Du 10 au 15 novembre 2015, le festival européen du film court de Brest, l’un des festivals les plus intéressants en matière de courts métrages en Europe, fête ses 30 ans. Pour la quatrième année consécutive, Format Court attribuera un Prix à l’un des 35 films sélectionnés en compétition européenne.
À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé par le Jury Format Court (composé de Katia Bayer, Paola Casamarta, Gary Delepine, Agathe Demanneville). Celui-ci sera diffusé lors d’une séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP relatif au film primé (ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition
Compétition 1
PIKNIK – JURE PAVLOVIC – Croatie / 13′ / 2015
TRIUKSMADARYS – KAROLIS KAUPINIS -Lituanie – Suède / 15’29 / 2014
ARCHIPELS, GRANITES DÉNUDÉS – DAPHNÉ HÉRÉTAKI – France – Grèce / 25’15 / 2014
MARIO JE GLEDAL MORJE Z ZALJUBLJENIMI OCMI – SVETLANA DRAMLJIC – Slovénie – Croatie / 12’09 / 2014
COACH – BEN ADLER – France / 14’16 / 2014
Compétition 2
SÄÄLISTÄJÄT – HANNALEENA HAURU – Finlande / 30′ / 2014
E.T.E.R.N.I.T – GIOVANNI ALOI – France / 14’20 / 2015
DISSONANCE – TILL NOWAK – Allemagne / 17’05 / 2015
THE IMMACULATE MISCONCEPTION – MICHAEL GEOGHEGAN – Royaume-Uni / 24’44 / 2015
Compétition 3
THU OG EG – ASA HJORLEIFDOTTIR – Islande / 13’20 / 2015
ZEUS – PAVEL VESNAKOV – Allemagne – Bulgarie / 30′ / 2015
BLOEDHOND – MEES PEIJNENBURG – Pays-Bas / 7’53 / 2014
KRONIKË E NJË BURRI QË ËSHTË GATI TË VRASË – NERITAN ZINXHIRIA – Italie / 19’45 / 2015
CRACK – PETER KING – Royaume-Uni / 11’37 / 2015
JAY PARMI LES HOMMES – ZENO GRATON – France – Belgique / 28’27 / 2015
CLARKE’S THIRD LAW – JAVIER VALENZUELA – Espagne / 6’54 / 2014
OM DU LÄMNAR MIG NU – MARIA ERIKSSON – Suède / 18’22 / 2014
SPLINTERTIME – ROSTO – Pays-Bas – France / 11’30 / 2015
RAMONA – ANDREI CRETULESCU – Roumanie / 20’40 / 2015
Compétition 6
ALLES WIRD GUT – PATRICK VOLLRATH – Autriche – Allemagne / 30′ / 2015
TISSIT – TEEMU NIKKI – Finlande / 16’36 / 2015
RESPITE – ADRIANO CIRULLI – Royaume-Uni – Italie / 20’11 / 2015
IN ATAS – MIRCEA BOBINA – Allemagne – Moldavie / 17’58 / 2015
Compétition 7
BOOGALOO AND GRAHAM – MICHAEL LENNOX – Royaume-Uni / 14′ / 2014
AZ ELMENETEL – BARNABÁS TÓTH – Hongrie / 11’46 / 2015
LARP – KORDIAN KADZIELA – Pologne / 27’30 / 2014
ARTIFICIAL – DAVID P. SAÑUDO – Espagne / 19’45 / 2015
SUBOTIKA: LAND OF WONDERS – PETER VOLKART – Suisse / 13’20 / 2015
Au mois d’octobre, notre soirée de courts fut exceptionnellement annulée, Format Court ayant été invité au festival Île Courts à l’île Maurice. Ce mois-ci, nos séances reprennent du service le jeudi 12 novembre à 20h30 avec deux films indien et malgache découverts à Île Courts, mais aussi deux Prix Format Court primés dernièrement au festival Court Métrange (Rennes) et au Festival International du Film Francophone de Namur (Namur, Belgique) et un film d’animation repéré au dernier festival d’Annecy, « Dans les eaux profondes » de Sarah Van Den Boom. Pour l’occasion, pas moins de trois équipes françaises et belges seront présentes pour accompagner cette nouvelle projection.
En guise de bonus, nous vous proposons également de découvrir une exposition de dessins et croquis préparatoires relatifs au film de Sarah Van Den Boom.
Programmation
Corpus de Marc Hericher (Animation, expérimental, 3’30, 2015, France, Rêvons, c’est l’heure Productions). Prix Format Court au festival Court Métrange 2015. En présence du réalisateur
Synopsis: Une réaction en chaîne complexe actionne des organes humains qui prennent vie. Ce mécanisme engendre un acte de création. Mais cet acte libre est-il vraiment produit par une machine ?
Dans les eaux profondes de Sarah Van Den Boom (Animation, 12’03’’, 2014, France, Canada, Papy3d productions, Office National du Film du Canada). Présélectionné pour le César du meilleur court d’animation. En présence de l’équipe
Synopsis : Trois personnages ont en commun un vécu intime et secret qui semble déterminer leur vie.
Coups de hache pour une pirogue de Gilde Razafitsihadinoina. (Documentaire, 19’, Madagascar, 2014, AsSer images). Zébu d’Or aux Rencontres du film court de Madagascar 2014
Synopsis : La construction d’une pirogue se fait encore avec des techniques rudimentaires et artisanales dans le sud-est de Madagascar. Une activité que les fabricants ne peuvent commencer sans avoir fait une incantation aux ancêtres, toujours accompagnée du « toaka gasy », le rhum du pays.
Paandhrya de Sandeep Mane (Fiction, 30’, 2015, Inde, sous-titré en anglais, Rashi Films). 2ème meilleur film et Prix de la meilleure actrice au Festival du film indépendant de Rome 2015
Synopsis : Paandhrya est le souffre-douleur de l’école en raison des cicatrices blanches qu’il porte sur les lèvres et qui lui ont valu un surnom d’animal. Très touché en voyant une mère aimante et cultivée lors d’une projection de film à l’école, il se met à attendre de l’amour de la part de sa propre mère.
Renaître de Jean-François Ravagnan (Fiction, 23′, 2015, Belgique, Les films du fleuve). Prix Format Court au Festival International du Film Francophone de Namur 2015, sélectionné au festival de Locarno.En présence de l’équipe
Synopsis : Un coup de téléphone fait ressurgir le passé de Sarah. Seule, mentant à ses proches, elle n’a maintenant plus qu’une idée en tête: traverser la Méditerranée pour retourner en Tunisie. Guidée par la violence de ses sentiments, elle entreprend un voyage afin de rester fidèle à une ancienne promesse faite à l’homme qu’elle aimait.
– Jeudi 12 novembre 2015, à 20h30, accueil : 20h. Durée de la séance : 88′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com
– Evénement Facebook : ici !
