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Water Project/Projet Eau

Parmi les nombreux programmes proposés cette année au 35ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand, nous avons eu le plaisir de regarder le « Projet eau/Water Project ». Initié par Yael Perlov du département du film et de la télévision de l’université de Tel Aviv, ce projet regroupe 2 programmes de 9 courts métrages réalisés par des cinéastes israéliens et palestiniens. Avant cela, toujours dans la volonté de redéfinir les rapports entre Israéliens et Palestiniens, deux autres séries de courts métrages avaient été réalisés, notamment autour du thème du café.

Les courts métrages programmés cette année montrent tous à quel point le cinéma moyen-oriental explore sans cesse les limites de l’interdit pour mettre en avant les conditions de vie, les tensions et les difficultés quotidiennes liées au conflit qui l’habite. On se rend compte aussi combien dans les territoires occupés le manque d’eau et sa nécessité dictent la vie de ses habitants jusque dans les moindres détails. La collaboration entre les réalisateurs issus des deux côtés de la frontière s’est avérée des plus réussie tant les films présentés ressortent du lot de ce que l’on a l’habitude de voir grâce à leur manière ingénieuse et audacieuse de décliner la thématique de l’eau à travers des fictions et des documentaires exemplaires.

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Dans « Still Waters » de Maya Sarfaty et Nir Sa’ar, un jeune couple d’Israéliens profite d’un moment de liberté, loin de l’agitation de Tel Aviv, pour se ressourcer un temps au bord d’une rivière. L’endroit idyllique sert également de point d’eau à un groupe de Palestiniens venus travailler illégalement dans la région voisine. Dès l’arrivée des Palestiniens, la réalisatrice fait ressortir la tension en filmant les protagonistes de très près, captant leurs regards craintifs et leurs gestes trahissant une certaine angoisse. Tout se joue dans le non-dit où l’on sent la peur de l’autre l’emporter sur l’envie de le connaître. La jeune fille se retrouve le centre d’intérêt, de convoitise et de désir. Consciente que sa féminité attise les regards des jeunes hommes peu habitués à voir leurs femmes aussi peu vêtues, elle tente néanmoins de surmonter ses appréhensions en tissant un lien d’amitié en leur proposant à boire car la rivière est polluée. En plus d’être une nécessité vitale, l’eau devient ici symbole d’unification. La mise en scène plonge les personnages dans une nature sauvage, loin de tout points de repères, les obligeant à se regarder en face, à s’affronter sans armes pour finalement se parler.

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Parmi les trois documentaires de la sélection, « The Water Seller » (Le Vendeur d’eau) de Mohammad Fuad fait partie de ces films qui sensibilisent à la question du conflit israélo-palestinien par un regard posé sur un cas particulier, celui du travail d’Abu Firas, livreur d’eau dans la région de Bethléem, raconté de façon plutôt classique. Là, les habitants souffrent d’une pénurie d’eau et se retrouvent dans l’obligation de l’acheter à des prix élevés. Par le biais de questions-réponses, d’une caméra témoin et relais, en manque d’originalité formelle, le réalisateur a néanmoins le mérite de révéler la précarité dans laquelle les habitants de Cisjordanie sont plongés. Il met en avant l’injustice liée à la politique de déracinement. « L’eau, c’est la vie » affirme le transporteur d’eau. Comment peut-on penser à construire un avenir si la seule préoccupation des individus est de s’assurer que des besoins premiers sont comblés ? Comment vivre quand il faut avant tout survivre ?

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Yona Rozenkier, quant à lui, traite du conflit dans une fiction maîtrisée de bout en bout. « Raz and Radja » (Raz et Radja) met en scène Raz, un soldat israélien et Radja, un prisonnier palestinien, cultivateur de pastèques n’ayant pas respecté le couvre-feu car il voulait fermer le robinet d’eau qui arrosait ses pastèques. L’eau n’est ici qu’un prétexte. Bloqués dans un camion en panne et attendant du renfort, les deux hommes partagent l’envie de s’enfuir; le soldat israélien, parce qu’il a un rendez-vous chez “le médecin de la tête” et le prisonnier palestinien, parce qu’il veut rentrer chez lui. Tous les moyens seront bons pour tenter de quitter ce lieu. Ayant choisi l’humour proche du burlesque, Rozenkier frôle également du côté de l’absurde en présentant un Raz en anti-héros désabusé et complètement perdu. Le tête-à-tête, qui commence dans l’agressivité, se mue en une légèreté de ton presque amusante malgré le contexte et se termine dans un climax où la folie et la violence finissent par dominer dans cette relation d’amitié qui commençait à naître. Très à l’aise dans ces transitions, le réalisateur livre un film fort et profond dont le final sur l’air disco de Boney M « Rivers of Babylon » souligne l’incapacité du personnage à répondre à ce que la société et la patrie exigent de lui : être un bon soldat. Mais Raz n’a que faire de l’armée et ses contraintes, il n’a pas du tout envie de se battre. Avec son côté “Full Metal Jacket”, le film de Yona Rozenkier est un des plus réussis de cette sélection.

