Tous les articles par Katia Bayer

4 comme 48 Hours

Fiche technique

Synopsis : Après trois années passées en prison, Nader obtient une permission pour rentrer dans sa famille. Il a 48 heures pour devenir un papa pour sa petite fille de quatre ans.

Réalisation : Azadeh Moussavi

Genre : Fiction

Durée : 20′

Pays : Iran

Année : 2022

Scénario : Azadeh Moussavi

Image : Masoud Amini Tirani

Son : Ensieh Maleki

Musique : Afshin Azizi

Montage : Sepideh Abdolvahab

Interprétation : Baran Kosari, Reza Akhlaghi Rad, Dorin Afsharian

Production : Azadeh Moussavi, Siamak Zaringhalam

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Jakub Gomółka. La relation entre l’esprit et l’image

Jakub Gomółka est étudiant au département de réalisation de l’École nationale polonaise de cinéma de Lodz. Son court-métrage, Father.Son, est sélectionné dans la catégorie Jeune Création au FIPADOC 2023. On y rencontre Mariusz et son fils qui sortent tous deux de prison. C’est avec sincérité qu’il tente de montrer l’impact que le système carcéral porte sur leur vie, sur leur relation père-fils.

Format Court : Comment ton projet est-il né ?

Jakub Gomółka : Il est né en septembre 2020. J’ai vu une amie avec qui j’étudiais avant, elle avait un boulot à me proposer. On devait se rencontrer pour parler des détails et puis on a discuté un peu de nous et elle m’a raconté qu’elle travaillait dans un centre de réinsertion pour détenus et j’ai pensé : “c’est super, je cherche un sujet pour mon court-métrage”. Je lui ai demandé si je pouvais faire un film à propos de ce lieu. Deux mois après, j’ai visité pour la première fois le centre. J’ai fait de la documentation, j’ai parlé avec les anciens détenus là-bas. C’est un petit centre : deux étages, dix chambres, maximum 20 personnes à la fois. J’y suis revenu avec mon chef op et nous avons commencé à tourner immédiatement là-bas, 15 minutes après être arrivés. Je ne savais pas quoi faire, j’avais un peu peur des gars. C’est une peur normale, on est éduqué avec ces mythes comme quoi les détenus sont des tueurs, violeurs, etc. J’ai décidé qu’on devait commencer à tourner et que ça nous aiderait à les rencontrer, à les comprendre. Je me suis dit qu’il ne fallait pas démarrer par la conversation mais plutôt par des images. On y a passé une semaine la première fois, on devait y rester plus longtemps mais on n’était pas assez prêt pour cette expérience. On nous racontait beaucoup d’histoires terribles. On passait toute la journée avec eux, on dormait dans une chambre du centre et on n’avait plus accès à notre vie normale (la famille, les copines). On était constamment dans le centre. Après 6 ou 7 jours et un entretien très puissant avec le personnage principal du court-métrage, on était assis sur un canapé avec mon chef op et on a commencé à pleurer. On a eu besoin de rentrer chez nous, d’analyser ce qui s’était passé. Quand on y est retourné, on était plus préparé mentalement.

La première fois que tu es allé au centre, tu as expérimenté la vie là-bas et tu as filmé immédiatement ?

J.G. : On cherchait les personnages du film, il y avait 15 personnes dans le centre et chacun avait sa propre histoire. On devait décider d’une structure narrative : est-ce qu’on voulait parler de 5 personnes ou de manière plus classique d’un seul personnage ? Après avoir rencontré Mariusz, on a décidé de faire un film à propos de lui. Il nous a dit que son fils allait quitter une prison dans un mois et on a su que ce serait notre histoire, un père et un fils qui quittent la prison. Dans la première partie du court, il y a une scène dans la cuisine où ils se retrouvent après huit ans. J’ai aussi ce sentiment que Mariusz était très ouvert et qu’il nous permettait de rentrer dans sa vie. J’ai passé deux semaines avec Mariusz et son fils. Ils savaient qu’on faisait le film aussi pour eux. Ils nous ont permis de les approcher parce qu’ils savaient que nos intentions étaient bonnes.

Je ne savais pas que j’allais faire un film sur une relation père et fils. J’aurais refusé si quelqu’un m’avait demandé de filmer mes retrouvailles avec mon père huit ans plus tard ! Mais ils ont accepté. On a discuté de mes idées, de mes intentions. On a parlé de leur exclusion sociale et j’ai dit qu’avec ce court-métrage, je voulais leur donner une voix : “ce n’est pas seulement mon film, c’est aussi le vôtre”. Ils ont accepté autour de ce contrat, ils nous ont donné accès à leur vie.

Comment les as-tu approchés avec la caméra ?

J.G : C’était le résultat de notre travail sur la confiance. Je voulais montrer que le système en Pologne rend dépendant à la prison, il augmente la pauvreté. En prison, tu as un lit, tu as de la nourriture et tu sais ce qui t’attend le lendemain. En dehors, tu n’es plus sûr de rien. Quand tu viens de ce monde, tous les jours sont un combat. Parfois, la prison n’est pas trop mal pour eux, ils ont une vie normale avec des gens qui les comprennent.

Il y a deux sujets dans ton film : une relation entre un père et un fils et le centre pour anciens détenus. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre les deux ?

J.G : Je n’avais pas de scénario pour ce film. Le film s’est écrit grâce à des conversations avec mes personnages : je leur disais ce dont j’avais besoin, ce que je voulais, et ils me disaient ce qu’ils imaginaient. Mariusz était très conscient des images qu’on avait tournées, il avait ce court métrage en tête même avant qu’on commence le tournage. Et c’était incroyable pour moi car on travaillait ensemble sur le même film, sur les mêmes matériaux.

Comment sentais-tu que c’était le moment de prendre la caméra et de filmer?

J.G : On a essayé de tourner de façon précise, pour utiliser la caméra juste au moment où ça nous sentait important. On a eu sept heures environ de rushs, ce qui n’est pas beaucoup. Au début on avait une sorte de scénario, on imaginait tourner par exemple une interview et dans ce cas là, on prendrait la caméra. On la sortait principalement lors des interviews, mais dans les moments d’observation, on avait peu d’images parce qu’on ne pensait pas que cela ferait partie du film. C’était une question d’intuition.

Quand on fait du documentaire, on cherche la vérité. Comment ton intuition, ta subjectivité, influe-t-elle au tournage?

J.G : Je pense que tout le monde a un point de vue sur quelque chose. Tous réalisateurs ont leur propre esthétique, leurs sujets de prédilection. Quand tu vas dans un endroit, tu sens dans ton corps ce qui te touche ou pas. C’est très important de raconter une histoire si tu l’aimes, si tu t’identifies aux personnages. À la première de mon film, une amie m’a dit qu’elle sentait que c’était mon film, elle l’a comparé à ma personne et elle a senti que j’en étais l’auteur. Je crois que c’est très important de trouver une relation entre son esprit et l’image à l’écran. Ça fait partie de cette vérité, de cette authenticité, le fait de tourner avec ses yeux.

As-tu choisi ce sujet parce qu’il te parlait ? Parce qu’il résonnait en toi ?

J.G : J’ai d’abord pensé que ce serait une bonne aventure d’aller dans le centre. Puis, quand j’ai rencontré ces anciens détenus, j’ai senti une résonance. Pour moi, ce film traite d’un combat quotidien, du fait de lutter tous les jours avec le monde autour de nous. J’ai pensé que c’était ma vie aussi, dans des conditions différentes.

Est-ce que tu as d’autres projets ?

J.G : En ce moment, j’essaye de travailler avec le matériel que je n’ai pas gardé pour le court-métrage. Je veux faire un film avec ce que j’ai tourné et des images d’archives. J’ai le sentiment que ça pourrait être un bon film. Je n’ai choisi pour Father.Son que des images avec Mariusz et son fils alors que les autres sont bien. Il y a d’autres bons personnages mais ce sera un film plus expérimental.

Pourquoi avoir choisi de conclure le film avec des images de prison?

J.G : Pendant tout le film, on est avec eux hors de la prison. Mais la prison est quelque chose de maudit, toujours en train de les attendre, même si elle est vide. C’est dans leur esprit.

Propos recueillis par Garance Alegria et Agathe Arnaud

Ondine Novarese : « C’est le micro qui fait le cadre »

Dans Radiadio, on découvre les joies des retrouvailles d’une famille autour de la traditionnelle fête juive de Pessah. Depuis des générations, les gestes se transmettent, se perdent mais gardent leur sincérité. Ondine Novarese, la réalisatrice de Radiadio, a peur de voir ces gestes traditionnels disparaître mais elle aime sa famille, même si le Pessah sur Zoom est un sacré bazar !

Dans son court-métrage sélectionné dans la catégorie Jeune création au FIPADOC 2023, elle mélange les images d’archive filmées par son arrière-grand-père, des images d’un enregistrement Zoom et un tournage en famille. La jeune réalisatrice, tout juste diplômée du département son de la Fémis, raconte son envie de créer un sentiment de nostalgie dans son film.

Format Court : Quand ce projet est-il né et comment ?

Ondine Novarese : Dans le film, on voit les repas de Pessah faits sur Zoom et Skype. Le premier a eu lieu en 2020 : on était en plein confinement et j’avais pris le son. A ce moment-là, je ne savais pas que j’allais faire un film mais j’avais envie de prendre le son, de filmer ça. Puis, j’ai retrouvé l’archive de 1959, un Pessah en famille aussi. Pour moi, c’était deux matières qu’il fallait faire communiquer. Il y avait quelque chose de tellement évident de l’ordre de la perte, en tout cas du changement. Ça m’a fait peur, c’est une fête qu’on fait pour mon grand-père et il venait d’avoir 90 ans. C’est là que je me suis mise à me poser la question : qu’est-ce que va devenir cette fête traditionnelle et familiale plus tard ? L’idée est vraiment née là.

Tu avais déjà des enregistrements son et image avant d’avoir une idée du film ?

O. N : J’avais déjà l’archive du Pessah de 1959. Pour le reste, je suis allée chez mes grands-parents un mois avant le montage. C’est un peu cliché mais c’est vrai : j’ai trouvé un sac plein de bobines dans la cave. Il y a eu un travail de montage : il a fallu regarder les archives, se demander ce qui communique bien, ce qui peut exprimer ce qu’on veut dire.

C’est donc l’image d’archive qui t’a donné envie de faire ce film ? Plus que la crise du Covid ?

O. N : C’est le son de l’image qui m’en a donné envie. Ce qui résonne le plus en moi, émotionnellement, c’est le discours de mon arrière-grand-père à la fin du film, où il s’adresse à ses enfants parce qu’il espère qu’il y aura d’autres Séder (repas de Pessah), que ses enfants auront des enfants aussi dévoués. Il y a quelque chose qui m’a touchée, c’est un discours que j’entends encore aujourd’hui alors que c’est quelqu’un que je n’ai pas connu. C’est ce qui m’a donné envie d’exprimer ce que ça me faisait ressentir : une sorte de nostalgie mais particulière, une nostalgie à la fois d’un passé que je n’ai pas connu et d’un futur très incertain.

Ton travail de fin d’étude à la fémis traitait déjà de la nostalgie.

O. N : J’ai fait un mémoire sur la nostalgie. À la Fémis, en quatrième année, pour le TFE (travail de fin d’études) , on a le droit de faire un film – ce n’est pas obligatoire – et quelle que soit sa section, il doit s’accompagner d’un travail d’écriture de mémoire, en rapport avec le département dans lequel on est. J’ai eu l’idée du film avant l’idée du mémoire. Cette émotion de la nostalgie est ce qui m’a donné envie de faire ce film. J’avais envie d’en parler sous l’axe du futur comme de quelque chose qu’on n’a pas encore perdu mais qu’on a peur de perdre. Une sorte de nostalgie du futur en somme.
Je suis repartie des théories du temps de Bergson selon lesquelles il y a toujours dans le présent à la fois un passé qui se conserve et un présent qui passe. Je me suis dit que pour donner naissance à un sentiment de nostalgie, il faudrait qu’il n’y ait pas juste ces deux temps-là mais un troisième temps, simultanément. Le passé qui se conserve, le présent qui passe mais aussi le futur présent à l’esprit. On a des images d’archives du passé, et le tournage du temps présent, aujourd’hui comment on célèbre Pessah ; de réussir dans un instant d’avoir simultanément trois temps différents. Ce qui permet de créer une connexion, un pont, et qui crée un sentiment de nostalgie. Après, est-ce que ça marche ? C’est une autre question.

