Tous les articles par Katia Bayer

Focus Festival Off-Courts 2013

Du 6 au 14 septembre, la ville normande de Trouville-sur-Mer accueille la 14e édition du Festival Off-Courts soit huit jours  consacrés au court-métrage. La présente édition compte plus de cent films au programme dont une bonne partie en provenance du Québec (les deux sont partenaires). Pendant ces huit jours, sont également prévus des tables rondes, des concerts, des labo kino en vue des Kino Kabaret, des évènements pour les grands et les petits, un marché du film pour les professionnels, etc. De quoi avoir une rentrée du court bien chargée et surtout bien animée.

Le focus proposé ces jours-ci par Format Court se penchera principalement sur la compétition (59 films divisés entre trois sélections distinctes : québécoise, française et européenne et francophone), même si nous évoquerons aussi les divers évènements qui égayeront cette semaine.

off-courts-2013

Retrouvez dans ce Focus :

Off-Courts, un festival à double effet

L’interview de Wilfried Méance, réalisateur de « Suzanne » (France)

Off-Courts 2013, les plus et les moins de la compétition française

– Les courts métrages québécois en compétition à Off-Courts 2013

Off-Courts 2013, un avant-goût de la compétition européenne et francophone

Festival Off-Courts 2013, les films en compétition

Festival Off-Courts 2013, les films en hors compétition

L’Etrange Festival, côté courts

Les jours raccourcissent, le soleil se fait timide, la rentrée est là… Réjouissez-vous : l’Etrange Festival commence ce soir avec un nouveau lot de pépites cinématographiques différentes et uniques. Pour cette dix-neuvième édition, présentée par les organisateurs comme une sorte d’ »apéritif prestigieux » en vue du 20ème anniversaire du festival l’an prochain, nous aurons droit entre autres à une carte blanche du comédien Albert Dupontel, une création originale de Jello Biafra (leader du groupe de punk hardcore Dead Kennedys), des hommages aux reines du fantastique que sont Martine Beswick et Caroline Munro, une nuit consacrée à Divine (interprète des films de John Waters), des avant-premières attendues (« Snowpiercer » de Bong John-Ho, « Wrong Cops » de Quentin Dupieux, « A Field In England », »9 Mois Ferme »), et plusieurs autres grands moments de cinéma alternatif.

Pour la troisième année consécutive, Format Court sera présent à l’Etrange Festival pour couvrir la sélection de courts métrages comprenant notamment la compétition (une quarantaine de films courts), une séance spéciale LGBT « Fhar, Gazolines, Pagode, Guy & Co », ainsi que la soirée courts de la carte blanche consacrée à Albert Dupontel.

Carte blanche Albert Dupontel (jour de passage : le 7/09 à 22H00)

• STAR SUBURB de Stéphane Drouot
• LE DENTISTE de Leslie Pearce
• THE MYSTERY OF THE LEAPING FISH de John Emerson

FHAR, GAZOLINES, PAGODE, GUY & CO (jour de passage : le 11/09 à 19h45)

• PARADIS PERDU de Franssou Prenant
• BOXING MATCH d’Isobel Mendelson
• LA BANQUE DU SPERME de Pierre Chabal, Philippe Genet et les Gasolines du FHAR
• POUBELL’S GIRLS d’Alain Burosse
• GUY & CO de René Schérer et Lionel Soukaz

Programme de courts 1 (jour de passage : le 07/09 à 17h45)

• ALICE IN THE SKY de Jonas Meier
• THE GREAT RABBIT de Atsushi Wada
• HEX SUFFICE CACHE TEN de Thorsten Fleisch
• FLYTOPIA de Karni Arieli
• The GIANT de David Raboy
• HOLLYWOOD MOVIE de Volker Schreiner
• PLACEHOLDER de Doug Bayne
• SET IN MOTION de Michael Palm

Programme de courts 2 (jour de passage : le 09/09 à 20H00)

A STORY FOR THE MODLINS de Sergio Oskam
COMME DES LAPINS de Osman Cerfon
• ELEFANTE de Pablo Larcuen
• LADY AND THE TOOTH de Shaun Clark
• LAST DAY ON EPSILON ERIDANI B de Damon Mohl
• I’M ALONE AND MY HEAD IS ON FIRE de David O’Reilly
• AHOGO-ICECREAM de Alisa Goddess
• TRÖDELSEIDE de Simon Griesmayr
• THE VOORMAN PROBLEM de Mark Gill
• KREIS Wr. NEUSTADT de Johann Lurf

Programme de courts 3 (jour de passage : le 10/09 à 20H00)

• LAST BREATH de Ying Ping Mak
• FIST OF JESUS de David Munoz & Adrian Cardona
• LONELY BONES de Rosto
MALODY de Philip Barker
PLUG & PLAY de Michael Frei
• RAUCH UND SPIEGEL de Nick Moore
• WELCOME AND… OUR CONDOLENCES de Leon Prudovsky

Programme de courts 4 (jour de passage : le 11/09 à 18H00)

• PANDY de Matúš Vizár
• SENSE OF ENLIGHTENMENT de Michael Frank
• PARASITE CHOI de Damien Steck
• PERFECT DRUG de Toon Aerts
• SHIFT de Max Hattler
• VEXED de Telcosystems
SOLIPSIST de Andrew Huang

Programme de courts 5 (jour de passage : le 12/09 à 19H30)

• THE VOICE THIEF de Adan Jodorowsky
• UNA FURTIVA LAGRIMA de Carlo Vogele
• DUCK BECAME SWAN de Stefanie Sixt
TOPO GLASSATO AL CIOCCOLATO de Donato Milkyeyes Sansone
• EL BAILE DE TRES COCHINILLAS de Esteban Arrangoiz
• BITE HORSE de Sam Walker
• BENDITO MACHINE IV de Jossie Malis Alvarez
• HASENHIMMEL de Olivier Rihs
• HUMAN MEAT FACTORY de Anna Han

Le site du festival : www.etrangefestival.com

Cinébanlieue 2013, appel à films

Pour sa 8ème édition, du 13 au 23 novembre 2013, le Festival Cinébanlieue lance un appel à films. Le concours est destiné aux jeunes réalisateurs âgés de 18 à 35 ans inclus. Un jury de professionnels récompensera deux jeunes réalisateurs à l’issue du festival. La meilleure réalisation soutenue par Le Cercle et le CNC remportera le prix Cinébanlieue (d’une valeur de 15 000 €). Cette année, un nouveau prix sera proposé : le prix France télévision (le film lauréat sera acheté et diffusé sur France télévision).

cinebanlieue-2013

Conditions requises pour l’envoi des films

– Durée maximum : 30 minutes

– Années de production : 2010 à 2013

– Inscription et DVD à envoyer avant le 20 septembre 2013 : Festival Cinébanlieue – Loge Gardien -122, avenue Victor Hugo 93300 Aubervilliers (France)

– Fiche d’inscription sur : http://www.cinebanlieue.org/inscrire-un-film

– Site du festival : http://www.cinebanlieue.org

Reprise des Soirées Format Court, le jeudi 12 septembre 2013 au Studio des Ursulines

Du 2 au 6 juillet dernier, Format Court se rendait pour la première fois au Festival du film court en plein air de Grenoble. Après avoir consacré un focus à la plus ancienne manifestation du court encore existante en France (36 ans au compteur), nous vous proposons de découvrir le palmarès du festival à l’occasion de la première séance Format Court de l’année, le jeudi 12 septembre 2013, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Cette séance bénéficiera de la présence de trois équipes de films, des membres des différents jurys et de Guillaume Poulet, directeur de la Cinémathèque et du Festival de Grenoble.

Programmation

Le Mûrier noir (Shavi Tuta) de Gabriel Razmadze. Fiction, 21′, 2012, France, Géorgie, Ad Astra Films. Mention du Festival de Grenoble 2013, en compétition au Festival Côté Court 2013

Synopsis : Dans la ville minière de Chiatura (Géorgie), deux adolescents passent une journée ensemble, loin de leurs quotidiens respectifs.

Article associé : Le Festival de Grenoble 2013 en quatre films

As it used to be de Clément Gonzalez. Fiction, 8′13″, 2012, France, Collectif 109. Prix d’aide à la création, Prix du public au Festival de Grenoble 2013. En présence de l’équipe

Synopsis : Dans un futur proche, les professeurs ne donnent cours que devant une classe vide et une simple webcam, retransmettant la leçon sur Internet. Un professeur d’histoire va voir son quotidien bousculé quand une élève franchit la porte de sa salle.

Articles associés : Le Festival de Grenoble 2013 en quatre films, l’interview de Clément Gonzalez

Avant que de tout perdre de Xavier Legrand. Fiction, 30′, 2012, France, KG Productions. Grand Prix National, Prix du Public, Prix de la Jeunesse, Prix de la Presse Télérama au Festival de Clermont-Ferrand 2013, Prix uniFrance du court-métrage, Prix du meilleur scénario au Festival de Grenoble 2013. En présence de l’équipe

avant-que-tout-perdre-xavier-legrand

Synopsis : Julien a dix ans. Il fait mine de se rendre à l’école mais se cache sous un pont, son cartable rempli de vêtements. À quelques kilomètres, Joséphine, 15 ans, fait de même et attend le bus.

Articles associés : la critique du film, l’interview de Xavier Legrand

Lettres de femmes de Augusto Zanovello. Animation, 10′11″, 2013, France, Pictor Media Animation. Prix du public au Festival d’Annecy 2013, nomination au Cartoon d’Or 2013, Prix spécial du Grand jury, Prix du jury jeune & Mention spéciale du jury de presse au Festival de Grenoble 2013. En présence de l’équipe

lettres-de-femmes-augusto-zanovello11
Synopsis : Sur le front de la Grande Guerre, l’infirmier Simon répare chaque jour les gueules cassées des poilus avec des lettres d’amour, des mots de femmes qui ont le pouvoir de guérir ces soldats de papier.

Articles associés : Le Festival de Grenoble 2013 en quatre films, l’interview de Augusto Zanovello

The Mass of Men de Gabriel Gauchet. Fiction, 17′, 2012. Royaume-Uni, National Film and Television School. Pardino d’or au Festival de Locarno 2012, Grand prix, Prix du jury presse &  Mention spéciale du jury jeune au Festival de Grenoble 2013

Synopsis : Richard, un chômeur de 55 ans, arrive trois minutes en retard pour son rendez-vous au centre d’emploi. Sa conseillère, submergée par son travail, n’a pas d’autre choix que de le pénaliser. Pour éviter de sombrer dans la misère, Richard prend des mesures désespérées.

Articles associés : Le Festival de Grenoble 2013 en quatre films, l’interview de Gabriel Gauchet

En pratique

► Projection des films : jeudi 12 septembre 2013, à 20h30. Durée du programme : 87’

► Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche: Ligne 7 – Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…).

Entrée : 6,50 €

Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Festival International du Film Indépendant de Bordeaux : concours, résidence de post-production

Cette année, le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux (3 au 9 octobre 2013) organise, en partenariat avec la Région Aquitaine, AQUITAINE FILM WORKOUT, un concours ouvert aux courts en cours de production, dont le gagnant remportera une résidence de post-production d’une valeur de 11.000 euros. La date limite de candidature est fixée au 20 septembre.

