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K comme Kanun

Fiche technique

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Synopsis : KANUN : code albanais ancestral, impitoyable. L’article 864 dit : Tu vengeras la mort d’un membre de la famille par la mort de l’assassin. Mais l’article 602 impose de respecter et protéger son invité comme son propre enfant. Et ce soir, Adil a accepté d’héberger Johan, un de ses hommes de main, alors que son fils ainé n’est pas encore rentré à la maison.

Genre : Fiction

Durée : 27′

Pays : Belgique, France

Année : 2015

Scénario et réalisation  : Sandra Fassio

Interprétation : Arben Bajraktaraj, Kevin Azaïs, Anila Dervishi, Louise Margouet, Jehon Gorani, Alfons Avdylaj

Production : Helicotronc, Offshore

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Sandra Fassio, Prix Format Court au festival Le Court en dit long 2015

Un premier film où l’on parle grec (« I Rafi, la couture », 2012), un deuxième qui se déroule en Albanie (« Kanun », 2015). Sandra Fassio est une réalisatrice belge mais son cinéma est déjà cosmopolite, en tout cas européen.

Format Court a décerné un prix à « Kanun » lors du 23e festival Le court en dit long organisé en juin 2015 par le Centre Wallonie-Bruxelles. Le film nous a impressionnés par sa rigueur et sa subtilité. C’est un drame et un film de gangster qui, comme tous les bons films noirs, rejoint la tragédie en confrontant les passions humaines à des règles inflexibles qui écrasent les individus. Le sentiment de culpabilité est au centre de « Kanun » comme de « I Rafi, la couture » et, dans les deux films, les non-dits sont nombreux et destructeurs. Pour décrire la famille mafieuse de « Kanun », on pourrait se référer au « Parrain », mais Sandra Fassio n’a pas le style opératique de Francis Ford Coppola. Son film nous évoque plutôt l’austérité des drames criminels intimes de James Gray.

Sylvain Angiboust

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Retrouvez dans ce focus :

La critique de « Kanun »

L’interview de Sandra Fassio

Rosana Urbes : « On n’obtient pas un arbre sans cultiver les racines. Les courts-métrages, ce sont ces racines »

Après avoir travaillé pendant plusieurs années chez Disney et avoir collaboré sur des projets de grande ampleur tels que « Mulan », « Tarzan » et « Lilo & Stitch », Rosana Urbes est rentrée au Brésil pour se consacrer à un projet personnel, « Guida ». Sélectionné à Annecy, le film a obtenu une Mention spéciale du jury Fipresci et le Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre, permettant ainsi à son auteure d’être la première réalisatrice brésilienne à être sélectionnée et primée au festival international d’animation. Son film, déjà évoqué à plusieurs reprises sur notre site, est un charmant projet autour de l’acceptation de soi, du vieillissement et du regard de l’autre, illustré de bout en bout par des croquis non achevés. Rencontre avec Rosana Urbes, une animatrice de talent, marquée par l’animation traditionnelle, l’observation, la poésie et la forme courte.

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Pendant des années, tu as travaillé chez Disney. Ton premier film professionnel, « Guida », a un côté non achevé par ses croquis qui ne correspond pas beaucoup au style parfait et lisse du studio américain. Pourquoi as-tu adopté ce style-ci ?

Le sujet, le style et la raison pour laquelle j’ai fait ce film sont intimement liés. J’ai mis 3 ans pour le finir. Je l’ai animé à la main, sur papier, car je souhaitais rendre mes dessins vivants. Chaque scène du film observe et traduit en images un moment de la vie. Il fonctionne juste à partir de croquis, de ces moments où on essaye de trouver son personnage, sa scène. J’essaye de préserver au plus possible cet esprit, l’essence même de l’animation. Aujourd’hui, les choses me semblent trop digitales.

Est-ce que ce contact avec le papier et l’artisanat sont liés au fait que par le passé, tu as travaillé sur des projets importants, en collaboration avec d’autres animateurs ?

Exactement. Travailler sur des longs-métrages m’a appris beaucoup de choses et m’a permis de produire « Guida ». Le film compte plus de 8.000 dessins, Chaque scène représente une pile de feuilles. J’ai d’abord dû diviser le projet en séquences, faire un story-board et trouver le rythme du film. C’est quelque chose que j’ai appris grâce au travail chez Disney et sur les longs-métrages auxquels j’ai collaboré, mais c’est vrai que j’ai toujours voulu faire mon propre film et parler des choses qui m’importaient. Le film est une sorte d’auto-portrait. Le personnage de Guida travaille dans un monde bureaucratique et trouve par l’art une façon d’être elle-même. J’ai toujours dessiné et ce film est une plaque tournante dans ma carrière.

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Tu as senti que tu devais absolument faire ce projet ?

Oh oui.

Tu as quitté le Brésil pour travailler chez Disney. Pourquoi ?

Il n’y avait pas d’industrie de cinéma au Brésil à l’époque. Ça a considérablement changé depuis. Disney m’a invitée, je ne pouvais pas refuser.

Tu avais fait des courts-métrages avant ?

Non, j’avais travaillé sur des publicités. Ils ont vu mon portefolio et ont jugé que j’étais employable. J’ai fait des livres pour enfants par la suite, ça m’a permis de développer mon style.

« Guida » parle de la nudité, de la féminité, de l’âge, de l’identité et est très éloigné des projets sur lesquels tu as pu travailler. Qu’est-ce qui t’a permis de te lancer ?

J’ai reçu une aide du gouvernement pour faire le film, cela a été un réel encouragement. J’ai aussi financé ce projet grâce à d’autres choses comme les livres pour enfants. J’ai toujours dessiné Guida sur des coins de livres et de carnets. Je souhaitais affirmer que le vieillissement n’est pas la mort, alors que notre société considère bizarrement l’âge. Je voulais combattre ce préjugé.

Avec un court-métrage…

Tu utilises les armes que tu as en ta possession (rires) ! « Guida » représente la liberté face à ce carcan de l’image qu’on a de soi. Le personnage est vraiment apparu quand j’ai organisé il y a quelques années une session de dessin de modèle vivant chez Disney. A cette occasion, une femme énorme est venue poser, elle était fabuleuse ! Cette femme de 200 kg était une fée, on était tous amoureux d’elle. Elle savait qu’elle était belle car elle avait accepté son corps. La beauté est quelque chose d’autre que ce que les médias et les standards nous imposent. Quand tu prends ton temps pour l’observer, la comprendre, tu vois la vraie beauté.

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Pourquoi un studio tel que Disney a besoin de pratique, d’organiser des séances de modèle vivant pour ses animateurs ? L’imagination et la pratique ne suffisent-ils pas aux animateurs ?

Justement, on le fait pour l’exercice. Même si tu fais un film abstrait, tu t’inspires de la nature. Observer la vie me permet d’en parler dans les films. Quand j’ai fait les recherches pour « Guida », j’ai commencé à réaliser que l’histoire de l’art était remplie de modèles importants, incontournables à la confection des chefs d’œuvre dont on ne connaissait pas du tout l’histoire. Cette idée me suivra peut-être pour un prochain court. En tout cas, mon style est né avec ce projet. Depuis que je travaille sur des publicités et des longs-métrages, j’ai appris à avoir des styles différents pour coller aux projets. Mais finalement, je ne savais pas vraiment quel était mon propre style.

Ton film compte peu de couleurs, les dessins parlent d’eux-mêmes. Pour quelle raison ?

À nouveau, je voulais parler de l’animation traditionnelle, à la main. Le personnage était le dessin. Les couleurs pastel qui s’y trouvent sont plutôt complexes en réalité. Pour faire une couleur pastel, tu dois mélanger toutes les couleurs. J’ai beaucoup travaillé avec du sepia, une teinte que j’adore car c’est un équilibre entre les couleurs primaires.

Dans les longs-métrages de Disney, on ne trouve pas vraiment de sépia…

C’est mon manifeste ! Pour un artiste, c’est important de défendre ce ses croyances en termes de thèmes et de formes.

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Est-ce aussi pour ça que tu es rentrée au Brésil et que tu as fondé ton propre studio d’animation ?

Oui, j’ai fait une longue balade avant de finalement revenir chez moi (sourire). La situation a considérablement évolué depuis mon départ aux États-Unis. Depuis moins de dix ans, le gouvernement brésilien commence à s’intéresser à l’animation. Une industrie est née, une association d’animateurs se bat pour nous. Un réel marché ne pourra se créer qu’avec des longs-métrages et des séries télévisés, mais on n’obtient pas un arbre sans cultiver les racines et les courts-métrages, ce sont ces racines. Le court-métrage est un format à part entière. C’est dur à comprendre car il n’y a pas d’argent quand on fait un court-métrage. Il faut avoir de l’imagination pour le comprendre et l’accepter.

Comment se fait-il qu’on ne voie pas plus de courts-métrages brésiliens en Europe ?

Les festivals nous encouragent formidablement, ils font connaître notre travail à l’étranger, mais il y a encore beaucoup à faire. L’animation est si riche, on peut raconter des histoires dont on ne peut pas parler autrement, avec un autre médium. On a une opportunité maintenant dans le pays, il faut la saisir !

Propos recueillis par Katia Bayer

Pour information, le film sera projeté le jeudi 10/9 à l’occasion de la reprise des Soirées Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Concours : gagnez des places pour l’Étrange Festival !

L’Étrange Festival commence demain (youpi !). Parmi les rendez-vous clés de sa programmation, une compétition de 50 courts-métrages, répartis en 6 programmes, est proposée aux spectateurs, à l’issue desquels seront décernés le Grand Prix Canal+ et le Prix du Public.

Format Court vous offre 2 places pour chacun de ces 6 programmes proposés du dimanche 6/9 au dimanche 13/9 au Forum des images. Intéressé(e)s ? Contactez-nous !