Comment as-tu travaillé la mise en scène et l’approche des images d’archives, notamment concernant les gestes traditionnels qui se répètent ?

O. N : Je voulais réussir à relier les époques où il y a beaucoup de choses qu’on fait très différemment. Il y a des gestes qui restent les mêmes, qui permettent de faire des ponts temporels et de passer aux images d’archives. La façon dont ils disparaissent et se transforment m’intéressent. Ils ne sont plus très bien réalisés, quant à la langue, elle a vraiment disparu. Dans le Pessah de 59, tout se passe en yiddish qui est un vrai vestige aujourd’hui. Ce sont des éléments qui permettent de faire des liens, soit par rupture, soit pas similitude et qui permettent de faire répondre des époques qui n’ont rien à voir.

Pour le tournage, je n’ai pas du tout donné d’instructions à ma famille. L’idée c’était qu’on se fasse oublier. Même si on était une petite équipe de trois, ils n’avaient pas l’habitude. Je perchais donc je n’étais ni complètement avec eux, ni avec l’équipe. Dès qu’il y avait une prière, il fallait que je mange le plat correspondant au bon moment, c’était difficile à gérer !

C’est un peu acrobatique d’être à la fois un personnage de ton film en même temps que quelqu’un qui le fabrique.

O. N : Dans Radiadio, la construction du film fait partie du film. Au début, je me suis interrogée si je devais faire moi-même l’image. Très vite, j’ai voulu filmer mais j’ai abandonné parce que je ne sais pas filmer. Par contre, je sais faire du son, je sais percher. L’envie de faire l’image, elle vient surtout d’une envie de contrôler le cadre, d’être au bon endroit au bon moment. Mais ce n’est pas parce que je fais de la perche que je ne peux pas être au bon endroit au bon moment. J’ai donné mes instructions au chef op en lui disant : « si tu vois des choses qui t’intéressent, n’hésite pas. Par contre, si tu vois que je me déplace à la perche quelque part, tu me suis.” C’est le micro qui fait le cadre.

Quand la période de montage s’est-elle située par rapport au tournage ?

O. N : Comme c’est un film très intime, j’avais besoin de temps, de recul. On a eu deux semaines en janvier et deux semaines en mai. En plus, j’ai eu deux monteurs différents ce qui n’était pas prévu. Avec Gabrielle Stemmer, une monteuse très brillante qui a fait son TFE avec seulement des images de Youtube (Clean with me (After dark), 2019), on a vraiment construit le film en termes de structure. On a beaucoup bossé ensemble sur les parties de Zoom. Ça a permis de voir ce qu’on avait déjà et donc de savoir ce qu’on voulait aller chercher au tournage. Toujours dans le but de créer des ponts entre les époques et de voir ce qui reste, ce qui disparaît, ce qui change. On a reconstruit tout ça avec Charly Cancel, un autre monteur. C’est un exercice d’avoir deux monteurs mais c’était super. Avec Gabrielle, on a travaillé sur la structure et avec Charly, on s’est concentré sur la création du personnage de mon grand-père, on a relié les archives à lui. En rentrant dans le détail, on a pu construire quelque chose de plus intime, de plus émotionnel. La structure était là, elle était assez évidente et on ne voulait pas la changer mais l’enrichir.

Comment as-tu travaillé les images sur Zoom et Skype ? Comment construis-tu un récit, comment choisis-tu tes images ? Les personnages de ta famille ne sont introduits que par Zoom et pourtant on a quand même l’impression de les rencontrer.

O. N : Avant d’arriver en montage, j’avais écrit un traitement et j’avais présélectionné les moments que j’aimais, ceux qui me faisaient rire, ceux que je trouvais intense. J’avais une idée de construction du film, je voulais qu’on commence avec quelque chose de léger, de drôle. Parce que c’est comme çà que je vis Pessah. C’est un peu le bazar et j’avais envie de remettre ça dans le film. Je savais à peu près qui je voulais mettre en avant mais ça s’est fait assez naturellement, c’était évidemment mes grands-parents. Mais eux, on a dû aller les chercher un peu plus au tournage. On s’est rendu compte que cela tournait autour de mon grand-père et il fallait, dès le Zoom, attirer l’œil sur lui. Ce n’est pas toujours évident.

Quand quelqu’un parle sur Zoom, on regarde celui qui parle. On savait que quand quelqu’un interviendrait on allait avoir l’attention du spectateur sur cette personne. Il peut y avoir un détail aussi, quelque chose qui nous intéresse, une moue, etc. C’est du documentaire mais forcément il y a de la mise en scène. Ce qui est pratique avec le Zoom, c’est que c’est fait de plein de vignettes, forcément il y a des moments où on a un peu triché. On remplace une vignette, on met un autre moment. C’est un mélange d’écriture préalable, de réflexion avec la monteuse et le monteur et puis, avec le tournage, de possibilité de se refocaliser sur certaines personnes.

Vois-tu ton film comme une nouvelle archive qui se construit, porté par un désir de transmission?

O. N : La transmission, c’est une question tout le temps présente chez moi, encore plus dans les familles juives. Dans ces familles, on a une partie de l’histoire qu’on se lègue, il y a beaucoup de névroses. Mon grand-père a beaucoup filmé, j’avais envie de reprendre son geste à lui et de partager mon point de vue sur ça, sur la peur de la perte de la tradition mais aussi leur transmettre que peut-être, finalement, on est une famille, ensemble, qui s’aime et que ce n’est pas grave si ça change. En faisant le film, j’ai pensé que je réutilisais des films qui ont été filmés il y a 50 ans. Peut-être que dans 50 ans, mon film pourra être vu et utilisé. C’est l’espoir qu’on a quand on filme quelque chose, de se dire que ça deviendra un souvenir aussi et qu’avec un peu de chance, il fera partie du passé.

Comment se déroule la fabrication d’un film de fin d’année à la Fémis ?

O. N : C’est un peu différent selon les départements. Tout le matériel est prêté par la Fémis, toutes les salles de post-prod aussi et les gens ne sont pas payés. C’est encore une année d’école. Sur les TFE, tout le monde est bénévole et cela ne concerne pas seulement des étudiants de la Fémis. Sur mon équipe, j’ai eu de la chance parce que j’ai osé contacter des gens qui ont déjà le statut d’intermittent mais qui ont accepté de travailler bénévolement. Je pense qu’il faut avoir du culot. C’est beaucoup de contacts et puis, il faut réussir à motiver des gens sur un projet qui est bénévole. L’avantage du TFE, c’est que les gens se disent que c’est un film qui va aller en festival – si c’est réussi. C’est beaucoup plus difficile de faire travailler bénévolement après l’école. Le problème aussi, surtout en documentaire, est que lorsqu’on on attend de l’argent, il y a des films qu’on ne fait pas. On ne s’en rend pas trop compte, quand on sort de la Fémis, du temps que ça prend. On nous prévient mais ce n’est pas pareil de le vivre, d’envoyer un dossier et de savoir qu’il faut attendre trois mois avant d’avoir une réponse alors que certains films pourraient se faire en une semaine de tournage et deux mois de post-production. Le problème, c’est qu’il faut trouver les financements et dans la réalité, c’est extrêmement long. Il y a des films qui n’attendent pas. Il faut se dire : “tant pis je n’ai pas de financement”. Avec un peu de chance, ce sera financé après sinon ce sera à perte. Avec Radiadio, c’était facile, il a suffi d’une petite caméra qui a fait le travail puis d’un enregistrement d’écran. J’ai un autre projet de documentaire en Corse, on filme une dame de 95 ans qui est cardiaque comme pas possible et moi, si j’attend le financement du CNC, elle ne sera peut-être plus là. On a décidé de partir tourner et puis, on verra bien…

Propos recueillis par Garance Alegria et Agathe Arnaud

Article associé : la critique du film

Retour sur le PIAFF 2023

Le Paris International Animation Film Festival (PIAFF) vient de s’achever. Hébergé une nouvelle fois au Studio des Ursulines, dans le 5ème arrondissement de Paris, il a accueilli pas moins de 6 sélections : court-métrage, horizon, étude, musique, jeunesse et expérimental. Petit coup de projecteur sur la compétition des courts-métrages.

Cette compétition présentait 27 films issus de diverses nationalités, répartis en trois séances de 9 films. La plupart des films abordait des sujets forts, en prise avec l’actualité et la société contemporaine. Les esthétiques brillaient par leur diversité, des marionnettes filmées en stop-motion au dessin animé en passant par le papier découpé.

Hommages et prises de conscience

Si de nombreux sujets d’actualité contemporaine sont évoqués, cela tient pour partie à un point d’honneur du festival : rendre hommage à l’une des nombreuses luttes du monde.
Cette année, ce sont les combats des Iranien.nes que le PIAFF a souhaité soutenir. Le festival a ainsi donné la parole à Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne qui présente cette année son premier long-métrage d’animation, La Sirène, au Festival de Berlin, sélectionné dans la section Panorama. Elle a affirmé au PIAFF, à propos des luttes iraniennes contre l’extrémisme religieux : “Je pense qu’on va gagner”.

D’autres hommages, destinés cette fois à saluer le travail de specialistes du cinéma d’animation, ont émaillé le festival. L’un d’eux a ainsi été rendu à Sébastien Roffat, historien de l’animation, décédé en 2022.

Quant au Prix Giannalberto Bendazzi, créé lors de la précédente édition du festival, il a vocation à rendre hommage aux métiers de l’ombre du cinéma d’animation. Cette année, il a été remis à Nancy Denney-Phelps, journaliste spécialisée dans le cinéma d’animation.

Des courts-métrages d’une grande diversité

La diversité de ces hommages est à l’image de la diversité des films présentés. Ainsi, l’Iran lui-même était présent grâce aux deux très beaux films de Shiva Sadegh Asadi : Tache et Satin blanc. Dans de très courts formats (3’40’’ et 2’18’’), la réalisatrice évoque avec sobriété la violence que subissent chaque jour les femmes. Grâce au rythme heurté, nous passons de poupées filmées à des papiers découpés ou du dessin 2D, dont le caractère inanimé évoque la réification subie par les victimes. La cadence hachée participe pour sa part d’une dislocation de la narration à l’image de la dislocation des corps.

Les violences sexuelles et sexistes étaient également présentes dans Oneluv, de la réalisatrice russe Varya Yakovleva. Mais, si la violence des films de Shiva Sadegh Asadi reposait en grande partie sur leur sobriété et l’absence de tout commentaire, Oneluv souffre de sa trop grande évidence. En soulignant son propos là où Tache et Satin blanc se passaient de commentaire, ce film perd de sa force et devient finalement assez banal. Il a toutefois su séduire le Jury du court-métrage qui lui a attribué le Prix de l’interprétation.

Puisque violence il y a, la guerre a également influencé les films sélectionnés. Nuit, du réalisateur palestinien Ahmad Saleh, s’ouvre sur la très belle maquette d’une ville dévastée, dont la beauté séduit bien plus qu’elle ne repousse. Le ciel étoilé se transforme en un sol jonché de bougies, lieux de prières aux victimes des bombes. C’est à la Nuit que la mère d’un enfant disparu adresse sa prière en un chant grave et fort.