CMJN de base

Vous êtes en cours de production d’un court ou moyen-métrage ? Le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, en partenariat avec la Région Aquitaine, organise un concours dont le film gagnant sera invité en Aquitaine pour une résidence de post-production « sur mesure », d’une valeur totale de 11.000 euros. En plus du transport et de l’hébergement, le gagnant sera doté des prestations de post-production de son choix, à hauteur de 7.000 euros. Il sera également invité par la société Papaye – Cinépay à bénéficier d’une session complète d’étalonnage de 2 jours, d’une valeur de 2.000 euros.

Accessible aux productions européennes et méditerranéennes, le concours AQUITAINE FILM WORKOUT a pour ambition de soutenir la jeune création à travers cette étape essentielle qu’est la post-production d’un court ou d’un moyen métrage. Le film gagnant aura la chance de bénéficier de compétences et d’installations dont l’attractivité est appelée à s’étendre au-delà des frontières françaises.

Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 20 Septembre 2013. Pour connaître les modalités de participation et déposer votre candidature, rendez-vous sur : http://fifib.com/workout

Film Noir Festival, appel à films toujours en cours

La première édition du Film Noir Festival de Gisors, dont nous sommes partenaires, se déroulera du 5 au 8 décembre 2013. Parallèlement à une rétrospective très noire, le Festival lance sa toute première compétition de films courts (récompensée du Grand Prix, du Prix de la Mise en Scène, du Prix du Scénario, du Prix d’Interprétation, remis par le Jury des Professionnel et du Prix du Public). Peuvent participer à la compétition : les courts métrages de fiction, les films expérimentaux et les films d’animation ayant pour thématique le film noir.

– Sont exclus de la compétition les films publicitaires, institutionnels, les clips et films à caractères extrêmes.

– Le thème imposé pour cette première édition est le film noir.

– La compétition est ouverte à tous les courts métrages francophones finalisés depuis le 1er janvier 2012, non-soumis aux films à l’initiative d’une société de production, d’un réalisateur en autoproduction, d’une association ou d’une école.

film-noir-festival1

Les films ne doivent pas excéder quinze minutes [générique compris].

Tous les films non-francophones doivent être sous-titrés en langue française.

Tous les films doivent être envoyés impérativement avant le 30 septembre 2013 sur un support DVD ou sur clef USB à l’adresse suivante : Association Les Alibis Film Noir Festival 276, Rue de l’Eglise 59500 DORIGNIES DOUAI.

Télécharger le règlement

Télécharger le formulaire inscription

Accéder au site du festival

Festival Partie(s) de Campagne

Depuis six ans, le village d’Ouroux en Morvan accueille en juillet le Festival Partie(s) de Campagne. À l’initiative de l’évènement, l’association Sceni Qua Non, qui tout au long de l’année met en place en milieu rural des dispositifs de diffusion, de création cinématographique et d’éducation à l’image et qui revendique sa volonté de “développer du lien social”. Grâce à Partie(s) de Campagne, le cinéma prend des airs de spectacle vivant.

Il suffit de voir ces routes sinueuses, traversant les forêts et côtoyant les lacs, pour comprendre qu’il n’est pas facile d’accéder à ce petit village du Morvan. Les festivaliers venus de tous horizons logent donc généralement sur le site pendant quatre jours. Au rythme des différentes programmations, les visages se font familiers, les relations se tissent entre les équipes de films, les bénévoles, les organisateurs et les spectateurs. Tous les matins, Jeanne, directrice de collège, offre dans son jardin un petit déjeuner copieux, autour duquel se rencontrent réalisateurs et festivaliers. Cette année, le festival s’est clôturé sur le bal populaire de la fête nationale, ses danses folk et son feu d’artifice, mêlant festivaliers et habitants des villages alentour.

parties-de-campagne-2013

Le cinéma s’invite dans différents lieux du village qui, d’ordinaire, occupent bien d’autres fonctions (atelier de menuiserie, salle polyvalente – les plus charmants restant le bois, qui accueille les projections nocturnes et les concerts, et la grange, où une hirondelle projette régulièrement sur l’écran l’ombre de ses trajets).

La programmation kaléidoscopique multiplie les domaines et les points de vue. On retrouve les séances de compétitions francophones et jeune public (avec remises des différents prix, dont le fameux Jambon du Morvan), la sélection de l’Agence du court métrage (pour la célébration des 30 ans) et la programmation de courts du pays à l’honneur (cette année la Belgique, avec une carte blanche au festival du court de Bruxelles, à celui des films d’écoles de cinéma et au Centre Wallonie-Bruxelles).

D’anciens films burlesques, d’animation ou scopitones sont aussi diffusés en 16mm et super 8. Le festival n’oublie pas les courts métrages régionaux, les ciné-concerts, les moyens et les longs métrages, le tout en laissant place aux avant-premières et en faisant la part belle au documentaire.

Enfin, pour assurer une continuité entre les éditions successives du festival, une carte blanche est offerte à l’un des réalisateurs récompensés l’année précédente. Cette année, Maxime Feyers (« Come What May ») a proposé sa sélection de courts internationaux. On y découvre par exemple « Treffit », court finlandais de Jenni Toivoniemi. Cette comédie met en scène une rencontre féline : deux propriétaires de chats siamois font participer leurs animaux à des concours de races et organisent leur reproduction. Autour d’un hors champ sonore cocasse, les humains naviguent entre gêne et aisance badine et les adolescents sont renvoyés, en miroir, à l’éveil de leur puberté.

Toujours parmi les choix de de Maxime Fleyers, on trouve dans une toute autre veine « Zodiac », film grec de Konstantina Kotzamani. Un enfant est livré à la culpabilité et à lui-même dans une chambre d’hôtel, après avoir été abandonné par sa mère prostituée. Une transsexuelle prend Peter sous son aile, remplaçant pour un temps la figure maternelle. Les heures et les jours passent, dans une torpeur soutenue par la chaleur du jour et les néons nocturnes. Les jeux d’enfant trompent la réalité et la peur…

La carte blanche comprend aussi « Du soleil en hiver » de Samuel Collardey, en compétition à Ouroux quelques années auparavant. Se dessine ici l’esquisse de son premier long métrage, « L’Apprenti ». Le thème et le traitement sont similaires : un jeune apprenti, Francis, vient passer quelques mois de stage dans une ferme d’élevage en Franche-Comté. Entre Francis et Michel, l’éleveur, vont se nouer des liens autour du travail ralenti en hiver.

du-soleil-en-hiver

On retrouve une certaine douceur de l’image, les plans-séquences fixes dans lequel le réalisateur laisse le temps s’installer, les silences prendre leur sens, les personnages se révéler, la lumière évoluer. Le choix du support 35mm y est pour beaucoup. La caméra, bien plus volumineuse et bruyante que l’outil numérique, impose sa présence physique, tout en restant immobile. Devant elle et grâce à elle, le minuscule, l’intangible prend vie. Et c’est aussi ce qui crée cette frontière floue entre documentaire et fiction, entre personnages et sujets/personnes, entre regard et écriture. Collardey glisse entre les genres et aime à comparer la réalisation avec le geste du peintre, plus particulièrement celui de Gustave Courbet (originaire d’Ornans, lui aussi) dont la peinture naturaliste s’attachait à représenter dans un format noble des sujets modestes, oubliés par la peinture de salon. La tendresse du regard porté au monde paysan et la place laissée au temps et au silence, s’inscrivent naturellement dans une certaine filiation avec Raymond Depardon. Depardon évoque l’art de saisir les “moments faibles”, et Collardey nous en offre ici une belle démonstration.

Arrêtons-nous maintenant sur les films de la compétition francophone. Celle-ci présentait 29 courts réalisés entre 2012 et 2013. Parmi eux, « Rétention » de Thomas Kruithof et « Fatigués d’être beaux », de Anne-Laure Daffis et Léo Marchand.

Rétention de Thomas Kruithof

Mathilde court après le temps, celui des administrations implacables qui n’attendent pas. Elle travaille dans un centre de rétention, sas de la justice, lieu intermédiaire entre les arrestations des sans-papiers et les décisions d’expulsions ou de trop rares libérations. Face au dossier de Yuri, Ukrainien employé en CDI et pourtant interné dans le centre et menacé d’être reconduit à la frontière, elle cherche la brèche où s’engouffrer et faire levier, faire s’effondrer les ressorts d’une procédure judiciaire qui porte bien mal son nom. Elle trouve enfin la faille, l’erreur qui devrait mener à la libération. Ou qui aurait dû. Car si les services ferment le vendredi à 16h, les expulsions zélées se font dans l’ombre, le week-end.

Son personnage est mécanique et efficace, elle remue les dossiers, les ressources possibles pour un homme qui a déjà baissé les bras, qui sait mieux qu’elle. Le rythme du film nous entraîne dans son tourbillon centrifuge, on pousse avec elle les portes des bureaux, mais la vacuité de l’entreprise viendra stopper net la progression. Une temporalité retenue par la pause cigarette au soleil : Mathilde accuse le coup. Elle brandit tout de même son ironie, ultime arme dans sa lutte quotidienne du pot de terre contre le pot de fer. Des points de suspension en guise de point final. Mathilde continuera sûrement sur sa lancée après… Juste le temps d’une cigarette.

Fatigués d’être beaux d’Anne-Laure Daffis et Léo Marchand

Dans un paysage désertique, deux cow-boys désœuvrés tuent le temps. Si Le Duc, la cinquantaine (Denis Lavant) est taciturne et opiniâtre, Cécile (Pablo Nicomedes), bien plus jeune, compose un personnage d’Avrel évaporé. Cécile tire une balle de revolver au hasard pour voir s’il parviendra à la retrouver dans le sable, le Duc se pique au jeu. Et voilà nos deux comparses occupés à chercher une aiguille dans une botte de foin.

Cet anti-western s’inscrit dans la veine du théâtre de l’absurde, l’ombre de Godot n’étant jamais bien loin. Comme chez Beckett, les personnages n’ont pas vraiment de réalité sociale. Piégés par une attente sans fin, ils se fixent un but artificiel pour remplir le vide. Le comique du duo repose sur le décalage, et sur l’absurdité de leur quête qui prend pour eux une importance primordiale. Le temps étiré, cyclique ou arrêté, se fond en abstraction, et prend des teintes surréalistes. Le titre du film sonne comme un écho à la réplique de Vladimir, l’un des personnages de Beckett : “On portait beaux alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter.” Les cow-boys sont las… S’ennuieraient-ils de n’être plus que des symboles ?

Sans doute n’est-ce pas par hasard si dans les trois films évoqués ici la notion de temporalité constitue un élément essentiel. Car le festival terminé, on prend conscience que notre rapport au temps a été insensiblement modifié, qu’il s’est modelé autrement, entre plaisir de savourer sans empressement et sensation de fugacité d’un moment vite écoulé. La particularité de Partie(s) de Campagne est bien de créer du lien, des interactions entre les différents intervenants : entre l’espace rural et les films, entre les divers participants, entre la musique et le cinéma. Tout circule et chaque élément vient prendre une dimension participative.