Parce qu’il existe des réalisateurs qui détiennent la jeunesse éternelle, c’est avec plaisir qu’on retrouve dans un DVD paru aux éditions Potemkine, en association avec Agnès B., les premiers courts-métrages de Jacques Rozier, sortis dans un coffret comprenant 4 longs (« Adieu Philippine », « Du côté d’Orouët », « Les Naufragés de l’île de la Tortue », « Maine océan »). Associé à la Nouvelle vague française, ce cinéaste finalement assez méconnu, n’aura pas bénéficié du succès que des auteurs comme Godard ou Truffaut auront connu. Cinéaste du jeu et de l’improvisation, Rozier est l’auteur de véritables odes à la jeunesse et à l’aventure. Ayant réalisé aussi bien des courts que des longs, de la fiction comme du documentaire, Rozier semble parfaitement à l’aise avec son temps et avec les corps d’enfants et d’adolescents qu’il filme. « La Rentrée des classes », réalisé en 1955, et « Blue jeans », réalisé en 1958, sont imprégnés d’un véritable souffle de liberté et de légèreté. La vie se déroule devant les personnages de Rozier tandis que tous tentent d’en saisir les meilleurs instants, les petits riens et les plaisirs du quotidien.
Petit bijou du septième art, « La Rentrée des classes » est le premier court métrage de Jacques Rozier. Le jour de la rentrée, dans un village provençal, René commence l’année scolaire en faisant l’école buissonnière. Déjà, le jeune réalisateur dévoile une méthode qu’il continuera à exploiter dans son long métrage réalisé en 1966, « Du Côté d’Orouet », celle de la mise en scène du jeu et de l’eau. Alors que René se lance à la poursuite de son cartable jeté dans la rivière, puis finalement tente de capturer un serpent, l’insouciance de l’enfant associée à la nature fuyante de l’eau, qui suit son cours mais reste insaisissable, donne lieu à une brève échappée où le jeu prend le dessus et surpasse toute notion de temps et d’interprétation, sans qu’aucun scénario écrit ne vienne dicter l’enchaînement des événements. Cet abandon au présent, ce cheminement vers l’imprévisible, s’oppose aux scènes de classe où le maître d’école, tel un scénariste, dicte les mots à inscrire sur la page du cahier.
« La Rentrée des classes » est aussi un hommage à « Boudu sauvé des eaux » de Renoir ou encore à « Zéro de conduite » de Jean Vigo, deux maîtres de Rozier qui parlaient notamment de filmer l’homme dans la nature comme on filmerait un animal dans son élément, une ligne de conduite que l’on retrouve dans le travail de Rozier. Ce film nous offre une beauté un peu sauvage, tandis que les cigales, le bruit de l’eau et la musique de Darius Milhaud ajoutent au lyrisme de la séquence où nous suivons René dans la rivière. Cette longue scène de poursuite, où l’objectif de départ laisse place à l’errance et au jeu, demeure le point culminant du film où l’enfant comme le spectateur se laissent aller à la rêverie et au hasard.
« Blue Jeans », réalisé trois ans plus tard, met en scène les amours contrariés de deux adolescents à la recherche d’un rencard pour la soirée. Sur les plages de Cannes, ils déambulent à pieds ou en vespa et travaillent leurs tentatives d’approche. Cette fois, le petit garçon rêveur qui poursuit le serpent dans la rivière s’est transformé en beau jeune homme pour qui l’amour est avant tout un jeu, mais un jeu à prendre au sérieux. La caméra et les corps magnifiques des acteurs sont presque toujours en mouvement. Déhanchements sur la jetée, déambulations dans la ville, danses nocturnes et longues étreintes sur la plage, Rozier capte une sorte de frénésie langoureuse qui anime la jeunesse cannoise. Cependant, alors que la voix off d’un des jeunes hommes commente leurs virées quotidiennes, on dénote dans ce discours quelque chose de fataliste, comme si chaque rencontre était vouée à la déception.
« Blue jeans », à la fois rempli d’allégresse et de mélancolie, dépeint une jeunesse d’après-guerre pour qui tout est éphémère, si bien que l’attachement ne fait plus sens. La gravité que l’on retrouve dans les propos du narrateur pousse le spectateur à éprouver une sorte de tendresse pour ce personnage qui exprime son envie de prendre la vie à bras le corps, et de recommencer sans se laisser abattre, une appréhension de la vie qui pourrait s’appliquer aussi bien aux personnages qu’à leur créateur.
On trouve par ailleurs sur cette édition de DVD de Potemkine une interview de Jean Douchet et un entretien, plus personnel, avec Jean-François Stévenin sur l’homme et le cinéaste qu’était Jacques Rozier, entretien dans lequel il compare l’œuvre de ce dernier à celle, outre-Atlantique, de John Cassavettes. Les deux cinéastes se rapprochent de part leur goût commun pour la mise en scène du jeu qui laisse place à toute sorte de débordement face à la caméra. Rozier nous donne d’ailleurs cette impression d’avoir filmé le déroulement des événements en caméra cachée, à l’insu de ses acteurs, comme s’il s’agissait d’un documentaire. Dans le second entretien, Jean Douchet décrit les cinéastes de la Nouvelle vague comme de jeunes amoureux d’un médium qui n’avait alors que 55 ans, et qui restait encore à découvrir, à expérimenter. Chez Rozier, fiction comme documentaire sont traités de manière égale, avec beaucoup de liberté et de spontanéité. Infiniment libres, presque désinvoltes, les premiers courts métrages de Rozier restent, soixante ans plus tard, une bouffée d’air frais.
Il y a deux ans, Format Court s’intéressait de près à la production documentaire en attribuant pour la première fois un prix dans un festival biannuel qui lui est dédié, le Festival Filmer à Tout Prix (Bruxelles), en élisant le meilleur court-métrage parmi les films retenus en compétition nationale et internationale. À l’époque, notre équipe avait choisi de récompenser « Anima », un film d’école simple et poétique réalisé par Simon Gillard, alors étudiant à l’INSAS (Belgique).
Deux ans plus tard, nous attribuons un nouveau prix au festival qui aura lieu du 5 au 15 novembre à Bruxelles. Joli hasard : Simon Gillard y est à nouveau en compétition, mais également un autre de nos lauréats, Guido Hendrickx, réalisateur d’un film coup de poing, « Onder ons » (Parmi nous), que nous avons primé cette année au festival Go Short (Pays-Bas).
Pour accompagner le lauréat de cette nouvelle édition de Filmer à tout prix, le Jury Format Court (composé de Marie Bergeret, Adi Chesson, Mathieu Lericq) consacrera un dossier spécial au film primé. Celui-ci sera également projeté lors d’une séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Compétition belge
Topologie du vide de Dominik Guth & Tatiana Bohm no dialog
Il segreto del serpente – Mathieu Volpe
Eau vive – Conversation avec un chef-opérateur – Khristine Gillard
On Difference As Such – Christina Stuhlberger & Chloë Delanghe
Contrôle – Julien Dewarichet La Légende dorée – Olivier Smolders
In Waking Hours – Sarah & Katrien Vanagt
Lou bëth xayma – Moussa Diop
The Vanishing Vanishing-Point – Effi Weiss & Amir Borenstein
Face Deal – Mary Jimenez V
Thing – Anouk De Clercq
Vita Brevis – Thierry Knauff
Yaar – Simon Coulibaly Gillard
Compétition internationale
San Siro – Yuri Ancarani (Italie)
1973 – Stefan Ivančić (Serbie)
Nova Dubai – Gustavo Vinagre (Brésil)
Where I Can’t Be Found – Arjun Talwar (Pologne, Inde)
My BBY 8L3W – Neozoon (Allemagne, France)
Le Pays dévasté – Emmanuel Lefrant (France)
Brame – Sophie-Charlotte Gautier & Anne Loubet (France)
I’m in Pittsburgh and It’s Raining – Jesse McLean (États-Unis)
Une partie de nous s’est endormie – Marie Moreau (France)
Éphémères – Yuki Kawamura (France)
Espaces – Eléonor Gilbert (France)
La Reina – Manuel Abramovich (Argentine)
El Enemigo – Aldemar Matias (Cuba, Brésil)
La Fièvre – Safia Benhaim (France)
Onder Ons – Guido Hendrickx (Pays-Bas)
Shipwreck – Morgan Knibbe (Pays-Bas)
Bonne nouvelle pour les amateurs de bons courts : le film allemand « Nashorn im Galopp », primé par Format Court l’an passé au festival de Brest et qui a remporté un joli succès en festival (126 sélections, 65 prix), est en ligne depuis cette semaine.
