Synopsis : Deux hommes se transforment en ballerines à tête de cheval et tutu, pour un ballet aussi bestial qu’impromptu.
En 2010, à l’occasion de l’exposition Edgar Degas « Figures in Motion », la Art Gallery of Alberta (Edmonton, Canada) passe commande au réalisateur Trevor Anderson. Cela donne naissance à « Figs in Motion », une petite perle d’improvisation filmée en caméra super 8. Deux hommes en tenue de ballerine s’adonnent à des entrechats chaotiques accompagnés au piano. Après une pause cigarette et bourbon, ils dansent, coiffés de tête de chevaux sur un morceau punk rock. Le tout en fumant des nasaux. Le cadre est décomposé en trois cases aux images identiques, en noir et blanc, d’abord synchrones, puis décalées dans le temps et finalement différentes. Cette décomposition du mouvement rappelle le travail d’Eadweard Muybridge. Rien d’hasardeux dans ce rapprochement entre les danseuses impressionnistes et les prises de vue équestres du photographe : Degas s’est intéressé de près aux études argentiques de ce dernier.
Nos deux petits rats de l’opéra cultivent ici l’art de la chute (au sens propre), accentué par le retard temporel et la répétition dans les trois cadres. Le contraste obtenu par leur travestissement est délectable, leur corps tout de poils et de barbes jouent de ces charmants tutus et collants. Grâce burlesque ou gaucherie délicate pour cet objet clownesque ? Une parfaite jouissance de l’absurde.
Après avoir diffusé les courts-métrages de Shanti Masud et de Frédéric Bayer-Azem, L’Archipel accueillera le premier long-métrage inédit en salles de Maxime Martinot, « Trois contes de Borges » dans le cadre du cycle « À la rencontre du jeune cinéma français », réalisé en partenariat avec Format Court.
Les « Trois contes de Borges » mettent à l’oral trois textes du célèbre écrivain argentin, publiés en 1975 : El otro, El disco et El libro de arena. Trois contes fantastiques où se monnaient les objets de l’éternité qui, à portée de main, mettent en péril nos rapports au temps, à l’image, au langage.
Réalisé dans une grande liberté et grâce au concours d’une multitude de jeunes techniciens encore étudiants, ce premier long-métrage de Maxime Martinot produit par le Collectif Comet est une oeuvre résolument atypique, de par son format (le film est intégralement tourné en 16 mm) et son modèle économique (trois sessions de tournages correspondant chacune à l’un des trois contes) dans un premier temps. Ensuite, parce qu’il témoigne de l’exigence d’un jeune réalisateur attentif aux mouvements de la nature, à la puissance de la parole et soucieux de développer une véritable écriture cinématographique, geste rare et précieux qui s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de ces rencontres.
À l’issue de la projection, le cinéaste dialoguera avec Marc-Antoine Vaugeois (rédacteur à Format Court).
Programme : Trois contes de Borges (2014)
Durée : 1h17
Infos : Cinéma L’Archipel : 17 boulevard de Strasbourg – 75010 Paris M° 4, 8, 9 Strasbourg St Denis/Château d’eau /Bonne Nouvelle
Tarifs
– 8 € / plein
– 6,5 € / réduit (étudiants, demandeurs d’emplois, plus de 60 ans sur justificatif sauf week-end et jour de fête)
– 4 € pour les – de 14 ans
Invité d’honneur de la trente-septième édition du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, l’Empire du Milieu s’y est offert une rétrospective de six programmes rassemblés sous le titre évocateur de « Apprivoiser le dragon », composée de pas moins de vingt-neuf courts métrages de fictions, d’animation et de documentaires.
Les films programmés à Clermont-Ferrand offraient un portrait composite de la Chine contemporaine où l’attachement aux valeurs traditionnelles côtoyait le besoin frénétique de liberté. Au cœur des films, on a été frappé de retrouver en filigrane un goût prononcé pour des histoires atypiques et des personnages en proie à la solitude et à l’isolement. Un doux sentiment de « perditude » parsemait ces œuvres originales, témoins précieux d’une société en pleine mutation.
Si « 6th March » de Chun Wong présenté dans le programme 1 et déjà remarqué au Festival de Clermont-Ferrand l’an dernier, met en évidence les clivages idéologiques de la Chine d’aujourd’hui dans une mise en scène de la garde à vue de trois étudiants hongkongais. « Dalinuoer » de Nan Ma, présenté dans le programme 2, quant à lui, aborde la notion de frontière et de décalage à travers une histoire plus intimiste, celle d’un homme qui vingt ans après, part à la recherche de sa fille qu’il n’a jamais vue. Filmé en plans larges renforçant ainsi l’impression de solitude des personnages, « Dalinuoer » est une belle histoire d’amour entre deux écorchés en pleine crise existentielle qui les conduit à parcourir ensemble des paysages désertiques et désolés, reflets du vide intérieur qui les habite.
Dans le même programme, on est content de retrouver « On The Way To The Sea » (Prix Spécial au Jury Labo à Clermont en 2011), un documentaire expérimental réalisé par Tao Gu sur le tremblement de terre qui a touché la région chinoise de Wenchuan le 12 mai 2008. Le décalage est ici provoqué par la forme du film qui mêle des éléments fictionnels à des fragments documentaires tendant habilement la réflexion vers l’abstraction.
Dans le programme 3, on est impressionné par la justesse des fictions « Katyusha » de Jie Ding et « See Tiger Together » de Xiaorao Zhou. Les deux traitent de la naissance d’un amour impossible. La première utilise la mise en abyme en montrant le tournage d’un film d’époque dans un petit village reculé de la Chine. Xu est un adolescent bien plus intéressé par l’une des actrices du film que par l’école. Il fait tout pour dénicher un rôle de figurant dans le but d’approcher l’objet de son affection même si celui-ci ne le remarque qu’à peine. Katysusha, nom que Xu donne à celle qui l’intrigue, navigue entre espoir et désillusion, passé et présent, fantasme et réalité. La seconde fiction aborde la rencontre improbable entre une danseuse de pole dance russe et un Chinois. Tanya débarque en Chine pour y danser dans un club à la clientèle lubrique. Dès les premiers plans, elle se positionne en marge, noyée dans une réalité qu’elle a du mal à appréhender et dont elle ne maîtrise pas les clés culturelles et linguistiques. Sa prestation pour être engagée dans le club se termine d’ailleurs par une splendide chute. Peu sociable et renfermée, Tanya utilise la danse comme moyen d’expression mais elle reste malgré tout en dehors de cette société qui la mate sans vraiment la regarder. Elle se passionne pour les tigres. Ainsi passe-t-elle ses moments de liberté à regarder une chaîne de télévision sur les animaux dans un petit snack situé à proximité de son logement. Elle y fait la connaissance de Youzi, un autochtone qui a fui sa ville d’origine. Tous deux étrangers, intrigués et attirés l’un par l’autre, tentent de se rapprocher mais la barrière linguistique les empêche de se comprendre. Comme les protagonistes de « Lost in Translation » de Sofia Coppola, Tanya et Youzi partagent leur solitude sans jamais se rencontrer vraiment. Banal en apparence, ce premier film brillamment mis en scène sonne le glas de la « perditude » soulevant par là les questions d’appartenance et d’identité dans un pays immense à la culture diversifiée.
« Home Video Argentina » de Xiao-Xing Cheng, présenté dans le programme 4 et sélectionné au Cinéma du Réel en 2005, est un documentaire expérimental qui relate les retrouvailles du réalisateur avec l’un de ses oncles parti vivre en Argentine dans l’espoir d’un avenir meilleur. Raconté à la première personne, ce journal intime cinématographique tourné en caméra DV est un essai particulier sur l’exil et l’immigration. Porteur d’illusions et d’espoirs, l’oncle, surnommé « Petit six », a quitté sa Chine natale en croyant faire fortune en Argentine. Des années après, Xiao-Xing et sa mère, eux-mêmes immigrés à Paris, rendent visite à cet oncle mystérieux et découvrent un homme vieilli et marqué par le sacrifice. Au lieu de la belle vie promise, il travaille sans relâche en tant que gérant d’un magasin d’alimentation, installé dans un minuscule deux-pièces au-dessus de la boutique, gagnant à peine de quoi subvenir à ses besoins. L’autre face de l’immigration est montrée sans fard ni jugement dans ce court métrage qui s’approche du film de famille sans toutefois en être un tant le point de vue du cinéaste participe d’une certaine universalité. En naviguant entre mémoire familiale et mémoire collective, Xiao-Xing déterre le passé et met en lumière le destin des quelques exilés que la misère et l’espoir ont conduit à rêver entre deux rives.
