Six films sont en lice pour le Cartoon d’Or 2013, prix du meilleur court métrage d’animation européen. La cérémonie aura lieu le jeudi 19 septembre à Toulouse lors du Cartoon Forum, la plate-forme de coproduction pour les séries d’animation. Les six finalistes sont les suivants :
Betty’s Blues, de Rémi Vandenitte, France / Belgique. Prod. : Les Films du Nord / La Boîte, … Productions
Head Over Heels, de Timothy Reckart & Fodhla Cronin O’Reilly, Royaume-Uni. Prod. : NFTS
Ecart de conduite, de Rocio Alvarez, France. Prod: La Poudrière
Le jury du Cartoon d’Or 2013, composé du producteur Didier Brunner (Les Armateurs) et des réalisateurs Anca Damian (Roumanie) et Enrique Gato (Espagne), a sélectionné les finalistes parmi près de 30 courts métrages primés aux festivals d’animation européens partenaires de CARTOON.
Lors de la cérémonie de remise de prix le 19 septembre, les six films seront projetés devant l’ensemble des professionnels présents au Cartoon Forum. Le vainqueur sera dévoilé à l’issue de la cérémonie et remportera une aide financière de 10 000 EUR grâce au soutien du Programme MEDIA de l’Union européenne.
Jurés comme programmateurs dans des festivals de renom, les rédacteurs de Format Court et leur cheftaine prennent toujours autant de plaisir à écrire sur leur format de prédilection, le court métrage.
L’an passé, notre regard critique s’est frayé un chemin jusqu’à l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma. En 2012, Katia Bayer est ainsi devenue membre du comité court métrage de l’Académie des César et également première représentante d’un magazine web dédié au court métrage. Professionnels et experts du court métrage, les membres du comité ont la lourde, mais non moins passionnante, tâche de pré-sélectionner les films qui concourent pour le César du meilleur court métrage.
Pour la sélection 2014, notre rédactrice en chef sera accompagnée de Fanny Barrot, qui intègre également le comité court métrage et qui s’apprête à débattre de films avec les 33 autres membres, tous plus aguerris en matière de court métrage français les uns que les autres. Et à l’ordre du jour des breaking news, parce que les bonnes nouvelles arrivent en groupe chez Format Court, il faudra également compter sur la toute nouvelle place de Katia Bayer comme membre du comité court métrage animation de l’Académie. Elle prendra de ce fait part à la pré-sélection des 10 courts métrages concourant au César du Meilleur Film d’Animation 2014, aux côtés des films de long métrage.
Ces nominations représentent pour nous une forme de reconnaissance du travail accompli par Format Court depuis sa création, il y a bientôt cinq ans. Nous sommes ravies et fières de pouvoir participer à ces présélections et de rejoindre et d’assoir notre présence dans la grande famille des professionnels du court métrage.
Déjà évoqués dans notre précédent reportage sur le festival de Grenoble, « As it used to be » de Clément Gonzalez, « Le Mûrier Noir » (Shavi Tuta) de Gabriel Razmadze, « Lettres de femmes » de Augusto Zanovello et « The Mass of Men » de Gabriel Gauchet ont suscité notre intérêt parmi les 34 titres de la compétition. Nous revenons aujourd’hui sur ces quatre films qui, avec « Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand, récompensé du Prix du meilleur scénario à Grenoble, seront projetés dans le cadre de la reprise du palmarès du Festival lors de notre première séance Format Court de l’année, le jeudi 12 septembre, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
As it used to be de Clément Gonzalez, Prix d’aide à la création, Prix du public
Malgré son titre anglophone, « As it used to be » est un film français ayant la particularité d’avoir été réalisé dans le cadre du 48 Hour Film Project à Johannesbourg. Le principe est simple : à la manière des films Kino, les films sont écrits, tournés et montés en 2 jours. Loin d’être un court sans substance comme peuvent l’être de nombreux films faits dans l’urgence, celui de Clément Gonzalez touche par sa justesse de ton, son humour et son émotion. L’histoire, car il y en a bien une, est celle d’un professeur d’histoire (interprété magnifiquement par le comédien sud-africain Luthuli Dlamini) donnant son cours devant une classe vide et une simple webcam, à la fin des années 2030. L’instruction, la transmission du savoir du professeur à l’élève, l’échange entre eux ne sont plus que virtuels : tout passe désormais par Internet. Cette mécanique bien huilée et futuriste cadre les professeurs comme les présentateurs de JT actuels : en hommes-troncs potentiellement sans pantalon. Mais que penser d’un micro-évènement, d’un boulon qui coince, censé être banal, mais dont les conséquences peuvent être plus importantes qu’on ne le croit ? Que faire quand une « vraie » élève, plutôt pas mal de surcroît, franchit la porte de la salle de classe pour assister en live à un cours d’histoire, à la manière de ces anciens étudiants qui remplissaient il y a encore trente ans les hémicycles ? Face à « As it used to be », on s’interroge, on s’émeut, on rit, on fait les trois à la fois et on cherche obstinément pendant le générique le nom du seul professeur passionné qu’on a rencontré lors de nos études (réponse : Mme De Pauw, prof d’anglais). Vraie découverte de ce festival, le film parle surtout de l’avancée galopante de la technologie et de ses effets néfastes sur la société et les comportements actuels (absence de communication, de partage réel d’informations, virtualité des liens). Pour peu, on serait presque tenté d’abandonner tout son attirail technologique (smartphone, portable, e-machin, …), de retrouver Mme De Pauw et de lui payer un coup en la remerciant de nous avoir si bien appris les verbes irréguliers.
