Tous les articles par Katia Bayer

Ennemis intérieurs de Sélim Azzazi, Prix Format Court au Festival de Villeurbanne

Depuis trois ans, Format Court est partenaire du Festival de Villeurbanne et remet un prix au sein de la compétition européenne. Cette année, le Jury Format Court (composé de Clément Beraud, Lila Toupard, Aziza Kaddour et Katia Bayer) a choisi d’attribuer une Mention spéciale en plus de son Prix, parmi les 43 films sélectionnés.

Il y a deux ans, Format Court a primé « Le Sens du toucher » de Jean-Charles Mbotti Malolo, un premier film subtil et vibrant à la croisée du mouvement, des couleurs et des sentiments. L’an passé, notre site internet a distingué « In uns das universum » de Lisa Krane, un film d’école passionnant et poétique sur la danse, les rêves et la maladie, porté par un montage et une photographie de qualité.

Notre Prix Format Court 2016 revient  à « Ennemis intérieurs » de Sélim Azzazi, un premier film d’actualité à mi-chemin entre le polar et le huis clos, traitant de l’identité, des identités, de l’humain, de l’immigration, de l’intégration et des préjugés. Un film intense servi par une tension présente de la première à la dernière minute et des comédiens à la hauteur d’un scénario finement écrit et construit.

Ennemis intérieurs de Sélim Azzazi. Fiction, 27 »30′, France, 2015, Qualia Films

Synopsis : Dans les années 90, le terrorisme algérien s’invite en France. Deux hommes. Deux mémoires. Deux identités. Un affrontement.

Pour accompagner ce prix, un focus sera consacré au réalisateur sur Format Court, le film sera très prochainement diffusé au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) dans le cadre de nos projections mensuelles et un DCP  (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) sera créé et doté par notre partenaire, le laboratoire numérique Média Solution.

Le Jury Format Court a également décidé de donner une Mention Spéciale au film croate « Zvir » de Miroslav Sikavica, un film dans lequel l’innocence propre à l’enfance se confronte durement à la réalité sociale des adultes.

Zvir de Miroslav Sikavica. Fiction, 15′, Croatie, 2016, Propeler Film

Synopsis : Un ouvrier de l’arrière-pays croate se dirige vers la côte pour démolir des habitations dans une station balnéaire. En chemin, il réalise que pour mener à bien sa contestable mission et conserver son autorité paternelle, il va devoir se débarrasser d’un « témoin » indésirable.

Les 10 courts de fiction en lice pour les Oscars

Après vous avoir annoncé hier la short list des 10 courts-métrages en lice pour l’Oscar du Meilleur Film d’Animation, voici celle concernant les courts de fiction. 10 films, sur une base de 137, ont été retenus par les comités de présélection des Oscars.

Bon Voyage de Marc Wilkins (Dschoint Ventschr Filmproduction)

Ennemis Intérieurs de Sélim Azzazi (Qualia Films)

Graffiti de Lluis Quilez (Participant Media, Euphoria Productions & Ainur Films)

La Femme et le TGV de Timo von Gunten (arbel gmbh)

Nocturne in Black de Jimmy Keyrouz (Columbia University)

The Rifle, the Jackal, the Wolf and the Boy de Oualid Mouaness (Tricycle Logic)

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Silent Nights de Aske Bang (M & M Productions)

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Sing (Mindenki) de Kristof Deák (Meteor Filmstudio)

Timecode de Juanjo Giménez (Nadir Films)

The Way of Tea (Les Frémissements du Thé) de Marc Fouchard (Existenz, BlackBox and P904)

Les 10 courts métrages d’animation en lice aux Oscars 2017

L’Académie des Oscars a annoncé aujourd’hui les noms des 10 courts métrages d’animation en lice pour la 89ème cérémonie des Oscars, sur les 69 présélectionnés. Les membres du comité court devront choisir 5 films sur cette liste de 10 pour le 2ème tour. Les nominations pour la cérémonie des Oscars seront annoncées le mardi 24 janvier 2017. Le vainqueur sera connu le dimanche 26 février 2017.

Films sélectionnés

Blind Vaysha de Theodore Ushev (Office national du film du Canada)

Borrowed Time de Andrew Coats et Lou Hamou-Lhadj (Quorum Films)

Happy End de Jan Saska (FAMU – Film and TV School of the Academy of Performing Arts, Prague)

Une tête disparaît de Franck Dion (Papy3D Productions, Office national du film du Canada)

Inner Workings de Leo Matsuda (Walt Disney Animation Studios)

Once upon a Line de Alicja Jasina (University of Southern California)

Pear Cider and Cigarettes de Robert Valley (Massive Swerve Studios and Passion Pictures Animation)

Pearl de Patrick Osborne (Google Spotlight Stories/Evil Eye Pictures)

Piper de Alan Barillaro (Pixar Animation Studios)

Sous Tes Doigts de Marie-Christine Courtès (Vivement Lundi!, Novanima)

Spoetnik de Noel Loozen

Gagnant du Prix France Télévisions au 13ème Festival Court-Métrange, projeté également au Festival de Brest, Spoetnik de Noel Loozen est, contrairement à la thématique spatiale qu’introduit son titre, une fable humaniste et une comédie romantique tout droit venue d’un conte de fée.

Sam, un jeune garçon à scooter file sur la route et s’accidente devant un camion-restaurant à l’apparence rudimentaire. Gilles, son propriétaire, en profite pour l’engager. Sam apprend à cuisiner le spoetnik, une brochette de quatre tranches de bœuf haché et trois d’oignons, fris et agrémenté de sauce. Un mets délicieux que vient commander Zola, une prostituée de la maison close d’en face. C’est l’amour fou au premier regard, mais le proxénète de Zola va tout mettre en œuvre pour la garder à son service.

Ce que l’on remarque dès la première image, c’est la forme : le cadre se caractérise par une frontalité inhabituelle. Lorsque Sam se déplace en scooter, la caméra est embarquée face à lui, en plan serré, de sorte que nous ne percevons pas le déplacement de l’engin, seulement le buste de Sam et les cimes d’arbres qui défilent de chaque côté, floues, interdisant toute impression de profondeur.

De même, tout le film se construit sur une opposition en vis-à-vis. Pour opposer le camion-restaurant et la maison-close, Noel Loozen filme l’un depuis l’autre, avec un angle de vue perpendiculaire à leur façade. Cela a pour effet de couper toute ligne de fuite et de laisser paraître le conflit des deux commerces radical, comme si leurs façades se regardaient en chien de faïence.

La scénographie pourvoie à la même cause que le cadre, puisque la seule issue du décor, entrée et sortie possible, est une route à la trajectoire rectiligne qui sépare les deux commerces, marquant d’autant mieux leur opposition spatiale réelle. C’est par cette route que Sam rentre dans l’histoire, et c’est celle qu’il devra emprunter avec sa dulcinée s’il parvient à la délivrer des griffes de son souteneur. C’est le voyage du héros que Sam doit entreprendre, tel que défini par Joseph Campbell dans son livre « Le Héros aux mille visages » (1949).

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La force des contes de fée, c’est qu’ils accentuent le ton de tous les éléments du film sans les rendre caricaturaux. Dans « Spoetnik », Sam est un jeune qui endosse un petit boulot, il porte des survêtements de sport, c’est l’homme du peuple en qui se cache un grand chevalier. Gilles, qui le secourt quand il va mal, tout juste tombé de son scooter, va lui tendre la main et lui transmettre son savoir, c’est le maitre spirituel du conte. Même si ici, le savoir est de cuisiner une brochette spoetnik. Zola, c’est la princesse prisonnière dans le donjon. Tenue à la fenêtre pour appâter les clients, elle est condamnée à regarder le paysage qu’elle n’arpentera jamais. Et bien sûr le dragon de l’histoire, à tel point que son arme est la flamme de son briquet, est le proxénète, muet et massif.

