Hier soir, à Montréal, Format Court a attribué pour la première fois un prix dans le cadre d’un festival étranger. C’est à l’occasion de la soirée de clôture de la 43ème édition du Festival du nouveau cinéma (FNC) que notre équipe a élu un film retenu au sein du focus Québec.
Parmi les 33 films québécois sélectionnés, le jury Format Court (Fanny Barrot, Katia Bayer, Agathe Demmanneville, Mathieu Lericq, Nadia Le bihen-Demmou) a choisi de primer « The Weatherman and the Shadowboxer » de Randall Lloyd Okita, un “film poétique et émouvant sur la mémoire et la construction identitaire, au langage visuel soigné et original, servi par une narration maîtrisée”.
The Weatherman and the Shadowboxer de Randall Lloyd Okita (Animation, 10’, Canada, 2014, Office national du film du Canada)
Synopsis : L’histoire envoûtante de deux frères profondément marqués par un événement dont ils se souviennent différemment. Le plasticien et cinéaste Randall Lloyd Okita compose ici une ode élégiaque à la survie.
Randall Lloyd Okita, déjà auteur de plusieurs courts, bénéficiera d’un focus personnalisé sur notre site et d’une copie DCP (dotée par la société de postproduction Média Solution.). En outre, « The Weatherman and the Shadowboxer » sera projeté à la séance Format Court du 13 novembre 2014 (Studio des Ursulines, Paris, 5ème).
Le 43ème Festival du nouveau cinéma s’achève ce dimanche 19 octobre. Découvrez le palmarès des courts métrages en compétition rendu hier soir à Montréal.
Compétition internationale – courts-métrages
♦ Jury composé de Marcel Jean, Guy Ménard et Curtis Woloschuk
Loup argenté/Meilleur court métrage de la Compétition internationale : Hillbrow de Nicolas Boone (France)
Mention spéciale : Silent Block de Cédric Dupire (France)
Focus Québec/Canada – courts métrages
♦ Jury composé de Lydia Beilby, Alessandro Marcionni et Carlos Ramos
Grand Prix/Meilleur court métrage canadien : Feu de Bengale de Olivier Godin (Québec / Canada)
Prix créativité : Nan Lakou Kanaval de Kaveh Nabatian (Haïti)
♦ Jury Format Court composé de Fanny Barrot, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Nadia Le Bihen-Demmou et Mathieu Lericq
Prix Format Court : The Weatherman and the Shadowboxer de Randall Lloyd Okita (Canada)
Rencontres pancanadiennes du cinéma étudiant
♦ Jury composé de José Dubeau, Yan Giroux et Michael-Oliver Harding
Meilleur court métrage : Satan’s Dolls de Carlo Schefter (Université de Toronto)
FNC Lab court métrage
♦ Jury composé de Marina Kožul, Solomon Nagler et Malena Szlam
Prix FNC Lab court métrage : Brouillard – Passage # 15 de Alexandre Larose (Québec / Canada)
Mention spéciale court-métrage : Will O’ the Wisp de Andrew Kim (États-Unis)
Nouvelles écritures
♦ Jury composé de Olivier Asselin, Pierre Cattan et Raphaëlle Huysmans
Prix innovation : Hollow de Elaine McMillion Sheldon (États-Unis)
Mention spéciale : Just a Reflektor de Vincent Morisset (Québec / Canada)
À l’approche de la saison des fantômes et des citrouilles, Short Screens met le cinéma de l’étrange à l’honneur. Venez tressaillir devant notre sélection de fictions mêlant suspense, gore, fantastique et absurde ! Frissons garantis en compagnie de Georges Méliès, père des effets spéciaux, Roland Lethem, appelé le plus japonais des cinéastes belges, et une très jeune Cécile de France dans un rôle plutôt… sanglant ! En présence du réalisateur Roland Lethem.
Rendez-vous à 19h30, au Cinéma Aventure, Galerie du Centre 57, 1000 Bruxelles. PAF 6€.
L’AUBERGE ENSORCELÉE de Georges Méliès/ 1897/ France/ 2′ Un homme barbu s’installe dans la chambre d’une auberge. Alors qu’il a le dos tourné, ses bagages disparaissent, le manteau s’envole et une chaise se met à danser…
Article associé : le reportage sur des films de Méliès
HOPE de Pedro Pires/ 2011/ Canada/ 11′ L’exploration de la violence en temps de guerre vue par les yeux d’un général à l’agonie. Son esprit habitué à une vie sur le champ de bataille cède au débordement de sa conscience qui entremêle la mort, la brutalité et, finalement, suscite un dernier geste d’espoir.
SUCKABLOOD de Ben Tillett & Jake Cuddihy/ 2012/ Royaume-Uni/ 7′ Les nuits de tempête le Suckablood vient trouver les garçons et les filles qui sucent encore leur pouce. Suckablood, Suckablood, je t’en conjure. Viens massacrer ma fille si elle suce à nouveau son pouce.
LILITH de Maxim Stollenwerk/ 2013/ Belgique / 22′ Pas facile de s’intégrer quand on survit en buvant du sang… THE TEN STEPS de Brendan Muldowney/ 2004/ Irlande/ 10′ En pleine nuit, Katie doit descendre toute seule dix marches d’une cave plongée dans le noir pour aller vérifier le compteur d’électricité avec comme aide la voix de son père au téléphone qui la guidera sans le savoir dans les ténèbres…
SHADOW de Lorenzo Recio/ 2014/ France, Taïwan/ 23′ Taipei. Xiao Shou est un garçon timide qui exerce le métier de montreur d’ombres itinérant. Un jour, il croise la sublime Ann dont il tombe immédiatement amoureux. Mais un terrible accident va plonger le jeune homme dans un monde de ténèbres…
Un homme demande le plat du chef dans un étrange restaurant. S’ensuit une course-poursuite temporelle afin de satisfaire les papilles gustatives du client. Remake du conte de fées avec la grenouille qui se transforme en prince charmant version gastronomique.
LA BALLADE DES AMANTS MAUDITS de Roland Lethem/ 1967/ Belgique/ 11′ La terrible vengeance d’une femme qui voit l’homme qu’elle désire avec une autre…
Il y a quelques jours, Denis Côté est venu présenté au FIFF son dernier film « Que ta joie demeure ». Après avoir remporté le Bayard d’or du scénario avec « Vic+Flo ont vu un ours » en 2013, il a été invité cette année par la SACD pour donner une leçon de scénario. Étonnante et passionnante proposition pour un réalisateur qui ne travaille que la moitié du temps sur scénario. Deux énergies opposées l’animent et font balancer sa filmographie entre des structures plus « classiques » aux productions conséquentes (« Curling », « Vic+Flo ») et des films décadenassés qui passent principalement en festivals et n’atterrissent que peu dans les salles (« Carcasses », « Bestiaires »). L’occasion pour nous de rencontrer ce cinéaste québécois qui aime se « faufiler entre les genres » et jouer avec ce qu’il nomme une certaine « torsion du réel ».
J’ai fait trois années de collège en cinéma où j’ai appris énormément. J’allais beaucoup à la cinémathèque et je regardais plusieurs films par jour. J’ai commencé à faire mes films selon mes propres règles, avec des amis. Je n’ai jamais reçu d’aide de commission en place pour mes courts-métrages. Aujourd’hui, j’ai 40 ans et les gens commencent à parler de la méthode « Denis Côté ». C’est vrai que des cinéastes qui ont fait des écoles de cinéma ne sont pas portés à faire des films kamikazes comme les miens. Je ne suis pas considéré par l’industrie du cinéma, mon téléphone ne sonnera jamais pour qu’on m’offre une publicité ou une série, je suis assez content de ce statut d’indépendant.
