Tous les articles par Katia Bayer

Le livret 2016 des meilleurs courts-métrages de SWISS FILMS en ligne

Bonne nouvelle pour les amateurs & programmateurs de l’excellent cinéma suisse : le e-Booklet Short Films 2016 de SWISS FILMS est en ligne. Il présente 40 courts métrages suisses de tous genres, avec 19 fictions, 9 animations, 3 films expérimentaux et 9 documentaires.

Véritable vitrine de la création helvétique en matière de courts métrages, il représente aussi bien des productions indépendantes que des films d’écoles. Cette publication représente la diversité et la vitalité de ce format pour la promotion de la production suisse à l’international.

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Ce livret comprend des titres de 2015 et 2016 réalisés par des cinéastes confirmé(e)s, tel(le)s que Georges Schwizgebel, Max Philipp Schmid, Christian Frei ou Eileen Hofer, ainsi que par de jeunes talents à suivre.

Pour information, ces 40 films ont été choisis par un comité de sélection composé des deux spécialistes du court métrage à SWISS FILMS Simon Koenig et Sylvain Vaucher ainsi que du directeur artistique des Internationale Kurzfilmtage Winterthur, John Canciani.

Pour en savoir plus sur ce livret, cliquez ici !

Le site de SWISS FILMS : http://www.swissfilms.ch/

2ème Prix Format Court au Festival IndieLisboa !

La 13ème édition du festival IndieLisboa aura lieu du 20 avril au 1er mai à Lisbonne. Format Court y attribuera pour la deuxième année consécutive un prix au sein de la section « Silvestre », un nouveau programme regroupant des films à part et inattendus réalisés par de jeunes auteurs comme des cinéastes établis. Pour l’occasion, le jury Format Court (Katia Bayer, Marie Bergeret, Adi Chesson, Sarah Escamilla, Aziza Kaddour) évaluera les 23 films sélectionnés.

Pour info/rappel, le film primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Films en lice dans la section Silvestre Shorts

B-ROLL with Andre de James N. Kienitz Wilkins, États-Unis
Coming Of Age de Jan Soldat, Allemagne
Dans ton regard de Julien Arnal, France
Dear Lorde de Emily Vey Duke, Cooper Battersby, Canada
Depart at 22 de Wiep Teeuwisse, Pays-Bas
Ears, Nose and Throat de Kevin Jerome Everson, États-Unis
Elle pis son char de Loïc Darses, Canada
Josef – Täterprofil meines Vaters/ Josef – My Fathers Criminal Record de Antoinette Zwirchmayr, Autriche
The Lamps de Shelly Silver, États-Uni
L’aquarium et la nation de Jean-Marie Straub, France, Suisse
Mad Ladders de Michael B. Robinson, États-Unis
Matkormano de Fabien Rennet, Julien Louvet, France
The Miniaturist de Paribartana Mohanty, Inde
Postcards from Manila de Harry Lagoussis, Grèce
Quintal/Backyard de André Novais Oliveira, Brésil
Scrapbook de Mike Hoolboom, Canada
La terre penche de Christelle Lheureux, France
Terrestrial de Calum Walter, États-Unis
Toré de João Vieira Torres, Tanawi Xucuru Kariri, Brésil, France
Une sur trois de Cecilia de Arce, France
Unhappy Happy de Peter Millard, Royaume-Uni
Villeneuve de Agathe Poche, France
World of Tomorrow de Don Hertzfeldt, États-Unis

Larp de Kordian Kadziela

Auréolé du prix du meilleur court métrage européen par le jury Format Court à la trentième édition du festival du film court de Brest, en novembre denier, Larp de Kordian Kadziela est un court métrage d’école qui s’attache à dépeindre le désarroi prononcé qui sévit chez les adolescents. Sergiusz, 17 ans, développe une passion bénine et exaltante pour les jeux de rôle grandeur nature (en anglais LARP aka Live Action Role Playing,) mais cet attrait loin d’être compris ou partagé par sa famille est moqué et ridiculisé à la moindre occasion.

Larp dure 27 minutes. C’est le temps que s’accorde son réalisateur Kordian Kadziela pour traiter de l’adolescence, cette période charnière où l’on n’est plus un enfant mais pas encore un adulte, où l’on doit, pour découvrir ce que l’on veut faire et qui l’on est, se projeter dans ses envies, dans ses passions, trouver des modèles à imiter, des comportements à calquer, être responsable et gagner en autonomie sans oublier pourtant d’arriver à l’heure au repas familial. À cheval entre deux âges, à cheval entre deux mondes des années durant.

Ce sont ces deux aspects d’une même vie qui font la complexité de cette période où l’incompréhension règne, pour l’adolescent et son entourage. Ainsi, alors que le film s’ouvre comme un récit de chevaliers par des batailles en cotte de maille dans la forêt, le passage d’un train avorte l’affrontement final des forces armées. Le sifflement de ce train est un rappel à la réalité, la sonnerie du réveil qui clôt les projections rêveuses de ces hordes d’adolescents casqués. Parmi eux Sergiusz, tout juste initié à ses pratiques, se distingue déjà dans les batailles et fraternise avec ses compagnons d’armes.

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De retour au domicile familial, Sergiusz doit reprendre un autre rôle, celui de l’enfant, celui du frère, celui de l’aîné. Il y est « surpris » par sa famille qui s’est réunie pour célébrer son anniversaire – deux semaines après la date prévue. Quelques échanges laissent transparaître la nature forcée de la réunion, les passions ne sont pas partagées, les cadeaux ne sont pas vraiment faits pour lui. Mais puisqu’on lui offre une maquette d’avion et qu’il ne s’y est jamais intéressé auparavant, c’est l’occasion idéale pour lui d’en entamer la collection. Il faut qu’il tienne son rôle, celui de l’enfant qui est heureux malgré tout, heureux comme sa famille qui interprète celui de la famille soudée et réunie en son honneur.

D’ordinaire, on traite l’adolescence au cinéma par ses débordements, depuis un point de vue d’adulte, soulignant les excès et l’absence de contrôle d’un adolescent colérique, maladroit, naïf ou rocambolesque. Mais dans Larp, plus que la fougue c’est un sentiment de tendresse extrême qui se distille tout au long du film grâce à son personnage principal Sergiusz, qui n’est pas dupe du désintérêt de ses proches pour sa passion pour les jeux de rôle et ne déplore pas cette situation car elle est aussi le signe de son émancipation. Cette prise de conscience de Sergiusz permet au réalisateur de révéler le charme trop sous-estimé des faux-semblants, des artifices et des subterfuges des membres de cette famille cherchant à se rapprocher les uns les autres alors même qu’ils savent l’exploit impossible.

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À l’image du calendrier des rencontres de Jeu de Rôles Grandeur Nature (de LARP donc) et des fiches de personnages que chacun y reçoit, les obligations familiales de Sergiusz et les rôles parents-enfants répondent eux-aussi à une distribution définie. Si cette observation s’offre de façon ostentatoire dans les scènes du jeu de rôle, où les costumes sont évidemment artificiels et où une Arménienne joue l’elfe et sa langue maternelle tient en place de l’elfique, la remarque implique aussi la vie réelle. Sergiusz l’a compris, c’est pourquoi le caractère artificiel du jeu de rôle ne le repousse pas, la vie de tous les jours l’y a habitué, voilà pourquoi il sourit quand il voit son entourage cabotiner à vouloir faire croire qu’ils attendent beaucoup des échanges avec lui, parce que c’est l’intention qui compte.