Le programme 5 réserve quelques jolies surprises dont l’audacieux documentaire « The Questioning » de Rikun Zhu ainsi que le très poétique « The Present » de Ruijun Li plongeant le spectateur dans un espace infini de la province de Gansu, située au nord-ouest de la Chine. Dorji est un garçonnet qui appartient à la communauté ethnique des Yugur (descendants de Mongols). Il occupe la plupart de son temps à aider son grand-père grabataire et à surveiller le troupeau de moutons en compagnie de sa mère. Il nourrit une amitié avec Tsolmon, vivant à dix kilomètres à la ronde. Ensemble, ils parcourent les contrées désertiques à cheval jusqu’au jour où Tsolmon doit s’en aller. Doté d’une grande économie de moyens, « The Present » s’inscrit dans la lignée des films ethnographiques contemplatifs. Sans être toutefois un documentaire, le film s’attache à présenter le quotidien d’une minorité chinoise trop peu connue.
Enfin, dans le dernier programme, le 6, « Le Banquet de la concubine » de Hefang Wei fait office d’animation originale sur le désir et la jalousie. Sous la prospère dynastie Tang, en 746, l’empereur Li organise un banquet en l’honneur de Yang, sa concubine favorite. Le jour de la fête, le bien aimé se fait attendre. Désespérée, la préférée se noie dans les vertus éthyliques d’un breuvage efficace persuadée que l’empereur la trompe avec une autre concubine. En lice pour les César 2014, le mélange doux-amer d’érotisme et de perfidie féminins du film de Hefang Wei avait fait mouche à sa sortie. Mais loin de la légèreté qu’il semble dégager, « Le Banquet » dépeint l’univers de la Chine féodale où l’individualité n’a pas de place.D’une Chine à l’autre, la question demeure.
S’étalant sur la décennie écoulée, les six programmes révèlent les intérêts et les obsessions de la jeune génération de cinéastes chinois permettant une réflexion sur la situation actuelle d’un pays et d’une culture aussi complexe qu’interpellante.
Moins repérés que les longs (« Birdman », « Boyhood », « Ida »), les courts ont aussi eu droit à leurs prix cette nuit aux Oscars. Si « La Lampe au beurre de Yak » n’a pas été distingué par les membres de l’Académie, trois autres films sont repartis avec leurs statuettes dorées.
Fiction : The Phone Call de Mat Kirkby et James Lucas (Royaume-Uni)
Vendredi soir, de 19h à 1h du matin, les membres de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma ont vécu et supporté tant bien que mal la très longue des Nuit des César. Ceux qui avaient prévu le coup avaient emmené un coussin avec eux et récupéré leurs manteaux avant la fin. Les autres, coincés au milieu des rangées, fermaient de temps en temps un oeil en espérant que les caméras de Canal ne leur fassent pas de mauvaises blagues.
Comme d’habitude, Edouard Baer, le maître de cérémonie, invitait les primés à faire court. C’était sans compter les remerciements généralisés (« Merci à mes parents, mes enfants et mon poisson rouge sans qui je ne serais pas là »), les imprévus (Abderrahmane Sissako remontant plusieurs fois sur scène) et les moments d’émotion qui ne pouvaient que s’installer dans la durée (le discours généreux et touchant de Pierre Niney ou encore M et Ibrahim Maalouf jouant ensemble).
Au bout de plusieurs heures aux César, on commençait toutefois à trouver le temps long et à gigoter sur son siège numéroté en velours. C’est à ce moment-là que le César du Meilleur court métrage d’animation a été décerné à Chloé Mazlo et à ses « Petits cailloux », un film coloré, un tantinet trop long, parfois un peu trop appuyé, s’intéressant aux angoisses d’une jeune femme incarnée par la réalisatrice elle-même. Malgré ses petites imperfections, le film doté de bonnes intentions et de jolies trouvailles animées, produit par Jean-Christophe Soulageon (Les Films Sauvages), s’est distingué face aux trois poids lourds bien moins intéressants : le mignon mais trop enfantin « La petite casserole d’Anatole » de Eric Montchaud, le visuel mais peu stimulant « Bang Bang ! » de Julien Bisaro et le beaucoup trop long « La bûche de Noël » de Patar et Aubier.
Par la suite, les choses se sont compliquées. Quand l’enveloppe s’est ouverte et que « La Femme de Rio » de Emma Luchini et Nicolas Rey a été désigné comme le Meilleur court métrage de l’année, certaines têtes fatiguées ont sursauté, l’hébétement s’est installé et les discours prévus par les autres courts-métragistes en lice sont allés valser à la poubelle.
Sans qu’on sache vraiment pourquoi, « La Femme de Rio », l’un des pires films français jamais vus, faisait partie de la shortlist des 6 films en lice. Sans qu’on sache vraiment pourquoi, le film le plus faible en termes de scénario, d’intrigue et de jeu d’acteurs, a obtenu le César.
On sait à quel point le jeu est cruel pour les laissés-pour-compte et que le court, format mal aimé, a besoin de valorisation et d’une vitrine telle que celle des César pour gagner en visibilité. On sait aussi que chaque année, les César offrent leur lot de contentement et de mécontentement. Si la profession a su distinguer à juste titre certains films ( « Les Combattants », « Timbuktu »), elle est complètement passée à côté des cinq autres courts en lice pour le César (et en premier lieu « Les Jours d’avant » de Karim Moussaoui).
Rappeur, compositeur, écrivain et réalisateur depuis l’adaptation de son livre éponyme Qu’Allah bénisse la France (nommé dans la catégorie Meilleur Premier Film aux César de ce soir), Abd Al Malik qui était présent à Clermont-Ferrand en tant que membre du jury de la compétition nationale, porte ses différentes casquettes avec autant d’élégance que d’à propos. Brève rencontre autour du cinéma et de l’engagement.
Format Court : Quel rôle le cinéma a-t-il joué et joue-t-il encore dans votre vie ? Quels sont les cinéastes qui vous ont influencé ?
Abd Al Malik : Le cinéma, pour moi, a été presque un prisme à travers lequel j’ai vécu mon enfance et mon adolescence. En tout cas dans le milieu duquel je suis issu, que ce soit positivement ou négativement il a été l’outil culturel par excellence. Il a donc tenu une place très importante. Après, en terme de passion personnelle, c’est vrai que le cinéma, la littérature et la musique sont à égale distance. Quant aux cinéastes, il y en a tellement. Des gens comme Visconti, Coppola, Kassovitz, Scorsese, Spike Lee ou même Truffaut et Bresson m’ont beaucoup inspiré.
Vous êtes, slameur, rappeur, écrivain et depuis peu vous êtes passé à la réalisation avec l’adaptation de votre livre « Qu’Allah bénisse la France » ? Pourquoi cette envie de réalisation, tout à coup ?
Mais en réalité, ce n’est pas une envie subite, c’est seulement que, j’ai fait les choses par étape. La première des choses qui m’a été le plus simple, le plus naturel, c’était la musique, et ensuite l’autre étape ça a été d’écrire des bouquins et donc pour moi, le cinéma était une suite logique. Ensuite, quelqu’un comme Matthieu Kassovitz notamment m’a beaucoup motivé et m’a dit que je devais passer à la réalisation.
Quel lien faites-vous entre l’écriture de slam, l’écriture romanesque et l’écriture cinématographique ?
Le lien, c’est l’image. C’est à dire un vrai rapport à l’image. Au cinéma, on peut faire des passerelles avec la littérature, la poésie, l’art pictural, la musique mais ce qui est merveilleux c’est que le langage cinématographique est un langage à part entière. Ce n’est ni de la littérature, ni de la poésie, ni de la musique même si on peut y retrouver tout cela. Grâce à la réalisation de mon premier film, je rentrais dans un rapport au monde et à l’art assez différent. C’était passionnant.
L’engagement est une notion que l’on retrouve beaucoup dans vos slams, ils sont pour la plupart engagés. Le cinéma pour vous doit-il être aussi engagé?
Oui, naturellement. Quand j’entends les gens qui disent « artiste engagé », c’est un pléonasme. Même un cinéaste qui va nous raconter une histoire d’amour nous raconte quelque chose de lui, même s’il n’est pas en train d’aborder des enjeux majeurs, c’est un engagement. Cela reste une voie singulière qui s’élève.
La position de l’artiste implique nécessairement un engagement…
Oui, pour moi, l’art et a fortiori le cinéma sont toujours engagés.
On vous considère souvent comme le porte-parole de la jeune génération issue de l’immigration. Vous en pensez quoi ?
Ce n’est pas mon intention mais c’est quelque chose que j’assume. De toute façon, à partir du moment où l’on donne de la voix et que l’on représente, qu’on le veuille ou non, un milieu à qui l’on ne donne pas la parole, cela implique forcément une responsabilité.
