Tous les articles par Katia Bayer

29ème FIFF de Namur, le palmarès complet

Le Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) vient de s’achever. Voici les films primés par le jury officiel (Emma De Caunes, Karim Moussaoui, Bernard Payen, Olivia Ruiz, Astrid Whettnall) ainsi que ceux attribués par les partenaires du festival.

Compétition Internationale

Bayard d’Or du Meilleur Court Métrage : « Twaaga » de Cédric Ido (France/Burkina Faso)

Prix du Jury : « Les Pécheresses » de Gerlando Infuso (Belgique)

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Mention : « L’Homme au chien » de Kamal Lazraq (Maroc/France)

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Compétition Nationale Fédération Wallonie-Bruxelles

Prix du Meilleur Court Métrage : « La Part de l’Ombre » d’Olivier Smolders (Belgique)

Prix du Jury : « Solo Rex » de François Bierry (Belgique/France)

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Prix d’interprétation : Jean Le Peltier dans « Lucha Libre » d’Ann Sirot et Raphaël Balboni (Belgique)

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Prix de la Meilleure photographie : Simon Gillard pour « Yaar » de Simon Gillard (Belgique)

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Compétition Clips

Prix du Meilleur clip: I lost my hopes (in paradise) » par Mountain Bike (Belgique) réalisé par Milo Gony (France)

Autre prix

Prix du Public Court Métrage : « Vertiges » de Arnaud Dufeys (Belgique/France)

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Prix BeTV – Court Métrage belge : « Monstre » de Delphine Girard (Belgique)

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Prix Format Court – Court Métrage International : « Art » d’Adrian Sitaru (Roumanie)

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Prix Arte – Court Métrage : « Elena » de Marie Le Floc’h et Gabriel Pinto Monteiro (Belgique)

Saint Laurent à l’affiche !

Format Court replonge dans ses archives. Après avoir exhumé les articles liés à Claire Burger, Marie Amachoukeli et Samuel Theis, à l’occasion de la sortie de « Party Girl », Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, nous vous proposons un petit tour du côté de la haute couture, des clopes au bec et des amours contrariés.

Saint-Laurent

« Saint Laurent », le film de Bertrand Bonello, a comme « Party Girl » fait ses débuts à Cannes, et est toujours à l’affiche. L’an passé, Format Court avait rencontré le réalisateur, totalement pris par son projet, pour évoquer les enjeux, les contraintes, la légèreté et la rêverie dans ses courts (« Cindy : The Doll Is Mine ») comme dans ses longs (« L’ Apollonide : Souvenirs de la maison close »).

Une ombre dans les yeux de Rafael Lewandowski

Un portrait malgré tout

Il s’appelle Willy Holt. Son nom pourrait faire penser à un mercenaire, à un fuyard intrépide, élancé sur son cheval, dans un western hollywoodien. Le personnage en a la carrure physique : de grande taille, plutôt mince, les pupilles repoussées au fond des cavités oculaires, les cheveux mi-longs aux reflets désormais blafards flanqués en arrière. À des distances plus extrêmes, de loin ou de près, certains détails en font pourtant une individualité indéfiniment plus complexe, intrigante. Sa démarche, d’abord : il avance par minimes élans successifs, comme s’il n’était pas possible de tirer un trait droit dans l’espace. Sa voix, ensuite : il murmure, balbutie peut-être, mais ne parle pas normalement. Il lance des phrases sur un ton souvent ironique, par-dessus les mots, léger mais jamais tricheur. La parole dissimule, par défaut, une ombre. Willy se déguise malgré lui, malgré tout, malgré l’horreur.

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Ce n’est pas par vocation, en effet, que Willy Holt déguise la réalité par de “bons mots”. Il fait partie de ceux qu’on a déportés vers l’est pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a été interné dans plusieurs camps en Pologne, en particulier dans le camp d’Auschwitz II-Birkenau. Il a survécu au pire, à ce pire que personne ne voulait voir ni saisir, comme une lumière trop forte dont on repousse l’éclat. La pudeur se confond avec le courage d’un homme qui était destiné au néant mais qui possédait une telle passion qu’il lui a été permis de survivre et, bien mieux, d’accomplir des exploits artistiques, dans le domaine des décors cinématographiques dès les années 1950. Oui, c’est ce même Willy Holt, né en 1921 en Floride, de père américain et de mère française, qui fut le décorateur d’Otto Preminger, de Stanley Donen, de Woody Allen, de Bertrand Blier, de Roman Polański, ou encore de Louis Malle.

Rassembler les restes du souvenir

Dans le documentaire que lui consacre Rafael Lewandowski, le personnage est moins décrit que cerné à distance, c’est-à-dire appréhendé avec le regard de celui qui ignore presque tout ou qui ne peut pas se mettre à la place de celui qu’il filme. Sa construction, apparemment imprécise et un peu maladroite, rend tout de même compte des jeux auxquels s’adonnent Willy Holt : jeux de mots, jeux de traits, jeux de regards. En guise d’esquisse, les interviews font progressivement apparaître ses talents de dessinateur (talents qui lui ont permis de survivre dans le camp et de travailler après la guerre) mais aussi ses doutes, ses envies, les ambiguïtés quant à son identité, les difficultés qu’il rencontre face aux questions de sa fille, les voyages qu’il entreprend pour revoir les lieux de la catastrophe.

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Son histoire est exceptionnelle, tellement singulière et vraie qu’une redéfinition de la parole semble s’imposer. Une parole qui ne dit presque rien mais qui évoque tant d’horreurs et d’illusions. Une parole qui a conscience de sa limite et qui, dès le début du film, est placée à un rang inférieur de l’image. Willy Holt le sait et le dit : les mots sont parfois impuissants. Alors Rafael Lewandowski se donne pour ambition d’établir un portrait très visuel, défait, où la parole est nécessairement disjointe et où l’image se diffracte en couleurs autant qu’en noir et blanc. Au milieu des entretiens, des visites, des rencontres, des trajets ferroviaires, surgit une vérité timide, effroyable et fascinante: celle de la vie d’un homme, où la parole contient du silence, où la terrible réalité transparaît à travers l’humour, et où le désir de créer transcende l’expérience la plus inhumaine.

À la fin du film, la lumière s’est apaisée. On la reconnaît facilement, la lueur du présent. Intérieurement, la pensée et l’imagination éprouvent pourtant une grande nervosité. Que faire de cette trajectoire peu banale ? Cette question appartient à tout spectateur. Le trajet ne fait, en tous cas, que commencer et “Femmes en deuil sur un camion” (1995) pourrait bien se glisser parmi les ouvrages du chevet. Non pas à cause de cet inique « devoir de mémoire » mais par désir de mieux comprendre les différences qui séparent le flottement destructeur du consentement nostalgique et la promesse révoltée d’un monde à construire, dans les murmures et dans les cris.

Mathieu Lericq

Une ombre dans les yeux : Éditions Lowave

Prix Format Court au FIFF 2014 : Art d’Adrian Sitaru !

Jeudi 9 octobre, notre équipe a attribué son Prix Format Court au Festival International du Film Francophone de Namur parmi les 13 films de la compétition internationale. Le Jury Format Court (composé de Marie Bergeret, Juliette Borel, Adi Chesson et Zoé Libault) a choisi de récompenser  « Art » du Roumain Adrian Sitaru. Un film qui traite de l’éthique dans la démarche artistique sous un angle esthétique hyperréaliste. Le réalisateur nous confronte avec beaucoup de justesse aux questions de la responsabilité et de l’art.

En guise de prix, le réalisateur, déjà auteur de nombreux courts, bénéficiera d’un dossier spécial sur notre site et d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

Enfin, « Art » sera projeté à l’occasion de la prochaine soirée Format Court, le jeudi 13 novembre 2014, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Art d’Adrian Sitaru (Fiction, 19′, 2014, Roumanie, 4 Proof FILM)

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Synopsis : Deux cinéastes ont trouvé la parfaite jeune fille de 14 ans pour jouer dans leur nouveau film. Maintenant, ils doivent convaincre la mère de laisser sa fille jouer le rôle d’une enfant victime de violence sexuelle.

Voir le palmarès complet du FIFF 2014

Lorenzo Recio : « C’est bien cela le cinéma, un art de fantômes. Des choses passées qui s’agitent sur une toile »

À l’occasion de la sélection de son dernier film « Shadow » à l’Etrange Festival, nous avons rencontré son réalisateur, Lorenzo Recio. Il nous parle entre autres de la genèse du film et de son tournage à Taipei, mais aussi des multiples interprétations que l’on peut trouver dans le film. Pour les parisiens, le film est projeté ce jeudi 9 octobre lors de la séance Format Court spéciale Grenoble.

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Tu as déjà tourné plusieurs films (« Lisa », « Red Shoes », etc.). Comment es-tu venu à la réalisation ?

