La Contre-allée de Cécile Ducrocq

« La Contre-allée », quatrième film écrit et réalisé par Cécile Ducrocq, est sélectionné à la 53e Semaine de la Critique et il y a des chances pour qu’il fasse parler de lui sur la Croisette cette année. En effet, rares sont les films qui ont traité de la prostitution sous cet angle.

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On a connu Cécile Ducrocq avec des films au ton plus doux, même s’ils traitaient déjà des désillusions face aux hommes. Petite contrariété d’abord, au niveau de l’amour, dans « Tout le monde dit je t’aime » où deux amies de 16 ans se demandent si le fait de dire « je t’aime » trop tôt, ne dévalorisait pas ce sentiment.

Désenchantement ensuite, face aux garçons dans « Fille modèle » où Marion, après avoir passé en cachette un concours de mannequins, se rendait compte bien malgré elle, que les garçons ne la voyaient plus comme une petite fille. Déception encore, cette fois face au père, dans « Le pays qui n’existe pas » où Jeanne, en week-end à Disneyland avec ses parents, découvrait que son père trompait sa mère.

Plusieurs désillusions qui permettent finalement de passer de l’enfance à l’âge adulte et que maîtrise parfaitement la réalisatrice en cernant avec finesse et justesse ces petits moments de la vie. Elle suit ses personnages avec une immense intimité et réussit ainsi à nous toucher avec des scènes du quotidien. Elle possède cette patte féminine, qui mêle la fragilité à la dureté sans concession.

Avec « La Contre-allée », Cécile Ducrocq passe la vitesse supérieure quant aux désillusions face aux hommes. En effet, il n’est plus question d’adolescentes de bonnes familles, mais de Suzanne, une femme d’une quarantaine d’années, prostituée de son état. Interprétée par la talentueuse Laure Calamy (vue dans « Ce qu’il restera de nous » de Vincent Macaigne), cette femme a choisi sa condition et mène ses activités de manière professionnelle. Attentionnée avec ses clients, elle tient sa comptabilité sur un petit carnet et son appartement est accueillant. La caméra suit les gestes maitrisés et organisés de Suzanne à la manière d’un documentaire sur une profession pas glauque pour un sou. Si bien que le film pose la question toujours aussi délicate : lorsqu’elle est volontaire, la prostitution est-elle un métier comme un autre ? C’est en tout cas ce que semble dire la réalisatrice et c’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de son point de vue en comparaison avec tous les films déjà faits autour de la prostitution, où les femmes subissent bien souvent cette condition ou bien sont montrées avec tous les clichés vulgaires qu’on leur attribue.

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Qui dit métier comme les autres sous-entend qu’il est confronté aux mêmes problèmes que les autres : la crise. Suzanne souffre du départ de ses clients pour une concurrence meilleur marché, celle illégale organisée par des étrangers, avec des femmes plus jeunes, plus exotiques qui exercent dans des camionnettes en périphérie de la ville. La contre-allée, c’est la contrefaçon, la différence entre une pute et une prostituée et ce qui fait de l’ombre aux activités conformes. Un beau jour, Suzanne ne supporte plus cette menace qui fait fuir ses habitués alors qu’elle fait bien son travail depuis 20 ans. Pour ce faire, elle demande de l’aide à deux clients du bistrot où elle se rend souvent pendant ses pauses. Les deux hommes se montrent sympathiques avec Suzanne et surtout compréhensifs de sa situation. Pour retrouver la sérénité dans ses activités, Suzanne leur fait confiance. Mais une prostituée est-elle une femme comme une autre ?

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Cécile Ducrocq signe avec « La Contre-allée », un film extrêmement fort sur une profession encore taboue, sur la condition de la femme et finalement, sur les désillusions de ceux qui pensent bien faire. Comme dans le film de Manuel Schapira, « Les Meutes », là aussi il est difficile de déterminer les gentils et les méchants.

Laure Calamy y est incroyable d’authenticité, jouant à merveille toutes les facettes de cette prostituée, à la fois mère, fantasme sexuel, copine de bistrot et femme d’entreprise, déterminée mais fragile, émouvante à souhait. On est très loin de « Pretty Woman » avec ce film qui ne laisse pas indemne qui prend aux tripes. Cécile Ducrocq arrive à cerner ce moment de retournement si bref dans l’existence qui fait que rien ne sera plus jamais comme avant.

Camille Monin

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Laure Calamy

Pour information, « La Contre-allée » sera projeté le jeudi 18/2 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de Laure Calamy et Cécile Ducrocq

2 thoughts on “La Contre-allée de Cécile Ducrocq”

  1. Oui, moi aussi je crois qu’on reparlera de Cécile, la réalisatrice à laquelle est rendu un hommage parfaitement justifié qui reconnait son intelligence et la subtilité de sa vision – ainsi que son talent pour diriger une comédienne remarquable.

  2. Un film aussi prenant que poignant, à l’image de notre société de faux contacts, de vraie solitude et de violence latente où tout se paye, souvent trop cher, trop vite et sans morale de l’échange.
    Si Laure Calamy, d’emblée authentique, joue la carte peu usitée du naturel et de l’inquiète retenue, il convient aussi de saluer la force de conviction déployée par ses partenaires, du client fidèle un peu las (très juste Joël Villy) au consciencieux jeune apprenti de la galipette, en passant par les brutaux et triviaux émules d’Orange mécanique. Amère et lucide, cette tranche de vie privilégie toutefois le stoïcisme, plutôt que l’excès de pessimisme, et plaide, loin de toute condescendance prétendument charitable, pour la simple reconnaissance du coeur qui suffit à maintenir debout celles qui boitent.

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