Juliette Borel

Short Screens #29 : Beats of Love

Amour toujours, aimer à en perdre la raison, les histoires d’amour finissent mal, je t’aime moi non plus…

Des premiers émois adolescents à la passion en passant par la rupture, c’est l’amour dans tous ses états que Short Screens vous invite à voir, en compagnie de la délicieuse Natalie Portman, à travers une sélection de 6 films issus de pays aussi différents que l’Inde, la Belgique, l’Iran, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Rendez-vous le jeudi 29 août à 19h30 au Cinéma Aventure, Galerie du Centre 57, 1000 Bruxelles. PAF 6 €.

PROGRAMMATION

HÔTEL CHEVALIER
Wes Anderson

USA, France / 2007 / fiction / 13′

hotel-chevalier1

Avant de partir en voyage, Jack Whitman reçoit la visite de son ex-petite amie dans sa chambre d’hôtel parisienne.

THE IMPORTANCE OF SWEET & SALT
Benoit De Clerck

Belgique / 2012 / fiction / 13′

importance-sweet-salt

En préparant le dîner pour son épouse, un homme regarde sa vie et en vient à s’interroger sur sa santé mentale. Une tragico-comédie sucrée-salée.

REVOLUTIONARY MEMORIES OF BAHMAN WHO LOVED LEILA
Farahnaz Sharifi

Iran / 2012 / documentaire XP / 15′

revolutionary-memories

Téhéran, 1978. La ville est à feu et à sang. Le jeune Bahman tombe amoureux de Leila, la soeur de son ami mort. Troubles dans la rue, tumultes du cœur.

BEAUTY
Torsha Banerjee

Inde / 2011 / fiction / 10’45

beauty1

Une tendre liaison s’installe entre Beauty, 16 ans, vierge et fille de prostituée, vivant dans une maison close, et un jeune garçon de 19 ans inexpérimenté. Mais la tendresse a-t-elle sa place dans ce genre d’endroit ?

NATASHA
Roman Klochkov

Belgique / 2012 / animation / 14′

natasha-roman-klochkov

L’ours russe Nicolaï émigre en Europe pour prouver à l’Amour de sa vie (sa merveilleuse ex-femme Natasha) qu’il n’est pas un looser. Un film sur un ours et l’Amour de sa vie…..

LOVE YOU MORE
Sam Taylor-Wood

UK / 2008 / fiction / 15′

love-you-more

Un été 1978 à Londres. Georgia et Peter sont dans la même classe. Après la classe Peter va s’acheter le dernier disque des Buzzcocks chez le disquaire le plus proche. Mais Georgia le désire aussi, et il n’en reste qu’un…

Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et FormatCourt.

Matthieu Salmon : « Au départ, je voulais juste être monteur, mais rapidement, j’ai pris goût à la réalisation »

Deux années de fac ratées, un passé de facteur avec sa petite auto, de l’intérim dans une imprimerie, une pratique de la photo mais aussi du travail à la chaîne dans les labos photo avant l’avènement du numérique, des aspirations littéraires, une attirance pour l’image, une envie de quitter la province, de rejoindre la Fémis et l’univers du cinéma « inaccessible ». Matthieu Salmon a dû finir sa formation de monteur et trouver une certaine motivation pour réaliser, à 33 ans, son premier court métrage « Le Lac, la plage » (2006) suivi de « Week-end à la campagne » (2007) et  de « La Dérive » (2011), projeté lors de la toute première soirée Format Court. Mais il lui a fallu beaucoup moins de 33 ans pour, presque malgré lui, nous instruire et nous faire rire en nous faisant part de quelques unes de ces étapes qui l’ont amené à devenir réalisateur et scénariste.

matthieu-salmon

Comment est né le projet de « Le Lac, la plage », ton premier court métrage dans lequel on note l’importance du hors champs ?

Je ne sais plus comment le film est apparu. Au final, le film n’est absolument pas ce qu’il devait être à l’origine. Evidemment, c’est la même histoire. L’idée de départ, c’était qu’il y avait cette fille dont tout le monde tombait un petit peu amoureux et elle, elle, tombait amoureuse du chien. Et donc tout le monde voulait être à la place du chien. Par après, le tournage s’est passé de façon assez catastrophique. En plus, pour moi, c’était une première expérience. Je n’avais jamais rien fait avant. Je travaillais déjà dans le montage mais surtout pour la télévision. Je voulais en fait m’en extirper  et essayer de monter des courts métrages, des films de cinéma. J’avais appelé une dizaine de boîtes de productions pour savoir si elles avaient besoin d’un monteur sur des courts. Je voulais me former comme ça, mais je n’y arrivais pas, je ne trouvais rien. Je me suis donc dit : « Ce n’est pas grave, je vais écrire un film et le tourner. Comme ça, ça me fera un truc à montrer ». Au départ, je voulais juste être monteur, mais rapidement, j’ai pris goût à la réalisation. Tout le processus d’écriture, de réalisation, de tournage et de montage, finalement, m’a plu ! Beaucoup même (rires). Avant de réaliser « Le Lac, la plage », je n’avais jamais écrit de scénario. J’avais 33 ans quand j’ai réalisé mon premier film, ce qui est assez vieux en fait. Il y a des gens qui font un premier court alors qu’ils ont une vingtaine d’années. Au lieu d’emprunter une ligne droite, j’ai plutôt suivi un chemin avec des tours et des détours (sourire). À l’époque, j’écrivais des nouvelles, mais j’avais un problème de style. Le mien était beaucoup trop ampoulé. Ça ne marchait pas et puis, je ne faisais rien lire à personne. J’étais mon seul lecteur.

Pourquoi ?

Parce que j’estimais que ce n’était pas suffisamment bon (rires) pour le faire lire à d’autres gens, même à des amis. J’en ai parlé à ma copine de l’époque qui traduisait des scénarii du français vers l’anglais et qui conservait ceux qu’elle aimait bien chez elle. Elle m’a dit : « Tu devrais écrire un scénario ». Elle m’a sorti toute une pile de scénarii et j’ai commencé à les lire, à en étudier la forme, à me rendre compte que le style n’était pas si crucial. C’est ce qui m’a beaucoup plu en fait. Je me suis dit que je pouvais raconter une histoire mais sans avoir de style, que je pouvais faire des phrases avec des répétitions. Ce qui est important, c’est la façon dont l’histoire se déroule, les étapes, la progression. À l’époque, ça m’a semblé beaucoup plus simple que d’écrire des nouvelles.

le-lac-la-plage-mathieu-salmon1

Après qu’as-tu fait ?

J’ai cherché des boîtes de production. C’était pareil : je ne connaissais personne. Je me suis alors rendu à la Maison du Film Court. Après avoir rencontré les gens là-bas, j’ai retravaillé le scénario. On m’y a donné plusieurs noms de boîtes de production susceptibles d’être intéressées par mon scénario. La plupart ne m’a pas répondu. L’une d’elles qui s’appelait Carlito m’a répondu positivement. Olivier Gastinel, le producteur avec qui j’ai fait le film, m’a rappelé deux jours après. Il était emballé. Cela m’a surpris à l’époque. Je me suis dit : « C’est bizarre, ça cache un truc… » (rires).  On s’est finalement engagé sur ce projet, Olivier et moi. Ensuite, les choses se sont compliquées. Il a fallu chercher des financements. On en a trouvé assez peu. On a envoyé le projet à plusieurs régions. Une seule nous a répondu positivement : la région Limousin avec laquelle d’ailleurs j’ai encore de bons rapports puisqu’elle soutient mon prochain film qui s’appelle pour l’instant « Les Mâles ne vivent pas ».

C’est un court ? Un long ?

Tel qu’il est, il fait une grosse trentaine de pages. Je pense que ce sera un film de 30 à 40 minutes. Plutôt un moyen donc.

Tu ne l’as pas encore tourné…

Non. J’espère le tourner dans quelques mois, à l’automne 2013. On a eu un premier financement de la Région. Avec  « La Dérive » (ndlr son dernier court métrage à ce jour), on a eu le Prix d’Aide à la Qualité, donc, c’est de l’argent que l’on va réinjecter sur le prochain tournage. Là, on va tenter le CNC début décembre mais l’aide est difficile à avoir. Je ne l’ai jamais eue.

Pourquoi ne pas tourner plus tôt ?

Parce que l’histoire doit débuter en automne et reprendre en hiver. C’est très beau, en région. Les couleurs, la nature, tout se prête à l’histoire.

le-lac-la-plage2

Comment s’est passé ton premier tournage ?

Sur le tournage de « Le Lac, la plage », tout le monde a travaillé de façon bénévole, les acteurs inclus. C’était très particulier car c’était une première expérience pour moi et pour beaucoup de gens, sauf pour les comédiens. J’avais besoin de me retrouver avec des amis et des gens que je connaissais un peu, pas avec des étrangers. Par exemple, un de mes amis, Fabrice Garcia, a été premier assistant. Il avait déjà tourné un court métrage qu’il avait lui-même produit, « Billy Drunk et Shitty Boy contre le Calamar killer », l’histoire d’un calamar géant qui se mettait à tuer des clochards, sur lequel il avait tout fait. Il m’a rassuré avant le tournage. Olivier Gastinel, le producteur, a ramené le chef opérateur avec qui ça a été plutôt dur humainement. Il avait l’habitude d’être assistant caméra sur des grosses productions, il travaillait beaucoup à l’époque avec EuropaCorp sur les productions Besson. Il faisait les « Taxi », Il avait l’habitude des grosses machineries avec des équipes lourdes. Il a dû être surpris quand il a débarqué sur un court métrage où personne n’y connaissait rien (rires). Ce n’était pas un projet amateur mais un projet fragile. Le tournage me faisait assez peur parce que je ne savais pas du tout comment l’aborder. Je n’ai jamais fait de théâtre, je n’ai jamais joué, je me sens mal à l’aise là- dedans, je suis de nature un peu timide. Me retrouver face aux comédiens, au départ, n’a pas été évident.

Qu’est-ce qui te faisait peur avec les comédiens ?

La façon dont il fallait que je leur parle. J’avais l’impression que comme ils avaient déjà joué, ils s’y connaissaient plus que moi. Je trouvais présomptueux de leur donner des indications de jeu alors que je découvrais tout ça. (…) Jean-Claude Montel de la Maison du Film Court m’avait conseillé quelques comédiens qu’il connaissait. Auparavant, il était directeur de casting. D’ailleurs, c’est parmi les acteurs dont il m’a parlé que j’en ai retenu quelques uns dont Pierre Mours (que l’on retrouve dans son second court métrage « Week-end à la campagne ») et Guillaume Verdier.

Dans « Le Lac, la plage » et « Week-end à la campagne », le chien a une importance particulière…

J’ai écrit les deux films de façon assez rapprochée. Je me suis toujours inspiré de mauvaises expériences personnelles (rires). J’ai très peur des chiens par exemple. Il y avait une idée assez dérisoire dans le fait que cette fille tombe amoureuse de ce chien que tout le monde tombe amoureux de cette fille et que le chien cristallise toutes les envies, tous les désirs et les peurs aussi. En plus, le chien est un animal toujours très ambivalent; c’est à la fois le meilleur ami de l’homme et un animal qui peut être potentiellement dangereux. (…) Un chien, c’est pratique pour raconter une histoire. Je me disais presque que si j’en mettais un chien dans un film, ça le rendrait intéressante. Une histoire où tout le monde aurait été amoureux de la même fille me paraissait plus plate, alors qu’avec un chien au milieu renvoyait aux extrêmes.

week-end-a-la-campagne-matthieu-salmon2

Qu’est-ce qui fait que tu ne tournes pas davantage ?