Le Mûrier Noir (Shavi Tuta) de Gabriel Razmadze, Mention du Festival
Le film, fruit d’une co-production franco-géorgienne, évoque la journée passée entre deux voisins adolescents, que presque tout oppose. Tourné dans la ville minière de Chiatura, le film se dote d’une très belle photo (signée Goga Devdariani) pour aborder le quotidien du silencieux Nick et de l’enjouée Anna, jeunes gens attirés l’un par l’autre mais séparés par leur condition sociale. Lui se destine aux profondeurs, au labeur et à la survie : comme son père, il ira travailler à la mine. Elle, de son côté, compte bien embrasser la lumière, les études et l’ailleurs : elle quitte la ville avec ses parents et deviendra peut-être un jour médecin, parce qu’il s’agit d’un vrai métier selon sa mère. Pendant leur dernière journée ensemble, ils prennent le téléphérique, admirent distraitement les sublimes montagnes locales, se courent après comme des enfants qu’ils sont encore, cueillent et mangent des mûres en se regardant à la dérobée. Ces deux-là savent probablement qu’ils ne pourront pas partager leur vie ensemble, même si Nick tente – un peu tard – de se débarrasser de son habit noir pour rattraper la belle Anna. Malgré plusieurs incohérences scénaristiques, « Le Mûrier Noir » est un film de ressenti qui ne multiplie pas les discours, préférant jongler entre les jeux de regards, les non-dits et les très beaux plans de la campagne géorgienne.
Lettres de femmes de Augusto Zanovello, Prix spécial du Grand jury, Prix du jury jeune & mention spéciale du jury de presse
Seule animation vraiment originale à Grenoble, « Lettres de femmes » propose un bond dans le temps, pendant la guerre 14-18. Sur le front, entre la boue, la crasse, la folie et la mort, l’infirmier Simon passe de gueule cassée en gueule cassée pour soigner les blessures. Ses poilus, il les soigne à coups de lettres de femmes et de leurs mots d’amour et de réconfort. Ce sont eux les seuls remèdes pouvant soigner les trous des soldats blessés pour la patrie. Simon, lui, semble traverser la Grande Guerre sans encombres. Ce qui l’anime, c’est sa correspondance avec Madeleine, sa marraine de guerre, qui lui donne du courage pour affronter l’horreur du quotidien. Ses mots lui soulagent autant le cœur que l’esprit. Un jour, les lettres n’arrivent plus au front.
Bardé de quelques prix sympas (Prix du public à Annecy, Coup de Coeur Unifrance à Cannes), « Lettres de femmes » a de bonnes cartes en main : son sujet à part, son entrée en matière forte et expressive, l’émotion se dégageant des lettres lues en voix-off, la poésie de certaines scènes, ses soldats de papier/de carton et ses mots-remèdes. Malgré quelques séquences plus faibles, le film doit beaucoup à son esthétique et à sa scène finale, poétique et musicale.
The Mass of Men de Gabriel Gauchet, Grand prix, Prix du jury presse & Mention spéciale du jury jeune
Malgré son Pardino d’or glané au Festival de Locarno 2012 et sa projection en juin à Bruxelles dans le cadre des séances Short Screens, « The Mass of Men » ne nous était toujours pas tombé entre les mains. Pourtant, son réalisateur, Gabriel Gauchet, n’est pas un total inconnu à nos yeux clairs. Il y a trois ans, au moment du Festival de Clermont-Ferrand, nous avions découvert ce réalisateur et son film de l’époque,« Efecto Domino », abordant un règlement de comptes mené sur un présumé coupable, dans les rues de la Havane. Le film nous avait saisi pour sa violence physique et verbale, ses hors-champs et la justice des hommes rendue, entre action et passivité. Le film était un film d’écoles allemand (produit par la KHM/Kunsthochschule für Medien Köln), celui-ci en est un aussi. Gabriel Gauchet aime effectivement les heures de cours puisque « The Mass of Men » est un film de la NFTS (National Film and Television School), une école importante au Royaume-Uni.
Son film s’ouvre sur une scène de meurtre filmée en vidéo-surveillance et se poursuit avec le rendez-vous de Richard, un chômeur de 55 ans, en retard de quelques minutes avec sa conseillère de Pôle Emploi. S’ensuit un dialogue de sourds et une libération de la parole et des actes totalement imprévue. Entre violence verbale et physique, entre discours réactionnaire et survie, « The Mass of Men » ne parle pas, comme son titre l’indique, d’un seul homme fragilisé, mais d’une masse anonyme d’êtres rejetés, faibles, opprimés. Le film de Gauchet surprend, choque, laisse pantois. Il pourrait être rangé du côté de ces fameux films qu’on aime bien qualifier de sociaux, mais ce serait réduire sa portée que d’énoncer une telle parole. Par l’hyperréalisme de son récit, il parle autant d’une situation extrême que l’intransigeance et de la déshumanisation de l’aide sociale. Déroutant et percutant, « The Mass of Men » est bel et bien un grand film.
Synopsis : Sur le front de la Grande Guerre, l’infirmier Simon répare chaque jour les gueules cassées des poilus avec des lettres d’amour, des mots de femmes qui ont le pouvoir de guérir ces soldats de papier.
Genre : Animation
Durée : 10’11 »
Pays : France
Année : 2013
Réalisation : Augusto Zanovello
Scénario : Augusto Zanovello, Jean-Charles Finck
Storyboard : Luc Blanchard
Décors : Linda Yi, Marc Ménager, Emily Battersby, Régis Friaud
Animation : Elodie Ponçon, Ignacio de Marco, Patricia Sourdes, Augusto Zanovello
Caméra : Cyril Maddalena
Compositing : Romain Blanc-Tailleur, Kohei Mishima, Alexandre Bayle, Gustavo Almenara, David Martin, Daniel Virguez
Synopsis : Dans un futur proche, les professeurs ne donnent cours que devant une classe vide et une simple webcam, retransmettant la leçon sur Internet. Un professeur d’histoire va voir son quotidien bousculé quand une élève franchit la porte de sa salle.