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D’une toute autre facture, « Make Yourself At Home » (Faites comme chez vous) de Heli Hardy s’attarde sur les différences qui touchent les communautés israéliennes et palestiniennes. Le film commence par un gros plan sur une jeune femme qui se lave les mains. Très vite, on visualise Rauda, une adolescente coquette. De l’autre côté de la cloison, sa mère lui somme de ne pas utiliser toute l’eau car ses frères doivent encore se laver. Elle sort, met son voile et se rend dans une maison d’un quartier riche pour effectuer son premier jour de nettoyage. La maison respire le luxe, le calme et la volupté. Le contraste entre les deux milieux sociaux est frappant. Noya, la fille des propriétaires est seule, elle doit avoir le même âge que Rauda. L’une est israélienne, l’autre palestinienne, l’une est issue d’une famille riche, l’autre d’une famille pauvre, l’une se baigne dans la magnifique piscine alors que l’autre en profite pour remplir quelques bouteilles pour les ramener chez elle car l’eau y est rare. Avec une narration aux accents dichotomiques qui arrive à dépasser le cliché grâce à une mise en scène tout en finesse, un jeu d’actrices sensible et une utilisation sensuelle de la caméra, Heli Hardy aborde les différences culturelles, religieuses et sociales qui divisent Israéliens et Palestiniens tout en soulignant leurs ressemblance dans la quête de féminité des deux jeunes filles.

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Enfin, le dernier film ayant retenu notre attention est « Eyes Drops » (Gouttes d’eau) de Mohammad Bakri. Pour les connaisseurs, le nom de Bakri n’est pas inconnu. Ce réalisateur, acteur, homme de théâtre est un peu l’un des symboles de l’union israélo-palestinienne tant il semble être à l’aise dans ces deux cultures qu’il a complètement intégrées. Ce n’est donc pas un hasard si on le retrouve à collaborer à ce « Water Project ». « Eyes Drops” est une fiction documentaire dans la mesure où Bakri raconte un moment de sa vie, n’hésite pas à souligner que son histoire est basée sur une histoire vraie et se met en scène aux côtés de ses fils Ziad et Saleh qui jouent leurs propres rôles. En voix off, Bakri raconte. Sa voix rauque et chaude fait remonter le spectateur dans un moment de la vie du réalisateur, celui où il montait une pièce à Tel Aviv avec la collaboration de son fils Saleh qui y interprétait l’un des rôles principaux. Pour l’occasion, Mohammad et Saleh logeaint chez Ziad. A côté de leur maison, vivait leur voisine Sarah, une survivante de l’Holocauste. Cette dernière souffrait d’une maladie des yeux et les confondait tous les trois en leur demandant à chacun tour à tour de lui mettre des gouttes dans les yeux.

Dans « Eyes Drops », Bakri mêle narration contée et narration réaliste en recourant à des images prises sur le vif dans les rues de Tel Aviv. On y sent l’appartenance à une double culture et la volonté de bannir les barrières de l’indifférence. Tout empreint de nostalgie, le film de Mohammad Bakri mêle mémoire individuelle, celle du réalisateur et mémoire collective, celle du personnage de Sarah qui parcourt son album photos en montrant des personnes disparues dans la folie nazie. L’artiste poursuit sa volonté d’unifier deux peuples victimes de l’extrémisme de ceux qui les gouverne.

L’intérêt principal de ce « Water Project » a naturellement été de voir comment les réalisateurs israéliens et palestiniens ont développé des histoires dans lesquelles on retrouve directement ou indirectement le conflit qui les oppose. Tous ont souhaité montrer à leur façon les différences et les ressemblances de leurs peuples, suggérant par là une volonté profonde de vivre en paix, et dénonçant une guerre qu’ils rejettent.

Marie Bergeret

Consulter les fiches techniques de « Still Waters », « The Water Seller », « Raz and Radja », « Make Yourself At Home », « Eyes Drops »

E comme Eyes Drops

Fiche technique

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Synopsis : Mohammad Bakri et ses deux fils, Saleh et Ziad, vivent dans un petit appartement à Tel-Aviv. La voisine, Sarah une survivante de l’holocauste, lui demande de l’aider à mettre du collyre dans ses yeux. Une relation unique et mystérieuse s’établit entre ses quatre personnages. Basé sur une histoire vraie.

Genre : Fiction

Durée : 24’

Pays : Israël, Palestine

Année : 2012

Réalisation : Mohammad Bakri

Scénario : Mohammad Bakri

Image : Avner Mayer

Son : Eran Barkani, Mark Arfa

Montage : Rachel Yagil

Interprétation : Ziad Bakri, Mohammad Bakri, Saleh Bakri, Miriam Zohar

Production : Shirley Hermann, Oran Buskila, Lior Haskal, Sigal Yona

Article associé : le reportage « Water Project »

M comme Make Yourself At Home

Fiche technique

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Synopsis : Rauda est une jeune fille de 19 ans du village de Dahamash. Sa routine quotidienne habituelle change le jour où sa mère a besoin d’être remplacé à son poste de femme de ménage dans une maison d’un quartier riche. A cette occasion, elle rencontre Noya et Adam, deux adolescents israéliens et commence à penser sa vie sous un nouvel angle.

Genre : Fiction

Durée : 15’

Pays : Israël, Palestine

Année : 2012

Réalisation : Heli Hardy

Scénario : Heli Hardy

Image : Ori Noam

Montage : Dafi Farbman

Interprètes : Ella Wittenberg, Sabine Khoury, Daniel Litman

Production : Neta Rabinovitch, Nomi Berezowsky, Shany Levy

Article associé : le reportage « Water Project »

R comme Raz and Radja

Fiche technique

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Synopsis : Raz, un soldat de réserve fatigué, est envoyé garder un camion de l’armée en panne et un prisonnier palestinien nommé Raja qui a violé le couvre-feu. Les deux tentent de faire redémarrer le camion tandis qu’un âne sympathique refuse de les laisser seuls.