Parce que je suis un type lent et parce que, finalement, c’est tout un processus. Même pour un film plus léger que je pourrais faire avec des amis, il faudrait que je les convainque de gaspiller deux ou trois jours de leur temps (rires). Rien ne se fait finalement sans travail.

Dans tes films, tu es très attentif au cadre. Est-ce que tu as fait de la photo ?

Oui. Il y a longtemps. Avant ma formation de monteur à l’AFPA, je faisais de la photo en amateur. Dans « Le Lac, la plage » et dans « Week-end à la campagne », le premier plan est important. J’essaye d’y raconter tout le film. C’est moins le cas dans  « La Dérive » car on l’a monté différemment. Le film s’ouvrait sur la main de Dominique (Reymond) qui froissait un petit billet sur lequel était écrit « Bonne chance ». Après, on a fait débuter le film avec des images d’usine.

En combien de temps « La Dérive » (2011) a-t-il été tourné ?

On l’a tourné sur cinq jours à Cap 18 qui est une zone industrielle proche du Boulevard Mac Donald, où tout est refait, où il y a plein de chantiers. C’est une zone de Paris qui est complètement en construction, en chamboulement. Quand on a tourné là-bas, il y avait encore des grues. Tout va s’y transformer visuellement. Ils sont en train de construire un complexe, des parkings, des magasins, des habitations.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de tourner là-bas ?

Au départ, je n’avais pas de lieu en tête. Je savais que j’allais tourner à Paris et puis, on a obtenu une aide de la Mairie de Paris, et j’ai commencé à chercher une imprimerie. J’ai toujours pensé le film comme ça, à la base. Il y a longtemps, pendant mon adolescence, j’ai travaillé dans une imprimerie, dans une zone industrielle comme ça, avec un côté très « usine ». (…) Je connais donc un petit peu ce milieu-là. (…). Cap 18 est aussi une zone industrielle où il y a beaucoup d’imprimeries très modernes.  Celle où nous avons tourné avait pour particularité d’avoir de vieilles machines mécaniques sur lesquelles on travaillait encore. Des machines aujourd’hui obsolètes.

derive

Quand tu faisais un plan fixe sur une machine, quel était ton but ?

Ce que je voulais trouver, c’était la mécanique et le rythme, les rouages, la cadence, un son…. C’est presque de la musicalité en fin de compte, quelque chose de très répétitif, de très abrutissant.

Contrairement à tes deux précédents courts, tu t’es servi d’une musique, celle d’Ayméric Hainaux. Avais-tu déjà la musique en tête ou l’as-tu trouvée après avoir réalisé le film ?

On a trouvé la musique après, je ne sais plus par quel biais. J’y ai pensé trop tard, mais je voulais que le personnage de Virginie passe devant des gens qui font de la musique. J’imaginais des gens qui faisaient une sorte de slam dans tous ces espaces désaffectés. Ce qui m’intéressait, c’était le rythme. N’ayant pas filmé ça pendant le tournage parce que ce n’était pas écrit dans le scénario, cela a été un petit peu rattrapé au montage, en discutant avec ma copine de l’époque. Je lui ai dit : « Ce serait bien de trouver un morceau de rap ou de slam, de l’ordre du souffle ». Elle a pensé à Ayméric Hainaux qu’elle connaissait et qui fait du beat box avec sa voix ; il se sert d’un micro, d’un ampli et c’est tout. Il n’a aucun instrument, il ne chante pas, et ce n’est pas plus mal. Ce qui m’intéressait, c’était lorsqu’on l’entendait respirer : cela me rappelait le rythme des machines. (….). Il y avait l’envie de rendre quelque chose d’oppressant.

la-derive1-matthieu-salmon

Pendant la soirée de projection Format Court, tu nous as dit t’être inspiré pour « La Dérive » d’une rupture amoureuse en t’avisant que perdre son travail pouvait être plus grave…

Oui, c’était toute l’idée au départ. J’étais un peu, voire complètement déprimé. J’allais au boulot sans vraiment avoir envie d’y aller et je me suis dit : « Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire ? ». L’idée est venue comme ça : traiter de la perte du travail comme la perte d’un être cher avec le même sentiment que celui qui me traversait à l’époque : un sentiment d’incompréhension.

D’ailleurs, il y a cette phrase de l’héroïne : « Je ne comprends pas », à laquelle le chef répond :  » Mais il n’y a rien à comprendre ».

Oui ! Pendant l’écriture du scénario, chaque fois qu’il y avait un dialogue, j’essayais de repenser à ça. Même quand Virginie parle avec le personnage interprété par Farida Rahouadj : tous leurs dialogues, pour moi, sont ceux d’une scène de rupture. L’une dit : « Pourtant, ça se passait bien. Je ne comprends pas. Pourquoi ? ». En fait quand l’autre te quitte, il n’y a pas de pourquoi. Tu ne sauras jamais parce que l’autre va te donner mille explications. En fait, tu ne comprends jamais parce que c’est tellement violent et parce qu’au fond, il n’y a pas de raison. Et puis, il y a aussi ce sentiment d’être abandonné. Pour le personnage de Virginie, le plus dur n’est pas de perdre son travail mais de perdre ses collègues et ses relations sociales. Si « La Dérive » avait pu être plus long, c’est tout ce pan-là qui aurait été développé : elle, confrontée à sa solitude. (….) À un moment donné, je voulais appeler le film comme ça : « Une Revenante, La Revenante ». Mais, j’ai trouvé que ça ne sonnait pas forcément bien (rires). D’autant qu’à la fin, Virginie revient comme une sorte de fantôme, de spectre, qui hante à la fois le terrain vague, les imprimeries et tous les alentours. C’est pour ça d’ailleurs que Dominique a été beaucoup maquillée, blanchie, qu’elle portait un long manteau noir et qu’elle avait une façon de marcher comme un zombie….

la-derive

Pourquoi le titre « La Dérive » ?

Nous sommes passés par plusieurs phases. Guy Debord a écrit sur la société du spectacle un texte qui s’appelait « La Dérive » où le principe est de commencer à marcher sans aucune raison, sans aucun but, dans un territoire donné, de dériver, que ce soit en ville ou à la campagne, du matin au soir, et de découvrir un lieu comme ça. C’est une espèce de théorie qu’il a développée et que j’ai découverte en montant le film.

Propos recueillis par Franck Unimon

Articles associés : la critique de « Week-end à la campagne », la critique de « Le Lac, la plage », la critique de « La Dérive »

La Dérive de Matthieu Salmon

Virginie, la cinquantaine, a accepté d’être licenciée de l’imprimerie où elle travaillait depuis des années. Pour fêter son départ, ses anciens collègues lui ont offert une plante accompagné de cette note : « Bonne chance ».

Bonne chance ? Pour bienveillant que soit l’encouragement de ses anciens collègues, Virginie, hélas, aurait sans doute besoin d’un peu plus que de la chance. Les vrais chanceux, c’est nous, les spectateurs de « La Dérive », troisième court métrage de Matthieu Salmon. Lequel court métrage, un an et demi après avoir été montré – en la présence de son réalisateur – à notre première soirée Format Court aux Ursulines retournait encore mes pensées. Disons-le ! Si ce focus sur Matthieu Salmon existe aujourd’hui, c’est d’abord parce qu’il m’était devenu nécessaire d’écrire sur « La Dérive ». Les paroles d’une certaine chanson disaient : « Tout pour la musique ». Aujourd’hui, j’écrirais :  » Tout pour La Dérive ». Même si la première œuvre citée est beaucoup plus légère que celle de Salmon.

derive

Rien de léger dans « La Dérive » donc. Aucun rapport avec l’extase que peut connaître l’apnéiste alors qu’il effectue une plongée optimale. Et pourtant, on accepte de glisser vers l’inexorable. Cela tient bien sûr à Virginie, interprétée avec pénétration par Dominique Reymond, sorte de mante religieuse qui s’auto-décapite car incapable de véritablement nuire à quiconque.

Car Virginie est surtout une victime broyée par ce destin auquel elle a donné la main en acceptant son licenciement. Un destin qu’elle ignorait durant toutes ces années où elle s’était fondue dans son lieu de travail. Un lieu de travail socialisant, structurant et rémunérateur qui la maintenait dans une cécité ordinaire et nécessaire afin de pouvoir accepter l’abrutissement et l’humiliation de son emploi. Aussi, à moins d’être capable de devenir un meurtrier pour obtenir ou sauver son emploi et sa peau tel le personnage interprété par José Garcia dans «  Le Couperet » de Costas-Gavras, dès le début du film, on s’identifie à Virginie « la vulnérable ». Et que fait Virginie au début de « La Dérive » ? Elle ferme les yeux, seule et silencieuse dans sa cuisine devant la plante que ses anciens collègues lui ont offerte. À cette première image, en plan fixe, répondent ensuite celles de l’imprimerie mécanique et du vacarme dont elle a cru pouvoir se passer. À la quiétude et la douceur plutôt charnelle du recueillement de Virginie devant sa plante, répond la violence grossière et bornée du travail à l’usine qui peut évoquer l’échafaud ou la mutilation.

Puis, c’est la déchéance. La dépendance de Virginie envers son ancien lieu de travail et ses relations avec ses anciens collègues est si inflexible qu’en vingt minutes, nous assistons à la décrépitude voire à la désintégration morale et sociale de Virginie.

la-derive

« La Dérive » est montée de telle manière qu’au départ, nous croyons que Virginie se rend à son travail comme n’importe quelle employée. Mais il s’agit d’habitudes contractées au cours des années. Des habitudes auxquelles elle se réfère telle une revenante, incapable d’en changer. Virginie croit sans doute avoir fait un mauvais rêve : elle suppose probablement qu’elle est toujours employée dans son imprimerie. Car après un mauvais rêve, tout reste réversible. D’abord accueillie avec sympathie par ses anciens collègues, elle cesse peu à peu de devenir une personne fréquentable, cesse d’avoir un prénom. Ce qu’elle a à dire n’a plus d’importance. Et puis, ce qu’elle pouvait dire ou penser avait-il vraiment de l’importance auparavant ? N’était-ce pas plutôt par politesse qu’on l’écoutait et qu’on la laissait s’exprimer ?

Alors, Virginie perd jusqu’à la parole, comme l’on perd pied, tant la raison sociale et professionnelle qui la liait à ses anciens collègues est coupée à l’image d’un cordon ombilical vicié et irrécupérable. Ancienne ouvrière dans une imprimerie, elle n’imprime plus, tourne à vide. Pire : elle devient une paria, une presque démente aux attitudes de petite fille de six ans exclue définitivement de l’école primaire et dont la maladie, hautement contagieuse ou honteuse, peut justifier qu’on la lapide ; ou un toutou quêtant peureusement et timidement du regard, et à distance, une marque de reconnaissance de celles et ceux qui avaient été ses anciens collègues. Et l’on peut alors penser au titre « Ne me quitte pas » de Jacques Brel même si Edith Piaf, mal à l’aise devant le texte de cette chanson, aurait un jour déclaré qu’on ne devrait pas chanter ce genre de choses.

la-derive2

Encore pire : Virginie disparaît de l’image. À la fin de « La Dérive », on ne la voit plus. Ne subsistent que des plans fixes de friches et du trafic immobile. Dans « Le Lac, la plage », le premier court de Matthieu Salmon, la victime disparaissait dans l’eau et ne reparaissait plus. Ici, elle disparaît de l’espace.