Réalisation : Clément Gonzalez
Genre : Fiction
Durée : 8’13 »
Pays : France
Année : 2012
Interprétation : Luthuli Dlamini, Cleo Rinkwest
Scénario : Clément Gonzalez, Martin Malzieu, Marc Stef, Baptiste Gondouin, Roberto Fernandez
Synopsis : Richard, un chômeur de 55 ans, arrive trois minutes en retard pour son rendez-vous au centre d’emploi. Sa conseillère, submergée par son travail, n’a pas d’autre choix que de le pénaliser. Pour éviter de sombrer dans la misère, Richard prend des mesures désespérées.
Au terme de six jours de projections, le Festival du court métrage en plein air de Grenoble s’est achevé il y a deux semaines. Plus ancien évènement consacré au court encore existant en France (36 ans au compteur !), le festival, bien moins médiatisé que d’autres, jouit pourtant d’une bonne réputation auprès des professionnels par son ancienneté et son accessibilité. Comme d’autres festivals en région (Brest, Poitiers, Lille, …), celui de Grenoble joue la carte du local, avec comme double particularité d’être organisé par la Cinémathèque locale et de proposer gratuitement des projections de films en compétition en plein air et en salle. Le concept prend puisque 10.000 spectateurs assistent à ce rendez-vous convivial annuel. Pour la première année, Format Court était présent au festival (par la participation de l’auteur de ces lignes au Jury presse) et vous propose d’en savoir plus sur cette 36ème édition.
Aux origines
Le festival est né sous l’impulsion de Michel Warren, son ancien directeur. Il y a près de 40 ans, un courrier est adressé à la SRF (Société des Réalisateurs de Films), au comité court métrage présidé alors par Costa-Gavras. À cette époque, l’Agence du court métrage tout comme le Festival de Clermont-Ferrand n’existent pas encore. Warren souhaite organiser un weekend en plein air consacré au court métrage et demande à la SRF de lui concocter un programme clé en main. En moins de dix jours, des producteurs et des réalisateurs français sont contactés et les copies sont envoyées aux adresses des membres du comité (notre ami et confrère Gilles Colpart se souvient même que les copies s’accumulaient dans sa chambre de bonne et dans le couloir attenant). Tout ce petit monde embarque alors en camion depuis Paris et arrive six heures plus tard à Grenoble avec 40 films en 16 mm à bord. Seulement, une fois sur place, le véhicule est cambriolé. Le voleur ne devait pas être un cinéphile : les films étaient toujours là après son passage, sans quoi le weekend aurait été quelque peu compliqué à organiser ! L’accès libre s’applique déjà et le public est au rendez-vous. L’envie de réitérer l’expérience avec cette fois, un vrai festival et une vraie sélection l’année suivante se ressent. L’idée se concrétise rapidement et est toujours d’actualité plus de trente ans plus tard.
L’évolution
Longtemps géré par Michel Warren et repris depuis deux ans par Guillaume Poulet, son actuel directeur, le festival s’est ouvert depuis 2012 à l’argentique. La manifestation a ainsi vu son nombre de films inscrits considérablement augmenter, passant de 250 en 2011, à 750 l’an passé et à 980 cette année. Longtemps francophile dans ses sélections, le festival s’est peu à peu ouvert à l’Europe. Désormais, on trouve à Grenoble des films espagnols, russes, géorgiens, anglais et même iraniens. Les places restent chères puisque seuls 34 films majoritairement français (les habitudes ne changent pas si facilement) ont été retenus cette année en compétition officielle. Ces films se répartissent en cinq programmes et chose inhabituelle, une seule séance compétitive est projetée au jour le jour.
Cela laisse du temps pour visiter la ville, aller au musée, faire les soldes, avoir de mauvaises idées (prendre le téléphérique en solo pour rejoindre la montagne alors qu’on a le vertige), assister aux débats publics organisés avec les réalisateurs des films en compétition ou encore voir les programmes parallèles. Cette année, étaient ainsi programmés à Grenoble trois séances de films hors compétition relativement inintéressants (puisés dans les films soumis à la sélection), un panorama plutôt maigre sur le jeune cinéma chinois, un double programme consacré aux 30 ans de l’Agence du court métrage via sept oeuvres restaurées et numérisées dont les inusables « Foutaise » de Jean-Pierre Jeunet, « 200 000 fantômes » de Jean-Gabriel Périot et « Viejo Pascuero » de Jean-Baptiste Hubre, une carte blanche aux Archives Françaises du film illustrant en six films le passage du muet au parlant (marqué par le très visuel « A colour box » de Lye Len), et une nuit blanche consacrée au festival d’Annecy qui s’est terminée aux aurores avec le dernier Cristal du court, « Subconscious password » de Chris Landreth.
