péripétie de la réalisatrice.
Celle-ci ne fait pas que raconter des souvenirs, elle les transpose dans le contexte politique des années 70. Son voyage familial au Chili n’est pas anodin, tant à ce qu’elle décrit que à ce qui est montré : la vision idéaliste d’une gauche dans tout un pays, renversé rapidement par l’extrême-droite. Plus tard, on voit son périple en Albanie, qui met en parallèle des images paisibles de plages et de gens qui s’amusent et un récit empreint de solitude, l’envie de finir son roman, et surtout, du contrôle et de la surveillance exercée par la politique communiste du pays.
Elle explique clairement sa position politique de l’époque, bercée de ses contradictions : une gauche bourgeoise, une vie paisible, qui se confronte l’espace d’un instant à une figure dissidente, celle de sa belle-sœur, une femme qui s’est coupée du monde avec sa compagne et incarne en elle-même un idéal politique anticapitaliste. Cette visite, avec son mari derrière la caméra, ainsi qu’Annie Ernaux et ses deux enfants, réussit encore une fois à transmettre l’idée d’une histoire à part gardée dans le souvenir par un bout de pellicule.
Le discours du long-métrage est hétérogène, parfois intellectualisé, parfois purement esthétique (la beauté des villages en Ardèche), et ferait presque office d’un diaporama de photos de vacances s’il n’y avait pas la voix de la réalisatrice. Comme dans une autobiographie, Annie Ernaux expose un regard subjectif sur le passé, et rend compte des évolutions d’un pays comme le Chili, d’un paysage qui se transforme (celui de Cergy-Pontoise), mais aussi des évolutions dans sa vie personnelle, concernant ses écrits, son couple, sa mère…
Au fil du temps, de ses déménagements (entre Annecy et Cergy-Pontoise), de ses voyages, les images d’Annie Ernaux et de ses deux fils sont plus rares, sans doute du à l’éloignement du couple et à son déchirement, expliqué pudiquement par la réalisatrice. Philippe Ernaux-Briot confiera ses pellicules lors de la séparation, et c’est d’ailleurs cette dualité, ce partage entre les deux êtres, le regard nostalgique de Philippe à travers sa caméra super 8, le récit poétique d’Annie qui font de ce long-métrage une pièce à part, une œuvre tout à fait personnelle – à découvrir en salle en décembre 2022.
En novembre dernier, a eu lieu la 37ème édition du festival du court-métrage de Brest. Originellement créé en 1987 par Olivier Bourbeillon et soutenu par l’association Côte Ouest, ce festival permet aux professionnels, aux scolaires et au grand public de découvrir des courts-métrages français et européens, avec une mention spéciale pour la région Bretagne.
Cette année, les habitués et les nouveaux venus se sont retrouvés dans une ambiance conviviale (et sacrément festive) pour partager et faire découvrir des courts débutants ou confirmés. Le festival a aussi été l’occasion de rattraper des manquements dûs au confinement de 2020, en décernant notamment les prix en mains propres à certains qui n’avaient pu être présents cette année-là.
Dans ce focus sur le Festival de Brest, figureront des critiques et des films en ligne à voir sans conditions pour célébrer la forme courte.
Warsha de Dania Bdeir
Warsha, troisième court-métrage de Dania Bdeir, a remporté le Grand Prix du Festival de Brest. Le film avait déjà remporté le prix du meilleur court-métrage au Festival de Sundance, ce qui lui ouvrait les portes des Oscars. Un aboutissement qui vient consacrer un travail de longue haleine puisque le projet avait été lancé en 2017 pour être achevé finalement en 2021.
La réalisatrice libanaise, puise dans la richesse culturelle de son pays pour nourrir son histoire comme elle l’avait déjà fait pour ses deux précédents projets Kaléidoscope et InWhite. Elle raconte avoir imaginé l’intrigue après avoir vu, depuis son balcon, un homme faire sa prière sur le sommet d’une des nombreuses grues qui surplombent Beyrouth. Elle dit dans une interview pour L’Orient-Le Jour : « C’est ce moment magnifique, qui a fait une sorte de déclic dans ma tête. D’ailleurs tous mes films sont nés d’un moment magique. J’ai alors pensé que toutes ces grues et ces machines qui nous entourent à Beyrouth dissimulent des hommes et leurs histoires. De leur cabine exiguë, ils peuvent observer le monde sans qu’on ne les voit. Et cette idée qui m’a traversé l’esprit est devenue obsessionnelle ».
Avec cette poésie, Dania Bdeir raconte l’histoire de Mohammad, un migrant syrien, qui travaille sur un chantier de construction à Beyrouth. Il tire profit de la monotonie et de la violence de son travail de conducteur de grue, pour s’adonner à un passe-temps interdit. Cette solitude lui donne l’occasion de se soustraire au regard d’autrui. Au-dessus d’une société marquée par la religion et la masculinité intransigeante, chaque jour, entre deux prières suspendues au-dessus du sol, Mohammad danse au son de sa radio en face d’un public imaginaire. Entre la diva queer et l’enchanteresse orientale (à la manière de Sherihan, une chanteuse égyptienne des années 80-90), c’est un pied de nez qu’il fait à la société « d’en bas ». Mohammed prend de la hauteur, sur les hommes, sur la condition humaine et sur les principes inhérents à leurs sociétés qui n’ont de sens que parmi eux.
La vie de Mohammad est marquée par le gris et le labeur sans échappatoire. C’est sur une toile de fond qui n’est pas sans rappeler le terne 1984 de George Orwell qu’il trouve la liberté et la couleur : le rouge. Dans un spectacle grandiose marqué par l’élégance, Mohammad est suspendu au dessus de la ville accroché à des chaînes, dans un costume rouge sang. Il devient un coeur qui palpite dans le vide de Beyrouth, symbole de la passion humaine pour l’art, l’amour et la vie. Un cœur qui fait irruption et qui prend toute la place et dont nos yeux ne peuvent plus se détacher. Et le message que porte l’histoire nous arrive de lui-même avec beaucoup de lucidité, malgré le peu de dialogues pour expliciter la situation.
Cette pauvreté de dialogues compte beaucoup pour la beauté de l’histoire, elle évoque la pudeur orientale, où les sentiments sont peu exprimés par les mots. Dania Bdeir met à profit tous les ressorts du cinéma qui parle en images pour illustrer cela et montrer que la vie, même contenue sous une chape de plomb, trouve toujours à ressurgir, plus extravagante et plus libre encore.
Caillou de Mathilde Poymiro
Caillou, le dernier court de Mathilde Poymiro s’est vu décerner le Grand Prix France 2 au Festival de Brest. Le film est porté par le jeune acteur Lucien Arnaud qui incarne Elias Petit, un jeune garçon de 17 ans qui vient de perdre son père brutalement. Alors que chacun attend de lui une réaction appropriée au deuil, Elias continue sa vie comme si de rien n’était. Il se plonge dans les livres, il remplit ses nuits de lectures faute de sommeil, fait des exposés en classe devant ses camarades de manière très enjouée et se rend à des fêtes le soir. Il rencontre une jeune fille aux airs décalés qui lui plait tout de suite. Elias a une vie d’adolescent tout à fait normale, en somme.
Cependant, il y a comme un cri en sourdine qui résonne en arrière-plan tout le long du film. Elias, qui ne se défait jamais de son bonnet rouge, est marqué par une stabilité à l’équilibre très mince, il s’enferme dans une routine presque maladive. En témoigne son bonnet qu’il porte tout le temps sur lui, comme un porte-bonheur. Pour preuve, lorsqu’il le perd, son calme indolent le quitte aussitôt. S’ensuit une scène de panique dans les rues, où le jeune garçon demande au hasard à des passants des renseignements sur son bonnet égaré. L’enchaînement des plans et les tremblements de caméra nous communiquent le manque de contrôle du personnage qui abandonne son air composé et se trouve complètement perdu.
La performance des acteurs est remarquable, notamment celle de Lucien Arnaud (Elias Petit) et Delphine Gleize (Alice Petit, sa mère). Les deux acteurs sont incroyablement justes et réussissent à transmettre beaucoup d’émotions d’une manière très simple et épurée. Leur manque de communication par les mots, dans une période où ceux-ci ne suffisent plus à exprimer les sentiments, est compensé par beaucoup de présence et une attention à l’autre qui se ressent. Ce qui touche particulièrement, c’est de voir une mère qui essaye de rattraper son fils, enfermé dans le mutisme, et qui s’efforce de le ramener à elle par la communication.
Avec le sourire figé qu’Elias arbore de façade, le jeu des apparences continue lorsqu’il s’intéresse à une jeune fille haute en couleur, aussi mutique que lui et qui elle aussi fait semblant. On la voit découper des yeux dans les journaux pour se les poser sur les paupières afin de dormir durant la classe en toute tranquillité. Les deux jeunes gens se rencontrent à une fête alors qu’ils rangent ensemble des cailloux, loin du bruit de la soirée. On aime trouver dans ce qui semble une rencontre amoureuse comme on en voit beaucoup au cinéma, un conte qui relate la réunion de deux jeunes « un peu à coté » ; une fille excentrique et un garçon qui fait semblant d’aller bien.
Titou de Max Lesage
C’est avec son deuxième court-métrage Titou que le jeune Max Lesage remporte le Château d’or du Festival de Brest dans la catégorie Compétition Bretagne. Après son court métrage Ailleurs (2017), le jeune réalisateur présente un film électrique, burlesque et délicat à la fois, en signant une deuxième collaboration avec son frère Oscar Lesage qu’il met en scène cette fois sous les traits d’un jeune rappeur.
Titouan (Maxime Crescini) est un jeune homme qui voit le monde en images. Il arpente les parcs en prenant des photos d’inconnus qu’il compte leur vendre ensuite, mais dont personne ne veut. Fasciné par le tournage d’un clip de rap qu’il voit dans la rue, il décide de réaliser le clip d’un ami à lui (Oscar Lesage) et l’embarque en Bretagne dans la maison de sa grand-mère récemment décédée. Ils sont accueillis par l’aide-soignante de la vieille dame qui squatte la maison à présent inoccupée. Entre l’intrusion féminine qui se met en travers des grands projets du duo et les galères de réalisation, le tournage ne se passe pas comme prévu.
À la croisée des mondes, le film emprunte autant à l’esthétique campagnarde de Rohmer qu’à l’esprit pop électrique de l’univers du rap. La colorimétrie des images est très chaude et assure à elle seule la promesse d’un film d’été. Tout est jouissif dans ce court. Le plan est souvent long et laisse les personnages évoluer dedans et déployer le comique de situation. La mise en scène travaillée introduit du burlesque dans des actions assez simples en somme. On retrouve l’outrance de la comédie britannique, vu sous un oeil qui révèle la comédie dans ses plus petits ressors. Le ton léger n’empêche pas pour autant le drame et l’approche de certains sujets profonds : les difficultés d’un jeune artiste qui essaye de créer, le questionnement du talent, la possibilité d’un quelconque écho de son travail.
Le film alterne les passages où la musique envahit l’espace et vient nous envelopper, et des moments de décalages burlesques, comme lorsque les garçons écoutent la musique avec des casques audio et se dandinent au son d’un rythme que le spectateur n’entend pas.
Au milieu de ces considérations artistiques, il y a des gens qui se croisent, qui se heurtent les uns aux autres et qui se loupent parfois. L’apparition de la jeune aide-soignante est à la fois une rencontre heureuse pour le rappeur qui se lie amoureusement avec elle, et un obstacle pour Titou qui la voit comme une intruse dans sa maison et dans son monde créatif en général. D’un autre côté, Titou est toujours à la périphérie des autres qu’il n’arrive pas à rencontrer et à faire entrer dans son monde.
Le personnage est comme prisonnier de son monde créatif fourmillant d’idées et d’envies qui l’empêchent d’aller à la rencontre de l’autre. Son hermétisme fait sa fragilité et explique comment quelques éléments perturbateurs dans son tournage peuvent le conduire à l’explosion. Il apparaît comme la figure caricaturale du jeune artiste (et double du réalisateur ?) qui doit prouver son talent afin de se faire une place et qui lutte pour avoir les moyens de créer et de s’exprimer pleinement.
Sardine de Johanna Caraire
Le grand prix de la jeunesse dans la catégorie française a été décerné à Brest à Sardine, le premier court-métrage de Johanna Caraire fondatrice et organisatrice du FIFIB (Festival du Film Indépendant de Bordeaux). Son court-métrage de 30 minutes est l’aboutissement d’un projet de 4 ans qui débute lorsqu’elle filme ses amies et qu’elle recueille leurs confidences sur leurs problèmes personnels. La réalisatrice ne voulant pas dévoiler ces paroles, qu’elle juge trop intimes, elle passera donc par la fiction pour parler de choses qui touchent ses amies, elle-même, et beaucoup d’autres femmes en somme.
L’histoire de noue autour de la fête de la Sardine qui a lieu tous les ans sur l’ile de Lanzarote. Malgré le nom cocasse, la célébration est importante pour la population locale, et réunit des milliers de personnes à chaque fois. En lien avec la nature, cette fête païenne est un gage de renouveau, elle est l’occasion de célébrer la vie, et pour certaines de la convoquer. C’est ce que fait Eve qui se rend sur l’île en hommage à sa grand-mère avec qui elle aurait dû faire ce voyage avant que celle-ci ne décède. Elle cherche désespérément à tomber enceinte et espère que ce voyage l’aidera. Ses amies la rejoignent par surprise, transformant le voyage initiatique en réunion sororale qui passe par le rire et les rituels sacrés.