Quant à la Letter to a pig de la réalisatrice israélienne Tal Kantor, elle nous fait entrer dans les pensées d’une élève qui écoute un ancien déporté se livrer à un exercice étrange, lire une lettre à un cochon : le rescapé s’était, durant la guerre, caché dans une porcherie, ce qui lui a permis de survivre. L’animal devient alors métaphore d’un ennemi paradoxal, salvateur en dépit du dégoût qu’il inspire. Quelques prises de vue réelles enracinent le dessin dans la réalité, tandis que l’esprit de la jeune fille vagabonde. Si ce moment s’étire un peu, il nous fait ressentir avec beaucoup de précisions le vertige de cette élève dans un dessin en noir et blanc qui fait fi de toute perspective et évoque avec subtilité l’esthétique de l’expressionisme allemand. Un parti pris qui a conquis le Jury du court-métrage, qui lui a décerné le Prix du scénario.

D’autres sujets d’actualité ont été évoqués au PIAFF, comme la transidentité et la transphobie dans Lada, la sœur d’Ivan d’Olesy Shchukina, ou l’uniformité du monde contemporain dans Mon tigre, de Jean-Jean Arnoux. Le premier déçoit toutefois par l’importance du commentaire : une personne en transition nous conte par le menu la libération que fut son changement de genre. Si le dessin fait montre de quelques trouvailles, la voix off qui livre le récit est clairement de trop et transforme ipso facto le film en un spot bien didactique. De son côté, Mon Tigre amuse par sa peinture du monde contemporain, mais ne parvient pas à éviter les poncifs en la matière. Il s’agit là d’un film distrayant, mais qui manque d’originalité.

Un soin particulier a en revanche été porté au travail de l’image dans Ice Merchants de João Gonzalez , qui nous montre un père et son fils aux prises avec la fonte d’un glacier. Le travail des couleurs et la précision du dessin sont à saluer.

Il en est de même pour La Ville magnifiée, d’Isaku Kaneko, qui nous embarque dans une ville incendiée, « magnifiée » par des caméras et des appareils cinématographiques en tout genre, lesquels entreprennent de redonner vie à la ville détruite. La façon dont les couleurs jouent entre elles et les jeux de lumière nous emmènent dans un monde surréel qui rend un bel hommage au septième art. Dans un genre semblable, Isaku Kaneko avait réalisé en 2019 Locomotor et The Balloon Catcher en 2020. La Ville magnifiée a remporté le Prix de la critique et le Prix du public.

Un peu d’humour anglais, enfin, avec le très beau La Débutante, de Elizabeth Hobbes. Le film s’inspire d’une nouvelle de 1936 de Leonora Carrington, qui raconte les horreurs auxquelles est réduite la narratrice pour éviter un bal à la cour de George V. Le texte puise ses inspirations dans l’univers de Virginia Woolf et l’humour d’Oscar Wilde ou de Bernard Shaw. Le court-métrage vaut toutefois pour autre chose que son fil narratif : le rythme du montage et la variété des traits et des techniques font de ce film un petit bijou d’humour britannique, qui a su séduire le Jury court-métrage, ce dernier lui ayant décerné le Prix Sauvage.

Le PIAFF 2023 aura su présenter en trois séances des courts-métrages d’animation variés. Si nombre d’entre eux présentent de façon crue un monde terrible où chacun.e se déchire, l’humour et les appels à l’imaginaire apportent un peu d’espoir salutaire.

Julia Wahl

Max Lesage : « Le plateau de cinéma est un endroit où tout peut arriver »

Lors de la 37ème édition du Festival de Brest, le jeune réalisateur Max Lesage a remporté le prix Bref Cinéma de la meilleure réalisation dans la catégorie « Compétition Bretagne ». À cette occasion, le lauréat s’est exprimé sur son parcours, son approche d’écriture et plus particulièrement sur son troisième court-métrage Titou pour lequel il a été primé. L’histoire tourne autour de Titou, un jeune homme plein d’ambitions qui souhaite réaliser des clips de rap. Il embarque son ami rappeur avec lui pour aller dans la maison de sa grand-mère, récemment décédée, afin de créer un morceau et d’en tourner le clip. À leur arrivée, les deux jeunes hommes découvrent que l’aide soignante de la défunte squatte la maison, une rencontre qui signe le début d’une suite de mésaventures qui vont perturber le tournage et mettre à l’épreuve le jeune réalisateur.

Format Court: Quel est ton parcours dans le cinéma ?

Max Lesage : Mon amour du cinéma a vraiment commencé quand j’étais au lycée. C’était un établissement qui proposait une option cinéma. C’était très chouette, on avait 8h de cinéma par semaine, on faisait des sorties à Cannes, à Belfort… Et on a fait des films aussi. C’est vraiment le début de tout, et comme j’étais aussi à l’internat, c’était très immersif. J’ai ensuite fait un an dans une école de cinéma mais ça ne m’a pas beaucoup plu car c’était très axé sur les aspects techniques et les cours sur la mise en scène étaient peu intéressants. Je pense que c’était une bonne formation pour être technicien mais ça ne me convenait pas.

C’est après que tu es parti au Sénégal ?

M.L: Oui exactement. J’étais entré en contact avec un anthropologue qui m’a ensuite proposé de le suivre au Sénégal dans le cadre d’une mission pour le CNRS; l’idée était d’aller faire des images des peuples nomades dans le désert du Ferlo. Finalement, ça n’a rien donné d’exploitable mais ça a été très formateur, ça m’a fait comprendre que l’école de cinéma n’était pas un passage obligatoire en vérité.

À quel moment t’es-tu familiarisé avec les aspects techniques du filmage ?

M.L: À vrai dire, je connaissais déjà la technique que j’avais apprise au lycée, et puis de manière générale, je suis plus concentré sur la mise en scène que là dessus, même si je connais les bases évidemment. Je ne me sentirais pas de tourner un film tout seul maintenant avec du gros matériel par exemple.

Pourtant, la photographie est remarquable dans Titou. Tu as travaillé seul ?

M.L: Non, j’ai travaillé avec Mathias Godron que j’ai rencontré à l’école de cinéma, je lui ai fait confiance parce qu’on savait déjà ce qu’on voulait à l’image, on avait beaucoup de références en commun pour ce projet. On avait en tête les films d’été de Éric Rohmer évidemment, et d’autres films comme ceux de Guillaume Brac par exemple.

Au-delà du film d’été, Titou représente principalement une mise en abîme du tournage et du travail artistique en général. Est-ce que tu as écrit le personnage du réalisateur comme un double de ta personne ?

M.L.: Au début ce n’était pas tant explicite, mais au fil du tournage c’est vraiment devenu mon double, c’est vrai. Son caractère n’est pas le mien bien sûr, je suis beaucoup moins colérique (rires) ! Mais il est vrai qu’on a tous vécu ces péripéties de tournage qui conduisent à des choses improvisées par la force des choses. Le plateau de cinéma, c’est un endroit où tout peut arriver et je trouvais que ca se prêtait particulièrement à la comédie.

Ce n’est pas la première fois que tu travailles avec ton frère. Comment est-ce de diriger quelqu’un avec qui on a une relation aussi intime dans la vraie vie ?

M.L: Je commence à avoir l’habitude parce que ça n’est pas le premier tournage qu’on fait ensemble (rires) ! Après le Sénégal, j’ai tourné avec lui un film expérimental en super 8 qui s’appelle Conatus. On a tourné dans une décharge sauvage située à 20km de Paris qui s’étale sur des milliers de kilomètres avec des montagnes de déchets en plein milieu de la nature, et bien sûr, tout ça est parfaitement illégal. J’ai tourné dans une décharge parce que je voulais parler d’un mec obnubilé par des images d’objets de surconsommation. Pour en revenir à mon frère, bien sûr, il y a parfois des aspects personnels qui ressortent. On se connait très bien, on connait les attentes et les réactions de l’autre. D’ailleurs, on trouve de plus en plus notre équilibre au fil des projets, ça va dans le bon sens.

Comment est-ce que tu écris tes projets ?

M.L.: Je n’ai pas de co-scénaristes. Je travaille surtout avec les retours des personnes à qui je demande un avis. Il ne faut pas non plus trop multiplier les opinions parce que ça peut finir par embrouiller plus qu’autre chose (rires) !

Penses-tu en premier les plans ou l’histoire ?

ML: Les deux vont ensemble je trouve. Il est vrai qu’un plan est souvent à l’origine du projet et à partir de là, le scénario se déroule autour et fait jaillir d’autres images ensuite. J’aime que les deux collaborent parce que sinon je trouve qu’on ressent au scénario que l’histoire prime au detriment du reste, et dans ces moments-là, le projet manquera très certainement d’images fortes.

Dans Titou, tu intègres beaucoup de codes de ta génération : les drones, les kebabs, le rap etc .. Est-ce par envie de filmer ce que tu connais, ce qui t’entoure ?

ML: C’est tout simplement des choses qui gravitent autour de l’univers du rap. Ce que je représente dans Titou est ce qui se passe vraiment dans les petites cessions studios. Le rappeur que Titou croise dans Paris, par exemple, est rappeur dans la vie. Il est arrivé avec l’attitude, le style et tout, on a commencé à filmer directement parce qu’il était déjà prêt (rires) ! Mais pour en revenir aux codes, il est evident que Titou est un film qui gravite autour de cet univers du rap mais en même temps, il a été très influencé par les duos iconiques du cinéma et de la littérature. Par exemple, je voyais dans ce duo quelque chose qui rappelait Don Quichotte et son écuyer. La relation entre les deux est très touchante, mais en même temps très conflictuelle. Le livre date du début du XVIIème, et pourtant c’est toujours une référence absolue en terme de duo, je trouve. Don Quichotte est un homme qui se rêve chevalier, Titou est semblable à lui car il aspire à avoir sa place dans le monde du rap et veut faire les choses en grand. Il rêve beaucoup et parfois n’arrive pas forcément à regarder la réalité en face. L’histoire de Titou n’est rien de plus, rien de moins que celle de deux losers qui veulent faire comme les rappeurs qu’ils trouvent très stylés. Ce qu’ils sont fait partie intégrante de la dimension comique pour moi, avant même les péripéties de l’histoire.

Quels sont tes projets futurs ?

ML: J’ai plusieurs projets en cours qui sont en attente car on cherche des financements. Je prépare un court-métrage que je vais tourner dans les Vosges prochainement, et un deuxième qui sera à Paris ou Strasbourg. J’ai aussi des longs qui sont écrits mais qui ne sont pas en état d’être tournés.

Tu te sentirais prêt à passer aux longs-métrages ?

ML: J’aimerais ! Mais au stade actuel, je ne pense pas que ça soit possible. Il faut encore quelques autres petits projets pour avoir des financements plus rapidement et passer plus vite dans les commissions. Mais si j’avais un financement demain, oui j’aimerais tourner un long. J’ai d’ailleurs un scénario que j’ai écrit en arrivant à Paris et que je n’ai pas cessé de retravailler depuis. L’histoire tourne autour d’un personnage jeune dont je me sens très proche, donc le projet me tient à coeur. Je pourrais faire un film personnel peut-être, mais à l’heure actuelle, je ne me sentirais pas capable de réaliser une grande commande sur un film historique ou quelque chose comme ça. De plus, faire une commande quand on est jeune, et pas encore très installé dans le milieu, revient à prendre le risque de se faire manger par les producteurs et de ne plus avoir l’occasion de proposer quelque chose de vraiment personnel.

Ton film a reçu le prix de Bref Cinéma ce qui le rendra disponible sur la plateforme. Il y a peu de plateformes qui mettent en avant les courts-métrages. Est-ce que ça pourrait évoluer selon toi ?

M.L.: Oui, c’est vrai que Bref cinéma est l’une des seules plateforme entièrement dédiéee au court métrage, il y a aussi Arte et Canal+ par exemple, mais ça reste restreint. Je pense que ça va se développer, le court métrage a pris un tel essor ces dernières années… Avant, ce format était principalement considéré comme un exercice. Même s’il y a de grands réalisateurs qui ont fait des courts métrages que j’adore, je pense que ça n’avait pas la même place qu’aujourd’hui.