Le crû 2013
34 films constituaient donc la compétition grenobloise 2013. Côté jardin, le principe d’une sélection restreinte et d’une seule séance compétitive quotidienne sont extrêmement louables. Les yeux et l’esprit n’ont pas forcément besoin d’un excès de films pour aiguiser leur copain, le jugement. Côté cour, la sélection de Grenoble n’a malheureusement pas affolé les mirettes et le mental. Ce n’est pas une surprise, les films français se révèlent souvent décevants. Citons pour la forme et/ou le fond inintéressant(s) : « Date limite de consommation » de Christelle Lamarre (une fausse vieille abandonnée par son mari retrouve le bonheur grâce à une boutique de plaisir et se transforme en fée fatale. Soupir), « Les Chrysanthèmes sont des fleurs comme les autres » de Yann Delattre (une navrante comédie-trop-marrante-de-la-Fémis sur un faux décès et un vrai décès), « Fuck You » d’Olivier Jean (un consternant retour de situation misogyne entre un potentiel violeur et sa proie, sprinteuse professionnelle), « Une minute lumière » de Roberto d’Alessandro (un mièvre film expérimental montrant un supposé Trocadéro décalé, à la frontière peu crédible de « l’espace, des gens et des histoires »), « 216 mois » de Valentin et Frédéric Potier (une chanteuse ventriloque porte encore dans son ventre son fils de 18 ans. Celui-ci souhaite s’émanciper et sort finalement de sa prison pour devenir papa. Areuh), « Habiba » de Ingrid Lazenberg (trois jeunes gens disent au revoir à leur mère disparue ou comment faire un film de 3′ sur la seule présence – vocale – de Claudia Cardinale), « Amal » de Alain Decheres (un coup de foudre très hasardeux entre une bombe humaine sexy et un démineur, comme par hasard tous les deux maghrébins) ou encore « Faims » de Géraldine Boudot (un film dans lequel on sent que les comédiens ont pris plaisir à tourner dans le Beaujolais, mais où l’émotion reste planquée dans les vignes).
Malgré cette première partie peu réjouissante, tous les films français ne sont pas à blâmer : sept courts ressortent tout de même du lot. En premier lieu, figurent trois nouveaux films : « As it used to be » de Clément Gonzalez, un film réalisé en 48 heures sur l’emprise de la technologie sur la société et les moeurs d’aujourd’hui, « Le Mûrier Noir » (Shavi Tuta) de Gabriel Razmadze, un film franco-géorgien évoquant une journée passée entre deux voisins adolescents, et « Lettres de femmes » de Augusto Zanovello, une animation étonnante sur la Grande Guerre où le papier et les mots soignent les blessures. Pour information, ces trois films, tous primés à Grenoble, feront, avec « The Mass of Men » de Gabriel Gauchet, Grand Prix et Prix de la Presse au festival, l’objet d’un reportage à part, pour leurs qualités propres.
Ensuite, vient s’ajouter « Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand, qui est loin d’être un film inédit mais qui ressort de cette sélection et qui fonctionne encore et toujours en salle depuis sa présentation et son succès au festival de Clermont-Ferrand. On ne reviendra pas en détail sur ce thriller très efficace, mettant en scène l’histoire d’une mère cherchant à fuir avec ses enfants le domicile conjugal et son mari violent, on préférera vous renvoyer vers la critique du film (on aime bien les liens à Format Court !). Puis, viennent « Les Lézards » de Vincent Mariette (également chroniqué sur le site) qui, faute d’être un grand film, est une comédie bien sentie au lieu de tournage original (un sauna), à la bande son sympa et au trio de comédiens au top (Vincent Macaigne, Benoît Forgeard, Estéban).
Cliquer sur l'image pour visionner le film "Guillaume Le désespéré"
Du côté de l’originalité et la bonne idée made in France, on relève aussi à Grenoble deux autres films : « Guillaume Le désespéré » de Bérenger Thouin, un film d’école expé assez dingue sur la vie d’un homme multitâches pendant la première guerre mondiale porté par des images d’archives et une voix-off décalée ainsi que « La nuit américaine d’Angélique » de Pierre-Emmanuel Lyet et Joris Clerté, une animation en noir et blanc sur le métier de scripte, la relation au père et à François Truffaut, qui doit beaucoup à la joliesse de son texte.
On le disait en préambule : cette sélection festivalière se tourne également vers l’Europe. Cela se passe parfois avec beaucoup d’intérêt comme « The Mass of Men » de Gabriel Gauchet, abordant avec force et émotion la violence verbale et physique vécue dans une agence pour l’emploi. Ou avec bien moins de frénésie comme devant « Welcome Yankee » de Benoît Desjardins (un film canadien bourré d’incohérences dans lequel deux immigrés persécutés, curieusement coincés dans un container, sont sauvés par Dieu, un flic mangeant au volant et un petit garçon esseulé), « Les traits » de Guillaume Courty (un autre film canadien sans containers ni immigrés qui parle vaguement d’attirance et de portraits, mais qui s’oublie sitôt qu’il se regarde), « La Cicatriz » de José Manuel Cacereno (un film espagnol très mince sur la passé néo-nazi d’un beau mec bossant dans une succursale d’IKEA. Euh…) et « Sein Kampf » de Jakob Zapf (un film très choquant et totalement juvénile dans son propos sur la notion de vérité entre un adolescent néo-nazi et un rescapé des camps).
"Rae"
Heureusement, trois films étrangers, certes un peu maladroits mais comportant tout de même des bons points, s’extraient de la sélection : « RAE » d’Emmanuelle Nicot (Belgique) traite, comme « Avant que de tout perdre », de la violence conjugale et de ses conséquences sur une jeune femme accueillie pour le coup dans un refuge de femmes battues. Malgré quelques tire-larmes, le film fonctionne bien notamment grâce à la relation de son interprète principale, paumée et sur la défensive, avec sa colocataire, forte mais tout aussi fragile, partageant la même triste expérience. « Second Wind » de Sergey Tsyss, venant lui de Russie, montre un monde apocalyptique dans lequel un homme, probable dernier survivant sur Terre, n’a plus que comme unique raison de vivre celle de créer chaque jour une fleur en aluminium. Certes, le film est obscur et peu intéressant pour un film de S-F mais son univers visuel lui confère un petit charme et revient en mémoire, même deux semaines après le festival. Enfin, « Dozdi » de Mohammad Farahani, venu tout droit d’Iran, propose un double regard sur le vol et les apparences. Bien trop court (5′), le film aurait gagné en profondeur avec quelques minutes et plans supplémentaires. D’autant que les courts iraniens, très prisés par Format Court, ne sont pas ceux qu’on voit le plus en festival.