Le film débute avec une voix off aux tonalités graves. On rentre dans l’histoire comme dans un conte, une mythologie ancienne qui relie toutes les générations entre elles. On assiste à de très belles scènes de communion entre ces femmes d’une trentaine d’années. Elles s’enlacent, se disputent, confient leur doutes et leurs peurs. On y parle d’inceste, de règles, de fausse couches… d’ »histoires de femmes » en somme. Des sujets que la réalisatrice souhaite porter à l’écran pour parler de son expérience personnelle, notamment aux générations futures. À Brest, elle a raconté être particulièrement touchée du Prix de la jeunesse qui lui a été décerné par un public entièrement féminin. Elle a aussi exprimé dans son discours de remerciements son envie de parler à tout le monde, et de tendre à la généralisation. En témoigne le prénom de son personnage principal : Eve, la première femme dans la tradition judéo-chrétienne, une figure qui porte le message universaliste de la réalisatrice.
Sardine, premier court-métrage de la réalisatrice, est un film assez interessant mais qui passe un peu à coté de son enjeu féministe. La réalisatrice a été inspirée, pour l’histoire, par ses propres considérations sur les règles et la grossesse suite à des complications personnelles qu’elle a vécue. Pourtant la violence qui est évoquée, par le parallèle avec l’éruption volcanique notamment, est restreinte à des sujets déjà considérés comme violents : les règles, la fausse couche, l’infertilité. Il aurait peut être été intéressant d’aborder la violence dont on parle moins, comme la violence psychologique de l’accouchement.
Cela n’empêche pas le film d’être intéressant dans son sujet et agréable dans sa forme (avec un bon jeu des couleurs notamment), et de nous engager à saluer ce premier travail fait dans des conditions peu optimales (Covid). Il n’en demeure pas moins que dans la chaleur de l’été, le voyage initiatique qui se fait sur cette île-caillou, très brute, nous plonge dans une experience onirique qui ne manque pas d’intérêt.
Donovan s’évade de Lucie Plumet
Notre coup de cœur de ce festival est Donovan s’évade, le nouveau court de Lucie Plumet, venue le présenter à Brest trois ans après y avoir été primée pour La jeune fille et ses tocs. La réalisatrice, diplômée de l’INSAS et de la Fémis, présente un troisième court -métrage qui rend compte de son ambition d’aller vers la forme longue. En effet, on sent une certaine lenteur dans la narration, la réalisatrice prend le parti d’étirer le temps de son court métrage (qui est d’une trentaine de minutes) pour développer l’histoire.
L’histoire est celle de Damian (interprété par Yoann Zimmer), un ancien policier reconverti en garde du corps. Il est engagé pour protéger la femme d’un ministre qui séjourne dans sa maison de vacances avec des amis. Comme le titre l’indique, Damian cherche à s’évader : de son ancien travail, de sa classe sociale et plus simplement de l’urbanité grisonnante de la banlieue parisienne. Le cadre de l’histoire prend racine dans la tradition du film de vacances, les personnages sont d’un milieu bourgeois, ils « se la coulent douce » dans l’indolence de l’été, et le monde autour ne semble plus exister.
Lucie Plumet reprend le principe de « la bulle » des vacances, hors du temps et hors du monde, dans laquelle le personnage se réfugie jusqu’à ce que son passé le rattrape sous la forme d’une émeute qui fait irruption dans le lieu de son refuge.
Les mouvements de caméra qui sont fluides nous laissent suivre la déambulation des personnages dans l’espace, cela nous plonge dans un monde en trois dimensions très réaliste dans lequel on regarde s’agiter les personnages comme dans un aquarium. La « bulle » est alors clairement un idéal de vie bourgeois, sans préoccupations matérielles, qui prend forme dans un lieu géographique : la maison de campagne.
On remarque que la variation des plans permet un traitement différent des personnages. Par exemple, le groupe d’amis entièrement caractérisé par leur vie bourgeoise est toujours filmé à une certaine distance, comme un monde qu’on observe et que l’on atteint jamais vraiment. Tandis que Damian est le plus souvent filmé en plan rapproché, un moyen de nous faire entrer dans son intériorité. Les yeux de Damian deviennent les nôtres et nous nous retrouvons à vouloir entrer dans cette bulle où les soucis sont effacés, où l’amitié commence avec un simple verre de champagne, où l’on peut se réinventer et raconter un passé lourd qui n’existe pas pour entrer dans le jeu des apparences.
La dimension sociale et politique du film est intéressante. L’histoire fait référence à la lutte sociale, au cloisonnement des classes, aux violences policières et à la responsabilité du groupe qui détient un pouvoir (politique, économique, ou armé). Damian n’est pas de la classe supérieure qui a le pouvoir économique et politique, mais n’est pas non plus du côté du peuple désarmé qui se révolte et auquel il s’oppose. Quand une manifestation populaire fait irruption dans le jardin de la maison de campagne, il se situe au milieu des deux camps. Si Damian ne parvient pas à s’évader de sa condition, c’est bien car il en est fatalement coincé entre un milieu qu’il voudrait atteindre et un autre dont il voudrait s’échapper mais auquel il appartient fatalement. Le tragique de cette histoire réside dans le risque que prend le personnage, celui de n’avoir sa place nulle part à force d’être dans l’entre-deux.
Le double DVD des Films du Jeudi, édité par Doriane Films, est sorti récemment. Il propose à travers de multiples courts-métrages un véritable voyage dans les années 60. Format Court vous propose d’en remporter 3 exemplaires, via notre notre nouveau jeu-concours.
La bande des Jeunes Turcs, pour reprendre l’expression donnée aux critiques des Cahiers du cinéma, est ici représentée grâce à des courts-métrages multiples et divers. On y note la prédominance d’une obsession : filmer l’époque contemporaine, à savoir les années 60.
Cette obsession apparaît tant dans les courts-métrages de fiction que dans les courts-métrages documentaires. Ainsi en est-il du film de Resnais Le chant du styrène, qui va de pair avec Les Surmenés de Jacques Douniol-Valcroze ou de À la mémoire du rock de François Reichenbach. Il s’agit dans ces trois films d’interroger la modernité, l’importance qu’elle accorde à la technique et ses conséquences sur la jeunesse.
« À la mémoire du rock »
Les films de Jean Rouch se distinguent des autres par la précision de son œil de cinéaste documentariste quand il filme La goumbé des jeunes noceurs ou Les Veuves de 15 ans. Si le premier fait une large place à l’œil d’un cinéaste ethnographe qui cherche à rendre compte d’une réalité africaine peu connue en Europe, le second s’intéresse aux jeunes filles de la deuxième moitié du vingtième siècle, de leur légèreté apparente et de leurs désillusions.
La désillusion apparaît également dans l’ambigu Janine de Maurice Pialat. Ce court-métrage de fiction, en présentant un homme dont le divorce est à l’origine d’une misogynie viscérale, retrace les difficultés, pour les hommes d’aujourd’hui, de vivre avec des femmes libres et indépendantes.
D’autres courts-métrages de fiction présentent des jeunes femmes recherchant la liberté avec avidité. C’est le cas de Tous les garçons s’appellent Patrick de Godard, auquel répond Charlotte et son Jules, qui apparaît comme la suite du premier de ces deux courts. L’avatar botanique de Mademoiselle Flora, de Jeanne Barbillon, est absolument à découvrir, puisqu’il nous fait vivre avec la magnifique Bernadette Lafont l’ennui que ressent une jeune femme dans une vie étriquée et son besoin irrépressible de liberté.
Mais la modernité dont il est question ici n’est pas la seule modernité amoureuse : il s’agit également d’une modernité politique, qui apparaît notamment dans La Sixième face du Pentagone, co-réalisé par Chris Marker et François Reichenbach en 1968. Ce film nous invite à découvrir les manifestations d’opposants à la guerre du Vietnam.
Quelques films toutefois semblent vouloir inscrire cette même modernité dans un temps plus long. C’est le cas du Petit café de François Reichenbach (1963), qui filme le quotidien d’un café du Nord de la France suspendu hors du temps. À côté de son Chant du styrène, Alain Resnais a réalisé en 1956 Toute la mémoire du monde, qui délaisse l’industrie du premier de ces deux courts-métrages pour une institution pour le moins vénérable : la Bibliothèque nationale de France. Il nous y décrit longuement sa naissance, mais aussi son évolution permanente et la façon dont elle enregistre tout ce qui est publié sur le territoire. Une balade auprès des témoins de la mémoire historique apparaît également dans le Ô saison ô château d’Agnès Varda, réalisé en 1958, qui nous fait revivre les vestiges des siècles passés.
Ce lien entre la mémoire et le contemporain est également présent dans les deux courts-métrages documentaires d’Alain Resnais réalisés à la suite, en 1948 et en 1949, Van Gogh et Guernica. Dans ces deux films relativement précoces au vu de ce que sera la Nouvelle Vague, il annonce véritablement le genre du documentaire contemporain.
« Van Gogh »
Le petit coffret constitué de deux DVD est enrichi d’un livret présentant le personnage de Pierre Braunberger, qui produisit l’ensemble des courts-métrages réunis ici. L’ensemble rend hommage à ce producteur visionnaire, qui sut voir en de jeunes gens a priori banals de futurs grands réalisateurs.
À Format Court, on avait eu un gros faible il y a 6 ans pour Chasse royale, le premier court-métrage de Lise Akoka et Romane Gueret qui avait fait ses débuts à la Quinzaine des Réalisateurs (et qui y avait même remporté le prix Illy du court). Dans la foulée de Cannes, nous avions diffusé le film en salles et interviewé les deux réalisatrices. Quelques temps plus tard, les deux jeunes femmes signaient – toujours à deux – une « websérie de fiction qui respire le réel, » Tu préfères, diffusé sur Arte. Et puis, elles ont imaginé Les Pires, Grand Prix à Un certain regard (Cannes, 2022) et Valois de Diamant à Angoulême. Le film sort en salles ce mercredi 7 décembre 2022 chez Pyramides.
Produit par Marine Alaric et Frédéric Jouve, des Films Velvet, il cultive quelques points avec le court-métrage (visible en ligne) : le goût pour le casting sauvage, les allers-retours entre vie réelle et fantasmes propres au cinéma, l’énergie du plateau et les comédiens non professionnels (citons juste Mallory Wanecque qui joue le personnage de Lily et dont c’est la première fois au cinéma, retenue dans la liste des Révélations des César 2023). À l’occasion de la sortie du film, on a réuni Romane Gueret, Lise Akoka et leur productrice, Marine Alaric, pour parler de films, de méthodologie, de confiance, de sauts dans le vide et de résistance.
Format Court : Dans l’interview faite il y a six ans sur Format Court au moment du début de carrière de votre court-métrage, Chasse Royale, vous disiez : « C’est un premier film et on a peur de rien ». Comment vous resituez-vous par rapport à cette époque ? Vous n’aviez pas d’aides, vous n’aviez pas eu le CNC, pas de régions pour ce film.
Romane Gueret : J’y repense souvent (et je relis souvent notre entretien). C’est vrai qu’on avait pas peur : on était tête baissée dans notre projet et on se disait que rien ne nous arrêterait. Il y avait une envie d’y aller assez forte et j’ai l’impression qu’on a fait Les Pires de la même façon. Ça n’a pas trop changé mis à part le fait qu’on a eu des aides, que c’est un long-métrage, que tu ne peux pas faire ce film à dix mais effectivement, il y avait toujours cette envie de faire du casting sauvage, d’aller à la rencontre de jeunes et d’être bouleversées par cette rencontre. Il y avait toujours cette envie de questionner nos méthodes qui, sur Chasse Royale, étaient nos méthodes de directrices de casting associées cette fois à la mise en scène. Il y a donc un effet de prolongement cohérent sur ce projet tout en devenant plus expérimentées.
Lise Akoka : En tout cas, on crée toujours dans la même urgence avec des épisodes assez mouvementés.
Quand on est dans le court-métrage, on réfléchit par rapport aux délais, aux aides, aux commissions : est-ce qu’on attend ou est-ce qu’on y va ? Vous, vous y êtes allées. Là, sur le long, c’était autre chose, il y avait d’autres paramètres à prendre en compte…
L.A : Je ne pensais pas tant à l’écriture mais surtout à l’après : le casting, la préparation du tournage. Ce n’était pas la même urgence mais plutôt le même état de vulnérabilité. L’urgence, que ce soit pour Chasse Royale comme pour Les Pires, le temps dont on disposait, était réduit par rapport à l’ambition qu’on avait. C’était la course tout le temps, on avait l’impression de ne jamais pouvoir reprendre notre souffle. C’était très éprouvant pour nous, mais je pense que cela participe à l’énergie et à la vitalité qu’il y a dans le film. Après, cet état de vulnérabilité, il est dû au fait qu’on est toujours habité par le doute, par la peur…
R.G : On se met aussi dans des situations pas évidentes : travailler avec des enfants, avec ce casting qu’on a choisi parce qu’on l’aime mais qui nous met dans des difficultés. On est sans cesse en train de se dire qu’on ne va pas s’en sortir mais c’est aussi parce qu’on l’a choisi.
L.A : Donc, on ne lâche pas ! C’est assez ambivalent finalement. On acquiert de l’expérience et il y a des choses que l’on apprend et que l’on ne reproduit pas ou alors que l’on fait différemment. On devient fortes de chaque expérience qui s’additionne et en même temps c’est comme si à chaque fois, c’était un saut dans le vide qui allait nous fragiliser.