Quels sont les trois films qui t’ont marqué et qui ont influencé ton cinéma, notamment pour Titou ?

ML: Alors, il y a L’épouvantail (1973) de Jerry Schatzberg avec Al Pacino qui livre une performance incroyable selon moi, Zabriskie Point (1970) d’Antonioni, un film sur l’Amérique et les hippies qui se passe dans le désert sur fond de pink floyd, et Punch-Drunk love (2001) de Paul Thomas Anderson.

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

Oscars 2023, les nominations

Il y a un mois, nous vous annoncions les 45 films shortlistés aux Oscars 2023. Ce matin, l’Académie des Oscars a annoncé les nominations des différentes catégories dont celles en lien avec les courts. Voici désormais les 15 films nommés à l’Oscar du meilleur court d’animation, de fiction et documentaire 2023. Bonne info : plusieurs films sont visibles en ligne !

Documentaire

The Elephant Whisperers de Kartiki Gonsalves (Inde, Etats-Unis)

Haulout de Evgenia Arbugaeva, Maxim Arbugae (Russie, Royaume-Uni)

How Do You Measure a Year? de Jay Rosenblatt (Etats-Unis)

The Martha Mitchell Effect de Anne Alvergue, Debra McClutchy (Etats-Unis)

Stranger at the Gate de Joshua Stefel (Etats-Unis)

Animation

The Boy, the Mole, the Fox and the Horse de Peter Baynton & Charlie Mackesy (Royaume-Uni)

The Flying Sailor de Wendy Tilby & Amanda Forbis (Canada)

Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France)

My Year of Dicks de Sara Gunnarsdóttir (Etats-Unis)

An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It de Lachlan Pendragon (Australie)

Fiction

An Irish Goodbye de Tom Berkeley et Ross White (Irlande)

Ivalu de Anders Walter (Danemark)

Le Pupille de Alice Rohrwacher (Italie, États-Unis)

Night Ride (Nattrikken) de Eirik Tveiten (Norvège)

The Red Suitcase de Cyrus Neshvad (Luxembourg)

R comme Radiadio

Fiche technique

Synopsis : Une famille juive tente de faire survivre ses traditions dans le monde moderne, malgré le passage des générations. De la pellicule au Zoom, nous vivons avec cette famille une fête de Pessah.

Genre : Documentaire

Durée : 20′

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Ondine Novarese

Montage : Gabrielle Stemmer, Charly Cancel, Amaïllia Bordet, Mona Rossi

Image : Hugo Malidin

Son : Lou Jullien assistée d’Ondine Novarese

Production : La Fémis

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Radiadio de Ondine Novarese

Le « Seder » est un repas de Pessah, une fête, se déroulant à Pâques, célébrant la libération du peuple juif et la sortie d’Egypte. Après un parcours son à la Fémis, Ondine Novarese nous invite avec ce film à participer au Seder de sa famille et notamment à celui de son grand-père en 1959. Le film est en ce moment diffusé dans la thématique Jeune création au FIPADOC 2023 qui met à l’honneur des films de réalisateur.ice.s produits dans le cadre de leurs formations. À l’ère du numérique et du Covid, le film nous montre comment tentent de survivre traditions religieuses et familiales. Un dialogue entre images d’archives et prises de vues réelles.

Le film s’ouvre sur des images d’un soir de Pessah de 1959 filmé par le grand-père de la réalisatrice. Une suite de plans présente une famille réunie autour d’un repas composé de plusieurs petits plats. Ces archives permettent à la réalisatrice de convoquer ses propres souvenirs du Seder et d’introduire une nouvelle temporalité : le Seder 2020, puis 2021. Rapidement, la réalisatrice nous inclut au coeur des retrouvailles familiales depuis son ordinateur, filmées avec une petite caméra et enregistrées depuis son écran. On rejoint une réunion Zoom dont les participants ne semblent pas connaître tous les usages. Le repas débute et le film décortique chaque étape de cette fête au fur et à mesure que cette famille tente de reproduire les gestes traditionnels. À l’image, les vignettes sur Zoom sont nombreuses, elles défilent et accroissent le sentiment de confusion de la scène. Plus personne ne sait vraiment comment célébrer le Seder.. Avec ce film, Ondine Novarese aborde la nostalgie d’un savoir qui évolue avec le temps mais où le désir de prolonger une mémoire familiale résiste. Les liens virtuels de cette séquence ne font que renforcer l’importance de ce moment pour cette famille. La réalisatrice filme un repas et on retrouve avec tendresse des comportements familiaux usuels.

S’entremêlent ainsi les images du passé : au coeur du récit, son grand-père. Il filme avec une caméra Super 8 et prend le son avec un enregistreur à bande magnétique. Ce sont ses souvenirs, des images de la vie courante. Les images se répètent, des visages reviennent. Les archives nous laissent entr’apercevoir une famille et un repas dont on ne connaît pas très bien les codes. La figure du grand-père s’impose ici comme lien intergénérationnel, gardien d’une mémoire transmise à travers le Seder.

Radiadio est un film de famille. Les images d’archives répondent aux images actuelles où l’importance de se réunir unit les personnages. Le film nous accueille au sein de ces souvenirs familiaux, et nous fait partager à tous Pessah. Radiadio témoigne de la question mémorielle qui se transmet de génération en génération. La réalisatrice souhaite faire perdurer des traditions qui vivent pour et par son grand-père afin de continuer à partager des instants uniques avec les siens. Ondine Novarese nous fait spectateur de ces moments de compassion, simples et chaleureux. Son travail de captation depuis 2020 est aussi un travail d’archives où la question de la transmission encre le film dans ses temporalités diverses.

Garance Alegria

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

Aralkum de Mila Zhluktenko et Daniel Asadi Faezi

Quand la mer quitte la terre, que font les hommes ?

La mer d’Aral, entre le Kazakhstan au nord et l’Ouzbékistan, est maintenant un désert ; le sable a remplacé l’eau. Les bateaux de pêche sont devenus des épaves et les filets se sont desséchés. Alors, que sont devenus les pêcheurs ?

Le court-métrage de Daniel Asadi Faezi et Mila Zhluktenko, Aralkum (co-produit par l’Allemagne et l’Ouzbékistan), sélectionné au FIPADOC, le Festival International du Documentaire qui a lieu en ce moment à Biarritz, convie dans cet univers désertifié et pourtant foisonnant en imaginaire. L’ouverture – un tableau en aquarelle d’un paysage asséché – nous invite à contempler le décor. Alors que nos yeux cherchent des vagues, du bleu, des animaux marins, ils se heurtent au beige du sable et aux poissons dans des bocaux. Avec la mer, la faune a, elle aussi, disparu. Seuls sont restés les hommes…

Le film déroute, joue entre les genres du documentaire : de l’éducation pédagogique sur les origines de la vie à l’élan lyrique en passant par le style naturaliste. Le sujet, la disparition de la mer, se dessine en creux. Semblant prendre pour thème central le vide, le documentaire trouble le spectateur qui ne saisit pas immédiatement de quoi il est exactement question. Comment faire quand le sujet du documentaire est absent ?

Aralkum pourrait être un film de deuil, il tient en son cœur l’absence de la mer et la peine de ceux qui l’ont connue. Les objets de la mer sont morts alors que les hommes vivent encore. Dans des plans immobiles, ils apparaissent avec toute leur sécheresse comme des cadavres figés dans le sable et dans le temps ; tandis que le vieux pêcheur marche sans but dans ses pensées. Comment parler à sa petite fille d’une mer qu’elle n’a pas connue, qui était pourtant là ? Le vieux pêcheur endeuillé contemple l’horizon d’un regard empli de souvenirs où les vagues apportaient richesses au village. Accompagné par le fantôme de la mer, il monte encore au-devant du bateau de pêche abandonné, rouillé par le temps, poli par le sable, oublié par les vivants. Le navire fantôme n’a pas perdu son capitaine qui nous rappelle le « tempestaire » d’Epstein. Le vieil homme de la mer a le pouvoir d’évoquer les vagues. Par son regard sur l’horizon, celles qui ont quitté la terre reviennent à reculons. Il est le conteur silencieux, celui qui par ses souvenirs du passé raconte la mémoire du lieu. Les réalisateurs donnent corps à une allégorie apocalyptique. En effet, si l’eau a quitté la mer, les oiseaux et les arbres ont fui, à quand la disparition de l’homme ?

This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.
T.S Eliot, The Hollow Men

Notre monde se termine, non pas dans un vacarme retentissant mais dans un murmure imperceptible. Fable sur le dérèglement climatique, Aralkum provoque une sourde inquiétude : notre environnement devient hostile. Appauvri de son système naturel, il est en déperdition. La désertification de la mer d’Aral est l’une des catastrophes environnementales les plus dévastatrices du XXème siècle. Les fleuves qui l’alimentaient sont détournés pour la culture intense du coton au début de l’ère soviétique. L’avidité capitaliste conduit tristement à l’appauvrissement de nos terres. Aralkum n’est pas dénonciateur, il interroge simplement : comment vivre dans un climat qui nous retire ce qui nous permet de vivre ? La dernière pêche de la mer d’Aral était bien maigre, un poisson à partager pour quatre familles. La faim résonne maintenant dans ce lieu où seul le vent chante en soulevant quelques grains de sable.

Agathe Arnaud

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A comme Aralkum

Fiche technique

Synopsis : Aralkum est aujourd’hui un paysage désertique parsemé de quelques bateaux couchés sur le flanc, épaves solitaires et rouillées. Le film réimagine la mer d’Aral avant qu’elle soit asséchée, permettant à un vieux pêcheur de prendre la mer une dernière fois.

Genre : Documentaire

Durée : 13’

Pays : Allemagne, Ouzbékistan

Année : 2022

Réalisation : Mila Zhluktenko, Daniel Asadi Faezi

Image : Sadriddin Shakhabiddinov

Son : Fazliddin Musurmonov

Production : O’zbekiston Kinematografiya Agentligi,  Lotas Film

Article associé : la critique du film

Le PIAFF 2023 au Studio des Ursulines (Paris 5e)

Le Studio des Ursulines accueille du 18 au 22 janvier 2023 le Paris International Animation Film Festival (PIAFF), festival spécialisé dans le cinéma d’animation. Au menu, plusieurs compétitions : courts-métrages, films d’études, musique, horizon, jeunesse et cinéma expérimental. Différents jurys éliront les films lauréats de ces compétitions, avec notamment un jury jeunes (entre 9 et 11 ans !) pour la compétition jeunesse.

Une rencontre avec le cinéaste québécois Steven Woloshen (Cameras take five) et le réalisateur français Bastien Dupriez (Sous la canopée) égaiera la soirée de samedi. Enfin, My love affair with marriage, de Signe Baumane, clôturera dimanche le festival, après la proclamation du palmarès.

Calendrier

MERCREDI 18 JANVIER

19h00 : Compétition court-métrage 1

21h00 : Compétition Étude 1

JEUDI 19 JANVIER

19h00 : Compétition court-métrage 2

21h00 : Compétition Étude 2

VENDREDI 20 JANVIER

19h00 : Compétition court-métrage 3

21h00 : Compétition musique

SAMEDI 21 JANVIER

17h00 : Compétition horizon

19h00 : Rencontre avec Steven Woloshen et Bastien Dupriez

21h00 : Compétition expérimentale

DIMANCHE 22 JANVIER

16h00 : Compétition jeunesse

18h00 : Palmarès en accès libre

19h00 : My Love Affair with Marriage (soirée de clôture)

Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux

C’est un film réconfortant. La première affirmation à propos du long-métrage de Céline Devaux, Tout le monde aime Jeanne, peut sembler surprenante si l’on jette un coup d’œil aux mots-clés du film : “deuil”, “dépression”, “suicide”, “faillite”. Pourtant, Tout le monde aime Jeanne est bel et bien réconfortant. Il réchauffe le cœur au soleil de Lisbonne, il nous amuse aussi ! D’un rire clair et sincère qui surprend ; il nous fait croire à l’amour, répare nos blessures, nous rassure sur nos faiblesses. Et depuis aujourd’hui, il est disponible en DVD, édité par Diaphana ! Nous vous en offrons d’ailleurs 3 exemplaires.