Vous êtes ici à Clermont-Ferrand en tant que membre du jury de la compétition nationale. Est-ce la première fois que vous faites partie d’un Jury de cinéma?
Non, ce n’est pas la première fois. Cet été, j’ai fait partie du Jury du Festival du film francophone d’Angoulême Mais c’est vrai que être ici à Clermont, c’est très important, pour moi.
Pourquoi ?
Parce que le festival du court métrage de Clermont est un festival prestigieux. Je suis ici et c’est merveilleux. Ces gens qui viennent de différents pays, ces différents films, cette espèce de rigueur, cette richesse en même temps, cette joie de partager…
Quelles sont vos impressions générales par rapport à ce que vous avez déjà pu voir ?
J’ai envie de dire courage et liberté. J’ai vu du courage et j’ai vu de la liberté.
C’est quelque chose qui vous inspire?
Carrément, c’est un « boost » magnifique d’être là et de voir des films et de se dire que le réalisateur est allé jusque là. Et puis il y a les discussions avec les autres membres du jury. Cela permet des échanges merveilleux et de se remettre en question aussi. Je trouve que c’est des moments rares.
Avez-vous des envies de réaliser d’autres films ?
Pour tout vous dire, je suis déjà en train de travailler sur mon prochain long.
Et réaliser des courts métrages, c’est quelque chose qui reste envisageable ?
Oui, bien sûr. Moi, je réfléchis en termes d’opportunités. Il n’y a pas de calcul dans ma manière de travailler. Et si jamais l’opportunité se présente, j’avoue que c’est une forme qui m’intéresserait.
« Quelle merde vous avez dans le cœur et dans la tête, vieux Père-Noêl, pour laisser sous mon lit une toupie, une trompette et une balle en plastique !!! ». Hélas, c’est bien connu, plus l’espérance est grande, plus la déception est violente… Et pour Jaimito, petite canaille des bidonvilles de Santiago (Chili), qui tout au long de l’année s’était donné un mal fou à troquer son attitude de diablotin contre une réputation de garçonnet aussi mignon qu’exemplaire, rien n’excusera jamais, ô grand jamais, l’affront qui lui a été fait. La bicyclette, le train électrique, la paire de patins à roulettes et le jeu d’Atari : où sont donc les récompenses de cette année rude en complaisance ? Aider les vieilles à traverser et se tuer le cerveau à étudier n’aurait donc servi à rien ? Bien décidé à descendre le personnage légendaire de son piédestal, le jeune chilien lui a concocté une lettre qui sent clairement le sapin, dans une prose latine injurieuse n’ayant rien à envier à l’irrévérencieuse chanson de Renaud, « Le Père Noël Noir », qui à l’époque déjà, lui promettait un aller-retour express vers le Pôle Nord.
À la voix-off éraillée d’un gamin empreint d’une franchise de tête brûlée aussi attachant que l’était Antoine Doinel dans « Les 400 coups » de François Truffaut, se superpose des images de docu-fiction amateur, dévoilant un enfant en proie à l’errance dissimulé derrière des pitreries gaguesques, le rapprochant alors d’une autre célèbre figure du cinéma, le personnage burlesque de Charlot. En utilisant les armes du rire et du cynisme, Jean-Baptiste Huber en profite pour attirer l’attention du spectateur sur les répercussions de l’extrême précarité qui règne au sein des bidonvilles et dont les plus petits, pas toujours désirés, sont les premières victimes. Enfin, en confrontant tradition et condition sociale sur un ton explosif, le court-métrage « Viejo Pascuero » met en lumière des phénomènes sociaux tels que l’influence, les normes, le conformisme ou encore la comparaison sociale, desphénomènes universels auxquels aucun individu ne se soustrait, ce quelque soit sa situation socio-culturelle, économique, politique ou son groupe d’appartenance.
Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, auteur du très beau « Timbuktu », en compétition à Cannes l’an passé, présidera le Jury de la Cinéfondation et des Courts métrages à l’occasion de la 68e édition du Festival (13-24 mai 2015).
Composée de 20 premiers courts d’animation européens, la programmation des Plans Animés 2015 a brillé par son éclectisme rappelant que l’animation fait souvent preuve de plus de liberté et d’expérimentation que la fiction. Si le Jury Format Court a unanimement salué la poésie et la maîtrise de « Kijé » de la Française Joanna Lorho en lui consacrant un Prix Format Court (nous y reviendrons prochainement dans un focus spécial sur le site), d’autres courts de cette sélection valaient également le coup d’œil.
À commencer par « Entre chiens et loups » de Reza Amirriahi réalisateur iranien étudiant à La Poudrière, célèbre école de cinéma d’animation située à Valence par où sont passés notamment Paul Cabon (« Tempête sur Anorak ») et Benjamin Renner (« La Queue de la souris », « Ernest et Célestine ») pour ne citer qu’eux. Peinture animée dans un camaïeu de bruns « Entre chiens et loups », film de fin d’études, est le portrait de Sohab, jeune homme vivant à Téhéran qui, effectuant son service militaire, est contraint de réprimer violemment des manifestants. Extrêmement court, le film est sombre, faisant même appel aux figures picturales de Munch lorsque le cinéaste met en scène des manifestants aux visages déformés par leurs cris. Évidemment politique, le film critique un régime militaire et totalitaire dans une veine très différente de « Persepolis » de Marjane Satrapi. On suivra avec attention le parcours de cet auteur doté d’une belle maitrise.
On a également été marqué par « Port Nasty » de Rob Zywietz et « Oripeaux » de Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu, deux films où il est notamment question de chasse, à la baleine pour l’un et aux coyotes pour l’autre. Si l’héroïne d’ « Oripeaux » évoque inévitablement la figure japonaise de Princesse Mononoké avec sa peau de bête sur le dos et son caractère guerrier quand elle défend une meute de coyotes contre des hommes qui cherchent à les abattre, le héros de « Port Nasty » (Prix Arte à Angers) est quant à lui plus clairement une victime, tentant maladroitement de se faire accepter par une bande de pêcheurs bourrus qui l’initie à la pêche à la baleine, dans une ambiance de fin du monde. Si l’une sauve ses protégés à quatre pattes, l’autre devra tuer pour ne pas être encore plus ostracisé.
Si les animaux restent une valeur sûre en animation (on passera sur « Chaud lapin » et « Imposteur » qui tout deux, mettent en scène des créatures animales hybrides à la manière des créatifs de chez Orangina, concept toujours un peu malaisant comme on dit au Québec), d’autres réalisateurs prennent le parti d’un univers plus proche de l’abstraction, ce qui est le cas de « Hunger » de Petra Zlonoga qui part du végétal (la graine) pour en venir à l’animal (l’œuf) et enfin à l’humain (la rencontre). Joli film avec un travail réussi sur le son, « Hunger » offre quelques moments de poésie bien pensés et loin de toute facilité.
On notera tout de même que peu après la clôture de la 27e édition du Festival d’Angers, nous apprenions la disparition du Festival de Vendôme qui venait en décembre dernier de fêter sa 24e année, un autre festival cher à la rédaction de Format Court et dont nous étions également partenaires.
Vendôme, tout comme Angers, a toujours privilégié la découverte de nouveaux auteurs et plus particulièrement à travers des programmes de courts. Si le succès chaque année plus important du Festival de Clermont-Ferrand vient rappeler l’importance de ce format, la suppression d’un festival reconnu et respecté comme Vendôme est clairement un mauvais signal pour la suite. Quel avenir pour Pantin, Brive, Belfort, Brest et les autres ? Les festivals, premiers lieux de diffusion du court métrage seront-ils sacrifiés par mesure d’économie et de rentabilité ? Restons vigilants, sur la durée.
Chaque année, la Procirep récompense une société de production de courts-métrages lors du Festival de Clermont-Ferrand, ce qui met en lumière un producteur, sa carrière et ses productions passées et à venir. En 2014, Envie de tempête Productions et son créateur-directeur Frédéric Dubreuil se sont vus remettre ce prix. Le producteur a bénéficié d’une dotation de 5.000€ à utiliser sur une prochaine production de court-métrage et d’une carte blanche lors de la dernière édition du Festival de Clermont-Ferrand.
Nous avons rencontré Frédéric Dubreuil dans ses bureaux du 20e arrondissement à Paris pour une discussion passionnée sur le métier de producteur tel qu’il le conçoit et sur le cinéma en général. Alors que le court-métrage Inupiluk est nommé aux prochains César et qu’il prépare deux tournages de longs-métrages, le producteur n’oublie en aucun cas ce qui l’a motivé à ses débuts, c’est-à-dire un cinéma engagé politiquement et artistiquement avec une nécessité de continuer à des films.
Format Court : Peux-tu nous parler de ce qui t’a amené à faire du cinéma ?