Mais l’amour aura raison de tout. Lorsque Zola rencontre Sam, le champ-contre-champ frontal qui accompagne leur échange de regard « trop » long et passionné, et la mélodie aux sonorités de fête foraine, devient bouleversante par son artificialité. La situation, comme devant tant d’autres du film, fait rire par son côté simple et décalé, mais à chaque fois le rire s’essouffle et la scène dure toujours jusqu’à nous laisser sans voix. C’est que, dans ces cadres formels, dans cette esthétique de façade des commerces et de posture des personnages, le sentiment amoureux, et celui de détresse, sont désarmants.

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Sam doit donc sauver Zola des griffes de son souteneur. Mais cet affrontement repose sur une conquête spatiale (un autre trait d’humour net en référence au titre), il doit traverser la route qui dessine une frontière entre les deux espaces s’il veut secourir celle qu’il aime. Il doit aller là où il n’est jamais allé. Noel Loozen capture alors l’exploit par le seul mouvement de caméra du film, un travelling latéral qui traverse la route pour porter son preux chevalier durant son parcours, avec musique synthétique et apparition d’un faisceau de lumière de boite de nuit inexpliqué à l’appui. La scène est dépossédée de tout côté réaliste et n’en sert que mieux sa lecture enchanteresse.

La lutte est victorieuse, mais s’éloigner du dragon, fuir la menace, c’est quitter ce décor pour ne plus y revenir. Il faudra que Sam reprenne sa monture, son scooter accidenté, pour s’éloigner vers la ligne d’horizon avec Zola, loin de ce monde de façade, d’opposition binaire, s’il veut finir sa quête et clôturer le film. L’occasion se présente dans l’unique plan de « Spoetnik » où les personnages peuvent se déplacer dans la profondeur, où les lignes de fuites sont ininterrompues. Et comme exagération suprême, pour rajouter une dernière touche de fable, le réalisateur pose un raccord qui transforme le phare arrière du bicycle en une étoile scintillante perdue dans le ciel étoilé, loin, très loin du dragon et du monde qui le tolère.

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Dix minutes, c’est le temps qu’il faut à « Spoetnik » pour nous faire tomber amoureux de l’amour. En reprenant les codes surannés du prince et de la princesse, Noel Loozen parvient dans un environnement artificiel, contemporain, codé et bridant, à déployer toute la force des sentiments indomptables qui font la pureté des grandes idylles amoureuses. On ne vous conseille plus de surveiller la case court-métrage de France 2, dans l’attente de l’y trouver. La chaine lui a décerné son prix, il devrait donc y être diffusé un jour prochain.

Gary Delépine

Consulter la fiche technique du film

S comme Spoetnik

Fiche technique

Synopsis : Sam se retrouve coincé entre un camion-restaurant et une maison-close.

Genre : Fiction

Durée : 10’30″

Pays : Pays-Bas

Année : 2015

Scénario : Noel Loozen

Réalisation : Noel Loozen

Interprétation : Jiri Loozen, Romy Gevers, Michel Van Dousselaere, Michel Kerbosch, Marcel Zwofernik

Image : Tim Kerbosch

Montage : Mieneke Kramer

Son : Lennert Hunfeld

Production : Halal Production, NTR Production

Article associé : la critique du film

Festival BD6Né 2017, appel à films

Le Festival BD6Né est un festival entièrement consacré aux apports de la BD au Cinéma et à toute la richesse des échanges entre ces deux arts. La 5ème édition du Festival BD6Né se déroulera du 22 au 25 juin 2017 à Paris, à la Médiathèque Marguerite Duras (20ème) et sera organisée par l’association Broken.

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Pour la compétition de courts métrages, le festival recherche des films français et internationaux, d’une durée maximale de 20 minutes (générique inclus), produits après le 31 décembre 2014 et qui rendent compte d’un attachement ou d’une passerelle entre l’art cinématographique et la bande dessinée.

Date limite d’inscription : 31 décembre 2016

Remarque : Les films non francophones doivent être sous-titrés en français.

Pour inscrire un film, rendez-vous sur : http://bd6ne.blogspot.fr/p/festival-bd6ne-2017-appel-films-english.html

Plus d’infos sur : www.facebook.com/festivalbd6ne

O’Moro de Christophe Calissoni et Eva Offredo

Notre rubrique « Le film de la semaine » accueille un nouveau titre animé choisi par Michèle Driguez, la sélectionneuse des courts-métrages du Festival Cinemed, consacré au cinéma méditerranéen à Montpellier. Son choix porte sur « O’Moro  » de Christophe Calissoni et Eva Offredo, l’un de ses films préférés en animation.

O’Moro de Christophe Calissoni et Eva Offredo, 11’50’’, France, 2009, Je Suis Bien Content Production

Synopsis : Naples, fin des années cinquante. Un carabinier, colosse taciturne que son chef surnomme O’Moro, “Le Maure”, a pour mission d’arrêter la racaille de la ville. Un matin, sur le port, la rencontre d’une gitane va changer le cours de sa vie.

Pourquoi « O’Moro » ? Difficile de répondre en quelques lignes vu l’extrême richesse d’un film dont je n’arrive pas à me lasser, que je re-découvre à chaque fois. D’abord parce qu’il a le — trop ? — rare avantage d’être disponible légalement sur Internet, une des demandes de Format Court pour choisir le court métrage de sa rubrique « Le film de la semaine »… Mais aussi et surtout parce que c’est un petit bijou solaire, minutieusement ciselé qui nous offre en moins de 12 minutes un véritable concentré de Méditerranée.

Dans la lumière de Naples des années 50, « O’Moro » est une animation magnifique, colorée et poétique, inspirée des Naïfs mais aussi de Van Gogh. La technique est traditionnelle — pantins en papier découpé — avec un incroyable sens du détail pour rendre la vie grouillante et joyeuse du petit peuple, des hauteurs de la ville jusqu’à la splendeur de sa baie.

Grâce à une bande son très travaillée, « O’Moro » est aussi un film musical. Musique des langues et des accents d’abord : O’Moro c’est le Maure en napolitain, qui se mêle à l’italien, l’espagnol, l’arabe et l’anglais des touristes. Le Maure, si noir de peau, est brigadier sous les ordres d’une vieille baderne raciste et ridicule qui fait la chasse aux illégaux, mais il ne rêve que d’une chose : retourner au pays par le désert d’où il vient. Douleur de l’exil, solitude, nostalgie portée par le luth qui le console. Musique toujours avec les chansons des Gitans, gens du voyage, trop différents eux aussi, donc éternels suspects : « O’Sarracino », le Sarrasin, joueur de guitare, « Zingarella », la Gitane, danseuse et diseuse de bonne aventure. Dans un final sous les étoiles où fusionnent l’arabo-andalou et le flamenco, ils finiront par célébrer ensemble une Méditerranée vibrante et vivante où les corps « étrangers » dansent et chantent la vie, libres de toute répression morale ou policière. D’une actualité toujours aussi brûlante…

Michèle Driguez

Short Screens #66: « Passages »

À la croisée de trois continents, la mer Méditerranée a toujours servi de pont entre cultures, confessions et mœurs différentes, entretenant des relations tantôt paisibles tantôt conflictuelles. Inspiré par ces multiples traversées, Short Screens propose en collaboration avec Cinémamed, le Festival du Cinéma Méditerranéen de Bruxelles, une sélection de courts métrages qui vous feront prendre des passages aussi bien littéraux que métaphoriques, reflétant la richesse et la diversité des cinémas du bassin méditerranéen.