Je suis venu à la réalisation par le dessin. Je souhaitais d’abord faire de l’illustration et de la bande dessinée. Ma rencontre avec l’animation est due au hasard. Un ami croisé dans un train m’a dit que son frère travaillait dans une société de production de films d’animation cherchant des dessinateurs, ça m’a intéressé. Si j’avais pris le train suivant, je n’aurais peut être jamais fait de cinéma. Quand j’ai réalisé un premier film d’animation et que mes histoires, mon univers visuel, se sont mis à bouger, à coexister avec du son et de la musique, je n’ai plus imaginé faire autre chose.

Quand on fait de l’animation, on ne se fixe aucune limite en terme d’imaginaire et j’ai aussi un goût prononcé pour le fantastique et le surréalisme. Du coup, quand je suis passé à la prise de vue réelle pour fuir la dimension trop monacale du film d’animation, je n’ai jamais cherché à donner de limites à mes récits. Si j’ai envie que l’histoire se déroule au 17e siècle en Espagne avec un type qui a une tête d‘âne (« L’infante, l’âne et l’architecte »), si j’ai envie qu’une petite fille ouvre la tête de son père pour voir les images qu’il y a dedans (« Lisa ») ou si j’ai envie d’adapter un conte d’Andersen avec une danseuse flamenco (« The Red Shoes »), j’écris d’abord l’histoire et je me demande ensuite comment je vais la réaliser. En général plus cela paraît impossible à faire, plus cela me donne envie de le réaliser.

L’histoire de « Shadow » se situe à Taïwan et est tournée en langue chinoise. Es-tu familier de la culture asiatique ? Souhaitais-tu y développer un cadre particulier ?

Dans un premier temps, j’avais écrit une histoire avec un montreur d’ombres qui se situait au 18e siècle en Allemagne. C’était l’histoire d’un homme qui était lui-même une ombre et qui se peignait chaque jour pour avoir une apparence humaine. Un récit très marqué par le romantisme allemand, par les livres de Von Chamisso et Hoffman. C’était un projet de long métrage qui n’a pu entrer en développement, les commissions se demandant comment des histoires pareilles pouvaient être écrites. Un peu déçu par ces réponses, je me suis dit qu’il fallait peut-être s’expatrier, aller chercher ma fortune ailleurs. J’ai pensé à l’Asie car il y a aussi du théâtre d’ombres là-bas, et comme mon chef-opérateur travaille beaucoup là-bas, je lui ai demandé quel pays pouvait être intéressant pour y développer un projet, il m’a parlé de Taïwan. Trois mois après, j’ai trouvé une résidence d’artiste là-bas et je suis parti deux mois à Taipei pour écrire le premier traitement d’un long-métrage, « The Shadowman ». « Shadow » est venu de la volonté d’expérimenter ce récit dans une forme plus courte, pour voir ce que pouvait donner le traitement d’une figure d’homme-ombre. Je ne suis donc pas un fan de longue date de cinéma asiatique. C’est le thème du récit qui m’a amené là-bas.

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Comment s’est déroulé le tournage à l’étranger ? As-tu rencontré des difficultés particulières ?

Cela a été un tournage fascinant duquel je garde un merveilleux souvenir. Evidemment, préparer un film à 10.000 km de distance n’est pas évident pour trouver les décors et les comédiens. Mais nous avons travaillé avec une excellente productrice exécutrice, Tatianna Chang, qui a été d’une efficacité absolue pour la préparation et pour le tournage. J’ai également eu la chance de trouver de très beaux comédiens, Yueh Ming Liu, qui joue l’homme ombre et Aviis Zhong, qui joue la jeune femme. Je parlais anglais avec l’équipe, mais il y avait aussi une traductrice. J’ai adoré filmer l’atmosphère de cette ville, ces visages, ces ambiances, à mille lieux du décorum français ou parisien, cela lave les yeux et l’esprit.

Le principal souci que l’on a eu a été avec un fantôme. Deux jours avant le tournage, des accidents de scooter se sont succédés. Une assistante déco est tombée en scooter alors qu’elle transportait les marionnettes de théâtre d’ombres, elle a dû être hospitalisée. Le lendemain, c’était la camionnette qui transportait la caméra avec laquelle nous devions faire des essais qui a heurté un scooter en pleine rue. Le jour d’après, au terme du premier jour de tournage, c’est mon assistant réalisateur taiwanais, Sean, qui s’est retrouvé à l’hôpital après s’être fait renverser par une voiture alors qu’il était en scooter. Tatianna, la productrice éxécutrice, était convaincue que quelque chose n’allait pas. Elle est allée dans un temple où on lui a dit que le propriétaire des marionnettes n’était pas content que l’on tourne avec ses marionnettes sans lui avoir demandé l’autorisation. Bien évidemment, le propriétaire était mort. Tatianna s’est excusée auprès du fantôme et nous n’avons plus eu aucun accident de scooter.

J’avais bien prévu un « accident » dans le scénario. Nous l’avons tourné la peur au ventre, la nuit, alors qu’un déluge nous tombait sur la tête. Nous sommes rentrés si fatigués de cette nuit de tournage que nous avons dormis sans réaliser qu’un tremblement de terre de magnitude 6 avait secoué l’île pendant notre sommeil. Mais a part ça, ou peut-être aussi à cause de ça, ça a été un tournage absolument merveilleux, unique.

Peux-tu nous parler des différentes thématiques (effacement, métamorphose, adaptation à la société, etc.) et symboliques développées dans « Shadow » ?

C’est plutôt simple en fait. J’essaye de raconter une société qui est partagée entre ombre et lumière. À Taipei, la lumière baigne les grandes avenues, les gratte-ciels en verre et illumine les immenses écrans vidéo qui nous vendent du bonheur high-tech, cosmétique, pur et propre. À l’opposé de cette société lumineuse, il y a les petites rues, les petites maisons dans l’obscurité, les petites gens qui subsistent avec des petits boulots, loin des projecteurs de la réussite. Le fantastique repose sur un double versant, poétique et social.

Derrière l’effacement du personnage, un rapport est créé sur la disparition d’un art (le théâtre d’ombres) que de moins en moins de monde, à part un enfant, ne semble apprécier. Comment cela se fait-il ?

Le théâtre d’ombres taiwanais est issu du théâtre d’ombres chinois. Il est arrivé sur l’île il y a 200 ans à peu près. Il a été interdit pendant le communisme et quand il est réapparu, il s’est vite trouvé concurrencé par la télévision et le cinéma. Il n’y a pratiquement plus de montreur d’ombres à Taipei, je n’ai rencontré qu’une troupe là-bas. On trouve la plupart des compagnies dans le sud, à Kaoshiung. C’est pratiquement impossible de vivre de cet art et il n’est pas rare qu’un montreur d’ombres soit obligé d’avoir une autre activité professionnelle à coté. Auparavant il pouvait y avoir des cérémonies de théâtre d’ombres lors de rites funéraires dans les temples, mais cela tend à disparaître. Aujourd’hui, c’est souvent remplacé par des boîtes de strip-tease.

Un jour, un montreur d’ombres m’a dit que le cinéma n’avait rien inventé. Le découpage en scènes, le gros plan, le plan large, les effets spéciaux, tout cela le théâtre d’ombre le faisait bien avant en approchant ou en éloignant les marionnettes de la source de lumière. Je crois qu’il avait vraiment raison. Le théâtre d’ombres est un proto-cinéma. Une légende dit que cet art est né le jour où un monarque chinois, ayant perdu son épouse, a demandé à un artiste de la faire revivre en animant sa silhouette d’ombre derrière un drap blanc. Et c’est bien cela le cinéma, un art de fantômes. Des choses passées qui s’agitent sur une toile.

Shadow-StoryboardPeux-tu nous dire un mot sur les effets spéciaux d’effacement progressif de ton personnage masculin ?

J’ai tenu à ce que ce soit le comédien qui joue l’ombre. Je ne voulais pas d’une ombre animée en 3D. Le pari était d’incarner cette ombre, qu’elle reste humaine jusqu’à la fin. Le comédien a été filmé sur fond vert ou bien peint en bleu pour les incrustations. Je n’avais pas de référent pour ce personnage d’homme-ombre. Au cinéma, on a déjà pu voir des hommes invisibles, des loups-garous ou des vampires mais pas d’hommes-ombres. C’est en quelque sorte une première. Du coup il a fallu se creuser la tête pour trouver ce à quoi il pouvait bien ressembler.

La fin prend la forme d’un twist, sans trop en dévoiler. Comment l’expliques-tu ?

Je crois que la fin est absolument logique et en même temps sujette à de multiples interprétations. L’une des explications est que ce garçon qui disparaît progressivement dans l’ombre au point d’en devenir une est irrésistiblement attiré par la lumière, par cette jeune femme aux cheveux blonds qui travaille dans un environnement lumineux et high-tech. L’ombre et la lumière semblent chacun avoir besoin de l’autre pour exister.

Quels sont tes projets actuels ?

Je développe plusieurs projets de long-métrages, sans savoir si l’un d’eux existera un jour. C’est assez difficile de passer au long-métrage notamment lorsqu’il s’agit de cinéma fantastique dans un pays où le drame social, la comédie et le polar sont dominants. Néanmoins, je crois que ça n’en devient que plus motivant du coup d’essayer de faire vivre au pays de Descartes et Rohmer (que j’aime beaucoup par ailleurs), ce pan fondamental de la création artistique que constitue le cinéma fantastique.

Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès

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The Dancing d’Edith Depaule

Edith Depaule, réalisatrice de « The Dancing », est une artiste polyvalente, touche-à-tout, mêlant avec justesse les arts dans ses œuvres. Avant tout chorégraphe et metteur en scène de théâtre, elle réalise ici un deuxième court-métrage élégant (après « Passionate Kiss »), construit comme une pièce où les corps et leurs mouvements sont mis à l’honneur. Déjà repéré cet été par Format Court au Festival CourtsCourts de Tourtour (où il avait obtenu le Prix Spécial du jury), ce film retient à nouveau notre attention au Festival de Namur où il est sélectionné dans deux compétitions nationale et internationale.

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Douze femmes chiquement habillées, talons aiguilles aux pieds et robes de soirée ajustées, attendent patiemment leurs partenaires de danse. Mais à trop attendre, l’hystérie et l’euphorie remplacent petit à petit le calme et la sagesse.

Le film est construit en trois tableaux bien distincts. Le premier mouvement est celui de l’attente dans lequel les femmes sont rivales et n’échangent guère plus que des regards noirs et méprisants sous une lumière jaune et agressive. Le deuxième est celui du rêve où la femme s’épanouirait avec l’arrivée de l’homme ; ici, la lumière rouge est chaleureuse mais irréelle. Dans le troisième volet, c’est sous une lumière plus sobre et réaliste que les femmes s’émancipent en dansant ensemble, formant de leur singularité un tout uni. Une chorégraphie de groupe qui se créée des mouvements de chacune.

Ces trois parties sont liées par une tension chorégraphique, un suspense intangible. La danse prend forme progressivement, elle prend le temps de s’installer. Un travail important sur le son renforce cette attente.

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Ce film renvoie forcément aux « Rêves dansants » de Pina Bausch ; on y retrouve le même type de personnages strictes et froids s’épanouissant par la danse, entre danse de salon et danse contemporaine. Edith Depaule sait filmer les danseurs, elle y porte un regard féminin, doux et connaisseur. Elle n’hésite pas à entrer dans la danse avec sa caméra, cette dernière étant un élément à part entière de la chorégraphie.

Avec « The Dancing », Edith Depaule signe un film gai qui nous transporte dans un environnement sonore et visuel des années 50. Habituée des spectacles de danse, elle réussit à nous raconter une histoire sans parole, avec seulement des regards, des mouvements et des cris. En liant cinéma et chorégraphie, ce film illustre une vraie recherche artistique avec originalité, humour, singularité et sensualité.

Zoé Libault

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Fiche technique

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Synopsis : Douze femmes sur piste de danse. Boule à facette et plancher ciré, robes de soirées et chaussures à talons, tout est prêt pour enflammer la piste mais les partenaires de danse ne sont pas au rendez-vous.

Genre : Fiction

Durée : 17’

Pays : Belgique

Année : 2014

Réalisation, scénario, chorégraphie : Edith Depaule

Interprétation : Aubéline Barbieux, Muriel Clairembourg, Laura Hoogers, Sylvie Landuyt, Yasmine Laassal, Céline Nieto, Magali Pingaut, Ana Rodriguez, Gaia Saitta, Chloé Struvay, Mélodie Valemberg, Charlotte Villalonga, Théo Ancion, Thomas Coumans, Miguel Decleire, Damien De Dobbeleer, Adrien Desbons, Fabrice Detry, Steve Driesen, Hervé Guerrisi, François Prodhomme, Arnaud Stevens, Benjamin Ramon, Clément Thirion.

Musique : An Pierlé et Koen Gisen

Production : Soupmedia

Article associé : la critique du film

César du Meilleur Court Métrage d’Animation 2015, les 12 courts métrages présélectionnés

Le Comité Animation de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a présélectionné mardi 7 octobre les 12 films de court métrage qui vont concourir au César 2015 du Meilleur Court Métrage d’Animation. De ces 12 films, se dégageront les 5 finalistes pour les Césars 2015.

2015

– Bang Bang !, réalisé par Julien Bisaro
– Beach Flags, réalisé par Sarah Saidan
– La Bête, réalisé par Vladimir Mavounia-Kouka
– La Bûche de Noël, réalisé par Stéphane Aubier & Vincent Patar
– La Chair, réalisé par William Henne & Louise Lemoine Torres
– Encore des Changements, réalisé par Benoit Guillaume & Barbara Malleville
– Man on The Chair, réalisé par Dahee Jeong
– Nuisible, réalisé par Tom Haugomat & Bruno Mangyoku
– La Petite Casserole d’Anatole, réalisé par Eric Montchaud
– Les Petits Cailloux, réalisé par Chloé Mazlo
– Le Sens du toucher, réalisé par Jean-Charles Mbotti Malolo
– Tempête sur Anorak, réalisé par Paul Cabon

Antoine Besse : « Je marche beaucoup à l’instinct. Certains cinéastes peuvent t’expliquer tout ce qu’ils font, moi pas du tout »

Influencé par Raymond Depardon et Bruno Dumont, Antoine Besse, jeune réalisateur venant du clip et de la pub, a réalisé un film puissant et symphonique, « Le Skate Moderne ». Tourné en Dordogne, avec des copains et des skates, sans producteur ni contraintes, il a pensé son film pour le net et s’est retrouvé, le succès aidant, en festival. Là où nous l’avons repéré et rencontré.

Au dernier Festival de Grenoble, « Le Skate Moderne » a obtenu notre Prix Format Court mais aussi le Grand Prix ex-aequo (avec « La lampe au beurre de Yak » de Hu Wei). À l’occasion de notre séance Format Court spéciale Grenoble et de la projection du film d’Antoine Besse, nous consacrons une interview à notre lauréat.

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On a envie de commencer par ton parcours. Qu’est-ce qui t’a amené à faire des films, et à faire ce film en particulier ?

Antoine Besse : C’est une bonne question. J’ai toujours baigné dans le surf et dans le skate depuis je suis enfant et j’ai toujours fait des films comme ça, sans jamais songer à que ce soit. À quatorze ans, en déménageant en Dordogne, je me suis consacré totalement au skate. À la campagne, avec tous les copains que j’ai filmé dans « Le Skate moderne », on travaillait nos modules, on ne faisait plus que ça.

Comment se fait-il que tu te sois mis à faire du skate à la campagne, une pratique généralement réservée aux citadins ?

C’était ça, la bizarrerie. Avec mes potes, on s’est mis à regarder des vidéos sur Internet. J’avais trouvé une vidéo, « Flip – Sorry », une vidéo de skate fait par Spike Jonze dans ses débuts.

Ca a été une révélation, c’était à la fois un court-métrage et une vidéo de skate, avec de belles idées de mise en scène. Ca m’a fasciné et donné envie de faire pareil, de faire des vidéos de “ride” mais plus poussés. Je me suis acheté une caméra deux semaines après et j’ai commencé à tourner, comme ça, tout le temps.

Dans quel but filmais-tu ? Pour améliorer votre technique ?

Au début, c’était juste pour nous filmer, mes potes et moi. Progressivement, j’ai fait comme Skipe Jonze dans sa vidéo. C’est un peu prétentieux, mais j’avais envie de commencer à bidouiller et ça m’a énormément plu. J’ai commencé à prendre conscience à quel point il était intéressant d’utiliser une caméra et d’expérimenter les possibilités de l’outil. J’ai commencé à faire des essais, comme on en fait tous au début. À dix-sept ans, après le bac, j’ai décidé de m’inscrire en fac de cinéma à Bordeaux. J’ai fait un parcours classique avec trois ans de licence de cinéma. Au bout de deux mois, dès la première année, je m’ennuyais, mais j’ai eu la possibilité de faire des kino-sessions et de tourner des films en deux mois, avec des contraintes imposées. Dans ma promotion, on était une dizaine d’étudiants très motivées, enthousiastes, à en faire systématiquement. Pendant trois ans, on a fait des films tout le temps avec à chaque fois, un thème différent. À la fin, on s’est rendus compte qu’une licence ne menait pas à grand-chose. Je me suis mis à faire des stages dans la région, en particulier en tant que régisseur mais ça ne me plaisait pas.

Et « Le Skate » là-dedans ?

Comme mes copains sont montés à Paris pour essayer de travailler, je les ai suivis. J’ai fait un an d’école de cinéma, mais ce n’était pas pour moi, alors je me suis mis à faire des clips, des vidéos de toutes sortes. Mon parcours est assez classique, c’est celui d’un autodidacte, ayant quand même une formation à l’université et l’expérience des kino-sessions. Après un documentaire sur des rappeurs, est arrivé « Le Skate moderne » dont j’avais l’idée en tête depuis longtemps. Je l’ai tourné juste avant de partir surfer pendant un an. Je l’ai lâché sur internet, ça a explosé, et j’en suis arrivé là. À l’époque, je n’avais pas de producteur, c’était un projet personnel parmi d’autres.

Vis-tu du cinéma à présent ?