Frédéric Dubreuil : Très jeune déjà, je faisais des petits films en super 8. Je devais avoir 6 ou 7 ans et je m’amusais à faire des petits films d’animation avec la caméra de mes parents. Depuis le début, sans que je puisse expliquer pourquoi, j’avais ce désir de faire du cinéma et plus particulièrement de la réalisation. J’ai donc orienté toute mon adolescence dans ce sens-là. J’ai commencé à faire du théâtre assez jeune en tant que comédien amateur. Après, je suis rentré dans une troupe permanente. Je suis devenu administrateur presse en même temps. En parallèle, je faisais un BTS audiovisuel option montage à Boulogne. Ça a duré deux ans. A côté, j’ai créé une association avec des amis techniciens pour faire des courts-métrages que je réalisais à l’époque. De fil en aiguille, pour essayer de toucher des subventions, on a décidé de créer Envie de Tempête Productions sur cette même base, dans l’idée de produire et diffuser mes films, mais aussi de produire d’autres ceux des autres. J’ai toujours eu le goût d’accompagner, que ce soit en presse pour la troupe de théâtre ou pour nourrir des projets des autres au niveau cinématographique.
En effet, je ne cherchais pas à vouloir être à tout prix réalisateur et à ne faire que ça. Il y avait vraiment cette idée de fédérer des compagnons et des camarades réalisateurs pour qu’on puisse, ensemble, faire des films, plutôt dans un esprit un peu frondeur avec initialement une volonté de remettre en question des choses. C’est pour cette raison que le format du court-métrage était naturellement évident puisque c’est selon moi, le seul endroit du cinéma où l’on peut se permettre d’être impertinent, tenter des choses et surtout, les rater. Ce droit-là est fondamental lorsqu’on apprend nos métiers.
Est-ce qu’à la base du nom de ta société de production, Envie de Tempête, il y a une intention militante ?
F.D. : Bien sûr oui, toujours aujourd’hui, je pense, même si ça a évolué avec mon âge et mon expérience. Pour la petite histoire, au début, nous avions pensé à Avis de tempête. Nous sommes allés à l’INPI pour protéger le nom et nous nous sommes aperçus que quelqu’un d’autre avait déjà déposé ce nom. En fouillant un peu, je me suis rendue compte que la personne avait déposé une quinzaine de noms en relation avec Avis de tempête et j’ai eu peur qu’elle protège plein de noms pour faire des procès derrière. Nous avons donc arrondi à Envie de tempête et je ne le regrette pas. Le nom est, à mon avis, plus percutant, voire plus amusant avec le jeu de mots. De plus, il correspond à notre idée de désir militant et à celui de faire des films. J’ai toujours eu envie que l’on apprenne par nous-mêmes, que l’on remette en question des choses, le cinéma de fait et que l’on continuer à chercher. J’apprécie le fait de prendre des risques et de proposer des œuvres pas forcément attendues. Je trouve mon plaisir de producteur dans ce genre de pari. Je préfère même quelque part, un film un peu raté mais qui tente quelque chose qu’un film bien fait mais dont on ne se souvient plus une semaine après. Au risque de paraître prétentieux, l’ambition qu’il y a derrière tout ça est de faire des films marquants.
Tu évoques des films marquants avec des aspects militants, mais y a-t-il pour autant une ligne éditoriale chez Envie de Tempête ? La question se pose surtout lorsqu’on observe les œuvres de deux des auteurs que tu suis, Jean-Gabriel Périot et Sébastien Betbeder, qui sont résolument différentes.
F.D. : En vieillissant, les choses s’affinent un peu, dans le sens où le côté militant et politique se retrouve dans différentes strates. Il y a d’un côté Jean-Gabriel Périot, un auteur qui propose une vraie proximité dans le propos et dans la forme et qui me touche depuis le début. On avait produit son premier film, We are winning don’t forget. J’aime beaucoup ce qu’il fait car il a quelque chose d’impertinent qui me correspond aussi et j’aime plutôt l’idée de mettre les pieds dans le plat en tant que producteur.
D’un autre côté, il y a Sébastien Betbeder qui est en effet beaucoup plus mesuré, mais qui présente tout de même des aspects politiques car il réalise des films profondément courageux, dotés d’une forme et d’un enjeu artistique. Ses films sont à la fois accessibles et dotés d’une exigence intellectuelle.
À mes yeux, défendre le cinéma comme un acte poétique, c’est un acte politique, simplement parce qu’imposer de la poésie aujourd’hui va à l’encontre du monde dans lequel on vit.
En parlant de Sébastien Betbeder, comment gères-tu sa capacité et son énergie de création ? Avec deux longs-métrages et un court-métrage en 2012, puis un court en 2014 et deux longs à venir en 2015, son rythme est assez effréné. Comment s’envisage une telle production en plus des autres projets de ta société ?
F.D. : Je crois que Sébastien et moi nous sommes rencontrés à un moment de nos vies où nous passions un cap l’un et l’autre : pour moi, de passer au long-métrage et pour lui, de continuer ses réalisations, mais à sa façon. Je pense qu’il a trouvé chez moi un compagnon de route, quelqu’un qui se bat, de A à Z pour ses films et qui le fait intégralement. Ceci étant, c’est sûr que comme Sébastien est très productif, ça me laisse assez peu de temps pour d’autres gens.
Les questionnements autour du long et autour du court ne sont pas tout à fait les mêmes. Après quinze d’expérience, j’arrive à démêler le fait que je suis un artisan dans l’âme. Je préfère donc suivre peu de réalisateurs et faire les choses bien plutôt que d’essayer d’être dans un flux perpétuel de renouvellement ou de trouver la bonne affaire. Cela ne nous empêche pas parallèlement, de suivre d’autres auteurs. On vient d’ailleurs de finir de produire trois courts-métrages.
À ce propos, quels sont les projets pour 2015 ?
F.D. : On produit deux longs-métrages coup sur coup de Sébastien puisqu’on finit le tournage de Marie et les naufragés en février puis on part le 23 mars au Groenland pour tourner à nouveau. On prépare aussi deux moyens-métrages : le premier de Thomas Blanchard qui joue dans Inupiluk et le deuxième de Darielle Tillon qui avait réalisé un long en 2009, Une nouvelle ère glaciaire et un court qui avait très bien marché en 2002, À la vitesse d’un cheval au galop. On va également travailler avec Philippe Petit qui fait partie de la bande de Quentin Dupieux. Je suis intéressé par tous ces gens car je ressens chez eux une vraie nécessité de faire des films. On se transmet donc nos énergies.
Tu as beau produire désormais des longs-métrages, tu continues à produire des courts. Quelles sont tes motivations à persister dans ce format ?
F.D. : Pour moi, le court-métrage représente l’avant-garde du cinéma. On a donc besoin de réfléchir sans arrêt sur ce qu’est le cinéma et vers quoi on tend. Le court-métrage permet de tenter ces choses-là et de s’affirmer comme tel. En d’autres termes, on a besoin d’être frondeur quand on fait du court-métrage. Après, il y a d’autres enjeux et d’autres contraintes à produire des longs-métrages. J’ai en réalité l’envie et le besoin de rester dans le court-métrage, d’une part pour rencontrer des gens et de tester une collaboration, d’autre part parce que j’ai l’impression ainsi, d’être au bon endroit pour le cinéma que je fais. Encore une fois, le pari est ce qui m’excite le plus. Par moment, une pépite arrive, à l’image de Jean-Gabriel Périot par exemple, avec des films superbes tels que Eût-elle été criminelle qui est d’une violence inouïe et d’une modernité énorme et qui, huit après, continuer à tourner encore en festivals.
Je pense qu’il y a tellement peu de places dans le long-métrage que nous, les jeunes producteurs ou les producteurs de courts, ne sommes pas les bienvenus. De ce fait, on nous met dans la marge si bien que tout notre enjeu est de justement faire briller cette marge. On en est obligé de se situer là. À chaque coup que je fais, je remets presque en question ma structure. Il s’avère que pour Marie et les naufragés, on a un petit budget de long, mais malgré ça, j’investis beaucoup et je joue de ma boîte. Il faut donc que le film marche. Je n’ai pas le choix, mais c’est aussi parce qu’on ne nous laisse pas le choix. C’est la seule place qu’on nous laisse et où l’on peut exister lorsqu’on n’est pas issu du sérail.
Il y a aussi des auteurs que tu as suivis pendant un temps et qui travaillent aujourd’hui, auprès d’autres structures de production, comme par exemple Jean-Gabriel Périot.