Genre : Fiction

Durée : 17’

Pays : Israël, Palestine

Année : 2012

Réalisation : Yona Rozenkier

Scénario : Yona Rozenkier

Image : Oded Ashkenazi

Son : Tomer Shavit

Montage : Or-Lee Tal

Interprètes : Suhel Haddad, Amitai Ashkenazi, Yona Rozenkier

Production : Dolma Bar On, Zohar Elmakias

Article associé : le reportage « Water Project »

W comme The Water Seller

Fiche technique

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Synopsis : Le vendeur d’eau, Abu Firas travaille à Bethléem. La ville souffre d’une pénurie d’eau courante et les habitants sont obligés de l’acheter à des prix élevés. Ainsi les voyages quotidiens du camion citerne d’Abu Firas révèlent la crise de l’eau en Cisjordanie.

Genre : Documentaire

Durée : 18’

Pays : Israël, Palestine

Année : 2012

Réalisation : Mohammad Fuad

Scénario : Mohammad Fuad

Image : Ahmad Hamad, Ahmad Bargouthi, Mohammad Fuad

Son : Gilad Leshem, Gadi Raz

Montage : Yael Perlov

Production : Maya De Vries

Article associé : le reportage « Water Project »

S comme Still Waters

Fiche technique

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Synopsis : Près de Jérusalem, au bord d’une vieille source d’eau, un couple d’Israéliens, échappant à la course effrénée de la vie de Tel-Aviv, trouve un moment de calme. La source d’eau fraîche est également utilisée par un groupe de Palestiniens se rendant à leur travail illégal en Israël. A midi, ils sont tenus de se regarder les yeux dans les yeux.

Genre : Fiction

Durée : 14’

Pays : Israël, Palestine

Année : 2012

Réalisation : Maya Sarfaty, Nir Sa’ar

Scénario : Nir Sa’ar, Maya Sarfaty

Image : David Rudoy

Montage : Yotam Sas

Interprètes : Tomer Shoov, Ismaël Ismaël, Mohamed Abo-Lil, Shimrit Lustig

Production : Alona Rachamim

Article associé : le reportage « Water Project »

De Calcutta à Clermont-Ferrand : le nouveau cinéma bengali

Depuis 1995, la Satyajit Ray Film and Television Institute (SRFTI) de Calcutta œuvre à former une nouvelle génération de cinéastes indiens. En marge du cinéma commercial devenu synonyme d’industrie, de production et de consommation de masse, leurs films livrent un portrait plus réaliste de l’Inde, mettant en avant ses diversités, ses identités plurielles et complexes. Dans le cadre de sa rétrospective Inde cette année, le festival de Clermont-Ferrand a consacré une séance à cette école de cinéma fort renommée avec cinq films peu connus, plus captivants les uns que les autres.

Panchabhuta, les cinq éléments de Mohan Kumar Valasala

Seul documentaire du programme, « Panchabhuta » visite un site de recyclage de déchets où hommes, femmes, enfants et animaux sont quotidiennement immergés dans une mer d’immondices. La valeur sacro-sainte de la dignité humaine demande d’être remise en contexte dans ce monde qui exploite comme des hommes-machines les « hors caste », ces êtres les plus démunis de la société, dépourvus même du droit de mettre en cause leur condition. La ressemblance thématique avec le documentaire bangladeshi « Hombre maquina » d’Alfonso Moral et Roser Corella est par ailleurs évidente.

Panchabhuta-les cinq éléments

Interpellant déjà par ses prises de vue franches et dépersonnalisées, le film bouleverse davantage par la dimension poétique que le réalisateur y infuse, complètement aux antipodes du sujet sordide. Le titre et le synopsis à connotation fort cosmologique évoquent la permanence des éléments qui, dans la philosophie hindoue, donne une cohérence à l’univers spatial. Cette référence védique a manifestement un effet ironique dans le contexte du film. La symbiose des cinq éléments « permanents », filmés de manière très lente, fait appel à d’autres sens que le visuel et l’auditif : les odeurs, les moiteurs et la chaleur de cette Terre vaine ne sont que trop bien senties. Le contraste est renforcé par la manière posée et imperturbable avec laquelle Valasala présente des scènes pour le moins choquantes : des ouvriers mangent leur repas assis sur la montagne d’ordures, d’autres balayent des cadavres de chiens de rue, des gamines jouent dans le détritus, des cochons aux cris perçants se font attacher les pattes avant d’être balancés au loin… L’ironie mordante qui souligne ce triste spectacle est parfaitement exprimée dans un plan symbolique : celui d’un camion délabré du Ministère de Justice sociale et d’Autonomisation des groupes défavorisés. Avec un silence étourdissant, « Panchabhuta » rappelle à l’ordre l’apathie qui consiste à accepter la polarisation injuste et contre nature entre hommes sur la base de leur caste ou selon quelque critère artificiel qu’il soit.

Kusum de Shumona Banerjee

Sorte de love story inhabituelle, « Kusum » raconte l’improbable union entre un professeur d’anglais obsessionnel compulsif, à la limite du pathologique, et un jeune travesti prostitué rêvant d’une meilleure vie, dans une maison close de Calcutta. S’inspirant des codes bollywoodiens, notamment l’esthétique ultra kitsch et les va-et-vient inattendus entre drame et comédie, ce petit conte touchant témoigne d’une grande simplicité. En même temps, il aborde des sujets complexes liés à la marginalité de genre, de sexualité, d’adaptation sociale.

Les choix formels de la réalisatrice démontrent une grande maîtrise : les jeux de point de vue entre les plongées et contre-plongées marquées, le mélange de montages ralenti et accéléré, les coupes sonores et les prises de vue déformées rendent parfaitement les tourments de ces deux personnages emprisonnés dans un huis clos physique et psychologique. À travers une forme burlesque et sans jamais sombrer dans la lourdeur, Bannerjee parvient à faire passer le message de l’acceptation des différences. Aussi parvient-elle à crédibiliser complètement le lien d’amitié noué entre ces deux personnages de natures opposées, unis dans leur solitude.