Programme 1 : My sweet gore, dimanche 6/9, 18h. 2 places à gagner

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TWENTY FORTY THREE de Eugénie Muggleton / THE GREY MATTER de Luke & Peter Mc Coubrey / KAIKEN JÄLKEEN de Pekka Sassi / GUMMI FAUST de Marc Steck / SPLINTERTIME de Rosto / BAD GUY#2 de Chris Mcinroy

Programme 2 : Et si c’était vrai ?, lundi 7/9, 19h30. 2 places à gagner

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SEA DEVIL de Brett Potter / 1500 NIÑOS de Olivier Dubois /GOODBYE UTOPIA de Ding Shiwei / ROOM 731 de Young-Min Kim / DE SCHNUUF de Fabian Kaiser / TEHRAN GELES de Arash Nassiri / DEMONTABLE de Douwe Dijkstra / SIEBEN MAL AM TAG BEKLAGEN WIR UNSER LOS UND NACHTS STEHEN WIR AUF, UM NICHT ZU TRÄUMEN de Susann Maria Hempel

Programme 3 : In & Out, mercredi 9/9, 22h. 2 places à gagner

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BORDER PATROL de Peter Baumann / SWEETHEART de Jack Taylor-Cox / 100001 de Fabio Palmeri / RAMONA de Andrei Cretulescu / DE SMET de Wim Geudens / EL DISCO de José Manuel Sanchez Barrajeros / DERNIÈRE FORMALITÉ de Stéphane Everaert

Programme 4 : Au-delà du Rubicon, jeudi 10/9, 18h30. 2 places à gagner

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1000 PLATEAUS de Steven Woloshen / SUMSING de Martin Rahmlow / THE OBVIOUS CHILD de Stephen Irwin / BLEACH de Don Best / HORSE de Jie Shen / WORLDS OF TOMORROW de Don Hertzfeldt / FOK NABO DISTORIO de Francesco Rosso / DANS LA JOIE ET LA BONNE HUMEUR de Jeanne Boukraa / HALF WET de Sophie Gate / CROW de Yoav Segal / DAY 40 de Sol Friedman / DÉFRAGMENTATION de Saebyul Hwangbo / 365 de The Brothers Mc Leod

Programme 5 : Esprit es-tu là ?, vendredi 11/9, 20h. 2 places à gagner

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12th ASSISTANT de Jae-Hyun Jang / DADDY’S LITTLE DEAREST de Joris Donvil / LA CARNE CRUDA de Samuel Lema / INTRUDERS de Santiago Menghini / THE STOMACH de Ben Steiner / HASTA LAS ENTRAÑAS de Leandro Cozzi

Programme 6 : Nouvelles chairs, dimanche 13/9, 16h45. 2 places à gagner

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ALL WE NEED IS SLAVES de Nieto Nieto / POLAROID de Lars Klevberg / EROTICON de Alexander Hahn / SMALL PEOPLE WITH HATS de Sarina Nihei / TRAFO de Paul Horn / EXQUISITE CORPUS de Peter Tscherkassky / HES THE BEST de Tamyka Smith / BOX ROOM de Michel Lathrop / PORTRAIT de Donato Sansone / SHUTTERBUG de Christopher Walsh

Light Is Calling de Bill Morrison

Expérimental, 8’, 2004, États-Unis, Hypnotic Pictures

Synopsis : Une méditation sur les collisions aléatoires.

Œuvre hypnotisante réagençant avec élégance et de manière accidentelle une série d’images du film muet « The Bells » (1926) de James Young, le poétique « Light Is Calling » de Bill Morrison (« Decasia », « The Miner’s Hymn ») se présente comme un travail sensitif sur la mémoire et le temps. Réflexion sur la nature éphémère des choses, « Light Is Calling » dissèque le concept même de film et tente de percer le mystère entourant des moments de vie passés, ayant traversé le temps par la pellicule.

Grand Prix de l’Étrange Festival 2004 et présenté par l’équipe des Programmes Courts & Créations de Canal+ lors de la programmation “20 ans de courts !” de l’édition 2015 du même festival, ce film délicat ouvre un monde de possibilités infinies et, accompagné de l’enivrante musique de Michaël Gordon, est à deux doigts de libérer l’âme prisonnière derrière toute image.

Julien Savès

Sœur Oyo de Monique Mbeka Phoba

Les histoires de jeunesse, d’enfance ou d’adolescence difficiles étaient très présentes dans la sélection du 23e festival Le Court en dit long, en juin 2015. « Sœur Oyo » se détachait du reste de la production belge sur ce thème en raison de son contexte singulier (le Congo, au début des années 1950), mais aussi de ses qualités d’écriture et de mise en scène. Le film, première fiction de Monique Mbeka Phoba après plus de vingt ans de documentaires, a d’ailleurs reçu la Mention du Jury Format Court.

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Inspiré d’une histoire vécue par la grand-mère de la réalisatrice (le court-métrage lui est dédié), « Sœur Oyo » n’est pas à proprement parler un film d’époque : la reconstitution est réduite à quelques costumes et le décor unique du film (un pensionnat religieux où sont éduquées de jeunes Africaines) nous semble hors du temps plutôt que représentatif d’un moment de l’histoire du pays.

La critique du colonialisme n’est pas appuyée. Certes, les premiers plans, qui montrent la petite Godelive se faisant couper les cheveux de force pour entrer au pensionnat, illustrent la violence de la rupture avec sa famille et ses racines. Mais, dans le reste du film, le soleil brille, les enfants s’amusent malgré des règles de vie strictes et les sœurs missionnaires sont assez affables. Un parallèle s’établit entre Godelive, l’enfant noire, et son institutrice, Sœur Astrid, doublement blanche (par sa peau et son habit) : elles sont toutes deux nouvelles et maintenues à l’écart de leur groupe (les camarades de Godelive se moquent de son faible niveau scolaire et la directrice du pensionnat doute de l’intelligence d’Astrid). Le film montre comment ces deux personnages gagnent un peu de confiance en elles : Sœur Astrid organise la chorale du pensionnat malgré les réticences de sa supérieure et Godelive est choisie comme soliste plutôt que la meilleure élève de la classe.

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Planté au milieu de la forêt, le pensionnat se veut un espace « civilisé », un petit morceau d’Occident où les interdits religieux se mêlent à une forme archaïque de pédagogie : réveil à heure fixe, punitions, enseignements peu intéressants… C’est un espace intermédiaire, entre l’Afrique et l’Europe, où la nature se frotte à la culture et les croyances animistes au dogme chrétien. Pris entre les deux, les enfants inventent des façons d’accommoder ces mondes éloignés.

La première rupture est celle de la langue. Godelive est séparée de sa mère et envoyée au pensionnat car son père veut qu’elle apprenne le français. Sur la bande-son, deux langues alternent donc : d’un côté, le français, la langue du père, du colonisateur et de la ville ; de l’autre la langue traditionnelle congolaise sous-titrée, celle des femmes et du village. S’y ajoute le latin du chant religieux, que les enfants apprennent par cœur sans comprendre les paroles, comme ces prières que leur font réciter les sœurs. On découvre aussi au détour d’un plan quelques lignes en néerlandais sur un livre appartenant à Sœur Astrid, signe que, comme Godelive, elle a abandonné une part de ses origines en arrivant au pensionnat francophone.

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L’enseignement chrétien que reçoivent les petites Congolaises est de toute évidence inapproprié, éloigné de leur culture et de leurs besoins. Dans leur esprit, le catéchisme se mélange à la sorcellerie des légendes africaines, renvoyant La Bible à sa nature de superstition comme les autres, au grand dam des bonnes sœurs : une leçon sur la Genèse déclenche ainsi la panique des enfants, qui confondent le serpent du jardin d’Eden avec un croquemitaine local.

Coupé du monde, le pensionnat est lui-même une sorte d’Eden, à la nature policée : des chemins sont tracés au milieu de l’herbe verte, les fleurs servent de décoration pour les cérémonies religieuses, les hautes plantes offrent de l’ombre aux enfants et les souches d’arbre leur servent de siège. Mais en dehors de la cour de l’école s’étend une forêt dense et sauvage. C’est là, à l’écart, que vit le jardinier, seul homme du pensionnat dont la virilité trouble Sœur Astrid (l’évêque, dont les sœurs préparent la venue dans l’établissement, est à sa manière aussi un objet de désir puisque l’on espère de lui une aide financière). La forêt est un espace de transgression : le royaume des superstitions, des peurs enfantines et du sexe (le jardinier et Astrid s’y retrouvent la nuit en secret et Goldelive les imagine transformés en serpents).

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La forêt est aussi le lieu des traditions et de la mémoire, où l’enfant se retrouve projetée lorsqu’elle ferme les yeux. Il est parfois difficile dans « Sœur Oyo » de délimiter ce qui tient de la réalité et du rêve, un doute favorisé par de nombreuses ellipses, des scènes laissées en suspens : l’étreinte nocturne d’Astrid et du jardinier dans la forêt a-t-elle réellement lieu ? Est-elle le produit de l’imagination de Godelive ? Ou alors, plus probablement, s’agit-il de la transposition rêvée d’une situation qui a bien eu lieu mais en journée, dans la salle de classe, sous les yeux de la petite fille, laissée hors-champ pour le spectateur ?

Les rêves de Godelive la ramènent dans la forêt où elle peut voir à nouveau sa mère qui lui manque. Dans ces scènes, le flou déréalise l’image et lui confère une certaine douceur, celle des souvenirs heureux. Rêve et réalité, passé et présent alternent jusqu’à se confondre dans l’étonnante scène finale : le matin de sa Communion, Godelive se réveille seule dans le dortoir, en présence de sa mère (un rêve ? un fantôme ?) et on découvre sur ses épaules des scarifications, apparues pendant la nuit, qui marquent de façon symbolique, mais différemment du rituel chrétien, son entrée dans le monde des adultes.