Erik Schmitt, son réalisateur, a eu la bonne idée de rendre son film accessible à tous (plus de mot de passe; aux oubliettes, l’extrait trop court !). Nous faisons de même en vous invitant à découvrir et partager ce bien joli film, ayant séduit notre équipe par sa créativité, sa poésie, son rythme, son émotion et son humour.
Pour en savoir plus, revoici le dossier spécial que nous avions consacré à Erik Schmitt, dans le cadre du Prix Format Court après la projection de son film à Paris, et en sa présence en mars 2015.
Avec « Dans les eaux profondes », lauréat du Prix Festivals Connexion – Région Rhône-Alpes au dernier festival d’Annecy et également en lice pour le César du meilleur court d’animation, la réalisatrice française Sarah Van Den Boom s’attaque à un sujet peu commun : la “lyse gémellaire“. Derrière ce terme sibyllin, se cache une anomalie médicale pendant la grossesse qui amène un seul fœtus à survivre quand deux auraient pu naitre, laissant, plus tard, de nombreuses personnes en quête d’un frère ou d’une sœur qu’ils n’auront jamais.
Le film s’ouvre avec une citation de Maurice Maeterlinck, maître belge du symbolisme littéraire, auteur de la pièce « Pelléas et Mélisande » et de « L’Oiseau bleu » : « C’est d’ici que viennent tous les enfants qui naissent sur notre terre. Chacun attend son tour ». Le ton est donné, il sera question de survivants plus nombreux que ce que l’on croit. La réalisatrice s’arrêtera sur trois d’entre eux. Au fur et à mesure que les personnages nous expliquent cette étrange quête de l’autre qui les animent, on comprend qu’au-delà des mots, le film cherche à nous montrer les traces de ce sentiment d’une séparation première. Il réussit également à nous convaincre que ce problème assez unique soulève des questions universelles, comme la manière d’entrer en relation avec le monde ou plus simplement avec celui ou celle qu’on aime.
Transmettre un message universel à partir de questions uniques et intimes, c’est un peu ce qui relie les films de Sarah Van Den Boom. Après avoir donné à voir la naissance et les premiers moments d’un personnage qui grandissait sur un paquebot dans son beau premier film presque muet « Novecento Pianiste » en 2005, Sarah Van Den Boom nous a mis dans la peau d’une femme en proie au doute sur son couple d’une manière bouleversante dans « La Femme-Squelette » en 2010.
Avec ce troisième film, « Dans les eaux profondes », produit conjointement par Papy3D Productions et l’ONF (Office national du film du Canada) et sorti cette année, on retrouve la quête des origines de « Novecento pianiste » et l’intimisme du doute dans « La Femme-Squelette », utilisant chacun l’élément liquide comme lieu de naissance ou de renaissance.
Afin de servir au mieux la sensibilité de ses personnages, le film déploie des trésors d’ingéniosité. Il utilise une musique efficace de Pierre Caillet pour violons, harpe et chœurs, développe un univers sonore riche ainsi qu’un style graphique mélangeant animation 2D et décors en 3D en maquettes. La narration joue avec la temporalité, le présent et le passé s’entremêlent, tout comme se croisent ces personnages que tout sépare, sinon ce phénomène rare de « lyse gémellaire » qui marque leurs tout premiers temps.
Au bout du compte, « Dans les eaux profondes » développe avec une apparente sérénité un équilibre subtil, à mi-chemin entre documentaire et film intimiste, entre objets réels (ses décors) et dessin (ses personnages), entre bruitages travaillés et musique omniprésente. C’est en réalité un film de rupture, un film qui crie à la face du monde que du déséquilibre peut naître un équilibre.
Fin prêt à échanger sa frivolité estivale pour les ténèbres automnales, Short Screens vous propose un avant-gout de la fête des trépassés en vous suggérant une sélection de cinq courts métrages qui traitent avec sensibilité ou humour de la mort, venue nous rappeler que nous ne sommes pas éternels.
Le jeudi 29 octobre à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€.
CASTILLO Y EL ARMADO de Pedro Harres, Brésil/2014/Animation/13’45 »
Lors d’une nuit de grand vent, Castillo fait face à sa propre brutalité sur le hameçon de sa ligne de pêche.
THE SEA IS ALL I KNOW de Jordan Bayne, Etats-Unis/2011/Fiction/28′
Lorsque Sara et Sonny, un couple séparé, viennent en aide à leur fille mourante, l’expérience les envoie dans une spirale de crise spirituelle et de chagrin brutal.
STILL BORN d’Åsa Sandzén, Suède/2014/Documentaire animé/10′
Une malformation cardiaque confronte les futurs parents à un choix inacceptable. Still Born est un documentaire animé sur la perte, la colère et le chagrin.
DE WEG VAN ALLE VLEES de Deben van Dam, Belgique/2013/Fiction/26’50 »
Tibo a un sérieux problème: l’ennui. Il travaille comme infirmier et tout ce à quoi il pense, se rapporte à l’argent. De temps en temps, il essaie de briser la routine et place des paris avec ses collègues sur le dernier souffle de patients mourants.
Du 15 au 18 octobre, la 12ème édition de Court Métrange – festival international du court métrage insolite & fantastique de Rennes, a mis en avant le film de genre. Depuis 5 ans, Format Court y attribue un prix (remis cette année à « Corpus » de Marc Hericher). Voici le palmarès entier de cette édition, avec en bonus 3 films primés visibles en ligne !
Grand Prix du Jury, Prix France-Télévision, Prix du jeune public Collégiens : The karman line de Oscar Sharp, Royaume-Uni
Méliès d’argent : Teeth de Daniel Gray et Tom Brown, Hongrie et USA
Mention spéciale du Jury : Entangled de Tony Elliott, Canada
Prix Beaumarchais : Dernière porte au Sud de Sacha Feiner, Belgique
Prix Format Court : Corpus de Marc Héricher, France
Nous vous l’annoncions en fin de semaine passée, le site du Jour le plus Court est en ligne. Si en tant que salle ou association, vous désirez participer à l’événement du 18 au 20 décembre prochain, n’hésitez pas à visionner les films du programme et à créer votre propre séance de courts-métrages.
Excellente nouvelle : partenaire du Jour le plus court pour la première fois, Format Court a conçu un programme de cinq films d’animation et de fiction étrangers autour de l’insolence, à savoir le thème retenu cette année. Ces propositions grecques, espagnoles, canadiennes, britanniques et hongroises, chroniquées sur notre site, repérées et primées en festivals (dont un Prix Format Court), sont à programmer ensemble ou à la carte. Issues de l’imaginaire des jeunes cinéastes d’aujourd’hui, elles font toutes preuve de créativité, d’audace et de singularité, autant de termes intimement liés à la forme courte.