Aujourd’hui, oui. Pas vraiment du cinéma, mais plutôt de la publicité.

Trouves-tu tout de même le temps de faire des films plus personnels ?

Chaque publicité prend au moins trois mois, c’est long. Dernièrement, j’ai fait une pub pour une marque de sport, à échelle nationale, c’était énorme, ça a pris du temps. « Le Skate moderne » aussi m’avait pris trois mois. Maintenant, j’ai un projet de documentaire sur les surfeurs, dans un endroit assez atypique du sud de la France. J’ai commencé à l’écrire il y a quelques mois, je travaille vraiment dessus depuis un mois, je pars bientôt en tournage. Ca va me demander encore trois bons mois.

Tes films sont-ils toujours liés à la thématique du sport ?

Non, pas du tout. En fait, le surf et le skate sont des choses qui me parlent énormément, mais dans la façon dont je le traite, je ne m’intéresse pas à la performance athlétique. Ce que je veux montrer, c’est le côté « way of life ». Ce sont des passions qui te prennent tellement au tripes que tu y accordent ta vie sans concession. C’est exactement la thématique de mon prochain film; il est centré sur la première et la dernière génération de surfeurs d’un village, Ce qui m’intéresse, c’est la passion qui amène à orienter sa vie autour d’un sport très fort tous les jours.

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Dans ton film, on ne pense pas forcément à la passion. On a plutôt l’impression que le skate est un rempart à l’ennui. Un personnage le dit dès le début du film : « On fait du skate, autrement, on n’aurait rien à faire ».

Absolument. Mais c’est quand même une passion, c’est ce qui anime ces gens tous les jours. Une passion c’est aussi ça : c’est s’occuper tout le temps et oublier l’ennui. L’ennui, on en est tous victimes, et une passion permet de l’éviter.

D’où vient le désir de faire du skate dans un endroit où ce n’est pas forcément adapté ?

Bien qu’on ait grandi à la campagne, on a été très influencé par la culture urbaine. On n’en fait pas partie mais on se l’attribue. Dans « Le Skate moderne », pour moi, il y a deux choses. La passion qui t’obnubile et qui te permet de dépasser l’ennui et le côté “culturel”, c’est-à-dire la provenance de cette passion qui n’aurait jamais dû arriver là. Pourtant la culture urbaine se développe et arrive à toucher les campagnes mais elle se développe d’une autre façon. C’est comme pour la pétanque à Paris ou le “street fishing”, la pêche en ville. Les cultures de villes se déplacent vers la campagne et celles de la campagne viennent vers les villes. Il y a un échange.

On a le sentiment qu’à cette fascination éprouvée pour les cultures urbaines répond une nostalgie de la culture rurale elle-même. On le voit dans les choix de cadrage assez “posés”, comme les portraits de famille ou le choix des costumes “rétros”.

Clairement. Il y avait aussi clairement une envie de rendre hommage au film de Raymond Depardon, « La vie moderne ». J’aime beaucoup ce qu’il fait. Je viens d’un milieu très rural et son film m’avait touché par la beauté des plans surtout. Je voulais reprendre le code de l’interview collective pour montrer que le milieu rural n’est pas mort non plus. C’est comme une descendance. Le monde de Depardon est là, et en même temps, il y a la suite. La suite est influencée par autre chose, mais elle vit quand même à la campagne. Les gens ne sont pas partis en ville, et ils ne partiront jamais. Ils n’aiment pas la ville.

Chez Raymond Depardon, il y a une envie de montrer les personnages mais aussi de les installer dans un temps long. Dans « Le Skate moderne », en revanche, les plans sont plutôt courts, les propos des personnages sont très brefs et le montage est très rythmé. Sur ce point, tu t’écartes de sa démarche.

J’ai jamais voulu l’imiter, mais simplement utiliser quelques codes qu’il avait développé dans son regard sur la campagne; le fait d’être posé et d’écouter les personnages, et en même temps de jouer avec les images fortes, comme dans les clips. Comme toute ma génération, j’avais en tête les films de Costa Gavras, mais ce que je reproche aussi à mes pairs, c’est que ça manque un peu de fond. Pour ce film, j’ai voulu mélanger le social, le milieu rural, les cultures urbaines, l’ennui, la passion, et ai utilisé une esthétique à la fois contemplative et très clipesque (des fumigènes, des drapeaux, …). L’idée a été de jouer avec tous ces codes pour avoir tout le temps une image très riche. C’était un pari risqué, un essai qu’il fallait bien doser. J’ai voulu y aller à fond. Je n’avais pas de producteur ni de contraintes. J’y suis allé comme j’ai ressenti. C’est un film de ressenti.

À chaque plan, on a l’impression qu’il va se passer quelque chose. Les choses sont toujours en mouvement. Comment as-tu conçu la chronologie de ce ballet symphonique ?

L’idée est toute simple; pour moi, c’était très important que chaque plan ait sa place. Je ne voulais pas faire un plan pour un plan. C’est quelque chose qui m’insupporte dans le clip. Je ne voulais pas appuyer sur le bouton “enregistrer” s’il n’y avait pas un cadre ou quelque chose qui me parlait. Même s’il ne se passait pas grand-chose, je voulais montrer des choses belles à voir. Je marche beaucoup à l’instinct. Certains cinéastes peuvent t’expliquer tout ce qu’ils font, moi pas du tout.

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As-tu beaucoup tourné ? Avais-tu beaucoup d’images lors du montage ?

Oui, j’en avais beaucoup, mais étrangement j’ai quasiment tout mis.

La fin du film apparaît un peu brute. On a l’impression que « Le Skate » appelle à autre chose, qu’il y a d’autres images. C’est comme si tu ne voulais pas tout exploiter, comme si le film est autant ce qu’il montre que ce qu’il ne montre pas, notamment dans les entretiens avec les familles des skateurs.

Ca part d’un truc tout bête. J’avais récupéré beaucoup d’informations intéressantes dans ces interviews. Mais, à un moment donné, j’ai décidé que je ferais ce film pour un format internet et pas plus. L’idée était de montrer que je savais faire des images, que je savais faire des films. Le format internet, c’est en-dessous de neuf minutes. Après, les internautes zappent. Je voulais faire aussi un film pour tout le monde, avec un fond et une esthétique constante qui accroche les gens par la force des paroles et des personnages, des décors, en choisissant chaque plan. C’était un film très “instinctif”, je le répète.

En parlant d’instinct, on peut penser aux références appropriées. Quelles ont été tes influences musicales sur ce projet ?

Là aussi je me suis basé sur le film de Raymond Depardon pour l’utilisation de Gabriel Fauré sur le travelling introductif. Je trouvais ça incroyable de dire autant de chose en ne montrant rien. À la différence près que j’avais envie d’inclure des humains dans l’image.

En termes de référence, j’aime aussi beaucoup ce que fait Bruno Dumont, sa mise en scène de la vie rurale, de la consanguinité, des choses très dures et très rudes. Je suis très en accord avec sa démarche. On sent qu’il vient de là et qu’il révèle bien les cultures rurales. Ca te prend aux tripes et tu n’as absolument pas envie de te moquer de ses personnages. C’est comme ça aussi que je conçois mon travail de réalisateur.

Propos recueillis par Mathieu Lericq et Katia Bayer 

Article associé : la critique du film

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L’homme au chien de Kamal Lazraq

C’est au cœur de Casablanca que prend place ce film poignant présenté cette semaine au FIFF de Namur. Youssef, le personnage principal, connu par les enfants du village seulement par son attribut le plus fidèle, son chien, évolue dans une ville qui lui est peu amicale. Dès la première scène, il nous apparaît comme un homme solitaire, vivant de grasses matinées et de bains de mer, un peu perdu dans sa propre vie. Replié dans son cocon confortable, il ne le quitte que lorsque son chien disparaît et qu’il doit partir à sa recherche. Ce personnage marginal renvoie au Lewin Davis des frères Coen, musicien paumé, parcourant la ville de New-York aussi à la recherche d’un animal, le chat de ses amis.

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Ici, notre homme est prêt à tout pour récupérer son chien. Motivé par dessus tout, il perd toute conscience et ne voit plus qu’il s’en met en danger dans des quartiers hostiles et des situations délicates. Sa raison est mise à mal par sa volonté et son insouciance. D’ordinaire asocial, il fait soudainement confiance en des inconnus qui l’entraînent dans des endroits sombres et peu accueillants, le faisant rencontrer de nouvelles personnes toujours plus malveillantes les unes que les autres.

Ce court-métrage est un très joli film sur la confiance en l’autre que l’on peut accorder dans certaines situations. Face à l’incapacité d’atteindre seul son but, la méfiance de Youssef envers autrui disparaît, laissant place à l’inconscience. Il se laisse alors emporter dans une course folle qu’il n’abandonnera pas tant qu’il n’aura pas retrouvé son chien, quelque soit les obstacles auxquels il devra faire face. Animé par son acharnement, il ne ressent ni angoisse ni peur. Les personnages évoluent devant une caméra très proche, qui propose un cadre serré anxiogène formant comme des œillères autour de Youssef, ne permettant pas, ni au spectateur ni à lui-même de pouvoir anticiper la menace et renforce alors la tension palpable de ce film.