Les plans fixes, un juste équilibre entre les séquences portées par la gouache du beat box d’Aymeric Hainaux et celles où les dialogues, millimétrés, sobres, respirés et dits juste comme il faut (bravo aux comédiens !) donnent à « La Dérive » une rythmique émotionnelle abrupte. Et juste.

Et puis, réalisé en 2011, le film nous montre un monde liquidé, obsolète. Bien sûr, à l’ère de l’électronique et de l’informatique, les imprimeries mécaniques en sont le premier indice. Mais regardons d’un peu plus près les anciens collègues de Virginie. Quel âge ont-ils en moyenne ? La quarantaine tout au plus (une des ex collègues qui aspire à obtenir un CDI a à peine 30 ans). Pourtant, aucun n’a sur lui les attributs assez caractéristiques de notre époque : pas de MP3, pas de téléphone portable, de tenue vestimentaire ou de signe particulier (piercing, boucle d’oreille, tatouage,…). Même si quelques scènes nous montrant un train de banlieue ou le trafic automobile dans l’arrière-plan nous permettent de comprendre que l’histoire se déroule vraisemblablement aujourd’hui, tous les protagonistes de « La Dérive » sont les récipients d’un passé plutôt daté des années 80, soit des années où la Crise avait été officiellement annoncée : Virginie fait définitivement partie du passé et toute possibilité de reconversion afin de « rebondir » est pour elle a priori indéfiniment inconcevable.

On peut se « contenter » de découvrir « La Dérive » comme la description réaliste d’un licenciement. Cependant, lorsque l’on apprend l’événement qui a inspiré ce film à Matthieu Salmon (cf. interview ci-dessous), on « goûte » encore plus à son film.

Franck Unimon

Consultez la fiche technique du film

Articles associés : la critique de « Week-end à la campagne », la critique de « Le Lac, la plage », l’interview de Matthieu Salmon

D comme La Dérive

Fiche technique

la-derive2

Synopsis : Virginie travaille dans une imprimerie en banlieue de Paris. Un jour, conjoncture économique oblige, elle est licenciée. Mais Virginie n’arrive pas à partir, vraiment pas.

Genre : Fiction

Pays : France

Durée : 21 min

Année : 2011

Réalisation et scénario : Matthieu Salmon

Monteur : Benoît Quinon

Monteur son : Jean-François Viguié

Interprétation : Dominique Reymond, Farida Rahouadj, Morgane Hainaux, Bruno Clairefond, Xavier Maly

Directeur photo : Charles Wilhelem

Production : Stromboli

Articles associés : la critique du film, l’interview de Matthieu Salmon

Week-end à la campagne de Matthieu Salmon

« Week-end à la campagne » propose plusieurs correspondances avec « Le Lac, la plage », le premier court de Matthieu Salmon réalisé deux ans plus tôt. En tout premier lieu parce que  l’on  y  retrouve  l’acteur Pierre Moure (le personnage de Mark) et  aussi  parce  qu’une  certaine  atmosphère et certains thèmes sont communs aux deux films. Matthieu Salmon semble néanmoins s’amuser à brouiller un peu les rôles. Dans Le Lac, la plage », l’acteur Pierre Moure interprétait un personnage asexué et immature; sa phobie des chiens faisait de lui le témoin impuissant d’un homicide involontaire. Ici, dans « Week-end à la campagne », son personnage a « viré » : plutôt dominateur, en terrain conquis (ils vont chez son père), à l’aise avec les chiens, il est celui qui, régulièrement, va titiller le personnage de Pierre (l’acteur Théo Frilet).

Visionnez un extrait du film


Deux copains, Pierre et Mark ? Deux copains peu bavards, alors. Comme dans « Le Lac, la plage », les protagonistes  n’ont  rien  à  voir avec des personnages rohmériens à la volubilité imputrescible. De plus, le  premier  plan  fixe  l’importance du hors-champ ; ce qui est invisible est plus important que ce  que  l’on  voit.  Sur cet invisible, pend le désir de Mark pour Pierre et la peur de celui-ci pour les chiens et, vraisemblablement, pour ses propres désirs. Mais l’attirance  de  Mark pour Pierre est assez peu flagrante au premier coup  d’œil. Elle  s’exprime par petites touches,  d’abord  de  manière  civilisée,  humanisée,   puis  animale lorsqu’elle échoue. Tandis que dans « Le Lac, la plage », l’approche  de  l’être  désiré   s’était rapidement faite – après alcoolisation – de façon agitée, débridée et définitive (la quête de l’être désiré se termine par son asphyxie involontaire par noyade).

Dans « Week-end à la campagne » aussi, on ne prévoit rien du début de la relation de Mark et Pierre comme du motif réel ou officiel pour ce week-end à la campagne. Alors, on imagine que Mark a invité Pierre et que celui-ci a accepté. Dans le premier court métrage, un lac et une plage offrent un cadre paisible et intimiste, réduction  d’un  paradis sur terre. Dans celui-ci, une maison de campagne avec piscine remplit cet office. Cependant, pour avoir droit à ce paradis, il faut faire avec ses peurs (les  chiens) et  ses  désirs. Si l’homosexualité de Mark s’affirme, Pierre semble lesté par le doute et une certaine candeur. Dans « Le Lac, la plage », la personne désirée offrait une certaine assurance qui maintenait à distance son agresseur tout en l’aimantant. Ici, les contours et les motivations de la personnalité de Pierre restent assez flous. En résulte la frustration de Mark (tout ce trajet jusqu’à la maison de campagne pour finalement, devoir faire abstinence) suivie d’un rapport de forces, puis d’une vengeance assortie de l’intention d’humilier l’être désiré qui s’est dérobé (Pierre va jusqu’à refuser de se faire prêter une serviette de bain).

week-end-a-la-campagne-matthieu-salmon1

Plutôt que d’opposer frontalement les deux personnages de Mark et Pierre comme l’un dont l’identité sexuelle serait pleinement assumée et l’autre niée, on peut aussi les voir comme porteurs de deux univers différents : l’un (Mark), plutôt terre-à-terre, veut « consommer » celui qu’il désire. L’autre (Pierre), inspiré par un imaginaire que l’on peut « juger » puéril ou lâche – mais aussi asexué – ressemble un peu à un extra-terrestre ou à un être assez asocial qui découvrirait certains codes plus qu’évidents pour d’autres. Pierre aurait ainsi vraisemblablement déconcerté et frustré de la même façon une jeune femme l’entreprenant ouvertement : aussi surprenant que cela puisse paraître, il est visiblement inapte, étranger, ou en tout cas immature, à toute forme de relation impliquant ici un engagement sexuel. Cet « handicap » d’abord social qui isole et rend impossible la communication et la compréhension entre les êtres laquait par ailleurs déjà le récit de « Le Lac, la plage ».

Mais Mark n’a que faire de ces théorisations socio-psychologisantes et, à la fin de « Week-end à la campagne », son verdict est sans appel : « Pédé ! » assène-t-il à Pierre à travers la vitre du train qui s’ébranle. Celle-ci est alors tel un reflet ou un miroir et Mark semble aussi se dire cela à lui-même ; autant qu’une insulte ou une menace, ce mot est peut-être aussi son aveu d’impuissance : il a échoué à séduire Pierre donc à l’atteindre. Dès que le train se sera éloigné, Mark se retrouvera seul. Avec son père, ses chiens et la piscine. Pas de quoi sauter de joie. Comment séduire ? Comment entrer en relation avec quelqu’un qui n’est pas pour soi ? S’il se trouve parmi les lecteurs de Format Court des personnes qui ont les réponses à ces questions, prière de les adresser à la rédaction qui les transmettra à Mark.

Franck Unimon

Consultez la fiche technique du film

Articles associés : la critique de « Le Lac, la plage », la critique de « La Dérive », l’interview de Matthieu Salmon

W comme Week end à la campagne

Fiche technique

weekend-a-la-campagne1

Synopsis : Pierre et Mark, deux copains d’environ une vingtaine d’années, prennent le train pour passer un week-end dans la maison de campagne du père de ce dernier.

Genre : Fiction

Durée : 17′

Pays : France

Année : 2007

Réalisation : Matthieu Salmon

Scénario : Matthieu Salmon

Image : Hervé Labourdette

Monteur : Denis Lacono

Montage son : Julien Ravel

Interprétation : Pierre Mourre, Théo Frilet, Jean-Claude Dumas

Production : Theorem

Articles associés : la critique du film, l’interview de Matthieu Salmon

L comme Le Lac, la plage

Fiche technique

le-lac-la-plage-mathieu-salmon1

Synopsis : Quatre amis et leur chien passent l’après-midi au bord d’un lac. Bronzette. Barbecue. Baignade. C’est une journée inoubliable.

Genre : Fiction

Durée : 17′

Pays : France

Année : 2006

Réalisation : Matthieu Salmon

Scénario : Matthieu Salmon

Image : Philip Lozano

Montage : Denis Lacono

Production : Theorem

Article associé : la critique du film

Le Lac, la plage de Matthieu Salmon

Au bord d’un lac désert, sur la plage, Antoine entraîne son chien Rezo, un rottweiler, à mordre dans un bout de bois. Son ami Christophe, effrayé, garde ses distances. La sœur d’Antoine attend la venue d’une amie. Elle tarde et Antoine s’impatiente; il a hâte de préparer le barbecue prévu. L’amie survient, caresse Rezo, et exprime son attachement pour les chiens. Les deux hommes sont surpris : la jeune femme est un dispositif de désir à haute fréquence. Et même la sœur d’Antoine lui adresse un peu plus que de l’amitié…

le-lac-la-plage2

Si le hors champ apparaît plusieurs fois souverain dans ce premier court de Matthieu Salmon, le boniment semble aussi relever du hors sujet. « Le Lac, la plage » dure 17 minutes et pourtant, malgré quatre protagonistes pourvus d’un organe de la parole intact, il serait facile de recenser le nombre de phrases prononcées; ainsi, les premiers sons organiques du film proviennent des grognements de Rezo, qu’Antoine entraîne, tandis qu’un plan panoramique nous « sert » le décor du lac, du ciel et de la plage. Rezo est-il donc celui qui a le plus à dire à propos du désir, sujet principal – et obsédant – du film ? Non, mais il va être le révélateur ou le témoin de l’infirmité ou de la brutale vulnérabilité de chacun face au désir.