F.D. : J’ai en effet produit le premier film de Jean-Gabriel, ainsi que les suivants, ses quatre premiers films et sa première fiction exactement. On a eu une vraie histoire. Puis, à un moment donné, il a eu envie de faire un long-métrage. C’est tombé au moment où l’un de mes collègues a quitté la structure d’Envie de tempête et c’était un peu compliqué. À l’époque, je ne me sentais pas la force et le courage de l’accompagner sur du long et on s’est donc séparé d’un commun accord. La séparation s’est faite dans une bonne entente qui fait que l’on se retrouve aujourd’hui. Tout récemment, j’ai produit son dernier film, Si jamais nous devons disparaître ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, qui à peine terminé, était déjà sélectionné dans plusieurs festivals. Lorsque Jean-Gabriel est parti de chez nous, il a fait un petit passage chez Sacrebleu qui l’avait appelé. Après, il est allé naturellement chez Local Films car il montait des films pour Lorenzo Recio. Avec eux, il a fait son premier long, Une jeunesse allemande, qui vient d’être sélectionné à Berlin. J’aurais adoré produire ce film qu’il nous avait proposé à l’époque. Je m’en suis voulu mais on n’était pas prêts, alors je ne regrette rien.
Avec le recul, je m’aperçois qu’on a produit les films de bon nombre de personnes qui ont fait du long derrière avec d’autres boîtes : Emmanuel Gras, Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci aussi dont on a produit plusieurs films et Patrice Deboosère également qui prépare son premier long ailleurs. Il n’y a jamais eu de dispute avec ces auteurs, on ne s’est jamais fâchés. Ils sont partis comme dans une histoire d’amour en fait.
En parlant de la relation auteur/producteur, comment ça se passe avec tes auteurs vu que toi-même, tu réalises ?
F.D. : J’ai été moi-même auteur-réalisateur. Depuis environ quatre ans, je n’ai pas écrit une seule ligne ni réalisé un film. Je me situe comme producteur et c’est depuis ce temps-là qu’Envie de tempête existe vraiment dans le regard des gens. Aujourd’hui, je n’ennuie pas trop les auteurs que je suis avec mes propres réalisations. Je n’ai pas de frustration non plus car je prends beaucoup de plaisir à accompagner les autres. Le jour où je sentirai une quelconque frustration, je pense que je réaliserai à nouveau, mais aujourd’hui, je suis dans une autre dynamique et je n’ai pas l’urgente nécessité de raconter quelque chose sur un écran. En revanche, comme j’ai été réalisateur, j’ai une vraie proximité avec les problématiques de mes pairs. Je suis dans une pensée artistique avant tout parce que je sais l’importance que ça a pour un réalisateur et je pense que c’est une vraie qualité. Après, pour être honnête, j’ai 40 ans et les gens que je produis sont plus en liaison avec mon âge et mes problématiques que des jeunes réalisateurs. Néanmoins, je suis un peu partagé. Je trouve ça très bien de se nourrir de gens plus jeunes qui vont amener un nouveau regard, quelque chose de frais, mais j’ai aussi toujours la crainte de ne pas comprendre, de me retrouver trop âgé pour gérer ces films-là. Ceci dit, je tiens à prendre chaque année un nouveau réalisateur qu’on ne connaît de nulle part et qui m’envoie son scénario par la poste. L’objectif est par conséquent de renouveler un peu le cheptel et de s’ouvrir justement à des gens nouveaux.
Tu es le lauréat 2014 du Prix Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage. Que représente ce prix pour toi ?
F.D. : C’est un prix qui m’a beaucoup touché car pour moi, c’est surtout un prix de camaraderie. Certes, c’est l’organisme de la Procirep qui génère ce prix, mais en fait, ce sont les copains producteurs qui votent pour les autres copains. C’est amusant car je constate chaque année que pour la plupart des producteurs qui reçoivent le prix, cela correspond dans leur carrière au moment où ils passent au long-métrage. Je pense que les copains producteurs remarquent quand l’un d’entre nous se lance et ils soutiennent ce mouvement-là. On se sent donc très épaulé, très porté par ces gens qu’on croise tout le temps et c’est assez agréable. C’est un prix fraternel en fait alors que bien souvent, on n’a pas assez le sens du collectif. Il faudrait qu’on se fédère plus pour prendre le pouvoir et pour pouvoir dire que c’est à notre tour d’arriver sur le long, autrement dit, de créer une nouvelle vague.
Peux-tu nous parler de la carte blanche dont tu as bénéficié durant cette 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand ?
F.D. : En réalité, il y a deux programmes. Le premier correspond aux quinze ans d’Envie de tempête (CB1). On y montre quelques uns des films qu’on a produits et qui ont marché ces quinze dernières années, des films dont on est fiers et qu’on a envie de revoir. C’est pour cette raison qu’on a programmé par exemple, Inupiluk ou encore 200 000 fantômes.
Pour le deuxième programme (CB2), je souhaitais programmer L’île aux fleursde Jorge Furtado, mais je n’ai malheureusement pas réussi à l’avoir. Je voulais aussi prendre un film de Chris Marker mais il était trop dur à trouver. Je me suis donc rabattu sur un programme qui me plaît beaucoup, mais qui aurait peut-être été un peu différent si j’avais eu plus de temps ou si le Festival de Clermont m’avais aidé à trouver les copies des films qui m’intéressaient. Néanmoins, les films que j’ai choisis pour ce deuxième programme (A heap of trouble, Il était une fois l’huile, Viejo pascuero, …) correspondent à ce que je voulais montrer, c’est-à-dire qu’il est important de revendiquer que le court-métrage est aussi un acte politique, surtout avec ce qui se passe en ce moment. Après, ce ne sont que des films que j’ai particulièrement aimés. Ce sont des films qui rentrent dans un discours de fond mais revendiquent, tentent des choses et sont pour autant, de vrais films réussis. Ce sont des courts dans lequel il y a un réel enjeu qui dépasse le film et qui provoquent quelque chose. Parallèlement, ce sont des films distrayants et décalés. On y retrouve vraiment de la joie et du plaisir, voire un aspect assez festif qui colle d’ailleurs un peu à ma perception du Festival de Clermont.
Le Festival de Berlin s’est terminé ce weekend. Le jury international a attribué, lors de la remise des prix, l’Ours d’Or et d’Argent ainsi que l’Audi Short Film Award. Il a également désigné un court métrage en compétition pour les European Film Awards dans la catégorie Meilleur court métrage.
Palmarès
Ours d’Or : Hosanna de Na Young-kil (Corée du sud)
Ours d’Argent : Bad at Dancing de Joanna Arnow (États-Unis)
Audi Short Film Award : Planet Σ de Momoko Seto
Nominé pour les European Film Awards 2015 : Dissonance de Till Nowak (Allemagne)
« Condom Lead », premier court-métrage palestinien sélectionné au festival de Cannes (2013), était présenté cette année en ouverture de la programmation « Palestine » à Clermont-Ferrand. Les réalisateurs, Tarzan et Arab Nasser, frères jumeaux, offrent une terrifiante déclaration d’amour et de désespoir dans un film court, sans paroles et avec une grande économie de moyens (budget quasi inexistant, tournage en un jour).
2009. L’opération Cast Lead/Plomb durci contre la bande de Gaza dure 22 jours sans interruption. Au cœur de la débâcle, un couple tente chaque nuit de faire l’amour. Peine perdue : les déflagrations des obus réveillent le bébé endormi dans la chambre, la femme se lève pour l’apaiser… et l’homme n’a plus qu’à gonfler le préservatif tout juste ouvert. Recyclage ludique et amer en ballons incongrus qui envahissent la chambre conjugale nuit après nuit. Jusqu’à la scène finale : accoudé à son balcon, l’homme observe, le temps d’une cigarette, la ville et la nuée de ballons transparents qui la survole.