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L’homme au chien nous entraîne, le temps d’une nuit, dans les bas-fonds casablancais, parmi les trafics et les violences, sans nous laisser un moment de répit et dresse un portrait plutôt noir de la solidarité entre les hommes, ici, toujours motivée par un intérêt égoïste et vénal.

Zoé Libault

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Fiche technique

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Synopsis : Youssef mène une vie recluse et marginale. Son seul ami est son chien. Un soir à la plage, le chien disparaît. Pour le retrouver, Youssef doit s’embarquer dans une quête dangereuse à travers les bas-fonds de Casablanca.

Genre : Fiction

Durée : 27’

Pays : Maroc, France

Année : 2014

Réalisation : Kamal Lazraq

Interprétation : Ghali Rtal Bennani, Ghassan El Hakim

Production : Barney Production

Article associé : la critique du film

Rappel : Soirée Format Court, spéciale Grenoble ce jeudi 9 octobre !

Ce jeudi  9 octobre,  à 20h30, le Studio des Ursulines (Paris, 5ème) accueillera la 2ème Soirée Format Court de l’année. L’occasion de découvrir 5 films vibrants, hybrides, poétiques et étranges primés au dernier Festival du film court en plein air de Grenoble dont « Le Skate moderne » d’Antoine Besse, lauréat du Prix Format Court. La séance fera l’objet d’une rencontre avec Nicolas Tixier, Président de la Cinémathèque de Grenoble et deux équipes de films.

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En pratique

► Date : Jeudi 9 octobre 2014, à 20h30

► Programmation & infos films : ici !

► Durée de la séance : 70’

► Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

► Entrée : 6,50 €

► Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

L’Île aux fleurs de Jorge Furtado

Documentaire, 12′, 1989, Brésil

Synopsis : Suivez le parcours d’une tomate brésilienne depuis sa plantation de M. Suzuki, jusqu’à son point d’arrivée, l’île aux Fleurs.

En suivant le parcours d’une tomate, Jorge Furtado, use de comparaisons et de métaphores en mêlant photographies, vidéos et dessins pour dénoncer la pauvreté au Brésil. Sous ses faux airs de gentil film didactique, « L’île aux fleurs » est en fait un réquisitoire percutant et efficace contre un système économique mondial inégalitaire.

Marie Bergeret

Festival International du Court Métrage de Lille, le palmarès 2014

Le 14ème Festival International du Court Métrage de Lille s’est terminé hier soir. Voici le palmarès national et international rendu par le jury (spectateurs, jeune public et critique).

International

Grand Prix, Prix du Jury Jeune : Welkom de Pablo Munoz Gomez / Belgique / 2013

1er Prix : Symphony no. 42 de Réka Bucsi / Hongrie / 2013

2nd Prix : The Bigger Picture (Le tableau d’ensemble) de Daisy Jacobs / Royaume-Uni / 2014

National

1er Prix  : Le Sens du toucher (The Sense of Touch) de Jean-Charles Mbotti Malolo / France, Suisse / 2014

2nd Prix : Solo Rex de François Bierry / France, Belgique / 2014

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Prix Presse – Bref : Le skate moderne d’Antoine Besse / France / 2013

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Mention du Jury Jeune : The Chaperone de Fraser Munden, Neil Rathbone / Canada / 2014

Prix des Très Courts : Tumbleweed Tango (Tango Virevoltant) d’Hydra / États-Unis / 2013

Frédéric Temps : « Le court métrage devrait rester un lieu libre, de recherches et d’expérimentations, sans aucune contrainte »

Créé en 1993, L’Etrange Festival a célébré sa 20ème édition en septembre dernier. Cette manifestation unique dans le paysage cinématographique hexagonal continue de nous prodiguer, d’année en année, son lot de films rares, oubliés et transgressifs, en marge d’une cinématographie plus classique. À l’occasion de cette dernière édition, nous avons rencontré son président, délégué général mais aussi fondateur, Frédéric Temps, et l’avons interrogé sur la place occupée par le court métrage dans ce festival hors-norme.

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© Clémence Demesme

De quand date la création du programme de courts métrages à l’Etrange Festival ? Comment vous-est venue cette idée ou envie ?

Cette sélection date de la première année du festival (1993). Je considère le court métrage comme une œuvre à part entière, et pas du tout comme un format parallèle ou comme la nouvelle par rapport au roman, ce dernier désignant ici le long-métrage. Comme des centaines de cinéastes ont pu le démontrer tout au long de l’histoire du cinéma, à commencer par les films primitifs et expérimentaux, il y a de nombreux courts métrages qui peuvent acquérir un statut tout aussi important qu’un long-métrage. Je pense notamment à la série de films « Les Documents Interdits » de Jean-Teddy Filippe qui a inspiré de nombreux films depuis, tous formats confondus.

Il est important pour nous d’avoir une sélection de courts métrages parce que cela nous permet de découvrir de nouveaux talents et, bien souvent, les cinéastes programmés dans la compétition de longs métrages ont vu leurs courts métrages diffusés dans une précédente édition.

Dès la deuxième édition du festival, nous avons voulu impliquer la direction des Programmes Courts de Canal + comme partenaire. Nous avons donc créé avec Alain Burosse (dirigeant à l’époque les Programmes Courts et devenu depuis le vice-président de l’Etrange Festival) une compétition dotée d’un Grand Prix Canal +, dont le but était l’achat direct d’un film pour un passage à l’antenne. Il y a bien entendu ce vainqueur attitré mais il y a également la possibilité pour d’autres films d’être repérés par la chaîne et de se faire acheter par la suite.

Quelle forme prend cette sélection de courts métrages ?

Nous avons tenté plusieurs formats différents. Au moment de la création, quand nous étions encore au Passage du Nord-Ouest (ancien cabaret de la Rive Droite), nous avions par exemple opté pour un marathon du court (5 à 6 heures), retenté depuis au Forum des Images, en 2003 ou 2004. Cette année, pour les 20 ans, j’avais envisagé de faire une projection de 24h non stop de courts métrages, qui aurait pu comprendre la compétition, des films hors compétition, mais aussi un best-of sur le modèle des « 20 ans/20 films ».

La forme classique que prend cette sélection se compose de plusieurs programmes d’une durée d’1h à 1h45, qui contiennent plus ou moins de films, en fonction de leur durée respective. Il y a environ 45 à 50 films courts diffusés par édition. Pour gagner en cohérence et nous permettre de projeter toujours plus de films, nous sommes passés de 4 à 5 programmes. Nous avons cependant remarqué une légère baisse de fréquentation cette année, due notamment à la compétition long-métrage qui a tendance à prendre le pas dessus. C’est pourquoi nous allons réfléchir à de nouvelles formules pour permettre à tous ces films de très bonne facture d’avoir la salle comble qu’ils méritent.

Pouvez-vous nous parler du fonctionnement de la programmation ?

Nous fonctionnons en petit comité, de manière simple. Nous regardons des films venus des quatre coins du monde sur lesquels nous pratiquons un premier écrémage. Chacun ramène les courts qu’il a aimés et repérés. De mon côté, j’essaye de voir environ 1500 films, essentiellement sur les marchés du film, puis je soumets entre 100 et 150 choix au comité de sélection, pour au final en sélectionner une cinquantaine environ. D’autres films nous sont envoyés directement et alimentent notre propre prospection. Nous choisissons également de saupoudrer certaines projections de longs et soirées spéciales avec des courts métrages surprises, non sélectionnés en compétition, car déjà beaucoup diffusés ou produits et achetés par Canal +.

De surcroît, nous demandons de plus en plus, à nos invités qui ont une carte blanche de programmer autant des longs que des courts. Cela a été bien compris par Godfrey Reggio qui a choisi, cette année, dans sa carte blanche, plusieurs courts comme « Tango » de Zbigniew Rybczynski ou un classique du slapstick avec « Cops » de Buster Keaton & Edward F. Cline. L’année dernière, nous avions pu avoir tout un programme de courts choisis spécialement par Albert Dupontel.

Pouvez-vous nous dire un mot sur votre ligne éditoriale ?

Concernant les courts diffusés à l’Etrange Festival, nous ne nous arrêtons pas simplement au film de genre fantastique ou horrifique, au film de SF, policier ou bien à des choses ultra-violentes. Nous sommes ouverts à toute autre forme comme la comédie, le documentaire, le film scientifique ou expérimental. Nous cherchons dans tous les genres possibles, sachant que ce qui nous intéresse, c’est la singularité du film, soit dans son filmage, soit dans son propos. Nous essayons de montrer des films que l’on ne voit pas forcément ailleurs. Tous les ans, au moins 60% de la sélection est inédite en France.

Je regrette de voir trop souvent les mêmes choses, des films totalement formatés qui cherchent à se fondre dans une espèce de moule pour s’ouvrir plus facilement les portes vers le long-métrage. Tout cela est directement éliminatoire pour nous, l’idée étant plutôt de trouver des films qui vont sortir des sentiers battus. Dans le long-métrage, c’est compréhensible que les réalisateurs fassent attention, compte tenu du cadre industriel plus lourd en termes de production. À l’opposé, le court métrage devrait rester un lieu libre, de recherches et d’expérimentations, sans aucune contrainte.