Sita Haran aur Anya Kahaniyan (L’enlèvement de Sita et autres histoires) d’Anusha Nandakumar

Ce petit court très singulier relate, à l’instar des incantations narratives sacrées, l’enlèvement de Sita, déesse du panthéon hindou, par le démon à dix têtes. La réalisatrice Nandakumar place ce mythe dans un contexte bien plus humain, à savoir la mort de la jeune fille d’un conteur. Face à la perte imminente de son enfant, celui-ci invoque tous ses talents de fabuliste, comme dans l’espoir de prévenir l’inévitable.

Les frontières entre réalité et fiction ne cessent de se troubler au fur et à mesure que l’état de la malade s’aggrave, et suite à son décès, le chaos règne. L’histoire mythologique se réalise devant les yeux des spectateurs qui se joignent à leur tour au spectacle, observés par d’autres personnages. Les narrations s’emboîtent dans une frénésie de danse et de visages masqués, se déployant visuellement sur plusieurs plans – écrans, ombres, surimpressions… En l’espace de cinq minutes, la réalisatrice réussit à opérer un jeu sophistiqué de mise en spectacle, nous livrant assurément ainsi ces « autres histoires » évoquées dans le titre ! La sobriété que le thème morbide apporte à cet OVNI musical équilibre son côté débridé et en fait un véritable délice pour les sens.

Between the Rains (Entre les pluies) de Samimitra Das

Cette fiction chorale dépeint la vie de quatre personnages en quête du bonheur. Une jeune villageoise, encore en robe de mariée, est livrée à elle-même, délaissée (par inadvertance ou délibérément) par son époux sur le quai d’une gare bondée. Un taximan tâche de survivre dans la grande ville, témoin silencieux des aléas que cette dernière réserve à ses habitants. Un couple urbain, aisé et éduqué, est en crise. Mari et femme s’interrogent sur leur avenir ensemble en tant que futurs parents. L’un étant rongé par l’alcoolisme et l’autre par une ambition professionnelle déshumanisée, ils plongent dans l’incommunicabilité totale.

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Par le biais d’un concours de circonstances très habilement construit, le cinéaste croise ces différents récits pour énoncer son postulat sur la ville. Véritable protagoniste de ce court métrage, celle-ci est montrée comme impersonnelle et impitoyable, exigeant la cohabitation des opposés, où riches et pauvres, traditionnels et modernes, forts et faibles sont amenés à coexister dans une harmonie aussi délicate soit-elle. Dans une dualité que certains pourraient qualifier d’un brin candide, le couple malheureux, vivant selon le modèle individualiste, trouve son répondant dans le taximan attentionné et la jeune mariée, en effet, malchanceux sur le plan matériel mais plus adaptés à vivre le bonheur.

Beauty de Torsha Banerjee

Torsha Banerjee,  jeune élève de la SRFTI, s’est déjà fait remarquer pour son premier film, « Song of the Butterflies », documentaire poignant sur les enfants dans d’un institut pour aveugles. Toujours dans le cadre de ses études, « Beauty » représente sa première incursion dans le monde de la fiction. Un pari que la cinéaste prometteuse relève avec brio.

Avec sa grande sensibilité à la condition humaine dans ses multiples facettes, Banerjee décrit la rencontre entre un écolier adolescent impatient de se faire dépuceler et une fille de prostituée vouée à devoir s’initier tôt ou tard au métier familial. Ce qui se profile comme la promesse d’un vrai bonheur pour celle-ci est alors soumis à une fatalité, une réalité inéluctable.

Le parti pris de la réalisatrice est pourtant d’éviter tout pathos par rapport au destin de son héroïne éponyme. Beauty accepte avec beaucoup de retenue et de pragmatisme son sort, qu’elle n’avait quelque part jamais perdu de vue, malgré la tentation de penser y échapper grâce à sa relation privilégiée avec un garçon apparemment honnête. Le spectateur est alors émerveillé par la très grande maturité dont Banerjee dote son personnage pourtant si jeune et si fragile. Mais le secret du paradoxe réside peut-être dans le fait de faire appel à la faculté d’empathie, et de comprendre que pour les victimes d’oppression sociale, l’essentiel n’est pas – comme dans le jeu capricieux de dualités entre les deux adolescents – de choisir entre la vie ou la mort, mais simplement d’assurer la survie.

Adi Chesson

Consultez les techniques de « Panchabhuta », « Kusum », « Sita Haran aur Anya Kahaniyan », « Between the Rains » et « Beauty »

P comme Panchabhuta, les cinq éléments

Fiche technique

Panchabhuta-les cinq éléments

Synopsis : La permanence des éléments définit le caractère de base de n’importe quel espace. Un espace peut avoir une tendance à l’incohérence aux yeux de l’être humain moyen. La présence des éléments combinée à la routine des habitants est au centre de Panchabhuta.

Genre : Documentaire

Durée : 16′

Pays : Inde

Année : 2012

Réalisation : Mohan Kumar Valasala

Image : Sunny Lahiri

Montage : Charitra Gupt Raj

Son : Iman Chakraborthy

Production : Satyajit Ray Film and Television Institute

Article associé : la critique du film

K comme Kusum

Fiche technique

Synopsis : Un jeune prostitué travesti et un professeur de littérature anglaise obsessionnel et suicidaire se retrouvent enfermés dans une pièce, où ils tentent de cohabiter ; la nuit ne fait que commencer…

Genre : Fiction

Pays : Inde

Année : 2010

Durée : 10′

Réalisation : Shumona Banerjee

Scénario : Shumona Banerjee

Image : Raghavendra Matam

Son : Abhik Chatterjee

Montage : Manas Mittal

Décors : Shumona Banerjee

Production : Satyajit Ray Film & Television Institute

Article associé : la critique du film

B comme Between the Rains (Entre les pluies)

Fiche technique

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Synopsis : La ville, un endroit où les gens de toutes les régions du pays viennent chercher du travail et entreprendre leurs propres voyages. Les priorités et les choix que nous faisons en tant qu’individus dans diverses circonstances font de nous ce que nous sommes.