Vous êtes passé depuis longtemps au long-métrage maintenant, mais quel regard portez-vous sur vos courts-métrages ?
J’ai souffert de l’époque où l’on tournait en VHS, super 8, Mini DV… Même si je ne déteste pas ces films-là, ils ne vieillissent pas bien au niveau technique, ils sont difficiles à regarder. Les plus jeunes oublient qu’il y a dix ans l’image des caméras qu’on utilisait était très laide. Les bons vieux courts métrages de 2003 font mal, ils sont laids et ils ne sonnent pas très bien. Aujourd’hui, une personne de 22 ans fait un magnifique film en HD.
Vous faites des films que vous qualifiez de « gros » et d’autres plus « petits », vous oscillez entre des productions d’une certaine ampleur et des films beaucoup plus indépendants. Comment se construit cette alternance ?
Des films comme « Curling » et « Vic+Flo ont vu un ours » ont un budget de 2 à 3 millions de dollars, ils sont plus ambitieux. Là, on fait la totale, on écrit des dialogues, on dirige des comédiens et on gagne sa vie. Mais je les trouve lourds ces films, l’industrie m’écrase avec tous ses règlements. Quand j’ai terminé, j’essaye d’aller vers de plus petits projets, je fais alors « Que ta joie demeure » ou « Bestiaire ». Ces projets-là peuvent se rapprocher du court-métrage car ils me font sentir vraiment libre. J’en ai absolument besoin. Je ne fais pas de calcul, je fais ce que j ai envie de faire sur le moment. Je réalise un film, j’espère qu’il va marcher un peu. Et j’ai été chanceux, je suis allé à Cannes, Berlin, Locarno…
Justement, pourquoi ne pas vous tourner vers le court-métrage qui offre cette forme de liberté dont vous parlez ?
Certaines personnes disent que le court-métrage sert à faire ses classes. Le cliché est de considérer que le court n’est pas sérieux, qu’il permet de se faire la main et qu’il est un rite de passage vers le long. Je pense que le court est un genre en soi, le seul « problème » c’est que quand on arrive à 35-40 ans, nos idées ont besoin de plus de souffle car notre vécu en contient beaucoup plus. On m’a proposé récemment de faire un court sur la ville de Lisbonne avec trois autres cinéastes, Gabriel Abrantes, Dominga Sotomayor et Marie Losier. Chacun a réalisé un film de 20 à 22 minutes, le projet va s’appeler « À Lisbonne ». J’ai fait l’exercice avec grand plaisir mais quand je tournais j’avais un souffle, envie d’aller plus loin… À un moment donné, on a assez de vécu pour faire des longs-métrages…
Vos courts-métrages portent en germe des éléments que l’on va retrouver dans vos longs-métrages…
Il y avait des choses qui étaient déjà là effectivement. Comme le désir de filmer des gens qui sont un peu à côté du monde, des gens qui cherchent leur place. La notion d’enfermement était aussi déjà présente. On fait toujours le même film, on est toujours la même personne.
Comment élaborez-vous vos scénarios, comment se déroule l’écriture ?
Quand j’écris un scénario, je ne fonctionne pas en faisant un tableau et en le remplissant avec des cartons. J’écris une page, tous les dialogues à la fois et je ne sais pas ce qui vient après. Je découvre brusquement que je viens de faire mourir mon personnage. Je ne vois pas la fin du scénario, je le fais juste avancer et il se finit sans que je sache par quoi je suis passé. Ça n’est pas de l’écriture naïve, mais c’est instinctif selon mon humeur du moment. Je progresse par touches, je fais des points. Et quand je tourne, j’aime beaucoup travailler avec un canevas et voir ce que la réalité va me donner comme accident. Si un comédien non professionnel est un peu maladroit, s’il regarde la caméra, je risque de le garder dans le film. Ce sont des étincelles avec le réel qu’on n’est pas capable de provoquer. On ne pourrait pas les écrire. J’essaye de ne jamais avoir un scénario qui est trop verrouillé et de toujours me garder des portes de sortie. Il n’y a qu’avec « Vic+Flo ont vu un ours » et « Elle veut le chaos » où tout est parfaitement bien écrit, où je n’ai pas triché. Dans tous les autres films, il y a un moment où ça dérape, on ne sait plus ce qu’on regarde.
On retrouve aussi cette dualité dans vos courts-métrages…
« La Sphatte » avait vraiment un scénario et « Kosovolove » s’est construit sur un dialogue très écrit entre deux personnes. Les autres courts n’avaient pas forcément de scénario. J’ai toujours alterné entre des films très contrôlés et des films où je ne savais pas où j’allais. Faire un film et être sans filet, c’est terrifiant et excitant à la fois. Quand tu fais « Que ta joie demeure » et que tu ne sais pas ce que tu es en train de tourner, c’est un rush d’adrénaline. Tu montes, et tu te dis que ça n’a aucun sens. Le lendemain, tu vois que tu as un beau filon, qu’une émotion passe, qu’il y a une structure. On est en train de créer quelque chose au montage. Me mettre en danger, faire des objets dont j’ignore ce qu’ils sont, j’y tiens.
Voir « Les jouets » en ligne
On peut retrouver dans votre démarche des points assez proches de celle du mouvement Kino né au Québec. Je pense à la vitesse de tournage et de montage, à la légèreté des moyens techniques, à une certaine improvisation et à une prise en compte du réel. Vous en avez d’ailleurs réalisés…
Oui, j’ai réalisé deux kinos. Mais je ne suis pas vraiment un kinoïte. Au début j’étais même un peu contre : des petits films qu’on fait comme ça en un week-end, c’est très jetable, ça fait rire la galerie et c’est tout. Et puis j’ai pris de la distance, j’ai vu que la qualité des films devenait meilleure. Un jour, j’étais au festival de Trouville, je m’ennuyais. J’étais avec un de mes comédiens et je lui ai proposé de faire un kino. Ça a donné « Les Jouets ». C’est un film que j’aime assez finalement même si j’aurais voulu qu’on prenne un peu plus de temps pour mieux le faire techniquement. Ensuite, je voulais faire un film qui s’appelle « Tennessee » et j’ai utilisé pour ça un laboratoire kino. Le mouvement kino au Québec a aidé beaucoup de cinéastes. C’est un mouvement qui devrait être installé dans plusieurs pays : tournez à tout prix, mettez vos films à la poubelle, mais au moins vous aurez l’occasion d’apprendre votre métier pourvu que ça ne devienne pas l’industrie du gag… C’est vrai que j ai fait plusieurs courts qui ressemblent à une énergie de kino mais ça n’était pas des comédies.
Voir « Tennessee » en ligne
Vous avez longtemps été critique de cinéma et avez arrêté de l’être au moment où vous êtes passé à la réalisation de longs-métrages. Y a-t-il un lien de cause à effet et comment s’est passé la transition ?
En 1999, on m’a offert de travailler dans un journal, j’avais une émission de cinéma à la radio communautaire. J’étais un rat de cinémathèque, j’avais un bagage cinéphile que j’avais envie de partager. J’ai fait ça pendant 6 ans, tout en faisant mes courts et avec l’intention d’être cinéaste. J’étais même un des journalistes montréalais qui couvraient le plus les courts. J’en réalisais moi-même, alors je suivais tout ce qui se faisait. Quand il y a eu des problèmes au journal et que j’ai arrêté la critique, ça n’a pas été une énorme cassure car j’étais déjà un cinéaste. Mes années critiques m’ont appris à manœuvrer dans le milieu. C’est un métier que je respecte, contrairement à d’autres qui s’en méfient. La plupart du temps, je sais qui va écrire quoi, où on m’attend, où on va me protéger et où on va me démolir. Ça m’a donné des armes supplémentaires pour faire mon métier. J’ai appris à mettre des mots sur mes idées. Quand je fais des interviews, je parle beaucoup, c’est généreux.