Avec de telles psychologies de personnages, Kordian Kadziela met en image les intentions de son personnage principal et les explicite par le cadre. Dans les phases de jeu de rôle grandeur nature, le réalisateur a l’habitude de serrer les cadres sur son personnage et d’opérer des champs-contre-champs qui soulignent la polarisation du film autour de lui. Hors du domicile familial, Sergiuzs doit constamment défendre sa place, la conquérir, tel le chevalier qu’il interprète et qui poursuit sa mission au péril de sa vie.

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A l’inverse, les scènes familiales, qu’elles réunissent toute la cellule ou bien seulement certains de ses membres, s’articulent avec des cadres larges qui permettent par leur frontalité de révéler l’orchestration des places dans le milieu familial.

Au final, tout est ordonné, et la logique du pater familias de Sergiuzs n’est pas plus ou moins farfelue que celle des organisations LARP. Elle est simplement valide au domicile, et perd toute sa justesse dans la rue. De même, la logique des organisations LARP est crédible quand elle seule s’exprime – la première scène nous propulse dans un film de chevalerie avant que le train ne détruise l’illusion. Sergiuzs lui, doit découvrir qui il est, et pour ce faire ne peut continuer d’épouser la dynamique familiale, il a besoin de choisir et c’est tout le besoin du LARP : choisir qui il veut être, le code qu’il veut suivre, et la tactique à employer pour atteindre ces objectifs.

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C’est d’ailleurs ce que Sergiusz affirme et démontre dans un face à face ultime. En confrontation avec un homme mieux bâti, il joue David contre Goliath et l’apostrophe comme le chevalier qu’il se pense. Et dans le combat, ce n’est pas la salve des petits coups de poings fébriles qui fera fuir l’assaillant mais bel et bien la constance de Sergiuzs, sa volonté de ne pas laisser faire les agissements du malotru. Sergiusz a réussi a lier les deux bouts, il a trouvé sa place dans le monde « réel », a su défendre ses convictions selon le rôle qu’il s’est composé, et peut rentrer chez lui poursuivre sa progression vers sa vie d’adulte.

Gary Delépine

Consultez la fiche technique du film

Articles associés : notre reportage : Kordian Kadziela, le vrai du faux & l’interview de Kordian Kadziela

The Casebook of Nips & Porkington de Melody Wang

Animation, 2’28, Canada, Sheridan College

Synopsis : L’œuf de la famille Oie a disparu ! L’agent Nips (un petit chat) de la police de Londres et son supérieur, l’inspecteur-chef Porkington (un cochon) mènent l’enquête.

Le contexte victorien de « The Casebook of Nips and Porkington » ainsi que les charmants animaux anthropomorphes qui en sont les héros feront retomber en enfance les amateurs du « Basil, détective privé » des studios Disney et de la série « Sherlock Holmes » d’Hayao Miyazaki.

Élève en quatrième année dans une école de cinéma canadienne, Melody Wang a un style classique dans le meilleur sens du terme : un trait précis, qui rend immédiatement attachant ses personnages-peluches, et une animation dynamique qui est le propre du cartoon et sied parfaitement à ce bref récit d’aventure mettant en scène un bobby londonien.

The Casebook of Nips & Porkington

Plutôt que par son style graphique, c’est par son décor et l’usage qu’elle en fait que la réalisatrice innove. Le film se déroule en effet intégralement dans les pages d’un journal, débute avec le portrait des deux héros en une et se poursuit au travers des différentes rubriques. En cette fin de dix-neuvième siècle, la presse est le média de masse, là où on rapporte les faits divers et où on célèbre les héros : les deux policiers y ont donc tout à fait leur place.

L’espace de la page inspire à Melody Wang des idées visuelles ludiques : les personnages se déplacent dans les marges, il pleut dans la rubrique météo, les cours de la bourse deviennent une montagne à gravir et les signes typographiques sont détournés pour servir d’accessoires. Les lettristes apprécieront…

Le film ne manque donc pas d’humour, comme en témoigne le nom des deux enquêteurs : Nips le chat (de l’anglais cat-nip = herbe à chat) et Porkington le porc (pork + ington, suffixe so british).

Sylvain Angiboust

Short Screens #60: Post-Porn Shorts

On vous avait prévenus, la 60ème séance Short Screens s’annonce chaude, très chaude! Provocateur à souhait, « Post-Porn Shorts » regroupe des courts métrages qui se jouent des codes et des conventions du cinéma porno pour mieux les détourner. Des films XXX, tous genres et toutes sexualités confondus, vous émoustilleront par leur insolence.

Rendez-vous le jeudi 31 mars à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici.

Programmation

Nova Dubai de Gustavo Vinagre, Brésil, 2014, docu-fiction, 50’, Prix Format Court au Festival Filmer à tout prix 2015

Nova Dubai

Éclaboussure porno-politique, Nova Dubai relate la lutte stérile d’un groupe de jeunes hommes animés d’une rage sexuelle désespérée contre l’insolente spéculation immobilière qui ravage espoirs, mémoires et aspirations. Seule la politique des corps en lutte semble égaler l’obscénité des projets immobiliers… Anti-sexy, éprouvant et marquant.

Seafood Porn de Momoko Seto, France, 2014, xp, 5’30’’

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Une histoire d’amour entre une pieuvre et un poisson rouge. Jennifer et Tiffany (un lundi soir dans la salle de bains): Un moment d’amour intense entre Jennifer et Tiffany. Crevettes Orgy (un samedi soir dans un appartement privé): Un moment d’amour fou entre 9 crevettes. Prawn Red Hot Love (un mardi matin sur votre lit): Un moment d’amour fou entre un homme et une crevette.

La Marche du monde de David Le Meur, France, 2014, xp, 5’30’’

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Un concept filmé inspiré par l’album « La Marche du monde » de Matico Editions.

Calamares de Meow meow, Berlin, 2015, xp, 3’45’’

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On finit toujours par manger l’être aimé. L’histoire d’une jeune fille et d’une pieuvre.

Gourmandises de Roland Lethem, Belgique, 2004, fiction, 10’

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« Le plus grand danger du péché de gourmandise, c’est qu’il nous porte au péché de luxure. »(Soeur Sourire). Un insatiable gourmand devant de succulentes gourmandises.

Céline Sciamma, Aude Léa Rapin. Conversation dans l’intimité de leur cinéma

Le jeudi 11 février 2016, le festival de Clermont-Ferrand est déjà bien entamé. En marge de la compétition, des projections, des débats, des fêtes, la SRF (Société des Réalisateurs de Films, créée en 1968) organisait, dans la salle Gripel de la Maison de la Culture, une rencontre entre les deux cinéastes Céline Sciamma et Aude Léa Rapin. Trois longs-métrages pour l’une (« Naissance des pieuvres », « Tomboy », « Bande de Filles ») et trois courts pour l’autre (« La Météo des plages », « Ton Cœur au hasard » triplement récompensé à Clermont en 2015 dont un Grand Prix National, et un troisième en post-production au titre encore inconnu) ont dessiné pour chacune une filmographie sensible et emplie de justesse.

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© Sauve qui peut le court métrage, Juan Alonso

On pourrait croire que la rencontre va s’articuler autour de l’idée d’un cinéma de femmes mais il s’agira plutôt de parler de cinéma tout court, féministe peut-être, humaniste c’est certain. Sans modérateur, à bâtons rompus, elles s’interrogent mutuellement sur leurs parcours, leur processus créatif et enfin leur collaboration sur le scénario du premier long-métrage d’Aude Léa Rapin. La salle pleine à craquer se suspend aux lèvres des deux artistes au rythme de confidences, d’anecdotes, de réflexions partagées avec humour et franchise.