Le lieu de l’histoire est un endroit hospitalier voire paradisiaque au bord d’un lac, près d’une forêt où les protagonistes bénéficient d’un espace et d’une tranquillité que bien des vacanciers pourraient leur envier. Plutôt que de contribuer à l’épanouissement des relations, il va plutôt les faire dégénérer. Ironie ou regard désabusé du réalisateur sur les rapports humains ?

le-lac-la-plage-mathieu-salmon

L’humour est cependant présent; au début du film, on s’amusera sans doute à voir la fuite de Christophe alors que décelant sa peur qu’il nie, Rezo le poursuit. Christophe trouvera son apaisement en se réfugiant dans la voiture sous l’escorte de Rezo qui, désormais mu en chien de garde, le dissuadera plus tard d’en sortir. Et personne ne viendra lui prêter secours ou lui porter ne serait-ce qu’une merguez. Dans « Le Lac, la plage », il est fortement recommandé de renoncer à l’aide de son prochain en cas de coup dur. Supposés partager un moment de convivialité, Antoine, sa sœur, l’amie de celle-ci et Christophe s’entreposent chacun dans une espèce d’indifférence ou de détachement les uns par rapport aux autres (y compris entre Antoine et sa sœur). Aucune harmonie ou dynamique de groupe n’est perceptible lors de ce barbecue. Reste le désir, une épreuve manifestement surhumaine pour nos « héros ». Nous assistons dès lors, sur la plage, au débarquement puis à la débâcle des stratégies adoptées pour l’aborder. Parmi elles, on y trouve le mensonge, la stupidité et la lâcheté. Ainsi Antoine qui, après s’être déclaré insensible aux charmes de l’amie de sa soeur, force son rôle de mâle dominant, croyant ainsi se rendre irrésistible, et parvient à se rendre, malgré lui, plus proche d’un violeur, d’un assassin ou d’un chien fou lorsqu’excité et prétendant s’amuser, il finit par noyer la jeune femme. Ou encore Christophe, demeuré passif en témoin impuissant du drame depuis la voiture dont il lui est impossible de sortir puisque Rezo, à proximité du véhicule, se met à aboyer. L’imaginaire et la rêverie solitaire (celle de la sœur d’Antoine qui semble convoler avec ses pensées dans les bois tandis que son frère commet l’irréparable) font aussi partie des stratégies de l’échec.

La « communication » et la « médiation » entre les êtres humains, des valeurs ou disciplines régulièrement vantées ? Elles disparaissent ici, comme noyées. D’où vient que l’on accepte, alors, de regarder « Le Lac, la plage » jusqu’à son terme ? Peut-être parce que, de par son réalisme et son absence de grandiloquence, il peut nous rappeler la « vérité » de certains faits divers.

Franck Unimon

Consulter la fiche technique du film

Articles associés : la critique de « Week-end à la campagne », la critique de « La Dérive », l’interview de Matthieu Salmon

Focus Matthieu Salmon

Un court métrage de Matthieu Salmon, c’est semble-t-il un film où l’importance du cadre, souvent fixe, est primordiale et remplace bien des lignes de dialogues. Son cinéma, composé de « Le lac, la plage » (2006), « Week-end à la campagne » (2007) et « La Dérive » (2011), n’a ni peur des silences ni des hors champs ni d’une certaine  « lenteur ». Ses protagonistes, adultes, sont peu bavards ou perdent régulièrement la capacité de parler. Ils perdent aussi régulièrement pied, que ce soit dans la nature, dans l’eau ou en pleine ville, voire disparaissent (les femmes surtout) et le plus souvent sans faire de bruit. Il n’y a rien d’hystérique dans son cinéma, plutôt une espèce d’attente, de résignation, un espoir qu’une personne extérieure va intervenir dans ses histoires et faire office de sauveur. Sauf que cette personne n’existe pas et que ses protagonistes sont souvent spectateurs ou victimes de ce qui leur arrive.

la-derive1

"La Dérive"

L’imaginaire qui ressort de ses films est patient, assez doux, isolant, peu tourné vers le comique de situation (hormis dans « Le lac, la plage »), davantage traversé par le drame et le tragique. Ce qui se dégage aussi, c’est le désir contrarié, l’ambivalence et les peurs qui affleurent à un moment ou à un autre. Ce qui attribue à son cinéma une bonne verve de réalisme qui, sans trop en dire, finit par nous parler.

Franck Unimon

Retrouvez dans ce Focus :

L’interview de Matthieu Salmon

La critique de « La Dérive »

La critique de « Week-end à la campagne »

La critique de « Le Lac, la plage »

Gabriel Gauchet : « Même dans les limites, j’arrive à trouver toutes les libertés que je veux »

Dans quelques jours, Gabriel Gauchet présentera « Z1 », en compétition internationale au Festival de Locarno. L’an passé, il y a remporté le Pardino d’or pour « The Mass of Men », que nous vous avons présenté il y a quelques jours sur Format Court. En voyant ce film d’école au dernier Festival de Grenoble où il a obtenu le Grand prix, le Prix du jury presse et une Mention spéciale du jury jeune, nous avons été surpris par l’originalité de son sujet, sa tension palpable et la qualité d’interprétation de ses deux comédiens principaux. Il y a quelques années, nous avions brièvement rencontré Gabriel Gauchet pour un autre film d’école, « Efecto Domino ». À Grenoble, nous l’avons retrouvé, cette fois plus longuement, pour échanger autour de son parcours, de ses intérêts, et de ses envies de cinéma.

gabriel-gauchet

Il y a pas mal de films d’école dans ton parcours. Comment se fait-il que tu aies accumulé les formations ?

C’est une nécessité. Pour faire des films, j’ai dû trouver un moyen pour obtenir des financements. Je me suis renseigné sur les bourses. Comme j’étais trop jeune pour commencer une école de cinéma, j’ai appris les langues africaines et je me suis spécialisé dans le Sénégal. J’ai reçu une bourse pour y aller et grâce à l’argent, j’ai commencé à faire des films là-bas. Ces films, je les ai envoyés en même temps que mon dossier de candidature à l’école de Cologne, la KHM (Kunsthochschule für Medien Köln). J’ai été pris et j’ai pu accéder à tout le matériel et à l’aide que je voulais pour faire de nouveaux films. C’est comme ça que tout a commencé. Après, j’ai reçu d’autres bourses dont une qui m’a permis d’étudier à Cuba. J’ai ainsi pu faire « Efecto Domino » à la Havane.

Quand je suis rentré en Europe, je sentais que ce n’était pas encore le moment de vraiment me lancer dans la profession parce que je me doutais que ça allait durer plusieurs années pour développer un premier film. « Efecto Domino » marchait très bien en festival mais personne n’avait vraiment l’air intéressé de prendre un café avec moi. J’ai donc demandé une autre bourse pour continuer mes études et faire d’autres films. C’est dans le court, un format loin d’être commercial, qu’on peut vraiment expérimenter, trouver la liberté.

Tu penses que tu ne retrouveras pas cette liberté après l’école ?

J’observe beaucoup et je demande à mes amis réalisateurs comment ça se passe pour eux. Ils ont tous des problèmes avec les maisons de production. Dès que tu as le soutien de l’État, on te demande de changer des choses à ton scénario. Les sociétés de production pensent beaucoup à la télévision et ont un standard en tête pour les films. Pour les courts, je pense qu’il ne faudrait pas avoir de standard, mais qu’il faudrait pouvoir raconter qu’on veut, développer les choses dont on a envie. Après tout, on prend moins de risques que sur un long.

Penses-tu que tu feras d’autres courts, après l’école ?

Les courts, ça ne finira jamais. Je vois que mes professeurs font autant de courts que de longs. Ils me disent que si j’ai une idée pour un court, il faut que j’en fasse un. Le film que je viens de finir est un mélange d »horreur et de drame. Ça a été une grande expérience, mais en dehors de l’école, personne ne m’aurait donné la possibilité de le faire, aucune production ne se serait montrée intéressée. On m’aurait dit que c’était un bon pitch, une bonne idée, mais que ça aurait été difficile à produire. La vérité, c’est qu’ils n’aiment pas expérimenter. Tout le monde parle de nouveauté, mais à la fin, personne n’ose, tout le monde a peur. En même temps, je comprends : il y a beaucoup d’argent en jeu et une réputation à tenir.

À Cologne, tu as fait un film plutôt expérimental (« Die Kneipe »), à la Havane, tu as travaillé autour de la violence, le hors champ, la tension, et à la NFTS, tu as pu tenter d’autres choses. Qu’est-ce que les trois formations t’ont apporté ? Sont-elles complémentaires ?

L’école à Cologne est une école d’art, elle n’est pas organisée comme une école de cinéma. À l’époque, on pouvait faire des films comme on voulait. Je pouvais disparaître, faire mon film quelque part, revenir et le montrer aux professeurs. C’est le contraire de la NFTS par exemple où en dix mois, tu tournes trois films et tu développes plusieurs projets et univers différents, ce qui est très difficile à faire. À Cologne, j’ai appris à faire des films comme j’en avais envie. J’ai eu le temps de trouver mon style de me poser des questions au sujet des acteurs. Quand je suis allé à Cuba, j’ai eu de super professeurs. On travaillait tout le temps avec les acteurs, ce qu’on ne faisait pas à Cologne. Tout à coup, j’étais dans la pratique, je n’avais plus peur des comédiens. J’étais amené à jouer des petites scènes, je devenais moi-même acteur, j’expérimentais. J’avais accès aux cinq des plus grands acteurs cubains, c’était un luxe de pouvoir travailler avec des personnes qui savaient ce qu’elles faisaient. Ils comprenaient le scénario, il ne fallait pas tout leur expliquer, on pouvait travailler dans les détails, et au final, la qualité était beaucoup plus élevée. Soudain, j’ai vraiment compris ce que c’était que d’être réalisateur et ce que j’attendais d’un acteur. Ce repère est devenu un standard.

Avant, j’aurais pris le premier acteur venu qui aurait eu envie de jouer dans mon film au lieu de trouver la bonne personne. Pour faire  « The Mass of Men », en Angleterre, on n’a pas trouvé les bons acteurs tout de suite, on a repris nos recherches, on a regardé 4.000 showreels pour trouver les deux acteurs principaux. On en a invité 30 et on a fait un casting avec les gens qu’on avait vraiment envie de voir. Et ça a payé !

« Efecto Domino » et  « The Mass of Men » touchent à la fois aux questions de société, à la tension et à la violence physique et verbale. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette combinaison ?

C’est plus une réaction qu’autre chose. Je lis beaucoup de journaux, j’entends beaucoup d’histoires. Je suis fasciné par la violence parce que j’en ai peur et il m’arrive d’être choqué par les réactions des gens. Parfois, ça me pousse à penser, à faire des recherches. Ça devient un thème, une histoire, puis un film. Ca part souvent d’un choc. Pourquoi les gens se font-ils du mal ? Qu’est-ce qui les pousse à devenir des monstres ? Qu’est-ce que la société fait avec eux ? C’était le cas, par exemple, pour « Efecto Domino ». Je suis parti des limites du machisme et j’ai découvert plein de choses sur la société en écrivant l’histoire et en travaillant avec les acteurs. Pour  « The Mass of Men », c’était la même chose. J’avais des idées et des images de violence et de vengeance en tête que je voulais transposer dans un film. Avec ma compagne, on était fasciné par les évènements à Londres, l’année dernière, et on sentait que notre film avait un rapport avec cela. On commençait à regarder des vidéos sur YouTube et à juger des jeunes qui cassaient la gueule à d’autres jeunes. On sentait qu’ils n’avaient plus rien à perdre. Tout d’un coup, David Cameron a fait un discours qui nous a choqué. Il a réagi à la violence en traitant ces jeunes comme des bêtes, en séparant la société en deux : l’élite qui juge, qui condamne et en face, ceux qui ne peuvent même plus se défendre. Quand on a entendu ce discours, ma copine, Rungano Nyoni, également réalisatrice, m’a proposé de reprendre les mots de David Cameron et de les faire prononcer par une assistante sociale. On a vu que cette transposition marchait et que ça apportait quelque chose de fort au scénario.