Vous êtes d’une certaine manière inclassable « horizontalement » parmi les cinéastes actuels. J’imagine, et d’autant plus avec votre passé de critique, qu’on a tendance à vous chercher une filiation verticale pour vous définir malgré tout…
Avec mes premiers longs-métrages, on me voyait comme un ancien critique qui rend hommage à ses cinéastes préférés. Comme j’avais défendu Béla Tarr et que mon troisième film est en noir et blanc, qu’il est lent, on a conclu que c’était un hommage à Béla Tarr… Je ne rends hommage à personne mais ça m’habite. J’ai vu beaucoup de films de Claire Denis, de Kiarostami. Mes cinéastes préférés sont Fassbinder, Pialat, Bresson. Quels sont les points communs parmi tous ces cinéastes ? Il n’y en a pas. On est habité par notre cinéphilie et quand vient le temps de tourner, on régurgite inconsciemment. C’est problématique quand ça devient conscient et que ça tombe dans la copie ou l’hommage. Aujourd’hui, ça fait du bien d’entendre les gens dirent : « Hé, c’est un film de Denis Côté » Enfin ! Ça m’a pris 3-4 longs métrages, avant qu’on commence à dire des choses comme ça. Je ne me laisse plus envahir par mes fantasmes cinéphiles. « Vic+Flo », « Bestiaire », « Que ta joie demeure », ça ressemble à qui ? Je me suis dédouané de tout mon héritage cinéphile, en tout cas j’espère.
Votre rapport au public a-t-il changé entre vos films de jeunesse et vos dernières réalisations ?
Dans la majorité de mes courts-métrages et jusqu’à mes deux premiers longs-métrages, j’avais un certain souci de provoquer. Perdre le spectateur, faire de l’expérimentation pour l’expérimentation, mettre un plan étrange parce que c’est étrange mais sans avoir de mots pour l’expliquer… Puis en interview, tu utilises le terme de « provocation » pour parler de tout ça. Ca n’est pas intéressant. Maintenant, je continue à expérimenter des façons de raconter des histoires mais ça n’est pas pour provoquer un public. Je ne veux pas que les gens sortent de la salle en claquant la porte. J’ai appris à accepter la notion de public. Avec mes courts et mes premiers longs, je n’y pensais pas. Je pensais qu’il n’y en avait pas, que personne ne voulait voir ça, que je faisais des films pour moi. Après, j’ai appris que l’audace n’était pas la provocation mais une sorte de maturité, la recherche d’une forme de différence. Il n’est pas nécessaire de bousculer le spectateur, de le gifler. Et on peut aussi s’assagir dans l’audace. Mais les gens me demandent encore quand est ce que je vais enfin raconter une histoire d’amour limpide pour tout le monde. Je leur réponds que je n’en suis pas capable. J’ai trop besoin d’expérimenter sous toutes sortes de formes.
Après l’organique « To Taste the Ground » évoqué hier dans nos colonnes, « Un royaume déménage » (Once Upon A Kingdom) est un autre documentaire québécois retenant notre attention au Festival du nouveau cinéma ayant lieu en ce moment à Montréal.
Aux abords du Saint-Laurent près de Québec, un bâtiment centenaire protège le quotidien fragile d’une congrégation catholique de 82 religieuses. Désormais confrontées aux limites naturelles de l’âge et à l’absence d’une relève engagée, les sœurs de Sainte-Jeanne-d’Arc ont récemment voté le déménagement de leur congrégation et l’excavation du cimetière.
À en juger par le synopsis, le premier film de Raphaël J. Dostie et Terence Chotard s’intéresse au sujet ultra prisé des communautés religieuses à la différence près qu’ici, l’intérêt n’est pas seulement la foi et l’unité du groupe mais la fin d’un monde et d’une collectivité confrontée à la vieillesse, la maladie et la solitude, obligée de déménager et de se séparer de ses biens.
Avec son titre à l’allure de conte, « Un royaume déménage » s’ouvre sur une plaine enneigée, des croassements de corbeaux et une voix chuchotant une prière à l’attention de Marie. En quelques minutes, une atmosphère, une sérénité et des images nous imprègnent. Juste après, quelques soeurs de la communauté de Sainte-Jeanne-d’Arc apparaissent, seules ou en groupe, dans la prière ou leur travail quotidien. Pourtant, à y observer de plus près, si au début du film, les religieuses prient, font le ménage et rangent leurs affaires, elles se font de plus en plus discrètes, absentes, perdues dans leurs pensées et prières, ombres derrière les fenêtres ou silhouettes dans l’embrasure des portes. En se séparant de leurs affaires, de leurs lieux et de leurs congénères, elles personnalisent un monde sacré en train de disparaître.
Au plus près des visages, des mains, des corps âgés, les deux réalisateurs ont su, au fil des saisons, se faire une place dans un monde sans homme à l’exception de Dieu. Ils captent joliment et douloureusement la vieillesse et la perte (les pas lents, les clés des soeurs disparues, les nombreuses chaises à bascule vides, les pelleteuses dans le cimetière) et la pureté (la blancheur des murs, des draps, des tenues, des cheveux). Le film évite l’écueil de la surcharge textuelle. Ni voix-off, témoignage ou dédicace, quelques inscriptions au début du film doublées au synopsis suffisent, les images et les visages parlant d’eux-mêmes.
Beau, émouvant, bien réel, insoutenable par moments, le film offre une trace permettant d’évoquer et de montrer ces femmes, croyantes, solitaires, silencieuses et leur “royaume” qui n’est peut-être plus mais qui reste vif, tel une flamme de la mémoire.
Synopsis : Aux abords du Saint-Laurent près de Québec, un bâtiment centenaire protège le quotidien fragile d’une congrégation catholique de 82 religieuses. Désormais confrontées aux limites naturelles de l’âge et à l’absence d’une relève engagée, les sœurs de Sainte-Jeanne-d’Arc ont récemment voté le déménagement de leur congrégation. Guidé par la présence des sœurs de la communauté au fil des saisons, nous assistons au déclin d’un ordre autrefois dominant.
« To Taste the Ground », retenu en compétition Focus au Festival du nouveau cinéma de Montréal, est un documentaire qui déploie sous nos yeux un paysage naturel exalté et une terre généreuse travaillée par des hommes et des femmes qui vivent au rythme de la nature. Sa réalisatrice, Shannon Harris, filme le quotidien et le travail de la terre dans une ferme biologique de la Colombie Britannique, à l’Ouest du Canada.
Le film se déroule lentement sous nos yeux, au rythme des saisons, et fascine. « To Taste the Ground » est une oeuvre pleine de noblesse et d’un respect admiratif pour cette vie au plus proche de la terre, et pour ce que cette dernière procure. Le film est muet, à l’exception des bruits environnants, ceux de la nature et du travail de l’homme qui sème, arrose, taille et cueille. Il se passe très bien de discours, se contente de quelques recommandations préliminaires telles que « To begin I must take off my shoes, free the soles of my feet to taste the ground, open the body, because this is what happens here, it opens » (Pour commencer, je dois ôter mes chaussures, libérer la plante de mes pieds afin de goûter le sol, ouvrir mon corps, parce que c’est ce qui se passe ici, il s’ouvre).