Genre : Fiction

Pays : Inde

Année : 2011

Durée : 27′

Réalisation : Samimitra Das

Scénario : Samimitra Das

Image : Siddharth Diwan

Musique : Tajdar Junaid

Montage : Rashmina Dutta

Interprétation : Vinod Rawat, Raj Zutshi, Sunita Raina, Chaiti Ghoshai

Montage Son : Binil C Amakkadu

Production : Satyajit Ray Film & Television Institute

Article associé : la critique du film

B comme Beauty

Fiche technique

Synopsis : Une tendre liaison s’installe entre Beauty, 16 ans, vierge et fille de prostituée, vivant dans une maison close, et un jeune garçon de 19 ans inexpérimenté. Mais la tendresse a-t-elle sa place dans ce genre d’endroit ?

Genre: Fiction

Pays : Inde

Année : 2011

Durée : 10’45 »

Réalisation : Torsha Banerjee

Scénario : Torsha Banerjee

Image : Rohit Singh Rana

Son : Aninidit Roy

Musique : Rohit Singh Rana

Montage : Anuj Kumar

Interprétation : Sahajiya Nath , Sourodeep Roy

Décors : Indranil Ghosh

Production : Satyajit Ray Film and Television Institute

Article associé : la critique du film

S comme Sita Haran aur Anya Kahaniyan (L’enlèvement de Sita et autres histoires)

Fiche technique

Synopsis : L’univers d’un conteur et de ses histoires. Lorsque sa fille meurt, les limites entre fiction et réalité se brouillent.

Genre : Fiction, expérimental

Pays : Inde

Année : 2011

Durée : 5’20 »

Réalisation et scénario : Anusha Nandakumar

Production : Satyajit Ray Film & Television Institute

Article associé : la critique du film

La femme qui flottait de Thibault Lang-Willar

Avec un premier film complètement décalé, Thibault Lang-Willar, réussit à provoquer une tension nerveuse drolatique autour d’une morte étrangement tombée du ciel et d’un duo de comédiens à qui le bizarre et l’absurde siéent à merveille. « La femme qui flottait » est une comédie douce-amère. Le film nous transporte dans un drame étrange qui va conduire à un bouleversement des relations de voisinage entre deux quarantenaires hirsutes et enclins à des troubles aussi banals que gênants… très gênants.

D’un côté, on a un personnage de père célibataire campé par Philippe Rebbot (dont le potentiel comique n’est plus à prouver), sorte de grand échalas qu’on dirait tout droit sorti d’un film de Tati et qui semble fort fébrile dans l’attente de la visite imminente de son jeune fils. De l’autre, un personnage quelque peu poseur et arrogant, Mickael Abiteboul, qui traîne ses savates dans son salon moderne, classe, high-tech.

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Entre les deux, une clôture, un bosquet qui sépare leurs pavillons avec piscines… Pas grand chose en somme, rien d’infranchissable. Surtout lorsque l’un d’entre eux trouve une femme morte qui flotte dans sa piscine et n’imagine de meilleure solution pour régler ce « problème » que de – discrètement – se débarrasser du corps chez son voisin ! Un comique de situation qui sonne le début d’une succession de réactions bizarres autant que drôles de la part des deux hommes.

Portant un regard ironico-cynique sur les travers de la société contemporaine, Lang-Willar se sert des nouveaux-outils-indispensables à notre quotidien (pour rester connecter, pour prouver qu’on fait bien partie d’une communauté) tels que le Smartphone ou l’alarme de piscine, et joue à démontrer toute la vacuité et le ridicule attachement que nous avons à ces choses.

Garder le contrôle, de soi, et a fortiori des autres, pourrait être une sorte de vœu pieu, de morale à ce film. Mais justement c’est lorsque les personnages sont dépassés par des évènements aussi exceptionnels qu’incongrus que Lang-Willar emporte les spectateurs. On rit de la situation bien sûr mais également des caractères de ces deux hommes bien allumés et fort dépourvus face à cette femme qui flotte. À travers ce film, et sous le couvert de la comédie, c’est une petite critique de la société individualiste et de plus en plus aseptisée qui nous est ainsi proposée.

Fanny Barrot

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Le film  est présenté au Festival de Clermont-Ferrand dans le cadre de la compétition nationale dans le programme F3

F comme La femme qui flottait

Fiche technique

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Synopsis : Lionel, un quadragénaire un peu naïf, découvre à l’aube le corps d’une femme qui flotte à la surface de sa piscine.

Genre : Fiction

Durée : 18′

Pays : France

Année : 2012

Réalisation :  Thibault Lang-Willar

Scénario : Thibault Lang-Willar

Image : Julien Poupard

Son : Antoine Guilloux

Musique : Clément Tery, Raphaël Haroche

Montage : Lise Fernandez

Interprétation : Michaël Abiteboul, Chloé Schmutz, Philippe Rebbot

Décors : Marc Barroyer

Production : Karé Productions

Article associé : la critique du film

La présence des chaînes de télévision à Clermont-Ferrand

Lors de la production d’un court-métrage, on compte bien sûr sur le travail assidu et acharné des producteurs qui partent à la recherche de différents partenaires, financeurs et diffuseurs. Et parmi les sources de financement et de diffusion les plus connues et les plus traditionnelles, on citera les régions malgré les quelques derniers retournements pour certaines, le CNC, les entités telles que la SACEM, l’ADAMI, la SACD, etc., la Procirep et les chaînes de télévision.