Marine, toi qui les as accompagnées depuis Chasse Royale avec Les Films Velvet, comment est-ce que tu as abordé ces difficultés ? C’était un premier film produit pour toi également.
Marine Alaric : Le film est la continuité de notre collaboration. Après, on ne l’a pas fabriqué de la même façon que le court, et on n’aurait pas pu, on a fait le court à 10, avec très très peu de moyens (rires) ! On a eu certes beaucoup de challenges sur Les Pires, on avait beaucoup d’enfants non professionnels, une scène de pigeons, de concert, le Covid etc, mais c’est le jeu (et probablement comme sur tout film, surtout un premier film d’auteur). Et puis je l’ai produit au sein de Velvet avec Frédéric Jouve et on a quand même eu la chance aussi d’avoir le soutien de beaucoup de partenaires financiers.
D’où vient ce titre : « À pisser contre le vent du Nord » (titre du film dans lequel jouent les personnages dans Les Pires – NDLR) ?
L.A : D’une expression ch’ti : « A pisser contre le vent du nord ou à discuter contre tes chefs, tu auras toujours tort ! ». En fait, on avait envie d’appeler notre film comme ça et on s’est fait refouler sec par les producteurs et tout le monde autour (rires) !On avait envie que le film de Gabriel (personnage du réalisateur dans Les Pires, joué par Johan Heldenbergh – NDLR) et le nôtre aient le même titre parce que c’était un moyen de s’inclure dans la critique et cela voulait surtout dire que l’on ne pointait pas du doigt un cinéma dont on prétendait ne faire absolument pas partie. Ca nous faisait rire de le garder dans le film en clin d’œil aux titres un peu ampoulés et à rallonge qu’on retrouve souvent dans le cinéma intellectuel français. Et le proverbe en lui-même avait du sens pour nous dans ce qu’il racontait des gens du Nord, cette idée de force, de résistance.
Qu’est-ce qui a motivé l’envie (déjà présente dans Chasse Royale) de faire un film qui parle de cinéma ?
R.G : On aime d’abord et avant tout parler de choses qu’on connaît. En devenant réalisatrices avec Chasse Royale, on a été confrontées à beaucoup plus de questions ; tandis que par le passé, nos rôles se cantonnaient à ceux de directrice de casting et de technicienne du cinéma. C’était une façon de raconter quelque chose qui nous appartient aujourd’hui et cette rencontre avec les enfants a été si forte qu’on n’avait pas fini de la raconter avec Chasse Royale.
L.A : C’est un film qui est, d’une certaine façon, non seulement une déclaration d’amour au cinéma mais aussi au jeu d’acteur. On pose à la fois un regard critique sur ces méthodes : entraîner dans le tournage d’un film un enfant qui n’a jamais fait de cinéma et les conséquences que cela aura sur sa vie. Plus que de cinéma, il parle du jeu d’acteur dans le sens où il traite ce que c’est de devenir un artiste et à quel point les artistes sont partout. Même chez un enfant issu d’un milieu populaire, il y a cette chose assez mystérieuse où certains se révèlent. Ils trouvent, par la voie du jeu, une forme de catharsis, une possibilité d’ouvrir des portes émotionnelles qui sont longtemps restées fermées. Je crois qu’on avait surtout envie de parler de ça : qu’est-ce que le métier d’acteur et quels leviers sont en jeu pour le devenir ?
Pour toi, Marine, est-ce que cela te semblait pertinent et nécessaire de produire un film qui traite du jeu d’acteur ?
M.A : J’espère que c’est pertinent ! Croire en le film que tu produis c’est indispensable. Après, au-delà du jeu d’acteur, le film parle pour moi de quelque chose de plus large, d’une rencontre, du parcours de ces gamins, de ce que peut-être le cinéma etc. Je trouvais cela très important, et c’est aussi la force du travail du Lise et Romane, de partir de quelque chose de très concret, de vécu, de récits de vie. Cette véracité, elle garantit quelque chose de tellement sincère dans le film.
L.A : Mais c’est vrai qu’au départ, c’était une crainte que vous aviez (Marine Alaric et Frédéric Jouve – NDLR). Vous nous disiez : « Un premier film sur le cinéma, sur la fabrication d’un film, c’est casse-gueule. Est-ce que vous avez l’expérience suffisante et est-ce que vous êtes assez légitimes pour parler de ça ? »
R.G : On avait peur en effet que cela traduise un manque d’humilité ou un sentiment d’entre-soi. La question étant : est-ce que c’est vraiment intéressant de parler d’un tournage ? C’était aussi à nous, dans notre écriture, de leur montrer un dépassement du cadre du tournage. On se met à toucher à quelque chose d’universel. On finit par croiser des fils narratifs qui parlent d’autres choses et qui sont des sujets qui atteignent tout le monde : la famille, l’amitié, l’amour…
L.A : C’était aussi le challenge de l’écriture : rester sur un fil qui ne serait pas manichéen et qui en aucun cas ne basculerait dans le jugement. C’est là qu’on peut raconter quelque chose de plus large.
Entre Chasse Royale et Les Pires, vous avez réalisé une web-série : Tu préfères. Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir appris quelque chose en passant par ce format-là entre temps ?
L.A : Tout à fait, chaque projet a nourri l’autre. Depuis Chasse Royale, nous sommes dans un processus de recherche sur la direction d’acteur avec des enfants ou des ados qui n’ont jamais joué. On a affiné notre méthode de travail qui va de l’écriture jusqu’au résultat final, tout en développant aussi nos singularités là-dedans. Notamment, commencer l’écriture en rencontrant plein d’enfants ou alors écrire pour des enfants qu’on connaissait déjà. C’était justement la rencontre avec ces enfants-là qui nous a donné la force de faire cette série dans l’écriture et la façon dont on se nourrit du réel, dont on échange avec eux et dont ils prennent part indirectement à l’écriture. Ca se ressent aussi dans la manière dont on fabrique nos scénarios, Tu préfères n’était pas un scénario précis et dialogué de bout en bout. C’était à la fois beaucoup plus long et plus brouillon qu’un scénario. Il y avait des scènes qu’on essayait de déployer à travers plusieurs situations qui avaient été faites en improvisation avec les comédiens.
R.G : C’était aussi très cadré, on avait peu de temps. C’était un projet à tiroirs, on avait une séquence de base et dans les dialogues, on avait plein de possibilités. Il y a de l’improvisation sur ce projet mais pas tant, il fallait que ça corresponde à un endroit, qu’il y ait un lien au montage.
L.A : Toute la relation avec notre équipe s’est affinée aussi, entre les gens avec qui on a continué de travailler et ceux qu’on a intégrés par la suite. Tu apprends à parler le même langage, à développer une grammaire commune.
R.G : Pour nous deux également. J’ai l’impression que c’est là que nous avons développé ensemble une vraie méthodologie. C’est une machine qu’on a huilée où maintenant un geste et un mot suffisent et nous permettent de gagner du temps.
Avec Marine, est-ce que vous travailliez déjà sur le long-métrage à ce moment-là ?
M.A : Oui, car l’idée des Pires est née juste après Chasse Royale, en 2016. Mais il fallait en tisser la trame, écrire le scénario, en trouver ses personnages etc. Lise et Romane nourrissent de plus leur écriture de rencontres, de période d’immersion, etc. Bref, il faut parfois que cette matière repose, il y a des moments de réflexion, mais également des moments d’attente entre les financements, les dépôts d’aides et cela offre des fenêtres pour créer et ne pas s’épuiser et continuer à garder un esprit de créativité. Lise et Romane ont nourri leur écriture et leur relation au plateau de leurs tournages durant ces années-là.
R.G : L’écriture, je l’ai vraiment vécue comme quelque chose de difficile, de douloureux, de réflexif. J’ai senti à un moment que j’avais envie de tourner, quoi ! Cela nous a fait beaucoup de bien de remettre un pied sur le plateau avec Lise lors de Tu Préfères.
On a beaucoup parlé des comédiens non professionnels mais il y aussi des acteurs professionnels (Johan Heldenbergh, François Creton) dans Les Pires. Est-ce que cela a été un nouveau défi pour vous de vous confronter à des comédiens confirmés ?
R.G : Pour le rôle de Gabriel, il y a eu une espèce d’évidence avec Johan parce qu’il a tout de suite capté que les rôles principaux, ce seraient les enfants et c’est ce qu’il a adoré dans le scénario. Il a apporté quelque chose de très doux et bienveillant, il s’intéressait à eux et tout semblait très simple.
L.A : Je suis d’accord, il y a des choses qui étaient simples dans la mesure où c’étaient des adultes qui étaient au rendez-vous et qui connaissaient leur texte mais je trouve aussi que chez des comédiens professionnels, il peut y avoir une résistance, comme un manque de malléabilité, pas contre nous, ni contre le film mais c’est parfois la façon d’être perméable à une indication. Il y a une conscience de ce qu’ils font et de ce qu’ils renvoient. Il y a une malléabilité plus forte chez un enfant qui n’a jamais joué.
On avait évoqué la photographe Nan Goldin dans notre précédente interview. Avec les années, quelles seraient les influences ou plutôt quelles seraient les sources d’inspirations dans lesquelles vous puisez pour à la fois créer votre scénario, nourrir votre cinéma et faire un film ensemble ?
R.G : Lorsqu’on s’attaque à un sujet, on se documente, on regarde des films et il y en a qui nous marquent plus que d’autre. The Florida Project (long-métrage de Sean Baker – NDLR) par exemple est un film qui m’a beaucoup marqué. On a eu un coup de foudre aussi pour une photographe, Alessandra Sanguinetti, qui travaille aussi avec des enfants et suscite beaucoup de questionnements chez nous notamment sur l’esthétisation de la misère»).
L.A : Beaucoup de films ou de photographes nous ont influencés mais j’ai l’impression que par rapport à beaucoup d’autres cinéastes, on n’est pas très cinéphiles. Si on aime un cinéaste, on n’a vu que deux ou trois films de lui et pas nécessairement toute sa filmographie. Ce qui fait qu’on se retrouve avec des lacunes sur le cinéma d’époque mais je pense que, d’une certaine façon, il y a un endroit où c’est aussi une richesse. Ainsi, on n’est pas paralysées par des références permanentes qui nous mettent en position de reproduire des choses qu’on a déjà vues. Je pense donc qu’on reproduit quantité de choses qu’on a vu dans la vie, plutôt que dans des œuvres.
Est-ce que vous gardez un intérêt pour le court-métrage ?
L.A : Oui, bien sûr ! On en voit régulièrement, et un court-métrage peut autant créer chez nous de l’inspiration et nourrir nos recherches qu’un long. Dernièrement, par exemple, on a été bluffées par le Roi David de Lila Pinell.
Marine, tu continues également à en produire ?
M.A : Oui, l’idée est de continuer à produire du court ponctuellement, en parallèle du long, mais du court comme une rencontre avec des réalisateur·rices pour ensuite passer au long ensemble. Le court devient alors comme une première rencontre, comme avec Lise et Romane.
Format Court a rencontré pendant le Red Sea International Film Festival, dont la deuxième édition a lieu en ce moment à Djeddah en Arabie Saoudite, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania. Son dernier film, L’homme qui a vendu sa peau, est le premier film tunisien nominé pour l’Oscar du meilleur film international. En 2017, elle sortait son film La Belle et la meute qui explorait les rapports de violence dans le genre à Tunis. Le film était sélectionné dans la catégorie Un certain regard à Cannes. Présidente du Jury à la Semaine de la Critique 2022, Kaouther Ben Hania continue de réaliser des courts-métrages, entre deux projets de longs-métrages. Au Red Sea, elle est la marraine des Talent Days et membre du jury des longs-métrages en compétition. Elle nous parle de la création dans le monde arable aujourd’hui.
Format Court : Comment percevez-vous les films des jeunes talents arabes représentés au festival ?
Kaouther Ben Hania : Aujourd’hui, ce n’est pas comme au XXème siècle où le cinéma était le roi de l’attention. C’était l’art par excellence, et tout le monde s’y intéressait. Au XXIème siècle, il y a une grande compétition pour capter l’attention des gens. Il y a le cinéma, les télévisions, les plateformes, les réseaux sociaux, YouTube, etc. La sollicitation de l’attention des spectateurs est devenue très difficile. C’est pourquoi les nouveaux talents ont une tache encore plus difficile. Malgré tout, ils doivent raconter de très bonnes histoires pour récupérer ces spectateurs qui s’intéressent à TikTok ou autres. Même la forme, même la manière d’approcher le cinéma et l’écriture, a changé. La tâche est encore plus dure pour les nouveaux talents.
Les jeunes réalisateurs saoudiens ont beaucoup appris via internet, en voyant des courts-métrages, en se servant de YouTube, en imitant, parce qu’il n’y avait pas forcément de formation, de professeurs, de films conseillés. Quels sont les conseils que vous pouvez donner aux réalisateurs qui veulent faire des courts ?
K. B. H : Faites un film ! Aujourd’hui, c’est possible de réaliser un film avec très peu de moyens. Les moyens sont disponibles. Ce métier on ne l’apprend jamais théoriquement. C’est en faisant des erreurs, en restant humble, auto-critique qu’on apprend. Ecouter les critiques, ne pas les jeter, ne pas être dans l’arrogance et le nombrilisme. Et faire. Je pense que la seule manière d’apprendre, c’est de faire, et d’être sur tout le processus, de l’écriture jusqu’au montage.
Qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris sur vos derniers films ?
K. B. H : J’apprends tout le temps. Je fais ce métier parce que ça me permet d’apprendre. Chaque film est une nouvelle aventure, un nouveau territoire que j’explore. Je fais des recherches, je compose, je collabore avec des nouvelles personnes. C’est un processus d’apprentissage à vie. Quand j’étais étudiante, j’adorais ça et je me disais que je voulais en faire un métier. Etudier le temps via la réalisation, c’est un métier qui me permet ça.
Comment considérez-vous le court-métrage aujourd’hui ?
K. B. H : J’en fais toujours. Les gens pensent que quand on fait un long-métrage, on arrête mais je continue. J’ai fait un court-métrage en 2019, après mon long La Belle et la meute, qui s’appelle Les Pastèques du Cheikh. J’ai fait un court-métrage, dans un autre cadre « Women in films » pour la marque Miu Miu qui donne chaque année une carte blanche à une réalisatrice pour faire un court-métrage, qui s’appelle I’m the stupid boy. Et j’ai fait un court l’année dernière qui fait partie d’une collection sur Netflix : Love, life and in between. Plusieurs réalisateurs arabes ont réalisé un segment sur la Saint-Valentin dans leurs pays respectifs. Il y a des histoires qui sont courtes et je ne vais pas les rallonger.
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur la situation des films en Tunisie ?
K. B. H : C’est compliqué, comme avant. Il n’y a pas beaucoup d’argent. La seule chose qui a changé c’est qu’il n’y a plus de censure. Avant, sous la dictature, il y avait une censure. La révolution nous a permis de respirer, de parler de tout ce qu’on veut. Ça, c’est formidable. Mais en termes de soutien, de moyens, ce n’est pas génial. On ne donne pas les moyens aux réalisateurs de raconter les histoires qu’ils veulent faire.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Agathe Arnaud
Six ans après Chasse royale, leur premier court-métrage sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, Lise Akoka et Romane Gueret reviennent à Cannes avec leur premier long-métrage, Les Pires, lauréat du Grand Prix dans la section Un Certain Regard 2022. Le film sort ce mercredi 7 décembre 2022.
On avait beaucoup, beaucoup aimé leur court-métrage, découvert à Cannes 2016. Ce qui nous avait plu ? L’effet du film coup de poing, l’énergie de la réalisation faite à deux, le scénario et les comédiens non professionnels jouant dans le film. Les deux réalisatrices avaient également signé une web-série, Tu préfères, pour Arte, avec en tête encore l’idée de filmer la jeunesse, leurs mots, leurs doutes.
Dans Chasse royale, qui s’était retrouvé en lice aux César, deux jeunes, Angélique et son jeune frère Eddy, étaient confrontés à l’arrivée d’une équipe de cinéma dans leur bahut à Valenciennes. Leurs fantasmes par rapport aux nouveaux venus, leurs relations avec leurs proches et moins proches, curieux et jaloux de leur nouveau statut, leurs gros plans et grandes gueules, leur vie d’après nous avaient marqués et touchés.
Beaucoup d’éléments se retrouvent dans Les Pires co-réalisé à nouveau par Lise Akoka et Romane Guéret et produit également par Les Films Velvet. Une équipe de cinéma se rend à la Cité Picasso à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Elle fait passer des bouts d’essai à des jeunes : Lily, Ryan, Maylis et Jessy. Chacun a une histoire, un vécu, des cicatrices. Eux, dans le quartier, ce sont les « pires » pour faire des films.
Face à ces 4 jeunes, il y a donc cette équipe de cinéma venue tourner un premier long : « Pisser contre le vent du nord ». Il y a Gabriel, le « Belge », le réalisateur, touchant et impulsif (interprété par Johan Heldenbergh qu’on aimait tellement dans Alabama Monroe et La Merditude des choses de Felix Van Groeningen), une assistante, un preneur de son, un chef op, … Toutes des nouvelles têtes, des nouveaux corps, objets de projections en tout genre.
Sur ce tournage, des amitiés, des flirts, des liens se créent. C’est un peu comme au festival de Cannes : le cinéma, ça fait rêver et jaser. Seulement, la réalité n’est pas toujours facile. Il y a des manipulations, les étiquettes (« quand tu es une pute, tu es une pute »), des jeunes en souffrance (Ryan qui ne pleure jamais, Lily qui a perdu son petit frère Kenzo il y a un an).
Dans Les Pires, on retrouve Angélique Gernez, la comédienne de Chasse royale qui a bien grandi et qui est devenue une femme. Le jeune garçon qui jouait Eddi a été remplacé par un nouveau petit gars : Ryan joué par Timéo Mahaut dont il s’agit aussi d’une première apparition au cinéma. En ouverture, avant le générique, son visage, ses cicatrices, ses « J’aime pas ça, les films » font mouche. Il est l’un des pires, aux côtés des autres jeunes qui vont tout le long du film être dirigés, secoués, manipulés.
Comme dans le court, on aime les scènes de groupe, la jeunesse filmée avec ses repères (Tik Tok, provoc’, débloque), la réalité crue des quartiers plus durs où les stars se font rare, la présence des comédiens non professionnels qui se frottent aux fameux « pros » (Johan Heldenbergh mais aussi François Créton, petit rôle, vu dans Les Héroïques de Maxime Roy), les moments musicaux (on passe de Gims dans le court à Rémy dans le long). Les Pires nous branche pour son goût pour le casting sauvage, ses joutes verbales, son travail autour des émotions (c’est quoi finalement, le coeur qui bat à la chamade ?), la beauté de son image et son plan final centré sur Ryan-Timéo qui personnalise l’affiche du film.
Pour ceux – critiques et spectateurs – qui découvrent pour la première fois le travail des deux réalisatrices, il est évident que ces trouvailles peuvent séduire car finalement, les « pires » sont touchants et peuvent se révéler être « les meilleurs » quand on gratte le vernis des apparences et dépasse les mots crus et les mécanismes de défense.
Les 4 jeunes filmés ont des histoires, des fêlures, des vies difficiles. Le long-métrage permet de prendre le temps – parfois un peu trop – de raconter leurs histoires (de fiction). On retient à la sortie du film le regard de la comédienne jouant Maylis qui scrute et sent les différences et qui refuse cette vie de rêves et de désillusions pour retrouver sa liberté et son destin. En attendant la sortie du long-métrage chez Pyramide et la suite des projets des deux réalisatrices, on vous invite – une fois n’est pas coutume – de voir et revoir leur court qui n’a pas vieilli pour un petit sou et qui a tellement de points communs avec le long.
Après s’être intéressé aux courts de fiction et d’animation en lice aux César 2023, Format Court vous invite à son nouvel After Short dédié au cinéma documentaire, le mercredi 14 décembre prochain à l’ESRA. Cette soirée, débutant à 19h, aura lieu en présence de nombreuses équipes en sélection officielle aux prochains César du court.
Comme d’habitude, ces soirées de Q&A, animées par les membres de Format Court, sont accessibles aux étudiants de l’ESRA comme au grand public. Pour rappel, il n’y aura pas de projection de films au cours de la soirée (mais vous pouvez bénéficier des liens des courts en réservant votre place en amont).
Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et pourquoi pas poursuivre les discussions autour d’un verre ?
RDV le 14 décembre à l’amphithéâtre Jean Renoir : 37 quai de Grenelle 75015 Paris
Tarif étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu).
Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des 70 places disponibles)
Liste des participants :
– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César
– Ismaël Joffroy Chantoudis, réalisateur de Maalbeek, César du meilleur court-métrage documentaire 2022
– Adrien Genoudet, réalisateur, et Jordane Oudin, producteur (Hippocampe Productions) de Aucun signal
– Katia Usova, chargée de production (GREC) de Palermo sole nero, réalisé par Joséphine Jouannais
– Jonathan Rubin, producteur (We Film) de Lèv La tèt dann fénwar, réalisé par Érika Étangsalé
– Alice Lenay, réalisatrice, et Lisa Merleau, productrice (LLUM) de Dear hacker
– Antoine Chapon, réalisateur et producteur de My Own Landscapes
– Yohan Guignard, réalisateur, et Maud Deschambres, productrice (L’Endroit) de Random patrol
– Helen Olive, productrice (5à7 Films) de Maria Schneider, 1983, réalisé par Elisabeth Subrin
– Audrey Jean-Baptiste, réalisatrice de Écoutez le battement de nos images, coréalisé avec Maxime Jean-Baptiste
Le Festival du film franco-arabe vient de proposer à son public une projection de courts-métrages jeudi passé. Au menu, cinq courts-métrages de fiction et trois courts-métrages documentaires qui traitent de sujets de société. Ces courts-métrages ont fait l’objet d’un vote du public, ainsi que d’un Prix du Jury et des élèves du lycée Liberté de Romainville. La proclamation des résultats a eu lieu ce dimanche.
La question féminine
La majeure partie des projections rend compte de l’importance de la question féminine. Le premier des courts-métrages documentaires, Amour en Galilée, de Nader Chalhoub et Layla Menhem évoque par exemple les injonctions sociales et le divorce comme synonyme de liberté. Côté fictions, Deux ou trois choses que je ne sais pas d’elle, de Sabrina Idiri Chemloul, et Houryia, de Doha Kharifi, mettent en scène des jeunes femmes qui décident de prendre en main leur vie amoureuse et matrimoniale. Alors que le premier de ces films relie, sans jugement moral, cette question à celle de la religion, le second la traite avec humour. La solidarité féminine est également au centre de Ne pleure pas Halima, de Sarah Bouzi, autour de la difficile intégration à la société française d’une jeune femme, Halima, dont le titre de séjour vient de s’achever.
Tranches de vie ordinaire
Mais le Festival du film arabe, c’est aussi la guerre en Syrie avec Deux morceaux de mémoire de Diala al Hindaoui, qui retrace à la première personne, à l’aide d’archives familiales, les tragédies quotidiennes dues au drame qui continue à s’y jouer. C’est également, dans Petit Taxi de Samy Sidali, les pérégrinations d’un chauffeur de taxi au Maroc, qui, à la manière de Taxi Téhéran, recueille inquiétudes et confidences de ses passagers. Et enfin, avec Tariq de Tewfik Snoussi et Youcef Agal, l’inexorable appel du large.
Et l’avenir ?
C’est enfin le fantasque et terrifiant ZAR (Zone à réparer), de Léo Blandico, qui nous emmène autour de l’étang de Thau dans un avenir pas si lointain. Réchauffement climatique oblige, il fait désormais l’objet de réintroduction d’un biotope qui s’est depuis longtemps éteint. La considération politique va de pair avec un univers volontiers loufoque.
Jury composé de Gaia Saïd (comédienne), Ilias El Faris (réalisateur) et Amélie Depardon (chargée du développement salles et des partenariats à l’Agence du Court-métrage)
• Fiction : Ne pleure pas Halima de Sarah Bouzi
• Documentaire : Amour en Galilée de Nader Chalhoub, Layla Menhem
★ PRIX DU PUBLIC ★
• Fiction : Deux ou trois choses que je ne sais pas d’elle de Sabrina Idiri Chemloul
• Documentaire : Deux morceaux de mémoire de Diala al Hindaoui
★ PRIX DU JURY JEUNE LYCEEN ★
• Prix Jeune Lycéen : Tariq de Tewfik Snoussi et Youcef Agal
Pour son premier long-métrage de fiction, Alice Diop nous propose d’assister au procès d’une femme coupable d’infanticide. Elle s’inspire pour cela d’un fait divers réel, l’histoire de Fabienne Kabou, qui a déposé son bébé sur une plage du Nord, le laissant à la merci des flots. Saint Omer fut en sélection officielle au Festival de Venise 2022, où il a reçu le Lion d’argent – Grand Prix du Jury et le Lion du Futur – Prix Luigi de Laurentiis du Meilleur premier film. Il représentera la France aux Oscars 2023 et sort en salles ce mercredi 23 novembre.
Il y a donc, dans Saint Omer, sinon un aspect documentaire, du moins une dimension docu-fictionnelle. Né de la fascination de la réalisatrice pour ce geste inexpliqué, le film suit de façon très méthodique le déroulement du procès. C’est en effet à partir de ses minutes que Amrita David et Marie Ndiaye ont, avec la réalisatrice, écrit le scénario. La majeure partie du film se déroule dans la salle d’audience, reconstituée dans le tribunal même du procès originel. Ainsi resserré autour des questions de la présidente du tribunal, le film invite spectateurs et spectatrices à rechercher les motivations de cet étrange acte, à la manière d’un film policier.
Ce travail de resserrement participe de la volonté d’Alice Diop de mettre en évidence la théâtralité de la justice : l’unité de lieu et de temps fait signe vers la tragédie classique, de même que les références, explicites, à la plus célèbre des infanticides de la mythologie, Médée. Le choix des acteurs et actrices s’ancre dans cette démarche : la juge est incarnée par Valérie Dréville, saisissante dans son effort pour comprendre, et l’avocate par Aurélia Petit. Quant à l’avocat général, il est représenté par un Robert Cantarella qui donne libre cours à son plaisir de jouer des effets de manche.