En tant que spectateurs, nos sens sont en éveil, et notre corps également doit s’ouvrir pour apprécier chaque parcelle de terre, chaque branche d’arbre et chaque fruit qui nous sont généreusement donner à voir, mais pas seulement. Le choix d’une caméra super 8 favorise cette sensation de proximité et de toucher, parce qu’elle rejette d’emblée l’image numérique trop lisse et trop nette pour nous permettre de mieux sentir la matière, celle de la peau velue d’une pêche en écho au grain de l’image ou celle de la terre sous les pieds qui se faufile jusque sous les ongles.
L’arrivée soudaine de l’homme à l’écran apparaîtrait presque comme une menace, au risque que les mots et les témoignages qui sont bien souvent de mise dans le documentaire viennent gâcher la tranquillité des images et l’apaisement provoqué par les sons, et que l’œuvre prenne une tournure un peu trop revendicatrice, prenant la forme d’une leçon de vie. Mais le film se passe de mots. La couleur et la texture des fruits récoltés, le bruit du vent dans les arbres, l’absence de toute nuisance sonore, suffisent à apaiser le spectateur et à le convaincre que bonheur et sérénité peuvent se retrouver ici. La durée de chaque plan est étudiée et les hommes s’y inscrivent avec distance car ce ne sont pas eux les sujets du film de Shannon Harris. Le personnage central, c’est bel et bien la terre avec comme principal interlocuteur, les saisons.
« To taste the Ground » exerce une forme de fascination sur le spectateur et nous met face à nos propres rêves et à d’autres possibles, résumés dans cette citation finale d’une des habitantes de la ferme. La proximité des images et l’implication émotionnelle de leur auteur permettent de sentir la chaleur du feu de bois qui crépite ou encore le goût sucré du miel. Autant de sensations qui font qu’après avoir vu « To Taste the Ground », on a le sentiment d’avoir pu aussi profiter de ce petit paradis terrestre et d’avoir nous aussi goûté à la terre.
Synopsis : Un documentaire poétique rythmé par le passage des saisons au sein d’une petite ferme biologique en Colombie-Britannique. La ferme, isolée, est alimentée à l’énergie solaire et par l’eau qui coule des montagnes. Un film sur la relation respectueuse qu’entretiennent les agriculteurs avec l’environnement.
Depuis le 8 octobre 2014, la Cinémathèque Française propose une exposition et une rétrospective sur la vie et l’œuvre de François Truffaut. Une occasion pour nous de replonger dans les films connus et moins connus du réalisateur disparu trop prématurément.
Le court métrage « Les Mistons » est le deuxième film réalisé par Truffaut, mais le premier réellement significatif dans sa nouvelle vie de réalisateur, après celle de critique pour Les Cahiers du Cinéma.
Ce film est également celui où Bernadette Lafont fait ses premiers pas devant la caméra et celui qui marquera au fer blanc la première collaboration entre François Truffaut et Robert Lachenay, son ami d’enfance et complice de l’école buissonnière pour s’enfermer dans les salles obscures, avec qui il créé la société de production Les Films du Carrosse.
Dans ce court-métrage de 18 minutes, on retrouve déjà les ingrédients des « 400 coups » avec tous ces mômes mutins, autrement appelés dans le jargon provençal, les mistons, auxquels on s’attache bien qu’ils mettent tout en œuvre pour brouiller l’amourette de Bernadette et Gérard. Comme dans le long-métrage mythique qui révèlera Truffaut au grand public, le film démarre sur un travelling et une voix-off raconte comment ces enfants ne mesurent pas encore la gravité des choses de la vie.
Parallèlement, quelques petits passages comme la scène de l’arroseur des terrains de tennis font penser aux films de Buster Keaton ou Charlie Chaplin, rappelant à quel point Truffaut est un passionné de cinéma et un admiratif de ses pairs.
Le Comité Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a sélectionné les 12 films de court métrage qui vont concourir au César 2015 du Meilleur Film de Court Métrage.
Le Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) vient de s’achever. Voici les films primés par le jury officiel (Emma De Caunes, Karim Moussaoui, Bernard Payen, Olivia Ruiz, Astrid Whettnall) ainsi que ceux attribués par les partenaires du festival.
Compétition Internationale
Bayard d’Or du Meilleur Court Métrage : « Twaaga » de Cédric Ido (France/Burkina Faso)
Prix du Jury : « Les Pécheresses » de Gerlando Infuso (Belgique)
Format Court replonge dans ses archives. Après avoir exhumé les articles liés à Claire Burger, Marie Amachoukeli et Samuel Theis, à l’occasion de la sortie de « Party Girl », Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, nous vous proposons un petit tour du côté de la haute couture, des clopes au bec et des amours contrariés.
« Saint Laurent », le film de Bertrand Bonello, a comme « Party Girl » fait ses débuts à Cannes, et est toujours à l’affiche. L’an passé, Format Court avait rencontré le réalisateur, totalement pris par son projet, pour évoquer les enjeux, les contraintes, la légèreté et la rêverie dans ses courts (« Cindy : The Doll Is Mine ») comme dans ses longs (« L’ Apollonide : Souvenirs de la maison close »).
Il s’appelle Willy Holt. Son nom pourrait faire penser à un mercenaire, à un fuyard intrépide, élancé sur son cheval, dans un western hollywoodien. Le personnage en a la carrure physique : de grande taille, plutôt mince, les pupilles repoussées au fond des cavités oculaires, les cheveux mi-longs aux reflets désormais blafards flanqués en arrière. À des distances plus extrêmes, de loin ou de près, certains détails en font pourtant une individualité indéfiniment plus complexe, intrigante. Sa démarche, d’abord : il avance par minimes élans successifs, comme s’il n’était pas possible de tirer un trait droit dans l’espace. Sa voix, ensuite : il murmure, balbutie peut-être, mais ne parle pas normalement. Il lance des phrases sur un ton souvent ironique, par-dessus les mots, léger mais jamais tricheur. La parole dissimule, par défaut, une ombre. Willy se déguise malgré lui, malgré tout, malgré l’horreur.
Ce n’est pas par vocation, en effet, que Willy Holt déguise la réalité par de “bons mots”. Il fait partie de ceux qu’on a déportés vers l’est pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a été interné dans plusieurs camps en Pologne, en particulier dans le camp d’Auschwitz II-Birkenau. Il a survécu au pire, à ce pire que personne ne voulait voir ni saisir, comme une lumière trop forte dont on repousse l’éclat. La pudeur se confond avec le courage d’un homme qui était destiné au néant mais qui possédait une telle passion qu’il lui a été permis de survivre et, bien mieux, d’accomplir des exploits artistiques, dans le domaine des décors cinématographiques dès les années 1950. Oui, c’est ce même Willy Holt, né en 1921 en Floride, de père américain et de mère française, qui fut le décorateur d’Otto Preminger, de Stanley Donen, de Woody Allen, de Bertrand Blier, de Roman Polański, ou encore de Louis Malle.
Rassembler les restes du souvenir
Dans le documentaire que lui consacre Rafael Lewandowski, le personnage est moins décrit que cerné à distance, c’est-à-dire appréhendé avec le regard de celui qui ignore presque tout ou qui ne peut pas se mettre à la place de celui qu’il filme. Sa construction, apparemment imprécise et un peu maladroite, rend tout de même compte des jeux auxquels s’adonnent Willy Holt : jeux de mots, jeux de traits, jeux de regards. En guise d’esquisse, les interviews font progressivement apparaître ses talents de dessinateur (talents qui lui ont permis de survivre dans le camp et de travailler après la guerre) mais aussi ses doutes, ses envies, les ambiguïtés quant à son identité, les difficultés qu’il rencontre face aux questions de sa fille, les voyages qu’il entreprend pour revoir les lieux de la catastrophe.