Le film qui avait été repéré à la Semaine de la Critique 2022 a fait une belle carrière en salles et attend maintenant d’être vu (ou revu !) dans les salons des cinéphiles français. En têtes d’affiche, Blanche Gardin et Laurent Lafitte se partagent la vedette.

Tout le monde aime Jeanne, sauf Jeanne. Pourtant, elle est belle, intelligente, utile, drôle, riche, elle est sacrée la “femme de l’année” ; mais d’un retournement de situation – un plongeon pathétique – toute sa belle vie coule au fond de l’eau avec “Nausicaa”, une machine révolutionnaire censée récolter les déchets en plastique si les câbles avaient tenu. La faillite personnelle guette la femme de l’année si elle n’agit pas au plus vite. Haut les chœurs, la petite voix dans la tête de Jeanne lui ordonne de se jeter sous le bus. Sous les conseils d’une avocate aux yeux de grenouille et aux remarques sans tact, elle part à Lisbonne vendre l’appartement de sa mère décédée l’année dernière – comment direz-vous ? d’un suicide, pardi !

Si l’on se permet autant de sarcasme, c’est parce que le film n’en manque pas ; un sarcasme qui n’est pas de mauvais goût, bien au contraire. Tout le monde aime Jeanne peut se résumer dans ce bel oxymore, il est d’une douceur sarcastique. Guidé par les pensées de son personnage principal, le film ne manque pas de commentaires ironiques. Pourtant, le film ne manque pas de tendresse pour ses personnages, pour ce qu’ils vivent, pour leurs émotions que Céline Devaux explore avec beaucoup de poésie.

La réalisatrice mêle à la prise de vues réelles de nombreux et courts passages en animation. Dès le générique, on reconnaît sa technique bien à elle où la magie existe grâce à quelques feutres, de la peinture acrylique, une feuille transparente et une tablette lumineuse. Elle dessine, efface, redessine, colorie, efface encore et les objets se transforment sous nos yeux envoûtés par les couleurs et les mouvements de ses dessins. Par ce tour de passe-passe, elle nous invite dans la tête de Jeanne qui est dominée par ses angoisses, ses petits défauts, son orgueil, sa morosité et surtout, son sarcasme. Sous ce semblant d’humour, elle se cache à elle-même sa détresse. Parfois, les souvenirs l’envahissent et au fond d’une boîte bien rangée, se cache le regard de sa mère. Alors les remords surviennent et l’humour peine à garder le contrôle dans la tête de Jeanne où tout se bouscule. C’est dans ce vacarme de pensées que survient la rencontre avec Jean. Personnage atypique, anti-capitaliste, dragueur lourd et touchant, il se fera l’apôtre de la réconciliation avec sa maladie.

Jeanne a les pensées aussi noires que ses tenues de tragédienne parisienne et derrière ses grandes lunettes de soleil, se cache un regard que le déni a rendu morose. On doit à Blanche Gardin beaucoup : déjà célèbre pour son humour sans détour, la comédienne habituée des planches comme de la caméra, ajoute ici à ses boutades sur scène (qui sont d’un entrain admirable) une profondeur touchante. L’humouriste tient le rôle d’une femme essouflée, guettée par la maladie, rongée par le désespoir et l’angoisse ; pourtant, elle garde toute son énergie qu’elle puise avec force dans son humour noir. Blanche Gardin joue du tragique au burlesque, et sans sourciller ; tandis que Laurent Lafitte joue le rôle d’un homme fragile et dont l’étrangeté déplaît avant d’attendrir. Il nous prouve une fois de plus son talent à construire derrière des personnages aux ressorts comiques de la sensibilité.

“Tu n’es pas du tout décevante par rapport à ce que j’avais imaginé” balance Jean à Jeanne après l’avoir croisée par hasard à l’aéroport. On pourrait dire la même chose du film de Céline Devaux qui signe son premier long-métrage. La réalisatrice était très attendue effectivement grâce aux succès de ses courts-métrages : Le Repas dominical (2015) avait remporté un César du meilleur court-métrage d’animation et Gros Chagrin (2017) le Lion du meilleur court-métrage à Venise.

Bonheur, ses courts sont visibles dans les bonus du présent DVD. On retrouve dans Le Repas Dominical la délicieuse ironie du long-métrage. Dans ce court, c’est Vincent Macaigne qui nous raconte avec morosité un repas de famille du dimanche. Après une soirée trop arrosée, les remarques parentales grincent dans la tête du jeune homme invité chez ses parents. Les non-dits de l’éminence paternelle sur l’homosexualité de leur fils retentit dans le crâne fatiguée du pauvre garçon qui est sans cesse déstabilisé par la douceur maternelle. Vincent Macaigne chuchote et hurle comme parfois il nous semble que nos pensées doivent crier. Dans Gros Chagrin, pas de cris ni de sarcasme : Swann Arlaud raconte une rupture et toute sa douleur s’écoule de son quotidien, de son corps, de sa voix et des dessins de Céline Devaux.

On reconnaît dans le film la patte de la monteuse, Gabrielle Stemmer (la réalisatrice du court-métrage Clean With Me After Dark), et l’auteur de la bande-originale, Flavien Berger. Le film est effectivement rempli de l’humour et de la modernité de la première dans le rythme du film et de la sensibilité du deuxième dans sa musique, qu’on écoute en boucle depuis la sortie du film. Pour une expérience complète du film, direction les bonus où un entretien avec la réalisatrice et Flavien Berger nous racontent leur voyage à Lisbonne pour construire une “cartographie de souvenirs sonores”, et une version du film commentée avec Gabrielle Stemmer, Céline Devaux et la productrice Sylvie Pialat des films du Worso qui nous en apprend plus sur leur collaboration.

Agathe Arnaud

Les Cinq diables de Léa Mysius

La rude épreuve des sens et du sens

À l’occasion d’un jeu-concours avec Le Pacte, Format Court vous fait gagner 3 exemplaires du DVD Les Cinq Diables, le deuxième long-métrage de Léa Mysius (après Ava), sorti début janvier. L’édition DVD comprend également ses courts-métrages Cadavre exquis réalisé en 2012 et L’Ile jaune, tourné en 2018. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs (Festival de Cannes 2022), le synopsis annonce déjà la couleur particulièrement brûlante du film… Vicky Soler (Sally Dramé) est une petite fille au don olfactif exceptionnel : elle peut reconnaître et reproduire n’importe quelle odeur, qu’elle place dans des bocaux. Lorsque sa tante (interprétée par Swala Emati) sort de prison et refait surface dans la vie de ses parents (joués par Moustapha Mbengue et Adèle Exarchopoulos), le quotidien monotone de la famille est bouleversé. En essayant de reproduire l’odeur de Julia, Vicky est transportée dans le passé, et découvre peu à peu les secrets de sa famille et du village…

Un élément nous frappe, et ce dès le début du film : nous n’assistons pas seulement au déroulement d’images en deux dimensions propres au cinéma, mais bien à un voyage sensoriel complet tourné en pellicule 35mm. La première scène, d’où est d’ailleurs tirée l’affiche du film (Joanne jouée par Adèle Exarchopoulos devant un feu immense, se retourne, horrifiée, vers la caméra), instaure un climat anxiogène. La réalisation de Léa Mysius a beau se focaliser sur le quotidien de Vicky, la menace, inconnue et inexpliquée, plane sur les protagonistes. Le rapport du spectateur en est perturbé : la tension n’explose pas en coups d’éclats mais monte petit à petit à travers la multitude de stimulations auxquelles il est soumis. Cela est introduit par le personnage de Vicky, débordante d’énergie et pourtant terriblement seule.

Sa présence intrigue : déjà, parce que l’odorat n’est pas un sens fréquemment exploité au cinéma. Le don de Vicky en revêt d’ailleurs un caractère presque animal, à la manière d’un fauve aux yeux bandés retrouvant sa proie grâce à son odorat. Ensuite, parce qu’elle comprend qu’un héritage lourd pèse sur sa famille, au fur et à mesure du harcèlement qu’elle subit des autres enfants de par sa couleur de peau, et le mépris cruel que les autres parents portent à la famille Solet. Les Cinq Diables, du nom du complexe sportif où sa mère enseigne l’aquagym, est d’abord un film sur le poids du passé et de la culpabilité, tous deux transmis de générations en générations. La manière qu’a Léa Mysius de zoomer sur les photographies fait pénétrer les images immuables d’une actualité troublante. En imbriquant silencieusement des éléments entre eux, elle crée l’angoisse latente propre au film, notamment à travers l’incapacité des parents à expliquer à Vicky l’immense malaise ressenti par Joanne à l’arrivée de Julia.

Il subsiste néanmoins cette étrangeté propre au cinéma de Léa Mysius, déjà engrenée dans ses deux précédents courts-métrages disponibles dans la version DVD du long-métrage. Les deux ont pour protagoniste la même actrice enfant, Ena Letourneux. Dans Cadavre Exquis, elle trouve un cadavre au milieu d’un bois et devient fascinée par sa texture. Le rapport au corps est déjà primordial : malgré la lente décomposition de la femme, l’enfant semble prendre du plaisir à la toucher, à la sentir, à prendre soin d’elle comme sa poupée choyée. Le jeu de la perspective sonore la rend bruyante à des dizaines de mètres quand une multitude de sons parasites viennent contaminer l’instant. Dans L’Ile jaune, la jeune fille cherche à se rendre de l’autre côté d’une île pour rejoindre un garçon, mais doit demander de l’aide à un garçon marginal pour se rendre sur la côte. L’impulsivité de l’actrice face au mutisme mystérieux de l’acteur construit une dynamique étrange, où la confrontation à l’altérité et la tristesse du garçon se teintent de mélancolie fantastique.

Dans Les Cinq Diables, c’est en clandestine totale que Vicky se retrouve passagère des voyages dans le passé, revenant sur les instants qui ont précédé sa naissance. Ces séquences, interdites par la logique linéaire, surgissent de manière imprévisible, faisant basculer le drame familial en un thriller fantastique assumé. Ici, le passé n’est pas derrière les personnages, mais empoisonne leur quotidien, portant les stigmates de la cicatrice sur le visage de l’amie de Joanne (jouée par Daphné Patakia). Mais le médium cinématographique permet de développer la proximité sensible de Vicky avec son environnement. Elle est toujours en contact avec son environnement : elle touche, écoute, observe et renifle tout ce qui l’entoure. Le spectateur est, par son biais, constamment assailli de stimulations sensibles. Comme un feu dont on ne peut ignorer l’odeur, Léa Mysius ne nous donne aucun répit de silence ou de contemplation. Même au milieu de la nature, l’action est mise en scène comme un huis-clos tendu par des performances excellentes d’Adèle Exarchopoulos et de Swala Emati. Léa Mysius, qui en plus d’être une excellente metteuse en scène de ce périple sensoriel, renouvelle le genre du film fantastique en France dont on attend avec impatience, les prochaines créations.

Mona Affholder

Berlinale 2023, les courts en compétition

L’info est tombée. Voici les 20 courts-métrages issus de 15 pays qui seront en compétition pour les Ours d’or et d’argent de la prochaine Berlinale (16-26 février 2023).