Sylvain Angiboust

Consultez la fiche technique du film

Pour information, le film sera projeté le jeudi 10 septembre 2015, à l’occasion de la reprise des Soirées Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de la réalisatrice

S comme Sœur Oyo

Fiche technique

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Synopsis : Le Congo belge, dans les années 1950. Godelive est envoyée par son père dans un pensionnat tenu par des religieuses. Elle est la risée de sa classe en raison de ses difficultés scolaires. Sœur Astrid, son institutrice, décide de faire apprendre à la classe un chant en latin.

Genre : Fiction

Durée : 23′

Pays : Belgique, République Démocratique du Congo

Année : 2015

Réalisation : Monique Mbeka Phoba

Scénario : Monique Mbeka Phoba

Image : Ella van den Hove

Montage : Pieter De Naegel

Interprétation : Rose Mayungi, Laura Verlinden, Jenovia Mabiala, Catherine Salée.

Production : Rumbacom, Umedia, RTBF

Article associé : la critique du film

À la rencontre du jeune cinéma français : Thomas Salvador, mardi 8 septembre au Cinéma l’Archipel

Le Cinéma L’Archipel reprend son cycle de rencontres initié l’an passé autour du jeune cinéma français, réalisé en partenariat avec Format Court.

Pour accompagner la rentrée, c’est au tour de Thomas Salvador, réalisateur du long-métrage « Vincent n’as pas d’écailles » sorti en début d’année, de venir présenter une rétrospective intégrale de ses courts-métrages réalisés sur une période de dix ans. L’occasion pour les spectateurs de se (re)plonger dans l’œuvre d’un des cinéastes français les plus atypiques que la décennie précédente aura révélé. À l’issue de la projection, le cinéaste dialoguera avec Marc-Antoine Vaugeois (rédacteur à Format Court).

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Programmation (6 courts-métrages)

UNE RUE DANS SA LONGUEUR (2000)
LÀ CE JOUR (2001)
PETITS PAS (2003)
DANS LA VOIE, PORTRAIT D’UN GUIDE AU TRAVAIL (2003)
DE SORTIE (2005)
ROME (2009)

En pratique

Mardi 8 septembre,20h
Cinéma L’Archipel : 17 boulevard de Strasbourg – 75010 Paris M° 4, 8, 9 Strasbourg St Denis/Château d’eau /Bonne Nouvelle
Événement Facebook

Tarifs

– 8 € / plein
– 6,5 € / réduit (étudiants, demandeurs d’emplois, plus de 60 ans sur justificatif sauf week-end et jour de fête)
– 4 € pour les – de 14 ans

5ème Prix Format Court au Festival Court Métrange !

Pour la cinquième année consécutive, Format Court attribuera un prix au 12ème Festival Court Métrange (15-18 octobre 2015), à Rennes. Le Jury Format Court (composé de Georges Coste, Karine Demmou, Sarah Escamilla et Aziza Kaddour) évaluera les films retenus en compétition internationale.

À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé. Celui-ci sera acheté et diffusé lors d’une séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Compétition internationale

– Corpus de Marc HERICHER 3’30/ France/ 2015
– The Substitute de Nathan HUGHES-BERRY 23’07/ Royaume Uni – Canada/ 2014
– Hide & Seek de Carles TORRENS 11’34/ USA/ 2014
– Hybris de Arjan BRENTJES 6’22/ Pays Bas/ 2014
– Sunday de Mischa ROZEMA 14’50/ Pays Bas/ 2015
– Entangled de Tony ELLIOT 15’34/ Canada/ 2014
– You will fall again de Alex PACHON 6’/ Espagne – Hong Kong/ 2015
– 1500 Ninos de Olivier DUBOIS 5’41/ Québec/ 2014
– Teeth de Tom BROWN 6’/ UK – Hongrie – USA / 2014
– Teenland de Marie GRAHTO 31’15/ Danemark – Allemagne/ 2014
– The mill at Calder’s end de Kevin MC TURK 13’46/ USA/ 2015
– Dead hearts de Stephen W.MARTIN 16’40/ Canada/ 2014
– La Momie de Lewis EIZYKMAN 6’/ France/ 2014
– The karman line de Oscar SHARP 24’/ UK/ 2014
– Ghost doll de Yuki NISHIKATA 15’14/ Japon/ 2014
– Box room de Michael Lathrop 15’28/ Irelande/ 2014
– They will all die in space de Javier CHILLON 14’45/ Espagne/ 2015
– Invaders de Jason KUPFER 6’10/ USA/ 2014
– The herd de Melanie LIGHT 20’17/ UK/ 2014
– In Passing de Alan MILLER 5’/ USA/ 2013
– Juliet de Marc Henri Boulier 11’30/ France/ 2015
– Chez moi de Phuong Mai Nguyen 11’54/ France/ 2015
– La contribution de Chloé DELAUME 12’/ France/ 2014
– The fish of my life de Julius SICIUNAS 6’/ Lituanie/ 2014
– 20Hz de Chris KELLER 5’/ UK/ 2015
– Golconda de Manuel PERRONE 6’55/ France/ 2015
– Dernière porte au Sud de Sacha FEINER 14’20/ Belgique/ 2015
– Subotika de Peter VOKART 13’/ Suisse/ 2015
– Splintertime de ROSTO 11’05/ France/ 2015
– Tsunami de William FULLAGAR 7’14/ Danemark/ 2015
– Territoire de Vincent PARONNAUD 22’38/ France/ 2014
– Symphony No.42 de Réka BUSCI 9’30/ Hongrie/ 2014
Beauty de Rino STEFANO TAGLIAFIERRO 10’00/ Italie/ 2014
– Nocturne de David F. GEISER 15’00/ Suisse/ 2014
– The Waldgeist & Me de Joe BICHARD 10’00/ Royaume Uni/ 2014
– Tiger de Jacob CHELKOWSKI 12’00/ Pologne/ 2014
– Rien ne Peut T’arrêter de David HOURREGUE 15’00/ France/ 2014

Cartoon d’Or 2015, les six films finalistes

Le Cartoon d’Or récompense chaque année le meilleur court métrage d’animation européen. Voici les six films finalistes pour le Cartoon d’Or 2015.

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A Single Life par Job, Joris & Marieke, Pays-Bas

Premier Automne par Carlos De Carvalho & Aude Danset, France

Brothers in Arms par Cav Bøgelund, Danemark

Coda par Alan Holly, Irlande

I can’t wait par Claire Sichez, France

The Bigger Picture par Daisy Jacobs, Royaume-Uni

Le jury du Cartoon d’Or 2015, composé du producteur Philippe Delarue (Futurikon, France), du réalisateur Jan Bultheel (Tondo Films, Belgique) et du producteur Paul Young (Cartoon Saloon, Irlande), a sélectionné les finalistes parmi 31 courts métrages primés aux festivals d’animation européens, partenaires de CARTOON. La cérémonie de remise de prix aura lieu le 17 septembre à Toulouse.

Reprise des Soirées Format Court, jeudi 10 septembre 2015, à 20h30 au Studio des Ursulines

Après la pause estivale, les soirées Format Court reprennent pour la 4ème année consécutive au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). La séance de rentrée, organisée le jeudi 10 septembre 2015, dès 20h30, met à l’honneur cinq réalisatrices (françaises, belges, anglaises, brésiliennes) et leurs films sélectionnés et primés en festival. Pour l’occasion, pas moins de 3 cinéastes seront présentes pour accompagner cette première projection de l’année.

En guise de joli bonus, nous vous proposons également de découvrir une exposition de dessins et croquis préparatoires relatif au film « Guida ».

Soirée organisée avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International et du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris

Programmation

Kanun de Sandra Fassio (Fiction, Belgique, France, 2015, 27’, Hélicotronc, Offshore). Prix Format Court, Festival Le Court en dit long 2015. En présence de la réalisatrice

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KANUN : code albanais ancestral, impitoyable. L’article 864 dit : Tu vengeras la mort d’un membre de la famille par la mort de l’assassin. Mais l’article 602 impose de respecter et protéger son invité comme son propre enfant. Et ce soir, Adil a accepté d’héberger Johan, un de ses hommes de main, pour la nuit.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Guida de Rosana Urbes (Animation, Brésil, 2014, 11’, RR animaçao de filmes). Mention du jury Fipresci, Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre au Festival d’Annecy 2015

Guida, une dame douce qui travaille depuis trente ans comme archiviste pour le tribunal de la ville change sa routine ennuyeuse en voyant une petite annonce pour un cours de dessin d’après modèle vivant donné dans un centre culturel.

Article associé : l’interview de la réalisatrice

Sœur Oyo de Monique Mbeka Phoba (Fiction, Belgique 2014, 23’, Rumbacom). Mention spéciale Format Court, Festival Le Court en dit long 2015. En présence de la réalisatrice

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Dans le Congo colonial des années 50, une écolière congolaise, Godelive, vit dans le pensionnat catholique de Mbanza-Mboma, première école en français pour congolaises. Elle s’occidentalise, suivant le souhait de ses parents.

Article associé : la critique du film

Top Girl de Rebecca Johnson (Fiction, Royaume Uni, 2008, 19’, Fierce Productions). Sélectionné à Berlin, Rotterdam, Clermont-Ferrand, Tampere 2009, …

L’histoire tendre, pleine de vérité, à la fois drôle et crue, de filles qui grandissent dans un univers masculin, à Brixton. Une tranche de vie adolescente brute et sincère.

Article associé : la critique du film

Le Repas dominical de Céline Devaux (Animation, France, 2015, 13’, Sacrebleu Productions). Sélection officielle au Festival de Cannes 2015. En présence de la réalisatrice

C’est dimanche. Au cours du repas, Jean observe les membres de sa famille. On lui pose des questions sans écouter les réponses, on lui donne des conseils sans les suivre, on le caresse et on le gifle, c’est normal, c’est le repas dominical.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

En pratique

– Jeudi 10 septembre 2015, à 20h30, accueil : 20h. Durée de la séance : 93′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com
– Événement Facebook : ici !