Tous ces gens-là sont donc bien évidemment présents à Clermont-Ferrand, carrefour professionnel du court métrage. Concernant les chaînes de télévision, il existe pour la plupart, deux manières d’agir : pré-acheter un projet, autrement dit, financer une partie du film à la seule lecture d’un scénario présenté par une société de production ou acheter un film, c’est-à-dire l’acquérir dans le but de le diffuser.

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Kali le petit vampire

Mercredi 6 février, Hélène Vayssières, responsable des programmes courts et formats courts sur Arte, invitait une partie de la profession à déjeuner, en honneur aux nombreux films achetés et pré-achetés par la chaîne qui sont actuellement en compétition à Clermont-Ferrand : « Le banquet de la concubine » de Heifang Wei, « Braise » de Hugo Frassetto, « Ce chemin devant moi » de Mohamed Bourokba (dit Hamé), « Edmond était un âne » de Franck Dion, « Fleuve rouge, Song Hong » de Stéphanie Lansaque et François Leroy, « Je suis une ville endormie » de Sébastien Betbeder, « Kali le petit vampire » de Regina Pessoa, « Konigsberg » de Philippe Mayrhofer, « Le livre des morts » d’Alain Escalle, « Mademoiselle Kiki et les Montparnos » de Amélie Harrault, « Nieuwpoort en juin » de Geoffrey Couanon, « Nous ne serons plus jamais seuls » de Yann Gonzalez, « Peau de chien » de Nicolas Jacquet pour la compétition nationale ; « Miniyamba » de Luc Perez, « Bydlo » de Patrick Bouchard, « Father » de Ivan Bogdanov, Moritz Mayerhofer, Asparuh Petrov, Veljko Popovic, Rositsa Raleva et Dimitry Yagodin pour la compétition internationale.

Angèle Paulino, responsable des programmes courts sur TV5 Monde a quant à elle, une autre mission puisque la chaîne ne fait que acheter, si bien qu’elle visionne activement le plus grand nombre de courts-métrages francophones de sorte à décrocher des perles rares et les diffuser.

Parmi les chaînes importantes pour le court-métrage, on nommera également France Télévisions dont Christophe Taudière est le responsable du Pôle court-métrage. Et ce jeudi 7 février, après Philippe Lioret, Zabou Breitman et Denis Lavant, c’est Julie Gayet qui, entourée par le jury, assurait le rôle de présidente et remettait le Prix France Télévisions du Court-métrage. Pour la 4e édition, ce prix a pour vocation de soutenir la jeune création.

tennis-elbowTennis Elbow

Cette année est une exception puisque le jury a récompensé, ex aequo, deux films parmi 14 courts-métrages (7 issus d’achats ou de pré-achats France 2 de l’année dernière ainsi que 7 courts issus de France 3) : « Tennis Elbow » de Vital Philippot, comédie dans laquelle Philippe Rebbot excelle de drôlerie comme à son habitude aux côtés de Catherine Vinatier et avec une musique signée Pablo Pico et « Les Chancelants » de Nadine Lermite, film grave sur l’autisme adulte dans lequel Ana Girardot et Jonathan Genet sont incroyablement touchants. Les deux lauréats bénéficient du pré-achat de leur prochain film court qu’ils pourront signer avec la société de production de leur choix. Outre le pré-achat, France Télévision leur accorde une bourse de 2500€ chacun.

les-chancelantsLes Chancelants

Autre chaîne à compter parmi celles qui soutiennent le court-métrage et présente à Clermont qui achète et pré-achète des films, on citera Canal +. Les responsables du département court-métrage Pascale Faure et Brigitte Pardo, ont présenté le soir du 7 février en avant-première au festival, les nouveaux films de la Collection Canal sur le thème « Le jeu des 7 familles ». Sept familles personnalités se sont prêtées au jeu « d’écrire pour » : les sœurs Hesme, les frères Astier et Elmaleh, les pères et filles Girardot, Bohringer et De Caunes, ainsi que le duo musical Sing Tank (les De La Baume).

En bref, les chaînes de télévision archi présentes à Clermont-Ferrand sont définitivement un maillon important à prendre en compte dans la production et la diffusion des courts-métrages. On souhaite que prochainement, des chaînes de la TNT prendront plus de place également au sein du court-métrage.

Camille Monin

S comme Sevilla

Fiche technique

Synopsis : Trois jeunes gens partent en voiture, direction Séville, pour un voyage qui changera leurs vies à tout jamais.

Pays : Pays-Bas

Année : 2012

Genre : Fiction

Durée : 11’14 »

Réalisateur : Bram Schouw

Scénariste : Marcel Roijaards

Image : Jasper Wolf

Son : Evelien van der Molen

Musique : Rutger Reinders

Montage : Annelien van Wijnbergen

Interprétation : Stefanie van Leersum , Kay Greidanus , Ludwig Bindervoet

Décors : Rikke Jelier

Montage Son : Evelien van der Molen

Prodcution : BALDR Film

Article associé : la critique du film

Sevilla de Bram Schouw

« Sevilla » de Bram Schouw est un film sur le voyage, sur le départ. En filmant trois jeunes gens, le réalisateur du film « Impasse » montre des êtres forts de l’amour qui les unit et d’une liberté solaire qui va s’éteindre brusquement.

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Il est souvent dit que le voyage importe plus que l’arrivée. Ici, le road trip sera à la fois la cause et la conséquence d’ultimes bouleversements dans les liens qui unissent Boris, sa petite amie et son frère.