Son histoire est exceptionnelle, tellement singulière et vraie qu’une redéfinition de la parole semble s’imposer. Une parole qui ne dit presque rien mais qui évoque tant d’horreurs et d’illusions. Une parole qui a conscience de sa limite et qui, dès le début du film, est placée à un rang inférieur de l’image. Willy Holt le sait et le dit : les mots sont parfois impuissants. Alors Rafael Lewandowski se donne pour ambition d’établir un portrait très visuel, défait, où la parole est nécessairement disjointe et où l’image se diffracte en couleurs autant qu’en noir et blanc. Au milieu des entretiens, des visites, des rencontres, des trajets ferroviaires, surgit une vérité timide, effroyable et fascinante: celle de la vie d’un homme, où la parole contient du silence, où la terrible réalité transparaît à travers l’humour, et où le désir de créer transcende l’expérience la plus inhumaine.
À la fin du film, la lumière s’est apaisée. On la reconnaît facilement, la lueur du présent. Intérieurement, la pensée et l’imagination éprouvent pourtant une grande nervosité. Que faire de cette trajectoire peu banale ? Cette question appartient à tout spectateur. Le trajet ne fait, en tous cas, que commencer et “Femmes en deuil sur un camion” (1995) pourrait bien se glisser parmi les ouvrages du chevet. Non pas à cause de cet inique « devoir de mémoire » mais par désir de mieux comprendre les différences qui séparent le flottement destructeur du consentement nostalgique et la promesse révoltée d’un monde à construire, dans les murmures et dans les cris.
Jeudi 9 octobre, notre équipe a attribué son Prix Format Court au Festival International du Film Francophone de Namur parmi les 13 films de la compétition internationale. Le Jury Format Court (composé de Marie Bergeret, Juliette Borel, Adi Chesson et Zoé Libault) a choisi de récompenser « Art » du Roumain Adrian Sitaru. Un film qui traite de l’éthique dans la démarche artistique sous un angle esthétique hyperréaliste. Le réalisateur nous confronte avec beaucoup de justesse aux questions de la responsabilité et de l’art.
En guise de prix, le réalisateur, déjà auteur de nombreux courts, bénéficiera d’un dossier spécial sur notre site et d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Enfin, « Art » sera projeté à l’occasion de la prochaine soirée Format Court, le jeudi 13 novembre 2014, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
Art d’Adrian Sitaru (Fiction, 19′, 2014, Roumanie, 4 Proof FILM)
Synopsis : Deux cinéastes ont trouvé la parfaite jeune fille de 14 ans pour jouer dans leur nouveau film. Maintenant, ils doivent convaincre la mère de laisser sa fille jouer le rôle d’une enfant victime de violence sexuelle.
À l’occasion de la sélection de son dernier film « Shadow » à l’Etrange Festival, nous avons rencontré son réalisateur, Lorenzo Recio. Il nous parle entre autres de la genèse du film et de son tournage à Taipei, mais aussi des multiples interprétations que l’on peut trouver dans le film. Pour les parisiens, le film est projeté ce jeudi 9 octobre lors de la séance Format Court spéciale Grenoble.
Tu as déjà tourné plusieurs films (« Lisa », « Red Shoes », etc.). Comment es-tu venu à la réalisation ?
Je suis venu à la réalisation par le dessin. Je souhaitais d’abord faire de l’illustration et de la bande dessinée. Ma rencontre avec l’animation est due au hasard. Un ami croisé dans un train m’a dit que son frère travaillait dans une société de production de films d’animation cherchant des dessinateurs, ça m’a intéressé. Si j’avais pris le train suivant, je n’aurais peut être jamais fait de cinéma. Quand j’ai réalisé un premier film d’animation et que mes histoires, mon univers visuel, se sont mis à bouger, à coexister avec du son et de la musique, je n’ai plus imaginé faire autre chose.
Quand on fait de l’animation, on ne se fixe aucune limite en terme d’imaginaire et j’ai aussi un goût prononcé pour le fantastique et le surréalisme. Du coup, quand je suis passé à la prise de vue réelle pour fuir la dimension trop monacale du film d’animation, je n’ai jamais cherché à donner de limites à mes récits. Si j’ai envie que l’histoire se déroule au 17e siècle en Espagne avec un type qui a une tête d‘âne (« L’infante, l’âne et l’architecte »), si j’ai envie qu’une petite fille ouvre la tête de son père pour voir les images qu’il y a dedans (« Lisa ») ou si j’ai envie d’adapter un conte d’Andersen avec une danseuse flamenco (« The Red Shoes »), j’écris d’abord l’histoire et je me demande ensuite comment je vais la réaliser. En général plus cela paraît impossible à faire, plus cela me donne envie de le réaliser.
L’histoire de « Shadow » se situe à Taïwan et est tournée en langue chinoise. Es-tu familier de la culture asiatique ? Souhaitais-tu y développer un cadre particulier ?
Dans un premier temps, j’avais écrit une histoire avec un montreur d’ombres qui se situait au 18e siècle en Allemagne. C’était l’histoire d’un homme qui était lui-même une ombre et qui se peignait chaque jour pour avoir une apparence humaine. Un récit très marqué par le romantisme allemand, par les livres de Von Chamisso et Hoffman. C’était un projet de long métrage qui n’a pu entrer en développement, les commissions se demandant comment des histoires pareilles pouvaient être écrites. Un peu déçu par ces réponses, je me suis dit qu’il fallait peut-être s’expatrier, aller chercher ma fortune ailleurs. J’ai pensé à l’Asie car il y a aussi du théâtre d’ombres là-bas, et comme mon chef-opérateur travaille beaucoup là-bas, je lui ai demandé quel pays pouvait être intéressant pour y développer un projet, il m’a parlé de Taïwan. Trois mois après, j’ai trouvé une résidence d’artiste là-bas et je suis parti deux mois à Taipei pour écrire le premier traitement d’un long-métrage, « The Shadowman ». « Shadow » est venu de la volonté d’expérimenter ce récit dans une forme plus courte, pour voir ce que pouvait donner le traitement d’une figure d’homme-ombre. Je ne suis donc pas un fan de longue date de cinéma asiatique. C’est le thème du récit qui m’a amené là-bas.
Comment s’est déroulé le tournage à l’étranger ? As-tu rencontré des difficultés particulières ?
Cela a été un tournage fascinant duquel je garde un merveilleux souvenir. Evidemment, préparer un film à 10.000 km de distance n’est pas évident pour trouver les décors et les comédiens. Mais nous avons travaillé avec une excellente productrice exécutrice, Tatianna Chang, qui a été d’une efficacité absolue pour la préparation et pour le tournage. J’ai également eu la chance de trouver de très beaux comédiens, Yueh Ming Liu, qui joue l’homme ombre et Aviis Zhong, qui joue la jeune femme. Je parlais anglais avec l’équipe, mais il y avait aussi une traductrice. J’ai adoré filmer l’atmosphère de cette ville, ces visages, ces ambiances, à mille lieux du décorum français ou parisien, cela lave les yeux et l’esprit.