Comment avec des idées pareilles, on détermine ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas ? Comment garder le message intact et ne pas se focaliser sur la violence ?

On me demande pourquoi certaines scènes de mes films sont tellement violentes. Volontairement, elles ne sont pas parfaites et je ne montre jamais en détail ce qui se passe. Ce n’est pas comme les films d’horreur qui s’approchent de la pornographie à force de montrer des armes s’introduire dans la peau. Je ne montre pas ce genre de choses, je filme juste un peu avant et après. Je filme surtout des gens témoins de la violence. Ce qui est violent, ce sont les motifs de la violence, pas l’acte physique. Dans  « The Mass of Men », l’acte violent, c’est ce qui se passe entre l’homme et la femme, la façon dont l’assistante sociale traite le demandeur d’emploi.

mass-of-men

Est-ce que tu t’es basé sur des situations réelles pour ces deux films ?

Les personnages de mes films sont toujours liés à des gens que je connais, que j’ai rencontrés dans mes recherches. Je crois que tous les films ont une base réaliste. Les films que je fais sont presque des documentaires. Avec « Efecto Domino », j’écoutais les hommes draguer les filles. Je me suis mis à côté d’eux en toute discrétion et j’ai écrit les phrases qu’ils ont prononcés. Quand j’ai fait le casting, j’ai recherché des gens qui avaient la même énergie, je leur ai expliqué ce que j’avais vu, ce qui me semblait important à savoir et ils se sont montrés très naturels. Souvent, je vois des clichés dans les films, mais je ne sens pas la vie dedans. Il faut savoir de quoi on parle quand on fait du cinéma.

Est-ce que tu as rencontré des limites à l’école ?

Je me bats toujours pour faire ce que je veux. Je pousse, j’essaye d’avoir plus. Les limites, c’est l’argent et les jours de tournage. Mais même dans les limites, j’arrive à trouver toutes les libertés que je veux. Personne ne peut rien dire. Par exemple, mes professeurs n’ont pas aimé  « The Mass of Men » mais je l’ai quand même fait.

Pourquoi ?

On m’a dit que ça allait justifier la violence. J’ai dit que ça l’expliquait, que ça ne la justifiait pas. L’école ne peut pas mettre son veto, c’est ça qui est beau à la NFTS. À la fin, quand j’ai présenté le film, presque tous les professeurs étaient touchés alors qu’ils n’y avaient pas cru au début et que tout le monde me dissuadait de le faire.

Peux-tu me parler de ton dernier film, « Z1 » ?

C’est mon film de fin d’études à la NFTS. Il s’agit d’une histoire classique qui mélange la violence familiale avec des éléments d’horreur et de fantastique. On m’a dit à l’école que je ne pouvais pas mélanger les genres, alors je me suis à nouveau entêté ! Il faut être têtu parce que dès que tu as des idées anormales, un peu différentes, les gens ont du mal à s’imaginer, à se projeter.

Tu vises une nouvelle école après la NFTS ?

Non, là, c’est fini ! Maintenant, on me donne l’impression que ça va marcher. J’ai rencontré un producteur français, Julien Berlan, qui a travaillé sur « Rubber » et qui s’intéresse à moi. J’ai l’impression que ça va être un bon partenaire. Il va être très têtu, moi aussi ! On est optimiste, on espère que ça va marcher, qu’on va pouvoir faire un film ensemble. J’ai des idées que j’aimerais bien réaliser un jour. J’ai envie de faire des films intéressants qui poussent à la réflexion, comme mes précédents courts. Les réactions en salle ont toujours été assez fortes, et je veux retrouver la même chose dans mes prochains films.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Consultez la fiche technique du film

Augusto Zanovello : « La force du volume réside dans le fait qu’on y trouve de la matière, de la texture, une vraie lumière et une certaine profondeur »

« Lettres de femmes » de Augusto Zanovello est un film d’animation en volume se déroulant pendant la première guerre mondiale et qui se distingue par son sujet (des lettres de femmes soulagent les plaies des hommes blessés au front) et sa technique mélangeant le carton et le papier. Primé en mai (Coup de Cœur Unifrance à Cannes), en juin (Prix du public à Annecy) et en juillet (Prix spécial du Grand jury, Prix du jury jeune et mention spéciale du jury presse à Grenoble), le film est en lice pour le Cartoon d’Or 2013, avec cinq autres titres. Avant sa projection à notre première séance Format Court de l’année, nous vous proposons d’en savoir plus sur ce film et son réalisateur, Augusto Zanovello.

augusto-zanovello

On te découvre avec ce film, « Lettres de femmes ». Pourrais-tu me parler de ton parcours ?

J’ai étudié aux Beaux-Arts au Brésil pendant deux ans, j’y faisais déjà un peu d’animation. En arrivant en France, j’ai suivi des cours d’animation à la Ville de Paris et puis, j’ai fait une formation d’image à l’école Louis Lumière, parce que le cinéma en prises de vues réelles m’attirait. La réalisation m’intéressait depuis longtemps mais grâce à l’école, j’ai pu découvrir la photo et la lumière et devenir un vrai technicien.

Pendant mes études, je continuais à dessiner. J’ai commencé à gagner ma vie en faisant du story-board et à collaborer à  des séries d’animation. Après Louis Lumière, j’ai travaillé un petit peu comme opérateur tout en poursuivant dans l’animation. J’avais des projets de fiction, seulement le court métrage, c’est un peu compliqué. J’avais déposé plusieurs dossiers au CNC et je n’ai pas eu de financement.

En quoi était-ce compliqué ?

Les projets ne se sont pas faits, probablement parce que j’étais moins persévérant à l’époque. J’étais un peu bloqué par l’ampleur du travail que nécessitait un court et par la difficulté de fédérer une équipe travaillant gratuitement autour d’un projet. Au bout d’un moment, je n’y croyais plus trop. Les films restent inachevés, je les garde toujours en tête. J’ai toujours les rushes, je sais qu’avec un monteur et un nouveau souffle, je pourrais en faire quelque chose d’autre, mais il faut que je les reconsidère comme des nouveaux films.

Comment dans ce contexte as-tu réussi à réaliser et à produire ton premier court, « Le gardien de la cave » (1995) ?

À l’époque, j’étais assistant opérateur. Je connaissais les loueurs de camera et d’éclairage qui m’ont permis d’avoir du matériel quasi gratuitement et de constituer une équipe. J’ai eu l’opportunité de tourner et de monter dans les locaux u laboratoire GTC à Joinville. C’était super, on tournait chez eux la journée, on leur déposait les rushes le soir et le lendemain, on voyait le travail de la veille avant de ré-attaquer le tournage. Une fois le projet bien avancé, je suis allé voir Les Productions Bagheera qui ont pris le film et qui m’ont aidé pour la post-production. J’ai consacré beaucoup d’énergie à ce projet.


Ça ne t’a pas manqué de ne pas faire d’autres films pendant ces 20 dernières années ?

Non, pas spécialement. Je travaille dans l’animation depuis très longtemps. J’ai commencé en 86, sur la série télévisée Rahan. Ce qui m’intéresse, c’est la mise en scène, l’écriture. Avant de réaliser moi-même des séries animées pour la télévision, j’ai pu aborder à plusieurs reprises le sujet en faisant des story-boards pour d’autres réalisateurs. Le board est un document de travail essentiel, surtout dans le dessin animé. Il permet de visualiser le film bien en amont et dans son intégralité et de vérifier si l’histoire fonctionne correctement.

Même si j’ai toujours écrit mes histoires à côté, j’aime bien travailler en équipe. Je ne me vois pas passer quatre ans sur un film de cinq minutes. Sans y consacrer autant de temps, d’énergie, j’ai dû laisser tomber deux courts parce qu’avec le temps, je n’y croyais plus. Si j’avais dû faire « Lettres de femmes » de cette façon pendant 3-4 ans avec une ou deux personnes, je ne l’aurais pas fait.

Alors, qu’est-ce qui a changé précisément sur ce film ?

C’est très simple. À  partir du moment où on a un financement et qu’on peut payer les gens qui travaillent avec soi, on fait un planning et on travaille de manière professionnelle. Un court de fiction peut prendre une à deux semaines, on peut se débrouiller pour trouver des gens qui veulent bien faire la lumière ou l’électro. En animation, c’est plus difficile, soit on prend des gens qui connaissent bien le boulot, soit on le fait soi-même, mais c’est quand même un travail à long terme et de longue haleine. On ne peut pas juste donner un coup de main pendant quelques jours. Ça ne suffit pas, il faut plus. Sur « Lettres de femmes », on a eu la chance d’avoir un financement et une équipe.

lettres-de-femmes-augusto-zanovello2

Comment l’idée du film t’est-elle venue ?

Tout a commencé par la rencontre avec Arnaud Béchet un sculpteur qui travaille pour la pub et qui fait des illustrations en volume. Quelqu’un m’a parlé de lui en me disant qu’il aimerait bien faire de l’animation mais qu’il ne connaissait personne dans le milieu. Il m’a appelé, je suis allé chez lui et j’ai vu un poilu d’un mètre de hauteur, tout en carton, un peu langoureux, penché sur son fusil. La moitié de son corps était recouverte de boue, il était mi-homme, mi-boue. J’ai trouvé ça sublime, j’ai dit à Arnaud qu’il fallait en faire quelque chose. Après, on s’est perdu de vue, je n’avais pas d’idée assez forte en tête. Au bout d’un moment, j’ai pensé à ces lettres de femmes, restées dans l’arrière-pays, adressées aux poilus et faisant office de pansements. Je suis parti de là, de cette idée forte. J’ai commencé à travailler, à composer avec Arnaud un dossier  pour le CNC. On n’a pas eu de réponse négative, mais on m’a demandé de retravailler le scénario. Pour cela, j’ai demandé à un ami de retravailler l’histoire avec moi.

Le poilu qui se trouvait dans l’atelier d’Arnaud était fait de carton. Pour le film, vous avez utilisé du carton et du papier. As-tu pensé à d’autres choses pour finaliser ton animation ?

Pas du tout. Arnaud ne connaissait rien à l’animation, mais moi, je pensais déjà à des marionnettes en volume, couvertes de carton. Le graphisme était trouvé d’emblée. La force du volume réside dans le fait qu’on y trouve de la matière, de la texture, une vraie lumière et une certaine profondeur. Cela rend l’ensemble plus réaliste et si l’animation est bien sentie, le tour est joué. L’émotion arrive comme par magie. Les personnages sont en carton, mais on a vraiment l’impression qu’il y a des humains en dessous de la matière.

lettres-de-femmes-augusto-zanovello11

L’idée du film est que les lettres des femmes soignent les blessures. En quoi les mots effacent la douleur, selon toi ?