La simplicité du scénario, l’absence de dialogue, la guerre suggérée par le hors champ sonore et les jeux de lumières dans la pénombre de la chambre, tout concourt à un propos minimal et terriblement éloquent. Urgence du geste vital. S’aimer pour conjurer la peur, pour rester dans l’ici et maintenant. Pour continuer d’exister. Eros et Thanatos intimement mêlés, une fois de plus. Le mouvement de rapprochement du couple est décomposé en micro-gestes, un dosage millimétré d’une lenteur et d’une précaution à couper le souffle. Comme si une maladresse, une précipitation brusque pouvait engendrer l’explosion venue de l’extérieur. Faire l’amour en marchant sur des œufs. Un certain érotisme se dégage de ces effleurements, de ces milles attentions, l’acte est réduit à sa pure nécessité. On ne peut s’empêcher de penser au texte de Mahmoud Darwich, le poète palestinien (« Une mémoire pour l’Oubli ») et à sa quête de café durant l’assaut de Beyrouth. Où la volonté de perpétrer le geste ordinaire et journalier est cruciale. Savourer le café devient question de vie ou de mort. Le gouffre est là, dans l’impossibilité menaçante d’accomplir le rite matinal et essentiel :« Comment faire pénétrer l’odeur du café dans mes cellules, tandis que les obus s’abattent sur la cuisine ouverte au-dessus la mer, répandant des senteurs de poudre et la saveur du néant ? (…) Je ne me demande plus si les murs du couloir offrent une protection suffisante contre la pluie d’obus. L’important, c’est qu’il existe une paroi pour me dérober à ce ciel transformé en métal dévoreur de chair. (…) Je veux sentir l’odeur du café. Cinq minutes. Je veux une trêve de cinq minutes pour un café. (…) Tous mes sens sont tendus vers cet unique appel. »
L’échappée générale des ballons/préservatifs développe une fin à deux versants, une interprétation ouverte et ambivalente. Ils arrivent pour ponctuer une interrogation toujours plus féroce et actuelle : comment envisager de donner encore la vie dans un monde où la folie des hommes broie tout sur son passage, jusqu’aux velléités d’accouplement ? Comment l’assouvissement d’un désir solide et tenace est-il encore tangible ? Comment penser l’avenir dans un décor si funeste ? Et pourtant la capote, objet utile et pragmatique, passe du concret trivial au message poétique, drôle et politique. La multitude de baudruches surplombant la cité vient réaffirmer l’omniprésence d’une résistance du quotidien, sa force et sa patience. Et le spectateur oscille : veut-il voir dans le calme de la contemplation de l’homme sur son balcon une forme de résignation, ou au contraire de confiance dans cette métamorphose éphémère et onirique du paysage ? Beau pied de nez alors à la laideur de la réalité…
Synopsis :En écho à la violente opération militaire « Plomb durci » (Cast Lead en anglais), le film évoque la difficulté de faire l’amour en temps de guerre…
Genre : Fiction
Durée : 14’
Pays : Palestine
Année : 2013
Réalisation : Arab et Tarzan Nasser
Scénario : Arab et Tarzan Nasser
Image : Zaid BaQaeen
Montage : Zaid Baqaeen
Son : Philip Hashweh
Interprétation : Rashid Abdelhamid, Maria Mohammedi, Eloïse Von Vollenstein
À partir de ce mois-ci, Format Court vous propose un nouveau cycle de rendez-vous, les After Short, des soirées de networking réunissant la profession et les cinéphiles.
Retrouvez-nous pour notre 1er After Short, un apéro sympa ouvert aux amoureux du court et à ceux qui aiment tout simplement le cinéma, au coeur du 11ème (quartier Oberkampf, St-Maur).
Venez échanger autour d’un verre (punch offert !) avec nous, rencontrer d’autres « courtivores » et discuter avec les professionnels présents (réalisateurs, producteurs, comédiens, techniciens, organisateurs de festivals, …).
Quand ? Jeudi 26 février 2015, à partir de 19h
Où ? Bar Les Pieds sous la Table
130 rue Saint-Maur, 75011 Paris
Comment ? Métros proches : Goncourt, Couronnes, Parmentier
Possibilité de manger sur place !
Divagation de l’esprit ou délicieuse contemplation, la rêverie s’offre à nous tel un océan qui dort et c’est âme et corps que nous y plongeons sans aucun remords. Huit courts métrages, instantanés éphémères de fantasmes inavoués, d’utopies réinventées et de douces nostalgies vous permettront, le temps d’une séance, une belle échappée cinéphilique. En février, Short Screens n’attendra pas Morphée pour vous faire rêver. Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court.com
Rendez-vous le jeudi 26 février, à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€
REIZIGERS IN DE NACHTd’Ena Sendijarevic/Pays-Bas/2013/ fiction/9’46
Une femme travaille dans une station service, seule, la nuit. Des gens qu’elle ne connaît pas entrent et sortent de son monde, la laissant dans sa petite bulle. Jusqu’à ce qu’une nuit, un étranger spécial entre.
LA NUIT AMÉRICAINE D’ANGELIQUE de Pierre-Emmanuel Lyet/France/2013/animation/7’25
En allant voir La Nuit américaine de François Truffaut, Angélique découvre qu’on peut inventer sa vie. Se prendre pour Nathalie Baye, obtenir l’admiration de son père, choisir un métier incompréhensible…
MODERN DAYDREAMS : DEERE JOHN de Mitchell Rose/États-Unis/2001/fiction/3′
Histoire dansée d’un amour impossible.
LES MAINS BALADEUSES de Noémie Gillot/France/2009/fiction/8’30’
Comment compenser sa solitude quand on est une jeune femme à l’imagination fertile?
TEHRAN-GELES d’Arash Nassiri/France/2014/expérimental/18′
Les enseignes nocturnes de Téhéran sont incrustées sur des images aériennes de Los-Angeles. Durant ce vol, des enregistrements téléphoniques nous racontent des souvenirs qui ont eu lieu à Téhéran.
THE PRINTED RAINBOW de Gitanjali Rao/Inde/2006/animation/ 15′
Le film raconte une histoire de monotonie urbaine et d’évasion grâce à l’étiquette d’une boîte d’allumettes, dans un monde imaginaire de curiosité et de couleurs.
LA COPIE DE CORALIE de Nicolas Engel/France/2008/comédie musicale/22′
Monsieur Conforme, gérant du magasin de reprographie Copie Conforme, vit depuis trente ans dans le souvenir d’une femme disparue. Virginie, sa jeune assistante, décide de prendre les choses en main et affiche un avis de recherche sur les murs de la ville.
Réalisateur du sublime « The Weatherman and the Shadowboxer », Prix Format Court au Festival du Nouveau Cinéma (FNC) 2014, Randall Lloyd Okita est un jeune auteur de Toronto ayant déjà réalisé plusieurs courts-métrages. Son dernier film, projeté ce soir aux Ursulines, dans le cadre de la séance spéciale autour du FNC, évoque avec mystère et émotion le parcours de deux frères aux vies très différentes, séparés par un événement survenu dans leur enfance. En rencontrant Randall Lloyd Okita à Toronto, nous sommes revenus sur son parcours, l’importance de la musique dans son travail, sa collaboration avec l’ONF (l’Office national du film du Canada), son rapport à l’expérimental et son lien au personnel et à l’ambiguïté.
Format Court : Tu as réalisé plusieurs films très visuels ces dernières années. Comment as-tu réussi à devenir un artiste et à travailler loin des codes classiques ?
Randall Lloyd Okita: Pendant des années, j’ai travaillé comme assistant sur des films et des émissions de télévision. J’ai appris le fonctionnement des choses, mais après, quand j’ai commencé à travailler sur mes propres projets, ça a été dur de trouver des fonds. Malgré tout, en développant mes films, j’ai eu le temps de trouver ce que je voulais faire et de réfléchir aux obsessions que je voulais voir incarnées à l’écran. J’essaye généralement de ne pas trop penser au style, le prochain projet devient mon obsession, la prochaine image devient ce que j’ai envie de tester. « Machine with Wishbone », l’un de mes premiers films, a été inspiré par le travail d’un autre artiste, un de mes mentors, Arthur Ganson, qui a construit des sculptures en fer. À deux, on a crée un monde mécanique pour les faire tenir. Je savais ce que je voulais faire, j’avais envie d’explorer, de creuser. Les images fonctionnent sans mots, elles n’ont pas besoin de dialogue narratif, restent universelles.
Penses-tu que tes films pourraient être projetés ailleurs qu’en salles, dans les musées par exemple, qu’ils pourraient fonctionner comme des performances et être vus différemment ?
R.L.O. : J’aimerais penser que certains d’entre eux pourraient être projetés dans les musées. Ce ne sont pas des comédies qu’on aime voir dans des grandes salles. L’intersection entre l’installation, la sculpture et le cinéma pourrait marcher.
Le problème, c’est que mes films sont souvent considérés comme expérimentaux et que le terme « expérimental » n’est pas anodin. Être classé dans une telle catégorie signifie tellement de choses, les gens hésitent à aller voir ce type de films, ils ont peur d’être déçus. Pour moi, tout peut être expérimental, c’est une catégorie difficile. Certains films perdent en visibilité à cause de cette catégorisation. La manière dont et comment les gens regardent les courts m’intéresse. J’ai approché des galeries, ça n’a pas trop marché. Je peux transporter un DVD, un disque dur, mais c’est plus compliqué avec une sculpture !
De nombreux réalisateurs canadiens ont du mal à faire connaître leur travail. « The Weatherman and the Shadowboxer » a été vu au TIFF (Toronto), au FNC. C’est bien de faire des courts, de se sentir libre, mais il faut disposer d’écrans.
Les projets ne se font pas toujours avec un public en tête. Je suis assez chanceux de ne pas avoir été tout seul sur le projet. On a fait des projections, rencontré des publics. Travailler avec l’Office national du film du Canada (ONF) m’a offert plus d’accès et de publics. Le projet est également beaucoup plus narratif et personnel que mes précédents. Les gens y réagissent, c’est quelque chose de très encourageant.