Locarno, le palmarès 2015

Le 68ème festival de Locarno (5-15 août) a rendu public son palmarès. Voici les différents courts internationaux et suisses primés dans la section Pardi di domani, à l’occasion de cette dernière édition.

Compétition internationale

Pardino d’oro – Premio SRG SSR, Prix Film und Video Untertitelung : MAMA de Davit Pirtskhalava, Géorgie

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Pardino d’argento SRG SSR : LA IMPRESIÓN DE UNA GUERRA de Camilo Restrepo, France/Colombie

Nomination aux European Film Awards :  FILS DU LOUP de Lola Quivoron, France

Mention spéciale : NUEVA VIDA de Kiro Russo, Argentine/Bolivie

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Compétition nationale

Pardino d’oro : LE BARRAGE de Samuel Grandchamp, Suisse/États-Unis

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Pardino d’argento : D’OMBRES ET D’AILES de Eleonora Marinoni, Elice Meng, Suisse/France

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Best Swiss Newcomer Award (Meilleur espoir suisse) : LES MONTS S’EMBRASENT de Laura Morales, Suisse

Prix du Public UBS : DER STAAT GEGEN FRITZ BAUER de Lars Kraume, Allemagne

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Annecy 2015, les films à garder en mémoire

Malgré la pause et la passivité estivale, Format Court continue – à rythme réduit, certes – à vous proposer son regard critique sur le court-métrage. Si août rime avec foot et doute, si les festivals intéressants actuels et à venir n’ont pas lieu dans nos contrées (Locarno, Toronto, Venise), il ne nous est pas pour autant exclus de faire un bond en arrière, en juin par exemple, à l’occasion du dernier festival d’animation d’Annecy. Depuis un certain temps, nous convions les grands noms du secteur sur notre site (Michaela Pavlatova, Uri Kranot, Bill Plympton, Blu, Koji Yamamura, Jan Švankmajer), mais aussi les nouveaux talents à suivre (Rino Stefano Tagliafierro, Felix Massie, Roman Klochkov, Gerlando Infuso, Jean-Charles Mbotti Malolo, …). Ces auteurs, de pays, de techniques et de formations très différentes, ont tous à un moment été repérés par les sélectionneurs d’Annecy.

Longtemps dirigé par Serge Bromberg, repris depuis par Marcel Jean, le festival réussit le pari d’être toujours aussi sympathique et rassembleur et de réunir autant les réalisateurs, les étudiants, les autres festivals, la presse généraliste et spécialisée et l’industrie (chaînes de télévision, producteurs, régions, studios, …). De son côté, le MIFA, le marché du film, ne désemplit pas, malgré la grande tentation de flâner dans les rues pavées d’Annecy, de faire du bateau sur le lac et de se faire chatouiller les orteils par les cygnes environnants.

Malgré les contraintes rencontrées (difficulté de trouver un logement, d’obtenir une place en salle ou de gérer son emploi du temps), Annecy maintient une image de festival attractif grâce à la qualité de sa programmation, son ouverture à l’international (les professionnels viennent d’Inde, d’Israël, d’Italie, d’Australie, du Brésil, du Japon, du Canada, etc) et sa décontraction (les animateurs improvisent des pique-nique et les carnets de dessins passent de main en main).

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Du côté des films, certains bons titres déjà vus réapparaissent notamment du côté du Canada (« Day 40 » de Sol Friedman, « You look like me » de Pierre Hébert, tous deux découverts au FNC de Montréal) tandis que plusieurs curiosités surgissent au détour d’une séance en salle ou à la vidéothèque. En premier lieu, « Ernie Biscuit », le nouveau film de Adam Elliot (Australie) passé au long en 2009 avec le magnifique « Mary and Max » après d’excellents débuts en courts (sa trilogie familiale et l’oscarisé « Harvie Krumpet »), nous a fort intéressés. Malheureusement, malgré un début emballant, le film déçoit par son scénario bancal, ses répétitions et ses longueurs de plans. Fort dommage tant l’univers d’Elliot, ses personnages en pâte à modeler, son traitement du handicap et de la maladie, son intérêt pour le judaïsme et les voix off le distinguent des autres animateurs. En dépit des faiblesses de son film, « Ernie Biscuit » est une transition pour l’auteur qui souhaitait arrêter le cinéma après les nombreuses difficultés rencontrées avec « Mary and Max ». Le court métrage, objet de réconciliation avec la réalisation, Adam Elliot en parle dans le long et passionnant entretien qu’il nous a accordé à Annecy et qui sera publié prochainement.

En février 2014, notre équipe avait primé un artiste autrichien, Paul Wenninger, au festival d’Angers pour son premier film professionnel « Trespass » (également lauréat d’une Mention spéciale à Annecy 2013). Nous étions donc bien évidemment curieux de le retrouver en sélection à Annecy avec son nouveau court-métrage « Uncanny Valley ». Le film, très étrange à nouveau, est une expérience sensorielle exigeante et percutante, extrêmement réaliste autant visuelle que sonore dans les tranchées de la première guerre mondiale. Sang, boue, peur, folie, mort : tout y passe sans chercher à ménager le spectateur. Le film, par moments légèrement décevant, se balade entre fiction et animation, joue avec les plans de caméra, et propose un final intéressant, entre acteurs et spectateurs de la grande guerre.

Du côté des bonnes surprises, 5 titres en compétition sortent clairement du lot. Commençons par les femmes (le festival a eu la curieuse d’idée de les mettre à l’honneur cette année avec des programmes dédiés). Rosana Urbes, première femme brésilienne à être sélectionnée et primée à Annecy avec son court-métrage « Guida » (Mention du jury Fipresci, Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre), nous livre un charmant projet autour de l’acceptation de soi, de son corps et du regard d’autrui (une femme entre deux âges décide de poser nue pour des séances de modèle vivant et se révèle à elle-même et aux autres), le tout accompagné d’une superbe musique (signée Gustavo Kurlat et Ruben Feffer) et de croquis non achevés.

Sarah Van Den Boom, propose de son côté « Dans les eaux profondes », Prix Festivals Connexion – Région Rhône-Alpes, un film tout en finesse et en émotion sur les témoignages de plusieurs adultes découvrant sur le tard un secret particulier lié à leur naissance. Le film, co-produit par la France et le Canada (Papy 3D, connu pour les films de Franck Dion, Gilles Cuvelier, Jérémy Clapin), se dote d’une palette de couleurs intéressante et d’une musique fabuleuse signée Pierre Caillet et signe une impossible quête, celle des survivants en recherche toute leur vie de leurs disparus. Bonnes nouvelles pour nos lecteurs et spectateurs : « Guida » et « Dans les eaux profondes » seront projetés dans le cadre de nos séances mensuelles, au Studio des Ursulines (Paris), respectivement en septembre et octobre, et les interviews de ces deux réalisatrices, animatrices et dessinatrices extrêmement douées, sortiront bientôt sur notre site.

Du côté des réalisateurs, trois films nous ont particulièrement séduits. En premier lieu, « Sonámbulo » de Theodore Ushev, un cinéaste canadien qu’on aime bien à Format Court. Introduit par un vers de Federico Garcia Lorca, ce petit film de moins de 4 minutes, est un poème visuel et musical, superbement rythmé, jouant avec les formes, les couleurs, les silhouettes, les mouvements, les apparitions et les disparitions, l’abstrait et le surréalisme. Sublimée par le tango enjoué du musicien bulgare Kottarashky, cette œuvre hypnotique, digne héritière de Miro et McLaren, est un joyeux foutoir traversé par une multitude de détails et de plans les plus incroyables les uns que les autres.

Du côté de l’Estonie, « Island » (The Master) de Riho Unt, Prix du jury, propose un sujet étonnant, très original dans son traitement. En l’absence prolongée de leur Maître, un chien en liberté et un singe en cage apprennent à vivre ensemble malgré leurs différences. Soumission, mimétisme, folie, étrangeté : le film se distingue réellement des autres propositions animées et prend le temps (18 minutes) de raconter une histoire étrange, poignante, cruelle, où l’homme et l’animal se confondent à jamais.

Dernier film de ce crû annécien : « Mi ne mozhem zhit bez kosmosa » (We Can’t Live Without Cosmos), proposition russe, lauréate du Prix du jury junior pour un court métrage et surtout du sésame absolu, le Cristal du court métrage 2015. Réalisé par l’animateur expérimenté Konstantin Bronzit, ce film s’intéresse à l’amitié et la solidarité de deux cosmonautes rêvant d’atteindre un jour le cosmos et se surpassant pour atteindre les étoiles.

Sans la moindre parole, cette farce géniale s’inscrit dans la lignée d’un court précédent de Bronzit, « Lavatory Lovestory », film doublement hilarant et touchant sur une dame pipi se mettant à rêver du grand amour, repéré sur la scène festivalière et en lice pour les Oscars en 2009. Tout comme Adam Elliot, Rosana Urbes et Sarah Van Den Boom, nous avons rencontré Konstantin Bronzit. Son entretien sera également publié dans les prochaines semaines. Australie, Brésil, France, Canada, Russie : le cinéma d’animation se veut bel et bien international sur Format Court.

Katia Bayer

Festival de Venise 2015, les courts sélectionnés

À l’occasion de la Biennale de Venise, la 72ème édition de la Mostra Internazionale d’arte cinematografica se déroulera entre le 2 et le 12 septembre 2015. Voici les heureux courts métrages sélectionnés dans la section « Orizzonti ».

