Dans la tête d’Henry Moore Selder

Prix Format Court à Court Métrange 2014, « A Living Soul » nous fait partager les réflexions d’un cerveau humain maintenu en vie artificiellement. La vision de ce film curieux donne envie d’en savoir plus son réalisateur. À défaut d’avoir pu fendre le crâne d’Henry Moore Selder pour y observer le fonctionnement de son cerveau, nous avons regardé ses précédents travaux – court-métrages, clips et pubs – afin d’en tirer quelques enseignements.

Stanna klocka stanna

Henry Moore Selder (né en 1973 à Stockholm) partage ses activités entre la musique et le cinéma, souvent les deux en même temps. Musicien, il a collaboré à plusieurs albums au début des années 2000, en particulier au sein du duo d’électro PuppetMasters. Réalisateur, il a signé entre le milieu des années 90 et aujourd’hui plus d’une trentaine de clips, essentiellement pour la scène rock suédoise ainsi que quelques artistes anglo-saxons. La forme courte du clip lui permet de s’essayer à différents genres et techniques : l’animation en 2D (le clip « Shut Your Mouth », une parodie de talk show pour Garbage en 2001) et l’image de synthèse (« With Every Heartbeat » pour la chanteuse suédoise Robyn en 2006), la prise de vue en relief (« Stanna klocka stanna », pour l’improbable groupe Bob Hund et son chanteur masqué en 2011), la comédie musicale (« Ain’t Getting Nowhere » du groupe Monster est en 1999 un ballet façon « West Side Story » punk) et l’insolite (dans le clip de « River Running Wild » en 2012, le groupe Woodland fait du canoë et pagaie avec ses instruments de musique). On retrouve cette joyeuse bizarrerie dans les pubs de Moore Selder : une chèvre qui chante pour promouvoir son fromage, une parodie de King Kong pour Hyundai, des scènes de bar surréalistes pour la bière Tiger…

Les quatre premiers courts-métrages de Moore Selder apparaissent comme des hybrides entre le cinéma et le clip. « Dans Let There Be Drums  » (1999) il filme un musicien effectuer un solo de batterie dans un sous-sol : un film sans histoire ni personnage, entre la vidéo expérimentale et la bande démo musicale. À la même époque, le réalisateur entame une collaboration de trois films avec la chanteuse Sara Lundén (pour laquelle il signera également plusieurs clips). Dans « Harlem » (1999), « Deadly Boring » (2001) et « She Is Dead », la talentueuse musicienne occupe les fonctions de scénariste, compositrice et d’interprète principale (dans son propre rôle pour les deux premiers films).

La « trilogie Lundén » permet d’observer l’émergence du style du cinéaste, qui abandonne progressivement la réalité pour créer un univers personnel. Chaque film est plus long que le précédent avec une dimension fictionnelle plus affirmée et une création visuelle plus marquée. « Harlem » montre Sara Lundén marcher en chantant dans les rues du quartier populaire de New York. La caméra portée et le grain de la pellicule évoquent la patine documentaire du cinéma des années 70 ; une impression de prise sur le vif renforcée par le début d’agression dont est victime le caméraman, au milieu de la chanson, lorsqu’un passant lui reproche de l’avoir filmé. Filmé dans le même 16 mm vintage, « Deadly Boring » reconstitue une des performances musicales excentriques de Lundén et sa troupe, dans un bar au milieu de nulle part. Avant et après le spectacle, la jeune femme continue de trainer son spleen en chantant, héroïne de Jacques Demy perdue chez Jim Jarmusch.

À l’opposé de cette approche presque documentaire, « She Is Dead » assume son artificialité par le choix d’un Scope noir et blanc. L’histoire est celle d’un amour fou que n’auraient pas renié les surréalistes : la passion d’un médecin pour une diva récemment décédée dont il doit effectuer l’autopsie (en musique, avec des cadavres qui chantent !). Avec ce film, Moore Selder accomplit son passage à la fiction et aborde pour la première fois, avant « A Living Soul » , le monde médical et ses corps (ou morceaux de corps) à la fois morts et vivants.

En 2004, « A Thorough Examination » développe cet intérêt pour la science avec la confrontation tendue, en huis clos et sans musique, entre un soldat et un savant fou. Un suspense minimaliste mais efficace dans lequel il serait tentant de voir un prélude aux mystérieuses expériences d’« A Living Soul » : le cerveau qui parle du dernier film en date de Moore Selder serait-il celui celui du soldat mort pour la science d’« A Thorough Examination » ?

Entre ces deux films s’intercale Köra runt (2007), consacré aux pérégrinations d’un voleur de voitures qui vient de sortir de prison. Le choix d’un sujet réaliste et l’assagissement du réalisateur ne sont qu’apparents et, rapidement, le voyage prend une dimension onirique, émaillé de rencontres insolites. On n’en attendait pas moins de la part d’Henry Moore Selder.

Sylvain Angiboust

Pour information,  « A Living Soul » sera projeté à l’occasion de la Soirée Format Court le jeudi 13 novembre 2014 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème)

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