Tu aimes bien faire des allers-retours entre animation, réalité, imaginaire et réalisme. Qu’as-tu trouvé de particulier dans l’animation ?
R.L.O. : En général, j’ai très peur des technologies surtout si je ne les comprends pas. J’ai besoin de les expérimenter, j’essaye de trouver des collaborateurs qui s’y connaissent et d’avoir les bons outils. Pour ce projet, j’ai pensé très rapidement à l’animation. Quand on a commencé le développement avec l’ONF, on pouvait vraiment expérimenter, tester des choses vu je n’avais pas fait beaucoup d’animations avant. Ça m’a appris beaucoup de choses. Tout le processus a été nouveau pour moi : le développement. 2D, 3D cadre par cadre. Mon film est beaucoup plus narratif et personnel que mes autres projets, il comporte plusieurs personnages. Les gens y réagissent, c’est très encourageant. Ils ont des questions sur le film. À partir du moment où le film a été terminé, ça a été plus facile d’en parler. Je sens que je suis plus ouvert à la discussion quand le film est derrière moi. La clé est de prendre le risque de perdre un peu de clarté pour gagner en émotion.
Je pense que c’est aussi lié à quelque chose de personnel, de proche de toi. Depuis quand portes-tu ce projet de « The Weatherman and the Shadowboxer » ?
R.L.O. : J’y pense depuis très longtemps, le projet est lié à des proches, à leur sensibilité, à leur identité, à leur histoire. Je ne voulais pas parler de quelqu’un ou d’une vie en particulier. Le challenge, c’était de se situer par rapport à l’histoire, de ne pas donner de nom, de ne pas personnaliser les personnages. L’important pour moi, c’était de parler des démons. J’avais déjà abordé ce sujet dans « Fish in Barrel ». L’une de mes luttes, c’est d’essayer d’exprimer des choses difficiles, des conflits internes, des luttes peu évidentes.
R.L.O. : Le film est illustré par une voix-off. Était-ce pour offrir une réalité supplémentaire ?
Je ne pensais pas à l’effet que ça aurait sur le public. Je voulais prolonger la discussion avec ma famille, explorer ces idées de conflits et trouver un moyen pour que le public s’y intéresse. La voix-off a été un bon moyen pour cela.
Tu dis avoir pensé à ce film depuis longtemps. Que souhaitais-tu y raconter ?
R.L.O. : Je pense que c’est une histoire d’identité, de mémoire et de ce qu’on ne peut pas dire. C’est dur de dire qu’on peut aimer et détester quelqu’un en même temps, que ce soit un ami ou un frère. Ce qui nous arrive au stade de l’enfance peut nous influencer dans notre vie future et on doit apprendre à gérer sa vie avec les bonnes et les mauvaises choses.
La musique est très présente dans tes films. Comment la considères-tu dans ton travail ?
R.L.O. : C’est incroyablement important pour moi. Dans mes derniers films, j’ai travaillé avec des compositeurs, cela m’a apporté beaucoup dans la relation de confiance et de compréhension de l’autre. Je m’exprime en couleurs, je ne sais pas décrire la musique, je n’ai pas le vocabulaire adapté. Je dis : « Ce passage devrait être rouge ou noir ». La conversation sur la musique commence très tôt, le style débarque vite. Avec les compositeurs, les sensibilités s’accroissent, ont de la valeur. Je sens que je peux essayer plus de choses, rendre les choses plus visibles grâce à la musique.
Avec les animateurs, comment as-tu procédé ?
R.L.O. : On a parlé ensemble de beaucoup de films d’animation – on a évoqué le travail de Norman McLaren – mais aussi de prises de vues réelles, d’images en double exposition et de grand contraste.
Avant, tu auto-produisais tes films. Maintenant, tu es suivi et soutenu par une structure plus grande, l’ONF. Comment ce changement t’a-t-il aidé pour développer tes projets ? Comment considères-tu le travail avec une équipe plus grande et l’entraide ?
R.L.O. : Avant, on était les seuls producteurs de nos films. À mes débuts, c’était dur, je n’avais pas assez d’expériences. Il n’y a pas trop d’alternative au Canada, dans le monde même, pour trouver un équilibre entre soutien, encouragement et liberté.
Quand j’ai commencé à travailler avec l’ONF, je me suis retrouvé avec une grande équipe. Dès le début, ils ont été très intéressés par mon projet. On a eu de grandes conversations et on a construit quelque chose ensemble. J’ai grandi en regardant tellement de films originaux et incroyables produits par l’ONF et racontés par des narrateurs intelligents et passionnés qui avaient une vraie vision de ce qu’ils voulaient raconter que je ne pouvais pas imaginer un meilleur endroit pour faire mes propres films.
Dans le cadre de son Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage, Frédéric Dubreuil a bénéficié d’une carte blanche lors de la 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand. Il y a présenté une sélection de courts-métrages produits au sein de sa société Envie de tempête Productions ainsi que des films qu’il apprécie particulièrement.
Dans le premier programme, il s’agissait plus exactement d’une programmation pour célébrer les 15 ans d’Envie de tempête, par conséquent uniquement constituée de films produits par la société depuis sa création. L’occasion de voir ou revoir des courts-métrages d’auteurs que suit particulièrement Frédéric Dubreuil. Parmi ces films, 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot, un documentaire expérimental sur la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Le réalisateur manie à merveille les photos d’archives pour montrer ce qu’était la ville d’Hiroshima avant et après le 6 août 1945, mais aussi et surtout pour poser la question de l’oubli face au temps qui passe. Comment oublier de telles horreurs ? Avec cette œuvre, Jean-Gabriel Périot nous glace le sang, insistant sur le devoir de mémoire.
Dans cette programmation, on a pu également voir le dernier film de Sébastien Betbeder, Inupiluk, nommé aux César 2015. Avec une grande poésie et le sens de l’intimité, le réalisateur raconte la rencontre entre deux amis français, Thomas et Thomas, et deux Inuits, Ole et Adam, tout droit venus du Groenland, pour découvrir la France. Ce moyen-métrage manie avec humour tant les dialogues que les situations, et nous touche parce que les personnages prennent le temps d’observer, de communiquer et de vivre tout simplement.
Autres auteurs ayant fait partie de la tribu Envie de tempête, Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, avec leur film Ata. Le court-métrage se passe justement dans la ville de Clermont-Ferrand où une jeune Turque rejoint son amoureux français. Seulement, à peine arrivée, elle se retrouve seule, son compagnon devant partir quelques semaines pour raisons professionnelles. Durant son absence, elle fait la connaissance d’Ata, un ouvrier ouïgour qui travaille sur un chantier juste à côté de chez elle. Un peu comme dans Inupiluk, l’accent est mis sur la rencontre et le lien malgré les grandes différences entre les personnages, et sur l’importance de l’humanité au final.
Frédéric Dubreuil a également choisi de montrer l’un des premiers films produits par Envie de tempête, On a train de Barnabás Toth qui parle aussi d’une rencontre entre deux inconnus très différents l’un de l’autre. Enfin, on retrouve dans cette première sélection un film réalisé par le producteur lui-même, rappelant qu’à l’origine, Envie de tempête Production avait été créée pour produire ses propres films. Il a choisi de montrer ici une comédie déjantée intitulée La place du cœur où quatre éclopés se battent pour une place réservée dans le bus.
Dans le deuxième programme voulu plus « politique », Frédéric Dubreuil a réuni coups de cœur de producteur et films représentant la « ligne éditoriale » de sa société. Il a choisi de mêler le militantisme et la distraction à travers des formes de narration originales.
Parmi ces films, on a pu découvrir ou redécouvrir un petit bijou d’Agnès Varda, Réponse de femmes, documentaire tourné en 1975, qui fait sourire par sa désuétude mais qui retient notre attention de par son propos qui n’a pas beaucoup changé en 40 ans et par le côté « osé » de sa mise en scène.
On a aussi retrouvé deux courts-métrages produits en 2001 par la société de production pas moins engagée, Lardux. Le premier est Je m’appelle de Stéphane Elmadjian. Il dresse le portrait d’hommes français, irlandais, espagnols, … qui ont chacun été confronté à la violence à des périodes différentes du XXe siècle tels que la Seconde Guerre Mondiale, des révolutions ou des manifestations. La voix off de Feodor Atkin raconte la dureté de ce qu’ils ont vécu à la première personne et Stéphane Elmadjian filme des visages abîmés de sorte à nous rappeler les atrocités de l’humanité.