En présence de Sandra Fassio, la réalisatrice de « Kanun ».

Rendez-vous le jeudi 24 novembre à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici!

Programmation

El Bathika (The Watermelon) de Mohamed Khan, Egypte, 1972, docu-fiction, 10’

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Dans les rues du Caire, on suit le trajet d’un employé du gouvernement qui rentre chez lui, une pastèque à la main. Entre documentaire et fiction, on est témoin d’une conversation entre un homme et sa femme.

 Voyages sans retour de Sergio Ghizzardi, Belgique, 2014, documentaire, 33’

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Un voyage au cœur de la population immigrée du troisième âge d’origine marocaine ou turque. Leurs récits de vie posent de nombreuses questions : sur nous-mêmes, sur l’histoire de la Belgique, mais aussi sur la reconnaissance à avoir à l’égard de ces immigrés de l’ombre, qui ont déposé ici leurs valises et les ouvrent aujourd’hui devant nous, avec beaucoup de pudeur et de lucidité.

Black Tape de Michelle Kranot et Uri Kranot, Danemark/Palestine, 2014, animation, 3’

Un soldat israélien danse avec un activiste palestinien. Puis viennent d’autres soldats, d’autres combats, d’autres dominations. Rythmé par les dessins d’images documentaires, le tango continue inexorablement de raconter la violence du conflit israélo-palestinien. Black Tape illustre en quelques minutes l’une des plus grandes tragédies de notre époque.

Article associé : l’interview du réalisateur

Kanun de Sandra Fassio, Belgique/France, 2015, fiction, 27’. Prix Format Court au Festival Le Court en dit long 2015

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KANUN : code albanais ancestral, impitoyable. L’article 864 dit : Tu vengeras la mort d’un membre de la famille par la mort de l’assassin. Mais l’article 602 impose de respecter et protéger son invité comme son propre enfant. Et ce soir, Adil a accepté d’héberger Johan, un de ses hommes de main, alors que son fils ainé n’est pas encore rentré à la maison.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Marseille, après la Guerre de Billy Woodberry, Etats-Unis, 2015, documentaire expérimental, 10’

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Un portrait poétique en noir et blanc des dockers dans le Marseille d’après Guerre en même temps qu’un hommage au grand réalisateur sénégalais Ousmane Sembène. Il y a quelques années, alors qu’il faisait une recherche sur l’histoire des « National Maritime Union », Woodberry est tombé sur une collection d’images d’archives des dockers à Marseille, beaucoup d’entre elles montraient des travailleurs africains.

9 Days- From my Window in Aleppo de Floor Van Der Meulen et Thomas Vroege, Pays-Bas/Syrie, 2016, documentaire, 12’

Un matin, Issa Touma, photographe Syrien de renom, voit des jeunes gens transporter des sacs de sable dans sa rue. C’est le début du soulèvement Syrien dans la ville d’Alep. Touma attrape sa caméra et passe 9 jours enfermé dans son appartement.

Soirée Format Court du 10/11 (Spéciale Pays-Bas), les photos !

Avant de vous proposer un tout nouveau rendez-vous autour du court le jeudi 8 décembre prochain, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), nous vous invitons à consulter en ligne l’album photo de notre récente soirée Format Court, organisée le jeudi 10 novembre dernier, consacrée aux Pays-Bas. Cette très belle séance, organisée avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France et de EYE International, nous aura permis de programmer 5 films magnifiques : « Feest » de Paul Verhoeven, « We were wolves » de Mees Peijnenburg, « Import » de Ena Sendijarević, « The Origin Of Creatures » de Floris Kaayk, « Geboren en Getogen » de Eelko Ferwerda.

Nos invités, à l’occasion de cette soirée, furent Harry Bos chargé du cinéma néerlandais pour l’Ambassade des Pays-Bas à Paris, Ena Sendijarević, réalisatrice de « Import » et Mees Peijnenburg, réalisateur de « We were wolves »

Photos :  © Stenny Sigere

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Vincent Paronnaud : « Il manque des propositions anarchistes qui disent et font n’importe quoi »

Venu du monde de la bande dessinée indépendante, avec des œuvres comme « Welcome to the Death Club » (2001), « Monsieur Ferraille » (2001), « Pat Boon » (2001) ou « Pinocchio » (2008), Vincent Paronnaud alias Winshluss a bifurqué ensuite vers le cinéma d’animation en co-réalisant notamment « Persepolis », en 2007.

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© Annabelle Lourenço

Artiste discret et protéiforme, il navigue seul ou en équipe, entre cinéma et bande dessinée, alternant film fauché et production plus lourde. Intéressé par la réappropriation et le détournement des contes et des mythes, en témoigne sa nouvelle bande dessinée Dans la Forée sombre et mystérieuse aux éditions Gallimard, il a accepté de nous donner quelque clés de compréhension de son œuvre filmique, fascinante et en constante évolution.

Quels sont tes premiers projets en court métrage ?

Mon premier court métrage d’animation date de 2003, il s’agit de « Raging Blues », coréalisé avec Cizo (Lyonnel Mathieu), et produit par Je Suis Bien Content, société avec laquelle je collabore régulièrement. Au départ, je souhaitais développer un projet intitulé Smart Monkey, qui suivait les aventures d’un petit singe malicieux, à l’ère Paléolithique, mais il coûtait trop cher, donc je l’ai adapté sous la forme d’une bande dessinée chez l’éditeur indépendant L’Association. Des années plus tard (en 2014), j’ai pu finalement le faire en animation, en le coréalisant avec Nicolas Pawlowski.

Mon deuxième court, « O’Boy, What nice legs ! », a été créé il y a une dizaine d’années dans le cadre d’une exposition organisée par Ferraille Production, qui s’occupait entre autres de la revue Mr Ferraille. Le film s’insérait dans toute une mythologie que l’on avait créée autour du personnage principal de la revue à laquelle il donnait son nom, Monsieur Ferraille, et qui démarrait au début du siècle dernier. Dans cette exposition, il y avait des films, des détournements graphiques et l’équivalent d’un empire à la Walt Disney, avec tout ce que cela implique comme produits dérivés, mais dans une version beaucoup plus sombre et pervertie. Nous avions intégré à l’exposition plusieurs faux dessins animés, dont celui-ci, dans l’esprit de ceux des années 20 et 30, comme Betty Boop et Popeye, mais avec une dimension subversive et satirique.

Ce que j’ai aimé faire avec ces premières œuvres, c’est m’approprier des codes de la culture populaire, dans des genres très marqués, puis en détourner le sens et y injecter un mauvais esprit.

Tu te lances ensuite dans l’aventure du long métrage, notamment en collaborant avec Marjane Satrapi, mais aussi en faisant un film de zombies complètement fou, « Villemolle 81 », comment cette transition s’est-elle faite ?

J’ai eu la chance de co-réaliser « Persepolis » avec Marjane Satrapi, adapté de sa propre bande dessinée, ainsi que « Poulet aux Prunes », pour lequel nous avions prévu de travailler sur un film live, avec des comédiens. Je sortais tout juste de l’aventure « Persepolis », j’avais besoin de faire quelque chose de plus artisanal, entre amis, et je souhaitais également me tester sur le format du film en live. Je suis quelqu’un qui travaille dans l’apprentissage, pas dans la théorie, j’ai senti que c’était le bon moment pour réaliser un film complètement différent et je suis parti sur le projet de « Villemolle 81 ».