Le principal souci que l’on a eu a été avec un fantôme. Deux jours avant le tournage, des accidents de scooter se sont succédés. Une assistante déco est tombée en scooter alors qu’elle transportait les marionnettes de théâtre d’ombres, elle a dû être hospitalisée. Le lendemain, c’était la camionnette qui transportait la caméra avec laquelle nous devions faire des essais qui a heurté un scooter en pleine rue. Le jour d’après, au terme du premier jour de tournage, c’est mon assistant réalisateur taiwanais, Sean, qui s’est retrouvé à l’hôpital après s’être fait renverser par une voiture alors qu’il était en scooter. Tatianna, la productrice éxécutrice, était convaincue que quelque chose n’allait pas. Elle est allée dans un temple où on lui a dit que le propriétaire des marionnettes n’était pas content que l’on tourne avec ses marionnettes sans lui avoir demandé l’autorisation. Bien évidemment, le propriétaire était mort. Tatianna s’est excusée auprès du fantôme et nous n’avons plus eu aucun accident de scooter.
J’avais bien prévu un « accident » dans le scénario. Nous l’avons tourné la peur au ventre, la nuit, alors qu’un déluge nous tombait sur la tête. Nous sommes rentrés si fatigués de cette nuit de tournage que nous avons dormis sans réaliser qu’un tremblement de terre de magnitude 6 avait secoué l’île pendant notre sommeil. Mais a part ça, ou peut-être aussi à cause de ça, ça a été un tournage absolument merveilleux, unique.
Peux-tu nous parler des différentes thématiques (effacement, métamorphose, adaptation à la société, etc.) et symboliques développées dans « Shadow » ?
C’est plutôt simple en fait. J’essaye de raconter une société qui est partagée entre ombre et lumière. À Taipei, la lumière baigne les grandes avenues, les gratte-ciels en verre et illumine les immenses écrans vidéo qui nous vendent du bonheur high-tech, cosmétique, pur et propre. À l’opposé de cette société lumineuse, il y a les petites rues, les petites maisons dans l’obscurité, les petites gens qui subsistent avec des petits boulots, loin des projecteurs de la réussite. Le fantastique repose sur un double versant, poétique et social.
Derrière l’effacement du personnage, un rapport est créé sur la disparition d’un art (le théâtre d’ombres) que de moins en moins de monde, à part un enfant, ne semble apprécier. Comment cela se fait-il ?
Le théâtre d’ombres taiwanais est issu du théâtre d’ombres chinois. Il est arrivé sur l’île il y a 200 ans à peu près. Il a été interdit pendant le communisme et quand il est réapparu, il s’est vite trouvé concurrencé par la télévision et le cinéma. Il n’y a pratiquement plus de montreur d’ombres à Taipei, je n’ai rencontré qu’une troupe là-bas. On trouve la plupart des compagnies dans le sud, à Kaoshiung. C’est pratiquement impossible de vivre de cet art et il n’est pas rare qu’un montreur d’ombres soit obligé d’avoir une autre activité professionnelle à coté. Auparavant il pouvait y avoir des cérémonies de théâtre d’ombres lors de rites funéraires dans les temples, mais cela tend à disparaître. Aujourd’hui, c’est souvent remplacé par des boîtes de strip-tease.
Un jour, un montreur d’ombres m’a dit que le cinéma n’avait rien inventé. Le découpage en scènes, le gros plan, le plan large, les effets spéciaux, tout cela le théâtre d’ombre le faisait bien avant en approchant ou en éloignant les marionnettes de la source de lumière. Je crois qu’il avait vraiment raison. Le théâtre d’ombres est un proto-cinéma. Une légende dit que cet art est né le jour où un monarque chinois, ayant perdu son épouse, a demandé à un artiste de la faire revivre en animant sa silhouette d’ombre derrière un drap blanc. Et c’est bien cela le cinéma, un art de fantômes. Des choses passées qui s’agitent sur une toile.
Peux-tu nous dire un mot sur les effets spéciaux d’effacement progressif de ton personnage masculin ?
J’ai tenu à ce que ce soit le comédien qui joue l’ombre. Je ne voulais pas d’une ombre animée en 3D. Le pari était d’incarner cette ombre, qu’elle reste humaine jusqu’à la fin. Le comédien a été filmé sur fond vert ou bien peint en bleu pour les incrustations. Je n’avais pas de référent pour ce personnage d’homme-ombre. Au cinéma, on a déjà pu voir des hommes invisibles, des loups-garous ou des vampires mais pas d’hommes-ombres. C’est en quelque sorte une première. Du coup il a fallu se creuser la tête pour trouver ce à quoi il pouvait bien ressembler.
La fin prend la forme d’un twist, sans trop en dévoiler. Comment l’expliques-tu ?
Je crois que la fin est absolument logique et en même temps sujette à de multiples interprétations. L’une des explications est que ce garçon qui disparaît progressivement dans l’ombre au point d’en devenir une est irrésistiblement attiré par la lumière, par cette jeune femme aux cheveux blonds qui travaille dans un environnement lumineux et high-tech. L’ombre et la lumière semblent chacun avoir besoin de l’autre pour exister.
Quels sont tes projets actuels ?
Je développe plusieurs projets de long-métrages, sans savoir si l’un d’eux existera un jour. C’est assez difficile de passer au long-métrage notamment lorsqu’il s’agit de cinéma fantastique dans un pays où le drame social, la comédie et le polar sont dominants. Néanmoins, je crois que ça n’en devient que plus motivant du coup d’essayer de faire vivre au pays de Descartes et Rohmer (que j’aime beaucoup par ailleurs), ce pan fondamental de la création artistique que constitue le cinéma fantastique.
Edith Depaule, réalisatrice de « The Dancing », est une artiste polyvalente, touche-à-tout, mêlant avec justesse les arts dans ses œuvres. Avant tout chorégraphe et metteur en scène de théâtre, elle réalise ici un deuxième court-métrage élégant (après « Passionate Kiss »), construit comme une pièce où les corps et leurs mouvements sont mis à l’honneur. Déjà repéré cet été par Format Court au Festival CourtsCourts de Tourtour (où il avait obtenu le Prix Spécial du jury), ce film retient à nouveau notre attention au Festival de Namur où il est sélectionné dans deux compétitions nationale et internationale.
Douze femmes chiquement habillées, talons aiguilles aux pieds et robes de soirée ajustées, attendent patiemment leurs partenaires de danse. Mais à trop attendre, l’hystérie et l’euphorie remplacent petit à petit le calme et la sagesse.
Le film est construit en trois tableaux bien distincts. Le premier mouvement est celui de l’attente dans lequel les femmes sont rivales et n’échangent guère plus que des regards noirs et méprisants sous une lumière jaune et agressive. Le deuxième est celui du rêve où la femme s’épanouirait avec l’arrivée de l’homme ; ici, la lumière rouge est chaleureuse mais irréelle. Dans le troisième volet, c’est sous une lumière plus sobre et réaliste que les femmes s’émancipent en dansant ensemble, formant de leur singularité un tout uni. Une chorégraphie de groupe qui se créée des mouvements de chacune.
Ces trois parties sont liées par une tension chorégraphique, un suspense intangible. La danse prend forme progressivement, elle prend le temps de s’installer. Un travail important sur le son renforce cette attente.
Ce film renvoie forcément aux « Rêves dansants » de Pina Bausch ; on y retrouve le même type de personnages strictes et froids s’épanouissant par la danse, entre danse de salon et danse contemporaine. Edith Depaule sait filmer les danseurs, elle y porte un regard féminin, doux et connaisseur. Elle n’hésite pas à entrer dans la danse avec sa caméra, cette dernière étant un élément à part entière de la chorégraphie.