C’est le temps de l’amour, le temps des copains, le temps de l’aventure…

Si le film s’ouvre un peu à la façon d’une bluette où tout semble très léger, c’est surtout de l’énergie qui se dégage des premières séquences dont il faut se nourrir. Les personnages sont sur le départ, la voiture est chargée, Boris prend le volant et invite les deux autres au voyage à destination de Séville.

Tout de suite, Schouw pose sa caméra dans la voiture break qui accueille les personnages du film. Les présentations aux spectateurs sont formelles, grâce aux gros plans sur les visages et les corps enceints dans l’automobile. On comprend sans mal qui sont ces trois personnes : les garçons sont frères et la fille, la copine de l’aîné. Pas besoin d’en savoir beaucoup plus pour comprendre que le personnage fort du trio est Boris.

Boris et les autres

Tantôt dans la provocation, tantôt dans la tendresse envers les autres, Boris agit comme le moteur du groupe. C’est lui qui impulse les mouvements. Il est fort de sa liberté qu’il saisit à chaque instant, chaque bouffée d’air qu’il capte le rend plus vivant. À l’image, ce personnage est toujours devant les autres. Schouw le filme avec un léger retrait, en le décadrant un peu comme si cet être était insaisissable. Les deux autres personnages le suivent sans condition. Ils s’accrochent à lui comme à un mentor, il est celui qui sait, celui qui avance, vite, aveuglément.

Les liens entre Boris, sa petite amie et son frère sont forts, intimes. Le réalisateur pose un regard très doux sur ce trio qui fonctionne en tant que tel. Les personnages constituent une réelle unité. Leur complicité semble sans concession : Ils existent ensemble, envers et contre tout. Le réalisateur joue à l’image avec cette force du trio ; lorsque l’un d’entre eux sort du cadre, il le fait entrer de nouveau dans le champ.

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De l’aube au crépuscule

Le film est monté avec une alternance entre flashbacks et moment présent. Le réalisateur oppose le voyage initial du trio et un second voyage sans Boris. Le nœud du film, la clé, est dévoilé à peu près au milieu du film: Schouw place une séquence qui agit comme le pivot chronologique entre le premier et le second voyage. Ce moment est celui qui précède le climax. Le réalisateur nous invite dans une longue séquence de fête dans un village français, une pause joyeuse dans le voyage. Dans cette parenthèse enchantée, les personnages flottent hors de toute contrainte. Ensuite, c’est l’accident.

Dans un long mouvement panoramique, on suit les trois personnages dans une funeste marche. Boris provoque une dernière fois les deux autres en les interpelant comme par défi : « Quand était-ce la dernière fois que vous avez fait quelque chose d’inoubliable ? »

« Sevilla » traite du voyage mais également du travail de deuil où ceux qui restent doivent composer avec l’absence. Ici, le frère et la petite amie reproduisent les derniers moments partagés avec Boris comme une façon de tourner la page et de terminer, enfin, le voyage jusqu’à Séville. « Sevilla » est un film qui travaille les codes du road trip et de la tragédie à travers le regard d’un réalisateur qui réussit à capter l’envie de vie de jeunes gens dans un mouvement cinématographique maîtrisé.

Fanny Barrot

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J comme La Jetée

Fiche technique

Synopsis : L’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. La scène qui le troubla par sa violence, et dont il ne devait comprendre que beaucoup plus tard la signification, eut lieu sur la grande jetée d’Orly, quelques années avant le début de la Troisième Guerre mondiale.

Pays : France

Année : 1962

Genre : Fiction

Durée : 28′

Réalisateur : Chris Marker

Scénariste : Chris Marker

Directeur photographie : Chris Marker

Son : Antoine Bonfanti

Musique : Trevor Duncan

Montage : Jean Ravel

Interprétation : Hélène Chatelain, Jacques Branchu, Jacques Ledoux, Davos Haniche, Pierre Joffroy, André Heinrich

Voix Off : Jean Négroni

Production : Argos Productions

Article associé : la critique du film

La Jetée de Chris Marker

Matière et mémoire

Modestement qualifié de photo-roman par son auteur, « La Jetée » est une œuvre unique, profonde et mystérieuse qui a marqué les esprits et inspiré plusieurs générations de réalisateurs. Projeté en ouverture du 35e Festival de Clermont-Ferrand plus de 50 ans après sa réalisation, ce film continue toujours autant de fasciner le public et la critique au point de prêter son nom au bâtiment qui abrite l’association « Sauve qui peut le court métrage ». Cet hommage rendu par le Festival de Clermont-Ferrand rappelle l’importance donnée au patrimoine cinématographique et par la même occasion à la mémoire du Cinéma.

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« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance »

« La Jetée » c’est une impression persistante, sonore et visuelle qui bouleverse la perception du spectateur. Peu de films ont mis en scène avec autant d’économie et de clairvoyance un mécanisme aussi complexe que celui de la mémoire humaine. (Re)voir « La Jetée », c’est découvrir un monde étrange composé de photographies en noir & blanc dans lequel un homme traverse le temps et tente d’échapper à la fatalité.

En substituant progressivement une image par une autre, le réalisateur donne l’impression que les photographies s’animent par elles-mêmes. Il parvient ainsi à contourner une des sacro-saintes règles du cinéma qui veut qu’un film se compose de 24 images par seconde. À chacune de ses photos, le réalisateur de « Sans Soleil » capture des instantanés de mémoire en suspendant le temps et crée ainsi la matière de son film. La composition des cadres est d’une grande précision, ceux-ci s’enchaînent avec tant de justesse que l’on jurerait les voir bouger. La musique de Trevor Duncan prend part également à cette illusion et donne le rythme au passage des images. Tel le fil d’Ariane, la voix mystérieuse de Jean Négroni lisant la prose poétique de Chris Marker nous guide dans cette recherche du temps perdu et démultiplie la portée des photographies.