Avec Frédéric Felder alias Franky Baloney, l’un des cerveaux derrière les éditions Requins Marteaux et la revue Ferraille, nous avons écrit le scénario le plus idiot possible, en gardant en tête l’idée de partir du vide pour aller vers le néant le plus total. Et ce fut de ce point de vue une sacré réussite ! On peut dire que pour ce film, les astres s’étaient alignés pour faire du grand n’importe quoi. Cela parlait d’un virus mutant se propageant dans un petit village du sud de la France et transformant la population en zombies, sous l’œil intrigué d’un journaliste parisien, incarné par le dessinateur Blutch. Le seul bémol est que je ne pensais pas que cela allait me prendre autant de temps, il y a eu plusieurs versions de montage. Tout le monde s’est beaucoup investi, c’était un projet super dense même s’il était fauché. J’aime ce film, il est imparfait au possible mais je ne lui connais pas d’équivalent. Il ressemble au mec qui l’a fait. Ce n’est pas un film comparable à « Persepolis », pour beaucoup ce n’était même pas un vrai film, mais finalement avec les années qui passent, on continue à m’en parler, c’est qu’il doit bien vieillir.

Comment s’est déroulé le passage de la BD au film d’animation, et puis au film live ? As-tu éprouvé des difficultés en explorant ces divers formats ?

Il faut avoir pleinement conscience de tous les aspects techniques et humains propres à chaque format. Quand je fais de la bande dessinée, personne n’est derrière moi, je suis tout seul à décider. Dès le moment où je fais du cinéma, je dois travailler avec une équipe, et je me dois de bien comprendre ce que chacun fait. Il ne faut pas faire preuve d’arrogance et être constamment à l’écoute. Ce n’est pas parce que j’ai une idée géniale et que ceux qui m’entourent ne la comprennent pas, qu’ils sont forcément inaptes. Quand on fait un film et que l’on pense avoir une idée géniale, il faut accepter d’en perdre un bon pourcentage en cours de route et qu’à la limite, si cela se passe bien à toutes les étapes, on n’en garde assez au final pour en sortir une idée intéressante.

Comment cela s’est passé pour ton film d’animation suivant « Il Etait Une Fois l’Huile » ? Tu sembles ne pas avoir trop perdu de ton idée initiale pour ce court métrage.

Ce film est, d’une certaine manière, la synthèse de tout ce que j’ai pu faire pendant dix ans, à l’instar de la bande dessinée Pinocchio, vers la même époque (2008-2009). Il est hystérique, il part dans tous les sens et explore tous mes thèmes sociaux et environnementaux de prédilection. J’avais acquis plus d’expérience, mais cela n’a pas été facile à faire pour autant. Mon talent réel sur ce film, si l’on peut dire, a été de gérer les gens, l’équipe, de les mettre à tel poste, de pister quand il y avait des problèmes et de trouver des solutions ; de réaliser en somme. C’est peut-être là-dessus que j’avais amassé une certaine expérience. À mon sens, le vrai boulot de réalisateur, c’est d’avoir des idées et du talent bien entendu, mais c’est surtout de gérer l’humain, d’appréhender les problèmes et de tenter de les prévenir.

Cette approche du travail, comment t’est-elle venue ?

Je suis la personne la plus bordélique qui existe, ce n’est pas dans ma nature de travailler méticuleusement. Il s’est avéré que quand j’étais plus jeune, avec des amis j’ai monté un groupe de rock et je disais des choses du style : « Il faudrait répéter » ou « il faudrait passer à un stade supérieur ». En général, mes amis me traitaient alors de fasciste… Et puis très tôt, j’ai appris à travailler avec d’autres personnes que mon entourage proche.

Dans ma vie, au quotidien, c’est le chaos le plus total ; par contre au niveau du travail, je fonctionne avec plus d’intuition, je fais preuve de pragmatisme, je ne suis plus humain quand je travaille, mon égo disparaît. Par exemple, si quelqu’un a une idée meilleure que la mienne, je l’accepte sans problème.

Pour ton dernier court métrage en date « Territoire », œuvre hybride, sorte de western rural, explorant à la fois le film d’horreur et le folklore paysan français, tu sembles vouloir essayer autre chose ?

Je fonctionne beaucoup par cycle et je m’intéresse depuis un certain temps à tout ce qui relève de la nature et de son interaction avec l’humain. Comme l’ermite paysan du film, il est possible qu’à terme je finisse dans la forêt (rires) !

Je ne me considère pas vraiment comme un écologiste à proprement parler. Malgré moi, j’ai développé un certain scepticisme. Ce qui me fascine ce sont plutôt les contradictions, les dualités et les contresens, comment on peut accommoder les volontés propres à notre société de consommation et les velléités écologiques qui fusent de tout bord. Cela peut prendre des proportions inédites lorsqu’il s’agit de mensonge à grande échelle. Par exemple, il y a quelques années de nombreuses multinationales comme Mc Do & consorts, ont choisi de communiquer avec la couleur verte, synonyme d’espoir ou d’écologie. Je trouve cela très hypocrite.

Est-ce que l’on peut parler d’un certain aspect mythologique présent dans « Territoire » ?

Effectivement, je cherchais à créer un personnage mythologique, une légende ou un héros, avec une approche simpliste revendiquée. J’avais besoin de m’entrainer à filmer la nature, sans que cela paraisse chiant à l’image, j’ai donc écrit ce scénario en m’appuyant sur une trame de film de genre. Le scénario était plus explicite, notamment au niveau du rapport entre cette histoire et la guerre d’Algérie. Quand le FLN a gagné, De Gaulle, quelques jours après, a passé un deal avec eux pour garder les éléments nécessaires pour faire des essais nucléaires en échange de leur fournir une centrale. J’adore m’emparer de ces secrets d’histoire aberrants.

Au début, il y avait des images d’archives sur la Guerre d’Algérie pour appuyer mon propos, j’ai finalement tout enlevé. J’estimais savoir ce que je racontais et je pouvais me permettre de retirer le superflu. J’avais l’impression d’appuyer mes dires et je trouvais cela vulgaire. Juste garder le conflit entre les militaires et un homme seul, sorte de paysan/berger, cela avait du sens pour moi, ne serait-ce que par mon histoire familiale, mon grand-père étant résistant déporté et mon père, syndicaliste. J’ai également fait l’armée, je me suis fait réformer et j’ai atterri en bataillon disciplinaire.

Le personnage principal de « Territoire » est un ermite mutique dont il est bien difficile de cerner tous les contours. Il semble que plusieurs de tes personnages partagent une telle ambiguïté, pourquoi ce choix ?

Nous vivons dans un monde où l’on comprend les gens dans le verbe, nous sommes à l’ère de la communication où toute aspérité est gommée et où l’hypocrisie est reine. Je préfèrerai toujours les actes à la parole. De plus, j’aime bien les personnages où les notions de bien et de mal ne sont pas tranchées, qui agissent suivant des choix et des décisions, mais qui ne sont pas forcément sympathiques au premier abord.

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As-tu éprouvé des difficultés pour réaliser un film s’apparentant au film de genre ?

Cela reste mystérieux, mais nous avons eu un financement. Peut-être que les personnes qui nous ont attribué ce financement se sont dits que ce scénario proposait autre chose, moins naturaliste que ce qu’ils ont l’habitude de lire. Notre projet était différent des films habituels où les agriculteurs font du fromage. Ici, notre héros fait à la fois du fromage, mais découpe aussi des monstres avec une hache. Alors qu’il pourrait juste découper du fromage avec une hache… (rires)

Dans le système de financement actuel, il y a un mode de pensée particulier, l’intérêt se porte beaucoup sur le film d’auteur social, dégoulinant d’empathie et en totale rédemption. Il existe cette tendance-là, le besoin de récompenser le héros pour avoir accompli une bonne action. Dans mes scénarios, je ne récompense personne et à la fin, on se retrouve livré à soi-même. Mes histoires sont sèches, on peut passer à côté et n’y voir qu’une succession de scènes d’action. J’ai besoin de situer et de contenir l’action dans une situation de film de genre, pour pouvoir ensuite en détourner tous les codes et servir mon propos.