Venise

NEW EYES de HIWOT ADMASU GETANEH – France, Royaume-Uni, Allemagne, 11′

E.T.E.R.N.I.T. de GIOVANNI ALOI – France, 11′

EN DEFENSA PROPIA de MARIANA ARRIAGA – Mexique, 14′

VIOLENCE EN RÉUNION de KARIM BOUKERCHA – France, 15′

IT SEEMS TO HANG ON de KEVIN JEROME EVERSON – États-Unis, 20′

HOU (MONKEY) de SHEN JIE – Chine, 5′

TARÂNTULA de ALY MURITIBA, MARJA CALAFANGE – Brésil, 20′

55 PASTILLAS de SEBASTIÁN MURO – Argentine, 13′

SEIDE de ELNURA OSMONALIEVA – Kirghizstan, 13′

CHAMP DES POSSIBLES de CRISTINA PICCHI – Canada, 13′

DVORIŠTA (BACKYARDS) de IVAN SALATIC – Monténégro, 20′

JER GUN MUER RAO JER GUN (THE YOUNG MAN WHO CAME FROM THE CHEE RIVER) de WICHANON SOMUMJARN – Thaïlande, 16′

BELLADONNA de DUBRAVKA TURIC – Croatie, 18′

OH GALLOW LAY de JULIAN WAYSER – États-Unis, 20′

Festival CourtsCourts, le palmarès 2015

Le festival CourtsCourts ayant lieu dans le Var, dans le joli village de Tourtour, s’est  achevé il y a quelques jours. Voici les 5 films primés par le Jury officiel (Martin Razy, Paola Casamarta, Helena Stork) et le (jeune) public.

Palmarès

Grand Prix du Jury : « K-Nada », fiction de Hubert Charuel, France, 2014, 22 mn

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Deux frères que tout oppose, sont paumés sur la route de leurs rêves un peu absurdes. Dans deux jours, ils doivent se rendre à Amsterdam. Greg pour un concours de DJing, Valentin pour en ramener des kilos de marijuana

Prix spécial du Jury : Stella Maris, fiction de Giacomo Abbruzzese, 2014, Italie, 26mn

Un village perdu au bord de la méditerranée, à l’occasion d’une fête populaire, les habitants attendent l’arrivée par les eaux d’une statue illuminée : la Stella Maris, vierge de la mer. L’histoire d’un artisan de la lumière et de sa fille, d’un maire borgne, de feux d’artifice et du street art comme révolution.

Prix du Public : « Planter les choux », fiction de Karine Blanc, France , 2014, 17 mn

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Julie a un rendez-vous important aujourd’hui. Elle a un bébé aussi et pas de place en crèche. Elle a tout prévu, sauf les caprices d’un ascenseur fatigué et un tête-à-tête singulier avec son futur employeur.

Prix spécial du public : « Anòmalo », fiction de Aitor Gutiérrez, Espagne, 2015,15mn 40

Trois grands-pères s’amusent à espionner une femme avec des jumelles depuis la piscine couverte d’une salle de sport. La vitre de la piscine leur sert de protection et aussi de mirador. Mais ce soir, Luis, Dario et Pedro seront témoins d’un événement qui marquera un point de non- retour.

Prix des Pichoun : « Moi et mon Panda domestique », 5mn12, une animation de Camille BILLAUD, Doriane LOPEZ et Domitille MELLAC

Un petit garçon va tenter de domestiquer un panda qu’il a reçu pour son anniversaire

Céline Devaux : “Si tu veux toucher l’autre, il faut revenir à la vie, transmettre la réalité »

Place aux filles. Après Chloé Mazlo et avant Sarah Van Den Boom et Rosana Urbes, Format Court s’intéresse aux nanas de l’animation. Chapitre 2 : Céline Devaux. Repérée avec  son film de fin d’études à l’ENSAD, Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, la jeune réalisatrice a terminé cette année Le Repas dominical, son premier projet professionnel. Entre dérision, amour et mélancolie, cette chronique portant sur les réunions familiales a fait partie des 9 courts retenus en compétition à Cannes cette année.

Déformation des corps, couleur,  esprit de synthèse, collaborations (Vincent Macaigne, Flavien Berger, Sacrebleu Productions), conception de l’animation, anxiété, excès, observation : voici quelques uns des thèmes chers à sa pétillante réalisatrice rencontrée à Paris il y a quelques mois.

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Format Court : Pourquoi es-tu entrée à l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs ) ?

Céline Devaux : Je voulais faire une école d’art depuis longtemps, mais j’ai commencé par des études littéraires, et j’ai enchaîné avec une licence d’histoire. J’ai réalisé que je ne voulais pas devenir professeur. C’était le moment d’arrêter, j’ai donc tenté les Arts Décos à Paris. Je ne savais pas encore que je voulais faire des films d’animation, je voulais juste dessiner. C’est à l’école qu’on m’a fait découvrir l’animation.

Tu dessines depuis longtemps. Le trait que tu avais à la base est-il le même qu’aujourd’hui ?

C.D. : Je connais très peu de dessinateurs qui n’ont pas évolué. Mon trait a toujours été sombre mais avant, c’était surtout du mauvais goût (rires) ! Je ne dessinais pas très bien, j’avais les défauts propres aux jeunes dessinateurs, comme la volonté du réalisme, la quête du détail. Quand tu commences à dessiner, tu cherches à être proche de la réalité. Après, tu trouves ton propre style et les outils graphiques te permettant d’être beaucoup plus proche du réel mais sans l’imiter.

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C’est ce qui explique que dans tes films, tu cherches par exemple à transformer les corps, à les étirer ?

C.D. : Oui. J’aime l’animation parce que c’est un outil de narration très fort. L’image est malléable, elle peut presque remplacer les mots. Si tu décides de déchirer, d’écraser, d’étendre un corps à l’extrême, ça remplace une phrase, ça exprime une sensation. Je trouve ce principe génial, ça crée une liberté et une nécessité de synthèse. Tu te libères des mots, des décors en trop, tu touches à l’essentiel. Une fois que tu y arrives, c’est hyper satisfaisant. C’est la grande force de ce médium qui est totalement sous-estimé.

Quelqu’un m’a dit un jour que chaque image pouvait être une capture d’écran et quelque chose à garder. J’essaye cependant de ne pas être trop dans le visuel. Parfois, à force d’être trop décoratif, tu te rends compte que tu perds en substance. Pour Le Repas dominical, j’avais prévu des scènes très compliquées avec beaucoup de décors et je me suis rendue compte que ça allait être trop, que ça devenait un catalogue d’images, alors je les ai coupées. Tu ne peux pas tout regarder en même temps, tu es quand même au service d’une histoire. C’est agréable de synthétiser ton propos. Moi, j’ai tendance à remplir l’image alors que parfois il faut faire simple.

Comment t’es-tu rendue compte de cette liberté, de ce moment où tu touchais à l’essentiel ?

C.D. : Pendant longtemps, je n’ai rien fait car le travail, je le laissais aux autres. Je préférais aller boire une bière que de rester plus longtemps à l’école ! À un moment, pendant mes études, j’ai dû faire un projet personnel, travailler sur un petit film d’animation, How to make a hysterically funny video on a very sad music autour d’une musique de Rossini.

Pendant 2-3 semaines, j’ai été enfermée dans un atelier, dans le noir et je ne faisais que ça. Ça a été la révélation de ma vie. Je ne voulais plus du tout aller boire de bières (rires) ! J’ai découvert que j’étais contente de travailler. Ça a complètement changé ma vie. Aujourd’hui, si je ne travaille pas, je suis complètement malheureuse. L’animation prend du temps, on travaille pendant des heures, en solitaire, c’est la flagellation totale mais moi, ça me rend heureuse !

J’ai l’impression que tu joues beaucoup avec le cadre, que tu forces le trait, que tu prends des risques à chaque plan.

C.D. : Quand on dessine ou réalise, il faut accepter cette idée très difficile du produit fini. Tu dois rendre ton travail en acceptant que c’est la meilleure chose que tu aies pu faire. Quand tu crées quelque chose, tu abandonnes tes droits. Personnellement, j’utilise une technique destructrice. Mes dessins disparaissent, je redessine chaque fois sur le même support. Au final, j’ai 60 dessins pour un film qui en compte peut-être 10.000. Cela permet d’aller beaucoup plus vite, ce qui est bien sûr une notion toute relative en animation (rires) ! J’essaye de faire 15 minutes de film en 6 mois et pas en un an. Je ne veux pas perdre mon temps parce qu’il me manque un élément. Comme je ne refais pas le même dessin chaque fois, cela joue sur mes choix, mes cadres. Me confronter à cette contrainte-là m’oblige à faire des choix beaucoup plus radicaux. Il faut que le spectateur comprenne tout de suite ce que j’ai à dire.

Pourquoi as-tu choisi de traiter des réunions familiales pour ce film ?

C.D. : J’ai énormément réfléchi à ce sujet il y a deux ans. En sortant de l’école, j’étais une jeune adulte, je cherchais du boulot. J’ai observé dans les familles des autres et dans la mienne à quel point le temps était en train de changer d’échelle. La réunion de famille venait remplacer un temps qui était auparavant infini. Quand tu es enfant, tu passes énormément de moments avec les tiens. Tu ne te demandes pas si tu as besoin de leur présence, c’est inévitable. Et puis, en grandissant, tu vis des moments comme le repas familial où tu passes plusieurs heures auprès de ceux qui t’ont défini toute ta vie. Les réunions familiales ont un côté redéfinissant, extrêmement violent. Le film traite de la confrontation soudaine d’un individu devenu jeune adulte à ses pairs et de la façon dont ceux-ci décident ou non de l’accepter comme leur égal et de le comprendre.

Ton film est très bavard. On y trouve des couches burlesques, mais aussi dramatiques.

C.D. : Je pense que c’est aussi un film sur la mélancolie, l’anxiété. Celle-ci peut arriver dans des situations très familières. Il n’y a rien de pire que la solitude et la mélancolie ressenties avec des gens qu’on connait bien.

Ce qui m’a surprise dans ton film, c’est la couleur, la luminosité contrastant avec ton film précédent. Pourquoi avoir eu envie d’aller vers la couleur ?