Day 40 de Sol Friedman (Fantastique, 2014, Animation, 5m45s, Canada, auto-production, sélectionné au Toronto International Film Festival 2014)
Dans cette adaptation de l’histoire de l’arche de Noé, le grand bateau devient le théâtre de diverses activités profanes, tandis que les animaux découvrent le côté sombre de leur nature.
Casus Belli de Yorgos Zois (Expérimental, 2010, 11m11s, Grèce, Pan Entertainment SA, sélectionné à la Mostra de Venise 2010)
Toutes sortes de gens, de nationalité, de classe, de sexe et d’âge différents, font la queue. Dee files d’attente en files d’attente se forme une chaîne humaine. Mais au bout de la queue …c’est le compte à rebours.
Symphony no. 42 de Réka Bucsi (Animation, 2013, 9m33s, Hongrie, Moholy-Nagy University of Arts and Design, sélectionné à la Berlinale 2014)
En 47 scènes est dépeint un univers subversif. Des événements de la vie quotidienne mettent en évidence la cohérence irrationnelle du monde qui nous entoure. Des situations surréalistes mettent en scène les humains et leur rapport à la nature.
Misterio de Chema García Ibarra (Fiction, comédie dramatique, 2013, Fiction, 11m, Espagne, auto-production, Prix Format Court au Festival de Brest 2013)
Elle s’est penché sur la nuque du jeune homme pour tenter d’entendre le message de la Vierge, et rien n’a plus été comme avant.
Depuis 5 ans, Format Court attribue un prix au sein de la compétition internationale au Festival Court Métrange, à Rennes, spécialisé dans le fantastique et l’insolite. Hier soir, lors de la clôture du festival, le Jury Format Court (composé de Georges Coste, Karine Demmou, Sarah Escamilla et Aziza Kaddour) a choisi de décerner son prix au film « Corpus » de Marc Hericher.
Après « A Living Soul » d’Henry Moore Selder (Suède), récompensé l’année dernière, le prix Format Court reste dans l’organique avec « Corpus ». C’est la première sélection du film en festival et également son tout premier prix.
Recyclant l’effet domino de manière inattendue avec des organes du corps humain, « Corpus » a séduit le jury de Format Court par son esthétique tout autant que par son côté ludique et ingénieux. Tous les éléments du genre fantastique s’y retrouvent, de l’organique au mécanique, en passant par l’accessoire évocateur. Aussi, la rencontre et le glissement du film vers l’art vidéo (on pense à Peter Fischli et David Weiss, deux vidéastes exploitant l’effet domino) a semblé suffisamment rare aux jurés pour être mis en avant au sein de la sélection de Court Métrange de cette année.
Le court-métrage primé fera l’objet d’un dossier spécial en ligne et sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Corpus de Marc Hericher (Animation, expérimental, 3’30, 2015, France, Rêvons, c’est l’heure Productions)
Syn. : Une réaction en chaîne complexe actionne des organes humains qui prennent vie. Ce mécanisme engendre un acte de création. Mais cet acte libre est-il vraiment produit par une machine ?
Synopsis : À quelques kilomètres d’Ajaccio la terre brûlée cède sous le poids de la couleur. Le sol se fend et libère des énergies picturales qui s’emparent du ciel. Je vois l’horizon disparaître mais je le fixe. Le train continue sa route.
Le plasticien et réalisateur Jacques Perconte développe depuis plusieurs années une œuvre singulière au sein du cinéma expérimental. Sa démarche consiste, dit grossièrement, à filmer des espaces pour ensuite «fondre» plusieurs images les unes dans les autres, à les faire entrer en collision pour modifier leur structure et donner naissance à des visions nouvelles et pour le moins troublantes. Ici, un unique plan-séquence en mouvement enregistre le déplacement d’un train à travers différents paysages. Progressivement, les repères spatiaux s’effacent, la ligne d’horizon n’est plus tenue que par les lignes que constituent les rails du chemin de fer qui défilent dans le lointain. Si le train des frères Lumière arrivait bien en gare de La Ciotat, l’on sait que celui de Perconte n’atteindra jamais sa destination. L’effet de sidération face à ces deux images est, à plus d’un siècle d’intervalle, d’égale mesure.
Le Jour le plus Court, une manifestation organisée par l’Agence du court métrage en faveur de la diffusion du court qu’on aime bien à Format Court, reprend du service à la fin de l’année. Pour sa cinquième édition, ayant lieu du 18 au 20 décembre 2015, le Jour le plus Court, par la voix de sa directrice artistique Catherine Bizern (qui officiait avant au Festival de Belfort), propose cette année un programme thématique autour de l’insolence, après avoir travaillé autour de la guerre l’an passé.
Format Court, partenaire éditorial participant pour la première fois à la programmation de l’événement, vous en parle à l’occasion de l’ouverture aujourd’hui, jeudi 15 octobre, du site internet de l’événement (où les salles et associations participantes peuvent dès à présent s’inscrire et créer leurs propres séances, via des programmes complets ou des films à la carte).
En guise d’avant-goût, voici déjà les différents axes retenus par le Jour le plus Court :
– Une programmation thématique : Que c’est bon l’insolence ! : 50 œuvres, souvent insolites et décalées dans leur forme et leur propos
– Des focus consacré à 4 cinéastes : Alain Guiraudie, Gabriel Abrantes, Marie Losier et Pierre-Luc Granjon
– Desprogrammes scolaires et jeune public : 12 programmes conçus spécifiquement pour le jeune public des maternelles au lycée
– Des films en avant-séance : 10 films très courts choisis dans le catalogue du RADI
Pour télécharger le programme complet du Jour le plus court, vous êtes invités à cliquer sur le lien suivant !
Édité par la librairie parisienne Potemkine, en association avec agnès b., « Sita chante le blues » est un objet d’une richesse exceptionnelle qui entraîne le spectateur dans l’univers éclectique de la réalisatrice Nina Paley. Outre le long-métrage de 82 minutes qui donne son titre au DVD, cette édition propose en bonus une sélection de six courts métrages réalisés par la cinéaste entre 2000 et 2002. Des formats très courts, entre 3 et 5 minutes, qui suffisent à transporter le spectateur. Enfin, un entretien de 19 minutes avec la réalisatrice clôt la présente édition.
Le support physique du DVD, présenté en livret, propose également deux courts textes, l’un de l’animateur Barry Purves qui « chante Sita » faisant part de son exaltation vis-à-vis du long métrage. L’autre évoque la bataille juridique à laquelle la réalisatrice à été confrontée pour les droits des chansons d’Annette Hanshaw, qui compose la bande originale de « Sita chante le blues » ainsi que l’implication de la réalisatrice pour la « culture libre ». Cette bataille est illustrée par la réalisatrice à la suite du texte. Avec cet ouvrage, Potemkine prouve une fois de plus sa volonté d’offrir au spectateur des œuvres de qualité, intelligentes et subtiles.
Cristal du long-métrage au Festival d’Annecy 2008 et Ours de cristal « Mention spéciale » à la Berlinale 2008 « Sita chante le blues » est le premier long-métrage de Nina Paley. Le film s’inspire des amours du prince Râma et de Sita, contés dans l’un des mythes fondateurs de la mythologie hindoue : le Râmâyana. Par amour, Sita suit l’exil de Râma, banni du royaume par son père. Vivant dans la forêt, elle est enlevée par Ravana, le roi de Lanka puis secouru par Râma et le dieu-singe Hanumân. Pourtant, une fois les amants réunis, la pureté de Sita est mise en doute et malgré les épreuves auxquelles elle se soumet sans s’indigner, elle est répudiée.