Ainsi présenté, Saint Omer semble se confondre avec une simple reconstitution filmée, à la manière d’un reenactment (reconstitution) cinématographique. Les scénaristes ont toutefois introduit un personnage qui, par sa seule présence, pose un regard sur cette histoire et, par là-même, lui confère une subjectivité : il s’agit de Rama (Kayije Kagame), écrivaine et universitaire, qui suit le procès en vue d’en écrire un livre. Or, si l’histoire semble dans un premier temps éminemment romanesque, Rama est rattrapée par des sentiments douloureux qui l’empêchent de placer entre elle et le fait divers la distance nécessaire pour le suivre avec précision. Est-ce un sentiment de gémellité, ou au contraire d’horreur devant ce fait toujours inexpliqué ? Difficile de trancher, l’une des trouvailles de la réalisatrice étant d’accorder autant de place aux silences de l’intellectuelle qu’aux logorrhées des professionnels du prétoire.
A son silence répond le ton posé de Laurence Coly, la meurtrière, qui répond aux questions avec une forme de sérénité qui semble simplement dire de son crime : cela fut, il n’y a rien à ajouter. Le jeu de Guslagie Malanda, qui l’incarne, est ici remarquable : Alice Diop la filme revêtue d’un gilet marron qui se fond dans les boiseries du tribunal. Son regard ferme, mais de biais – elle regarde la juge qui se trouve à sa gauche – symbolise alors la complexité de ce personnage, dont on ne sait s’il est sincère ou duplice.
La difficulté à saisir les causes de l’infanticide semble en effet se nicher dans ce personnage ambigu d’étudiante sénégalaise d’extraction bourgeoise, spécialiste de Wittgenstein, qui revendique son cartésianisme tout en affirmant avoir été victime d’un maraboutage. Comment penser quelle puisse y croire, quand elle ne cesse par ailleurs d’affirmer qu’elle est on ne peut plus rationnelle ? C’est là le dilemme auquel sont confrontés la juge et les jurés, mais aussi les spectateurs, qui suivent avec avidité les échanges entre les uns et les autres. Tiraillée sans doute entre deux cultures, la jeune femme semble ne pas voir d’antagonisme entre ces deux assertions. Alice Diop nous invite, en mettant en scène cette apparente contradiction, à dépasser nos certitudes. Tout comme dans son très beau Nous (2022, Prix du Meilleur Documentaire à la Berlinale 2021) qui, en suivant le tracé du RER B, rend compte de la diversité des banlieues parisiennes, la réalisatrice œuvre ici à la réunion des contraires. La variété des identités est en effet au cœur de son travail de cinéaste, et ce depuis ses études de sociologie et sa découverte d’auteurs comme Maspero. Elle avait obtenu le César 2017 du Meilleur court métrage pour son film Vers la tendresse (2016).
S’il existe une blessure qui n’a pas guéri dans l’histoire de la France, c’est bien celle de la guerre d’Algérie, de tous ces traumatismes que les grands-parents ont tu, de tous les morts oubliés pour une cause nationale dissoute dans le sang. À l’occasion d’un nouveau jeu-concours, Format Court s’associe avec Diaphana et fait gagner 3 exemplaires du DVD du film De nos frères blessés, qui comporte également le premier court-métrage du réalisateur Hélier Cisterne, Dehors, réalisé en 2002. En 2020, il choisit comme sujet principal un héros sacrifié oublié, Fernand Iveton, joué par Vincent Lacoste. Après avoir posé une bombe dans un entrepôt, il est le seul Européen à avoir été condamné à mort par les services français. Sur le papier, il constitue ainsi déjà une figure d’exception dans la guerre d’Algérie.
Dans le film, qui a gagné le prix du jury Jeunes au Festival de Saint-Jean-de-Luz en 2020 et le prix du jury Jeunesse au festival de Cabourg en 2021 et librement adapté du roman De nos frères blessés de Joseph Andras, le réalisateur nous plonge dans l’histoire d’amour entre Fernand et Hélène, jouée par Vicky Krieps, une Polonaise qui a suivi son mari en Algérie et qui se retrouve au coeur d’un conflit qui la dépasse. Si c’est cet amour qui captive, on comprend progressivement que la pose de la bombe n’est qu’un prétexte dans cette machination judiciaire contre Fernand. Communiste, indépendantiste, Fernand est un Blanc dont l’amour pour l’Algérie est si fort qu’il est prêt à mourir pour sa liberté : il représente tout ce que la France coloniale hait. La première scène exprime d’ailleurs toute la violence systémique de la guerre, en nous montrant un prisonnier algérien dans une prison, qui au milieu des cris des autres détenus et des prières, hurle en arabe : “Je meurs mais l’Algérie vivra”. Avant que la guillotine ne tranche sa tête dans l’obscurité. Dans la scène suivante, Fernand, ouvrier dans une usine, est violemment interpellé et mis en détention.
Dès le départ, la mise à mort potentielle de Fernand constitue cette épée de Damoclès au-dessus de lui dont on espère naïvement la disparition grâce à l’amour qu’Hélène et Fernand se portent mutuellement. Le récit se construit en écho entre le présent (la prison d’Alger en 1956) et le passé par flashbacks interposés (Paris en 1954, la rencontre avec Hélène et l’emménagement du couple en Algérie).
Même en optant pour une forme non-traditionnelle du récit, ce dernier reste tout de même très efficace, où le conflit plane silencieusement en 1954 lors de la lune de miel du couple, et où il embarque activement Fernand en 1956, faisant exploser l’harmonie promise à Hélène. Là-bas, un lapsus peut envoyer un citoyen en prison, créant un climat paranoïaque. Le film frustre par l’impossibilité laissée aux personnages de s’aimer à cause de l’invasion de la politique dans l’intimité. Cela commence par les prises de position de Fernand, face à Hélène, dont le père est emprisonné par les communistes en Pologne, et finit par son engagement total pour l’Algérie libre, quand elle ne pense qu’à sa survie. Et pourtant, malgré le visage tendu et fatigué de Vicky Krieps sur lequel pèse tout le poids du conflit intime, Hélène reste auprès de lui, luttant pour sa libération. La force du récit tient par les forces opposées gravitant autour des mêmes enjeux de liberté : les Arabes contre le joug français, les indépendantistes contre l’armée, le pacifisme prôné par les uns, l’appel à la violence par les autres.
Les deux protagonistes sont complexes à analyser. Fernand est d’abord condamné pour trahison envers la France : il se bat comme un Arabe, pour les droits des Algériens, et se questionnera lui-même sur sa place dans ce conflit. Comment se dire Français quand la France fait honte ? Car le crime de Fernand n’est pas tant d’avoir posé la bombe que de s’être placé du côté des Algériens. Hélène ne fait pas, quant à elle, ce qu’on attendrait d’une femme de résistant. Elle se brise peu à peu dans la lutte de Fernand, et ne se bat pas au nom de l’Algérie mais au nom de son amour. C’est dans cette dimension que l’écriture de personnages, plein de défauts, est très humaine, et parvient à exprimer des problèmes moraux par le hors-champ, qui se révèle être d’une importance capitale : ni la torture, ni les morts progressives ne seront montrées, au profit de la mise en scène de l’espace mental des personnages, par le silence et les gros plans. Les réactions d’Hélène questionnent ; que signifie “faire ce qui est juste” ? Avoir des convictions justifie-t-il de mourir pour ces dernières ?
Cette réflexion était déjà présente en 2002, dans le premier court-métrage d’Hélier Cisterne visionnable dans l’exemplaire DVD du film, Dehors. Dans ce court-métrage, une famille vient de s’installer dans un petit village isolé de France. Alors que le comportement du père colérique commence à se faire remarquer, on suit le petit garçon découvrant librement la nature, avant de rencontrer un fugitif qui lui demande de le cacher… Pendant que les gendarmes font une battue, on retrouve l’importance du hors-champ et du mutisme chez les personnages de Cisterne. Dans une image très saturée et dans des plans très longs, le déplacement des personnages dans l’espace et leur relation silencieusement conflictuelle suggère la déchirure subtile d’un père et de son fils, qui ne se disent pas les choses.
Le poids des non-dits est un thème que l’on retrouve dans De nos frères blessés, où la lutte politique perd peu à peu de son sens face à la perte de l’être aimé. Un film poignant, qui revêt presque une dimension existentielle de l’engagement nationaliste face à l’oppression du régime, qui nous rappelle évidemment les phrases de Camus à la fin de l’Etranger : “La montée vers l’échafaud, l’ascension en plein ciel, l’imagination pouvait s’y raccrocher. Tandis que, là encore, la mécanique écrasait tout : on était tué discrètement, avec un peu de honte et beaucoup de précision.”
Après avoir consacré 2 soirées aux courts-métrages de fiction en lice aux César 2023, Format Court vous invite à son After Short dédié au cinéma d’animation, le mercredi 30 novembre prochain à l’ESRA, en présence de nombreuses équipes en sélection officielle aux prochains César. Comme d’habitude, ces soirées de Q&A, animées par les membres de Format Court, sont accessibles aux étudiants de l’ESRA comme au grand public.
Pour rappel, il n’y aura pas de projection de films au cours de la soirée (mais vous pouvez bénéficier des liens des courts en réservant votre place en amont).
Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et pourquoi pas poursuivre les discussions autour d’un verre ?
RDV le 30 novembre à l’amphithéâtre Jean Renoir : 37 quai de Grenelle 75015 Paris
Tarif étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu).
Tarif grand public : 5€ (uniquement via ce lien, dans la limite des 70 places disponibles)
Liste des participants :
– Kenza Manach, responsable du département courts-métrages et du pôle éducation à l’Académie des César
– Alexis Hunot, membre du comité de sélection et Directeur Artistique du PIAFF (Paris International Animation Film Festival)
– Christian Pfohl, producteur (Lardux Films) de Folie douce, folie dure, réalisé par Marine Laclotte, César du meilleur court-métrage d’animation 2022
– Joachim Hérissé, réalisateur de Ecorchée
– Léahn Vivier-Chapas, réalisatrice, et Sarah Delmas, productrice (Folivari) de La Fée des Roberts
– Benoît Ayraud, producteur (Lardux Films) de Câline, réalisé par Margot Reumont
– Emilie Pigeard, réalisatrice, et Olivier Catherin, producteur de La Vie sexuelle de Mamie, co-réalisé avec Urška Djukić (Ikki Films)
– Constance Le Scouarnec, chargée de production (Miyu Productions) de Anxious body de Yoriko Mizushiri, Bird in the peninsula de Atsushi Wada et Letter to a pig, de Tal Kantor
Jurée au dernier Festival de Gand qui s’est terminé il y a un mois, Diana Cam Van Nguyen est une jeune réalisatrice tchèque d’origine vietnamienne. Son film de fin d’études réalisé à la FAMU à Prague, Love, Dad, a été diffusé dans le cadre du focus Locarno programmé lors de notre Festival Format Court 2021. Le film s’intéresse à une correspondance entre un père et une fille à travers un mélange de lettres déjà reçues et jamais écrites.
Format Court : Love, Dad est co-produit par plusieurs structures dont la FAMU à Prague. Comment ça se fait ?
Diana Cam Van Nguyen : C’est possible dans quelques pays, en République tchèque par exemple : on reçoit un chèque pour son film d’école. Mais pour avoir un budget, il faut compter sur le soutien d’une société de production professionnelle. Comme j’étais encore étudiante, mon film a été produit professionnellement pour l’obtention de mon diplôme. D’ailleurs, toute l’équipe, au son, à la lumière, à la co-écriture, était étudiante, et tout le monde a pu être payé grâce à ça !
Pourquoi as-tu choisi d’aller dans cette école ?
D.C.V.N : C’est la seule école pour faire du cinéma dans mon pays, et c’était mon rêve. Je voulais y aller après le lycée à 19 ans, mais je n’étais pas sûre de ce que j’allais faire là-bas. J’y suis allée pour un bachelor et j’ai rencontré des gens supers, mais j’avais l’impression de ne pas trouver ma place, sûrement parce que j’étais trop jeune, que je n’avais pas assez d’expérience et de technique pour raconter une histoire.
La plupart de mes camarades étaient plus âgés, ils avaient environ 30 ans – ce qui est normal à la FAMU, il n’y a pas d’âge limite. C’est pour ça que c’est dur d’y entrer, surtout il y a une dizaine d’années quand j’ai postulé. Au fur et à mesure, j’ai progressé et j’étais de plus en plus confiante sur mon travail.
As-tu directement choisi l’option animation ?
D.C.V.N : Oui, parce qu’on doit choisir dès le début quel sera notre domaine, même si on peut changer en cours de route. J’ai candidaté pour l’animation sans en avoir jamais fait. J’avais été dans une école d’art avant, en design et ça n’avait rien à voir ! Je dessinais beaucoup, et je voulais faire des films – une idée a germé dans ma tête : j’allais faire de l’animation, même si je n’y connaissais rien !
Comment te situes-tu par rapport au domaine aujourd’hui ?
D.C.V.N : Pour être honnête, maintenant, je n’aime plus vraiment en faire et je ne suis pas très douée. Je peux en faire, mais il y a des gens beaucoup plus talentueux qui arrivent à créer un mouvement fluide, ce qui n’est absolument pas mon cas. Je préfère y penser, être directrice artistique et donner l’idée à quelqu’un qui la reproduira en images. Et puis, l’animation me déprime un peu, parce que ça prend du temps, c’est un travail autonome, pas comme le plateau, avec la présence d’une équipe, la force collective du tournage. L’animation, c’est de la solitude devant un public.
Love, Dad est ton dernier film d’école, est-ce-que tu avais une consigne à respecter ?