Est-ce que tes films possèdent une dimension politique ?

Oui et non, car cela fait longtemps que je suis en quelque sorte désabusé. Je viens d’une famille politisée, mon père était très engagé, sans être carriériste. Il m’est arrivé de fréquenter des personnes sans réelle conviction, qui n’arrivent pas à tenir sur la longueur. Des personnes moralisatrices qui se révèlent être le contraire de ce qu’ils prétendent. Quand je travaillais avec Marjane Satrapi sur « Persepolis », c’était un engagement très idéaliste pour moi. Je pensais que cela en valait la peine, notamment vis-à-vis de ce qui se passait en Iran à l’époque, et c’est pour cette raison que je l’ai fait, pas juste par simple envie de réaliser un dessin animé.

Au tout début, dans mes histoires, je m’intéressais surtout à l’aspect économique. La vraie religion, pour moi, est celle de l’argent et je voulais dénoncer cela. Maintenant, mon travail s’attache plus à l’individu, aux tréfonds de l’être humain, ce qui peut expliquer le choix de certaines thématiques dans mes films, notamment ce qui relève de l’animalité et de la transmission. Peut-être que mon travail possède une vraie dimension politique, mais il faudrait plus la distinguer d’un point de vue philosophique ou existentiel.

D’une certaine manière, l’humain a besoin d’être rassuré, il lui arrive donc de s’arrêter sur des idées, car il est confortable de délimiter les choses. Je ne suis pas comme cela, j’ai besoin de partir dans tous les sens, de garder ma pensée mouvante. Je trouve qu’il manque des propositions anarchistes qui disent et font n’importe quoi. A l’heure actuelle, tu es obligé de répondre de tout ce que tu fais, si tu dis quelque chose, il faut bien préciser ta pensée. C’est pour cela qu’il m’arrive de faire des choses assez vulgaires et grossières, car si tu es en accord avec toi-même, tu assumes ce genre de projets.

C’est la même chose en ce qui concerne la notion de bonheur. Il me semble qu’il y a un malentendu sur les termes même de la définition. Il nous faut accepter qu’il ne puisse y avoir que des instants de nos existences qui peuvent s’en approcher. Cela n’a rien à voir avec le fantasme que l’on peut nous vendre et qui remplit les publicités pour voitures où papa conduit avec maman à côté, en écoutant de la musique de merde, tandis que les gamins et le chien sont assis à l’arrière. Je trouve cela triste et réducteur comme vision du bonheur.

Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès

Barry Purves – His Intimate Lives

Il y a quelques années, en 2008, Agnès B. et Potemkine ont édité un coffret DVD dédié à Barry Purves, le réalisateur et animateur britannique indépendant, spécialiste de la stop-motion (3D, image par image), « Barry Purves – His Intimate Lives  », comprenant six courts-métrages d’animation pour adultes, des interviews et un livret de 80 pages en couleurs. Ce bijou de l’un des maîtres de l’animation de marionnettes contemporaine est un must pour les passionnés et amoureux du genre animé.

Après avoir étudié la littérature grecque et travaillé comme acteur de théâtre, Barry Purves devient animateur indépendant en réalisant des campagnes publicitaires et des clips vidéos et en organisant des ateliers dans certains des studios américains les plus importants du monde, comme DreamWorks, Pacific Data Images, Pixar et Laika. Il crée sa propre boîte de production, Bare Boards, dans laquelle il développera presque tous ses films, en s’occupant lui-même du scénario, de la réalisation et de l’animation. Ses courts-métrages, maintes fois primés dans les festivals spécialisés, ont été nommés aux Oscars et aux Bafta.

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Ancien comédien, Purves a été fortement influencé par le théâtre, notamment par Shakespeare, l’opéra italien et la tragédie grecque. Véritable artiste, il n’hésite pas à mélanger tous ces arts pour créer un univers très personnel. Il manipule de manière virtuose ses marionnettes articulées, expérimente le jeu des possibles et accentue les expressions faciales et corporelles de ses personnages, privilégie un jeu à la limite de l’artifice, filme, de manière intensément dramatique, les grands sentiments (amour, passion, colère, mort, etc), passant constamment de l’ombre à la lumière.

Le livret accompagnant ce DVD, composé d’une discussion entre Barry Purves et Michel Ocelot, de documentaires et d’un livret qui ravira à la fois les professionnels de l’animation ainsi que les amateurs, fonctionne comme un prélude aux courts-métrages présentés. La conversation entre les deux géants de l’animation britannique et française fait état du processus créatif et du rapport au public. Tous deux savent ce que signifie être un auteur, un réalisateur et un animateur de ses propres films.

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Purves présente une brève et captivante introduction de ses films qui fonctionne comme une préface à ses films. Ceux-ci racontent des histoires universelles et portent la signature du réalisateur : les visages sont très travaillés, les marionnettes semblent prendre vie devant la caméra, les décors et les costumes sont élaborés avec minutie, ce qui rend les films de Purves identifiables entre tous.

Dans le livret, Paul Wells, l’un des plus grands critiques du cinéma d’animation, analyse les principales caractéristiques des films de Purves : la “manipulation sensuelle” des marionnettes, les sentiments passionnés des personnages, le sens du détail du metteur en scène, l’élaboration de ses récits.

Toujours dans le livret, chaque film s’accompagne d’un bref dossier personnalisé, d’un synopsis, de commentaires, d’anecdotes, d’une liste de prix les plus importants, d’images de story-boards et de dessins. La chose certainement la plus attirante pour les non initiés ? Un guide essentiel des secrets de réalisation de l’animation en stop-motion.

Purves, cinéaste prolifique, propose dans ce DVD une excellente sélection de six de ses courts. Dans « Next » (1989), nous assistons à une audition de Shakespeare lui-même qui passe un casting devant le directeur de théâtre Peter Hall. Alors que celui-ci l’ignore, Shakespeare fait son possible pour attirer son attention et lui exposer l’étendue de son talent, le tout en cinq minutes. La marionnette articulée porte la performance au maximum, en combinant des moments phares des oeuvres de Shakespeare et une palette de sentiments, tous au service de l’histoire.

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« Screen Play » (1992), nominé aux Oscars est sans doute l’œuvre la plus célèbre de Purves. Ce projet épique se réfère aux conventions du théâtre Noh de Kabukki et de Bunraku, au naturalisme du théâtre traditionnel japonais. En utilisant un décor tournant, véritable symbole de la culture japonaise, un visible narrateur nous raconte à travers le langage de signes et une voix off l’histoire d’un vieil homme japonais qui se rappelle sa jeunesse passionnée et tragique. Cette œuvre est la plus poétique de toutes car les marionnettes ne communiquent que par langage des signes. « Screen Play » est pure scénographie, le décor tourne autour du personnage, offrant au spectateur une toute autre façon d’aborder le film.

« Rigoletto », un moyen-métrage de 30 minutes tourné l’année suivante (1993) combine tout le drame de l’opéra de Verdi et une brillante technique d’animation de marionnettes. Dans cette pièce complexe de Verdi, le bouffon bossu du duc de Mantoue tente de venger le déshonneur de sa fille. Les décors et les costumes des personnages évoquent la Renaissance italienne, pour atteindre un haut degré de sophistication grâce à une respiration mécanique des marionnettes. Element étonnant : Purves a « recyclé » la marionnette du directeur de théâtre Peter Hall (présent dans « Next ») pour créer le personnage du comte Monterone, par souci d’économie.