Mettant en place différents points d’entrée dans le récit, la cinéaste réinterprète le mythe et multiplie les références. Chaque narration est soutenue par un style graphique propre. L’histoire de Sita est à la fois contée par trois personnages dont la représentation est librement inspirée du théâtre d’ombres oriental, illustrée par des dessins dont le style fait référence aux peintures traditionnelles indiennes, par d’autres rappelant l’univers des cartoons. Les transitions étant soutenues et magnifiées par le blues d’Annette Hanshaw, chanteuse des années 1920 dont les textes ironiques sont interprétées par Sita dans le film. Enfin, le récit est entrecoupé par l’histoire de Nina, avatar de Nina Paley dont le mari part travailler en Inde pour ne jamais revenir. Le style est ici simple, le trait léger et les couleurs assez neutres, ce qui s’oppose et contrebalance celle très vives du conte indou.
L’univers graphique extrêmement riche est parfaitement maîtrisé, chaque élément apporte quelque chose de fondamental à l’unité de l’œuvre. La réalisatrice passe avec une aisance magistrale d’une narration à l‘autre. Elle transcende les genres et les influences pour assigner à son propos un caractère universel. « Sita chante le blues » met le personnage féminin au centre du récit et magnifie avec humour et ironie le plus grand chagrin d’amour jamais conté.
Suite au long-métrage, l’édition DVD propose de faire découvrir ou redécouvrir six court métrages réalisés par la cinéaste, nous permettant ainsi de mieux comprendre le cheminement de son travail et les influences qui l’habite.
« The Wit and Wisdom of Cancer » établit un parallèle entre le corps malade, envahi de cellules cancéreuses qui se démultiplient et la Terre, peuplée d’êtres vivants dont le nombre, à l’instar des cellules, croit de manière exponentielle. Par le biais d’une conversation entre deux cellules cancéreuses, la réalisatrice aborde la notion d’espace avec beaucoup d’humour et une agilité incroyable. Le corps humain assiégé de métastase devient le reflet de l’espace terrestre que l’homme colonise et détruit pour s’y établir. Cette satire écologique donne à réfléchir sur la manière dont l’homme s’approprie l’espace qui l’entoure et l’accapare en dépit de ce qui lui préexistait.
On retrouve les mêmes thématiques dans « Fertco » par le biais de différentes techniques, la vidéo, le dessin, le collage, ce film de 3 minutes traitnt du désir d’enfanter, de se reproduire. Une femme se rend dans un centre de procréation et en ressort avec un caddy rempli d’ovules. Une vidéo montre des cellules qui se reproduisent de deux, à quatre puis huit. La femme enceinte met au monde son premier enfant, puis le deuxième, le troisième, le huitième. La poussette ne suffit plus à les contenir elle a désormais besoin d’un tank ! Elle est imitée par d’autres femmes lui ressemblant trait pour trait qui elles aussi mettent au monde des dizaines d’enfants. La encore, la démultiplication de l’être, montrée comme une invasion par la réalisatrice, est pointée du doigt.
Suivant le même fil conducteur, « The Stork » met en scène des cigognes qui volent dans le but d’apporter aux futurs parents l’enfant tant désiré. Le fond sonore est doux, les oiseaux volent en nombre au dessus des arbres. Mais à chaque baluchon tombant du bec des cigognes, ce ne sont pas simplement des enfants qui apparaissent mais des bombes qui explosent, laissant apparaître derrière la fumée un véritable package contenant l’enfant mais également la maison, la voiture ou encore la mère de famille. Une fois de plus, la réalisatrice procède à une démultiplication d’images similaires. Les photographies d’enfants, de maisons sont toutes identiques et s’agglutinent les une aux autres, finissant petit à petit par recouvrir la moindre trace de verdure. Un générique de fin apparaît : The stork … is a bird of war.
Dans ces trois premiers films, la réalisatrice traite, avec humour et non sans provocation, de l’impact de la présence humaine sur l’habitat naturel. Elle nous livre une vision chaotique des humains et de leur reproduction sur Terre, montrés comme des colonisateurs aux visages indifférenciés.
Avec « Fetch », Nina Parey change de registre et met en scène un homme promenant son chien. Dans ce film aux décors très simples et épurés, la réalisatrice explore le rapport de l’homme à son animal. Par un jeu d’échelles contant, les rapport de tailles et de distances entre l’homme et l’animal se distendent, une course de va et vient occupe tout le film, ce qui génère la confusion chez l’homme comme chez le spectateur. Par le biais de ce jeu, c’est le rapport de l’homme à la réalité qui est mis en exergue.
« Lexi » se détache des autres films présentés au sein de ce DVD. Dans ce film expérimental, la réalisatrice a filmé son chat, Lexi, et a ensuite traité l’image en post-production, faisant ainsi apparaître des couleurs, des effets d’ombre, de surbrillance sur l’animal au gré de ses mouvements. Le visuel, très esthétique, est accompagné d’une musique jouée par des instruments à corde épousant parfaitement les mouvements de l’animal. On retrouve d’ailleurs le chat au coté de Nina dans « Sita chante le blues ».
Enfin, « Pandorama » est une réinterprétation du mythe de Pandore. L’univers du film est assez psychédélique, des personnages, des formes, des couleurs apparaissent sur fond noir, d’abord de manière assez saccadée et espacée puis de plus en plus rapidement. Du point de vue sonore, on entend tout d’abord un dialogue entre deux personnages que l’on devine être Eve et le Serpent, la première voix encourageant l’autre à manger le fruit de la connaissance. Les mythes de Pandore et du Jardin d’Eden se confondent, le résultat qui s’ensuit est le même, la connaissance entraîne l’évolution vers quelque chose de plus brutal. Une musique rock très énergique prend le relais jusqu’à la fin du film. On voit des images de primates évoluer en homme puis en soldat, les images et le son s’accélèrent dans un crescendo constant jusqu’à la fin du film. Très expérimental, ce court métrage génère une sensation d’accélération assez oppressante qui ne peut aboutir qu’au chaos.
Les différents films de Nina Paley présentés au sein de cette édition DVD permettent d’une part de voir l’immense variété et l’évolution des techniques employés par l’animatrice, de l’autre part de repérer ka place grandissante laissée à l’humour et à l’ironie dans le traitements de sujets dont les enjeux sont en réalité sérieux et parfois préoccupants.
En clôture de ce superbe ouvrage, se trouve un entretien de 19 minutes avec la réalisatrice. Nina Paley y évoque l’emprunt qu’elle à dû contracter pour pouvoir sortir « Sita chante le blues » en salle. Certaines compositions originales d’Annette Hanshaw, utilisées dans le film, n’étant pas libres de droit, elle s’est vue réclamer la somme de 220.000$. Depuis, Nina Paley mène un combat sans répit pour la culture libre et gratuite.
Pour appuyer son combat, la cinéaste à décider de mettre « Sita chante le blues » en libre accès sur internet, il est possible de télécharger ou regarder le film en ligne gratuitement, et si on le souhaite, de l’acheter par la suite. En activiste accomplie, Nina Paley lutte par le biais de ses films comme de ses actes pour faire évoluer les mentalités.
Artiste canadien surdoué que nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer au sein de Format Court, Guy Maddin est revenu cette année à l’Étrange Festival pour présenter sa dernière œuvre « The Forbidden Room » (sortie décembre 2015), mais aussi pour la carte blanche qui lui a été consacrée. Nous lui avons posé quelques questions sur son nouveau long-métrage , recueil hybride de petits films-fantômes.