Avec « The Dancing », Edith Depaule signe un film gai qui nous transporte dans un environnement sonore et visuel des années 50. Habituée des spectacles de danse, elle réussit à nous raconter une histoire sans parole, avec seulement des regards, des mouvements et des cris. En liant cinéma et chorégraphie, ce film illustre une vraie recherche artistique avec originalité, humour, singularité et sensualité.
Synopsis : Douze femmes sur piste de danse. Boule à facette et plancher ciré, robes de soirées et chaussures à talons, tout est prêt pour enflammer la piste mais les partenaires de danse ne sont pas au rendez-vous.
Le Comité Animation de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma a présélectionné mardi 7 octobre les 12 films de court métrage qui vont concourir au César 2015 du Meilleur Court Métrage d’Animation. De ces 12 films, se dégageront les 5 finalistes pour les Césars 2015.
– Bang Bang !, réalisé par Julien Bisaro
– Beach Flags, réalisé par Sarah Saidan
– La Bête, réalisé par Vladimir Mavounia-Kouka
– La Bûche de Noël, réalisé par Stéphane Aubier & Vincent Patar
– La Chair, réalisé par William Henne & Louise Lemoine Torres
– Encore des Changements, réalisé par Benoit Guillaume & Barbara Malleville
– Man on The Chair, réalisé par Dahee Jeong
– Nuisible, réalisé par Tom Haugomat & Bruno Mangyoku
– La Petite Casserole d’Anatole, réalisé par Eric Montchaud
– Les Petits Cailloux, réalisé par Chloé Mazlo
– Le Sens du toucher, réalisé par Jean-Charles Mbotti Malolo
– Tempête sur Anorak, réalisé par Paul Cabon
Influencé par Raymond Depardon et Bruno Dumont, Antoine Besse, jeune réalisateur venant du clip et de la pub, a réalisé un film puissant et symphonique, « Le Skate Moderne ». Tourné en Dordogne, avec des copains et des skates, sans producteur ni contraintes, il a pensé son film pour le net et s’est retrouvé, le succès aidant, en festival. Là où nous l’avons repéré et rencontré.
Au dernier Festival de Grenoble, « Le Skate Moderne » a obtenu notre Prix Format Court mais aussi le Grand Prix ex-aequo (avec « La lampe au beurre de Yak » de Hu Wei). À l’occasion de notre séance Format Court spéciale Grenoble et de la projection du film d’Antoine Besse, nous consacrons une interview à notre lauréat.
On a envie de commencer par ton parcours. Qu’est-ce qui t’a amené à faire des films, et à faire ce film en particulier ?
Antoine Besse : C’est une bonne question. J’ai toujours baigné dans le surf et dans le skate depuis je suis enfant et j’ai toujours fait des films comme ça, sans jamais songer à que ce soit. À quatorze ans, en déménageant en Dordogne, je me suis consacré totalement au skate. À la campagne, avec tous les copains que j’ai filmé dans « Le Skate moderne », on travaillait nos modules, on ne faisait plus que ça.
Comment se fait-il que tu te sois mis à faire du skate à la campagne, une pratique généralement réservée aux citadins ?
C’était ça, la bizarrerie. Avec mes potes, on s’est mis à regarder des vidéos sur Internet. J’avais trouvé une vidéo, « Flip – Sorry », une vidéo de skate fait par Spike Jonze dans ses débuts.
Ca a été une révélation, c’était à la fois un court-métrage et une vidéo de skate, avec de belles idées de mise en scène. Ca m’a fasciné et donné envie de faire pareil, de faire des vidéos de “ride” mais plus poussés. Je me suis acheté une caméra deux semaines après et j’ai commencé à tourner, comme ça, tout le temps.
Dans quel but filmais-tu ? Pour améliorer votre technique ?
Au début, c’était juste pour nous filmer, mes potes et moi. Progressivement, j’ai fait comme Skipe Jonze dans sa vidéo. C’est un peu prétentieux, mais j’avais envie de commencer à bidouiller et ça m’a énormément plu. J’ai commencé à prendre conscience à quel point il était intéressant d’utiliser une caméra et d’expérimenter les possibilités de l’outil. J’ai commencé à faire des essais, comme on en fait tous au début. À dix-sept ans, après le bac, j’ai décidé de m’inscrire en fac de cinéma à Bordeaux. J’ai fait un parcours classique avec trois ans de licence de cinéma. Au bout de deux mois, dès la première année, je m’ennuyais, mais j’ai eu la possibilité de faire des kino-sessions et de tourner des films en deux mois, avec des contraintes imposées. Dans ma promotion, on était une dizaine d’étudiants très motivées, enthousiastes, à en faire systématiquement. Pendant trois ans, on a fait des films tout le temps avec à chaque fois, un thème différent. À la fin, on s’est rendus compte qu’une licence ne menait pas à grand-chose. Je me suis mis à faire des stages dans la région, en particulier en tant que régisseur mais ça ne me plaisait pas.
Et « Le Skate » là-dedans ?
Comme mes copains sont montés à Paris pour essayer de travailler, je les ai suivis. J’ai fait un an d’école de cinéma, mais ce n’était pas pour moi, alors je me suis mis à faire des clips, des vidéos de toutes sortes. Mon parcours est assez classique, c’est celui d’un autodidacte, ayant quand même une formation à l’université et l’expérience des kino-sessions. Après un documentaire sur des rappeurs, est arrivé « Le Skate moderne » dont j’avais l’idée en tête depuis longtemps. Je l’ai tourné juste avant de partir surfer pendant un an. Je l’ai lâché sur internet, ça a explosé, et j’en suis arrivé là. À l’époque, je n’avais pas de producteur, c’était un projet personnel parmi d’autres.
Vis-tu du cinéma à présent ?
Aujourd’hui, oui. Pas vraiment du cinéma, mais plutôt de la publicité.
Trouves-tu tout de même le temps de faire des films plus personnels ?
Chaque publicité prend au moins trois mois, c’est long. Dernièrement, j’ai fait une pub pour une marque de sport, à échelle nationale, c’était énorme, ça a pris du temps. « Le Skate moderne » aussi m’avait pris trois mois. Maintenant, j’ai un projet de documentaire sur les surfeurs, dans un endroit assez atypique du sud de la France. J’ai commencé à l’écrire il y a quelques mois, je travaille vraiment dessus depuis un mois, je pars bientôt en tournage. Ca va me demander encore trois bons mois.
Tes films sont-ils toujours liés à la thématique du sport ?
Non, pas du tout. En fait, le surf et le skate sont des choses qui me parlent énormément, mais dans la façon dont je le traite, je ne m’intéresse pas à la performance athlétique. Ce que je veux montrer, c’est le côté « way of life ». Ce sont des passions qui te prennent tellement au tripes que tu y accordent ta vie sans concession. C’est exactement la thématique de mon prochain film; il est centré sur la première et la dernière génération de surfeurs d’un village, Ce qui m’intéresse, c’est la passion qui amène à orienter sa vie autour d’un sport très fort tous les jours.
Dans ton film, on ne pense pas forcément à la passion. On a plutôt l’impression que le skate est un rempart à l’ennui. Un personnage le dit dès le début du film : « On fait du skate, autrement, on n’aurait rien à faire ».
Absolument. Mais c’est quand même une passion, c’est ce qui anime ces gens tous les jours. Une passion c’est aussi ça : c’est s’occuper tout le temps et oublier l’ennui. L’ennui, on en est tous victimes, et une passion permet de l’éviter.
D’où vient le désir de faire du skate dans un endroit où ce n’est pas forcément adapté ?