« Achilles » (1995) aborde les relations amoureuses entre Achilles et Patrocle pendant la guerre de Troie. Ce chef d’œuvre parle du mythe grec et de l’hypocrisie des tabous sociaux liés à l’homosexualité et à l’intimité érotique. Le traitement formel des amants nus, faisant semblant d’être de robustes sculptures grecques, est précis dans les contours et les détails ainsi que dans l’harmonie et la beauté de leur anatomie. L’obsession de Purves pour l’expression corporelle des personnages est évidente dans cette pièce représentative de l’époque hellénistique caractérisée par le luxe, l’hédonisme et l’exploration constante de l’expressivité émotionnelle.

« Gilbert & Sullivan, the Very Models » (1998) est une opérette de l’époque victorienne qui se distingue par son esprit comique, sa musique omniprésente et ses personnages tiraillés entre désirs de création, rêves de gloire et passions personnelles. A la limite de l’autobiographie, Purves révèle ses préoccupations en tant qu’auteur devenu incontournable grâce ou à cause de la visibilité des prix et festivals : le gaspillage de talent, l’obsession de la célébrité, la question de la reconnaissance pour les générations à venir.

« Hamilton Mattress » (2001) est un court-métrage diamétralement opposé des courts-métrages précédents. Hamilton est un fourmilier faisant son entrée dans le monde décadent du show-biz par le biais de son agent, le mille-pattes Feldwick. Purves réalise ce film qu’il n’a ni écrit ni animé. Distingué par une palette de couleurs très riches, cet autre moyen métrage de 30 minutes est un projet pilote issu des Studios Aardman. Sa technique a de fait évolué. Ses marionnettes sont plus sophistiquées : elles sont à la fois plus petites, ce qui permet une manipulation plus précis, elles contiennent également des mécanismes sous-cutanés qui, une fois animés, leur permettent une plus grande expressivité. En parallèle, les décors utilisés jouent avec les fausses perspectives, ce qui renforce l’étendue du champ et en en approfondit et en en complexifie l’histoire.

Cette sélection de six films, numérisés pour l’occasion de ce DVD, met en avant un animateur et cinéaste majeur, un artiste total à la filmographie plus que cohérente. Le travail de Purves est étroitement lié à sa vie, à ses obsessions et à ses sentiments les plus profonds. Il évite les clichés de type Disney, les stéréotypes faciles en privilégiant un travail d’auteur, personnel, artistique et indépendant dans lequel la chaîne de télé britannique Channel 4 a bien fait de croire dans les années 80 (au même titre que Joanna Quinn, les frères Quay ou Ruth Lingford). Artiste indémodable, il est selon les propres mots d’Ocelot : « un artiste énorme, de ceux qui vivent avec la passion, l’honnêteté, la culture, l’esthétique et la virtuosité ».

Adriana Navarro Álvarez

Barry Purves – His Intimate Lives : 6 courts-métrages & suppléments : Édition Potemkine

Festival La Cabina, le palmarès 2016

En termes de moyens-métrages, il n’y a pas que le Festival de Brive à se faire repérer par les réalisateurs, producteurs et quelques diffuseurs. En Espagne, à Valence plus précisément, le Festival international La Cabina mise sur le format moyen depuis 9 ans. Ce dimanche soir, plusieurs films issus des compétitions internationales et Amalgama (documentaires de création, ciné expérimental, art vidéo, …) ont été distingués. Format Court, présent pour la première fois au festival, reviendra sur cette jeune manifestation dans les prochains jours. En attendant, en voici le palmarès.

Prix du Meilleur moyen-métrage & Prix de la meilleure Réalisation : Le Gouffre de Vincent Le Port (France)

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Prix du public : The Mouth de Thomas Aufort (France)

Prix Amalgama : Dum Spiro Spero de Pero Kvesic (Croatie)

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Mention Spéciale : Freedom to kill the other’s children de David Varela (Espagne)

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Prix du scénario : Sebastian Schmidl, pour Liebling de Sebastian Schmidl (Autriche)

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Prix du meilleur acteur : ex aequo: Samuel González et Antonio Altamirano pour San Cristóbal de Omar Zúñiga Hidalgo (Chili)

Prix de la meilleure actrice : ex aequo : Marta Mazurek et Aleksandra Adamska pour Ameryka de Aleksandra Terpinska (Pologne)

Prix de la meilleure photo (Nino Peschel) & Prix de la meilleure musique (Christian Dellacher) pour Der Einsame Hof de Christian Zipfel (Allemagne)

Prix de la Meilleure Affiche : Limbo de Konstantina Kotzamani (Grèce, France)

Sacha Feiner. Le fantastique entre fiction et animation

Sacha Feiner, le réalisateur belge récompensé au festival Le Court en dit long du Prix Format Court pour son dernier court-métrage d’animation « Dernière porte au sud », plonge dans son film le spectateur dans un univers fantastique d’après le point de vue d’un enfant et de sa tête siamoise. La précision des détails, du décor, la volonté de retranscrire et d’adapter la bande dessinée de Philippe Foerster, met en avant la sensibilité du réalisateur pour ses personnages, une sensibilité que l’on retrouve dans ses deux précédents films : « Gremlins fan film », et « Un monde meilleur ».

C’est en 2008 avec « Gremlins fan film » que le cinéaste se fait connaître du public, en réalisant un court-métrage parodiant les célèbres créatures des années 80. Il les incruste dans différents films qui ont marqué son enfance comme « Batman » ou « L’Exorciste ».

Ce premier court-métrage amateur, réalisé notamment avec l’aide de ses parents, suscita une importante réaction auprès de la communauté cinéphile, notamment de Rick Baker, le créateur des Gremlins. La technique de réalisation utilisé par le réalisateur impressionna les cinéphile du monde entier : Sacha Feiner créa un moule correspondant le plus possible à la marionnette originale, qu’il préféra à l’image de synthèse, et joua avec les éléments des films choisis. La difficulté fut présente au tournage lorsqu’il s’agit d’interagir avec des éléments précis des films, par exemple lors de l’incrustation dans le « Batman ». Le réalisateur décida d’intégrer les Gremlins dans le film au moment d’une course poursuite au bord de la batmobile. Il effaça la présence du méchant qui attaquait Batman, pour le remplacer par une dizaine de Gremlins. Les créatures donnèrent alors un aspect comique aux scènes choisies, car on ne s’attendait pas à les voir surgir du film.

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En 2013, Sacha Feiner réalisa un deuxième court-métrage de fiction dans un cadre plus professionnel : « Un monde meilleur », une fresque fantastique dans un monde où la surveillance est omniprésente et le sourire est prohibé. Lorsque le régime totalitaire s’effondre, le personnage principal Henry, obéissant et dépendant de toutes ces règles, est le seul qui n’arrive pas à s’adapter à cette nouvelle vie. Lors de la mise en place du nouveau gouvernement, il est perdu car on ne lui dicte plus ce qu’il doit faire et il continue pour autant à aller travailler alors que les bureaux ont été abandonnés.

Avec ce deuxième court-métrage, Sacha Feiner garde le désir de plonger le spectateur dans un univers fantastique. Il construit un personnage antipathique, car il est en accord avec le régime totalitaire, mais qui touche le spectateur par sa solitude et sa volonté de retrouver ses repères. Le personnage principale est émouvant, car il a été abusé par un régime qui l’a programmé pour accomplir une tâche : dénoncer ceux qui transgressent les règles. « Un monde meilleur » s’interroge sur différents sujets contemporains comme la place de l’homme dans la société ou encore le rôle de la famille dans la réussite sociale. Chaque détail de la mise en scène permet ce questionnement comme par exemple le décor de l’appartement d’Henry, mélange entre « 2001, l’Odyssée de l’espace » et « Le Cinquième élément » où chaque élément a été conçu par utilité. L’espace est conçu pour une seule personne, l’homme vit seul et les rêves sont enregistrés. Tout est contrôlé et minuté, ce qui renforce cette atmosphère mécanique et oppressante.