8 de Anaïs-Tohé Commaret – France
Back de Yazan Rabee – Pays-Bas
Les chenilles de Michelle Keserwany, Noel Keserwany – France
Eeva de Morten Tšinakov, Lucija Mrzljak – Estonie, Croatie
From Fish to Moon de Kevin Contento – USA
Happy Doom de Billy Roisz – Autriche
La herida luminosa (Daydreaming So Vividly About Our Spanish Holidays) de Christian Avilés – Espagne
It’s a Date de Nadia Parfan – Ukraine
Jill, Uncredited de Anthony Ing – Royaume-Uni
A Kind of Testament de Stephen Vuillemin – France
Marungka tjalatjunu (Dipped in Black) de Matthew Thorne, Derik Lynch – Australie
As miçangas (The Beads / Perlen) de Rafaela Camelo, Emanuel Lavor – Brésil
Mwanamke Makueni (A Woman in Makueni) de Daria Belova, Valeri Aluskina – Allemagne
Nuits blanches (Sleepless Nights) de Donatienne Berthereau – France
Ours (Bear) de Morgane Frund – Suisse
Qin mi (Daughter and Son) de Cheng Yu – Chine
Terra Mater – Mother Land de Kantarama Gahigiri – Rwanda, Suisse
The Veiled City de Natalie Cubides-Brady – Royaume-Uni
The Waiting de Volker Schlecht – Allemagne
Wo de peng you (All Tomorrow’s Parties) de Zhang Dalei – Chine

L’étrange histoire du coupeur de bois de Mikko Myllylahti

Il était une fois, dans la campagne finlandaise enneigée, un bûcheron du nom de Pepe. Il vivait paisiblement avec ses proches jusqu’au jour où la situation se dégrade brutalement pour lui. Pepe doit alors faire face aux différents drames de la vie. Voici L’étrange histoire du coupeur de bois, le premier long-métrage du réalisateur et poète Mikko Myllylahti entièrement tourné en 35mm. Le film a déjà obtenu huit nominations et un prix en festival. Sélectionné à la 61ème Semaine de la Critique à Cannes 2022, il sort en salles en France ce mercredi 4 janvier 2023, distribué par Urban Distribution. L’étrange histoire du coupeur de bois, sonnant comme un charmant conte de fées pour enfants, se trouve être en vérité une comédie dramatique morbide à l’allure fantasque. 

Dans un monde teinté de tristesse et de vicissitude, Pepe reste de marbre. Malgré les événements tragiques – chômage, maladie, tromperie et deuil – le visage du protagoniste reste fermé. Seules les paroles prononcées permettent de déceler une émotion, la rendant alors encore plus frappante. L’écriture à la fois douce et aiguisée de Mikko Myllylahti met en exergue le contraste avec l’attitude insensible de ses personnages. Même lorsque la violence atteint son paroxysme, lors d’un meurtre ou un suicide, elle reste silencieuse, presque muette. Une frontière s’établit entre les actes et les mots, créant une atmosphère dérangeante.

On ne peut regarder ce premier film sans remarquer le travail minutieux des plans, où tout semble ajusté au millimètre. Les espaces géométrisés et les lumières travaillées mettent en valeur ce vide qui se détache d’un quotidien absurde marqué par la fatalité. De cette manière, le spectateur plonge aisément dans ce grand calme, couleur blanc neige.

Ce calme inquiétant et tout particulier au réalisateur rappelle l’atmosphère hors du temps du village enneigé de son dernier court-métrage The Tiger (2018), également programmé à la Semaine de la Critique, où la violence d’un père était cette fois-ci clairement exprimée. Dans ce film, après avoir beaucoup bu, un homme se dispute avec sa femme et sort son fusil de chasse. La femme et le fils, déguisé en tigre de la tête au pied, quittent la maison pour le fuir. Malgré tout, le petit “tigre” veut rentrer à la maison pour voir ce qu’il s’y est passé. La folie, l’illusion, la désillusion et l’amour étaient déjà abordés avec finesse, tout comme dans le court-métrage Handbag (2013) dans lequel une jeune femme de ménage vient de se faire quitter par son petit ami. Un jour, dans l’hôtel où elle travaille, elle tombe sur un petit sac à main blanc contenant une lettre adultérine. Minée par la curiosité et le chagrin de sa relation récemment terminée, elle s’immisce alors comme vengeresse dans une histoire d’amour qui ne la regarde pas. Le jeu d’acteur est ici très éloquent alors que L’étrange histoire du coupeur de bois est un film silencieux, ce qui en fait toute sa singularité. 

Dans ce premier long-métrage du réalisateur, on se laisse prendre par le jeu inexpressif, la poésie étrange et l’humour sombre du scénario. Sans aucun doute, le côté remarquable de ce film est, justement, que le doute subsiste. Et si tout n‘était qu‘une illusion ? Qu’est-ce-qui est important et qu’est-ce-qui ne l’est pas ? A l’attitude du bûcheron Pepe, rien ne l’est, mais dans son discours, tout peut l’être. L’écriture percutante et imagée du scénario permet de mettre des mots sur l’insaisissable. Vacillant entre le fantastique et le réel, Mikko Myllylahti nous livre une philosophie personnelle et énigmatique fondée sur le doute. 

Cette notion de doute quant au possible bonheur des personnages est déjà présente depuis les débuts du réalisateur, notamment dans son premier court Love is Vain (2009) réalisé à la ELO Helsinki Film School. Le film aborde la journée précédant le mariage d’un homme d’une trentaine d’années. Si on comprend très vite que celui-ci se marie par défaut, sa future compagne étant enceinte et qu’il n’est pas très heureux en couple, passant ses journées à traîner au bar avec ses amis, il finit par sourire de la situation et à s’en acquitter. La fatalité ne pose jamais problème au protagoniste, ce qui est également le cas dans L’étrange histoire du coupeur de bois

« Il y a de la neige mais la température monte » lance un personnage usé de fatigue dans ce premier long. Peut-être est-ce la phrase qui se rapproche le plus de ce que montre le long-métrage : un danger grandissant, ou le cycle absurde de la vie. Flottant comme un mauvais rêve devant les yeux du spectateur, l’histoire absurde de Pepe nous livre non seulement un parcours initiatique – semblant de fausse chute aux enfers – mais aussi une vision personnelle et poétique du monde : un monde singulier de pantins émotifs.

Amel Argoud

Mission Cinéma, fonds de soutien au court-métrage

La Ville de Paris a toujours entretenu des liens étroits et passionnés avec le Septième Art. En créant la Mission Cinéma, elle a voulu affirmer son attachement au cinéma et sa volonté de préserver l’exception culturelle parisienne en ce domaine.La Ville de Paris a toujours entretenu des liens étroits et passionnés avec le Septième Art. En créant la Mission Cinéma, elle a voulu affirmer son attachement au cinéma et sa volonté de préserver l’exception culturelle parisienne en ce domaine.

Afin d’encourager la production de films courts dans la capitale, la Ville de Paris a créé un fonds de soutien financier ouvert à tous les courts métrages. 3 sessions sont prévues pour l’année 2023. La première vient de démarrer et s’arrête le 26 janvier prochain. Pour déposer votre projet de court, on vous invite à cliquer ici.

Créé en 2006, le fonds de soutien dédié à la production de court métrage s’adresse à toute entreprise de production cinématographique ou audiovisuelle établie en France, intervenant au titre de producteur ou coproducteur majoritaire.

« Les Vertueuses » de Stéphanie Halfon

Sélection du projet

Le soutien de la Ville de Paris prend exclusivement en considération:

– Tous les films courts

– Durée inférieure à 60 mn

– Tournage prévu principalement à Paris

Le soutien à la production s’adresse à toute entreprise de production cinématographique ou audiovisuelle établie en France, intervenant au titre de producteur ou coproducteur majoritaire. Les projets portés par une association ou un candidat à titre individuel (auteur ou réalisateur) ne sont pas éligibles.

Montant de l’aide

En partenariat avec le C.N.C, dotation à hauteur maximum de 20 000 € par projet

Modalités de sélection

Le comité de sélection recevra les auteurs et les producteurs des courts métrages retenus. Le comité de lecture est composé de membres professionnels du cinéma (liste à retrouver en ligne).

Première session 2023 :

Dépôt des dossiers : du 1er au 26 janvier 2023

Comité de lecture : mars 2023

Comité de sélection : mai 2023

Deuxième session 2023 :

Dépôt des dossiers : du 1er avril au 27 avril 2023

Comité de lecture : juin 2023

Comité de sélection : juillet 2023

Troisième session 2023 :

Dépôt des dossiers : du 1er au 28 septembre 2023

Comité de lecture : novembre 2023

Comité de sélection : décembre 2023

Pour déposer votre projet en ligne, c’est ici !

Retrouvez la liste des courts-métrages soutenus entre 2006 et 2022

Amartei Armar, Yemoh Ike et Sébastien Hussenot autour de Tsutsué

Il s’agit du premier court-métrage ghanéen à avoir concouru cette année en compétition officielle à Cannes. Tsutsué raconte l’histoire de deux enfants dont le frère aîné a disparu en mer. Seuls face à l’adversité et à un père autoritaire, dans une petite ville aux abords de l’eau polluée, ils se retrouvent en proie à des questionnements d’enfants/adultes.

Le film réalisé par Amartei Armar, un jeune cinéaste ghanéen-américain est en lice aux César du meilleur court 2023. Il est co-produit côté français par Sébastien Hussenot (La Luna Productions) et ghanéen par Yemoh Ike (AKA Entertainment). Le film fabriqué en temps de Covid, à distance entre les deux pays, vient d’être programmé en compétition lors de la deuxième édition du Red Sea International Film Festival, en Arabie saoudite. Sur place, Amartei Armar a remporté le Prix du Marché de la production pour son premier long-métrage Vagabonds lié à son premier court auto-produit au titre homonyme. Pour ce prix, la production a remporté 100.000 $, ce qui aidera non seulement le film à se monter mais aussi au cinéma ghanéen à se faire connaître à l’international. Lors de cet entretien réalisé à Djeddah, la ville où s’est tenue le festival au mois de décembre, il fut question d’amitié, de collectivité, d’authenticité, de marginalité et de subjectivité.

Sébastien Hussenot, Amartei Armar, Yemoh Ike © KB

Format Court : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Amartei Armar : Je suis allé à l’école à l’Université de la British Columbia à Vancouver (Canada) pour apprendre la production. Je me sentais perdu et j’ai souffert du syndrome de la page blanche. Je ne savais pas quelles histoires je voulais raconter, j’avais l’impression que je ne pouvais pas les raconter à Vancouver. Je ne me sentais pas passionné par les histoires que je racontais à ce moment. J’ai décidé de déménager au Ghana pour toujours. C’est le pays de mon père. J’y suis connecté comme un enfant mais pas comme un adulte. J’ai hérité de la culture mais il faut aussi la mériter dans un sens. Je suis ghanéen parce que mon père est ghanéen. Les gens ne me voient ghanéen pas grâce à ma personne mais grâce à ce dont j’ai hérité. J’y suis allé pendant deux ans, de l’âge de 6 à 8 ans. Je me suis rendu compte que je n’avais jamais vraiment compris la culture. J’y allais pour les vacances, je visitais ce pays comme un étranger. Je me sentais triste et je voulais être plus proche de ce pays et découvrir mon identité là-bas.

Notre rencontre remonter à la période où je travaillais pour la chaîne BCB au Canada. Autour d’une bière, une connaissance de Facebook a entendu mon accent. En apprenant que j’étais un jeune cinéaste ghanéen, il m’a mis en contact avec Yemoh. Je ne connaissais personne de l’industrie du cinéma sur place et je cherchais un producteur pour un clip pour ma sœur. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés. Dès notre première conversation, je l’ai vraiment apprécié. J’ai eu l’intuition qu’on allait bien s’entendre parce qu’il était exigeant dès notre première rencontre (rires) ! On a commencé à travailler et à traîner ensemble tout le temps ! Je suis comme ça. Une fois que j’aime bien quelqu’un, que je sens une connexion, je peux l’appeler tous les jours ! On a construit cette amitié et on a découvert des années plus tard que nous étions apparentés en fait !