"Dozdi"
En refaisant le compte et en tournant les pages du catalogue, onze films refont surface, ce qui équivaut à un tiers de la sélection. Cela peut sembler peu pour un festival d’envergure tel que celui de Grenoble et on ne peut qu’espérer que le comité de sélection s’arrêtera sur de meilleurs films l’année prochaine. En même temps, des films comme « The Mass of Men », « As it used to be » et « Lettres de femmes » sont de réelles découvertes à nos yeux et inspirent autant nos textes que nos programmations. C’est la raison pour laquelle nous projetterons ces trois films à la rentrée dans le cadre de la reprise de nos séances Format Court le jeudi 12 septembre, au Studio des Ursulines. Ces films audacieux, le charme de la ville, l’engagement profond pour le court et l’ambiance conviviale du festival en font tout son intérêt.
Du 2 au 6 juillet, Format Court assistait pour la première fois au Festival du film court en plein air de Grenoble. Films en compétition, en hors compétition, séances spéciales, nuit blanche animée, … : la plus ancienne dédicace au court encore existante en France fait l’objet d’un dossier spécial à l’occasion de sa 36ème édition. Retrouvez dans les prochains jours les reportages et les interviews réalisés à cet effet avant la rentrée de septembre lors de laquelle le palmarès du festival sera projeté à notre première séance Format Court de l’année, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
La 26e édition du Festival Premiers Plans se déroulera du 17 au 26 janvier 2013. Vous pouvez soumettre votre film dans l’une des sections suivantes : premiers et seconds longs métrages, premiers courts métrages, films d’écoles, films d’animation (films produits en Europe en 2012 ou 2013). La fiction, l’animation, le documentaire sont acceptés dans ces différentes sections. Les films expérimentaux forment des panoramas hors compétition.
Pour inscrire un film :
– remplissez le formulaire d’inscription
– et envoyez un DVD à :
Festival Premiers Plans d’Angers – c/o C.S.T.
22-24, avenue de Saint-Ouen – 75018 Paris
Attention : les envois en recommandé ne sont pas acceptés
Date limite des inscriptions : mercredi 16 octobre 2013
Le Festival du film de Vendôme se déroulera du 6 au 13 décembre 2013 pour sa 22ème édition. Il se consacre à la jeune création cinématographique française et européenne, à travers la diversité de ses formes : courts métrages, documentaires de création, animation, longs métrages en avant-première… Depuis le 17 mai, les inscriptions pour la compétition nationale de courts métrages sont ouvertes sur www.filmfestplatform.com.
Conditions pour postuler pour la compétition nationale de courts métrages
– Film terminé après le 1er janvier 2012
– Durée de moins de 60 minutes
– Support de projection : 35mm, DCP, Blu-Ray, Fichier numérique HD
– Pays de production : France (pays de production principale et coproduction)
– Genre : fiction, documentaire, animation, expérimental, essai
– Seul les films ayant reçu une aide sélective des collectivités territoriales ci-dessous peuvent participer à la compétition nationale.
Régions : Alsace, Agence culturelle d’Alsace, Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie (Maison de l’image Basse-Normandie), Bourgogne, Bretagne, Centre, Champagne-Ardenne, Corse, Guadeloupe, Guyane, Ile-de-France, Haute-Normandie (Pôle Image Haute-Normandie), Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais (CRRAV), Pays de la Loire, Picardie, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Réunion, Rhône-Alpes, Rhône-Alpes.
Du 6 au 14 septembre 2013, la sympathique ville de Trouville accueillera la 14ème édition du Festival Off-Courts. Axé autour des rencontres France/Québec, le Festival vient d’annoncer ses sélections, en compétition et en hors-compétition. Sur 2200 films enregistrés en 2013, voici ceux retenus en compétition, dans les catégories Québec, France, Europe & francophonie. La plupart d’entre eux sont inédits pour nous (pas de liens vers d’anciens sujets, donc). Cela tombe bien car Format Court retournera au festival du off à la rentrée, après s’y être rendu en 2011 (un lien, pour le coup).