« Dernière porte au sud », le dernier court-métrage d’animation fantastique de Sacha Feiner, livre au spectateur un personnage beaucoup plus sombre, notamment par son jeune âge et la présence de cette deuxième tête sur son corps. L’atmosphère est plus pesante dans ce court-métrage par l’utilisation du noir et blanc, mais aussi par la voix-off de l’enfant qui plane au dessus de l’action. Cette interprétation naïve du monde peut se référer au deuxième court-métrage du réalisateur, « Un monde meilleur », où le monde est réduit à certains endroits spécifiques, comme les bureaux de dénonciation.

Sacha Feiner nous livre, à travers ses trois court-métrages fantastiques, une interprétation de son monde cinématographique, proposant des personnages enfermés dans leur univers (comme le régime totalitaire pour Henry ou le personnage de la mère dans « Dernière porte au sud ») et qui arrivent à découvrir un autre monde en y échappant. À la découverte de ce nouvel univers, ils réapprennent à vivre, difficilement pour Henry qui fuit ses nouvelles sensations, comme la liberté d’expression ou tout simplement la possibilité de choisir, et naïvement dans « Dernière porte au sud » où l’enfant découvre la réalité de son monde. Cela fait écho au spectateur et à toutes les premières fois où l’on découvre une nouvelle sensation. Sacha Feiner arrive à faire revivre cet état en chacun de nous, ce qui en rend ses courts-métrages d’autant plus passionnants.

Lila Toupart

Articles associés : la critique de « Dernière porte au sud », l’interview du réalisateur

Journal animé de Donato Sansone

Réalisé dans le cadre de la collection « Dessine toujours » (lancée par Canal+ à la suite des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, avec pour thème la liberté d’expression), « Journal Animé » de l’italien virtuose Donato Sansone (« Videogioco », « Topo Glassato Al Cioccolato », « Portrait »), est un film d’animation improvisé sur un mois, au jour le jour, entre le 15 septembre et le 15 novembre 2015, et qui commente l’actualité en détournant les pages du journal quotidien Libération.

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Au départ, dispositif ludique et pop mettant en scène l’auteur lui-même, gribouillant et raturant les images d’articles anecdotiques, avec l’attitude d’un sale gosse qui s’amuse à « dessiner des moustaches », le film commence à alterner informations légères comme événements plus sérieux. Recourbé sur sa table de bar, Donato s’échine à traiter l’ensemble de ces nouvelles avec la même ironie sarcastique, comme s’il essayait d’en comprendre l’essence et d’extirper le peu d’humanité qui se dissimule derrière cet étalage d’articles disparates.

Puis, au détour d’une page, le film bascule, évacuée la distanciation salutaire qui permettait d’appréhender toute l’horreur de certaines nouvelles, nous sommes le 13 novembre 2015, Paris est sous le choc de tragiques événements qui vont mettre KO tout un pays.

Comment comprendre tout cela ? Comment y faire face ? Le stylo de Donato continue ses gribouillages et détournements, mais l’amusement n’est plus là, le trait se fait lourd, charbonneux, il utilise la métaphore et le symbole pour évoquer certaines idées et réussit en quelques portraits glaçants à saisir toute la complexité de la situation.

Rattrapé par la dure réalité sordide en plein exercice d’improvisation, Donato Sansone brave les nouvelles sans filet, se confrontant à la douleur palpable du moment tout en gardant intact son envie de réfléchir sur la gestion moderne de l’information à travers le prisme de la liberté d’expression.

Julien Savès

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Darznieks de Madara Dišlere, Prix Format Court à Brest

Pour la cinquième année consécutive, Format Court récompense un film issu de la sélection européenne du Festival de Brest. Le Jury Format Court, composé de Agathe Demanneville, Zoé Libault et Katia Bayer, a décidé de remettre le prix à la réalisatrice lettone Madara Dišlere pour son film « Darznieks » (The Gardener). Un film poétique très riche qui montre une grande maîtrise du cadre, de la lumière et du son et parvient à sublimer la relation qui unit certains hommes à la nature.

La réalisatrice bénéficiera d’un dossier spécial sur Format Court, d’un DCP relatif au film primé ou au prochain film crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution et d’une diffusion de son film lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines à Paris.

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Darznieks de Madara Dišlere. Fiction, 20’36, 2016, Lettonie, Tasse Film

Un jardin fait le bonheur et l’épanouissement d’un vieux jardinier. Le jardin ne lui appartient plus mais il se sent toujours comme chez lui. Il communique avec le jardin qui lui répond, lui offrant un refuge et une riche récolte.

R comme Reizegers in de nacht

Fiche technique

Synopsis : Une femme travaille de nuit dans une station service. Des gens qu’elle ne connaît pas font escale dans son monde, puis la laissent à nouveau seule dans sa bulle. Une nuit, un étrange client va bouleverser ses habitudes.

Genre : Fiction

Durée : 10′

Pays : Pays-Bas

Année : 2013

Réalisation : Ena Sendijarević

Scénario : Ena Sendijarević

Image : Emo Weemhoff

Montage : Lot Rossmark

Interprétation : Bien de Moor, Ward Weemhoff, Felix Jan Kuypers

Production : Nederlandse Filmacademie

Article associé : la critique du film

Reizegers in de nacht de Ena Sendijarević

La nuit remue

Si Muybridge et Marey, tous deux nés et morts aux mêmes dates (1830-1904), décomposent le mouvement des corps humains et des animaux, c’est avant tout pour comprendre scientifiquement, mais non sans conséquence poétique, la subtilité invisible d’un déploiement. Et puis les démarches du cinématographe naissant entérinent la possibilité de restituer par le défilement, à l’aide de perforations, le temps donné d’un geste. S’ensuit un triple étirement : celui du cadre (dévoyant la profondeur pour l’horizontalité), puis celui du temps filmé (substituant au plan fixe la menace d’un travelling infini) et enfin celui de l’expérience du spectateur (passant de la série enchaînant les sketchs spectaculaires à l’exploration d’une intimité vécue dans sa continuité). Mais il ne faut pas voir dans cette généalogie une quelconque résolution des contrastes.

Bien au contraire, parallèlement à ces multiples extensions, le cinéma s’est rendu acteur des perceptions en cherchant à capter l’insaisissable, ou à montrer l’inmontrable. Comment comprendre les soubresauts d’un Keaton se volatilisant à l’écran ? Y aurait-il, profondément ancré dans l’acte de filmer, la volonté insoumise d’atteindre l’impossible ? Comment comprendre chez Kieślowski la substitution du corps de Weronika/Véronique sinon à travers cette manière dont le cinéma comme champ magnétique pulvérise les frontières admises ? On pourrait dire alors que, loin d’en rester au constat magnanime d’un art « étiré », le cinéma n’existe qu’à partir des tiraillements que les cinéastes lui font gentiment ou violemment subir. Et ceux-ci ne cessent de prendre dans les larmes perturbantes des images ce qui leur échappe, c’est-à-dire le vent, le mouvement perpétuel dans la stabilité parfaite, les traces de la mort dans l’agitation diurne, ce qu’il reste de virevoltant — de révoltant — dans la nuit.

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Observer politiquement les bruissements nocturnes, c’est justement ce à quoi s’attelle le film de fin d’études de la réalisatrice hollandaise d’origine bosniaque, Ena Sendijarevic : « Reizegers in de nacht » (« Voyageurs de la nuit »). Et le film, sélectionné maintes fois dans les festivals internationaux, n’a pas à rougir de son inscription dans une longue histoire des émotions nocturnes au cinéma. Osons l’écrire d’emblée : il y a un peu d’Antonioni dans la prégnance des visages et surtout un peu de Vigo dans l’insoumission des gestes. Essayons d’y voir plus clair.