Yemoh Ike : Nous ne sommes pas amis en fait, mais des cousins lointains ! Notre rencontre à tous les trois existe grâce à Internet. Après avoir tourné avec Amartei Vagabonds, notre premier court-métrage, nous étions fauchés. C’était auto-produit et nous avions un bon film. Il a fait quelques festivals et a reçu quelques récompenses, alors nous avons essayé de le vendre à des distributeurs. J’en ai contacté beaucoup. Deux ou trois jours plus tard, j’ai reçu une réponse de la Luna Productions : Sébastien était intéressé et avait plusieurs questions. Nous avons reçu un coup de téléphone. Nous avons discuté du budget de Vagabonds et il nous a proposé de faire un nouveau court-métrage. Ca a donné lieu à Tsutsué.

Sébastien Hussenot : Je reçois beaucoup de films mais quand j’ai vu Vagabonds, j’ai vu beaucoup de bonnes choses : l’écriture, la direction des acteurs, la mise en scène, la musique… Amartei et Yemoh se sont débrouillés pour réaliser un film très professionnel. J’ai senti le talent d’un réalisateur derrière ce film. Je n’étais pas sûr de pouvoir le vendre – et je ne l’ai pas fait. C’était difficile parce que le film avait déjà fait plusieurs festivals sinon, nous aurions peut-être pu construire une autre stratégie. Maintenant peut-être que nous pourrions le vendre ! Ce court-métrage, en tout cas, m’a donné envie de les connaître. Nous nous sommes rencontrés avant la crise sanitaire du Covid.

Yemoh, quand tu as décidé de produire ainsi des courts-métrages, qu’est-ce qui t’a incité à mettre de l’argent de ta poche ?

Y. I : Pour être sincère, je n’ai pas investi dans Vagabonds. Par le passé, j’ai co-produit un court-métrage mais je n’étais pas tellement content de la façon dont les histoires étaient racontées au Ghana. À chaque fois, j’essaye de m’exprimer sur ce que je pense de l’histoire, sur ce qu’il faudrait faire mais c’est compliqué. Je n’ai pas vraiment l’espace pour m’exprimer. J’ai arrêté la production pendant un an ou deux à cause de ça. Quand nous nous sommes rencontrés avec Amartei, il m’a raconté sa vision. Au début, je n’étais pas intéressé. Quelques semaines après le tournage du clip de sa soeur, il est arrivé avec un script. J’avais adoré le clip mais c’est très commun à faire. Tout le monde en fait au Ghana. J’ai lu l’histoire de Tsutsué et je l’ai adorée. J’ai dit à Amartei que je voulais voir ce qu’il pouvait faire. Je suis allé sur le tournage et j’ai été enthousiaste. Je suis content d’avoir pris cette décision, de m’être dédié à lui, à ce réalisateur. Tous les deux, on veut raconter des histoires authentiques, on veut changer les modes narratifs, on veut que notre industrie aille plus loin que les attentes. Si un réalisateur vient me voir et ne correspond pas aux standards d’Amartei, je ne vais pas le soutenir. J’ai rencontré des gens qui venaient avec de l’argent mais ce n’est pas ce qui m’intéresse, il faut que ça corresponde à mes attentes.

Certains réalisateurs ou scénaristes échouent à raconter des histoires de leur pays en voulant plaire aux Européens. Amartei, tu disais vouloir devenir ghanéen. Quelle est ton histoire, celle que tu as voulu raconter ?

A.A. : Retourner au Ghana et être humble, c’est mon histoire et c’est ce qui m’a appris à être authentique. J’ai beaucoup de cousins qui viennent des Etats-Unis, qui font sentir leur éducation occidentale et qui pensent que leur retour au pays est une bénédiction. Je me suis souvent battu à ce sujet avec eux : pour moi, retourner au Ghana était une volonté d’apprendre. C’est seulement quand je me sens suffisamment confiant que je peux commencer à m’exprimer, tout en restant ouvert aux suggestions et ne jamais penser que je sais mieux que les autres ! Ca se manifeste surtout dans l’écriture; je suis toujours attiré par les marginaux, ceux qui vivent en marge de la société. C’est pourquoi Tsutsué est une histoire d’orphelins dans une culture qui est très orientée sur la famille. Nous ne considérons pas seulement la mère, le père et les frères et sœurs comme membres d’une famille ; tous tes oncles, tantes, cousins sont aussi comme tes frères. Cette certitude que j’avais était l’une des intentions de mise en scène. Un père meurt, un autre revit. Quand le père d’Yemoh est mort, le premier jour du tournage, on a vécu un moment très émotionnel. Je ne comprends toujours pas comment il a été capable de produire le film, de rester concentré pendant les cinq jours de tournage. Son père était décédé et on lui en donnait un nouveau, son oncle, et ainsi de suite.

Dans le film, les enfants sont complètement éloignés de leur famille, il me semblait que c’était comme ça que je me sentais dans ce pays. Je me suis senti supprimé de cette culture, de ma famille. Je ne peux pas parler la langue, le dialecte. Quand je suis arrivé au Ghana, j’ai tout de suite senti que je n’étais pas l’un d’entre eux. Je l’étais quand j’étais un enfant et mon accent américain était mignon. Maintenant que je suis adulte, on me demande pourquoi je ne parle pas la langue. Je me suis senti comme un alien, mais j’ai senti une connexion avec les gamins du film qui sont dans la même position : ils sont ghanéens mais ils n’ont pas de famille. J’ai une famille mais je ne me sens pas faire partie de la culture ghanéenne. J’ai senti que c’était important pour moi d’apporter de l’empathie dans cette histoire. Il faut pouvoir sentir ce que les enfants sentent. Beaucoup de films sont écrits avec un point de vue objectif parce qu’on veut juste montrer ce qu’il se passe en Afrique et les réalisateurs sont comme retirés de leur écriture. Moi, je voulais être super subjectif dans ce film.

De ton côté, Sébastien, quels conseils as-tu pu donner à Amartei et à Yemoh vu que tu as plus d’expérience comme producteur et distributeur ?

S.H. : Quand nous nous sommes rencontrés, je voulais les connaître. Je ne voulais pas leur donner juste des conseils comme quelqu’un qui arrive de nulle part. Je ne suis pas dans la position de prodiguer des conseils. Quand nous travaillons ensemble, je partage mon expérience et tout le monde prend ce qu’il veut de ça. C’est une question de communication, de compréhension. Je n’ai pas de règles à suivre. On s’est rencontré plusieurs fois sur Zoom, on a pris le temps de discuter pour comprendre ce qu’ils voulaient. La première chose a concerné Vagabonds et le script de Tsutsué. Nous avons discuté de l’écriture, j’ai donné mon opinion, j’ai eu quelques idées, quelques questions, notamment autour du scénario : pourquoi ont-ils voulu raconter cette histoire ?

Puis, quand nous avons commencé la production, je voulais qu’on soit capable de trouver des financements en France. Maintenant, nous pouvons nous conseiller tous les trois ensemble, mais la discussion a surtout tourné autour du partage, de la façon d’améliorer notre travail.

Y. I : Sébastien nous a conseillés de différentes façons mais il n’a jamais été autoritaire. Il donne des conseils et n’est jamais vexé si on ne les respecte pas. Il veut comprendre d’où vient le travail, il ne juge pas et ne veut pas imposer ses standards. Quand il a appris que je ne suis pas allé dans une école de cinéma, il m’a avoué que lui non plus.

Avec lui, tout le monde a le droit à une opinion. Si ce que tu penses est mieux que ce qu’il a écrit, il le changera sans hésitation.
Quant au réalisateur, le film lui appartient. En tant que co-producteur, je dois trouver ma place dans la collaboration. C’est pourquoi Amartei et Sébastien sont les meilleures personnes avec qui j’ai travaillées.

Tsutsué est le tout premier film ghanéen en compétition au Festival de Cannes. Comment s’est passé le retour au pays après sa sélection ?

A. A : Quand je suis revenu de Cannes, c’est comme si rien n’avait changé. Personne n’a voulu collaborer avec nous, la presse n’a pas vraiment parlé de nous. Au Ghana, chacun fait ses propres choses dans son coin, ; il n’y a pas tellement d’argent à se prêter, donc notre industrie ne peut pas vraiment grandir. Sur le tournage, on me parlait toujours de « mon » film et ça me brisait le cœur parce que c’est « notre » film, c’est un film collectif. Au Ghana, n’importe qui qui met de l’argent pour payer les gens devient celui qui possède le film. C’est la mentalité. Alors, aller à Cannes n’a pas changé grand chose. On était très excité mais le retour était un peu déprimant parce que c’était notre aventure et les autres ne se sentaient pas concernés. Au festival, on s’est senti respecté comme des artistes ; alors qu’au Ghana, c’était l’opposé. On faisait notre truc de notre côté et personne de l’équipe ne nous a félicités. C’est quelque chose que nous aimerions changer et on sait que ça commencera avec nous.

Comment est perçu le cinéma dans ton pays ?

A. A : C’est difficile. Par exemple, aux Etats-Unis, le cinéma est un fait culturel. Les films sont la forme de divertissement la moins chère, comme en France. C’est moins cher que d’aller en boîte, à un concert, etc. Pour un « date », tu peux aller au cinéma au lieu du restaurant ! C’est un lieu où tu peux aller pour t’échapper, vivre un moment cathartique. Le cinéma est un art pour la masse. Il y a différentes salles de cinéma et il y en a beaucoup : elles montrent des films étrangers, français ou indépendants et pas seulement des blockbusters. Tu peux aller au cinéma plusieurs fois par semaine et il y a toujours une salle pas loin de chez toi…

Au Ghana, il y a seulement trois cinémas dans tout le pays et les prix des tickets sont chers, donc c’est une culture pour l’élite, la classe moyenne supérieure, et non pas pour le grand public. Une place de cinéma vaut une semaine de bonne nourriture. À cause de ça, il n’y a pas vraiment de culture du cinéma mais plutôt une culture Netflix.

S. H : C’est ce qui m’a fait vraiment réaliser qu’on avait de la chance en France. J’étais déjà au courant que ce qu’on en France est exceptionnel : être capable de partager des films, de les voir, de les produire, etc. C’était la première chose dont nous avons discutée d’ailleurs ! J’ai vu qu’Amartei et Yemoh avaient un désir très fort de faire des films, de raconter des histoires. Tsutsué et Vagabonds ne pourraient pas être des films français ; même avec le même scénario, ils ne pourraient pas exister en France. Ce n’est pas la même énergie, histoire, culture. D’une certaine façon, c’est un point de vue extérieur ; Amartei et Yenoh sont obligés d’avoir un objectif international, ils ne peuvent pas réaliser un film qui est seulement dédié au Ghana. Ils ne peuvent pas produire juste pour ce pays. Le film doit pouvoir être international, doit pouvoir être raconté à tout le monde, être prêt pour d’autres pays.

Tsutsué est diffusé dans différents pays. Comment est-ce de partager le film ici, dans un festival du monde arabe ?

A. A : La beauté des festivals, que ce soit Cannes ou le Red Sea, c’est que les gens sont bienveillants. Ils t’accueillent avec ta culture différente. Ça nous donne aussi la possibilité de nous éduquer sur d’autres cultures, particulièrement pour moi qui vient des Etats-Unis. Tous les poncifs que j’avais sur les pays arabes s’avèrent faux et je le découvre ici. Si on ne montre que les aspects négatifs d’une culture, alors on verra celle-ci seulement d’une mauvaise façon et ce sera le cas pour tous les endroits du monde. Ce que j’aime tant à propos du cinéma, c’est que les films sont comme des fenêtres dans la vie des gens. Voir différentes façons de vivre, de s’exprimer, c’est important parce que tu apprends beaucoup.

Tu as reçu un prix important pour ton projet de premier long-métrage, ici au marché (souk). Comment le vis-tu ?

A.A : Au Ghana, être réalisateur n’est pas une profession respectée. Ça ne semble pas sérieux. Quand j’étais enfant, c’était difficile de convaincre mon père qui était un ingénieur que je voulais faire du cinéma. Il a fini par comprendre que son fils est réalisateur en voyant les effets d’un film. Tu deviens un ambassadeur de ton film, tu voyages avec lui et tu le représentes. Le long-métrage nous donne de l’aide pour cette mission, celle de raconter des histoires.