D.C.V.N : Non, je pouvais faire ce que je voulais ! Et le sujet, je l’avais en moi depuis longtemps. Depuis mes 17 ans, je luttais avec mon identité, en me demandant à quelle culture j’appartenais – vietnamienne ou tchèque – et c’est pour ça que j’ai voulu traiter ce sujet. C’était important pour moi. J’écrivais ce que je ressentais sur le moment. J’étais vraiment contente parce que je ne savais pas vraiment ce que j’allais écrire, j’étais seulement dans un processus de comprendre ce qu’il s’était passé, comme une sorte de thérapie.
Tu as utilisé une technique vraiment mixte pour ce film, avec des lettres en papier, même s’il n’est plus très courant de correspondre de cette manière. D’où t’est venue cette idée ?
D.C.V.N : Au début, j’avais une idée de la technique qui était complètement différente. J’avais d’abord imaginé que les lettres de mon père se pliaient pour finalement former et incarner une sorte de personnage. Quand on a obtenu le budget d’une fondation, j’avais commencé à travailler là-dessus. Puis j’ai appris qu’on avait été sélectionné pour le CEE Animation Workshop, un atelier intensif d’une semaine avec des professionnels du monde entier, qui se déroule tous les mois dans une ville différente. Ma session était à Ljubljana, en Slovénie. J’ai rencontré un producteur français et un scénariste hongrois là-bas, ils m’ont suggéré de recommencer mon projet.
Après une semaine en workshop, alors que le film était prêt pour partir en production, j’ai décidé d’écouter vraiment leur conseil, et j’ai tout recommencé, notamment en écrivant une lettre à mon père. De cette lettre, est né le film. Je n’aurais jamais pensé faire un film si personnel par moi-même, qui va aussi loin dans les émotions, mais c’est arrivé. Ça m’a pris un an de plus pour finir le nouveau scénario.
Ces lettres, ton père te les a envoyées quand il était en prison. Tu les avais mises de côté ?
D.C.V.N : Oui, j’ai retrouvé ces lettres parce que je savais que je les avais gardées, cachées quelque part, et un peu oubliées. Je m’en suis rappelée, je les ai lues et je me suis dit : « c’est vrai, elles sont pleines d’émotions, d’amour ». Les miennes, il devait les avoir gardées quelque part, mais il les a perdues. Ce dont je me souviens, c’est que ce sont des lettres d’une petite fille de 11 ans, qui disent : « salut papa, aujourd’hui j’ai fait ci et ça à l’école ». En contraste, les lettres de mon père étaient poétiques, remplies d’émotions. Il y avait une histoire à faire là-dessus, sur cet enfant qui attendait son père en prison.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de raconter cette histoire ?
D.C.V.N : Je pense que j’aime raconter ce que c’est d’être différent, ou d’être perçu comme tel dans une petite ville d’Europe de l’Est. Quand j’ai grandi, j’ai pu mieux comprendre ce que j’avais éprouvé enfant, pourquoi je me sentais comme ça. Par exemple, je me sentais moche, moins bonne que les autres, et ce sont des choses qu’on ne peut pas expliquer à un enfant. J’ai pu enfin comprendre ce que je ressentais. Finalement, j’ai réalisé que partager deux cultures n’était pas une mauvaise chose mais quelque chose d’unique.
Quand on voit ton premier court-métrage (The Little One, 2017) et ton dernier film (Love, Dad, 2021), il est clair que tu utilises ta propre histoire et le choc des cultures. Est-ce-qu’on peut dire que cette mixité donne également une certaine force ?
D.C.V.N : Oui, je dirais que j’ai cet avantage parce que c’est très important d’être ouvert aux différentes cultures. Je suis heureuse de pouvoir en parler maintenant, je me sens privilégiée d’être une de ces voix et de pouvoir être écoutée, mais je ne réalisais pas ça quand j’étais petite. Je voulais juste être comme les autres, « n’avoir rien de spécial ».
Pourquoi as-tu décidé de rester en République tchèque malgré le jugement que tu as pu parfois ressentir ?
D.C.V.N : Mes parents sont divorcés : ma mère et ma sœur sont revenues au Vietnam, et mon père est resté en République tchèque. Ca n’a rien à voir avec moi. En fait, ça n’a jamais été une question de rester ou non en République tchèque pour moi. Je suis née là, je me sens plus tchèque que vietnamienne – au Vietnam, je me sens plus comme une touriste. C’est davantage pour le film The Little One que la position est intéressante : la protagoniste doit-elle rester ou doit-elle partir ? Ce n’était pas vraiment ma réalité.
Apart (2019) est un peu à part dans tes trois courts, il parle également de la perte. Comment ce film s’est-il retrouvé dans ton parcours ?
D.C.V.N : Je considère ce film comme un documentaire sur trois de mes amis proches. Il s’agit de l’expérience de la perte de leurs parents, quand ils avaient entre 18 et 19 ans. Personne n’en parlait parce que c’était trop tabou. Ils ont été très ouverts avec moi parce que j’étais leur amie, et en les interviewant pour le film, j’en ai su encore plus. Le processus était beaucoup plus agréable pour moi que pour Love, Dad car le film ne portait pas sur moi, mais sur d’autres personnes. Ce n’était pas du tout déprimant de le faire : ça ne se ressentait pas, c’était presque un bon moment entre amis, la mort devenant un sujet normal et sans tabou.
Tu as appris pendant 7 ans à faire de l’animation, et d’une certaine façon, tu as même touché à la fiction et au documentaire. Même si aujourd’hui, tu penches plus vers la fiction, qu’est-ce qui t’a intéressée au début dans l’animation ?
D.C.V.N : Ce qui est important pour moi, c’est de pouvoir mixer les genres et de faire disparaître les frontières. Ce n’est pas important de déterminer ce qu’est un film, mais plutôt quelle émotion en ressort.
Avant tout, l’animation permet de développer un bon sens esthétique, l’usage des couleurs, mais elle m’a surtout appris la patience et la minutie. Elle prend tellement de temps, il faut tellement bien tout préparer, le storyboard doit être parfait : en animation, tu dois vraiment savoir ce que tu veux faire et où tu veux aller. C’est moins le cas pour la fiction que je fais de plus en plus, mais c’est quand même très pratique. Et puis, les gens de l’animation sont plus humbles que dans les autres genres je pense, ce qui est une bonne chose à prendre. Peut-être parce qu’ils sont plus isolés, qu’ils sont moins bien payés ou reconnus… Je ne sais pas (sourire).
Love, Dad a son compte Instagram et son propre site web, ce qui est plutôt rare pour un court-métrage. Pourquoi est-ce important de faire son auto-promotion sur internet ?
D.C.V.N : Parce que les courts, ça n’intéresse pas tellement de gens, alors c’est bien de faciliter leur visibilité. Avec mes deux derniers courts, on a vu qu’on n’avait pas très bien fait leur promotion. Cette fois-ci, mon producteur est plus expérimenté, nous sommes plus préparés, pas seulement avec le site internet, mais aussi avec les réseaux sociaux, les distributeurs internationaux, les managers de relations publiques, etc. Tout fonctionne grâce aux relations publiques dans le monde, même si ça coûte beaucoup d’argent.
Combien de présélections aux Oscars as-tu obtenues pour ton dernier court, Love, Dad ?
D.C.V.N : Cinq. Le problème qu’on a eu, c’est qu’on a eu deux sélections pour la fiction et deux pour le documentaire. On doit en choisir seulement une, donc on a choisi l’animation !
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Amel Argoud
Le réalisateur Ali Asgari a l’habitude de révéler les pathologies sociales de la jeunesse iranienne, oppressée par un système impitoyable, étouffée par les interdis, les tabous, l’opinion publique. Format Court suit son travail artistique depuis bientôt dix ans, et la découverte de son bouleversant et audacieux court-métrage More than two hours, sélectionné à Cannes en 2013. Son deuxième long-métrage, Juste une nuit, remarqué à la Berlinale et maintenant distribué par Bodega Films, sort en salles ce mercredi 16 novembre 2022.
Avec Juste une nuit, Asgari nous livre le portrait d’une jeune femme courageuse qui, comme beaucoup d’autres en Iran aujourd’hui, cherche à se détacher des modes de vie traditionnels et lutte pour le maintien de ses libertés. Vivant à Téhéran, Feresheteh (interprétée par l’excellente Sadaf Asgari) s’occupe seule de son nouveau-né et jongle entre son travail à l’imprimerie, ses études et les tâches ménagères, lorsqu’un jour ses parents lui annoncent soudainement qu’ils arrivent le soir même pour lui rendre visite. Feresheteh ne leur ayant toujours pas avoué sa maternité, et ne comptant surtout pas le faire, elle doit cacher son enfant. Elle part en quête d’une personne qui puisse l’accueillir le temps d’une nuit, ce qui s’avère plus difficile que ce qu’on pourrait croire.
Accompagnée par Atafeh (Ghazal Shojaie), son amie fidèle, la jeune mère va d’abord chercher de l’aide auprès d’un ami, dont l’épouse refuse fermement de participer à l’aventure, puis auprès du père de l’enfant, qui l’accueille froidement, leur relation s’étant mal finie après qu’elle ai renoncé à avorter, alors qu’il avait lui-même économisé l’argent nécessaire. Il conduit les deux femmes jusqu’à un hôpital, où il connaît une des infirmières, qui accepte de s’occuper du bébé. Hélas, les péripéties ne font que commencer dans ce Téhéran hostile, où personne n’ose prendre la responsabilité de garder le nourrisson par peur des contrôles…
A chaque nouveau refus, les espoirs d’Atafeh et Feresheteh faiblissent, et elles réalisent à quel point il est difficile de discerner ses alliés dans une ville qui respire le jugement et le danger. L’arrivée soudaine des parents bouleverse le quotidien bien ordonné de Feresheteh et révèle l’impossibilité de vivre en dehors des carcans traditionnels familiaux.
Ce n’est pas la première fois que le réalisateur traite de l’abandon des invisibles par le système des mollahs. Le court-métrage La Douleur (2015), co-réalisé avec Farnoosh Samadi, racontait l’histoire d’un patient séropositif qui se voyait refoulé d’un hôpital, alors que le sujet de More than two hours tournait autour un couple cherchant désespérément une place dans un service de gynécologie, qui leur était refusée faute d’un certificat de mariage. Cette histoire, Ali Asgari l’avait développé quatre ans plus tard, en 2017, dans son premier long métrage Disappearance, présenté la même année à Venise.
Si le réalisateur filme l’hôpital avec une telle régularité significative, ce n’est pas seulement pour son potentiel dramatique, mais parce que ces couloirs stériles concentrent le plus grand mal qui gangrène la société iranienne aujourd’hui : le silence forcé et la honte. Ainsi dans Il Silenzio, co-réalisé avec Farnoosh Samadi, une mère accompagnée de sa fille se rend à une consultation. Mais lorsque la petite Fatma apprend la première que sa mère est atteinte d’un cancer, et doit lui annoncer la nouvelle, elle tente de repousser le moment fatidique aussi longtemps qu’elle peut et s’enferme dans un silence profond, douloureux et déchirant.
De film en film, Ali Asgari pose un regard inquiet, mais sans jugement, sur cette société conservatrice, où les règles discriminatoires s’appliquent à la lettre et où la rhétorique défie la raison. Son esthétique très réaliste et simple vise à mettre parfaitement en relief tous les personnages en présence. La caméra portée transpose le sentiment d’instabilité et une spontanéité presque documentaire, exempt de tout formalisme décoratif. Avec ce dispositif il humanise et invite à compatir avec ses personnages impliqués dans des situations moralement répréhensibles aux yeux du système (la séropositivité, l’amour et la sexualité libres, la maternité en dehors du mariage, l’avortement).
Tout en gardant cette approche après son passage du court au long-métrage, Asgari n’oublie pas de créer une dynamique entraînante et concise autour du duo de protagonistes qu’il suit au plus près, au fil de leur journée éreintante. Juste une nuit démontre très bien, qu’être une femme en Iran équivaut à mener un combat quotidien pour le contrôle de son propre corps. En effet, dans un pays où la législation abusive traite en criminelles les femmes qui refusent de porter le voile ou laissent dépasser quelques mèches de cheveux, où les violences au sein du foyer ne sont pas reconnues, les mères célibataires sont réduites à l’état de paria.
D’une brûlante et triste actualité, Juste une nuit rend un hommage poignant à toutes ces femmes intrépides, qui continuent à sortir dans les rues avec le slogan « Femme, Vie, Liberté », malgré les répressions massives et violentes. Ce film annonciateur de la révolte en cours, dépeint un mal que l’on aimerait croire bientôt révolu, mais qu’il faut sans cesse encore dénoncer. A voir absolument.
À l’affiche avec son nouveau film, Le Pharaon, le Sauvage et la princesse, Michel Ocelot aborde dans cet entretien réalisé par internet son engouement pour le numérique, le conte, les voix et l’évolution des techniques d’animation depuis ses premiers courts-métrages.
Format Court : Vous avez fait vos débuts dans l’animation il y a plus de 40 ans, qu’est-ce qui vous stimulait à l’époque dans ce domaine ?
Michel Ocelot : Enfant, j’étais enchanté par les films de Walt Disney, les seuls visibles. Petit à petit, sont arrivés les courts-métrages d’ailleurs, en première partie de longs-métrages, en séances particulières, puis en festivals d’animation. Ces courts-métrages intenses, personnels, manifestement bricolés, me révélaient ma route, mon métier, ma passion.