« D’autres images se mêlent dans un musée qui pourrait être celui de sa mémoire »

Tout au long de sa vie, Chris Marker n’a cessé de questionner sa mémoire personnelle et la mémoire collective. Il a créé en 1997 un CD-ROM intitulé « Immemory » qu’il présente comme la « visite guidée d’une mémoire ». Il poursuit ainsi : « (…) Mon vœu le plus cher est qu’il y ait ici assez de codes familiers (la photo de voyage, l’album de famille, l’animal-fétiche) pour qu’insensiblement le lecteur-visiteur substitue ses images aux miennes, ses souvenirs aux miens, et que mon Immémoire ait servi de tremplin à la sienne pour son propre pèlerinage dans le Temps Retrouvé. »

À chacun sa Madeleine. Pour Chris Marker, ce fut l’héroïne de « Vertigo » de Hitchcock. Dans « La Jetée », la citation est explicite : l’homme et la femme se promènent dans un jardin et regardent ensemble la coupe d’un sequoia millénaire. Le cinéphile se souvient alors du personnage de Madeleine qui dans « Vertigo » montre à Scottie une semblable coupe de sequoia et pointe du doigt deux endroits : l’année de sa naissance et celle de sa mort.

Le héros de « La Jetée » est désigné par ses pairs pour participer aux expérimentations en raison de la persistance dans son esprit d’ « une image d’enfance ». Cette singularité va lui faciliter ses aller-retours dans le temps, mais aussi lui permettre, l’espace d’un instant d’échapper aux tortionnaires du présent, et de retrouver le visage de cette femme dont l’image a imprimé sa mémoire. Lorsqu’elle et lui se retrouvent, « elle l’accueille sans étonnement. Ils sont sans souvenirs, sans projet. Leur temps se construit simplement, autour d’eux, avec pour seuls repères le goût du moment qu’ils vivent, et les signes sur les murs. »

Chris Marker réussit le tour de force de suspendre le cours du temps jusque dans ses images. Il crée un film-monde très personnel tout en étant ouvert à l’identification, une véritable incarnation de la Mémoire, une invitation au voyage.

Julien Beaunay

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Solipsist d’Andrew Thomas Huang

Petit phénomène en soi dans le milieu artistique branché, Andrew Thomas Huang a su imposer avec « Solipsist » un univers coloré et texturé, marqué par une direction artistique très aboutie et un syncrétisme parfait dans l’utilisation de marionnettes et d’effets spéciaux. Ce petit bijou lui a valu de nombreuses louanges et récompenses, ainsi que l’attention d’un des grands noms de la musique islandaise, Björk, qui lui a confié, les yeux fermés, la réalisation de son nouveau clip : Mutual Core. Saluons le travail de défrichage de la programmation Labo du Festival de Clermont-Ferrand pour nous proposer une telle œuvre dans sa sélection 2013.

« Solipsist » se découpe en trois grands tableaux qui mettent en scène la fusion d’êtres distincts dans quelque chose de plus grand et de plus beau, une sorte d’entité mystique et supérieure qui dépasse le Moi original.

Dans le premier tableau, deux femmes assises dos à dos entament une chorégraphie dansée sous forme de transe synchronisée. Elles sont habillées de diverses fourrures, planctons et autres plumes qui, sous l’effet du va-et-vient musical, vont se répandre et constituer un costume de matière. Au son de la musique zen, la transformation s’opère inexorablement et une entité fusionnelle émerge des deux corps, monticule de textures et de couleurs évoquant quelque nature séculaire.

Dans le deuxième tableau, des êtres aquatiques de même type communiquent entre eux à l’aide d’impulsions sonores et lumineuses, quand soudain ils se retrouvent accostés par une autre espèce qui se met elle aussi à communiquer avec eux. Au détour d’un ballet enivrant de sons et de couleurs, une union s’opère entre ces différents êtres et aboutit à la création de nouvelles formes et espèces qui créent un tout d’une homogénéité parfaite.

Enfin, dans le dernier tableau, deux hommes sophistiqués et très semblables se croisent sur une plage déserte, mais s’évitent sciemment en se tournant le dos. Leurs visages et nombrils respectifs se rétractent alors sur eux-mêmes et s’éparpillent en grains de sable colorés pour aller à la rencontre de l’autre. Les deux flots de sable se rejoignent dans une gerbe d’explosion qui contamine les autres tableaux.

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« Solipsist » semble fonctionner en prenant le contrepied de la théorie philosophique du « solipsisme », à savoir qu’ « il n’y aurait pour le sujet pensant d’autre réalité que lui-même », en somme que l’ego est la seule chose dont nous ne puissions douter et que tout élément extérieur appartient à la représentation que l’on s’en fait. Tout au long de ces trois tableaux, Andrew Thomas Huang s’essaie à démontrer les écueils d’une telle forme de pensée en utilisant plusieurs figures et symboles évocateurs, comme par exemple ces nombrils et visages se désagrégeant en poussière. Le jeune réalisateur américain croit en la fusion des êtres, à un éveil à la conscience de l’autre et à la nature environnante. Il invite le spectateur à se transcender soi-même et à se laisser envahir par l’autre, il nous convie à une explosion de l’ego et à la création d’une nouvelle forme, supérieure et positive. Ce n’est pas anodin si Björk a fait appel à ses services. Elle a su reconnaître, au-delà de sa virtuosité graphique, la volonté du réalisateur de partager certaines valeurs d’union et d’ouverture qu’elle dispense également dans sa musique.

Julien Savès

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