C.D. : J’avais la hantise de faire le même film qu’avant. Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, mon film de fin d’études partait d’une histoire qui existait déjà, celle de Raspoutine, ce qui représentait un confort terrible en termes de scénario. Je pouvais me permettre de prendre toutes les libertés que je voulais et je partais d’une réalité, ce qui était agréable.

Il y avait une saveur historique que je n’avais pas besoin d’inventer alors que pour ce projet-ci, il a fallu que je fasse comprendre aux gens que j’avais raison de raconter cette histoire. Il fallait trouver une bonne raison de le faire, c’est tout le problème de l’intention dans l’écriture. J’ai mis du temps à écrire, à trouver le ton juste et aussi le bon style de dessins. Dans ce film, il y a beaucoup dessins différents, de scènes que j’ai refaites. Le début était plus sombre, je ne savais pas comment introduire de la couleur, j’en voulais pour évoluer, changer. Ça n’a pas été évident, mais ça a marché. J’ai change d’outils beaucoup de fois. La couleur, ça peut être vite vulgaire en dessin.

Ici, elle est plutôt terne.

C.D. : Oui. Il y a quelque chose d’étouffé.

Ton prochain film sera peut-être criard.

C.D. : Peut-être même fluo (rires) !

Tu travailles depuis le début avec le même compositeur, Flavien Berger. Peux-tu me parler de votre collaboration ?

C.D. : Flavien est un ami, on se connait depuis longtemps. Il a toujours fait de la musique à côté. À l’école, on a dû faire un petit film pour l’Abbaye de Fontevraud (How to make a movie for an Abbey). On devait enregistrer des bruits de porte sur place et j’avais demandé à Flavien d’en faire une musique parce que je savais qu’il en créerait un truc chouette. En réalité, il en a fait une musique géniale.

Depuis ce moment, on a constamment collaboré. À chaque film, je lui ai demandé de m’aider pour la musique. J’avais fait un court-métrage de très mauvaise facture en prise de vues réelles pour lequel Flavien a fait une musique incroyable. Il en est resté bien plus la musique que le film. Ça a marqué notre collaboration.

C’est quoi, ce projet ?

C.D. : Il est sur un disque dur chez moi et plus personne ne le verra jamais (rires) ! Il a des défauts de films d’étudiants, des trucs qui ne vont pas du tout et d’autres que je ne renie pas.

À vrai dire, j’ai fait plusieurs fictions mais je privilégie l’animation pour les projets ambitieux. Flavien est très productif. Je lui montre 10 minutes de film à peine finies et il m’envoie 3 heures de musique. Pour Raspoutine, il a enregistré des trucs qui durent des heures. Comme on est amis et qu’on se comprend bien, c’est super de compter sur quelqu’un qui comprend ton projet presque mieux que toi. Pour Le Repas, on a énormément parlé, j’ai commence à écrire dans sa maison de campagne et on est resté assez proche pendant tout le film. Il a travaillé de son côté et m’a envoyé une musique qui exprimait des choses que je lui avais dites six mois auparavant. C’était incroyable, son langage est très beau. J’aime énormément la musique de ce film.

C’est quelqu’un qui travaille avec d’autres réalisateurs ?

C.D. : Il travaille régulièrement avec Meriem Bennani, une artiste new-yorkaise, une ancienne des Arts Décos, qui fait également de l’animation. Il a aussi fait la musique d’un documentaire tourné aux États-Unis, Mala Mala de Dan Sickles et Antonio Santini. Là, il sort son premier album et travaille majoritairement sur ses productions personnelles.

Qu’est-ce qui t’intéresse le plus dans les films d’animation ? L’histoire ou l’univers visuel ?

C.D. : J’aime énormément ce medium, pour moi, c’est un art suprême. J’aime les histoires taiseuses et les films expérimentaux où on est plus proche de l’art contemporain que du cinéma. J’adore la trilogie de Don Hertzfeldt, entamée avec Everything will be ok. Il a fait trois films de 20 minutes qui sont incroyablement cyniques, violents, drôles, beaux et tristes. C’est un trentenaire américain qui a commencé sa carrière avec une commande pour une publicité. Il en a fait Rejected, un film avec des trucs horribles, des personnages qui pissent le sang, qui se tapent dessus et qui meurent et il a été sélectionné aux Oscars avec ce projet ! Après, il a fait des films beaucoup plus écrits, sur des sujets comme la dépression, la famille. Son travail est très bavard, bien écrit, intelligent, mais visuellement, ce n’est pas spectaculaire.

Ça a pu t’aider, t’inspirer ?

C.D. : C’est quelqu’un qui sait faire un film, tu t’en rends compte avec les choix qu’il fait dans l’usage des mots et leur équilibre avec les images. David O’Reilly, qui fait des films silencieux, a aussi un incroyable génie de la narration. C’est aussi du cinéma et ça m’inspire tout autant que Don Hertzfeldt.

Le style de ton dernier film est très épuré. Était-ce pour contraster avec l’excès des comportements, des caractères des personnages ?

C.D. : Oui, mon film est très bavard. Je voulais que la narration porte le film et il ne fallait surtout pas que l’image ne colle pas au texte, mais qu’il y ait toujours un décalage constant.

À la base, je ne savais pas si j’allais pouvoir avoir Vincent Macaigne pour le film. C’est quelqu’un dont la voix prend une certaine place, il envoie, il a une présence vocale très forte, donc oui, le style est beaucoup plus épuré parce que le propos est excessif. Le personnage déblatère, c’est sa vision de sa famille à travers ses yeux, donc l’excès est là, de même dans le délire musical.

Comment ça s’est passé justement avec Macaigne ? Tu as approché un comédien qui a de la bouteille mais qui hurle quand même au générique !

C.D. : J’étais arrivée à un stade où je connaissais mon texte par cœur et où je ne le supportais plus. Vincent est arrivé avec une force de proposition énorme mais c’est aussi un metteur en scène. Il prend un texte et l’enveloppe complètement sans marcher sur tes plates bandes. C’est très riche, agréable et professionnel. Tout d’un coup, ton texte renaît et ça, c’est génial ! J’avais fait une voix témoin, hyper terne avec un petit ton dépressif, mélancolique et subitement, Macaigne s’est pointé, a gueulé et c’était formidable !

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Tu lui as fait écouter ta bande dépressive ?

C.D. : Oui, pour lui montrer le timing, mais clairement, ça ne l’a pas inspiré car il n’a pas gardé l’idée. On a eu beaucoup de rushes et le travail de mixage a été très intéressant. Pendant des mois, j’ai été seule sur le projet. C’était donc très agréable de travailler avec des gens comme Flavien et Vincent dont j’ai accepté l’apport. C’est aussi un choix, une vraie collaboration. Je pense que j’avais besoin de confier mon projet à quelqu’un, toutes proportions gardées.

Depuis la fin de ce projet, que fais-tu ?

C.D. : Ce projet est né parce que je voulais faire un film très vite, tout de suite, après l’école. Depuis qu’il est terminé, j’ai très envie d’en faire un nouveau ! Après, entre l’envie et la nécessité de raconter un bon projet, il y a un pas. Ça va prendre un peu de temps pour la suite. Pour le moment, je dessine et j’écris beaucoup dans un carnet. Je note ce qui me marque, les comportements autour de moi, dans la rue, des conversations que j’entends. Je passe ma vie à prendre des notes, je les perds et les retrouve 2 ans plus tard ! J’enregistre les gens aussi. Il y a des choses dont je ne me souviens pas comme la justesse des propos. Si tu veux toucher l’autre, il faut revenir à la vie, transmettre la réalité. Le but est de pondre quelque chose qui soit authentique, quelque soit la forme que tu choisis.

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Et la forme courte dans tout ça ?

C.D. : Un long-métrage d’animation, c’est un bordel inouï, une entreprise très contraignante. Je rêve du jour où on pourra faire des films d’animation pour adultes facilement. J’aimerais réussir à faire quelque chose de très chouette comme Persepolis.

Le problème, c’est que j’ai du mal à déléguer. C’est pour ça que la forme courte en animation a vraiment du sens, c’est vraiment une expérience. Mes copains qui font de la fiction pensent que je suis folle de passer autant de temps pour un film de 15 minutes. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que je suis très heureuse, car pendant 6 mois, je suis enfermée, j’ai un atelier, je suis payée et je dessine ! C’est à la fois très précieux et génial !

Propos recueillis par Katia Bayer et Paola Casamarta. Retranscription : Katia Bayer

Article associé : la critique du film

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Off-Courts 2015, la sélection officielle

La 16ème édition du festival Off-Courts, ayant lieu du 4 au 12 septembre à Trouville-sur-Mer, a rendu public sa compétitions de films français, québécois, européens et/ou francophones. Voici les films sélectionnés dans les 3 programmes en compétition pour cette nouvelle édition 2015.