Y a-t-il quelque chose de cette époque qui vous manque aujourd’hui ?
M.O. : Le bricolage avec mes dix doigts. Mais j’aime le numérique !
Quel a été l’élément déclencheur de Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, votre dernier film ?
M.O. : Au sortir de Dilili à Paris, lourd à porter, j’ai voulu changer mon fusil d’épaule. D’autre part un nouveau phénomène s’installait dans ma vie, de jeunes adultes venaient me remercier avec émotion, dans tous les pays où je me rendais. Il s’agit des enfants de Kirikou qui ont grandi. Et ils ne parlent pas que de mes longs-métrages, ils évoquent avec insistance les petits contes en silhouettes. Il est clair que je dois encore raconter des histoires brèves, aussi fortes que les longues.
D’où vient votre envie, dans vos courts comme dans vos longs, de continuer à mettre à l’écran des contes, du merveilleux ?
M.O. : J’ai constaté que c’était mon langage, faire du joli, de l’agréable, du rêve, tout en abordant tous les sujets bien réels. Et je suis sensible à la bonne longueur des bonnes histoires, qui n’ont rien à voir avec le 90 minutes obligé.
La mise à distance par rapport à la civilisation occidentale est importante dans vos films. Pour quelle raison ?
M.O. : Il n’y a aucune mise à distance. Je suis citoyen du monde, tout m’intéresse, j’en montre autant que je peux, la mienne comme les autres. J’ai mis un sacré coup de projecteur sur la civilisation occidentale avec Dilili à Paris.
Avec Les Contes de la Nuit et Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, vous abordez l’univers du conte. À vrai dire, chaque conte constitue un court. Ensemble, ils forment un long. Est-ce important pour vous de créer une unité entre les histoires ?
M.O. : Non, je ne cherche aucune unité. Chaque histoire recommence le monde et est autonome.
Vous êtes revenu aux ombres chinoises et aux papiers découpés avec le segment « Le Beau Sauvage ». Est-ce que vous avez le sentiment de travailler autrement cette technique ?
M.O. : Non, je tends plutôt vers la simplicité de mes débuts désargentés. Elle fonctionne. Mais « le Beau Sauvage » est tourné en 3D, parce que c’est commode. Nous gardons le langage épuré des débuts, mais la 3D est la bienvenue quand il s’agit de faire tourner une belle tête, surtout avec une coiffure de branches et de feuilles…
D’emblée, rien qu’avec l’affiche, le film s’annonce très coloré, très riche visuellement. Les couleurs n’étaient pas aussi marquées dans vos courts et ont commencé à s’installer depuis votre premier long, Kirikou et la Sorcière. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cet éclat visuel ?
M.O. : Mes premiers films en silhouette utilisaient vraiment le contre-jour, des ampoules derrière le fond de papier Canson mince laissant passer la lumière. Seule l’aquarelle convenait au passage de la lumière, pas de gouache, de retouches, de collages, de matières. Cela réduisait les possibilités. Mais dès que cela a été possible, je me suis livré à des orgies —le numérique d’ailleurs ne demande que ça, et je ne m’en lasse pas.
Lorsque vous avez réalisé votre premier court, Les Trois Inventeurs, vous utilisiez votre propre voix avec Michel Elias. Pour Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, vous avez travaillé avec plusieurs comédiens de la Comédie Française. Est-ce que vous abordez autrement le travail autour des voix, de film en film ?
M.O. : Je crois bien que je n’évolue pas… J’ai toujours accordé une grande importance aux voix. Lors de l’animatique-brouillon, je fais toutes les voix, puis je me retire pour laisser la place aux comédiens, bien différents. Il y en a plus qu’au début, le budget le permettant. Et je fais appel en partie à de grandes maisons qui me semblaient inaccessibles à l’époque. Mais Arlette Mirapeu et Philippe Cheytion, les jeunes premiers des premiers contes en silhouettes, restent exemplaires.
Annecy vous a attribué cette année un Cristal d’honneur. Le festival offre une très large place au format court. Quelle valeur revêt pour vous le court-métrage ?
M.O. : Le festival d’Annecy s’est d’abord fait un nom avec des courts-métrages d’animation. C’est là où j’ai jubilé. Ce n’est que longtemps après sa création et son succès qu’Annecy a pu présenter des formats longs.
L’animation, si contrôlée, si concentrée, convient particulièrement au format court. Quand je vais au festival d’Annecy, c’est aux programmes de courts que je vais. Vive les durées dictées par l’histoire (et pas par la loi) !
Adapter une pièce de théâtre en un film est toujours un pari risqué, encore plus lorsqu’il s’agit d’une œuvre du grand Rainer Werner Fassbinder. Pourtant, c’est dans ce projet que s’est lancé François Ozon dans Peter Von Kant castant des acteurs hors pair, notamment Denis Ménochet et Isabelle Adjani, cette dernière collaborant pour la première fois avec le réalisateur de Jeune et Jolie, Frantz et plus récemment Été 85. À l’occasion de la sortie du film en DVD et VOD, Format Court s’associe avec l’éditeur Diaphana pour vous faire gagner 3 exemplaires du DVD de ce film, qui a ouvert la Berlinale 2022 en sélection officielle. Dans cette édition, vous pourrez également découvrir le magnifique montage d’Ozon mêlant deux films de Douglas Sirk et Rainer Werner Fassbinder.
Peter Von Kant se déroule en Allemagne en 1972. Peter Von Kant (Denis Ménochet), un célèbre réalisateur, s’éprend d’Amir (Khalil Gharbia), un jeune comédien modeste qu’il va aider à se lancer dans le cinéma, au cours d’une rencontre avec son amie et grande actrice Sidonie (jouée par Isabelle Adjani). Sous l’œil muet de son assistant Karl (Stefan Crepon) qu’il maltraite ouvertement, Peter propose à Amir de s’installer avec lui, quitte à se perdre dans une passion déraisonnée. Librement adapté des Larmes amères de Petra Von Kant de Fassbinder (1972), ce n’est pas tant d’un point de vue des techniques propres au médium cinématographique qu’Ozon apporte quelque chose de nouveau, mais bien dans sa revisitation théâtrale de la pièce.
D’abord, par l’agilité de la caméra qui a l’air de suivre notre regard plus que de l’orienter, se déplaçant avec agilité dans cet espace clos qu’est l’excentrique appartement de Peter Von Kant, dont on ne sortira presque jamais tout au long du film. La chambre et le salon font tous deux partie d’une même scène qu’on observe depuis notre siège imaginaire.
Ensuite, par la mise en scène des entrées et des sorties des comédiens ; par l’affalement d’un Peter dans son lit comme première introduction, par les habits flamboyants de Sidonie qui se confie très rapidement à Peter, par la prestance d’Amir, dont on comprend par l’arrivée inattendue qu’il va bouleverser le quotidien de Peter.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, par l’interprétation des acteurs dont la pertinence du casting n’a d’égal que leur performance personnelle. En effet, Denis Ménochet, dont la carrure brute et les rôles précédents nous rappellent un personnage mutique, presque ogresque – on se souviendra de son interprétation glaçante du mari violent dans Jusqu’à la gardede Xavier Legrand – s’approprie complètement le personnage excentrique et passionné de Peter Von Kant, dont Ménochet dit s’être inspiré à la fois de Fassbinder et d’Ozon pour son interprétation.
Les amateurs de théâtre apprécieront le séquençage du film en “actes” par des fondus au noir, et la spontanéité de son jeu, vif et pathétique, qu’on ne peut s’empêcher d’apprécier malgré son caractère parfois détestable. Ce mépris du personnage s’accompagne d’un comique assumé de la situation : comme le dit François Ozon dans son entretien disponible dans la version DVD du film, le ridicule de la passion de Peter pour Amir n’est pas caché. Lorsque Peter s’empare avec frénésie de la caméra pour la coller au visage d’Amir qui raconte son traumatisme, l’impudeur est si obscène, la curiosité est si morbide et déplacée que le rire est inévitable. C’est dans cette dimension très inattendue de l’ironie et de l’humour que les acteurs (et Ozon dans sa direction de ces derniers, qu’on peut étudier dans le making of avec l’actrice Hanna Schygulla dans les bonus du DVD) excellent. En jouant par exemples sur le jeu exubérant des acteurs, et sur les éléments visuels du décor (des couleurs frôlant le mauvais goût, une gigantesque affiche d’Adjani au dessus du lit de Peter, une représentation d’Amir en martyr chrétien sur un paravent…). Adjani est parfaite dans son rôle d’amie manipulatrice et intéressée, qui se révèle aussi perdue lorsque Peter s’effondre auprès d’elle.
Mais c’est également un film sur les émotions, sur les amours mortes, sur l’absence et la souffrance, et la complaisance d’un individu dans la souffrance amoureuse. Que ce soit par les dialogues intimes entre Sidonie et Peter ou bien par l’expression verbale de l’amour de Peter envers Amir, peu de choses se passent, mais beaucoup d’émotions sont dites, verbalisées (excepté pour le personnage muet de Karl). Cela ne laisse pas de place à la psychologisation ni à une subtilité des protagonistes. Cette façon si délicate et si directe à la fois de parler de soi déstabilise : on y verrait presque une vacuité d’écriture. Et puis au fur et à mesure que les relations se tendent et se détendent dans le huis clos de l’appartement, le film questionne : ne vit-on pas justement les histoires d’amour pour les raconter ? C’est précisément dans son expression de la souffrance, et dans sa complaisance presque masochiste, que Denis Ménochet se révèle vraiment. Dans son entretien, Ozon évoque avec justesse la figure “d’ogre sensible” de Ménochet, dont “la force physique vient contredire l’effondrement interne”. Cette figure se brise peu à peu, notamment dans la relation paternaliste dysfonctionnelle qu’il entretient avec Amir, dont la flânerie sera coupée par une fougue et une envie de liberté incompatible avec Peter, qui ne parvient pas à être heureux.
Peter est ici un soleil autour duquel gravitent tous les astres, les comédiens : son amant, son amie, son assistant, sa fille et sa mère (interprétée par Hanna Schygulla, qui jouait dans le film originel de Fassbinder). Les rapports de force s’effritent, s’inversent, dans une expression qui coche toujours tous les codes du pathos, à notre plus grand plaisir. Ozon va jusqu’au bout de cet hommage au théâtre, en faisant chanter tous les titres par Isabelle Adjani, comme si elle était derrière les rideaux de la scène fictive, nous accompagnant par sa voix dans notre visionnage. De plus, il y a une sorte de jouissance à observer cette catharsis émotionnelle, qui rend le spectacle divertissant. Jamais Peter ne se dira qu’il réagit de façon disproportionnée, jamais les émotions ne sont invalidées. Outre le ridicule des personnages, les choix artistiques d’Ozon traitent surtout de la difficulté de la séparation, des blessures qui ne parviennent pas à se refermer et de la difficulté à faire face à la réalité lorsqu’on s’est déjà perdu dans l’Autre.
C’est un thème complexe qu’Ozon développe encore plus justement dans le court-métrage Quand la peur dévore l’âme, réalisé en collaboration avec Muriel Breton et présent dans la version DVD du film. Dans ce court-métrage, des extraits de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk (1955) et de Tous les autres s’appellent Ali de Rainer Werner Fassbinder (1974) sont mis en parallèle, traitant de ce qui s’avère être la même histoire : une femme et un homme se rencontrent, tombent amoureux, et ne peuvent rester ensemble car leur relation n’est socialement pas acceptée. Les deux époques et les deux langues réunies dans le même objet cinématographique sont d’une grande poésie, où les passions traversent le temps : l’une entre une bourgeoise et son jardinier, l’autre entre une vieille veuve allemande et un arabe immigré. Les deux seront rejetées par la société, faisant s’effondrer les protagonistes.
Le silence de ce montage et la magnifique mise en parallèle des deux films est d’autant plus intéressante à regarder dans la version DVD, car le court-métrage ajoute une véritable profondeur à l’interprétation d’Ozon, en plus de rendre un très bel hommage à D.Sirk et R.W.Fassbinder. La beauté de l’oeuvre originelle réside peut-être dans sa relation à toutes les autres histoires traitant d’amour et de souffrance, qu’on peut résumer par une phrase prononcée par Peter dans le film : « Je crois que l’être humain a besoin de l’autre, mais qu’il n’a jamais appris à être deux ».
Un état du monde est un festival d’avant-premières et de films inédits tournés vers l’ici et l’ailleurs organisé annuellement au Forum des images. L’événement a commencé ce vendredi 11 novembre avec Saint-Omer de Alice Diop, récompensé à Venise (critique à venir sur notre site) et s’achève jeudi prochain avec Les Pires de Romane Gueret et Lise Akoka, primé à Cannes. Plusieurs premiers longs-métrages repérés par Format Court seront diffusés à l’occasion de ce nouveau cycle. Nous vous proposons de remporter des places pour les découvrir. Ecrivez-nous en nous précisant quelle(s) séance(s) vous intéressent.
Grand Paris de Martin Jauvat (France). Mardi 15 novembre à 14.30. 5×2 places à gagner
Sélectionné à l’ACID, Festival de Cannes 2022. En présence du réalisateur et de Lucile Mons (enseignante). Séance suivie d’un débat. Sortie nationale le 29 mars 2023 par JHR Films.