S. H : Si nous arrêtions notre collaboration avec Tsutsué, ce serait trop frustrant. J’ai vu ce dont tu es capable et le court-métrage est juste une partie de ce que nous pouvons raconter ensemble. Faire un long maintenant nous permet de vivre un projet plus accompli, c’est l’étape supérieure.

Y. I : Le long va changer beaucoup de choses. Je le vois comme une percée, dans la façon dont le monde ghanéen perçoit les réalisateurs, pour avoir une plus large diffusion internationale ainsi qu’une plus large reconnaissance. Nous sommes en train d’essayer de prouver de quoi nous sommes capables. Maintenant, avec le long, nous sommes plus confiants en nous. Armar a plus d’expérience. Le long est le futur [the feature is the future !].

A. A : Plus nous traînons ensemble, plus nous nous racontons nos histoires d’enfance, plus ça nous donne des idées. Notre connexion fonctionne bien parce que nous sommes humbles et nous ne cherchons pas à collectionner des médailles mais à vivre cette aventure, parce qu’on s’apprécie beaucoup ! C’est pour ça qu’on fait des films, c’est pour vouloir partager des histoires auxquelles on tient parce qu’on tient les uns aux autres. Le film est une aventure qui nous permet de vivre notre amitié. J’aimerais que ça dure toujours…

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Agathe Arnaud

Vos films préférés en 2022 !

En janvier, Format Court fêtera ses 14 ans (bouchon !). Après avoir publié hier notre propre Top 5 des meilleurs courts-métrages de l’année, voici les résultats de votre propre Top, suite à notre appel publié récemment sur notre site internet. Voici les 5 films qui ont remporté le plus de suffrages.

1. La Ventrière de Anne-Sophie Bailly  – France

2. Trois Grains de gros sel de Ingrid Chikhaoui – France

3. Le Ciel s’est déchiré de Germain Le Carpentier – France

4. Ville Éternelle de Garance Kim – France

5. Donovan s’évade de Lucie Plumet – France

Le nouveau Top 5 de l’équipe de Format Court !

Depuis 13 ans déjà, les membres de Format Court se prêtent à l’exercice du Top 5 des meilleurs courts-métrages vus pendant l’année écoulée. Rituel oblige, voici les films qui ont le plus marqué notre équipe cette année, par ordre de préférence ! Découvrez également le Top 5 des internautes !

Mona Affholder

1. Cui cui cui de Cécile Mille – France
2. Marianne de Julien Gaspar-Oliveri – France
3. Dead flash de Bertrand Mandicot – France
4. La vie sexuelle de mamie, Urška Djukić et Émilie Pigeard – Slovénie, France
5. La Nuit des glands vivants] de Ilja Rautsi – Finlande, Danemark

Amel Argoud

1. Ice Merchants de João Gonzalez – Portugal, Royaume-Uni, France
2. Cui cui cui de Cécile Mille – France
3. A dog under a bridge de Rehoo Tang – Chine
4. Lupus de Zoé Brichau – Belgique
5. Beautiful stranger de Benjamin Belloir – France, Belgique

Agathe Arnaud

1. La mécanique des fluides, Gala Hernandez Lopez – France
2. Maria Schneider, 1983, Elisabeth Subrin – France
3. Sami la fugue, Vincent Tricon – France
4. My own landscapes de Antoine Chapon – France
5. Moune Ô de Maxime Jean-Baptiste – Belgique, France, Guyane

Katia Bayer

1. Scale de Joseph Pierce – France, Royaume-Uni, République tchèque, Belgique
2. Warsha de Dania Bdeir – France, Liban
3. The Red Suitcase de Cyrus Neshvad – Luxembourg
4. Slow light de Katarzyna Kijek et Przemyslaw Adamski, Pologne, Portugal
5. Staging Death de Jan Soldat – Autriche

Damien Carlet

1. Raie manta de Anton Bialas – France
2. Almost a kiss de Camille Degeye – France
3. Brave de Wilmarc Val – France
4. Dorlis de Enricka Mh – France
5. I Santi de Giacomo Abbruzzese – France, Italie

Laure Dion

1. Will you look at me de Shuli Huang – Chine
2. Ice Merchants de João Gonzalez – Portugal, Royaume-Uni, France
3. Growing de Agatha Wieczorek – Pologne
4. A dog under a bridge de Rehoo Tang – Chine
5. Balaclava de Youri Orekhoff – Belgique

Pierre Guidez

1. Silesilence de Jacques Perconte – France
2. Aralkum de Daniel Asadi Faezi, Mila Zhluktenko – Kazakhstan
3. Train again de Peter Tscherkassky – Autriche
4. Chant pour la ville enfouie de Nicolas Klotz, Elizabeth Perceval – France
5. La Mécanique des fluides de Gala Hernández López – France

Polina Khachaturova

1. Europe by Bidon de Thomas Trichet, Samuel Albaric – France
2. Trois Grains de Gros Sel de Ingrid Chikhaoui – France
3. Sur la tombe de mon père de Jawahine Zentar – France, Maroc
4. L’Attente de Alice Douard – France
5. Bolide de Juliette Gilot – France

Augustin Passard

1. Ka Me Kalu de Flonja Kodheli (Belgique)
2. Masques de Olivier Smolders (Belgique)
3. Hors jeu de Sophie Martin (France)
4. Duos de Marion Defer (France)
5. Branka de Ákos K. Kovács (Hongrie)

Gaspard Richard-Wright

1. Lino d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux (France)
2. Masques d’Olivier Smolders (Belgique)
3. Sèt Lam de Vincent Fontano (France)
4. Voyage à Santarém de Laure Desmazière (France)
5. Écorchée de Joachim Hérissé (France)

Eliott Witterkerth

1. Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet – France
2. Madrugada de Leonor Noivo – Portugal
3. Sami la fugue de Vincent Tricon – France
4. A86 Nord, sortie 10 de Nicolas Boone – France
5. L’Huile et le fer de Pierre Schlesser – Suisse

La Passagère de Héloïse Pelloquet

Dans Les Faux Monnayeurs (1925), André Gide écrivait qu’“on ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d’abord et longtemps, tout rivage”. Cette métaphore résume magnifiquement le thème du nouveau film de la réalisatrice, scénariste et chef monteuse Héloïse Pelloquet, La Passagère, en salles ce mercredi 28 décembre. Format Court, vous conseille d’embarquer sur le navire de la réalisatrice au premier long-métrage distribué par Bac Films.

Plongeant le spectateur dans le quotidien de pêcheurs sur une île de la Côte Atlantique, le film dépeint le destin de Chiara (interprétée par Cécile de France), qui travaille avec son mari (Grégoire Monsaingeon) sur un navire de pêche. Cela fait maintenant 20 ans qu’elle a appris le métier de son compagnon, qu’elle a tout donné pour lui. 20 ans, c’est aussi l’âge de Maxence (Félix Lefebvre), le nouvel apprenti que le couple va prendre en charge. Néanmoins, son arrivée va perturber les certitudes de Chiara d’une manière inattendue…

En effet, si le film commence par une approche naturaliste documentant le quotidien éprouvant des pêcheurs de l’île par des scènes impressionnantes du déchaînement de la pluie, du vent, et des vagues violentes s’écrasant sur le bateau (ici, le couple s’établit alors comme une manière d’affronter la dureté du métier), elles ne sont rien face à la tempête intérieure qui va se déchaîner entre Chiara et Maxence.

Le rythme de la narration nous embarque complètement ; ce n’est pas dans les grandes tirades que leur idylle est exprimée, mais dans tous ces regards furtifs, hésitant entre la fuite et la fascination. Même dans les moments les plus ordinaires de la vie, au milieu d’autres personnes, Maxence et Chiara n’ont d’yeux que pour l’autre. C’est dans la subtilité, la délicatesse d’instants silencieux que l’intimité se crée, faisant émerger malgré eux une relation interdite.

Héloïse Pelloquet joue sur les contrastes ; les Hommes tentant de dompter une nature incontrôlable ; la relation de pouvoir déséquilibrée entre une femme de 45 ans et un homme de 20 ; Cécile de France désabusée face à Félix Lefebvre qui, fougueux, veut l’impressionner. Visuellement, la symbiose entre les éléments naturels et les individus évoluant avec ces derniers se révèle par un environnement aux couleurs froides et bleutées, mettant d’autant plus en valeur les peaux chaudes des protagonistes qui ne demandent qu’à être rapprochées l’une de l’autre.

Pourtant, la potentielle tromperie est envisagée avec une grande mélancolie. Le mari de Chiara est aimant mais absent, mais c’est à travers lui, son mode de vie, ses relations, que toute la vie de Chiara s’est construite. Tout au long du film, on se questionne ; doit-on toujours faire le choix d’avancer, de tout plaquer ? La transgression du couple impliquant l’éclatement d’une vie, le choix du bonheur vaut-il alors le malheur des autres ? La Passagère n’est pas un film seulement sur la folie temporaire d’une quadragénaire ; il questionne avec justesse la complexité de la vie monotone, et du surgissement de l’Autre qui ébranle tout sur son passage. Sur les suspensions poétiques montrant le mouvement régulier des vagues de l’Atlantique, on plonge par analogie dans l’intériorité de Chiara. On saluera l’interprétation fine et tendre de Cécile de France en femme tentant de rester fidèle à elle-même quand les doutes la submergent.

Héloïse Pelloquet développe ainsi son univers auquel nous avions été introduits dans ses courts-métrages Comme une grande (2014), son film de fin d’études produit par la Fémis récompensé du Prix Format Court à Brive 2015, L’Âge des sirènes (2016), où elle filmait déjà des adolescents à l’âge ingrat, et Côté Cœur (2018). Dans les trois courts-métrages, figurent l’actrice phénoménale Imane Laurence, qu’on retrouve dans La Passagère. Entre le quotidien d’une jeune collégienne dans Comme une grande et le quotidien d’un jeune adolescent apprenant le métier de pêcheur avant le début du lycée dans L’Âge des sirènes, la réalisatrice filme la vie maritime ordinaire de jeunes gens sur lesquels elle pose des regards à la fois emplis de tendresse et d’une grande maturité.

Côté Cœur se démarque avec force, où l’on suit les émois amoureux de Maryline, qui se découvre aux côtés de Ludovic, un homme qu’elle a sauvé de la noyade. La bande-son ainsi que les variations chromatiques créent un rythme hypnotique, où l’environnement (passant de la mer, à la boîte de nuit, aux marais) semble interagir avec l’adolescente. Imane Laurence y est excellente et maîtrise avec justesse des émotions débordantes de Maryline. La réalisatrice utilise les codes du fantastique pour développer son personnage, qui semble faire écho à celui de Cécile de France dans La Passagère par ses réactions imprévisibles, à la fois passionnelles et maîtrisées.

Dans ses courts et long métrages, tous tournés entièrement sur l’île de Noirmoutier et soutenus par Mélissa Malinbaum, productrice chez Why Not Productions, des scènes s’opèrent en écho, les jeux de séduction se ressemblent. Pelloquet creuse ainsi le thème des sentiments indicibles dans des relations inaccessibles, vouées à se faner dans le temps. Ses personnages font face au déchaînement des éléments naturels, et à la naissance de sensations incontrôlées.

Saluons également son traitement du son et de la musique ; là où les mots sont vains, la musique et le chant, rares mais puissants, sont utilisés par les protagonistes pour communiquer subtilement entre eux. La Passagère révèle son intelligence d’écriture par le refus du jugement posé sur ces protagonistes, laissant à notre charge, nous spectateurs, la considération des comportements de chacun, si tenté qu’ils puissent les contrôler. Chiara navigue, voire vacille entre deux hommes opposés ; reprendre le contrôle de sa vie, oui, mais à quel prix ?

Mona Affholder