Ça me paraît évident (rires) ! L’idée de base est que les mots peuvent réconforter quand on est dans une situation difficile. C’est bien ça, le propre de la littérature, non ? Dans le film, celui qui a le don d’utiliser ces lettres pour soigner les gens attend lui aussi sa lettre qui n’arrive pas. Comme les autres, il attend un peu de réconfort.

Est-ce que vous vous êtes basés sur des lettres existantes pour le film ?

Non, on a tout inventé. On a trouvé beaucoup d’écrits de poilus, mais très peu de lettres qu’ils ont reçus au front. Comme il nous fallait aller à l’essentiel en peu de temps, on a écrit des passages qui caractérisaient un grand nombres de femmes différentes : une mère inquiète, une femme rassurante, une sœur travailleuse, une écolière… .

le-jour-de-gloire-bruno-collet

Bruno Collet a lui aussi fait un film en volume sur la guerre 14-18, « Le Jour de gloire ….». Est-ce que cela t’a influencé ?

Pas tellement, parce que je l’ai vu après avoir tourné le film. Son court métrage est très beau, très réaliste, il joue aussi sur la lumière et le son. On sent que les hommes sortent de terre, à moitié embourbés. Ce que j’ai essayé de montrer avec « Lettres de femmes », c’est la fragilité du papier et des hommes. On est des êtres fragiles, on est vulnérables comme du papier. Parfois, on a besoin de très peu de choses pour trouver du réconfort, pour panser nos blessures….

dessin-augusto-zanovello

Ton film est dédié à Josette Zagar. Qui était-elle ?

C’était ma prof aux Gobelins. J’ai fait un passage éclair par cette école, je suis parti avant la fin de mes études. Dotée d’une humanité hors du commun, Josette était été très douée, elle a longtemps travaillé avec moi comme story-boardeuse. Je suis allé la voir à l’hôpital pendant qu’on tournait le film, je lui ai montré des images. J’aurais bien aimé qu’elle voie le film terminé. Elle représentait beaucoup pour moi.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Consultez la fiche technique du film

Les plus : retrouvez le scénario et l’univers graphique du film sur la scénariothèque en ligne du CNC, visionnez le making-of du film

Pour information, « Lettres de femmes » sera projeté en présence de Augusto Zanovello, le jeudi 12 septembre 2013, au Studio des Ursulines, dans le cadre de la reprise des séances Format Court

Clément Gonzalez : « Faire des films en 48h est un tremplin parmi d’autres dans le milieu du court métrage »

Récompensé du Prix d’aide à la création et du Prix du public au dernier Festival de Grenoble, Clément Gonzalez, réalisateur de « As it used to be », a pris comme habitude de ne pas attendre des années pour tourner ses films. Ses trois courts, « Casse-gueule », « Du Sable dans les pompes » ou encore « As it used to be », ont chacun été réalisés en 48 heures, entre 2011 et 2013, via le 48 Hour Film Project. Ce concours, mis en place il y a plus de dix ans aux États-Unis, et représenté dans le monde entier, propose à des équipes de films de se voir attribuer un genre, un personnage, un accessoire et une ligne de dialogue, ainsi que 48 heures pour créer un court métrage contenant tous ces éléments. À Grenoble, Clément Gonzalez nous a parlé de son film, de la transmission et de cette autre façon de faire du cinéma. Rencontre.

clement-gonzalez

Tu es sorti de l’ESEC (École Supérieure d’Études Cinématographiques) il y a trois ans. Qu’y as-tu appris ?

L’école ne nous jetait pas la poudre aux yeux, elle ne se prenait pas pour une école de réalisation mais de futurs techniciens. C’était assez réaliste, en arrivant sur des plateaux, j’ai bien senti que je ne savais rien, que j’avais tout à apprendre. Quand tu n’as rien fait, il faut faire tes preuves.

En finissant l’école, j’avais un scénario de court en poche, « Le grand jour ». Toquer à la porte d’un producteur me paraissait flou et inaccessible. Mes copains faisaient des films en auto-production, je les ai imités. J’ai fait beaucoup d’électro, quand j’ai eu mes heures et mon statut, j’ai essayé de réaliser mes projets personnels, des courts et des clips.


Comment as-tu commencé à t’intéresser au 48 Hour Film Project ?

Un peu par hasard. J’en ai entendu parler, et avec mes potes, on a eu envie de se lancer dans le projet. C’était l’occasion de se retrouver, d’écrire et de tourner tous ensemble. On avait envie de faire quelque chose de bien, sans prétention. On a tourné un petit film, « Casse-gueule », mais en le voyant terminé, on était dégoûté, on le trouvait nul ! Le film a été projeté en séance publique à Paris, au 48 Hour Film Project. On n’y croyait pas, on avait picolé la veille, et je ne me suis pas du tout levé le lendemain. Le premier assistant et un comédien y sont allés et nous ont appelés pour nous dire que la salle était morte de rire et que les gens avaient adoré le film. On est donc allé à la deuxième projection, on est arrivé en finale et on a gagné le concours, ce à quoi on ne s’attendait pas du tout.

Cette année, on a refait deux courts « Du Sable dans les pompes » et « As it used to be » qu’on nous a proposé de tourner en Afrique du Sud, selon le même procédé. Les trois films ont eu des prix, ils ont bien marché en festivals. Faire des films en 48h est un tremplin parmi d’autres dans le milieu du court métrage. Depuis que j’ai commencé à faire des films de cette façon, je ne me suis pas demandé ce que j’allais écrire et quels professionnels j’irais voir. Maintenant, j’en ai plus envie, je sais que je ne ferai pas des films de cette façon toute ma vie. Très vite, on atteint ses limites. Maintenant j’ai envie de me lancer dans la réalisation à plein temps, quitte à galérer un peu par moments, à faire de l’institutionnel, du clip, peu importe.

Comment ça se passe concrètement un tournage en 48 heures ?

Tu dois faire un film en un temps restreint (8 minutes), tu tires au sort un genre et tu as des éléments imposés. Le soir, tu découvres ton thème, tu écris toute la nuit, tu te couches à 4h du matin, tu tournes toute la journée dans des lieux que tu dois trouver toi-même, tu montes ton film et tu le rends le lendemain soir. Il y a plein de limites mais l’expérience en vaut vraiment la peine !

dusabledanslespompes-clement-gonzalez

"Du Sable dans les pompes"

« As it used to be » est le premier film que je vois sélectionné dans un circuit classique. Les festivals, comme celui de Grenoble, font en général office de filtres au regard de l’abondance de la production annuelle. Est-ce que les films réalisés dans les conditions du 48h sont bons ?

Rarement. Souvent, les films ne sont pas très bons, parce que le projet est ouvert à tout le monde et que faire un film en 48 heures est un exercice compliqué. Tu tires un genre au sort, on t’impose des choses, et tu n’as que quelques heures pour écrire un bon scénario Très peu de bons films en sortent, c’est un fait. Souvent l’appellation « 48 heures » fait défaut.

Quelles ont été les contraintes de « As it used to be » ?

On a tiré au sort la science-fiction parmi une quinzaine de genres, un personnage que j’ai entre temps coupé au montage, un objet (un panier-repas) et une phrase à prononcer « Is it on ? ». Ces contraintes nous ont mené vers quelque chose à la fois de simple et de futuriste grâce à un mélange de science-fiction et de comédie.

as-it-used-to-be-clement-gonzalez3

Ton film parle de transmission du savoir, d’échange, de relation prof-élève. Est-il lié à un souvenir d’école ?

Pas spécialement. En écrivant, nous n’avons pas eu de débats sur la notion d’éducation. Forcément, ce sujet-là est dans l’ère du temps, mais elle a surtout servi le film. Personnellement, je n’ai jamais aimé l’école. Très vite, j’ai su que je voulais faire du cinéma. Les seuls professeurs que je retiens, ce sont ceux qui étaient dans l’échange, ceux qui étaient suffisamment intéressés par leur sujet pour le transmettre, et qui savaient rendre leur matière intéressante. Je posais souvent des questions en cours et les professeurs qui me répondaient sont ceux qui m’ont marqué. À l’ESEC, on a eu la chance d’avoir comme professeur Michel Cion, un une référence dans les ouvrages de cinéma, notamment du son. Pourtant, je n’ai jamais eu pire enseignant que lui. Il est dans sa théorie, il a toujours raison. En mathématiques, les résultats ne sont pas contestables : 2 et 2 font 4. En cinéma, les sensations que procure tel ou tel son ne sont pas forcément les mêmes d’une personne à l’autre. Dans une école de cinéma, ça me paraît aberrant d’imposer un dogme sur des choses pareilles. Si mon film est lié au souvenir d’un professeur, ce n’est pas certainement celui-là !

as-it-used-to-be-clement-gonzalez4

Ton film est joliment interprété par un comédien sud-africain, Luthuli Dlamini. As-tu parlé avec lui de lien, de partage du savoir ?

Luthuli a un charme et un phrasé très british. Avant d’arriver en Afrique du Sud, je ne le connaissais pas. La seule image que j’avais de lui, c’était une capture d’écran. Quand je l’ai vu, c’était le bonheur, c’était bien mieux que ce que j’avais pu espérer. La présence, l’élégance, la voix, il a tout pour cartonner ! On n’a pas parlé des heures avec lui. Il est très intelligent. On lui a envoyé le scénario dans la nuit, il est arrivé sur le plateau le lendemain matin en le lisant au dernier moment. Je pense qu’il a tout de suite compris où on voulait en venir car ce qu’il a proposé devant la caméra était génial. C’était mon premier tournage en anglais, le piège était de le regarder jouer sans intervenir, sans dire grand chose. Du coup, on fonctionnait beaucoup par mots-clés. Je suis assez pointilleux au niveau des réactions, des timings. Je l’ai donc pas mal embêté !

Maintenant que tu souhaites faire des films classiques, vers quoi souhaites-tu te diriger ?

Il y a tout un pan de la création d’un film que je connais comme premier assistant mais pas comme réalisateur : le travail avec une vraie production. C’est une expérience qui m’a manqué par le passé et que j’espère connaître prochainement, avec un autre court.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Consultez la fiche technique du film

Le site du 48 Hour Film Project : http://www.48hourfilm.com/

Pour information, « As it used to be » sera projeté en présence de Clément Gonzalez, le jeudi 12 septembre 2013, au Studio des Ursulines, dans le cadre de la reprise des séances Format Court

Festival MOTION+, appel à films

Le Festival MOTION+, qui se tiendra à Aix-en-Provence du 2 au 7 décembre 2013, recherche une quarantaine d’oeuvres de Motion Graphics Design soit des films courts qui combinent les langages du film et du graphisme en incorporant un certain nombre d’éléments différents comme de l’animation 2D ou 3D, la vidéo, la typographie, l’illustration, la photographie et la musique.

motion1

Conditions de participation

Le stop-motion, le vidéoclip (officiel) et les vidéos combinant ces techniques sont aussi acceptés. Les documentaires, les publicités et les films institutionnels ne sont par contre pas admis.

Le festival est ouvert aux films courts de toute nationalité.

Seuls les films d’une durée inférieure à 12 minutes peuvent participer.

Seuls les courts métrages achevés après le 1er Janvier 2011 pourront s’inscrire.

Un vote du public est organisé par MOTION+ dans le cadre de la sélection.

Clôture des inscriptions : le 15 septembre 2013

Télécharger le règlement

Inscription en ligne