QUÉBEC
7 heures 3 fois par année d’Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin
A l’aube d’Émilie Lemay
Déjà vu de Jean-Guillaume Bastien
Faillir de Sophie Dupuis
Gaspé Cooper d’Alexis Fortier Gauthier
Imparfaite d’Emilie Gauthier
In Guns We Trust de Nicolas Lévesque
Ina Litovsky d’Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin
Jeu d’enfant d’Émilie Lemay
Kin de Ben McKinnon et Sébastien McKinnon
Là où je suis de Myriam Magassouba
Le grand voyage d’Élastika de Guillaume Blanchet
Le monstre d’Élisabeth Desbiens
Le toasteur de Michaël Lalancette
Les adieux de la Grise d’Hervé Demers
Letters from Pyongyang de Jason Lee
Micta de Marie-Pier Ottawa
Midnight Wind de Nicolas Fidala
Mila de Kristina Wagenbauer
Nicola sans s de Xavier Havitov
Not Delivered de Vincent René-Lortie
FRANCE
5 mètres 80 de Nicolas Deveaux
Diagnostic de Fabrice Bracq
Djekabaara d’Enis Miliaro
Douce nuit de Stéphane Bouquet
Duku Spacemarines de Nicolas Liautaud
Entre les lignes de Jean-Christophe Hadamar
Fanily de Jules Dousset
Je t’attends toujours de Clément Rière
Le bout du fil de François Raffenaud
Le retour de Yohann Kouam
Les deux morts de Parfait de Leila Fenton
Les deux vies de Nate Hill de Jeanne Joseph
Les perruches de Julie Voisin
Ma rencontre de Justin Pechberty et Samir Hamiche
Motorville de Patrick Jean
Rebelote de Cyril Coste
Reverso de Kimberly Honma, Clément Lauricella, et Arthur Seguin
Shunpo de Steven Briand
Skom de Christophe Derro
Social Butterfly de Laurent Wolkstein
Souffle court de Johann Dulat
Suzanne de Wilfried Meance
The Blue Dress de Lewis Martin
EUROPE ET FRANCOPHONIE
22:22 de Julien Becker – Luxembourg
4:13 do Katowic d’Andrezej Stopa – Pologne
A Big Drama for a Little Man de Nico Capogna – Italie
Balance de Mark Ram – Pays-Bas
Colors de Cid – Madagascar
Doors de Michele de Angelis – Italie
Eletric Indigo de Jean Julien Colette – Belgique
Eutanas S.A. de Victor Nores Lorenzo – Espagne
Habitat d’ Ina Georgieva – Bulgarie
Hotel de José Luis Aleman – Espagne
Ingrid fait son cinéma de Véronique Jadin – Belgique
Mitt Forra Liv de Sébastian Lindblad – Suède
Tooth of Hope de Nizar Sfair – Liban
Wachter de Daniel Jude – Allemagne
War Room de Thomas Stuyck – Belgique
Le prochain Festival Off-Courts vivra sa 14ème édition du 6 au 14 septembre 2013 à Trouville. Parallèlement aux films en compétition, un certain nombre de films en hors compétition seront projetés pendant toute la durée du festival. Voici les titres de ces films venant du Québec, du Canada, de France, de Belgique, de Pologne, d’Italie et d’Allemagne.
QUÉBEC
Belle à voir de Jericho Jeudy
Fou, Rien pis Personne d’Elise de Blois
Les royaumes de Kromaki d’Eric K. Boulianne
Luna et Solaris de Vanessa Lévesque
Ô divin bovin d’Alexandre Rufin
Putain de romantisme de Thierry Bouffard
FRANCE
Angle mort de Maud Bourgeais
Asphyxie d’Estéban Debrouille, Théo Germain, Mélyne Le Roux, Alexandre Lejuez et Alexandre Mayer-Gillet
Au fil du banc de Laurent Torterotot Avant que de tout perdre de Xavier Legrand
Behind the Bush de Yoann Luis
Dum spiro de Boris Cailly
Entre les gouttes d’Airy Routier
Et que ça saute! de Jeanne Delafosse
Graffeuse d’Antonio Amaral
Guard Dogs de Renaud Jaillette
Hafida de Loïc Nicoloff
Inked de Laure Alixe
Just a Fan de Cécile Ragot
Karma de Jason Sorin L’Aurore boréale de Keren Ben Rafael
L’évidence d’Arthur Shelton
L’homme à la tête de Kraft de Thierry Dupety
La salamandre de Jules Thenier
Le hérisson de verre de Jean-Sébastien Bernard
Le petit blond avec un mouton blanc de Eloi Henriod
Le point Godwin de Thomas Lesourd
Le premier pas de Jonathan Commène
Le slow (clip Granville) de Jonathan Perrut
Les brigands d’Antoine Giorgini Les Lézards de Vincent Mariette
Les oranges de Yannick Pecherand-Molliex
Maximilien de Lewis Eizykman Méditerranées de Olivier Py
Next Generation de Yann Jouette
Nokomi de Caroline Collinot
Ouch de Fred Joyeux
Panique dans le ciel de Nicolas Boulenger
Pao de Lola Heude
Rétention de Thomas Kruithof
Skin de Cédric Prévost
So very Cute de Vital Philippot
Son dernier napperon de François Le Page, Manon Lecanteur, Camille Legrand, Camille, Lenglet, Audrey Nezan et Margot Wanquetin
Victorine de Garance Meillon
Wiccanthropy 2 et 3 de Thomas Lesourd
Zoo de Nicolas Pleskof
INTERNATIONAL
Bowling Killers de Sébastien Petit – Belgique
Die Box de Sascha Zimmermann – Allemagne
Flammable de Samuel Plante- Canada
How to Keep Your Day Job de Sean Frewer – Canada
Krake de Regina Welker – Allemagne
La pince à linge de Katarzyna Florianczyk et Jolanta Zochowska – Pologne
Love Songs from an Android de Sol Friedman – Canada
Ma forêt de Sébastien Pins – Belgique
Maple sirup de Yoshino Aoki – Canada
Pipiteu de Dominique Ernest – Canada
Shame and Glasses d’Alessandro Riconda – Italie
The Tape de Matt Sadowski-Austin – Canada
Waiting on the Rain de Bernie Yao – Canada
« Premier Automne » est un film entier qui parvient en à peine dix minutes à traiter de sujets aussi complexes que fondamentaux avec autant de simplicité que de profondeur. Tout juste auréolé du prix du meilleur film d’animation en image de synthèse au festival du court-métrage de Shorts Shorts de Tokyo 2013, il a également été présenté en hors compétition au dernier festival d’Annecy.
Une petite fille – Apolline – rencontre un petit garçon – Abel. Chacun apprend au contact de l’autre à vivre avec l’idée que la vie à une fin. Les personnages de « Premier Automne » ont curieusement un air de famille avec les protagonistes décrits à travers le mythe grec de Perséphone – à l’origine du cycle des saisons.