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QUEBEC

Bleu tonnerre de J.-M. E. ROY et P. D. GAGNÉ
Chelem de Charles GRENIER
Davaï de B. PUCELLA et R. KEIL
Ferraille de R. LESSARD et J. BEAULIEU-CYR
Île et aile de Dan POPA
L’enfer marche au gaz de Martin BUREAU
La pepperette de Jérôme HOF
Le pédophile de Ara BALL
Les cennes chanceuses de Émilie ROSAS
Migration de Fluorescent HILL
Mizbrük de Daniel DURANLEAU
Mynarski chute mortelle de Matthew RANKIN
Pas de Frédérique COURNOYER-LESSARD
Paths de Jérémy COMTE
Prends-moi de A. BARBEAU-LAVALETTE et A. TURPIN
Roberta de Caroline MONNET
Sale gueule de Alain FOURNIER
Une bombe de Guillaume HARVEY
Une idée de grandeur de Vincent BIRON
Zsofika de Maxime-Claude L’ÉCUYER

FRANCE

Appartement à vendre de Jeanne TACHAN
Bal de famille de Stella DI TOCCO
Barbara de Yannick PRIVAT
Corpus de Marc HERICHER
Dans la forêt lointaine de Ronan TRONCHOT
Dans les eaux profondes de Sarah VAN DEN BOOM
Foudroyés de Bibo BERGERON
Je suis orientée de Olivier RICHE
Jeunesse des loups garous de Yann DELATTRE
L’étourdissement de Gérard PAUTONNIER
L’ours noir de M. FORTUNAT-ROSSI et X. SERON
La couille de Emmanuel POULAIN-ARNAUD
Le repas dominical de Céline DEVAUX
Les dents de Battiston de Florent ASTOLFI
Névrodrome de Jim VIEILLE
Oscar & Adélaïde de Aurélien KOUBY
Petit fil(s) de Romuald BEUGNON
Revulshk ! de Julia BOUTEVILLE
She Walks de Victoria VISCO
Silence de Roland SOURAU

EUROPE ET FRANCOPHONIE

Animal on est mal de Sophie BRUNEAU – Belgique
Bendito Machine V-Pull the Trigger de Jossie MALIS – Espagne
Dissonant de Jurgen WILLOCX – Belgique
Dzieci dzwonia (Children Calling) de Andrzej MANKOWSKI – Pologne
Erledigung einer sache (The Last Will) de Dustin LOOSE – Allemagne
Interior.Família. de E. SOLER et G. QUINTO et D. TORRAS – Espagne
Le mal du citron de K. SCHILTKNECHT et J. ROSENSTEIN – Suisse
Nina de V. OBERTOVÁ et M. ČOPÍKOVÁ – Slovaquie
Père de Lotfi ACHOUR – Tunisie
Prodigal de S.-L HUANG et L. UNGUR – Roumanie
S de Richard HAJDÚ – Royaume-Uni
Zápletka (The Entangled) de Stanislav SEKELA – République Tchèque

Chloé Mazlo : « Je crois davantage en la puissance évocatrice de l’image poétique qu’en la représentation « fidèle » de la réalité »

Depuis quelques années et une collaboration au long cours avec Les Films Sauvages (« Deyrouth », « Les Petits Cailloux » et « Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes »), Chloé Mazlo développe un cinéma d’animation drôle, sensible et poétique, s’intéressant à la vie quotidienne et à ses petits désagréments. À l’occasion de la sélection de sa nouvelle œuvre (« Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes »), adaptée de Boris Vian, à l’édition 2015 du festival Côté Court, nous lui avons posé quelques questions sur son art animé si frais et délicat.

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©Docteur Liem Trinh

Peux-tu revenir en quelques mots sur ton parcours ? Comment es-tu arrivée à la réalisation de films d’animation ?

J’ai étudié le graphisme conceptuel et narratif aux arts décoratifs de Strasbourg. J’avais vécu des histoires amoureuses tragi-comiques durant ma scolarité et je les ai racontées spontanément dans un film d’animation qui n’était autre que mon projet de fin d’études, « L’Amour m’anime ».

En sortant de l’école, j’ai envoyé le film dans des festivals, et là, un producteur, Jean-Christophe Soulageon (Les Films Sauvages), m’a remarquée et a voulu me rencontrer. Nous nous sommes retrouvés dans un lieu pour le moins incongru, un PMU vers la Place de Clichy (Paris), et il m’a proposé de continuer à faire des films, ce que je n’avais pas forcément imaginé de prime abord, mais qui m’a semblé alors être une très bonne idée.

Ton cinéma semble fonctionner sous la forme d’un journal intime animé avec son lot de joie et de souffrances, tout en possédant un humour salvateur qui permet de créer une distance. Es-tu d’accord avec cette analyse ?

Le second degré est pour moi une chose capitale, autant dans la vie que dans la création. La distance est nécessaire pour apporter une certaine légèreté à des propos qui véhiculent et explorent, malgré leur aspect coloré, des sujets graves. Par ailleurs, je regarde très peu de films d’animation, c’est plus le destin quotidien de nos vies qui influence mon cinéma.

Il y a également dans mon travail l’envie de mettre en images littéralement ou avec humour des symboles, paraboles et métaphores, car j’ai eu une éducation moyen-orientale très picturale et métaphorique, qui m’a initiée dès mon plus jeune âge à l’art de la métaphore. Les images métaphoriques me servent à dédramatiser le propos et j’ai beaucoup plus de facilité à m’exprimer à travers ces images qu’avec des mots. Je crois davantage en la puissance évocatrice de l’image poétique qu’en la représentation « fidèle » de la réalité.

Comment t’est venue l’idée de départ (un mal de ventre oppressant) de ton film « Les Petits Cailloux » et comment as-tu « traduit » cela en fiction ? Peux-tu également me parler du parcours du film et de l’obtention du César du meilleur film d’animation ?

Je suis partie d’une expérience vécue, une histoire de maladie mal diagnostiquée que j’ai supporté et avec laquelle j’ai cohabité durant 5 ans.

Quand j’ai finalement réussi à m’en défaire, je me suis demandé comment et pourquoi je m’étais résignée à subir ces douleurs. En en parlant autour de moi, j’ai fait le parallèle avec beaucoup d’histoires que chacun vit que cela soit dans nos relations amoureuses, amicales, au travail, à la maison… Pourquoi quand nous avons le choix n’abandonnons-nous pas ces boulets ? Est-ce que nous nous culpabilisons d’être simplement heureux et que ces poids nous apportent une constance, un équilibre ?

De ces questions ont découlé l’envie d’en faire un film. Pas forcément pour y répondre, mais pour pouvoir les mettre en perspective.

Le film n’a pas eu une grande carrière en festival, et il n’a été sélectionné dans aucun festival de film d’animation de France. L’obtention du César était donc complètement inattendue et symboliquement forte. Je continue avec plus d’assurance et de sérénité, car ce prix démontre en quelque sorte que nous ne nous sommes pas trompés dans notre cheminement artistique. Je fais également attention à ce que cela ne change pas ma façon de travailler.

Quelles sont les techniques d’animation que tu utilises dans tes films ?

Je n’utilise qu’une seule technique d’animation : la pixilation, c’est-à-dire l’animation image par image d’objets ou d’acteurs dans un décor. Je n’utilise pas de fond vert, mais de la vidéo-projection car je souhaite maîtriser le processus créatif au moment du tournage. C’est une prise de risque qui peut entraîner des ratés, mais qui permet aussi des accidents heureux et une bonne part d’improvisation.

 Tes films font la part belle au travail de décoration et de costumes, peux-tu m’expliquer comment se déroule ce travail artistique ?

Ce travail se fait en amont du tournage, il faut en général deux bons mois pour les concevoir et beaucoup de patience, cela ne peut pas se faire dans l’urgence. J’ai été aidé par l’artiste Bérengère Henin sur mes deux derniers films. C’est vraiment un moment que je privilégie, une étape intermédiaire qui suit l’écriture du scénario et qui délimite le visuel du film.

De nombreuses personnes me suivent de film en film, ce qui peut donner parfois l’impression d’un travail artistique « en famille ». Comme me l’a fait remarquer Nicolas Pariser, réaliser un film, c’est un peu comme organiser une grande fête. Alors, forcément, je préfère y inviter ma famille et mes amis… et j’ai la chance d’être entourée de talentueuses et bienveillantes personnes !

Pour ton dernier film « Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes », comment t’est venue l’idée d’adapter Boris Vian et comment s’est passé l’adaptation de son œuvre ?

Boris Vian est un auteur qui a toujours fait partie de ma famille de référence, pour sa vision décalée du monde qui me semble plus juste que la réalité elle-même. J’avais contacté l’ayant droit principale, Nicole Bertolt, pour un autre livre, mais les droits étaient déjà pris. Elle m’a gentiment encouragée à trouver un autre ouvrage à adapter, précisant que mon univers correspondait en effet à celui de Boris Vian. J’ai donc exploré son immense héritage pour finalement découvrir ce conte très peu connu en rentrant un soir dans le métro : une fille le lisait en rigolant, cela m’a intriguée.

Sous les conseils « autoritaires » de mon producteur, Jean-Christophe Soulageon, j’ai travaillé avec Yacine Badday pour l’écriture. C’est un grand spécialiste de Boris Vian et un scénariste exceptionnel. Nous avons lu intensivement l’ouvrage puis l’avons mis de côté, pour se l’approprier et écumer l’histoire qui était trop foisonnante de détails et de rebondissements. Nicole Bertolt nous a vraiment offert une confiance absolue. Elle a été présente à chaque étape de la création avec une bienveillance rare qui nous a beaucoup aidés et émus.

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Quels sont tes projets à venir ?

Il y a plusieurs projets dans les tiroirs des Films Sauvages, mais je n’ose pas encore trop en parler, car nous attendons des réponses. En tout cas, j’ai envie de continuer dans la lignée de mes films précédents, et le défi -quotidien- consiste à ne pas se perdre en route…

Sinon, si je regarde la liste de mes bonnes résolutions pour 2016, je devrais aller à la piscine une fois par semaine, déménager et me faire enlever mes dents de sagesse !

Propos recueillis par Julien Savès

Pour information, « Les Petits Cailloux » sera projeté le jeudi 18/2 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de Jean-Christophe Soulageon, le producteur du film (Les films sauvages)

Festival Cinébanlieue, appel à films

Pour sa 10ème Édition parrainée par Reda Kateb, le Festival Cinébanlieue lance son appel à films. Envoyez vos films courts de 30′ minutes maximum (année de production : 2013-2015) avant le 20 septembre 2015 !