Le court, carte de visite ou geste de liberté

Qui dit Clermont, dit court et le premier constat est sans appel et plein d’ironie. Céline Sciamma n’est pas passée par la case « court métrage » avant la réalisation de son premier film « Naissance des pieuvres » (2007). On lui doit néanmoins, en 2010, un court « Pauline » réalisé dans le cadre du concours de scénarios « Jeune et homo sous le regard des autres » présidé par André Téchiné. C’est à l’heure actuelle sa seule incursion dans le format court.

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« Ça arrive de plus en plus. Je n’ai pas créé de précédent. Un phénomène s’intensifie depuis 10 ans avec les scénaristes de la Fémis qui sortent de l’école avec un scénario de long-métrage ». Un producteur lui propose d’emblée de financer son scénario, les choses vont très vite. Sortie de l’école en juin 2005, elle tourne son film en juin 2006. « Du coup, pas de court-métrage, de l’inconnu pour tout le monde, y compris pour moi-même, à part quelques expériences d’assistanat de mise en scène et de régie mais je n’avais jamais été chef de guerre ». A l’arrivée, pas de « carte de visite » mais un long-métrage !

Cette idée que le court-métrage joue ce rôle de « carte de visite » angoisse plutôt Aude Léa Rapin, elle aussi passée par la Fémis mais sur le tard et plus brièvement, pour qui le court devrait rester un terrain d’expérimentation et de liberté. Céline Sciamma se demande par ailleurs si le financement toujours plus ardu des longs-métrages n’atténue pas cette force du court-métrage à introduire un cinéaste dans le paysage audiovisuel, en témoigne le temps long qui s’écoule, pour beaucoup de cinéastes, entre la réalisation de leurs court-métrages et leur premier long. Pour elle, le scénario joue de plus en plus cette fonction d’incitant au financement d’un film. Au-delà de cette réalité de production, Aude Léa Rapin, cadette de Sciamma et qui a fait ses premières armes de cinéma dans le documentaire, le film engagé et humanitaire entre autres, voit le court comme un geste qui rassure, qui met à l’épreuve : « Pour moi, c’est la seule condition qui nécessite de faire du court. En fait, il n’est une carte de visite que quand il sort du flux car il y en a tellement… ».

En pleine écriture de son premier long-métrage, elle constate, elle aussi, que c’est le scénario qui influe sur le montage financier. « Mes courts-métrages facilitent juste les rencontres avec les producteurs » précise-t-elle. Toutes deux reviennent à penser le court comme un geste de liberté et de légèreté, une appropriation de sa propre grammaire de cinéaste.

Céline Sciamma se verrait même après trois longs-métrages passer au court. D’ailleurs, sans les concevoir comme des courts-métrages au sens propre, au quotidien, elle confie réaliser de plus en plus d’esquisses, des brouillons, des tentatives de mise en scène, la plupart du temps avec son téléphone. « La forme courte dans la non obligation de faire récit permet de s’éprouver à la mise en scène, c’est comme ça que je regarde et fantasme d’en faire ». Aude Léa Rapin enchérit dans ce sens en voyant le court comme un droit à l’erreur qu’on ne peut plus se permettre dans le long-métrage. Un autre pont que voit Céline Sciamma entre le court et le long est que dans sa méthode de fabrication de ses propres longs métrages, ceux-ci sont construits autour de quelques scènes emblématiques, de fragments. « Dans le désir, dans l’impulsion, dans l’accomplissement, dans le résultat, on fait le film pour des moments, pour certaines scènes qui seraient des métonymies qui contiendraient l’ambition du film », dit-elle.

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© Sauve qui peut le court métrage, Juan Alonso

L’inspiration

Mais d’où leur viennent l’inspiration des ces fragments, de ces histoires, de ces films, quelles qu’en soient leurs formes finalement ? Aude Léa Rapin confie qu’elle ne s’y reprendra plus à imposer une thèse, un contenu, un programme à suivre au préalable comme elle l’a fait pour son premier film. En réponse, pour son deuxième court, l’intuition sera son moteur en oubliant la veine autobiographique du précédent et en choisissant un héros masculin. Céline Sciamma pense que de toute façon les films s’écrivent toujours contre le précédent, en réaction même si la forme ne change pas forcément. L’enjeu, pour Sciamma, est de garder le désir pendant l’élaboration d’un long, loin de l’idée du romantisme de l’écriture auquel elle préfère le travail et la persévérance. « Il y a un moment inexplicable où les choses s’imbriquent entre l’intuition, la réaction à ce qu’on a fait avant, un fantasme du malentendu de quelques scènes… C’est un sentiment où les choses s’alignent ». Avant la concrétisation de l’écriture, elle décrit aussi la période de gestation, de rêve qui peut être plus ou moins longue. « C’est le seul endroit mystique dans la gestation d’un film ». Elle n’hésite cependant pas à ponctuer cette phase de latence entre deux projets de réalisatrice par l’écriture de scénario pour d’autres.

Elle nous parle un peu de sa collaboration au prochain film d’André Téchiné, « Quand on a 17 ans », faisant exception à ses principes de ne travailler que sur des premiers films ou des films de metteurs en scène de sa génération. Son admiration et sa curiosité pour le cinéaste qui a bercé son adolescence et a fait des films dans un contexte économique de production plus glorieux l’ont convaincue de faire entorse à ses principes. « Ça me déplace de travailler avec un cinéaste aussi légitime » conclut-elle.

La fabrication et le compromis

Aude Léa Rapin termine son troisième court-métrage, son dernier probablement avant son passage au long. Jusqu’à là, elle a réalisé ses films en quasi autonomie. « Je commence à comprendre que le cinéma est très différent du geste de l’art contemporain, de la peinture qui m’étaient plus proches. Du coup, j’ai transposé cette manière de penser la création. J’en vois la limite car ça me rend claustrophobe et grâce à cela, ça me permet de m’ouvrir et de rentrer dans une méthode de travail plus classique tout en ayant envie de garder cette dynamique car c’est la mienne ». Elle, qui ne connaît pas encore le compromis grâce à la manière dont elle a appréhendé le court-métrage justement, s’y prépare doucement avec son passage au long. Ça la rassure même de se savoir entourée, écoutée et confrontée. « J’ai hâte de travailler avec le compromis, j’y suis déjà en fait dans l’écriture. Quand je dis ça, je me rends compte que je le faisais déjà avant car c’est moi qui payais mes courts-métrages. En vrai, si je suis totalement honnête, j’ai écrit mes films en tenant compte du fait que je devais les assumer seule financièrement. Ça mettait une certaine forme de limite à l’imagination mais comme ce sont des compromis que je m’impose, alors je ne le vis pas comme tel ».

Céline Sciamma avance dans la même direction. Avec un budget de moins d’un million d’euros pour « Tomboy », son deuxième long-métrage, elle a anticipé chaque scène pour la mettre en perspective de sa faisabilité, un exercice qu’elle a apprécié : « Je n’ai jamais eu l’impression de ne pas pouvoir faire. Quand un film est bien financé, ça ne veut pas dire qu’il est riche, ça veut dire qu’il a l’argent dont il a besoin pour être fait ». Les seuls compromis qu’elle ait réellement vécus, hormis ceux qui jalonnent un plateau au quotidien, sont ceux rencontrés avec les comédiens qu’elle a toujours choisis pour la plupart parmi des non professionnels : « Parfois, on estime mal les comédiens, notamment quand il sont non professionnels, mais c’est la responsabilité du metteur en scène de trouver des solutions face à eux et encore plus quand ce sont des enfants ». Diriger des comédiens non professionnels qui avaient l’âge des personnages qu’ils défendent lui semblait la manière la plus juste de filmer la jeunesse mais son envie de déplacer les récits sur l’âge adulte lui donne envie maintenant de travailler avec des acteurs professionnels. Pour le reste, elle se révèle extrêmement fidèle à ses collaborateurs, y compris sa productrice, son assistant mise en scène, son monteur entre autres. « Comme j’ai fait mon premier film, sans court-métrage, j’ai compris ce qu’il se passait en le faisant, il y avait cette idée de grandir avec les autres. Le cinéma, ça a beaucoup à voir avec le collectif, l’amitié ». Cela a d’autant plus à voir car comme elle l’avoue, elle voit au fur et à mesure de plus en plus le lien entre les films et la vie.

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© Sauve qui peut le court métrage, Juan Alonso

La collaboration

Pour revenir à cette histoire de cinéma et d’amitié, on y croit très fort à voir les deux réalisatrices si complices dans la salle Gripel de la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand. Copines, on n’en sait rien. Collaboratrices, on en est sûr. Elles terminent ces deux heures de rencontres en dévoilant quelques anecdotes au sujet de leur rencontre qui a débouché sur une collaboration du premier long d’Aude Léa Rapin. Céline Sciamma a découvert son travail avec « Ton Cœur au hasard » alors qu’elles se connaissaient un peu avant par réseau amical. C’est leur vision de cinéma qui les a rassemblées. « C’est un film qui va parler de cosmonautes mais pas que… On est dans une phase de rencontres et de recherches. Là, je vais passer du temps à écrire et je retrouverai Céline plus tard autour d’une première version écrite. C’est une méthode empirique » confie Aude Léa Rapin. De toute façon, toutes les deux s’accordent à dire qu’il n’y a pas de prototype de collaboration, c’est le projet qui impose la nature de celle-ci. « C’est intéressant de passer d’un projet à l’autre mais fondamentalement sans abandonner son identité de metteur en scène car il y a de la mise en scène dans l’écriture et ça ne veut pas dire imposer sa mise en scène. C’est juste qu’on est capable d’accueillir celle de l’autre, avec lui, pour lui ».

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A les écouter, on se prête, comme elles, à rêver d’univers qui n’existent pas encore vraiment mais dont on sait déjà qu’elles mettent toute leur empathie et leur sensibilité à le créer et le fantasmer. Deux heures sont passées et le dernier mot de la rencontre sera « poreux ». C’est drôle, ça les fait rire et ça fait rire le public aussi mais à bien y réfléchir ce mot leur va si bien, tant l’une et l’autre ont fait l’étendue de leur humanité et de leur ouverture tout au long de cette rencontre. On sent chez elles, au-delà de la personnalité tout en nuances de leurs films, le désir de réinventer la forme et le fond au gré du désir, du temps qui passe et de tout le reste qui font d’elles des cinéastes qui parlent du monde à travers des histoires de l’intime.

Ludovic Delbecq

Festival de Films de Femmes de Créteil, le palmarès

Le 38ème Festival de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne s’est achevé hier soir à la Maison des Arts de Créteil. Voici le palmarès, côté courts.

Meilleur Court métrage étranger : Women in sink d’Iris Zaki (Royaume-Uni / Israël)

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Court métrage français, Prix Ina Réalisatrice créative (meilleur court métrage francophone) : Vers la tendresse d’Alice Diop (France)

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Meilleur court métrage européen : Le Sommeil des amazones de Bérangère McNeese, Belgique

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Prix Format Court : A Strong Woman de Iwona Kaliszewska et Kacper Czubak (Pologne)

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Prix « Programmes courts et Création Canal + : Clumsy Little Acts of Tenderness de Miia Tervo, Finlande

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A Strong Woman de Iwona Kaliszewska & Kacper Czubak, Prix Format Court au festival de Créteil

La clôture du 38ème Festival de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne s’est déroulée hier soir à la Maison des Arts de Créteil. Pour la première fois, Format Court y remettait un prix au sein de la compétition internationale.

Le Jury Format Court (composé de Katia Bayer, Marie Bergeret, Adi Chesson, Ludovic Delbecq et Zoé Libault) a choisi de récompenser, parmi les 16 films sélectionnés, « A Strong Woman » de Iwona Kaliszewska et Kacper Czubak, un documentaire sur un lieu méconnu (le Daghestan) et une femme en lutte contre les hommes et la solitude, mais aussi une proposition sensible sur le choix et la dignité dans une société machiste et patriarcale.

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A Strong Woman de Iwona Kaliszewska et Kacper Czubak. Documentaire, 16′, 2014, Pologne, Stowarzyszenie Filmowcow Polskich – Studio Munka

Synopsis : Le portrait d’une femme dans un village du Daghestan. À l’encontre du monde patriarcal qui l’entoure, elle adopte une attitude anticonformiste. Dans son combat, quelque chose se révélera utile : son expérience, du temps de l’ère soviétique, lorsqu’elle était championne de lutte…

Pour rappel, le film primé bénéficiera d’un dossier spécial en ligne, sera projeté le jeudi 14 avril prochain à l’occasion de la prochaine séance Format Court au cinéma Le Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Enfin, la réalisateur bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.

Rendez-vous au Fife du 5 au 12 avril (Cinéma des Cinéastes) & à l’Happy Biz de Format Court le 11 avril !

Le 33ème Festival international du film d’environnement (Fife) présentera, en entrée libre du 5 au 12 avril au Cinéma des Cinéastes, une centaine de films – dont de nombreux courts – et une sélection de web-documentaires consacrés à la planète au Cinéma des Cinéastes.

Pendant le festival, trois sections compétitives permettront notamment de découvrir une large sélection de films courts venus d’Europe, mais aussi d’Uruguay, d’Afrique du Sud ou du Japon : des courts métrages, des documentaires courts et, pour les petits, une section “Eco Bambins”.

Retrouvez le détail des séances sur la grille des programmes et venez rencontrer les nombreux réalisateurs présents après chaque séance !

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Super info. Le festival clôturera ses rencontres professionnelles avec un « Happy Biz » (un pot heureux) en invitant Format Court le lundi 11 avril de 18h à 20h en partenariat avec Champagne Fleury (des bulles, des bulles !). L’occasion de découvrir les activités de notre site de référence devenu incontournable, mais aussi d’échanger dans un espace convivial avec les invités du festival et les professionnels du court métrage !

Rendez-vous au Cinéma des Cinéastes dès le 5 avril pour l’ouverture du festival et le lundi 11 avril à 18h30 pour l’ »Happy Biz » de Format Court !

En savoir plus sur le festival : http://fife.iledefrance.fr/

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Fiche technique

Synopsis : Sergiusz, dix-sept ans, se sent incompris par sa famille. Le garçon se réfugie dans sa grande passion, le monde de la science-fiction.

Genre : Fiction

Durée : 27’

Pays : Pologne

Année : 2014

Scénario : Kordian Kądziela

Réalisation : Kordian Kądziela

Image : Piotr Chodura

Son : Jan Moszumanski

Montage : Magdalena Chowanska

Musique : Piotr Kotas, Mariusz Goli

Interprétation : Marcel Borowiec, Kacper Borowiec et Barbara Lubos

Production : Krzysztof Kieslowski Faculty of Radio and Television, Université de Silesia

Articles associés : la critique du film, notre reportage : Kordian Kadziela, le vrai du faux & l’interview de Kordian Kadziela

Symphony no. 42 de Reka Bucsi

Animation, Hongrie, 9’33, 2013, Moholy-Nagy University of Arts and Design

Synopsis : Un récit qui présente, de façon originale, un univers subjectif en 47 scènes. Des événements de la vie quotidienne mettent en évidence la cohérence irrationnelle du monde qui nous entoure. Des situations surréalistes qui mettent en scène les humains et leur rapport à la nature.

Souvenez-vous. Ayant commencé sa carrière à Berlin avant de faire un super parcours en festival et d’être shortlisté pour les Oscars 2015, Symphony no. 42 de Réka Bucsi, faisait partie de notre programme spécial conçu pour le Jour le plus court autour du thème de l’insolence.

Bonne info : depuis un mois, le film est disponible en ligne. L’occasion de retrouver ses nombreuses vignettes cocasses et colorées sur l’homme, l’animal, la nature et l’absurdité du monde qui les entourent. Du renard perplexe à l’éléphant emprisonné, des cow-boys à ballons à la liseuse de bonne aventure, des baleines du Sri Lanka à la symphonie n°9 de Beethoven, Réka Bucsi ne lâche rien, le temps d’un film d’école, bouclant sa boucle et laissant une poignée de mystère, de finesse et d’humour derrière elle.

Katia Bayer

3ème Prix Format Court au Festival de Brive

Le mois prochain, Format Court attribuera pour la troisième année consécutive un prix à l’un des 22 films sélectionnés en compétition européenne au 13ème Festival de Brive (5-10 avril 2016). Le Jury Format Court (composé de Paola Casamarta, Nadia Le Bihen-Demmou, Gary Delépine) élira le meilleur film en compétition.

Le moyen-métrage primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Films en compétition

– BODY de Léonor Serraille, France
– DES JOURS ET DES NUITS SUR L’AIRE de Isabelle Ingold, France
– DIE KATZE de Mascha Schilinski, Allemagne
– FULL THROTTLE III – END TIMES de Renger van den Heuvel, Pays-Bas – Autriche
– GANG de Camille Polet, France
– JE MARCHE BEAUCOUP de Marie-Stéphane Imbert, France
– L’ILE JAUNE de Léa Mysius et Paul Guilhaume, France
– LA BANDE À JULIETTE de Aurélien Peyre, France
– LE DIEU BIGORNE de Benjamin Papin, France
– LE GOUFFRE de Vincent Le Port, France
– LE JARDIN D’ESSAI de Dania Reymond, France
– LE MALI (EN AFRIQUE) de Claude Schmitz, France – Belgique
– LES NOUVELLES GEISHAS DES BUVEURS SOLITAIRES de Momoko Seto, France
– LES RONDS POINTS DE L’HIVER de Louis Séguin et Laura Tuillier, France
– LES ROSIERS GRIMPANTS de Lucie Prost et Julien Marsa, France
– MARIA DO MAR de João Rosas, Portugal
– POINT DU JOUR de Nicolas Mesdom, France
– TÉLÉCOMMANDE Anonyme, France
– THE MASKED MONKEYS de Anja Dornieden & Juan David González Monroy, Allemagne – Indonésie
– VERS LA TENDRESSE de Alice Diop, France
– VILA DO CONDE ESPRAIADA de Miguel Clara Vasconcelos, Portugal
– 6×6 de Pauline Lecomte et Marine Feuillade, France

Des millions de larmes de Natalie Beder

Le premier film de Natalie Beder, en tant que réalisatrice et scénariste, ayant fait ses débuts à Locarno, a été sélectionné au 38ème festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en compétition nationale, il l’est également au festival d’Aubagne ayant lieu actuellement. « Des millions de larmes » nous emplit d’une mélancolie agréable devant un homme d’un certain âge (joué par André Wilms) et une jeune fille (Natalie Beder) que la pluie réunit sous un même toit : un café-restaurant.

Dans chaque poème se cache quelque chose de dur. Chez Natalie Beder la poésie prend tout son sens. Cette dureté se révèle au fur et à mesure dans le film, c’est un sentiment qui se répand telle une goutte d’eau traversant votre vêtement et vous assénant des frissons d’humidité.

En quelques instants, dès les prémices du film, on sent que ce film ne nous laissera pas indifférent face aux métaphores, expression d’une mélancolie vécue, une mélancolie passée.

Un couteau, quelques pièces dans une chaussette et du vernis rouge clairsemé sur ses ongles, la jeune fille est clairement fatiguée et trempée.

La conversation s’engage avec cet homme d’une soixantaine d’années. Il semble perdu, comme ce café-restaurant, au milieu de nulle part. Elle, interrompant ce regard qui contemple passablement les gouttes d’eau tombant et s’écrasant contre la vitre, semble acharnée. Elle va quelque part, semble déterminée. L’échange est froid, rude et hermétique. Une tension s’installe. Le vieil homme reste silencieux, et renfermé. Quelque part sous l’apparence de sa vieillesse, se cache une blessure, le visage fatigué par la vie, il semble perdu dans ses silences. Il ressemble à ces inconnus, passant le visage hagard dans des rues sombres.

S’engagent alors des échanges abrupts, parfois doux qui mettent en exergue une différence de style chez les deux personnages. Lorsque le regard d’André Wilms se pose sur la jeune fille, toute la contradiction de leurs caractères éclot. Ils ne se comprennent pas, mais vont prendre la route ensemble. Et c’est le long de celle-ci qu’ils vont se connaître.

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Une jeune fille qui se rattache à l’enfance lorsque vient le noir dans un hôtel avec ses ombres et son inconnu, un vieil homme excédé par des questions incessantes de la jeune fille. Les échanges dans cette voiture qui semblaient si calmes au demeurant deviennent inquiétants. Après la tendresse, viennent la colère et le chagrin. Un chaud-froid qui nous rappelle soudain la relation d’un père et de sa fille. Une paternité sûrement déchirée. Celle d’un homme égaré face à la désinvolture de celle-ci.

Et l’homme qui se voudrait peut-être père ou encore généreux sauveur induit de plus en plus ce questionnement sur cette relation. Qui est-il ? Qui est-elle ? Le tutoiement soudain ne nous laissera pas indifférents et accentuera d’ailleurs ce questionnement.

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Dans cette voiture, la crainte monte. L’agacement prend le pas et le film se transpose dans une nouvelle situation. C’est un papa agacé qui dispute sa fille. C’est à ce moment-là que l’on pourrait y voir l’allégorie de cette histoire. Peu importe, au final qui ils sont, quel est leur passé, ils ont cette importance qui montre que les erreurs antérieures prennent toujours le pas sur le présent malgré les regrets et toutes les larmes que l’on pourra verser.

C’est dans la disparition et la rupture que va s’accélérer l’histoire. Ce déséquilibre brutal dans la narration nous met en empathie sur ce regard usé et anxieux qui envahit le spectateur d’une souffrance réelle. Pourtant lorsque les deux personnages se retrouvent dans un restaurant pour la seconde fois, l’amusement, la complicité et la tendresse paternelle renaissent.

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Dans cette renaissance la réalisatrice joue sur la palette des émotions de cet homme. Un engagement et un parti pris qui, jusqu’au bout s’attachent à cet homme âgé. Les deux personnages poursuivent leur chemin au milieu de ces champs neutres d’émotions. Ils traversent des marais salants, des étendues d’eau, des paysages qui par la rigueur du format (4/3) amplifient le mouvement donné aux acteurs.

Ils s’approprient l’image, aux dépens des paysages volontairement évidés de toute « couleur », de tout relief. C’est une toile de fond à l’environnement gris neutre qui s’assombrit au fil de l’histoire. Cet équilibre parfait, que Natalie Beder instaure tout au long du voyage vers ce néant, nous emplit d’une mélancolie latente, sans cesse perturbée par les tête-à-tête abondants et riches de ces deux personnages déambulant dans ce vide esthétique. Ils s’affrontent, se disputent, mais s’obstinent à se rapprocher. Et lorsque la peur et la suspicion sur ces deux êtres s’installent, cette étrange tension amène à des questionnements de plus en plus prononcés sur cette relation qui s’opère entre eux.

L’on rajoutera également ces brefs moments musicaux qui instaurent tout en délicatesse une composition douce et fine du compositeur Romain Trouillet, une simplicité qui élabore deux passages obscurs et métaphoriques de ce film. Le premier induit la symbolique de ce court-métrage par cet étang et ces roseaux reflétant la nuit. Cette bougie flottant dans l’eau évoque une métaphore du malheur relative à l’histoire. Le second corrélé au premier, relate la disparition et la peur de l’homme d’avoir perdu la jeune fille. Une maitrise parfaite de cette simplicité musicale : en seulement quelques notes, elle implique le spectateur.

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Et lorsque, doucement, l’on coule sur la fin, l’atmosphère s’assombrit, la route se termine dans un bâtiment sombre, l’accompagnement et cet attachement entre ces deux personnages et leur tendresse prennent subitement une autre tournure. Ici, encore on est marqué par une rupture dans la narration. Une rupture qui semble plus définitive. Le visage terne et le tonnerre se rassemblent, les larmes prennent le pas. Nous sommes dans l’entonnoir des émotions. Quelque part, l’histoire touche à sa fin et peut-être, les questions également.

La notion d’herméticité n’existe plus. L’absence se fait sentir. Le deuil d’un souvenir se presse. Les deux personnages doivent se mettre à l’abri de la pluie. Le vieil homme arrivé au bout de sa route a le souffle coupé.

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L’allégorie est plus que présente dans la scène de fin, puisqu’on touche au paroxysme de ce film. La peur et l’angoisse sont autant d’images et de symboles qui s’entremêlent et ces sentiments qui bataillent dans l’esprit de cet homme se retrouvent durs. Il est effrayé tel un enfant. Ici les larmes sont la pluie et celle-ci coule jusqu’à s’abattre sur l’homme comme pour rincer cette hallucination, ces regrets, cette tristesse qu’il emmène avec lui depuis le début.

Fort en symboles et en allégorie, « Des millions de larmes » est une illustration parfaite du pouvoir du cinéma dans le ressenti du spectateur. Le spectateur regarde le film, tout en non-dits, tel un livre dont il tourne les pages voire les dévore. On se plonge dans ces regards et ces personnages pour connaître leur histoire, leur passé et peut-être leur devenir.

Clément Beraud

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M comme Des millions de larmes

Fiche technique

Synopsis : C’est l’histoire d’une rencontre dans un café-restaurant désert le long d’une route. Un homme d’une soixantaine d’années qui attend là. Une jeune femme fait son entrée, un sac sur le dos, sa vie dedans et la mine passablement fatiguée. Il lui propose de l’avancer. Elle accepte.

Genre : Fiction

Durée : 22’

Pays : France

Année : 2015

Réalisation : Natalie Beder

Scénario : Natalie Beder

Image : David Chambille

Son : Jean-Michel Tresallet

Montage : Louise Decelle

Interprétation : André Wilms, Natalie Beder, Myriam Tekaia

Production : Yukunkun Productions

Article associé : la critique du film

Naomi Kawase, Présidente du Jury de la Cinéfondation et des Courts métrages

En 2015, la section Un Certain Regard ouvrait ses portes avec « Les Délices de Tokyo » (An) de Naomi Kawase. La réalisatrice japonaise retrouvera Cannes en mai prochain à la tête du Jury de la Cinéfondation et des Courts métrages pour sa 69e édition.

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À 27 ans, Naomi Kawase devient la plus jeune lauréate à recevoir en 1997 la Caméra d’or pour son film « Suzaku (Moe no Suzaku) ». Une découverte dont la promesse ne cessera de se confirmer, comme en témoignent les sélections en compétition de ses longs-métrages suivants : « Shara » (Sharasojyu) en 2003, « La Forêt de Mogari » (Mogari no Mori) en 2007, « Hanezu l’esprit des montagnes » (Hanezu no tsuki) en 2011 et « Still the Water » (Futatsume no mado) en 2014. En 2013, c’est en tant que membre du Jury des longs métrages que Naomi Kawase siège sur la Croisette aux côtés de Steven Spielberg.

Nouveau concours de scénario 5×2

La Cinémathèque de Grenoble et le Grec organisent depuis 1998 un concours de scénario de court-métrage dans le cadre du Festival du film court en plein air de Grenoble. Depuis 2014, ce concours propose la réalisation de 5 x 2 minutes par un même auteur dans un même lieu.

Le lauréat du concours réalise son projet grâce à une bourse du Conseil Général de l’Isère et un préachat de France 2. Le Grec en est le producteur. Les trois premiers lauréats bénéficient d’un stage de réécriture à Grenoble.

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Le film du lauréat sera diffusé lors du Festival du Film Court en plein air de Grenoble, et dans Histoires courtes sur France 2. Il sera également mis en ligne sur les sites internet de France 2, de la Cinémathèque de Grenoble et du Grec.

Date limite de candidature : lundi 2 mai 2016.

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Infos

http://www.grec-info.com/concours.php

http://www.cinemathequedegrenoble.fr/actualites/festival/concours-de-scenario-2016-lappel-a-projet-est-lance-3783.html

Maman(s) de Maïmouna Doucouré

Mention spéciale Prix France Télévisions au festival de Clermont-Ferrand, « Maman(s) » interroge sur les effets de la polygamie au sein d’une famille jusqu’alors monogame. C’est à travers le regard d’Aida, une jeune enfant de 8 ans, que nous observons sa mère subir l’arrivée d’une autre femme sous son toit. De manière intelligente et précise, la réalisatrice Maïmouna Doucouré nous pousse à la réflexion sans pour autant influencer notre jugement sur la polygamie.

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« Maman(s) » est le deuxième court-métrage réalisé par Maïmouna Doucouré. Son premier film « Cache-cache », tourné dans le cadre du concours HLM sur court, racontait l’histoire d’un groupe d’enfants à la recherche de leur camarade disparu dans une cité. Son nouveau court-métrage sorti en 2015 a déjà un beau parcours. Auréolé de deux prestigieuses récompenses, le prix du jury au festival de Sundance et le prix du meilleur court-métrage au festival de Toronto, il a reçu cette année une mention spéciale Prix France Télévisions au festival de Clermont-Ferrand.

« Maman(s) » raconte l’histoire d’Aida, 8 ans, qui attend avec impatience le retour de son père parti en voyage. Au sein d’une famille d’origine sénégalaise, elle évolue dans un appartement à l’ambiance chaleureuse et tamisée.

Ce court-métrage s’ouvre sur une scène qui n’est pas sans rappeler le générique du film « Du silence et des ombres » de Robert Mulligan (1962). Filmées en très gros plans, les mains d’un enfant s’adonnaient au coloriage d’une maison maladroitement dessinée. De la même manière, Aida dessine sa famille et le lieu dans lequel elle vit. Au loin, derrière les murs de sa chambre, on entend les rires étouffés de sa mère. C’est un moment rassurant, où le bonheur est palpable à l’approche du retour de l’être aimé.

Dans le film de Robert Mulligan, ce dessin, symbole fort d’une famille unie, présageait d’un bouleversement. Baignant jusqu’alors dans une enfance libre et protégée, les jeunes héros du film allaient basculer vers un autre âge, où le monde adulte se révélerait à eux dans tout ce qu’il avait de plus violent et injuste. Le court-métrage de Maïmouna Doucouré traite aussi d’un bouleversement durant cette période si fragile qu’est l’enfance. Aida va faire l’expérience d’un drame au sein de sa famille, un dysfonctionnement qui va la faire chavirer loin de sa zone de confort.

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La porte de l’appartement s’ouvre joyeusement : le père tant attendu est là, dans tout ce qu’il a de plus beau, de plus resplendissant. Et pourtant, derrière lui dans la pénombre, une femme l’accompagne, elle porte dans ses bras un nouveau né. L’enthousiasme se feint progressivement, un non-dit s’installe. Et c’est là toute la force et la sagesse de ce court-métrage : au lieu de critiquer frontalement la polygamie, la réalisatrice interroge sur cette pratique en faisant un constat précis des dommages collatéraux qu’elle peut engendrer.

Progressivement, l’appartement se transforme, il devient exigu. Une pièce doit se libérer pour la nouvelle femme et son bébé, Aida va devoir emménager dans la chambre de son frère. Elle observe secrètement son ancienne chambre transformée, où un lit deux places est maintenant installé. Trop grand, il semble ne pas tenir entre les murs. Maïmouna Doucouré filme ce lit vide avec les draps froissés, comme pour nous montrer dans un sous-entendu faussement pudique, la place que la sexualité a dans ce nouveau ménage.

C’est par toutes ces observations qu’Aida prend conscience du jeu sous-jacent d’une sexualité multipliée, d’un désir dupliqué. Une découverte progressive qui se fait aussi en observant le corps de cette nouvelle femme qui se déshabille et surtout le corps de son père torse nu traversant le couloir pour la retrouver. L’ultime constat de ces observations sera le résultat même de ce second mariage : un nouveau né qui par ses cris ne cesse de manifester sa présence dans cette famille qui n’est pas vraiment la sienne. En voyant le sein de cette femme qui nourrit son fils, le trouble s’empare d’Aida. Plus que pensive, elle se transforme.

Et c’est là toute la beauté de ce court-métrage : Aida se métamorphose sous nos yeux, une force nouvelle se déploie chez elle. Elle va se battre pour retrouver son équilibre familial, mais surtout pour protéger sa mère de ce tourment. Entre mère et fille, un jeu de miroir opère : c’est aussi son avenir de femme qu’Aida souhaite préserver en protégeant sa mère. La féminité de cette femme, son pouvoir de séduction, son estime d’elle-même sont mis à l’épreuve par l’arrivée d’une autre épouse. Pour Aida, cette prise de conscience aiguë de ce qui se trame sous ses yeux s’apaisera au contact d’un amour binaire, loin de toutes convoitise extérieur : l’amour maternel.

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La réussite de ce court-métrage tient aussi par sa mise en scène rigoureuse qui met en avant le jeu des acteurs. Les silences et les regards lourd de la jeune Sokhna Diallo qui interprète Aida, transpercent souvent l’écran pour nous dire toute la gravité de la situation. En nous immergeant entre les murs d’un appartement, la réalisatrice, sans porter de jugement précis, nous pousse à réfléchir sur la polygamie et ces enjeux, tout en étant dans l’empathie de chacun de ces personnages. Il est impossible de sortir de ce court-métrage sans porter une réflexion, ou du moins sans s’interroger un instant sur cette pratique qui reste encore trop peu remise en question.

Sarah Escamilla

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M comme Maman(s)

Fiche technique

Synopsis : Aida, huit ans, habite un appartement de banlieue parisienne.

 Le jour où son père rentre de son voyage au Sénégal, leur pays d’origine, le quotidien d’Aida et de toute la famille est complètement bouleversé : le père n’est pas revenu seul, il est accompagné d’une jeune sénégalaise, Rama, qu’il présente comme sa seconde femme.

 Aida, sensible au désarroi de sa mère, décide alors de se débarrasser de la nouvelle venue.

Genre : Fiction

Durée : 21′

Pays : France

Année : 2015

Réalisation : Maïmouna Doucouré

Scénario : Maïmouna Doucouré

Image : Yann Maritaud

Son : Clément Maléo

Montage : Sonia Franco

Interprétation : Sokhna Diallo, Maïmouna Gueye, Azize Diabate, Eriq Ebouaney, Mareme N’Diaye

Musique : Viviane N’Dour

Production : Bien ou Bien Productions

Article associé : la critique du film

Rappel. Soirée Format Court, ce jeudi 10 mars 2016 !

Pour la quatrième année consécutive, le magazine en ligne Format Court accueille le Festival Européen du Film Court de Brest pour une nouvelle séance Best of Brest !

Cette soirée spéciale, composée de 4 courts-métrages français, polonais, grecs, allemands et croates, aura lieu ce jeudi 10 mars 2016, à 20h30, au Studio des Ursulines (Paris 5e) en présence de nos invités : Fabienne Wipf, directrice du festival, Daphné Hérétakis, réalisatrice de « Archipels, granites dénudés » et l’équipe de « Coach » de Ben Adler, Prix spécial du jury au festival de Brest 2015.

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En pratique

– Jeudi 10 mars 2016, à 20h30, accueil : 20h. Durée de la séance : 81′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com
Évènement Facebook : ici !

Chabname Zariab : « Dans un roman on peut écrire les sensations du personnage tandis que dans un film il faut pouvoir les montrer. Mais il s’agit toujours de raconter une histoire »

« Au bruit des clochettes » est le premier court métrage de Chabname Zariab. Cette co-production franco-tunisienne présentée en compétition nationale au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a remporté le prix de la meilleure première oeuvre de fiction décerné par la SACD. Avec ce film, Chabname Zariab aborde un sujet tabou, celui des réseaux de pédophilie en Afghanistan. Rencontre avec une jeune auteure qui nous parle de son pays meurtri et de la difficulté d’y faire du cinéma.

Chabname Zariab

Qu’est-ce qui t’a amené vers la réalisation de films ?

J’étais expert en dommage pour une compagnie d’assurances. J’avais écrit un roman, « Le Pianiste afghan », j’étais déjà dans l’écriture et j’étais très cinéphile. J’ai aussi un rapport très particulier à l’image et aux films en général, que ce soit pour le cinéma ou la télévision, car quand je suis arrivée en France je ne parlais pas le français et pour une grande partie des immigrés, tout cet apprentissage se fait aussi par la télévision et le cinéma. J’avais aussi la chance d’avoir une mère très cultivée et très littéraire qui nous a baignés dans le cinéma et la littérature. C’est une dévoreuse de livres. Même à l’adolescence, dans ce moment ou on est peut-être plus proches de l’amusement que des livres, elle nous lisait des romans. C’est elle qui m’a transmis ça.

Comment as-tu choisi le sujet des Bacha bazi pour ton premier court métrage « Au bruit des clochettes » ?

C’est un sujet que je ne connaissais pas personnellement mais dont j’avais entendu parler et qui était assez vague, sur lequel je ne m’étais pas attardée. Même si c’est dramatique, je pensais que ça se passait dans des zones très reculées d’Afghanistan. Finalement j’ai vu “The Dancing Boys of Afghanistan”, le documentaire du journaliste Najibullah Quraishi, qui a infiltré les réseaux de bacha, et se faisait passer pour un homme à la recherche d’un jeune garçon. Ce documentaire m’a vraiment bouleversée parce qu’on y explique que c’est un phénomène qui s’étend de plus en plus. Dans les pays musulmans il y a une espèce d’hypocrisie, parce qu’à un moment donné, la scission entre la société des hommes et celle des femmes crée des troubles presque psychiatriques. Il y a des pulsions qui existent et qu’il faut évacuer et les premiers à en pâtir sont les enfants.