Après avoir découvert un mystérieux artefact sur un chantier de la future ligne de métro du Grand Paris, Leslie et Renard arpentent l’Île-de-France à la recherche de son origine, dans l’espoir d’en tirer un peu d’argent. Au fil de leur périple, la banlieue parisienne devient le théâtre d’étranges phénomènes…
Alma Viva de Cristèle Alves Meira (Port.–Fr.–Belg). Mardi 15 novembre à 18h. 5×2 places à gagner
Sélectionné à la Semaine de la Critique, Festival de Cannes 2022. En présence de Cristèle Alves Meira. Séance suivie d’un débat. Sortie nationale le 15 mars 2023 par Tandem.
Comme chaque été, Salomé retrouve le village familial, dans les montagnes portugaises. Mais sa grand-mère meurt subitement. Alors que les adultes se déchirent, Salomé est hantée par l’esprit de celle qu’elle voyait comme une sorcière.
Joyland de Saim Sadiq (Pakistan). Mercredi 16 novembre à 20h30. 5×2 places à gagner
Queer Palm et Prix du jury, Un certain regard, Festival de Cannes 2022. En présence de Saim Sadiq, le réalisateur (en visio). Sortie nationale le 28 décembre 2022 par Condor Distribution.
À Lahore, toute une famille vit sous le même toit, chacun sous le regard des autres. Engagé dans un cabaret, Haider tombe sous le charme de Biba, danseuse magnétique. Un récit initiatique bouleversant qui dénonce le poids du patriarcat.
Les Pires de Romane Gueret, Lise Akoka, France. Jeudi 17 novembre à 20.30. 5×2 places à gagner
Grand Prix, Un certain regard, Festival de Cannes 2022. En présence de Romane Gueret. Sortie nationale le 30 novembre 2022 par Pyramide Distribution
Quatre jeunes d’un quartier populaire du Nord de la France sont castés pour jouer dans un film. Une mise en abyme fascinante sur les coulisses d’un tournage.
Rencontrée à l’occasion du festival Jean Carmet à Moulins, la comédienne Tiphaine Daviot évoque avec nous sa responsabilité en tant que jury, l’importance souvent sous-estimée des dialogues dans un scénario, du travail de la langue et de l’honnêteté dans la démarche d’un projet.
Format Court : Ce n’est pas ta première fois à Moulins, au festival Jean Carmet. Tu étais venue quelques années plus tôt en 2017 avec Les Bigorneaux d’Alice Vial, un court-métrage pour lequel tu avais reçu le prix jeune espoir.
Tiphaine Daviot : C’est vrai mais je n’avais pas pu m’y rendre car j’étais en tournage à ce moment-là, mais Alice Vial, la réalisatrice, était venue présenter le film. Sinon, oui c’était bien ma première rencontre avec Moulins, et j’ai été invitée en tant que jury pour les courts-métrages l’année suivante.
Quelle impression cela fait de te retrouver ici cinq ans après, mais de l’autre côté cette fois ?
T.D : À l’époque, c’était un de mes premiers jurys il me semble. Après j’en ai fait d’autres, et plus particulièrement pour le court-métrage. J’ai tendance à me définir avant tout comme une spectatrice avant d’être une actrice. Ce qui me plait avant tout, c’est évidemment de voir plein de films mais surtout de voir des films que je ne serais pas allée voir spontanément. Cela m’ouvre l’esprit et j’apprends aussi beaucoup dans les choses que je n’aime pas, cela me nourrit tout autant. En même temps, je ne ressens pas vraiment de pression puisqu’il s’agit de la voix d’un groupe de personnes qui sont toutes individuelles et toutes différentes, comme un accord qui ne serait composé que de ces notes-là. On amène une voix avec une envie de récompenser quelque chose, une valeur, un sentiment, quelque chose de politique ou de fort. C’est la voix du jury et je trouve que c’est intéressant de se fondre là-dedans tout en gardant sa particularité, en défendant ce qu’il y a à défendre. Après, cela reste un vote et c’est la démocratie. L’idée, c’est d’être honnête avec soi-même. En revanche, il est très important pour moi de ne pas prendre cela à la légère puisqu’en face il y a des gens qui reçoivent ces prix. C’est toujours agréable dans ce métier, qui n’est pas souvent évident, d’avoir le sentiment d’être validé par ses pairs. Cela peut parfois donner de vrais coups de pouce. C’est une petite responsabilité, mais je trouve qu’elle a son importance quand même.
À ce jour, tu alternes projets de longs-métrages et séries Est-ce que le court-métrage est un format que tu as envie de continuer à exploiter en tant qu’actrice ?
T.D : Oui, bien sûr. Je n’ai aucun snobisme face au format, ni même aux genres de projets. Ce qui compte c’est l’histoire, et ça m’est égal que ça dure 20 minutes ou une heure et demie. Je crois, en revanche, que le court-métrage est un exercice très difficile lorsqu’il s’agit d’écrire une mini histoire où on doit être accroché par les personnages, où faut qu’il y ait un climax, que cela raconte quelque chose, que le spectateur soit touché, etc… Quand je lis un scénario, c’est pareil, je suis spectatrice et cela dépend de ce qui me donne envie.
Comment appréhendes-tu le travail en tant qu’actrice sur les différents formats ?
T.D : Série ou film, long ou court, je n’appréhende pas du tout les choses d’une manière différente. Je pense davantage les choses en terme d’expérience physique et c’est la durée, pour moi, qui fait la différence. Avec le court-métrage, on a moins cette impression de tunnel, de ce travail au long court dans lequel on s’engage ; on est dans l’efficacité, comme lorsqu’on fait des petits rôles. C’est beaucoup plus difficile de faire des petits rôles, de ne faire que deux ou trois jours de tournage, parce qu’on a peu à jouer, et tout à coup, on a envie tout prouver dans les trois répliques qu’on a. Même un premier rôle dans un court-métrage, cela reste très court ! De la même manière, que l’auteur ou le metteur en scène soit obligé de tout montrer en une vingtaine minutes, pour nous c’est un peu pareil. C’est une sorte de challenge de devoir accrocher les gens en si peu de temps et de réussir à transmettre ses émotions. Alors que sur les longs métrages (et encore plus avec les séries), je suis moi-même un peu plus en paix dans le travail parce que je sais que j’aurai le temps de montrer à travers telle séquence ou tel geste. Et en tant que spectateur, on a le temps de suivre les personnages, de les aimer, alors qu’avec le court il y a cette idée où c’est…maintenant !
Est-ce que les conditions moins contraignantes du court par rapport au long (production plus légère, pression financière moindre, durée du tournage…) t’encouragent à tenter plus de choses dans le jeu ?
T.D : Cela dépend plutôt de comment cela se passe sur le plateau, notamment si on a du temps pour tourner, ce qui est rarement le cas en court-métrage. Je m’autoriserais plus à tenter sur une série par exemple, où les occasions de jeu sont plus nombreuses, avec des choses différentes à jouer et où je peux aller chercher plus de choses. Dans le court-métrage au contraire, je trouve que si le texte est bon, il faut épurer au maximum pour raconter au mieux ce qu’il y a à raconter. Quand on tourne sur une longue période, on finit par très bien connaître le personnage jusqu’à faire corps avec lui ; là où le court, c’est plus une rencontre d’un soir (rires) !
À quoi prêtes-tu attention à la première lecture d’un scénario ?
T.D : Les dialogues. C’est très important pour moi qu’il y ait un ton particulier, que les personnages ne s’expriment pas tous de la même manière, qu’il y ait une langue en fait. Avec Les Bigorneaux par exemple, qui est très bien écrit, j’avais déjà très envie de le jouer rien qu’en le lisant. Je voyais très bien les sentiments que je pouvais mettre dedans, le texte était si bien écrit qu’il n’y avait plus qu’à le prendre en charge physiquement. Ce que j’aime, c’est sentir une personnalité d’auteur à l’oeuvre dans les dialogues et malheureusement, je trouve que c’est trop rare. Dernièrement, j’ai travaillé pour Simon Astier, dans sa dernière série intitulée Visitors, et typiquement c’est un auteur qui a une langue qui lui est propre. C’est une comédie, c’est très rythmé et tout de suite quand on le lit, on sent qu’il y a une identité, c’est-à-dire que je n’ai pas besoin de réécrire. C’est vraiment important pour moi, parce que très souvent, on a l’impression que c’est une machine qui écrit des textes et que les dialogues, la plupart du temps, sont la dernière roue du carrosse. C’est encore autre chose que d’écrire un scénario. Scénariser et dialoguer, ce sont deux choses très différentes. Parfois, j’ai l’impression que ce sont des logiciels qui écrivent, ce qui fait que tous les personnages parlent pareil et à l’oral, cela ne ne fonctionne pas et je sens que je dois retravailler mon texte. La première chose évidemment, c’est l’oralité. Après, c’est aussi l’histoire qui m’interpelle : quels sont les risques pris et qu’est-ce que cela raconte ? Est-ce que c’est drôle ? Est-ce que cela fait peur ? Est-ce que c’est gênant ? De quoi ça parle profondément.
Y a-t-il un genre que tu affectionnes en particulier ?
T.D : J’aime tout. En tant que spectatrice, je regarde tout. J’adore la comédie mais je trouve que c’est l’un des genres les plus difficiles. C’est aussi difficile à écrire qu’à réaliser, et autant à jouer. C’est très dur de faire rire, c’est beaucoup plus facile d’émouvoir. Le plus dur, c’est encore d’émouvoir et de faire rire ! Là, on atteint des sommets… C’est peut-être d’ailleurs le genre que je préfère, mais à jouer : j’adore les comédies dramatiques à l’anglaise, c’est à la fois drôle et touchant, c’est ce qui se rapproche le plus de la vie. Après, j’adore tout ce qui est film de genre : horreur, fantastique… Mais j’aime aussi la comédie pure où on peut voir un lâcher-prise dans le jeu des acteurs. L’exagération est poussée très loin et on touche presque au clown. En tant qu’actrice, je trouve que ce sont des plaisirs très différents, mais c’est du plaisir à chaque fois. Le mieux, c’est d’arriver à alterner ces choses-là. C’est ce que j’essaye de faire en tout cas pour pas me lasser, pour me renouveler. Je sais que quand je travaille sur quelque chose de très comique et que cela m’a épuisée (sous pression de faire rire, physiquement on s’engage pas mal), et bien j’adore me morfondre après dans quelque chose de plus glauque, et quand je suis épuisée de pleurer, je me dit : « tiens, j’ai envie d’un truc plus léger (rires) !
Es-tu attirée par la réalisation ?
T.D : Je trouve que c’est assez fantastique et excessivement impressionnant. Déjà en tant qu’actrice, il y a tout un côté qui n’est pas évident à gérer, mais alors la réalisation… Ce n’est pas la même pression, ce n’est pas juste la performance ; tu as tout sur tes épaules, c’est moins « égoïste », il faut être au taquet sur tout ! Cela me plairait bien, mais pas tout de suite, parce que j’ai trop envie de jouer pour l’instant et cela prend tellement de temps et d’énergie que je ne suis pas prête encore à donner ce temps-là pour de la réalisation.
Quels sont les projets que tu as eu plaisir à faire dernièrement ?
T.D : J’ai beaucoup aimé faire Visitors, la série de Simon Astier. On est dans un contexte d’invasion extra-terrestre mais Simon s’en sert pour avoir un propos très juste sur la solitude et la dépression. J’aime bien comment il a pris des risques sur ses personnages et j’ai vraiment aimé son univers qui est très choral. C’était un sacré pari qui n’était pas gagné d’avance et je trouve qu’il a réussi. Avec des moyens modestes, il est parvenu à une très belle production avec un ton bien particulier dans le rendu visuel. Il a réuni des acteurs d’univers très différents, cela a donné une série très drôle et touchante. Ce qui est très comique au départ finit par sombrer dans quelque chose d’assez triste et lourd, et j’ai trouvé cela très audacieux. Sinon, j’ai fait une série dernièrement qui n’a rien à voir (pour Netflix) qui s’appelle Détox. D’un côté, celle-ci n’est pas forcément en phase avec mon univers mais en terme de comédie, le curseur est poussé tellement loin… que ça passe ou ça casse !
On est deux actrices principales avec Manon Azem, et la réalisatrice Marie Jardillier nous a permis d’aller à 160 % et il s’avère que les retours sont très positifs. J’avais un peu peur, parce que je pense que mon personnage peut être très insupportable et exaspérant, mais ce que j’ai apprécié dans ce projet-là, c’est qu’on voit deux femmes qui sont des rôles principaux et qui se permettent enfin d’être immatures et insupportables, un peu comme dans le film Very Bad Trip. On a souvent l’habitude de voir des personnages masculins se mettre dans des états pas possibles (surtout chez les Américains), d’aller trop loin, trop fort. Et là, Marie Jardillier, qui est une réalisatrice vraiment brillante, nous a permis d’aller jusque là, et de le faire en France. C’était une superbe expérience. Souvent, les projets que j’aime sont ceux qui prennent des risques, ceux qui sont un peu marginaux et qui sont surtout généreux et honnêtes. Je pense que la démarche dans laquelle on écrit les projets, c’est quelque chose de très important : que tu aimes ou pas, au moins que ce soit fait avec générosité et honnêteté. Le propos est là et les gens mettent tout leur cœur dedans pour raconter cette histoire au mieux. C’est la même chose pour moi : lorsque je joue, j’essaye d’être la plus honnête et la plus généreuse envers le public, envers l’histoire et envers moi-même.