Aude Danset et Carlos de Carvalho proposent ici une adaptation en miroir de cette allégorie du cycle de la vie. La dualité est incarnée par les deux personnages Abel (Hiver) et Apolline (Eté) vivant chacun dans le monde qui est le leur. Ignorant tous les deux jusqu’à l’existence de l’autre, ils cheminent vers la frontière séparant leurs deux mondes. La rencontre de leurs deux univers va avoir lieu au pied d’un arbre scindé en deux : une partie est en vie et l’autre est morte.
L’approche résolument symbolique permet de préserver l’atmosphère propre aux mythes et légendes tout en proposant dans le même temps une relecture moderne de celui-ci. À la différence du mythe grec qui met en avant la confrontation entre Perséphone, Déméter et Hadès, les rapports entre les personnages et l’univers qu’ils déploient avec eux s’inspirent du concept oriental du Yin et Yang : l’accent est mis ici sur la complémentarité des deux états incarné par l’Eté et l’Hiver plutôt que sur ce qui pourrait les opposer.
On retrouve donc une symétrie dans les personnages et les univers mais aussi dans la construction narrative du film. Apolline et Abel passent chacun à leur tour par des émotions et des actions semblables, faisant ainsi coïncider le fond et la forme, contribuant ainsi l’harmonie qui se dégage du film. Réconciliés chacun avec eux-mêmes à la fin du film, ils jouent à se poursuivre autour de l’arbre, faisant ainsi pousser ou tomber les feuilles à leur passage.
Carlos de Carvalho n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il avait déjà réalisé le clip de la chanson « Do I have power » pour le groupe « Timber Timbre » où un petit garçon – squelette arpentait une forêt peu hospitalière. Dans ce clip, on pouvait déjà repérer les germes des éléments et des thématiques qui allaient se retrouver dans « Premier Automne » (le squelette vivant, la forêt, les choix graphiques, la dualité du personnage et l’absence de parole).
Plus abouti tant au niveau de l’animation que du scénario, « Premier Automne » parle avec justesse de la vie et de la mort sans qu’un seul mot soit prononcé. La magnifique musique composée par Fréderic Boulard sublime les images et confère au film à la fois une force et une douceur tout à fait saisissante. Et c’est avec beaucoup de minutie et d’ingéniosité que les deux réalisateurs créent une histoire qui s’adresse à tous sans jamais céder à la facilité.
Synopsis : Abel vit dans l’hiver, Apolline vit dans l’été. Isolés dans leurs « natures », ils ne se sont jamais rencontrés. Ils ne sont d’ailleurs pas supposés se croiser. Alors, quand Abel franchit la limite et rencontre Apolline, la curiosité prend le dessus. Leur découverte devient pourtant rapidement plus compliquée qu’ils ne l’auraient cru. Tous deux vont devoir apprendre le compromis pour le bien de l’autre…
Genre : Animation
Durée : 10’14 »
Pays : France
Année : 2012
Réalisation : Aude Danset, Carlos de Carvalho
Scénario : Aude Danset, Carlos de Carvalho
Direction artistique : Aude Danset, Carlos de Carvalho
Décors : Aude Danset, Carlos de Carvalho
Animation : Frederic Trouillot, Aurelien Peis, Jeremy Theng, Loic Tari
Compositing : Guillaume Polvech, Pierric Danjou
Musique : Frederic Boulard
Son : Christian Cartier
Production : Melting Productions, In Efecto, Je regarde
Considéré comme un pionnier de la Nouvelle Vague belge, Felix van Groeningen tourne des longs-métrages depuis dix ans. Son film le plus connu est le tendre et décalé « La Merditude des choses », réalisé en 2009. Alors que son dernier film, « Alabama Monroe » sort en salles fin août, il était l’un des invités du festival Paris Cinéma dans le cadre du programme Made in Belgiëque. Avec intérêt et curiosité, nous avons découvert les premiers films, courts comme longs, de celui qui était arrivé, avec son équipe, nu et à vélo à la projection officielle de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs, il y a quatre ans.
Tu as fait plusieurs courts pendant tes études. Qu’ont-ils représenté dans ton parcours ?
Ce qui était particulier à cette époque, c’est que je faisais mes films en même temps que je développais une pièce de théâtre nommée Kung fu. Je tournais avec des comédiens, des jeunes gens que je dirigeais aussi au théâtre. Beaucoup de scènes se sont faites par improvisation et on y trouvait beaucoup de liberté. La pièce a très bien marché, on a joué pendant trois ans partout en Europe. Après, on a formé une compagnie et on a crée une deuxième pièce, Discotheque. Pendant ces voyages, je faisais parfois des répétitions avec mes copains du théâtre et les comédiens amateurs pour mes courts métrages. C’est comme ça que j’ai fait « Truth or Dare », mon film de troisième année, et « 50 cc », mon film de fin d’études.
J’ai tout appris en faisant les deux ensemble. À l’école de cinéma, j’apprenais à faire des films. Avec les autres étudiants, on s’entraidait, on faisait tout : le montage, la lumière, l’écriture, etc. Mais ce qu’on ne faisait pas beaucoup, c’était le travail avec les acteurs. Avec la pièce, j’ai pu combler ce manque.
« Truth or Dare »
De quoi parlait la pièce ?
L’idée était très simple : on montrait des individus en train de marcher sur une passerelle et puis, ceux-ci commençaient à parler de leur vie. Quand j’ai commencé ça, j’avais 19 ans. On recrutait des jeunes gens, des amis, des petites amies, les frères ou soeurs des petites amies (rires) ! On formait une petite bande qui grandissait. La saison d’après, certains partaient, d’autres arrivaient. Là, j’ai vraiment appris à chercher ce qui me touchait.