Nous essayons de programmer des films d’horizons différents, singuliers et décalés, que l’on mélange de façon éparse dans chaque séance, tout en préservant une cohérence de programmation. C’est pour cela que les séances sont interdites systématiquement aux moins de 16 ans, parce que l’on ne s’interdit pas de mélanger un film d’animation typique Disney et un film utlra-violent, limite gore. Notre credo est de proposer tous les mélanges possibles des genres.

Vous travaillez étroitement avec Serge Bromberg et Retour de Flamme, pouvez-vous nous parler des séances organisées ensemble ?

En 2012, Retour de Flamme a également fêté ses vingt années d’existence. Nous sommes plutôt synchrones puisqu’ils se sont créés pratiquement en même temps que l’Etrange Festival, dans le même endroit, au Passage du Nord-Ouest. C’est comme cela que j’ai rencontré Serge Bromberg dont j’admire la passion et l’intensité qu’il met en œuvre dans un domaine (la restauration de films) qui pourrait sembler obsolète à première vue. Eric Lange et lui font un travail exemplaire et sont sans arrêt sur la brèche pour redécouvrir d’énièmes pépites à restaurer.

Tout de suite, nous nous sommes dits que nous organiserions bien un Retour de Flamme spécial Etrange Festival. C’est pourquoi, dès la deuxième année (1994), nous avons travaillé ensemble sur une séance Retour de Flamme, essentiellement portée sur le court. Pour la séance des vingt ans, nous avons réfléchi à une programmation rarissime. Par exemple, Serge a montré le film « The Life and Death of 9413 : a Hollywood Extra » de Slavko Vorkapich et Robert Florey, un court métrage du début du siècle dernier (1928), qui a la particularité d’avoir inspiré George Lucas pour son film « THX 1138 ». Il avait d’ailleurs réalisé un court métrage lui-même en hommage à ce film, « Electronic Labyrinth THX 1138 4EB ».

L’Etrange Festival affiche cette volonté de découvrir des cinéastes à leurs débuts avec leurs courts métrages, puis de les suivre ensuite dans leur carrière de réalisateurs de long métrage. Quels cinéastes que vous avez suivi sont maintenant reconnus auprès du grand public ?

Un très bon exemple est Jaume Balagueró (réalisateur de « Rec » et de « La Secte sans Nom »), qui a eu le Grand Prix en 1995, dès la deuxième année, avec son court métrage « Alicia ». lI y a aussi Guillermo Del Toro, les Frères Quay, Jan Kounen, Gaspar Noé, Harmony Korine, Chan-wook Park, Douglas Buck, Julio Medem ou encore Alex de la Iglesia. « Victor », le premier court métrage de François Ozon, était en compétition en 1994. Personne ne s’attendait à l’époque à ce qu’il devienne le réalisateur populaire qu’il est devenu depuis.

Quel est votre sentiment sur la production française de court métrage ?

La production française de court métrage est en plein essor grâce notamment à la facilité de coût et d’accès à la technologie actuelle. Il y a tout un champ de possibles pour faire un film maintenant. L’arrivée d’Internet a changé la donne, certains auteurs ne cherchent plus à travailler avec l’aval des diffuseurs de télévision, ils mettent leurs films directement sur le web et peuvent parfois dégager beaucoup plus de visibilité qu’en choisissant le parcours classique.

Il y a de nombreux films, parmi ceux que l’on reçoit, qui ont du mal à être diffusés ailleurs parce que nous nous trouvons encore dans une position très arc-boutée qui consiste à favoriser un vieux cinéma à la papa. Malgré ces difficultés, le cinéma français de court métrage de genre ne se porte pas mal, la situation n’a jamais été aussi productive. Il y a de nombreuses manifestations qui se créent autour de cela, je pense notamment aux Utopiales de Nantes, dont je m’occupe aussi, qui comporte une compétition de films de SF. De nombreux projets de films se font dans tous les sens, il faut juste ne pas oublier d’amener quelque chose en plus, un style personnel, une approche originale. En tout cas, je ne suis pas inquiet sur la qualité de la production française. Les auteurs sont bel et bien là et beaucoup d’autres arrivent derrière.

Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès

Ceux qui restent debout de Jan Sitta

Premier court-métrage de fiction de Jan Sitta, « Ceux qui restent debout » été présenté aussi bien dans des festivals privilégiant les films réalistes (Grenoble, Angers) que dans l’excentrique festival rennais Court Métrange. Cela correspond bien à la double nature du film, et au pari réussi de son réalisateur : faire un film social poignant qui soit aussi un film fantastique angoissant, entre les frères Dardenne et David Lynch, pour reprendre deux références qu’il se plait à donner.

D’abord, la réalité, celle de Sofia, précaire chassée de son foyer d’accueil, obligée de passer la nuit à la rue (la comédienne Louise Szpindel, au jeu énergique et âpre, trouve un rôle dans la continuité de son personnage de squatteuse dans le long-métrage « Les Lendemains »). Jan Sitta est intervenu durant plusieurs années dans des centres d’hébergement pour sans-abris : il s’inspire de cette expérience pour décrire avec précision les étapes de l’exclusion, les petits boulots, le blocage administratif, l’abandon progressif et l’impossible solidarité, même parmi les compagnons d’infortune. C’est alors que la nuit tombe. La pleine lune qui perce la brume est un signal à destination des amateurs de récit gothique, qui enclenche la seconde partie du film où Sofia, seule dans la rue, assiste à un spectacle invraisemblable et terrifiant. Sa plongée dans l’horreur est associée à une disparition progressive de la lumière : le plein jour des premières scènes cède la place à un début de soirée pluvieux, puis à un intérieur nocturne éclairé seulement au briquet.

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Les deux approches a priori antithétiques du témoignage social et de l’horreur s’accordent grâce à un même choix de mise en scène, celui de ne pas quitter Sofia d’une semelle, que les événements qu’elle traverse soient vraisemblables ou non. Dès la première scène où elle dévisage les passagers d’un métro parisien, les cadres sont serrés, les arrière-plans flous, mimant son regard. On ne compte plus ensuite les longs travellings portés qui entraînent le spectateur à la suite de la jeune femme. Plus que l’approche factuelle des Dardenne, la mise en scène immersive de Jan Sitta nous évoque le travail de Jacques Audiard par sa capacité à coller non seulement aux déplacements du personnage mais aussi à ses perceptions : lorsque Sofia est dans la rue, on saisit les bribes de conversations des gens qu’elle croise et une stridence envahit la bande-son quand elle panique.

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Il y a comme un impératif moral à adopter ainsi le point de vue de Sofia, celui de donner la parole aux exclus. Il n’y a, de toute façon, personne d’autre autour d’elle à qui se raccrocher : la jeune femme est irrémédiablement seule, progressivement mise au banc de la société malgré son goût des rapports humains (elle travaille auprès des jeunes). La capuche relevée de son sweat-shirt, qui lui dessine une silhouette androgyne, coupe Sofia de son environnement, de même que les parois transparentes des cabines dans lesquelles elle s’enferme pour téléphoner aux hébergements d’urgence. Ces cabines téléphoniques, Jan Sitta les filme comme une prison de verre, à la fois ouverte sur l’extérieur (Sofia regarde les passants autour d’elle) et fermée (dans cette boite exiguë, elle est seule au bout du fil). Seule au milieu de la foule, parfaitement visible mais complètement ignoré : c’est la condition du SDF que résume cette image poignante.

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Les éprouvantes scènes finales sont également vues au travers du regard de la seule Sofia. Est-elle victime d’une hallucination due à la fatigue et à la peur ou bien la ville est-elle réellement en train d’avaler ses clochards ? Ce doute insoluble est au fondement même du fantastique. Ce qui frappe c’est, comme pour la cabine téléphonique, la dimension allégorique de la scène, dont l’efficacité visuelle va de pair avec la pertinence du discours : dans la ville moderne, le sans-abri fait partie du décor, littéralement, au point de se confondre de façon organique avec les murs et les trottoirs.

L’étrangeté de ce final n’a donc rien d’arbitraire, bien au contraire, puisqu’il a été amené de façon progressive dans les scènes précédentes, y compris les plus réalistes ; ainsi, lorsque Sofia essaie de voler un sac à l’arrachée, elle marche dans du goudron frais qui s’accroche à sa chaussure et annonce l’ingestion finale des sans-abris par ce même bitume.

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Personnage à part entière, sur lequel le film s’ouvre et se ferme, la ville apparaît comme un ogre qui dévore ses enfants. Face à la misère, même la plus courageuse des femmes finit par plier ; ceux qui restent debout, ce sont les immeubles, géants de béton indifférents à la misère des hommes à leurs pieds.

Sylvain Angiboust

Article associé : l’interview de Jan Sitta

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Play de Jonathan Vinel

Fiction, 9′, France, 2011, Autoproduction

Synopsis : Un garçon assis sur une chaise se rappelle ses amis morts et fait le point sur la génération 1990 de son village.