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1er GRAND PRIX TALENTS EN COURT doté par Miroir magique et le CNC – 7500 euros

2e PRIX FRANCE TÉLÉVISIONS. Achat du film primé par France-Télévisions

3e PRIX SACD

4e PRIX POST-PRODUCTION

Adresse d’envoi des films

Festival Cinébanlieue
Loge Gardien
122 avenue Victor Hugo
93300 Aubervilliers

Inscription et infos sur le site du festival : www.cinebanlieue.org

Nicolas Anthomé : « Ce qui m’intéresse profondément dans un film, c’est lorsqu’il nous amène là où l’on ne s’attendait pas à aller »

Nicolas Anthomé, producteur au sein de la société Bathysphere, s’est imposé en quelques années comme l’un des défricheurs les plus assidus d’une nouvelle génération de réalisateurs. Cette année, il présentait au festival Côté Court deux de ses productions récentes : « La Terre penche » de Christelle Lheureux, cinéaste prolifique que Format Court suit avec attention, ainsi que le nouveau film de Mihai Grecu, « The Reflection of power », tous deux présentés respectivement en compétition fiction et expérimentale. L’occasion d’aller à la rencontre de ce producteur qui est revenu pour nous sur son parcours, sur ses multiples collaborations et sur sa manière d’envisager la production aujourd’hui.

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Comment es­-tu arrivé au cinéma ?

J’ai grandi dans une petite ville de province. À l’adolescence, dans les années 90, j’ai commencé à développer des goûts personnels en musique et en cinéma, essentiellement via la télévision car il n’y avait pas de cinéma dans la ville où j’habitais. J’ai découvert les films comme ça, grâce au Ciné-club de Claude-Jean­ Philippe puis Frédéric Mitterand, au Cinéma de Minuit de Patrick Brion ou aux films programmés par Arte. J’ai pris conscience que cela pouvait devenir un métier lorsque j’étais au lycée, et j’ai pris la décision de travailler dans le cinéma assez rapidement, sans beaucoup réfléchir. L’envie de m’orienter vers la production est venue plus tard, vers l’âge de vingt ans. J’ai commencé à enchaîner les stages durant mes études, en ayant très vite le projet de monter une société de production. Je l’ai fait quelques années plus tard en créant Bathysphere productions et j’ai produit mon premier film en 2006.

Comment as­-tu rencontré les premiers réalisateurs que tu as produit ?

Je ne connaissais personne dans le milieu lorsque j’ai commencé à produire des films. Les premiers réalisateurs avec qui j’ai travaillé étaient des camarades de fac, comme Michaël Dacheux et Jérémie Jorrand dont j’ai produit les premiers court-­métrages. Les films que je je produisais alors étaient assez expérimentaux. À la même époque j’ai produit le premier long-­métrage documentaire de Virgil Vernier, « Chroniques de 2005 ». Je l’avais rencontré via un ami qui fréquentait cette bande parisienne composée de jeunes artistes comme Justine Triet, Arthur Harari, Thomas Lévy­-Lasne ou Ilan Klipper… Mes premières rencontres se sont faites à ce moment-­là, et de fil en aiguille j’ai rencontré plusieurs auteurs avec qui j’ai commencé des collaborations. Je suis rarement allé à la rencontre d’un auteur dans le but de produire ses films, exception faite d’Emmanuel Gras (« Bovines », « Être vivant ») que je suis depuis quelques années maintenant.

Est­-ce possible de définir une ligne éditoriale de Bathysphere ? Lorsqu’on regarde le catalogue de ta société de production, on a la sensation que la plupart des auteurs dont tu as produit les films ont des dispositions pour mélanger les écritures et les disciplines (le documentaire, la fiction, la danse…) dans le médium cinéma. Les documentaires, par exemple, reposent souvent sur des dispositifs formels assez expérimentaux qui les distinguent de la frange majoritaire de la production.

Les films qui m’intéressent en tant que spectateur et ceux que j’ai envie de produire sont en général ceux qui portent un projet formel singulier plutôt qu’un sujet à défendre. Je ne suis pas très sensible à l’envie de prendre en charge un sujet ou à la fibre militante, ça m’ennuie rapidement. Pour moi, l’ambition de mise en scène et le goût pour le romanesque prévalent sur la restitution conforme d’une réalité. Le fait est que, dans certains cas, la forme documentaire est plus appropriée et permet d’atteindre le cœur d’un projet plus facilement. Je pense notamment à « Bovines », que j’ai produit et qui ne peut exister que dans cette catégorie-­là, ce qui n’empêche pas le film de déployer une véritable écriture cinématographique.

On retrouve cette envie chez les cinéastes que tu as produit et qui vont plus franchement vers la fiction, comme Arthur Harari, Christelle Lheureux ou Arnold Pasquier.

Ce que ces auteurs ont en commun, c’est de ne pas chercher à faire des films pseudo-­naturalistes. On se rejoint sans doute sur ce désir là, même si ce n’est pas conscient. Après, le véritable point commun qui relie la plus part des films réalisés par les cinéastes que je suis est leur format : ce sont des moyens­-métrages. Ce qui m’intéresse profondément dans un film, c’est lorsqu’il nous amène là où l’on ne s’attendait pas à aller, lorsqu’il nous surprend. Cela induit donc, selon moi, une idée du romanesque qui a besoin de la durée pour ouvrir des portes sur des éléments inattendus et pour prendre le temps de développer des personnages et des récits singuliers. Il n’y a rien de plus ennuyeux pour moi que le petit court­-métrage de quinze minutes avec un récit bien clos, qui avance sur un terrain balisé, souvent avec les pires bons sentiments, et qui cherche à restituer une certaine idée du «réel» en caméra à l’épaule.

Qu’est-­ce que ça implique en terme de fabrication de privilégier les durées intermédiaires comme le moyen-­métrage (des films entre 30 et 59 minutes) quand on est producteur ?

C’est le format minoritaire dans le milieu du court­-métrage, il doit représenter entre 15 et 20 % de la production annuelle. La difficulté est déjà d’ordre économique, car on dépose souvent les projets dans les mêmes guichets que pour les films de moins de trente minutes. Ce sont donc les mêmes financements qui sont alloués alors que, de par leur durée, les moyen-­métrages coûtent plus cher. De plus, certains guichets refusent de lire ces projets, notamment certaines télés. L’autre obstacle, c’est la diffusion : la principale vitrine pour ces films sont les festivals de court­-métrages et la grande majorité d’entre eux ne programment pas les films de plus de 20 ou 30 minutes. J’ai produit beaucoup de moyen-­métrages, et certain d’entre eux n’ont été diffusés que dans deux ou trois festivals voire nulle part !

Et lorsque l’un d’entre eux a du succès, comme « Peine perdue », il ne tourne finalement que dans une dizaine de festivals. Néanmoins, il me semble que les films de ce format sont souvent plus intéressants et valent la peine que l’on se batte pour les financer et les diffuser. De plus, il y a aussi certains avantages en dehors de la réussite artistique. Par exemple, ces films bénéficient souvent d’une couverture médiatique importante lorsqu’ils sont diffusés dans les festivals, comme à Brive ou à Pantin. Beaucoup de cinéastes sont révélés grâce aux moyens-­métrages et suivis de près par la suite.

Tu as un rythme de production assez soutenu, à raison de quatre à cinq projets par an, courts et long­-métrages confondus. Est­-ce que cela implique pour certains films de te lancer en ayant très peu, voir aucun financement ?

Oui, sur les court-­métrages notamment, on part souvent avec des petits budgets. Pour l’un des films de Christelle Lheureux, « Madeleine et les deux apaches », on est parti sur le tournage avec très peu d’argent, juste une subvention qui provenait de l’art contemporain. J’ai accompagné Christelle sur ce projet car cela correspondait à sa logique à ce moment­-là de faire un film dans un geste sans attendre les financements. Le dernier court de Mihai Grecu que j’ai produit, « Reflection of Power », n’a obtenu l’argent d’aucun guichet, donc nous l’avons auto­financé avant d’obtenir le soutien en post­production de la région Île de France, région qui m’a sauvé bien des coups.

Cela amène la question des comités de lecture à qui on fait parvenir les projets, qui prennent du temps pour les lire et pour valider les subventions qu’ils peuvent allouer. Le principal problème avec ces guichets, notamment le CNC, est que leurs lecteurs souvent peu formés et expérimentés ne semblent pas disposés à prendre en compte l’expérience des cinéastes qui proposent leurs scénarios. Ils se contentent d’évaluer le scénario avec des critères étroits et théoriques, sans effort analytique véritable et sans tenir compte de l’œuvre et du travail que le cinéaste peut avoir déjà accompli. Dans un monde normal, des auteurs comme Christelle Lheureux ou Guillaume Brac qui ont fait preuve de leur talent par le passé devraient au moins avoir la possibilité de passer en plénière lorsqu’ils déposent un nouveau projet ! Mais non, on leur répond qu’on ne «juge pas sur le CV». Je pense que le CNC, en voulant à tout prix diversifier les profils des lecteurs, crée une forme de conformisme dommageable pour tout le monde. On ne juge plus un projet de cinéma, on ne juge que des scénarios.

Comment envisages­-tu l’avenir ? Quels sont tes projets pour la suite ?

Je ne me préoccupe pas des questions de formats et de genres, je voudrais continuer à produire des courts et des longs­-métrages, en documentaire et en fiction. Je travaille sur une quinzaine de projets, dont quatre courts­-métrages et deux longs-­métrages que l’on devrait tourner d’ici la fin de l’année.

D’où vient le nom de ta société de production ?

Du titre d’une chanson du groupe Smog, intitulée « Bathysphere ». Cela correspond typiquement au genre de musique que j’écoutais à l’adolescence, ce courant alternatif du rock apparu au début des années 90. J’aimais ce courant musical pour son esprit, ces artistes qui bricolaient leurs chansons dans leur coin et travaillaient dans une grande indépendance. Ils dégageaient une énergie très sauvage sur scène, sans aller dans le punk et sans avoir à hurler. Je retrouvais beaucoup de mon envie de cinéma dans leur musique.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois