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Semaine de la Critique 2016, palmarès des courts sélectionnés

La 55ème édition de la Semaine de la Critique s’est clôturée hier soir. Voici les deux courts-métrages récompensés lors de cette édition 2016.

PRIX DÉCOUVERTE LEICA CINE DU COURT MÉTRAGE : « Prenjak » de Wregas Bhanuteja (Indonésie)

Synopsis : Diah emmène Jarwo dans un entrepôt pendant la pause de midi. Elle dit avoir besoin d’argent rapidement. Elle propose à Jarwo d’acheter une allumette pour 10 mille roupies. Avec cette allumette, il pourra regarder le sexe de Diah.

PRIX CANAL+ DU COURT MÉTRAGE : « L’enfance d’un chef » de Antoine de Bary (France)

Synopsis : Vincent a 20 ans, c’est un jeune comédien à succès à qui on vient d’offrir le premier rôle dans le film de l’année : le biopic sur la jeunesse de Charles de Gaulle. Au même moment, ses parents partent vivre à Orléans et le poussent à emménager seul. Le film suit ses premiers pas dans l’indépendance.

I comme Il Silenzio

Fiche technique

Synopsis : Fatma et sa mère sont réfugiés kurdes en Italie. Lors d’une consultation médicale, Fatma doit traduire ce que le médecin dit à sa mère, mais la jeune fille garde le silence.

Genre : Fiction

Durée :  15′

Année : 2016

Pays : Italie, France

Réalisation : Ali Asgari, Farnoosh Samadi Frooshani

Scénario : Ali Asgari, Farnoosh Samadi Frooshani

Image : Alberto Marchiori

Son : Daniele De Angelis

Montage : Mauro Rossi

Musique : Matti Paalen

Interprétation : Fatma Alakuş, Cahide Özel, Valentina Carnelutti

Production : Kino Produzioni, Filmo

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani

Il silenzio d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani

Le Colombien Simón Mesa Soto, évoqué il y a quelques jours sur notre site, n’est pas le seul court-métragiste à revenir en compétiton officielle à Cannes cette année. L’auteur de « Leidi » (Palme d’Or il y a 2 ans) et de « Madre » (en lice cette année) se retrouve en effet dans la même catégorie qu’Ali Asgari, un auteur iranien que nous avions repéré il y a trois ans à Cannes avec le très beau « Bishtar Az Do Saat » (More than two hours). Depuis cette première sélection en 2013, Ali Asgari a réalisé un autre court-métrage remarqué, « The Baby » avant d’opter pour la co-réalisation avec sa compagne Farnoosh Samadi Frooshani avec qui il a signé « La Douleur » avant de tourner « Il Silenzio », retenu à l’officielle cette année.

Ali Asgari est un sans conteste un auteur à suivre. Mêlant simplicité, émotions, famille d’acteurs et véritable sens de la mise en scène, il arrive, de film en film, à toucher son spectateur. En solo, il a tourné deux films co-écrits avec Farnoosh Samadi Frooshani qui ont retenu l’attention des festivals. Dans « Bishtar Az Do Saat », ayant fait ses débuts à Cannes, deux jeunes gens tentaient, envers et contre tout, de lutter contre l’administration hospitalière (et en filigrane contre la société iranienne) après une première nuit passés ensemble.

Dans « The Baby », découvert à Venise, deux jeunes femmes cherchaient vainement une baby-sitter pour s’occuper d’un nourrisson devant resté caché aux yeux de tous. Dans « La Douleur » dans lequel Asgari s’est initié à la co-réalisation, un jeune homme atteint d’une rage de dents essaye tant bien que mal d’être reçu par un dentiste qui refuse obstinément de le prendre en consultation. Dans « Il silenzio », une mère et sa fille, réfugiées kurdes, se rendent à une consultation médicale. L’enfant se retrouve dans la délicate position de devoir traduire les mots du médecin à sa mère malade, mais reste murée dans le silence.

silence

D’un court à l’autre, des constances apparaissent : l’envie de filmer l’hôpital, de tourner de temps à autre avec les mêmes comédiens, de s’intéresser à l’intime, au secret, au tabou (la perte de la virginité, une naissance hors mariage, la séropositivité, la maladie), de travailler dans un cadre et une durée déterminée (15 minutes), d’aborder la question de la responsabilité de l’individu face au système, de parier sur une mise en scène simple et pudique.

« Il silenzio », montré ces jours-ci à Cannes, touche juste, directement, comme les films précédents. Sans fioritures, le film va à l’essentiel. Le personnage de la jeune Fatma est désarmant, cherchant sans cesse à reculer le moment fatidique où elle devra surmonter sa peur et révéler à sa mère la précieuse information qu’elle détient. Ce moment de silence qui s’éternise, les yeux grands ouverts de sa comédienne (touchante Fatma Alakuş), son plan et sa musique de fin, fort en émotions, laissent présager au film une Palme bien méritée, tant le reste de la sélection officielle se révèle bien décevant (hormis « La Laine sur le dos » de Lotfi Achour) et le désir de cinéma puissant chez ce duo de cinéastes n’ayant pas fini de d’explorer la question de l’intime et de la simplicité.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani

Festival Tous Courts, appel à films et à scnénarios

Le Festival International de Courts Métrages d’Aix-en-Provence (Festival Tous Courts) a lancé son appel à films (courts). Deux compétitions (internationale et expérimentale) se tiendront durant sa 34ème édition entre le 28 novembre et le 3 décembre prochain. Les films doivent avoir été achevés après le 1er janvier 2015 et leur durée ne doit pas excéder 30 minutes. Hormis cela, tous les genres et toutes les formes sont permis.

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Le Festival Tous Courts est également l’occasion pour les jeunes scénaristes de mettre en avant leur travail. L’Atelier Jeunes Auteurs accueillera en résidence 11 scénaristes durant le Festival. Ceux-ci seront coachés par une équipe de script-doctors afin d’améliorer leur projet de film et augmenter ses chances de trouver un producteur. Il doit s’agir d’un premier ou deuxième projet de court métrage.

Inscription aux compétitions (avant le 15 juillet) : http://festivaltouscourts.com/inscription2016/

Inscription à l’Atelier Jeunes Auteurs (avant le 29 juillet) : http://festivaltouscourts.com/atelierauteurs/

Madre de Simón Mesa Soto

Deux ans après avoir reçu la Palme d’or du court-métrage pour « Leidi », Simón Mesa Soto concourt de nouveau dans la même sélection au festival de Cannes 2016, avec son court-métrage « Madre ».

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Réalisateur colombien ayant étudié le cinéma à Londres, il retourne filmer dans son pays natal. Il s’intéresse avant tout aux jeunes adolescentes de Medellin, mégalopole colombienne, deuxième ville la plus peuplée du pays. Il réalise des portraits de femmes-enfants dont les conditions de vie les ont emmenées à grandir plus vite et à adopter des comportements de femmes avant l’âge. A l’instar de « Leidi » qui suivait une très jeune mère à la recherche du père de son enfant, « Madre » dévoile un court instant de la vie d’Andrea, adolescente de 16 ans. Le film se déroule sur une journée, celle où la vie d’Andrea bascule en entrant dans le monde glaçant de la pornographie.

La jeune fille est emprisonnée dans des cadres très serrés qui n’hésitent pas à lui couper un morceau du front, la laissant sans air et sans espace face à une décision irrévocable prise sans autre motivation que celle de l’argent. Pour autant, la caméra, si elle n’est pas fixe, est stable et fluide, ne créant ainsi pas de mouvement anxiogène. En effet, Andrea ne manifeste aucune angoisse, elle ne parait pas regretter son choix et appréhender l’acte qu’elle devra commettre avec calme et sérénité. Elle semble agir après mûre réflexion, pouvant alors répondre de manière assurée aux questions que lui pose son futur agent lors du casting passé, quitte à mentir avec aplomb sur son âge par exemple.

Cependant, l’hostilité du monde dans lequel elle s’intègre est suggérée avec quelques plans plus larges dévoilant l’arrière-plan ou quelques interactions sonores avec l’hors-champs. Ils laissent apercevoir les regards méprisants que les autres filles lui portent ou entendre la voix du directeur de casting posant les strictes conditions de son futur travail si elle l’accepte. Andrea, très justement interprétée par Yurani Anduquia Cortés, est pudique. En public, elle ne laisse transparaitre aucune émotion, ni dans sa voix, ni sur son visage. Seule une larme discrète coule le long de sa joue à la fin de cette journée éprouvante quand elle se retrouve enfin seule, libérant ainsi la lourde pression difficile à retenir par une femme qui n’est en fait encore qu’une enfant.

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Le film prend part dans un projet commun international « Break the Silence », regroupant trois autres réalisateurs primés à Cannes, Frida Kempff, Anahita Ghazvinizadeh et Sonejuhi Sinha, sur le thème de l’exploitation sexuelle infantile. En réponse à la commande, Simón Mesa Soto signe un film tout en retenue et suggestion, offrant aux jeunes femmes de son pays toute la considération qu’elles méritent.

Zoé Libault

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M comme Madre

Fiche technique

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Synopsis : Andrea, 16 ans, descend de son quartier sur les collines de Medellin pour assister à un casting porno en centre ville.

Genre : Fiction

Durée : 14′

Pays : Suède, Colombie

Année : 2016

Réalisation : Simón Mesa Soto

Scénario : Simón Mesa Soto

Image : Juan Sarmiento

Montage : Gustavo Vasco

Son : Andres Montaña Duret, Isabel Torres, Jose Valenzuela

Interprétation : Yurani Anduquia Cortés, María Camila Maldonado, Paulo De Jesús Barros Sousa

Production : Momento Film

Article associé : la critique du film

Import d’Ena Sendijarevic

Les refuges du cinéma

Comment la réalisatrice d’origine bosniaque Ena Sendijarevic a-t-elle perdu l’accent sur la dernière lettre de son nom ? C’est à cette question que semble faire écho son troisième film intitulé « Import » (après « Travellers into the Night » en 2103 et « Fernweh » en 2014). Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, le court-métrage se glisse dans un sillon contemporain alliant le style expérimental à la fable politique, lequel s’est ouvert admirablement ces dernières années notamment par Valéry Rosier avec ses pesants « Dimanches » (2011) et par Vladilen Vierny avec son fuyant « Exil » (2013). C’est donc d’abord dans la déliaison que le film travaille, dans les axes protéiformes que prend l’histoire d’une famille de réfugiés bosniaques arrivée au Pays-Bas au début des années 1990, rêvant d’inclusion quand la réalité offrait souvent des visages de haine et de rejet. Mais la réalisatrice troque toute tragédie du regard contre une mélancolie ironique de la vision. Et fond le pathétique dans la chaleur d’une image autobiographique qui, contre les tentatives d’exclusion, intègre et interroge.

Tentative de synchronicité sociale

Le réalisme propre à « Import » déplace la forme classique du film de montage. Il est d’abord porté par des situations, dont la disparité est la proie à une conjugaison méticuleuse. Dans un salon aménagé de manière rudimentaire, un homme joue une valse sur un orgue électronique. Dans la salle de classe d’une école primaire, on voit des élèves qui font un exercice de mathématiques. Dans le couloir d’un hôpital, on voit un homme expliquer à de jeunes femmes comment utiliser correctement les produits ménagers. Puis, s’enchaînent de cette manière des situations similaires, intrigantes autant dans leur perspective burlesque que dans leur multiplicité tronquée. En fait, à l’image, il y a moins d’actions que de transports (au sens sentimental du terme) : familiarité, haine, solidarité, peur, étonnement, etc. À travers eux, la ligne narrative, doucement, se dessine. On comprend que ces situations nous ramènent à l’exposition (pas si) énigmatique (que cela) d’une famille dont la particularité est de ne pas être (encore) chez elle. Le rhizome cachait un arbre généalogique et la dernière image du film nous en donne la preuve : la désunion du film se transforme finalement, sur le canapé du salon, en réunion de tous les protagonistes d’une seule et même famille. « Import » développe donc un réalisme par attraction.

À la recherche des visages

Si la méthode est peu banale, elle n’en est pas moins maîtrisée et émouvante. En effet, le film capte ce qui fait, à partir de chaque visage et surtout dans l’articulation des faces grimaçantes, liens et ruptures. Exemple de lien : un voisin vient offrir un vélo au père de la famille. Exemple de rupture : les deux sœurs sont insultées par leurs camarades de classe, sous des accusations à connotation xénophobe du genre : « Rentre dans ton pays ». La rectitude des cadres et la limpidité du sens appellent directement à des questionnements d’ordre politique : d’où provient le réflexe d’exclusion? Que signifie quotidiennement, dans une situation de migration contrainte, l’idée de liberté et d’exil? Le film soulève dans ses coupes franches l’idée qu’il y aurait des écarts et que face à eux, deux réactions sont possibles : le rejet en bloc, le partage avec l’autre. Mais il dit également que, loin des postures de “bonne conscience”, la question est davantage celle d’une position qui prend en compte la différence, sa propre différence.

Se reconnaître

L’impression finale rendue par « Import » est celle d’une tentative de reconnaissance de la réalisatrice à l’égard de sa propre histoire, elle-même bosniaque arrivée en Hollande à l’âge de sept ans. Or, rien de plus tiraillé qu’un tel processus, mais rien également du plus humain. L’image devient ainsi le refuge où la réalité de la guerre des Balkans (1991-1995) surgit d’un coup sur l’écran de télévision (le père étant en quête de brancher son antenne), et où le présent de l’image s’avère être l’expérience passée de la réalisatrice. Le film ne sépare pas mais semble embrasser, à l’image d’une mémoire individuelle que le cinéma propose, des sentiments désormais objectivés. Mais, comme une contre-mise en abîme, la reconnaissance du passé ne compare pas la guerre de là-bas avec la paix d’ici, mais ne confond pas non plus les combats absurdes d’anciens frères yougoslaves avec la difficile intégration sociale; l’image ne fait qu’exposer ce qui, dans cette situation extrême de vie, se lie malgré tout. Le film fait ressortir l’humanité de ces tentatives et de ces tourments.

Finalement, si la mère dans le film fait repartir le cœur d’un patient à l’hôpital, c’est au prix d’une obstination nécessaire. La question pointée par le film est donc moins celle d’un quelconque devoir moral que la construction d’une reconnaissance de soi et d’autre, autrement dit d’une démarche éthique. Et c’est justement dans l’espoir d’une contamination d’une telle démarche qu’un jour, la réalisatrice pourrait réclamer la récupération de l’accent sur la dernière lettre de son nom.

Mathieu Lericq

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Pour information, « Import » sera projeté ce jeudi 10 novembre 2016 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) lors de la séance Format Court, spéciale Pays-Bas, en présence de la réalisatrice

I comme Import

Fiche technique

Synopsis : En 1994, une jeune famille de réfugiés bosniaques se retrouve dans un petit village des Pays-Bas après l’obtention de leur permis de séjour. Les situations absurdes surviennent alors qu’ils essaient de faire de ce nouveau monde leur maison.

Genre : Fiction

Durée : 17’

Pays : Pays-Bas

Année : 2016

Réalisation : Ena Sendijarević

Scénario : Ena Sendijarević

Image : Emo Weemhoff

Son : Vincent Sinceretti, Taco Drijfhout

Montage : Lot Rossmark

Musique : Ella van der Woude, Juho Nurmela

Interprétation : Alena Dzebo, Aya Crnić, Esma Hrusto, Mario Knezović

Production : Pupkin

Article associé : la critique du film

Luciano Barisone : « La forme courte s’approche plus de la poésie, de l’aphorisme, de la pensée fragmentaire »

Le festival Vision du réel met en avant le cinéma documentaire à Nyon, en Suisse, depuis 1969. Luciano Barisone, son directeur depuis 2010 s’efforce de maintenir le festival dans sa continuité, suivant un axe qui lui est cher. Pour Format Court, il est revenu sur son lien au documentaire et sa passion pour LE cinéma.

Luciano-Barisone

Pouvez-vous me parler de Visions du réel, de sa spécificité et de son lien au documentaire ?

Le documentaire n’est pas en soi une spécificité. Je n’aime pas les distinctions. Le documentaire n’existe pas. Il n’existe que LE cinéma. Et si on veut parler du cinéma du réel, c’est une forme de cinéma.

La spécificité de Vision du réel – si cela en est une – mais que l’on affirme même dans notre règlement – se traduit en deux composantes : d’un côté le « réel », c’est-à-dire le monde physique mais aussi la perception que les êtres humains en ont. De l’autre côté, les « visions ». La vision est plus qu’un regard, c’est avoir un projet pour le monde. C’est capter, imaginer dans le présent, les traces d’une évolution dans le futur.

Mon précurseur (Jean Perret) tenait déjà cette ligne, mais c’est une idée que j’avais déjà en tête dans les festivals pour lesquels je travaillais. Le concept de « réel » est obscur et abstrait. Il faudrait comprendre comment le définir. La réalité, c’est ce qui nous entoure, ce que l’on peut capter avec nos sens. Au discours du réel est connecté l’idée de l’objectivité et l’idée de vérité. Je pense que ce sont deux choses qui n’existent pas. Ma vérité ne peut pas être la vôtre. Un film objectif se conçoit selon mon objectivité, il est donc forcément subjectif. Tout ce qui passe à travers les sens de l’homme ne peut être que subjectif. Tout ce concept d’objectivité et vérité, nous aimons donc le remettre en doute.

Dans la composition du festival, le mot vision est connecté avec l’acte de voir mais également au-delà ; on parle de quelque chose que l’on voit mais qui est construit pour autre chose.

visions-du-reel-2016

Une idée du monde peut-être, encore une fois, subjective. Il ne peut y avoir que des visions du réel. Tout cela correspond à la ligne du festival. La pluralité des regards et des visions est fondamentale. Nous ne voulons pas nous définir dans une espèce de piège que l’on aurait construit nous-mêmes, où l’on dirait que nous nous intéressons qu’à une seule chose. La variété est ce qui compose la beauté du monde dans son sens positif et dans son sens négatif.

Lors des sélections, nous sommes sept à choisir les films, en plus une dizaine de consultants. Nous comptons donc sur une pluralité de regards et de conseils. Nous élaborons une trentaine de missions à l’étranger pour voir et découvrir toujours plus de variétés. La seule chose sur laquelle nous sommes d’accord, c’est que le film doit être du cinéma.

Lorsque je regarde les autres, j’obtiens des informations, mais je ne peux pas connaître l’humanité de chacun, et c’est cela qui est intéressant. Nous sommes un mystère, comme chaque film doit en avoir un. Il y a quelque chose qui nous échappe et c’est cela qui est important, d’où l’importance du hors-champ qui est toujours plus intéressant que le champ. Chaque film doit avoir un moment d’illumination, se doit d’être une porte d’entrée vers l’invisible. Si les films sont bons, ce sont des actes de générosité, ils doivent avoir un moment de grâce.

Courts et moyens métrages sont sélectionnés au festival. Qu’est-ce qui vous interpelle dans cette forme ?

La forme courte s’approche plus de la poésie, de l’aphorisme de la pensée fragmentaire. Je pense à des films qui, souvent, captent en l’espace de 10 ou 15 minutes, un moment donné, une situation. Ce qui est intéressant, ce n’est pas vraiment l’histoire, mais plutôt ce moment qu’un film arrive à capter, le ton et la respiration de cette histoire, ce qu’on peut appeler l’atmosphère d’un lieu ou d’une situation également. Cela est parfois plus intéressant que le récit.

Cette année, au festival, nous avons par exemple sélectionné un court métrage espagnol qui s’appelle « Notes from sometime, later maybe » de Roger Gómez et Dani Resines. Dans ce film, il n’y a pas d’histoire, les cinéastes tombent sur des archives de films d’un cinéma dans une ville aux États-Unis, tournées pendant la grande dépression des années 30. Dans ce film, les cinéastes captent un instant et le spectateur regarde un moment de douceur.

Dans une récente interview, vous avez dit prendre à cœur la découverte de jeunes réalisateurs. Le festival comporte une section « Premiers pas » mettant en avant de jeunes cinéastes encore à l’école. Allez-vous continuer à développer cet intérêt dans le futur ?

Nous avons déjà développé ce qu’on appelle le DocMarket qui est un espace permettant aux réalisateurs, techniciens, distributeurs producteurs, … de se rencontrer.

Nous essayons d’agir dans ce sens pour que les films puissent également attirer l’attention des professionnels du cinéma. Chez nous, les films peuvent être présentés à différentes personnes, même en n’étant pas terminés pour qu’ils puissent trouver plus facilement des soutiens.

Littéralement ce DocMarket existe pour pouvoir échanger, partager et recueillir des conseils ou soutiens via des rencontres, des apprentissages et des promotions de projets de films à différents moments de leur développement. Nous avons crée un programme riche en tables rondes, workshops, masterclass et autres conférences dans cette optique-là. Nous mettons également en place pour tous les professionnels une librairie média où ils peuvent regarder les films plusieurs mois après la fin du festival. Il est important de suivre et de voir la construction d’un film et nous aimons contribuer à son existence. C’est le projet même de ce festival.

Aujourd’hui, les documentaires accèdent difficilement à la télévision et les cinémas ne les programment pas ou peu. C’est pourquoi la diffusion dans un cadre évènementiel est très importante. Je suis de plus en plus convaincu que la vraie vie d’un film se fait à travers les festivals.

Le marché du cinéma reste dans une logique de société du spectacle, un film est souvent associé à une marchandise. Contrairement aux gros navets à l’américaine qui génèrent des budgets énormes, qui n’ont pas de profondeur et qui sont du chewing-gum pour l’esprit, les documentaires de création et le cinéma d’auteur ne bénéficient pas ou peu d’espace dans la distribution. Il faut donc continuer à communiquer et échanger pour rallonger la vie de ces films.

Visions du réel s’intéresse de près au cinéma suisse. Quels auteurs nationaux de courts ou moyens métrages vous ont particulièrement plu cette année ?

La production est en effet très bonne et je dois admettre que tous les films présentés au festivals sont des coups de cœur. Pour n’en citer que quelques uns, je retiendrais trois films, trois moyens-métrages. Les deux premiers sont deux co-productions, le troisième est un film suisse : « Half-life in Fukushima » de Mark Olexa et Francesca, « Appunti del passagio » de Raphael Cuomo et Maria Iorio et « Chiens des Champs » de Rachel Vulliens. Ces trois films ont en eux une poésie de l’instant, une beauté propre qui fait qu’ils ont toute leur place à Visions du Réel.

Propos recueillis par Clément Beraud

Scrapbook de Mike Hoolboom

« Je ne pouvais dire si les émotions étaient un endroit dans mon corps ou un endroit dans la ville »

Réalisé sur une période de 50 ans, « Scrapbook », découvert au festival IndieLisboa dans la section « Silvestre », est un documentaire sur les résidents d’un asile pour autistes dans l’Ohio des années 60. Narré et commenté par l’une des patientes Donna Washington, le film rend compte des conditions de traitement et d’internement dans les années 60 aux États-Unis et permet à son sujet de revisiter son passé, tout en (re)construisant son identité par le biais du regard différé.

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Réalisateur sensible à la question de la différence et de l’aliénation sociale, Mike Hoolboom se profile aujourd’hui comme un des documentaristes les plus novateurs issus du Canada, pays qui a également produit d’autres talents du genre comme Guy Maddin ou la jeune génération représentée par Félix Dufour-Laperrière ou Theodore Ushev. Sa carrière longue de trois décennies a fait de Hoolboom une figure emblématique du cinéma indépendant, sa réputation renforcée par de nombreux prix et reconnaissances partout dans le monde.

Sur la base d’images tournées par le vidéaste Jeffrey Paull dans le Broadview Developmental Center dans l’Ohio en 1966, Hoolboom revisite les coulisses de l’asile pour enfants autistes. L’exercice de Paull visait à donner aux patients la possibilité de participer activement à la prise de vues et au développement d’images filmées et ainsi de se (re)voir avec une certaine distance. Cette démarche retrouve toute sa pertinence un demi-siècle plus tard lorsque l’une d’entre eux, Donna Washington, accepte de visionner et de commenter les images de sa jeunesse à l’internat.

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Son discours par moments décousu porte sur les sentiments, l’identité et la fragilité des patients face au regard franc de la caméra. Par le biais de la voix d’une actrice (qu’elle a jugée « plus vraie » pour le film), Donna évoque avec autant d’immédiateté les difficultés éprouvées par elle et ses confrères à ressentir, gérer et exprimer les émotions. En parlant parfois d’elle-même à la troisième personne, elle atteste de l’identification complexe et ambiguë entre les patients qui se fondent dans les visages les uns des autres pour ne pas se sentir seuls. C’est que le travail singulier de Jeffrey Paull est parvenu à briser la carapace autour de soi pour recomposer une identité à partir d’images filmées. Le film de Hoolboom, quant à lui, boucle la boucle un demi siècle plus tard en permettant un recul par rapport aux moments vécus.

Cette dilation du temps, que Donna évoque à plusieurs reprises en parcourant l’album filmé de sa jeunesse (son « scrapbook »), retrouve son écho dans une bande-son chargée composée par Stephan Mathieu. Celle-ci opère constamment un contrepoint angoissant entre son et image, avec ses bruitages opaques et mystérieux, et ses tons obstinés dissonants qui soulignent parfaitement le côté inquiétant de tels centres avant la généralisation des soins de santé communautaires.

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De ce point de vue, « Scrapbook » appelle forcément à la fois une comparaison et une nuance à faire par rapport à « Titicut Follies » de Frederick Wiseman, réalisé à peine un an plus tard. La cinéréalité crue de ce documentaire hautement controversé sur les détenus aliénés criminels de l’hôpital psychiatrique de Bridgewater se situe beaucoup plus dans une démarche de dénonciation engagée de la maltraitance répandue dans ce genre d’institutions. Or, Hoolboom et Paull sont justement très éloignés de tout jugement ouvert. Leur objectif est de donner une voix et un regard proactifs à leur sujet, et c’est précisément ce qu’ils arrivent à faire en tandem à travers cinq décennies.

Adi Chesson

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S comme Scrapbook

Fiche technique

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Synopsis : Broadview developmental Center, Ohio, un hôpital psychiatrique filmé en 1967 par Jeffrey Paull. Cinquante ans plus tard, Donna Washington, autiste et pensionnaire de cet hôpital à l’époque, raconte sa propre histoire à partir de photos et de bouts de films qui la mettent en scène.

Genre : Documentaire

Durée : 19′

Pays : Canada

Année : 2015

Réalisation : Mike Hoolboom

Scénario : Mike Hoolboom

Image : Jeffrey Paull

Musique : Stephan Mathieu

Son : Mike Hoolboom

Montage : Mike Hoolboom

Interprétation : Donna Washington, Martha Cronyn

Production : Mike Hoolboom

Article associé : la critique du film

#Cannes 2016

Comme chaque année, Format Court vous parle de Cannes. Depuis le 11 mai, le festival le plus médiatique du monde déroule son traditionnel tapis et accueille des films, des stars, des anonymes, des pros, des curieux, mais aussi des films, bons et mauvais, courts et longs. Format Court suit le mouvement, met ses tongs et son parapluie dans sa valise et vous propose d’en savoir plus dans les prochains jours sur les courts sélectionnés.

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Nos interviews

Romane Gueret & Lise Akoka. Du ciné, de l’envie, du réel (Quinzaine des Réalisateurs)
Alberto Vazquez, réalisateur de Decorado (Quinzaine des Réalisateurs)
Naomi Kawase, Présidente du Jury de la Cinéfondation et des courts métrages en sélection officielle
L’interview d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani (compétition officielle)

Nos critiques

Arnie de Rina B. Tsou (Philippines, Taïwan, Semaine de la Critique)
Chasse royale de Lise Akoka et Romane Gueret (France, Quinzaine des Réalisateurs)
Decorado d’Alberto Vazquez (France, Espagne, Quinzaine des Réalisateurs)
Il silenzio d’Ali Asgari et Farnoosh Samadi Frooshani (France, Italie, Compétition officielle)
Madre de Simón Mesa Soto (Suède, Colombie, Compétition officielle)
Import d’Ena Sendijarevic (Pays, Bas, Quinzaine des Réalisateurs)

Retrouvez nos actus liées au festival

L’autre Palme d’or
2 courts primés à la Quinzaine des Réalisateurs
Cinéfondation 2016, le palmarès
Semaine de la Critique 2016, palmarès des courts sélectionnés
Cannes 2016, les 10 courts métrages en compétition
Quinzaine des Réalisateurs, les 11 nouveaux courts sélectionnés
Semaine de la Critique, les courts sélectionnés
Les 18 films choisis par la Cinéfondation 2016

Le Mali (en Afrique) de Claude Schmitz

Nouveau Prix Format Court remis au Festival de Brive 2016, « Le Mali (en Afrique) », présenté ce jeudi soir aux Ursulines en présence de l’équipe, est une comédie sombre de Claude Schmitz aussi agréable au premier coup d’œil que riche de bonnes idées et merveilleusement dosée au second visionnage, au troisième etc. Ce n’est pas un hasard donc si le film évoque habilement de multiples références qui viennent échafauder une histoire qui n’en finit pas de s’approfondir.

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Le réalisateur et son compère de stylo Arthur Egloff ont en effet tissé une toile narrative qui relate plus d’une étude d’exploration de l’espace-temps, d’une pause temporelle précisément, qu’elle ne suit une progression traditionnelle. Ainsi dans l’héritage d’En Attendant Godot de Samuel Beckett, les héros du film agissent moins qu’ils n’attendent immobiles ou presque. D’ailleurs, l’exposition débute après le drame, le film commence après l’événement.

Trois gaillards, Darius, Stanislas et Gabriel entourent le propriétaire des lieux, le Père, au bas d’un escalier où git un cadavre frais. La victime est l’« Américain », on ne sait rien de lui ni de sa mort, mais le Père a téléphoné à la police et les garçons qui ont leur voiture en panne pas loin sont autorisés à rester le temps des réparations. Mais parmi eux, Stanislas commence à en pincer pour Camille, fille du Père et accessoirement ex-petite-amie de l’« Américain » de passage, et Gabriel lui est (en)charmé par les histoires du Père qu’il suit comme son ombre.

Petit à petit, tout semble perdu, les flics n’arrivent jamais, les relations entre les personnages sont alambiquées, et le nombre de pensionnaires des lieux décroit dangereusement au fur et à mesure du film. Comme si cela n’était pas suffisant, le Père ne cesse de radoter des histoires sur ces glorieux ancêtres, des guerriers et des nobles, au travers la collection de reliques et de peintures qui font de sa demeure un véritable musée familial. Même si cet aspect nourrit l’humour du film, enraciner tout l’arbre généalogique du père à sa maison lui confère aussi une atmosphère mortifère. « Le Mali (en Afrique) » évolue alors dans une facette fantastique des Dix petits nègres d’Agatha Christie.

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Il y a des meurtres sans enquête, des accidents sans surprise, des empoisonnements sans panique. Puisque le film n’a pas de quête, et que ces personnages attendent, ils attendent tous de pouvoir partir ailleurs de réparer leur carlingue ou d’amouracher un voyageur, la maison du Père s’étire sur tous les angles pour constituer le seul et unique décor du film. Les personnages y sont cloisonnés, jamais on ne les verra au dehors. Au contraire, non contents d’être bloqués dans ce château, ils iront jusqu’à le camoufler sous des branchages pour éviter que d’autres personnes ne les rejoignent, pour des raisons tout aussi loufoques que les autres sous-motivations des héros.

L’ingéniosité du film vient du fait que la mise en scène marie habilement l’étrangeté comique des personnages et l’étrangeté maligne des lieux. Car à voir ces garçons tuer le temps en ressassant un passé familial lointain ou de récentes passions sentimentales, encercler de murs exhibant d’austères portraits et des accessoires inattendus, il semble que la maison soit quelque part hors du monde.

Claude Schmitz nous embarque sur cet ilot d’espace-temps, détaché du reste du monde, il n’a pas d’issue, et il n’y a pas d’accès. D’ailleurs, les gaillards ne sont jamais vus passant d’un lieu à l’autre, on n’observe aucun transport d’une scène à l’autre.

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Il nous est impossible de dessiner la distribution des pièces dans cette maison, ni même d’indiquer la position du lac où se déroulent certaines scènes par rapport à la bâtisse, celle du jardin, ou même celle de la voiture que l’on ne verra pas : peut-être parce qu’elle est justement situé à l’extérieur du domaine, là où ni la caméra ni les personnages ne peuvent se rendre.

On remarque que ce terrain est si retranché du monde normal que les policiers alertés avant le début du film n’arrivent que pour clore la bobine, plusieurs jours après l’appel, et que la première question qu’ils posent aux gaillards survivants de l’hécatombe point est : « Comment êtes-vous arrivés ici ? ».

« Le Mali (en Afrique) » est une comédie adroite qui utilise les personnages comme instruments directs de l’histoire et son espace. Les personnages sont décalés, l’histoire piétine et son décor se dilate. Entre les cadavres, les survivants tuent le temps, et offrent un exercice de mise en scène prodigieux. Une mise en scène et une mise en cadre qui génèrent au-delà du comique un environnement mystérieux de film fantastique.

Et comme toute comptine fantastique, la fin appelle un nouveau commencement, un recommencement du même événement. Ici, le bonus est que le film commence comme il aurait pu finir. A l’inverse du Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder, Claude Schmitz ouvre Le Mali (en Afrique) par un cadavre qui ne parle pas et préfère aux flashs des paparazzi la noirceur imperméable d’un tunnel d’évasion pour le terminer. Une évasion vers où ? Il n’y a pas d’issue.

Gary Delépine

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M comme Le Mali (en Afrique)

Fiche Technique

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Synopsis : Alors qu’ils tentent de fuir l’Europe en crise, Darius, Stanislas et Gabriel tombent en rade dans un domaine privé. Le propriétaire propose de les héberger le temps de réparer leur véhicule, sous condition d’effectuer des travaux de rénovation dans le bâtiment et de distraire sa fille dont le fiancé américain est décédé la veille.

Genre : Fiction

Durée : 58’

Pays : France/Belgique

Année : 2015

Avec : Marc Barbé, Lucie Debay, Clément Losson, Patchouli, Olivier Zanoti

Réalisation : Claude Schmitz

Scénario : Arthur Egloff & Claude Schmitz

Directeur de la photographie : Florian Berutti

Son : Félix Blume

Montage : Marie Beaune

Musique : Thomas Turine

Production : Chevaldeuxtrois, Wrong Men, Paradies, Les Halles de Schaerbeek

Article connecté : la critique du film

Padre de Santiago Bou Grasso

Animation, 12′, 2013, France, Argentine, Les films de l’Arlequin

Synopsis : Argentine, 1983. Une femme consacre sa vie entière au soin de la santé de son père, un très haut dignitaire de l’armée. Sa routine quotidienne est réglée par les tintements d’une horloge qui ponctuent continuellement chacune de ses activités, réduisant son existence à cet asservissement.

« Padre » est un court-métrage politique réalisé en stop motion par l’animateur argentin Santiago Bou Grasso qui évoque une partie sombre de son pays, en 1983 juste après la dernière dictature en date. A travers le personnage d’une jeune femme vivant en huis clos dans l’appartement de son père, ancien dictateur argentin, le film dénonce l’absence de positionnement politique de la classe moyenne en Argentine durant cette période sombre de l’histoire du pays. Un film tout en symbolique et en ellipses.

Film multi-primé mis en ligne depuis peu, « Padre » parle de passivité et de déni d’une partie de la population face aux événements atroces (disparitions, tortures, meurtres…) qui se sont déroulés pendant ces événements troubles de l’Histoire. Dans ce court-métrage, le temps s’est arrêté à l’image de cette femme isolée, enfermée dans un quotidien qu’elle répète jour après jour et dans les gestes identiques plan après plan, à l’image des repas préparés pour son dictateur de père. En filigrane, Santiago Bou nous montre ce qui n’est pas, ce qui n’est plus, mais dont les habitudes qui rythment les journées persistent à faire exister. Le réalisateur à pris un soin particulier à travailler la mise en scène, notamment par les bruitages des objets très présent dans ce film sans paroles. Comme le tic-tac régulier des aiguilles de l’horloge, image du temps qui passe, mais qui dans le cas présent nous renvoie à l’immobilisme de la classe moyenne lors de ces événements. L’unique moment où l’on entend le son d’une voix, c’est à travers le poste de radio, lorsqu’on entend une mère demandant justice et dénonçant les atrocités de la dictature.

Déjà, dans « El Empleo » son court précédent,Prix Fipresci 2009 à Annecy,  Santiago Bou proposait un film muet pour dénoncer la passivité du quotidien, le temps suspendu, la déshumanisation et le rapport au pouvoir mais sous couvert d’humour et de mélancolie. Avec « Padre », il semble avoir franchi une étape, celle de mêler histoire intime et collective, avec un couvert plus sombre, plus mature, plus dénonciateur.

Karine Demmou

Rappel. Nouvelle Soirée Format Court, ce jeudi 12 mai 2016

Ce jeudi 12 mai 2016, Format Court vous invite à sa nouvelle soirée de courts-métrages, l’avant-dernière de l’année, à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris 5ème).

Quatre films (français, belge, allemand et canadien) vous seront présentés dont le dernier Prix Format Court remis au Festival de Brive 2016 à « Le Mali (en Afrique) » de Claude Schmitz, en présence du réalisateur du comédien Marc Barbé.

Cette nouvelle séance sera également marquée par la présence de Samuel Petit, sélectionneur à Brive, de Yassine Qnia et de Harrison Mpaya, réalisateur et comédien de « F430 ».

Enfin, pour les amateurs d’animation, une exposition de croquis préparatoires autour du film « Sonámbulo » de Theodore Ushev accompagnera cette toute nouvelle projection.

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En pratique

* Accueil : 20h
* Programmation, extraits, articles : ici !
* Durée : 88′
* Entrée : 6,50 €
* Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

2ème Prix Format Court au Festival Le Court en dit long

La 24ème édition du festival de courts métrages belges Le Court en dit long se tiendra prochainement, du 30 mai au 4 juin prochain au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Pour la deuxième année consécutive et après avoir primé « Kanun » de Sandra Fassio l’an passé, Format Court y attribuera un nouveau prix au sein de la compétition.

Le Jury Format Court (composé de Adi Chesson, Karine Demmou, Gaël Hassani et Aziza Kaddour) élira le meilleur court en compétition parmi les 40 films sélectionnés à l’issue du festival.

Le court-métrage primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

Films en compétition

– De longues vacances réalisé par Caroline Nugues-Bourchat
– Les Saisons réalisé par Coline Grando
– Le Flan réalisé par Odile d’Oultremont
– Les Amoureuses réalisé par Catherine Cosme
– The Hidden Part réalisé par Monique Marnette & Caroline D’Hondt
– M’aime pas en rêve réalisé par Anthony Nion
– Jean-Michel le Caribou des bois réalisé par Mathieu Auvray
– Nelson réalisé par Thomas Xhignesse & Juliette Klinke
– Entre-Deux réalisé par Maxime Bultot
– Petits pas réalisé par Arthur Lecouturier
– Aquabike réalisé par Jean-Baptiste Saurel
– Zoufs réalisé par Tom Boccara, Noé Reutenauer, Emilien Vekemans
– Dernière porte au Sud réalisé par Sacha Feiner
– Ice Scream réalisé par Vincent Schmitz
– Totems réalisé par Paul Jadoul
– L’Ombre d’un autre réalisé par Léo Médard
– Les Garçons clignotants réalisé par Pascale Brischoux
– Le Bruit du gris réalisé par Vincent Patar & Stéphane Aubier
– Caïds réalisé par François Troukens
– La Graine réalisé par Barney Frydman
– A l’arraché réalisé par Emmanuelle Nicot
– Collabeur réalisé par Fahem Abes
– Vengance réalisé par Isabelle Nouzha
– Vous avez vos papiers ? réalisé par Mathieu Labaye
– Estate réalisé par Ronny Trocker
Renaître réalisé par Jean-François Ravagnan
– No-Go Zone réalisé par l’Atelier Collectif
– Les Hauts-Pays réalisé par Jérémy van der Haegen
– Rapaces réalisé par Aude Verbiguié
– Regain réalisé par Carline Albert
– Vita Brevis réalisé par Thierry Knauff
– Ritournelle réalisé par Camille De Leu
– Réplique réalisé par Antoine Giorgini
– Tout va bien réalisé par Laurent Scheid
– Un grand silence réalisé par Julie Gourdain
– Toutes nuancées réalisé par Chloé Alliez
– Putain réalisé par Cypria Donato
– Pornography réalisé par Eric Ledune
– L’Œil silencieux réalisé par Karim Ouelhaj
– Le Plombier réalisé par Xavier Seron & Méryl Fortunat-Rossi

Hotaru de William Laboury

Voyage au centre de la tête

Programmé au festival IndieLisboa dans la compétition internationale et lauréat du prix spécial du jury Labo à Clermont-Ferrand, Hotaru de William Laboury est un court métrage de science-fiction qui explore les abysses de la mémoire et du souvenir.

Pour son fin d’études de la section montage à La Fémis, William Laboury était contraint de raconter une histoire à l’aide d’images d’archives. Il s’est amusé à construire un récit de science-fiction faisant voyager le spectateur dans les dédales de la mémoire d’une adolescente hypermnésique.

Hotaru est une histoire d’amour où le présent et le futur s’entremêlent subtilement. Martha, l’héroïne du film, a un don extraordinaire, elle se souvient de tout sans jamais rien oublier. Pour cette raison, une équipe de scientifiques a décidé de l’envoyer dans l’espace. Portant en elle les plus belles images du monde, allongée avec des électrodes sur les tempes, elle représente la mémoire du monde auprès d’éventuels extra-terrestres.

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Le film opère un contraste flagrant entre deux mondes : l’extérieur, terrestre, aseptisé, en noir et blanc et matérialisé par des objets : le lit, le parlophone,.. Les êtres humains n’y sont plus que des voix off (Bernard le scientifique, la sœur) qui communiquent avec une Martha allongée. Le monde intérieur de la jeune fille quant à lui est composé d’une multitudes d’images de synthèse toutes plus belles les unes que les autres. Des « images-souvenirs » en couleurs qui modèlent sa mémoire. On s’y promène comme dans un pays imaginaire, rencontrant les chutes du Niagara aux côtés du Taj Mahal et du Christ Rédempteur. Tout y est riche en sensation et émotions. Et le voyage au centre de la tête de Martha, tel une mise en abyme, fait ingénieusement écho au processus cinématographique.

On s’immerge dans ce maelström d’images et de sons se rapprochant davantage de son héroïne, on apprend à la connaître par bribes, par petites touches. La géographie de la mémoire se présente dès lors de façon fragmentaire alors que les quelques moments de vie de Martha nous sont racontés chronologiquement et l’on y perçoit le temps qui s’est écoulé (sa sœur a des enfants, son père est mort) sans que l’on n’ait pu s’en apercevoir. Ces images tournent en boucle, jusqu’à ce qu’un moment en particulier prenne toute la place : la veille de son départ dans l’espace, le jour où elle a rencontré Hotaru. Un jeune Japonais dont elle tombe éperdument amoureuse. Les faits ont l’air tellement peu probables aux yeux de Bernard que l’on se demande si Martha n’a pas inventé cette histoire d’amour éphémère, impossible et infinie. La mémoire phénoménale de Martha se révèle alors plus humaine que machine car elle est subjective et sélective. Ses sentiments ont surpassé sa raison.

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Si le film de William Laboury reste l’un des plus marquants de ce début d’année, ce n’est pas seulement pour son sujet original mais surtout pour la manière dont il arrive à toucher aux questions existentielles, au caractère éphémère et immanent de l’être humain qui au-delà de la matière continue à habiter le temps et l’espace grâce aux souvenirs qui l’ont construit. Hotaru rejoint ces grands mythes littéraires et cinématographiques et, c’est à mi-chemin entre un Chris Marker et un René Barjavel que Laboury a tracé sa voie, nous livrant un film hypnotique délibérément envoûtant, à l’image du cinéma lui-même.

Marie Bergeret

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H comme Hotaru

Fiche technique

Synopsis : Ils m’ont dit : « Tu as un don, Martha. Ici, ce don ne te sert à rien. Alors on te montrera les plus belles choses. Tu ne te réveilleras jamais. Mais tu porteras les souvenirs les plus précieux. »

Durée : 21’37’’

Année : 2015

Pays : France

Réalisation : William Laboury

Scénario : William Laboury

Image : Raphaël Vandenbussche

Son : Maxence Dussère

Montage : William Laboury

Musique originale : Maxence Dussère

Interprétation : Julia Artamonov

Production : La Fémis

Article associé : la critique du film

Brive 2016, compte-­rendu

La treizième édition des Rencontres du moyen-­métrage de Brive s’est achevée le 10 avril 2016 avec la cérémonie de remise des prix où les différents jurys ont distingué plusieurs films de la compétition européenne, incluant le jury Format Court qui a cette année choisi de récompenser le moyen-­métrage franco-­belge « Le Mali (en Afrique) » réalisé par Claude Schmitz. Le film bénéficiera comme d’habitude d’une projection au Studio des Ursulines à Paris le jeudi 12 mai prochain (en présence de l’équipe) ainsi que d’un focus à part entière sur notre site. Cette nouvelle édition du festival placée sous la direction artistique d’Elsa Charbit, qui succédait l’an passé à Sébastien Bailly à ce poste, confirme la bonne prise en main de ses fonctions par la principale intéressée. Loin de proposer un simple tour d’horizon des multiples tendances de la production européenne de moyen-­métrage, la sélection des films de la compétition révèle bien une ambition de mettre en avant des propositions fortes, au sens que chacune d’entre elles témoignerait de la vision singulière d’un réalisateur portée à son plus haut niveau d’accomplissement. Aller au bout d’une idée, d’un programme, quel qu’il soit et quoi qu’il en coûte, tel semble être le mot d’ordre et l’injonction faite à chacun des films découverts cette année lors du festival. L’occasion de découvrir une diversité de regards et donc de pensées, non seulement sur plusieurs sujets mais sur le médium cinématographique lui­-même, que leur regroupement au sein d’une même sélection conduit inévitablement à opposer et à comparer.

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Au palmarès de cette nouvelle édition figure en bonne place le moyen­-métrage « Vers la tendresse » d’Alice Diop, qui s’est vu couronné du Grand Prix France par le jury officiel. La genèse du film est expliquée dans un carton d’introduction à travers lequel la réalisatrice révèle que, suite à un atelier réalisé en Seine-­Saint­-Denis autour du thème de «l’Amour», elle s’est retrouvée avec une matière documentaire forte qu’elle ne s’imaginait pas laisser de côté. La matière en question consiste en l’enregistrement de paroles de jeunes hommes issus de la banlieue, qui est le fruit de plusieurs entretiens menés par la réalisatrice autour d’un sujet particulier : le regard que ces derniers posent sur les femmes et, plus généralement, sur les rapports amoureux. La violence et la noirceur du constat énoncé par les différentes voix recueillis par la cinéaste est sans appel et témoigne d’une réalité difficile, d’un quotidien à l’intérieur duquel la perspective même de vivre une histoire d’amour semble proscrite, voire exclusivement «réservée aux blancs». Si la nécessité de donner à entendre une telle parole constitue une ambition forte et légitime, celle de la mettre en forme et donc en question relève du devoir de l’artiste et devient le moyen d’éprouver ses propres capacités à donner du corps à sa vision.

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Alice Diop imagine un dispositif simple : faire jouer des scènes de fiction à des acteurs pour les faire rencontrer les témoignages documentaires enregistrés au préalable, en les transformant en voix­-off qui viennent se poser sur ces nouvelles images. Le souci, c’est que ces scènes de fiction, en place d’apporter un contraste ou un contrepoint critique à la parole documentaire, se contentent de l’illustrer platement et au moyen d’une grammaire cinématographique assez discutable. La réalisatrice multiplie les gros plans sur les visages fermés et silencieux de ses acteurs, véritables «modèles de banlieusards» qu’elle filme et ne montre pratiquement que dans des situations d’attente, attablés à la terrasse d’un kebab ou faisant le pied de grue sur le trottoir. Ces figures convoquées à l’intérieur du film sont ainsi réduites au silence dans un même élan, leur présence ne valant que comme pure surface sur laquelle le spectateur est invité à projeter tous ses fantasmes sur la banlieue et l’imaginaire triste et violent qu’elle charrie. Et la parole documentaire, loin de mettre à mal cette construction, ne peut que verrouiller le sens que produisent les images tout en nous enjoignant à l’empathie, à la compassion pour ces handicapés de l’amour. Il est regrettable de constater que, pour être sûre de l’emporter sur le terrain de l’émotion, la réalisatrice ait choisi de renoncer à toute velléité critique vis­-à­-vis des clichés qu’elle rassemble et met en scène dans son film, le transformant au bout du compte en long spot de prévention contre la violence en banlieue.

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Cette année à Brive, de nombreux films se répondaient en recourant à des artifices et des parti­s pris similaires pour mettre en scène des récits entretenant eux­-mêmes des correspondances. Le film « Télécommande » réalisé par une cinéaste qui a préféré rester anonyme doit relever le même défi que le moyen­-métrage d’Alice Diop : donner à entendre la parole de ceux qui ne peuvent l’exprimer que masqués, en étant protégés par l’anonymat. « Télécommande » nous invite dans les intérieurs de Téhéran durant les élections présidentielles de 2013 pour partager avec les proches de la réalisatrice, vivant au pays, le déroulement des élections et son spectacle médiatique. Posé au cœur de ces différents salons et lieux de vie, l’objectif de la caméra ne peut choisir qu’un seul axe, frontal, celui tourné vers l’écran de télévision qui diffuse en continu les informations des médias officiels que commentent avec beaucoup de dérision des protagonistes qui demeurent hors-­champs, contraints de cacher leur identité pour permettre l’enregistrement de leur parole. C’est ici la violence d’un gouvernement répressif qui détermine les choix de mise en scène et qui pousse la réalisatrice à ne filmer que des écrans, ceux des postes de télévision et celui de son propre ordinateur sur lequel elle glane de nombreuses images et séquences traumatiques via YouTube. Les propos des citoyens iraniens, évidemment très critiques à l’encontre du spectacle médiatique et de la parodie de démocratie qui leur est présenté, sont à leur tour mis en perspective par le dispositif de filmage qui enregistre la manifestation de leur indignation tout en en montrant la terrible limite. Dès lors que le commentaire, tout subversif qu’il soit, ne peut avoir de prise que sur une image contrôlée et diffusée sur un poste de télévision, il devient nécessaire de faire exploser les écrans pour se libérer d’un système de représentation biaisé et aliénant. La réalisatrice accomplit elle­-même ce geste en achevant son film sur l’image de son écran d’ordinateur volant en éclat sous le coup des balles, un moyen de répondre au désarroi qu’elle exprime quand à sa propre impuissance et qui témoigne par là même d’une rigueur et d’une lucidité impressionnante sur sa pratique de cinéaste.

La durée du moyen­-métrage, par définition intermédiaire, alloue aux réalisateurs une opportunité en or : celle de filmer la vacance, la latence, les moments creux, le «rien», tout ce que rejette majoritairement la forme du court­-métrage et son invitation à la concision, à l’efficacité qui cantonne souvent ce format à ne délivrer que des films à chute qui s’empressent de clore leurs programmes sitôt qu’ils les ont énoncés. Du côté des films de fiction présentés en compétition à Brive cette année, on remarque une propension chez les cinéastes à s’exiler à la campagne avec leurs personnages pour mieux laisser ces derniers investir des espaces à l’intérieur desquels la fiction peut naître de presque rien, en se construisant juste sur des hypothèses ou des jeux de pistes surprenants.

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Il suffit à Laura Tuillier et Louis Séguin, dans leur première co-réalisation « Les Ronds-points de l’hiver », de rassembler quelques figures et motifs dans un cadre champêtre pour faire naître du romanesque et rentrer de plain-pied dans la fiction. Le premier plan qui ouvre le film nous fait découvrir une grande place de la petite ville de Joigny au crépuscule, avec ses bâtisses et maisons aux alentours qui constitueront le principal théâtre des événements à venir. Le plan dure à mesure que défile le générique de début au son d’une musique lancinante, chargeant le lieu d’une aura particulière tant et si bien que lorsque surgissent en fin de plan les silhouettes indistinctes d’un premier couple de personnages, leur apparition fait l’effet d’une entrée en scène, comme s’ils étaient appelés à l’intérieur du cadre pour lancer le récit. Cette prégnance des lieux sur les personnages est donnée d’emblée, et annonce le beau projet des réalisateurs : celui de dessiner la cartographie d’une ville pour la tresser aux trajectoires de leurs différents protagonistes. Les lieux ne deviennent pas simplement l’endroit du déploiement de la fiction, ils acquièrent une vie propre pour à leur tour habiter les personnages qu’ils accueillent en leur sein.

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Il y a donc un premier couple, une jeune femme et son cousin qui investissent une maison familiale trop grande pour eux et qui ne saurait se laisser habiter sans se transformer en terrain de jeu. Il faut l’irruption d’un autre couple, un gendarme et un commissaire arrivant de la bien nommée ville de Sens pour donner une direction au récit, les deux compères étant chargés d’enquêter sur un crime mystérieux découvert dans la ville de Joigny. Ce point de départ fictionnel ne tient heureusement pas lieu de programme tant la perspective d’une résolution à cette enquête semble vite écartée au profit d’un goût certain pour les digressions et les ruptures de ton. Dès lors, la piste policière ne s’ingénie pas à élaborer une intrigue solide mais constitue plutôt une invitation à se laisser intriguer par chaque objet, chaque lieu et chaque parole prononcés par les personnages qui sont autant d’indices dont la signification doit échapper pour permettre à un trouble véritable de se diffuser tout le long du film. C’est dans ce trouble qui finit par agiter chacun des protagonistes en revêtant différentes formes (la passion amoureuse pour deux d’entre eux, la solitude amère pour l’autre) que réside la force du film. En donnant l’impression de ne s’attacher qu’aux fragrances (parfums surannés de film policier, de comédie et de drame romantique qui se mélangent) « Les Ronds-points de l’hiver» finit par cristalliser une idée forte, celle que l’odeur du crime se répand jusque dans les murs des maisons et fait planer un danger inexorable sur ceux qui se laissent aller à la passion.

On songe alors à un autre film, un moyen-­métrage projeté et primé à Brive et peut-être le plus beau de ces dernières années : « La neige au village » de Martin Rit, qui faisait se croiser les trajectoires de plusieurs personnages durant une journée d’été dans une ville qui devenait aussi le lieu de circulation de leurs désirs troubles. Ce n’est sans doute pas un hasard si on retrouve au générique du film de Tuillier et Séguin le même Martin Rit, ce dernier signant la photographie du film tourné en 16 mm.

Là où « Les Ronds­-points de l’hiver» cultive un art du secret et du dépliement progressif de chacun de ses motifs pour mieux ouvrir le sens, le moyen-­métrage d’Aurélien Peyre « La bande à Juliette » préfère énoncer tout de go son projet de mise au pilori de ses personnages que nous devrons regarder sous toutes les coutures et observer se déchirer les uns les autres. Le film, qui a remporté le Prix Ciné + de cette édition ex aequo avec « Le Dieu Bigorne » de Benjamin Papin, conte l’escapade provinciale d’un groupe de jeunes citadins venus profiter de la maison de campagne de leur amie, la Juliette du titre, le temps d’un week­end pour s’amuser et faire la fête.

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Dès les premières scènes, le film se vautre sciemment dans un entre-­soi adolescent et s’emploie à montrer ses personnages dans toute leur arrogance et leur bêtise dont on ne saurait leur tenir rigueur tant elles sont constitutives d’une façon d’être à cet âge de la vie. Si la complaisance avec laquelle le réalisateur filme ses personnages se présente comme une condition ​sine qua non pour les envisager dans leur entièreté, elle se révèle néanmoins bien vite insoutenable dès lors que s’orchestre progressivement un jeu de massacre entre les protagonistes, chacun attendant son heure pour révéler un sale petit secret qui viendra semer la zizanie au sein du groupe. Le film finit par fonctionner exclusivement à la mesquinerie, aussi bien dans la dynamique de son récit que dans sa mise en scène qui, au moyen d’une caméra portée immersive et d’un découpage rapide, jette le spectateur dans la fosse aux lions, le poussant au milieu d’une fête à laquelle il n’a pas été convié. Privés d’espace pour penser et pour respirer, les personnages du film comme le spectateur finissent par n’attendre qu’une chose : que la fête se termine pour mieux laisser tous ces petits drames derrière soi et rouler vers un horizon plus accueillant.

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À l’esthétique naturaliste flemmarde de certains films répondaient des propositions formelles plus stimulantes, comme celle de Camille Polet avec son moyen-­métrage « Gang » figurant aussi parmi les films de la compétition. La jeune réalisatrice, membre du Collectif Comet auquel nous avions consacré un article l’an passé, a choisi de tourner son film au format VHS pour obtenir une patine visuelle qui rapprocherait l’image des années 80 et 90 auxquelles son film se réfère. L’effet produit par ce support de filmage est assez sidérant dans le prologue qui situe l’action à la campagne et permet, notamment dans les plans larges de paysages, d’obtenir des aplats de couleurs saisissants avec les différentes matières (la verdure des arbres, le bleu du ciel, le blanc des nuages), donnant par endroits l’impression de regarder des aquarelles en mouvement. Le prologue ouvre le film sur le départ d’un adolescent de la campagne pour Paris, Pierre, un bel androgyne à qui ses amis et ses parents font leurs adieux. La mélancolie profonde qui imprègne les premières scènes peine à trouver du répondant dans la suite du film qui situe son action à Paris et nous fait rencontrer de nouveaux personnages auxquels il est difficile de s’attacher. La faute à une construction scénaristique laborieuse qui, en voulant jouer sur des aller-­retour entre différentes époques (les années 80 et aujourd’hui) pour produire du sens nous égare rapidement, à tel point que l’on passe une grande partie du film à se demander qui sont ces protagonistes et quels sont leurs liens avec ceux découverts dans le prologue. Un effet bien dommageable car, en ayant toujours un temps de retard sur le récit, le spectateur ne peut développer une empathie véritable envers ces personnages dont le sens des actes et des paroles lui échappent la plupart du temps, alors que la simplicité et le dénuement avec lesquels ces mêmes gestes et paroles sont délivrés par les acteurs les rendent souvent très émouvants. Le film se recroqueville peu à peu sur lui­-même et donne l’impression de préférer garder ses idées de mise en scène et ses intentions pour lui, comme si la réalisatrice, par crainte de se confronter réellement à un sujet qui lui tient à cœur (les années SIDA) faisait le choix de l’opacité absolue dans ses partis ­pris formels et d’écriture. On salue quand même ce geste fragile qui laisse augurer de belles promesses, pour peu qu’à l’avenir, la jeune cinéaste consente à lever les yeux de son scénario et à regarder ses désirs en face.

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Si des films comme « La bande à Juliette » ou « Gang » couraient le risque de l’asphyxie en resserrant leur cadre sur des petits groupes d’adolescents trop contents d’évoluer en circuit fermé, d’autres moyens-­métrages de la compétition préféraient élargir le champ pour s’engager dans des voies plus marginales, en cherchant à la périphérie des villes une occasion d’aller à la rencontre des autres plutôt qu’un espace à circonscrire pour se replier immédiatement sur soi. Il en va du film de Marie­-Stéphane Imbert « Je marche beaucoup », qui élabore à l’instar de « Vers la tendresse » un dispositif au croisement des écritures de fiction et de documentaire. Il s’agit de suivre ici le trajet d’un personnage, une jeune femme prénommée Colombe sur les routes et à travers les paysages de la Normandie où elle passe ses vacances. L’annonce de la disparition d’une adolescente à la radio fait rapidement bifurquer l’itinéraire de la jeune femme, laissant d’abord s’insinuer quelques doutes quand à l’identité de cette dernière et la raison véritable de son escapade (sont­-elles une seule et même personne?). Colombe se met finalement à marcher dans les pas de l’adolescente disparue dont le rapport détaillé des actions est retransmis en continu à la radio, donnant à la jeune femme une matière pour enquêter et au film un semblant d’intrigue.

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Bien vite, et comme pour le film de Laura Tuillier et Louis Séguin, on comprend que ce n’est pas la résolution de l’enquête qui intéresse la réalisatrice mais plutôt le mouvement qu’elle initie et qui conduit sa protagoniste à investir de multiples espaces pour mieux aller à la rencontre des lieux et des personnages qui les habitent. Colombe passe ainsi du statut de véhicule de la fiction à l’intérieur du film à celui de réceptacle de la parole documentaire que délivrent les individus auxquels elle se confronte, sans pour autant qu’un sujet précis émerge de ses entretiens autre que le souci d’être au monde, ici et maintenant. Chacun raconte l’histoire qu’il peut ou veut raconter à cet instant, des cauchemars qu’inspirent à un retraité les souvenirs de son service militaire à la nécessité compulsive pour un jeune homme d’écrire sur son quotidien. Et Colombe d’absorber, telle une éponge, les récits de chacun sans sourciller littéralement, le visage étrange de l’actrice Colombe Grangier Hewitt toujours figé dans une expression mi-­butée mi­-attentive, tendus vers une déchirure qu’il appelle et redoute à la fois. C’est parce qu’il s’intéresse avant tout à ce temps de l’approche et de la découverte que le film finit par trouver la justesse dans la peinture de ses multiples portraits, rendant tous ces visages à leur mystère et à leur beauté brute. Arpenter des espaces pour mieux se laisser traverser par eux et par la parole de ceux qui progressent en marge du monde constituait sans doute, cette année à Brive, l’un des plus beaux programmes.

Marc-Antoine Vaugeois