Le Festival International du Film Francophone de Namur commence ce vendredi 3 octobre. C’est l’occasion pour nous de revenir sur les premiers films de Jonathan Vinel, dont le dernier court « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes », co-réalisé avec Caroline Poggi et qui a obtenu l’Ours d’or à Berlin, est en compétition internationale.

Ce film, « Play, qui est la suite de « WE », date de quelques années, mais annonce le dernier opus de Vinel, tant par le sujet que par la forme. Construit de manière discontinue, « PLAY » s’intéresse aux garçons, aux filles, aux pyramides, aux Playmobil, aux sapins et aux explosions. Dans le film, un jeune homme assis sur une chaise dans une salle de jeux truffée de métaphores se souvient de son enfance et des enfants de son âge qui y ont participé mais qui sont ne sont plus aujourd’hui.

Zoé Libault

Frédéric Bayer-Azem : « Je ne conçois pas l’étape du tournage sans une part de danger et de confusion, autrement on s’ennuie »

La découverte du film “Géronimo” fut l’un des moments forts de la dernière édition du festival Côté Court. Récit explosif de la confrontation entre un groupe de trentenaire branchés et d’une bande d’enfants sur une piste d’auto-tamponneuses, le court-métrage de Frédéric Bayer-Azem fait s’entrechoquer les corps et les genres dans un joyeux feu d’artifices. Issu du milieu ouvrier, devenu acteur avant de passer à la réalisation, Bayer-Azem est revenu pour Format Court sur son parcours singulier et sur ses méthodes de travail à l’occasion de la récente diffusion de son film au festival Silhouette.

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Comment es-tu arrivé au cinéma ?

Je suis de formation ouvrière, l’envie de faire du cinéma est venue assez tard dans mon parcours. Lorsque je suis arrivé en région parisienne, j’ai fait quelques rencontres qui m’ont amené à jouer dans des films. Ça m’amusait, et au moment où je découvrais le jeu, j’ai commencé à m’intéresser à la mise en scène, à la fabrication des films. J’ai pris l’initiative d’écrire un scénario de court-métrage, en dilettante. Lorsque j’ai découvert le G.R.E.C. et son système de production, j’ai monté un dossier très vite, en rédigeant une note d’intention dans l’urgence. Ils ont accepté de produire mon projet, alors j’ai tourné « Les Ficelles », mon premier court-métrage. Chez moi, il n’y a pas eu de déclic particulier. Je sais que beaucoup de réalisateurs sont animés très tôt par un désir ardant de faire du cinéma, mais ce n’est pas mon cas. Mon parcours est beaucoup plus hasardeux, chaotique.

Ton premier film « Les Ficelles » était produit par le G.R.E.C. qui met à disposition de ses lauréats un budget qu’ils ont la possibilité de gérer avec beaucoup de liberté. Le deuxième, intitulé « Pan », était une auto-production, tournée en deux jours avec une petite équipe. Comment c’est déroulé la collaboration avec Aurora Films, les producteurs de « Géronimo » ?

Très bien. A la base, j’ai voulu rencontrer Charlotte Vincent car j’ai presque vécu viscéralement la vision de ses productions comme « Sur la planche » de Leila Kilani et « Snow Canon » de Mati Diop. Je me disais : « Putain, qui a produit ça ? ». J’ai envoyé un mail un peu couillu à Charlotte où je lui exprimais mon envie de travailler avec elle. Elle m’a répondu, elle a vu et aimé « Les Ficelles », mais c’est surtout humainement que ça a bien collé. Une relation réalisateur-producteur, c’est avant tout une question de confiance et je dois avouer ne marcher qu’à ça.

J’ai senti que Charlotte était prête à me suivre et à me soutenir dans mes désirs. Assez vite, je lui ai proposé le scénario de « Geronimo » qui lui a beaucoup plu. On a su très tôt que la région Aquitaine nous soutenait, donc j’ai attrapé mon sac à dos et je suis parti faire les repérages en stop et en allant loger chez l’habitant. J’imagine que cette méthode de préparation a fait halluciner mes producteurs, mais ça m’a vraiment permis d’humer l’ambiance de la vallée d’Aspe.

Ensuite, est venu l’étape du tournage qui n’était pas simple. On n’avait que 6 jours de tournage et je suis du genre à foncer dès que j’en ai envie, donc le scénario et le plan de travail partaient vite a la poubelle ! Je n’aime pas la paperasse ni le découpage, alors c’était très bien comme ça. Cette façon d’être sur la corde raide a provoqué un peu de tensions avec l’équipe technique. Je ne les ai pas ménagés et pour ne rien arranger, j’ai la réputation d’être un peu borderline. Je suis sans cesse sur le qui-vive et dans l’urgence créativement parlant, pour que ça fonctionne. Je ne m’installe pas dans une scène, j’essaye toujours de la faire imploser de l’intérieur. Je ne conçois par l’étape du tournage sans une part de danger et de confusion, autrement on s’ennuie. Charlotte a compris assez vite que j’avais besoin de ça pour être bien.

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Peux-tu revenir sur la genèse de « Géronimo » ? D’où est venue l’inspiration ?

Après « Les Ficelles », je ne savais pas trop si je voulais continuer. J’avais quelques idées mais rien de concret. Lors d’une soirée, Yann Gonzalez m’a présenté Stephane Aicardi qui ne travaille pas du tout dans le cinéma. Il m’a parlé d’un scénario qu’il avait écrit à partir des codes du western dont il ne semblait pas vouloir faire quelque chose. J[a]’ai eu une drôle d’intuition, je lui ai demandé de m’envoyer son script le lendemain. J’ai adoré le scénario. Son histoire de trentenaires branchés qui colonisent un espace est devenue un carburant très fort !

Ce qui est drôle, c’est que juste avant de lire le scénario j’avais découvert « Sur la piste des Mohawks » de Ford, film que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur. Il y a des choses superbes, notamment les couleurs ou ce monologue complètement fou de Henry Fonda qui parle de l’horreur de la guerre, de retour d’une bataille. Cependant, au cinéma, je ne supporte pas de voir une minorité filmée sans cesse comme une bête curieuse barbare, symbolisant une irruption cauchemardesque. Je préfère nettement un autre western de Ford, « Les Cheyennes », où il a enfin l’air de ressentir dans sa chair l’agonie et la fatalité du destin des indiens. La compassion dépasse le constat.

J’adore Ford, mais même dans « La charge héroïque », quand l’Indien fait la paix, c’est d’abord une acceptation de la suprématie blanche. La paix, ça ne te sert pas à grand chose si tu continues à vivre comme un paria dans 4 mètres carrés et que tes voisins ont deux fois plus de droits que toi. Envisager la mise en scène par le prisme du western pour « Géronimo » était donc très stimulant. Bien sûr, il a fallu que Stéphane accepte que j’adapte son scénario sans en dénaturer trop le sens vu que j’avais envie de rajouter et d’enlever plein de choses. De toute façon, il savait pertinemment que ce travail de réécriture allait surtout prendre forme sur le tournage.

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On sent une profonde liberté, une envie d’expérimenter dans chacun de tes films. Il n’y a aucune grammaire préétablie, tu uses aussi bien de la caméra portée que du plan fixe ou encore de la caméra subjective sans que ça fasse « catalogue de procédés ». On a l’impression que chaque scène, chaque plan peut rentrer en collision avec le suivant et nous forcer à repositionner notre regard, à creuser plus loin. Comment envisages-tu la mise en scène ? 

Je ne sais pas trop ce qu’est la mise en scène et je crois que je ne le saurai jamais. La liberté et la recherche, tu la sens peut-être parce que je n’ai ni grammaire ni barrières. Combien de fois ai-je entendu : « Non, ça ne se fait pas » quand j’étais gamin ? À chaque fois, je réponds : « C’est bien pour ça qu’on va le faire : parce que ça ne se fait pas ». Je marche à l’intuition, lorsque j’ai une idée, je fonce sans me soucier de savoir si cela se fait ou pas. Je sais juste que ça m’amuse donc je le fais. Je ne me pose pas plus de questions, mais j’aime bien me dire qu’on creuse ensemble. Peut-être qu’un plan sera nul mais au moins j’aurais été au bout d’une idée.

Je n’ai pas envie de me protéger du cinéma par le cinéma, c’est-à-dire me protéger par la grammaire rassurante du cinéma… Ca m’ennuie. Tu parles de collision, c’est peut-être aussi parce que je marche à l’ellipse et que pour moi, le montage doit enrichir et bousculer la narration. Un raccord, c’est quelque chose de sensible, et ce n’est pas paradoxal. Un raccord ne doit pas être anodin. J’aime l’utilisation de l’ellipse lorsqu’on à l’impression que le personnage vous cache quelque chose, même un détail infime. Il y a toujours ce trouble que j’aime en tant que spectateur.