Bien qu’on ait grandi à la campagne, on a été très influencé par la culture urbaine. On n’en fait pas partie mais on se l’attribue. Dans « Le Skate moderne », pour moi, il y a deux choses. La passion qui t’obnubile et qui te permet de dépasser l’ennui et le côté “culturel”, c’est-à-dire la provenance de cette passion qui n’aurait jamais dû arriver là. Pourtant la culture urbaine se développe et arrive à toucher les campagnes mais elle se développe d’une autre façon. C’est comme pour la pétanque à Paris ou le “street fishing”, la pêche en ville. Les cultures de villes se déplacent vers la campagne et celles de la campagne viennent vers les villes. Il y a un échange.
On a le sentiment qu’à cette fascination éprouvée pour les cultures urbaines répond une nostalgie de la culture rurale elle-même. On le voit dans les choix de cadrage assez “posés”, comme les portraits de famille ou le choix des costumes “rétros”.
Clairement. Il y avait aussi clairement une envie de rendre hommage au film de Raymond Depardon, « La vie moderne ». J’aime beaucoup ce qu’il fait. Je viens d’un milieu très rural et son film m’avait touché par la beauté des plans surtout. Je voulais reprendre le code de l’interview collective pour montrer que le milieu rural n’est pas mort non plus. C’est comme une descendance. Le monde de Depardon est là, et en même temps, il y a la suite. La suite est influencée par autre chose, mais elle vit quand même à la campagne. Les gens ne sont pas partis en ville, et ils ne partiront jamais. Ils n’aiment pas la ville.
Chez Raymond Depardon, il y a une envie de montrer les personnages mais aussi de les installer dans un temps long. Dans « Le Skate moderne », en revanche, les plans sont plutôt courts, les propos des personnages sont très brefs et le montage est très rythmé. Sur ce point, tu t’écartes de sa démarche.
J’ai jamais voulu l’imiter, mais simplement utiliser quelques codes qu’il avait développé dans son regard sur la campagne; le fait d’être posé et d’écouter les personnages, et en même temps de jouer avec les images fortes, comme dans les clips. Comme toute ma génération, j’avais en tête les films de Costa Gavras, mais ce que je reproche aussi à mes pairs, c’est que ça manque un peu de fond. Pour ce film, j’ai voulu mélanger le social, le milieu rural, les cultures urbaines, l’ennui, la passion, et ai utilisé une esthétique à la fois contemplative et très clipesque (des fumigènes, des drapeaux, …). L’idée a été de jouer avec tous ces codes pour avoir tout le temps une image très riche. C’était un pari risqué, un essai qu’il fallait bien doser. J’ai voulu y aller à fond. Je n’avais pas de producteur ni de contraintes. J’y suis allé comme j’ai ressenti. C’est un film de ressenti.
À chaque plan, on a l’impression qu’il va se passer quelque chose. Les choses sont toujours en mouvement. Comment as-tu conçu la chronologie de ce ballet symphonique ?
L’idée est toute simple; pour moi, c’était très important que chaque plan ait sa place. Je ne voulais pas faire un plan pour un plan. C’est quelque chose qui m’insupporte dans le clip. Je ne voulais pas appuyer sur le bouton “enregistrer” s’il n’y avait pas un cadre ou quelque chose qui me parlait. Même s’il ne se passait pas grand-chose, je voulais montrer des choses belles à voir. Je marche beaucoup à l’instinct. Certains cinéastes peuvent t’expliquer tout ce qu’ils font, moi pas du tout.
As-tu beaucoup tourné ? Avais-tu beaucoup d’images lors du montage ?
Oui, j’en avais beaucoup, mais étrangement j’ai quasiment tout mis.
La fin du film apparaît un peu brute. On a l’impression que « Le Skate » appelle à autre chose, qu’il y a d’autres images. C’est comme si tu ne voulais pas tout exploiter, comme si le film est autant ce qu’il montre que ce qu’il ne montre pas, notamment dans les entretiens avec les familles des skateurs.
Ca part d’un truc tout bête. J’avais récupéré beaucoup d’informations intéressantes dans ces interviews. Mais, à un moment donné, j’ai décidé que je ferais ce film pour un format internet et pas plus. L’idée était de montrer que je savais faire des images, que je savais faire des films. Le format internet, c’est en-dessous de neuf minutes. Après, les internautes zappent. Je voulais faire aussi un film pour tout le monde, avec un fond et une esthétique constante qui accroche les gens par la force des paroles et des personnages, des décors, en choisissant chaque plan. C’était un film très “instinctif”, je le répète.
En parlant d’instinct, on peut penser aux références appropriées. Quelles ont été tes influences musicales sur ce projet ?
Là aussi je me suis basé sur le film de Raymond Depardon pour l’utilisation de Gabriel Fauré sur le travelling introductif. Je trouvais ça incroyable de dire autant de chose en ne montrant rien. À la différence près que j’avais envie d’inclure des humains dans l’image.
En termes de référence, j’aime aussi beaucoup ce que fait Bruno Dumont, sa mise en scène de la vie rurale, de la consanguinité, des choses très dures et très rudes. Je suis très en accord avec sa démarche. On sent qu’il vient de là et qu’il révèle bien les cultures rurales. Ca te prend aux tripes et tu n’as absolument pas envie de te moquer de ses personnages. C’est comme ça aussi que je conçois mon travail de réalisateur.
C’est au cœur de Casablanca que prend place ce film poignant présenté cette semaine au FIFF de Namur. Youssef, le personnage principal, connu par les enfants du village seulement par son attribut le plus fidèle, son chien, évolue dans une ville qui lui est peu amicale. Dès la première scène, il nous apparaît comme un homme solitaire, vivant de grasses matinées et de bains de mer, un peu perdu dans sa propre vie. Replié dans son cocon confortable, il ne le quitte que lorsque son chien disparaît et qu’il doit partir à sa recherche. Ce personnage marginal renvoie au Lewin Davis des frères Coen, musicien paumé, parcourant la ville de New-York aussi à la recherche d’un animal, le chat de ses amis.
Ici, notre homme est prêt à tout pour récupérer son chien. Motivé par dessus tout, il perd toute conscience et ne voit plus qu’il s’en met en danger dans des quartiers hostiles et des situations délicates. Sa raison est mise à mal par sa volonté et son insouciance. D’ordinaire asocial, il fait soudainement confiance en des inconnus qui l’entraînent dans des endroits sombres et peu accueillants, le faisant rencontrer de nouvelles personnes toujours plus malveillantes les unes que les autres.
Ce court-métrage est un très joli film sur la confiance en l’autre que l’on peut accorder dans certaines situations. Face à l’incapacité d’atteindre seul son but, la méfiance de Youssef envers autrui disparaît, laissant place à l’inconscience. Il se laisse alors emporter dans une course folle qu’il n’abandonnera pas tant qu’il n’aura pas retrouvé son chien, quelque soit les obstacles auxquels il devra faire face. Animé par son acharnement, il ne ressent ni angoisse ni peur. Les personnages évoluent devant une caméra très proche, qui propose un cadre serré anxiogène formant comme des œillères autour de Youssef, ne permettant pas, ni au spectateur ni à lui-même de pouvoir anticiper la menace et renforce alors la tension palpable de ce film.
L’homme au chien nous entraîne, le temps d’une nuit, dans les bas-fonds casablancais, parmi les trafics et les violences, sans nous laisser un moment de répit et dresse un portrait plutôt noir de la solidarité entre les hommes, ici, toujours motivée par un intérêt égoïste et vénal.