Alors on craint

Une station-essence sur une autoroute de Hollande. Il est très tard le soir ou très tôt le matin. Question de point de vue. Une employée de quarante ans, seule responsable d’un mini-temple de la consommation passagère, s’agite derrière son comptoir à friandises. Elle réapprovisionne les rayons de cigarettes. Et puis s’assied, désolée de son sort. Le plan fixe, comme le film entier, baigne dans son jus musical; ça commence par Lola des Kinks (1973). Serait-ce pour donner un prénom à cette anti-héroïne du présent européen ? On osera le croire.

Toujours est-il que, s’il est question de la nuit, il est aussi rapidement question du vent. Ou plutôt de fumée de cigarette. Celle qu’on appellera Lola est dehors; elle fume, le corps appuyé contre un mur. Non sans élégance. Non sans grâce. L’apparition d’un client fait naître un sourire désespéré; le temps de la nicotine ne se confond pas avec le temps de la fonction, même si l’on sait que travailler rime ici avec attendre et surveiller. Absurdité du contemporain néo-capitaliste.

Ainsi la mise en scène se construit-elle lentement autour du regard de l’employée, n’ayant pour seul punctum la présence physique du client. Ça s’enlise pour un temps, juste le temps d’attendre autre chose dans ce monde en points de suspension; l’apparition floue au second plan des phares d’une voiture indique l’arrivée d’un troisième personnage. Un homme à la chevelure blonde et hirsute sort de l’automobile, et entre dans le magasin. L’employée le regarde presque médusée, peut-être intriguée. Dans ses yeux, on croit bientôt reconnaître de la crainte. Si l’univers est manifestement celui des transports, il ne s’agit en aucun cas d’une expérience de sentiments. Et pourtant.

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Cliquer sur l’image pour voir le film en ligne

Alors on danse

De la crainte du regard, on passe à celui de l’amusement. La femme observe cet individu à la démarche étonnante, lequel remue la tête comme s’il était mû par une mélodie intérieure. Et la réalité du lieu semble donner raison à cette pulsation; la radio se met bientôt à balancer la chanson de Kim Carnes, Bette Davis Eyes (1982). L’homme de se mettre à danser comme s’il était en boîte de nuit, jouant de la configuration des rayons pour dissimuler son corps et ses intentions. Et la femme de se laisser entraîner dans cette danse et cette intimité (dé)placées là, hors de tout contrôle et de toute angoisse.

Jusqu’au moment où l’homme lâche les bras de l’employée, qui n’était en vérité que la cible espiègle de sa manigance : il marche jusqu’au comptoir, sous le regard cette fois-ci totalement médusé et interrogateur de la femme, pour y prendre l’argent de la caisse à l’aide d’un petit sac plastique. Le tour est joué. La manipulation a parfaitement opéré. La stratégie a totalement fonctionné. Tout cela s’est fait dans la plus grande simplicité, fugacité même, dans la croyance d’un bonheur qui n’était que manipulation.

La subtilité du film réside dans sa capacité à déjouer les attentes, dans le sens d’observer comment le statut des corps en présence se déplace, s’exténue, se délite (ceci est d’autant plus vibrant que la scène se déroule sous le regard neutre du premier client, brillant de constance et de flegme). Par son imprudence, l’employée a tout perdu. Et la situation la révèle à elle-même : un pion sur un échiquier. À son statut de pantin du système capitaliste s’ajoute finalement celui de pièce de la mécanique d’un malfaiteur. La nuit ne lui appartient plus.

Alors on fuit

À la fois attentif et efficace, Voyageurs de la nuit aurait pu terminer là le récit triste d’un volte-face. Mais non. La fumée de cigarette du début n’était pas anodine : elle indiquait déjà la nécessité d’un ailleurs, le besoin d’un changement de conditions, la présence prospective d’un rêve. Le film ne s’en tient pas non plus à un sens social. Sous l’action de la joie, même la plus éphémère, le réalisme à l’œuvre nous embarque vers le constat d’une migration à laquelle on ne peut pas échapper. Comme si le seul état possible pour cette femme, victime d’une entourloupe maligne, ne pouvait être que celui du flottement; être un point blond dans une nuit merdique. Outrance de l’espace et absence de lieu. C’est donc sans surprise que le spectateur du film, déçu autant que l’héroïne de la tournure prise par les événements, assiste à l’acte final : l’employée prend ses cliques et ses claques, investissant un 35 tonnes pour refuge momentané en direction du néant. À qui incombe la responsabilité de la nuit ? Drôle de question pour triste réalité qui laisse ses voyageurs au bord du monde.

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Nous n’oublierons pas « Le Vent » de Victor Sjöström ni « La Notte » de Michelangelo Antonioni. Et nous attendrons, peinant à dissimuler notre impatience, la suite d’un cinéma qui n’a pas peur de la réalité dont il se fait non seulement le témoin froid mais aussi l’acteur perceptif, nourri d’éthique et de poésie tragique.

Mathieu Lericq

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Pour information, « Import », le nouveau film de Ena Sendijarević sera projeté ce jeudi 10 novembre 2016 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) en sa présence

Rappel. Soirée spéciale Pays-Bas, ce jeudi 10/11 !

Ce jeudi 10 novembre, à 20h30, les Pays-Bas seront mis à l’honneur au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) à l’occasion de la deuxième Soirée Format Court de l’année organisée avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France et de EYE International.

« Feest » de Paul Verhoeven, « We were wolves » de Mees Peijnenburg, « Import » de Ena Sendijarević, « The Origin Of Creatures » de Floris Kaayk, « Geboren en Getogen » de Eelko Ferwerda : 5 films éclectiques à souhait (fiction, animation, expérimental, film d’école, très court, moyen-métrage, propositions récentes comme plus anciennes, …) seront projetés ce jeudi, en présence de Ena Sendijarević, réalisatrice de « Import » (Quinzaine des Réalisateurs, Cinemed, Amiens, …) et Mees Peijnenburg, réalisateur de « We were wolves » (sélectionné à Edinburgh, Poitiers, Mecal, …).

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En pratique

– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Infos, programmation : ici !
– Durée de la séance : 81′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Event Facebook !
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Or Sinai, Prix Format Court au Festival de Tel Aviv 2016

À l’affût de réalisateurs prometteurs, Format Court fait aujourd’hui la lumière sur Or Sinai, jeune cinéaste israélienne diplômée de l’École Sam Spiegel de Jérusalem. Primée par notre équipe au Festival de films d’écoles de Tel Aviv pour son court métrage « Anna » – également remarqué au festival de Cannes où il a reçu le Premier Prix de la Cinéfondation, Or Sinaï nous fait entrer dans un univers où la femme est au centre du récit : ses trois courts métrages, deux fictions, « Two » et « Anna », et un film documentaire « Violetta mi vida », mettent en scène des personnages de mères qui élèvent seules leurs enfants. Femmes désespérées ou mères-courage, les personnages féminins de Or Sinai sont empreints de romanesque et nous révèlent des moments de vies parfois éprouvants, parfois sensuels et intimistes, dressant le portrait délicat de femmes en quête d’amour. Alors que Or Sinai vient de décrocher une bourse pour la réalisation de son premier long métrage intitulé « In the Heat of the Day » au festival Cinémed de Montpellier, Format Court vous invite, par ce focus, à découvrir son travail.

Agathe Demanneville

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Retrouvez dans ce focus :

La critique de « Anna »

Le reportage « Les femmes d’Or »

L’interview d’Or Sinai