J’ai de la chance car mon monteur, William Laboury, est aussi dans cet esprit-là. Par contre, je déteste ce procédé quand ça devient une astuce de feignant pour doper la narration ou pour créer une vague idée de morcellement. Dans beaucoup de films, l’ellipse est un tic de scénario : on trouve qu’une scène est inutile et finalement on ne la montre pas, mais on à envie que le spectateur la devine tout de même ! Pourquoi pas, mais je ne trouve pas ça très stimulant. On oublie souvent que l’ellipse n’est pas une parenthèse, que c’est quelque chose de très concret : c’est du temps. Il s’est passé quelque chose d’important ou pas, on le sait, on sait ce que c’est ou pas, mais ça doit permette au public de se reprojetter dans le film.

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« Les Ficelles » et « Pan » étaient des huis-clos, tournés en grande partie dans des intérieurs d’appartements. L’action de « Géronimo » se déroule au grand air, dans un petit village de la vallée d’Aspe. C’était une envie forte de sortir de la grande ville, d’aller respirer ailleurs ?

Oui, un peu. Je passe mon temps à critiquer les films tournés dans des appartements et voilà que j’en ai fais deux (rires). Avec « Les Ficelles » et « Pan », j’avais essayé de casser ça et de faire vibrer un peu les cloisons. J’en avais assez de ne voir que des films en appartements, mais sans colère. On est enfermé entre 4 murs, ce qui est tout de même asphyxiant, et pourtant, dans le cinéma français, ça semble normal. Sinon, on joue sur le côté glauque et la solitude n’a plus rien de romantique et devient banal. Au moins, il y avait un élan chez Baudelaire. Les gens veulent être de plus en plus seuls. L’ironie, c’est que tu as l’impression qu’après ce désir accompli, ils n’arrivent plus à se supporter eux-mêmes. C’est ce qui me fatigue un peu dans le cinéma français, c’est de ne pas avoir l’ambition de toucher quelque chose d’universel, de toujours penser que se couper du monde, c’est le summum de la liberté.

Stéphane me disait que tout ça était très bizarre : d’un côté on est poussé vers de plus en plus d’individualisme, et de l’autre on évolue dans une société très grégaire. On éprouve toujours ce besoin d’être attaché à un groupe pour exister. [e]C’est un peu le sujet de « Geronimo » : comment échapper au groupe ? J’aimais bien le fait que le personnage de Geronimo soit une sorte de lumière. Face à ce groupe dont les membres sont dans une espèce de vide émotionnel, incapables de ressentir quoi que ce soit, Geronimo est bien présent. Mon Géronimo, c’est un peu le Terence Stamp de « Theorème » qui aurait découvert « Glee » !

Je voulais également prendre le temps en amont de découvrir ce village qui allait devenir mon décor pour ne pas débarquer avec mes gros sabots de réalisateur. Quand on arrive avec une grosse équipe dans un village de 500 habitants, ça fait forcément un peu « invasion ». J’avais un peu peur de ça, de ne pas savoir quoi faire de cet espace autour de moi. Je ne devais pas limiter l’ampleur à une frontière. Je voulais que le lieu regarde les personnages, autant que les personnages regardent le lieu. Ce plan avec la montagne qui fume au début du film, n’avait d’intérêt à mes yeux que si on se demande si ces montagnes contemplent, protègent ou menacent.

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Dans tes films, les personnages giflent, frappent, tombent, se roulent par terre. Le contact passe souvent par des gestes violents qui établissent des rapports de domination et de soumission entre les protagonistes. Comment travailles-tu avec les acteurs ? On imagine facilement que tu ne leur parles pas de psychologie, qu’ils doivent être disposés à aller vers des choses plus concrètes, plus instinctives.

Oui, pas de psychologie, je n’aime pas ça. Je ne parle pas beaucoup aux comédiens sur le plateau, mes indications sont surtout d’ordre gestuel car la composition d’un plan est quelque chose qui m’obsède. Trop peu d’acteurs essayent de créer du faux rythme ou d’aller chercher des moments de bascule, donc j’essaye de faire des choix en rapport avec ça, lorsque je sens quelque chose. Sur ce point, travailler avec Serge Bozon était justement un bonheur. Il invente sans cesse sa petite musique, c’était très stimulant pour moi. Et puis, j’avoue que j’adore quand ça joue un peu mal ou que l’on sent une fausse note.

J’ai aussi fait « Pan » car j’avais envie de trucs débridés. Je me suis toujours demandé ce que ça donnerait si Bergman avait tenté de nous faire rire. Pour moi, le rire peut jaillir du mutisme. Dans « Geronimo », il y a évidemment cette notion d’affrontement des corps qui se frôlent et pèsent comme dans « Les Ficelles ». Chez moi, dès qu’un personnage a l’air d’aller mieux, je ne peux pas m’empêcher de gâcher ce moment. J’imagine que cela tient aussi à la forme de mes films. C’est ma façon d’aimer les gens que je filme, c’est presque vital pour moi de traquer la douceur ou une promesse d’amour et d’envoyer ensuite valdinguer tout ça.

Quels sont tes projets pour la suite ?

J’ai quelques idées, mais j’attends vraiment d’avoir une idée fixe pour foncer. Tout ce que je sais, c’est que dans mon prochain film, je veux Isidora Simijonovic et plein de R’n’B. Je ne vais pas aller bien loin avec ça… J’avoue aussi que je m’interroge pour savoir si je vais continuer. Je ne sens pas vraiment de soutien pour les « films de recherche ». L’expression peut paraître un peu prétentieuse, mais après tout pourquoi pas. J’aime les gens qui cherchent. Après, que l’on trouve la solution, ce n’est pas très important. Quand je vois les courts métrages qui ont les faveurs des commissions et des festivals, je suis tout de même sceptique. Je ne vois pas de volonté de créer de l’utopie, on s’ennuie. J’ai l’impression de ne voir que des films de bons élèves, avec des virgules et des points à la ligne. Moi, j’aime trop raturer, faire des fautes et salir ma feuille.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Article associé : Côté Court 2014, morceaux choisis

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G comme Géronimo

Fiche technique

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Synopsis : Un groupe de trentenaires branchés débarque dans un village. Le jeune Géronimo, un as du volant, et ses amis, les attendent de pied ferme.

Genre : Fiction

Durée : 18′

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Frédéric Bayer-Azem

Scénario : Frédéric Bayer-Azem, Stéphane Aicardi

Directeur de la photo : David Ctiborsky

Montage : William Laboury

Son : Pierre Bompy, Quentin Coulon

Auteurs de la musique ; Jean-Charles Bastion, Thibault Lefranc

Interprétation : Serge Bozon, Caroline Fauvet, Shemss Audat, Olivier Chantreau, Rodrigo Castanon, Wissam Charaf

Production : Aurora Films

Articles associés : l’interview de Frédéric Bayer-Azem Côté Court 2014, morceaux choisis

Nouveau Prix Format Court au Festival du Nouveau Cinéma à Montréal !

Bonne nouvelle ! En octobre, quelques jours après le FIFF et Court Métrange, notre site attribuera un Prix Format Court au mythique Festival du Nouveau Cinéma à Montréal, au sein du Focus Québec. C’est la première fois que notre revue remettra un prix à l’étranger. Pour l’occasion, le jury Format Court (Fanny Barrot, Katia Bayer, Agathe Demmanneville, Mathieu Lericq, Nadia Le bihen-Demmou) jugera les 33 films québécois sélectionnés.

À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé. Celui-ci sera acheté et diffusé lors d’une séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Films en compétition

– Seth’s Dominion de Luc Chamberland
– La mallette noire de Caroline Monnet
– La Grange de Caroline Mailloux
–  Sleeping Giant de Andrew Cividino
– Let Me Down Easy de Matthew De Filippis, Elisia Mirabelli
– Plage de sable (The Sands) de Marie-Ève Juste
– Once Upon A Kingdom – Un Royaume déménage de Raphaël J. Dostie, Terence Chotard
– Nan Lakou Kanaval de Kaveh Nabatian
– To Taste the Ground de Shannon Harris
– Le Voyage du Soldat de Annie Deniel
– Le Pier de Mireille Dansereau
– Blue Signal de Michael Yaroshevsky
– Avec le temps de Mark Morgenstern
– Turn off before living de Annick Blanc
– Intruders de Santiago Menghini
– The Weatherman and the shadowboxer de Randall Lloyd Okita
Petit frère de Rémi St-Michel
– Loulou ou la Résurgence de Ines Guennaoui
– It Was Sunny The Day I Killed Her de Kenneth J Harvey
– Mynarski chute mortelle de Matthew Rankin
– Sale gueule de Alain Fournier
– Del Ciego Desert de François Leduc
– Glom de Stephen Shellenberger
– Feu de Bengale (Bengale Light) de Olivier Godin
– Secret Citadel de Graeme Patterson
– Day 40 de Sol Friedman
– Coda de Denis Poulin, Martine Époque
– CHAINREACTION de Dana Gingras
– You look like me de Pierre Hébert
– Step Well Pilgrim de Duncan McDowall
– Home Cooked Music de Mike Maryniuk
– Fire in the Valley de Zac Barkhouse, Courtney Kelsey
– Transfer de Chris Spencer Lowe