Nous nous sommes déjà vus il y a 3 ans à l’Espace Saint-Michel, vous étiez alors en train de tourner des courts métrages au Centre Pompidou pour le projet « Spiritismes ».
Oui, cela fait longtemps… Mais finalement nous avons réussi à en venir à bout et nous en avons tiré notamment un film qui s’appelle « The Forbidden Room » ! Il y a d’ailleurs d’autres images à voir prochainement sur le site web dédié au film (bientôt en ligne).
À l’époque, nous sommes venus voir le tournage au Centre Pompidou et nous avons reconnu certaines de ces images dans « The Forbidden Room ». Pouvez-vous nous expliquer les liens étroits entre ces courts-métrages et le long-métrage que vous présentiez cette année à l’Étrange Festival ?
Il s’agit d’un projet hors normes : « The Forbidden Room » a été tourné en public à Paris et à Montréal. Au départ, l’idée était de tourner des courts-métrages à partir de scripts de films perdus. Au fil du temps, nous avons eu l’envie d’en faire un long-métrage tout en désirant proposer au public via un site internet tous ces courts-métrages qui composent « The Forbidden Room ». Le projet était donc pour beaucoup de gens plutôt étrange et il a du être financé aussi de façon particulière. Mener de front ces deux projets pourtant complémentaires nous a obligés à faire face à certaines difficultés financières et plusieurs lourdeurs administratives.
« The Forbidden Room » est un projet ambitieux auquel nous avons consacré plus de trois ans et pour lequel nous avons tourné plusieurs centaines d’heures de rushes. Quand nous avons fini le montage, nous en étions encore à environ 80 heures. Cela a donc pris beaucoup de temps pour obtenir la version finale de 130 minutes. À plusieurs reprises, nous nous sommes retrouvés à cours de budget. J’ai du donc aller faire d’autres projets pour ramener un peu d’argent, ce qui nous éloignait toujours plus de « The Forbidden Room ». Après de nombreux déboires, nous avons finalement réussi à nous en sortir et le film existe maintenant.
Début 2016, le site internet qui va héberger tous ces films-fantômes, dont l’esprit errait jusqu’à présent, va enfin voir le jour. En se connectant au site, chaque personne pourra alors invoquer les différentes « âmes » de ces films perdus comme dans une véritable « séance de spiritisme « . Tous ceux que cela intéressera pourront voir tous ces courts-métrages (et bien d’autres), dont « The Forbidden Room » se retrouve composé.
Aviez-vous l’idée de faire un long-métrage au départ ou est-ce venu au cours de la réalisation des différents courts métrages ?
Après un tournage de 18 jours à Paris, au rythme d’un court-métrage par jour, nous sommes allés tourner trois semaines à Montréal. Evan Johnson (co-réalisateur) et moi-même avons alors commencé à rêver, parfois même en plein jour, à tous ces petits films et comment ils pourraient s’assembler l’un avec l’autre, à la manière des textes de Raymond Roussel – l’un de mes écrivains préférés – à la prose mystérieuse et impénétrable.
Dans les années 20-30, cet auteur français a écrit de la poésie, des nouvelles, des romans et des pièces de théâtre en prenant souvent le parti d’insérer une histoire à l’intérieur d’une autre histoire, elle-même à l’intérieur d’une autre histoire, etc.
Se replongeant dans l’univers de cet auteur, immergé toujours plus profondément dans cette succession d’histoires à perte de vue, je me suis senti à la fois sécurisé et exalté. Nous avons alors pris conscience qu’il s’agissait probablement de notre seule chance de faire un film comme celui-là et nous avons décidé d’en faire un long-métrage. Je suis heureux d’être parvenu à transformer cette obsession pour les films perdus et d’avoir pu donner le jour à cette œuvre hybride.
Comment s’est passée l’écriture à partir des scripts de ces films perdus ?
Beaucoup des titres de ces films perdus de Vigo, Lubitsch, Mizoguchi, Von Stroheim ou Naruse, nous ont intrigués. Il n’existait pas vraiment d’informations sur eux. Quelques fois, nous avions les synopsis en entier, d’autres fois juste quelques lignes retrouvées miraculeusement. À partir de là, nous avons réécrit, puis nous avons adapté au fur et à mesure les scripts afin qu’une certaine cohérence puisse émerger au sein du scénario.
Chaque réalisateur de ces films perdus a son tempérament, par exemple Ernst Lubitsch et Fritz Lang n’ont pas du tout le même style. Mais on ne va pas déterrer Lubitsch, lui donner un mégaphone et lui demander de réaliser une nouvelle fois son film ! J’ai donc joué le rôle de medium en invoquant l’esprit de tous ces films perdus, dans les limbes, et tous ont parlé à travers nos voix, nos caméras et nos images.
Comment s’est passé le travail entre les co-auteurs ?
J’adore travailler avec eux. Lorsque certains matins, j’étais fatigué, que je voulais rester au lit, ils ne me laissaient pas dormir et me motivaient pour que nous nous mettions au travail. C’était pareil quand c’était le tour d’un autre membre de l’équipe. Quand on se disputait, on ne le prenait jamais personnellement. Ce n’est d’ailleurs pas très canadien : les Canadiens ont souvent peur de ne pas être d’accord ou de heurter la sensibilité de leurs interlocuteurs.
Pour ce film, Evan Johnson, Robert Kotyk, Kim Morgan et moi travaillions main dans la main et nos confrontations de points de vue étaient plutôt enrichissantes. Chacun exprimait sa vision d’une scène ou d’un personnage jusqu’à ce que quelqu’un parvienne à convaincre les autres, mais la plupart du temps, les échanges aboutissaient à une nouvelle proposition qui satisfaisait tout le monde. Et cela a été très bénéfique pour le film !
Nous avons aussi bénéficié de la participation du poète John Ashbery qui a écrit le passage « How to take a bath » qui ouvre et ferme le long métrage. Il s’agit d’une adaptation du film du même nom réalisé par Dwain Esper, réalisé en 1937. À l’aide d’un split screen, le film « étudie » la manière dont une femme prend son bain lorsqu’elle est mariée ou non. Aucune copie du film n’a pu être retrouvée; mais apparemment selon ce que j’ai pu lire sur ce film, une femme mariée serait plus en phase avec son corps qu’une femme célibataire. À l’époque, sous couvert d’étude scientifique, le public américain pouvait entrevoir entre les bulles de savon quelques instants de nudité. Dwain Esper avait également réalisé « How to Undress in Front of Your Husband » qui, lui, n’est pas un film perdu et est disponible en ligne.
Notre film a d’ailleurs failli s’appeler « How to take a bath », mais John Ashbery me l’a déconseillé. Le film s’appelle donc « The Forbidden Room ». Il y a eu tellement de films qui ont porté le même titre, je crois même qu’il y a en un qui est sorti l’année dernière… Mais peu importe c’est notre propre « chambre interdite » : tout le monde à la sienne !
Un soin tout particulier est apporté aux passerelles entre les différentes histoires, permettant ainsi au spectateur de pouvoir se repérer dans le film. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?