Le deuxième film de la société Lardux proposé dans cette carte blanche est À propos d’Éric P de Pierre Merejkowsky dans lequel celui-ci fait un portrait à la limite du documentaire et de la fiction d’Éric P., militant écologiste qui a lutté contre la construction du tunnel de Somport, mais qui n’a été ni entouré ni suivi dans ce combat. Le réalisateur se penche ainsi sur la personnalité d’un homme engagé mais déchu en comparaison avec José Bové, connu et reconnu.
Cette sélection a également proposé quatre films, certes assez différents les uns des autres, mais qui se moquent tous de manière assez poussive et à la limite du mauvais goût de notre chère société. Évoquons tout d’abord Viejo pascuero de Jean-Baptiste Huber dans lequel un enfant des bidonvilles chilien écrit une lettre d’insultes au Père Noël pour les cadeaux qu’il lui a fait. Le film est assez touchant lorsqu’on découvre que l’enfant, malgré sa misère, croit dur comme fer au Père Noël et à la magie qui l’accompagne, mais aussi au rock ‘n’ roll lorsqu’on découvre la manière dont il s’adresse au vieux barbu.
Ensuite, Il était une fois l’huile, film d’animation ayant beaucoup circulé en festival en 2010-2011, réalisé par Vincent Paronnaud, joue autour d’une parodie de publicité et de programme pour enfants. Tel un dessin animé éducatif, deux enfants se retrouvent en effet à faire un voyage merveilleux dans l’usine de fabrication des huiles Méroll (servant aux voitures et fritures !) en compagnie de la mascotte de la marque, Goutix. Le film est 100% politiquement incorrect; ce qui le rend absolument jouissif.
Dans le cadre de ce programme, on a pu voir aussi A heap of trouble de Steve Sullivan, un film très court (4 minutes), tout à fait barré comme savent le faire les Anglo-Saxons. N’en disons pas plus, de peur de dévoiler la cause du trouble de ce quartier résidentiel britannique, si ce n’est qu’il ne dérangera que les personnes les plus prudes et fera bien rire les autres. Autre film limite, Le poteau rose de Michel Leclerc ou la façon très crue mais aussi très drôle de raconter une histoire d’amour à la manière d’un journal intime filmé avec la patte « gaucho » du co-réalisateur du Nom des gens.
Enfin, Frédéric Dubreuil a souhaité remettre quelques films forts de Jean-Gabriel Périot produits par Envie de tempête tels que Eût-elle été criminelle et The Devil. Là encore, le réalisateur nous perturbe ou plus exactement nous questionne sur l’Histoire et ses horreurs que sont ici la Seconde guerre mondiale et le racisme aux États-Unis. Quelles sont les limites de l’humain ? Qu’est-ce qui anime les combats ? À travers une sublime utilisation des archives, Jean-Gabriel Périot prouve à nouveau qu’il est un grand humaniste.
Dernier film à composer cette carte blanche : Jean et Monsieur Alfred réalisé par Frédéric Dubreuil, pointant les inégalités sociales à travers une sorte de conte comique. Selon ses dires, il a placé ce film faute d’avoir pu mettre la main sur L’île aux fleurs de Jorge Furtado tandis qu’il n’avait aucun problème de droit et de copie pour le sien. Réjouissant de ce fait de pouvoir voir l’un des tous premiers films du réalisateur devenu producteur et de comprendre ainsi son goût pour les films engagés avec un ton léger.
Cette carte blanche a permis à Frédéric Dubreuil d’échanger autour d’idées, d’évènements et de constats sociaux sans « se prendre la tête » pour autant. Selon lui, « le court-métrage est l’endroit de la prise de parole directe, sans censure » et ces deux programmes visibles au Festival de Clermont-Ferrand en ont été la preuve. À l’heure où il est plus que jamais d’actualité que d’être solidaires et engagés, ce programme a donné davantage d' »envies de tempête.
Présenté au sein du focus Québec au Festival Nouveau Cinéma (FNC) de Montréal, le film d’animation « The Weatherman and the Shadowboxer », de Randall Lloyd Okita, a séduit l’équipe de Format Court par son style personnel et novateur, et la maîtrise de sa narration. Le film, lauréat de notre Prix Format Court au festival, présente deux personnages, deux frères qui ont pris des chemins séparés, suite à une enfance bafouée dont les faits restent ambigus : l’un, un présentateur de météo, entretient une image publique mondaine qu’il porte comme un masque, l’autre devient un « shadowboxer », un combattant de l’ombre qui refuse de fuir la vérité et la violence qui est en lui.
Ou peut-être que l’histoire de ces deux frères n’est qu’un prétexte ? Une allégorie des différentes postures qu’un homme peut adopter face à son propre malheur : le déni ou l’acceptation. Sans dialogues, « The Weatherman and the Shadowboxer » dévoile au spectateur le profil de ces deux frères par le biais d’une voix off. Le texte du narrateur est un des éléments phares du film : poétique et universaliste. Ce sentiment de film allégorique est renforcé par le fait que les deux personnages n’ont pas de visage, pas de voix; toutes les émotions passent par les images, par ce qu’elles ont à elles seules le pouvoir de transmettre.
Le « weatherman » est exposé au monde à travers l’écran de télévision mais son corps est rempli d’autres images mises en abyme : images météorologiques, images d’une ville en feu, données informatiques, explosions, autant d’éléments révélateurs d’un corps et d’un esprit tourmentés, mais sous contrôle permanent. Le second, le « whadowboxer », apparaît toujours de dos ou dans l’ombre, entre deux murs, tel un animal traqué, et communique avec ses poings pour affronter ses démons. Ici, Randall Lloyd Okita nous parle avant tout avec des images, des couleurs, des textures, et une bande sonore soigneusement travaillée par ses collaborateurs et compositeurs : Lodewijk Vos et Joseph Murray.
Le film se démarque par sa façon de traiter le thème de la mémoire et de la construction de l’individu, notamment par l’exploration, au-delà du texte, d’un langage visuel mêlant plusieurs techniques : prise de vue réelle, animations 2D et 3D, photographies surexposées, superpositions d’images, flashbacks, ralentis. La texture de l’image, un mélange intense entre fermeté et beauté, fait de couleurs sombres appuyées et de contrastes travaillés entre ombres et lumière, évoque le style du polar et de certaines bandes dessinés.
Le film commence par plonger le spectateur dans un univers inquiétant et s’ouvre sur des enfants qui jouent et qui, lorsqu’ils se retournent, ont les yeux rayés, effacés. Cette introduction est accompagnée d’un son agressif et inquiétant qui crée une ambiance digne d’un film d’horreur, accentuée par l’apparition même du titre souligné de rouge vif sur fond noir. Randall Okita joue avec les genres. Film d’horreur, néo-noir, bande dessinée, « The Weatherman and the Shadowboxer » est un film hybride inclassable, sur un sujet très personnel mais rendu ici universel. Le réalisateur montre une vraie maîtrise des outils de narration : un univers visuel qui enveloppe le spectateur, un texte d’une grande justesse, un son composé de bruits tonitruants et de musique interprétée au piano, participent à rendre ce portrait de deux âmes en peine poignant et incisif.
Synopsis : L’histoire envoûtante de deux frères profondément marqués par un événement dont ils se souviennent différemment. Alliant des images saisissantes à une direction artistique impressionnante, ce film est une ode élégiaque à l’appartenance et à la survie.
Réalisation : Randall Lloyd Okita
Durée : 10′
Année : 2014
Pays : Canada
Genre : Animation
Image : Samy Inayeh
Animation : Sam Javanrouh, Peter Auld, Helen Thach, Francis Goulet, Ferryanto Tantono, Marlon Castro, Blayke Nadeau, Benjamin Figueroa, Sol Friedman
Hier soir, tout le monde était aux Bafta (équivalent des César/Oscars au Royaume-Uni) : Julianne Moore, Léa Seydoux, David Beckam, Richard Linklater & tous leurs copains. Mais aussi Daisy Jacobs et Michael Lennox et Ronan Blaney, les trois réalisateurs de courts-métrages primés.
Syn. : Des personnages animés grandeur nature racontent avec un humour noir la triste histoire de l’accompagnement d’un parent âgé. « Tu veux la mettre dans une maison de retraite ? Alors, dis-le-lui ! » siffle un des frères à l’autre. Mais comme Mère n’entend pas partir, leurs vies se désagrègent à mesure qu’elle s’accroche à la sienne.
Meilleur court-métrage de fiction : Boogaloo et Graham de Michael Lennox et Ronan Blaney (Irlande, Royaume-Uni)
Syn. : Jamesy et Malachy sont sur la lune quand leur père au cœur tendre leur présente deux poussins. En élevant ces être minuscules, se déclarant végétariens et rêvant de gérant un élevage de poulets, les garçons sont en état de choc lorsque leurs parents annoncent que de grands changements sont à venir dans la famille.