Au bruit des clochettes-Chabname Zariab

Finalement, dans une société qui rejette l’homosexualité, c’est une pratique surprenante.

C’est même entre l’homosexualité et la pédophilie. Mais en même temps, ça ne s’y apparente pas vraiment car il y a un travestissement qui se fait. Ces enfants sont quand même déguisés en fille. C’est quasiment schizophrénique.

Penses-tu que ce film aurait pu être produit ou réalisé en Afghanistan ?

Il n’aurait pas pu y être produit car nous n’avons pas de structures de financement, pas de sociétés de production à l’image des sociétés européennes. Il y a Afghan Film, une structure gouvernementale qui accueille les tournages en Afghanistan et qui permet d’offrir une certaine forme de sécurité pour que les films puissent y être tournés. On ne pouvait pas le financer là-bas mais une fois qu’on a obtenu les financements en France, je voulais vraiment tourner en Afghanistan, à Kaboul plus précisément, et ma productrice était plutôt d’accord. Le moment où nous avons décidé de tourner coïncidait avec les élections présidentielles et le pays à commencer à devenir un peu instable. Ma productrice, qui y envoyait tout de même toute une équipe, n’a pas voulu prendre la responsabilité de mettre cette dernière en danger. Elle avait déjà travaillé en Tunisie et on finalement recréé l’Afghanistan là-bas. Je suis contente du résultat, c’est assez crédible.

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Existe-t-il des réseaux de diffusion pour un sujet aussi tabou que celui-ci en Afghanistan ?

Il existe des festivals qui commencent à naître, notamment un festival de femmes, un peu comme le Festival de Films de Femmes de Créteil. Il a été créé à Herat dans le nord de l’Afghanistan par trois réalisatrices. Il y a des réalisatrices brillantes en Afghanistan, mais sans sociétés de production c’est très difficile de mettre en place des projets. Elles le font quand même, elles se battent et arrivent à réaliser de très beaux projets, principalement documentaires, parce que ça coûte moins cher que la fiction, mais il y a vraiment une jeunesse brillante.

Est-ce qu’il y a des difficultés à organiser ce genre d’événement ?

Non parce qu’elles les organisent dans des régions qui sont assez ouvertes. Il y a des gouverneurs qui aident les festivals à se faire. Mais c’est une société malade et on ne peut pas non plus lui en vouloir quand on considère les trente années de guerre qu’elle a vécues. Ça ne laisse pas indemne. Ça bouleverse. Toute l’éducation, toute la vision qu’on a pu avoir peut tout à coup s’effondrer et il faut tout reconstruire. Mais cela se fait petit à petit.

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Comment as-tu rencontré le comédien principal de ton film, Shafiq Kohi ?

Je suis très fière de Shafiq. On a envoyé une annonce de casting un peu partout et Shafiq a été le premier candidat. J’ai appelé ma productrice aussitôt pour lui dire d’arrêter le casting. Elle m’a répondu que j’étais folle, qu’on ne pouvait pas s’arrêter là, qu’il fallait à tout prix que je voie d’autres personnes. Quand je l’ai vu et qu’on a fait des essais, ça s’est confirmé. Lorsque j’ai commencé à l’habiller et à le maquiller pour voir ce que ça donnerait à l’image, j’étais absolument convaincue. C’était une très belle rencontre. Shafiq est un comédien professionnel qui est venu assez jeune d’Afghanistan, il fait partie du groupe Aftaab de Ariane Mnouchkine depuis dix ans et a été formé au Théâtre du Soleil. Il n’est pas danseur mais il a fait un travail de danse incroyable. On a fait la chorégraphie ensemble, il fallait qu’il ait une certaine grâce et qu’il puisse adopter des gestes très féminins. Je dansais et il me suivait. Ariane était très contente car c’est également le fruit de son travail. Elle nous a prêté le Théâtre du Soleil pour les répétitions et j’avais du coup ce comédien et cet espace incroyables pour travailler.

Comment, avec le chef opérateur, avez-vous mis en place cette très belle scène finale de danse ?

Avec le chef opérateur, Eric Devin, également ça a été une rencontre extraordinaire. J’avais une image et une durée très précises en tête, je ne voulais pas de cut. Ça a été assez terrible parce que nous avons tourné les deux scènes de danse sur une journée, en Tunisie, sans climatisation, par 40 degrés. Les grelots que Shafiq porte pèsent chacun 4kg et il a dansé sept heures, enfermé avec les techniciens dans cette petite maison. J’avais une pression parce qu’en Tunisie, quand la journée de travail se termine à 19h, tout le matériel est posé et tout le monde s’en va. Pour cette dernière scène où il tourne sans s’arrêter, il était déjà très tard et il a fallu le faire en une seule fois, que tout soit réussi en une séquence. Les figurants s’affaissaient de plus en plus et au bout d’un moment je leur ai demandé de sortir parce qu’ils n’étaient plus dedans et qu’il fallait tout de même qu’on garde cette intensité. J’ai donc demandé à Éric de cadrer très haut, uniquement sur Shafiq. Je suivais de l’extérieur sur l’écran car c’était filmé en caméra portée à l’épaule et Eric s’enfermait avec Shafiq et le faisait danser. Au départ, je voulais un plan beaucoup large, dans le style des derviches tourneurs. Finalement, on ne voit plus la robe et on perd cet effet, mais ça marche très bien, je suis contente du résultat. Il y a une réécriture au montage et finalement le film est très travaillé jusqu’à ce qu’on arrive à une version regardable.

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Comment as-tu abordé l’écriture de ce film après avoir écrit un roman. Était-ce ton premier scénario ?

Ce n’était pas mon premier scénario. Je pense que la construction n’est pas si différente. Le scénario est très dialogué, on écrit pas et ne traduit pas de la même façon les émotions des personnages. Dans un roman on peut écrire les sensations du personnage tandis que dans un film il faut pouvoir les montrer. Mais il s’agit toujours de raconter une histoire. Pour moi les deux exercices sont assez liés.

L’écriture et le montage de ce projet ont-ils été longs ?

Ça n’a pas été long mais c’est un projet que j’avais laissé de côté. Je l’avais écrit au moment où j’avais vu ce documentaire, et c’est ma rencontre avec Judith Lou Lévy, ma productrice (Les Films du Bal), qui a fait que je l’ai ressorti. Elle travaillait dans une autre société de production où elle était conseillère en développement et où j’ai développé un long métrage, et elle m’avait demandé de lui proposer d’autres projets. Je lui en ai montré trois. Elle réfléchissait à quel projet prendre et je l’ai un peu devancé en lui disant que « Au bruit des clochettes » me plaisait d’avantage et je l’ai envoyé au CNC. On a eu un très bon retour et on m’a demandé de réécrire quelques passages pour le représenter. Tout s’est fait très vite car nous avons obtenu la contribution financière du CNC puis, quelques semaines plus tard, Arte a préacheté le projet, on a donc pu préparer le tournage. Par la suite, nous n’avions plus d’argent pour la post-production car le tournage en Tunisie a coûté très cher. On a alors eu la chance que Dom Dom Films nous ait quasiment offert la post-production.

Envisages-tu un passage au long métrage ainsi que d’autres films courts ?

Oui. Je prépare actuellement un autre court métrage, on est vers la fin de l’écriture. En parallèle, je suis en train de développer un long métrage qui s’appelle « Les Intégrés » et qui parle de cette notion d’intégration qui me semble un peu étrange,;j’ai un rapport particulier avec ce mot. Je pense qu’on vit en France une crise sémantique et que ce sera le sujet du film.

Propos recueillis par Agathe Demanneville

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