L’idée est apparue au fur et à mesure des sessions de tournage, notamment lorsque l’on a commencé à faire les castings des acteurs pour les personnages récurrents qui font le lien entre les différentes histoires. C’est là que j’ai commencé à attribuer un genre à chaque histoire en partant d’une histoire de sous-marins, pour aller vers un film de guerre pour enfants, puis vers un film de vampires qui se déroule dans la jungle, en passant par un film mettant en scène des Zeppelins, un film d’horreur, ou encore un film expressionniste allemand, ou même un mélodrame français. Chaque histoire met en valeur l’autre pour donner « The Forbidden Room ».
Je ne voulais pas perdre le spectateur. Chaque histoire devait être écrite et réécrite puis montée et remontée jusqu’à ce qu’elle devienne limpide, parce que je sais que le public peut être perdu même quand les choses paraissent pourtant claires. Au moment de l’étalonnage, je me suis également assuré que chaque histoire possédait sa propre palette de couleurs, histoire de faire instantanément comprendre au spectateur où il se trouve dans ce grand bric-à-brac. Je ne sais pas à quel point les gens peuvent s‘égarer dans ce film. Peut-être qu’ils ne se perdent pas, peut-être que si. Mais je sais qu’après la première demi-heure, même s’ils sont désorientés, ils retrouveront leur chemin à nouveau.
Dans notre précédent entretien, vous avez comparé les nouvelles aux courts-métrages et les longs-métrages aux romans. Pensez-vous qu’il faille comparer « The Forbidden Room » à un recueil de nouvelles ou à un roman ?
C’est peut-être les deux à la fois. Le film a été profondément marqué par l’influence de Raymond Roussel et ses folles aspirations. Quand on tente de voir les choses de son point de vue, ce n’est pas toujours facile à décrire et tout devient assez intense. Ses phrases sont denses et son style est perçant. Il me fallait parfois une heure pour lire 6 pages !
J’étais à la recherche de cette densité pour « The Forbidden Room » mais je ne voulais pas que le public puisse ressentir la complexité qui se dégage de la lecture des livres de Roussel. C’était un génie à l’esprit torturé et la lecture de ses livres est une véritable expérience. Il me semble qu’il a inventé une sorte d’étrange recueil hybride de nouvelles dont certaines ne faisaient qu’une seule phrase et qui nous amenait à des endroits totalement différents au fil du livre. Que cela soit une histoire de 6 ou de 200 pages, l’impression à la fin est identique : celle d’être plongé dans un univers à part entière.
Pour « The Forbidden Room », j’avais envie que le spectateur ait une impression d’abondance, voire de profusion. Il me semblait qu’en donner trop aux spectateurs serait justement la quantité qui conviendrait. J’ai d’ailleurs coupé 16 minutes depuis la première du film qui a eu lieu au Festival de Sundance. Je m’étais rendu compte qu’il était un peu trop compliqué de naviguer entre les différentes scènes. J’avais envie que les spectateurs sentent physiquement la densité de ce film et je voulais que l’on ressente cela de l’intérieur.
C’est la première fois que vous co-réalisez un film. Comment s’est passée cette collaboration ?
Je pense que chaque réalisateur peut facilement se considérer comme co-réalisateur de ses films étant donné le nombre de personnes qui apportent leur contribution tout au long du processus de création. Evan Johnson, mon co-réalisateur, n’a jamais crié sur le plateau “Action !” ou “Coupez !”, mais nous avons tous les deux créé le projet, avec l’aide de beaucoup d’autres personnes, évidemment.
Et puis c’est simplement que cette fois-ci, je ne pouvais pas recevoir tout seul les honneurs. Je trouverais cela plus juste que nous soyons tous les deux désignés comme réalisateurs de ce film. Evan a beau faire ses débuts, il a travaillé très dur sur ce film ! Il avait tout en tête du début à la fin. J’ai fait tellement de films d’une certaine manière et quelque fois, je peux être impatient. D’habitude un film me prend 1 an, celui-ci nous a pris 3 voire 4 ans ! Lorsque je ressentais le besoin de pouvoir dormir de temps en temps, il poursuivait le travail, faisait des propositions, persévérait à s’intéresser au projet, ce qui me donnait l’envie de continuer.
Rien que pour avoir été ma « pom-pom girl » personnelle, Evan Johnson mérite d’être appelé réalisateur ! D’ailleurs, nous travaillons ensemble sur un prochain projet, mais nous ne sommes pas mariés, nous préférons ne pas brûler les étapes et faire les choses petit à petit.
J’ai la chance aussi d’avoir reçu un soutien indéfectible de mon distributeur français, ED Distribution, qui travaille depuis plus de vingt ans à faire connaître mes films auprès d’un public toujours plus croissant. Je les soupçonne d’ailleurs qu’ils vont jusqu’à génétiquement modifier les bébés pour qu’il viennent voir mes films !
Nous avons remarqué que dans ce film vous avez recouru à des effets spéciaux que vous n’aviez jamais utilisés auparavant. Pourquoi ce choix ?
J’admire les photographies de séances de spiritisme qui avaient lieu dans les années 20 et 30, mais il ne s’agissait que de photos et j’avais envie de les voir reprendre vie, de trouver un équivalent cinématographique à cela.
J’ai aussi regardé beaucoup de vieux films dont les photogrammes étaient en grande partie détruits ou très abîmés mais qui ont pu être sauvés car ils ont été digitalisés à temps. Et je suis tombé sur l’un des magnifiques films ectoplasmiques de Bill Morrison, « Light Is Calling » (2004). En voyant cette œuvre, j’ai réalisé que ces vieux films qui datent parfois de plus de cent ans sont devenus au fil du temps des entités à la manière « d’esprits ». Ils bougent, disparaissent, réapparaissent. On devine quelques traits qui sont ensuite remplacés par d’autres.
Quand j’ai réussi à comprendre comment procéder avec cette technique utilisée par Bill Morrison, je suis devenu obsédé par le résultat que l’on pouvait obtenir avec. J’ai même quelques bobines chez moi que je regarde très souvent. Je n’ai même plus besoin de boire de café maintenant, j’ai juste besoin de regarder ces images jusqu’à ce que j’aille mieux !
C’est le genre d’addiction qui n’a pas vraiment d’effets secondaires donc je pense que je vais la conserver. Je n’ai pas de problème avec cela. Je suis simplement fasciné par ces images. Je peux passer des heures et des heures à regarder les images où le visage de Mathieu Amalric et de Charlotte Rampling disparaissent derrière un tourbillon de rayures ou lorsque Ariane Labed émerge de la chevelure d’Adèle Haenel ou encore lorsque le visage de Géraldine Chaplin se coupe en deux et que l’une des parties s’attache à Jacques Nolot et l’autre à Slimane Dazi. Je ne me ronge plus les ongles, je ne bois plus de sodas, ces images sont juste mon pêché mignon.
Après l’animation, place à la fiction. Aujourd’hui, le Comité Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a sélectionné les 12 films qui vont concourir au César 2016 du Meilleur Film de Court Métrage.
Le premier tour de vote, qui se déroulera du 4 au 26 janvier 2016, désignera les cinq films nommés pour le César du Meilleur Film de Court Métrage. Ils seront révélés lors de la conférence de presse d’annonce des nominations qui aura lieu le 27 janvier 2016.
Prix Spécial du Jury : Ton cœur au hasard d’Aude-Léa Rapin (France)
Mention Spéciale : Père de Lotfi Achour (Tunisie/France)
Compétition Nationale-FWB courts métrages
Meilleur Court métrage : The Hidden Part de Monique Marnette et Caroline D’hondt (Belgique)
Prix Spécial du Jury : Dernière porte au sud de Sacha Feiner (Belgique/France)
Prix de la Meilleure photographie : Les Amoureuses de Catherine Cosme (Belgique/France)
Prix d’interprétation : Sophie Breyer, Judith Williquet, Lou Bohringer, Olivia Smets, Stéphane Caillard pour Le Sommeil des Amazones de Bérangère McNeese (Belgique)
Mention Spéciale : Zoufs de Tom Boccara, Noé Reutenauer, Émilien Vekemans (Belgique)
Prix du public court métrage : XYZ, The City Hunter de M. Tikal (Belgique)
« Viaduc » est un drame familial bouleversant qui convoque à la pelle des références cinématographiques communes passées à la postérité pour nourrir en profondeur sa propre histoire, que Patrice Laliberté arrive dans un tour de force final à rendre authentique et sincère. Une démarche risquée, il est facile de tomber dans le simple patchwork, mais ici heureusement réussie qui lui a valu le Prix du meilleur court métrage canadien au Festival du film de Toronto.
L’histoire est on ne peut plus simple : « La police poursuit Mathieu surpris à graffer un pont d’autoroute (le fameux Viaduc en titre), mais la maraude nocturne de l’adolescent a un but que lui seul comprend. À l’aube, il reprend le cours de sa vie en attendant de récupérer son frère à l’aéroport… » une histoire simple donc, dont le réalisateur accroît significativement l’épaisseur en y disséminent de très beaux portraits de personnages.
La première séquence est en ce sens exemplaire pour observer la dynamique du film, et la façon dont il demande à son spectateur de recoller les bribes d’informations pour composer un tout cohérent. Le film s’ouvre sur un plan vide qui ravive des souvenirs à tous les spectateurs, une banlieue pavillonnaire digne des plus belles heures de l’écurie Spielberg, de « E.T. » à « Polteirgeist » en passant par l’Outsider Tim Burton et son « Edward aux mains d’argent ». Un de ces quartiers réglés comme une horloge, habité par des familles nucléaires sans haine et sans reproches (du moins sur le papier), où la moindre exception à la norme est repérée et condamnée.
Et le plan nous dévoile à droite Mathieu qui marche la tête cagoulée et une planche de bois sous le bras au-devant des méfaits qui lui valent 5 minutes plus tard d’être poursuivi par les forces de l’ordre. Voilà l’exception, la personne hors-norme de ce quartier de carte postal qui occupera, selon toute apparence, la place centrale du film. Mais sa fuite devant les forces de l’ordre et son échappée belle se traduit par une explosion musicale qui déborde de loin l’enjeu, introduisant par là un premier indice : il se joue des choses dans l’image dont nous ne comprenons pas encore la portée. Pas de quoi tressaillir de joie devant ce micro-exploit, si la musique part en trombe, c’est que les méfaits de Mathieu sont plus importants que nous ne le comprenons actuellement. C’est que l’histoire à commencé avant le film, et que ce « graff » dont la nature nous reste inconnue est la résolution, l’exploit du personnage pour résoudre une situation que nous ne connaissons pas encore.
Après les références visuelles attribuées aux classiques du cinéma mainstream des premières minutes, voilà que Patrice Laliberté projette son film dans une démarche très moderne, ne débutant pas son film au commencement de l’histoire mais en son cours, et posant d’emblée le spectateur dans une posture d’enquêteur qui devra s’attacher avec les éléments à venir à comprendre ce qui s’est déjà passé.
Cette ouverture menée tambour battant, le métrage continue de brouiller les pistes en lorgnant plus du côté de la chronique familiale et de la fable adolescente que de la frasque criminelle. À charge une scène de skateboard trop proche de « Mommy » pour que nous ne projetions pas expressément sur Mathieu les déboires et conflits que l’on avait découverts chez Steve dans le long de Xavier Dolan. Malheureusement pour nous qui pensions pouvoir attribuer facilement à Mathieu le profil du fameux personnage, isolement et incompréhension, la transition l’introduit en compagnie de deux amis occupés à parler consoles et drogues. On pense à « Paranoid Park » de Van Sant, et par collage, il devient plausible que notre adolescent taciturne ait commis un crime plus grave que le graff qui ouvre le film. La mort s’invite dans l’image, et l’attitude morose des autres membres de la famille rend plausible cette idée, le père de Mathieu dans un plan qui lui est réservé semble comme son fils refouler une douleur qui n’a pas de mots.
C’est au troisième acte que se résolvent toutes les questions sans que Laliberté ne donne pourtant aucune réponse. Il y a bien la mort dans l’image, le frère de Mathieu atterrit à la base militaire dans un cercueil. Nous comprenons le silence des personnages, l’absence de dialogues forts qui seraient déplacés pour expliquer la perte d’un être cher et le sentiment d’injustice et de grande tristesse qui hante ses proches. La caractérisation est terminée, nous sommes en présences d’êtres brisés, il n’y a pas de débouché possible, pas de happy end, le deuil était là avant l’incipit.
Mais lorsque la famille reprend le chemin du domicile familial et passe sous le graff de Mathieu, la boucle est bouclée, et le « Ciao Bro » adressé à son frère, aussi anodin que pertinent, ne manque pas de faire fondre en larmes le patriarche toujours muet. L’ouverture en trombe était bel et bien un exploit de l’adolescent contre le sort, l’expression simple de la seule chose à faire, laisser partir ceux qui ne sont plus, accepter malgré nous-mêmes. Ce « climax » plus émotionnel qu’impressionnant confère à « Viaduc » sa plus grande qualité. Il est de ces bobines que l’on peut voir dans les deux sens et sans magnétoscope.
Patrice Laliberté a semé des indices, des références communes tout au long de son film, des cadrages comme des accessoires, pour finir par les relier a posteriori à ses personnages et son histoire de façon unique et personnelle. Tout est comme si le film, à l’instar de ses personnages démunis et incapables d’exprimer leur douleur, s’était lui-même retrouver à devoir employer les expressions visuelles des Spielberg, Dolan, Van Sant, et consorts, pour trouver dans l’autre les meilleurs outils pour révéler sa propre singularité.
Avec « Viaduc », Patrice Laliberté nous offre un court métrage qui traite d’un long sujet de façon synthétique et épique, un acte de foi humble et honnête que l’on oubliera pas.
Le Jury Format Court, composé de Marie Bergeret, Juliette Borel et Adi Chesson, a décidé de remettre hier soir, lors du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), le prix du meilleur court métrage de la compétition internationale à « Renaître » de Jean-François Ravagnan, un film qui, bien que d’une facture classique, aborde la question du choix décisif d’un point de vue féminin. Un parti pris réussi, aussi bien dans sa narration laconique que dans sa manière d’être au plus près des personnages. Un instantané cinématographique où l’on ressent l’urgence du désir comme réponse ultime à la séparation inéluctable.
Le court-métrage primé fera l’objet d’un dossier spécial en ligne et sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Renaître de Jean-François Ravagnan (Fiction, 23′, 2015, Belgique, Les films du fleuve)
Synopsis : Un coup de téléphone fait ressurgir le passé de Sarah. Seule, mentant à ses proches, elle n’a maintenant plus qu’une idée en tête: traverser la Méditerranée pour retourner en Tunisie. Guidée par la violence de ses sentiments, elle entreprend un voyage afin de rester fidèle à une ancienne promesse faite à l’homme qu’elle aimait.