Et c’était quoi ?
(Grand éclat de rire). Les émotions, et c’est toujours le cas. Comment et quoi chercher ? (…) J’ai appris aussi à ne pas avoir peur, à être à l’aise avec les gens, quand je travaille avec eux, à parler avec eux de leur vie et d’en extraire des petits morceaux que je trouvais beaux et que je transformais en petites histoires.
Tu as étudié au KASK, à Gand. Pourquoi as-tu choisi cette école ? Comment les films s’y concevaient au moment où tu y étais ?
Concernant l’école, je ne me suis même pas posé de questions. J’habitais à Gand, j’étais très bien là-bas et c’était l’école de cinéma qui s’y trouvait. Il y avait bien sûr d’autres écoles mais il y avait des examens d’entrée et j’ai préféré faire simple !
Ce n’était pas une école très riche à ce moment-là. On devait faire son film de fin d’études en 16 mm, mais j’ai été le premier à pouvoir tourner en vidéo parce que j’avais beaucoup insisté pour cela. C’était l’époque du Dogme 95 : l’idée naissait de tourner en vidéo, avec peu d’argent, dans un lieu, avec un groupe de personnes et de trouver de la liberté. Cet état d’esprit a aussi trouvé son chemin à l’école. On avait vu les films qui s’en inspiraient, on s’est demandé pourquoi on devait faire des courts métrages classiques qui ne duraient pas longtemps et qui coûtaient des centaines de milliers de francs pour la pellicule. On préférait fonctionner à deux caméras, avec un groupe de jeunes, une histoire et un endroit. C’était aussi le début du montage virtuel sur ordinateur, comme on l’appelait à l’époque (rires) ! Moi-même, j’avais acheté un ordinateur où je pouvais en faire. J’étais un des premiers à l’école à avoir ça à la maison et ça procurait aussi énormément de liberté pour pouvoir tourner beaucoup plus.
Est-ce que ça t’a aidé dans l’écriture de travailler dans ces conditions-là ?
(Il réfléchit longuement). Ça, je ne sais pas. Pour moi, cette liberté était très importante. Ce que ça apportait peut-être, c’est que si on devait changer quelque chose, on pouvait le faire, on ne flippait pas trop là-dessus. On faisait des prises en plus, on pouvait improviser si on voulait. On ne devait plus s’en tenir à l’écriture, forcément.
Est-ce que la liberté était également propre au format court ? Est-ce que cette liberté, tu as pu la retrouver dans le long-métrage ?
(Il réfléchit longuement). Oui, en fait. J’ai tourné mes courts avec une tout petit groupe et j’ai eu très peur au début, quand j’ai fait mon premier long, « Steve + Sky », de tourner avec une vraie équipe et beaucoup de gens autour. Je préférais travailler dans des conditions très intimes parce que j’étais très timide et que je n’aimais pas m’adresser à beaucoup de gens.
Pour le premier long, le producteur, Dirk Impens, m’a dit : « Si tu veux tourner en vidéo, ça me va mais je veux bien te payer la pellicule aussi ». J’ai dit : « D’accord, mais à condition que je puisse tourner tout ce que je veux et que je n’aie pas de limites ». On voulait avoir au final un film visuellement très fort, on a découvert la pellicule inversée et on adoré ça. Son grain était très fort, je suis un peu tombé amoureux de ce visuel, et on a pu tourner beaucoup et longtemps. Ça ne s’était pas encore fait en Belgique, mais j’avais dit à mon producteur : « Tu m’as dit que je pouvais, alors, je le fais » (rires) !
D’un côté, il y avait beaucoup de prises, l’esprit, la même liberté que pour les courts et de l’autre, je travaillais sur pellicule, un support plus classique, et une plus grande équipe. Ça m’a pris une semaine pour m’habituer, pour ne plus être timide. Mais il faut dire aussi que mon frère faisait le son, que ma copine jouait, et que mon meilleur ami et ma mère faisaient les décors. En somme, ils étaient tous sur le plateau, j’étais entouré d’intimes. Ça m’a permis de trouver ma place, de ne pas avoir peur de cette machine un peu plus grande, et de me faire des copains qui sont restés des personnes clés pour la suite. Depuis, chaque film est un peu plus grand en termes de production, mais je n’ai plus le sentiment d’être timide. Je sais maintenant comment ça marche et comment je peux le faire marcher. Car en même temps, comme c’est toujours la même équipe et le côté très familial demeure de film en film.
Tu pourrais revenir aujourd’hui au court métrage ?
Oui, mais je n’en vois pas l’intérêt. Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas mon médium préféré. Je suis plus touché par les longs. Je ne sais pas pourquoi j’en ferais mais il n’y a pas de raison pour que je n’en fasse non plus (rires). En même temps, c’est très dur, les courts, car il faut essayer de toucher l’autre dans une durée restreinte, et il faut un peu de temps pour y arriver. Moi, c’est quand même ce que je veux toujours faire : prendre les gens par la gorge et ressentir le même effet.
« 50 cc »
(…) Quand j’ai fait « Bonjour Maman » après l’école, c’était un peu en réaction à « 50 cc », mon film de fin d’études. J’avais travaillé très dur pendant un an sur ce court de 40 minutes. C’était trop long, on m’avait prévenu, mais je m’en fichais. Je disais : « Le film doit être le film ». Celui-ci m’a procuré très peu de retours à cause de la durée. C’était dur de pouvoir le faire admettre en festivals, je n’en ai pas fait beaucoup à cause de ça. Après coup, je me suis plaint parce que j’avais consacré beaucoup d’argent et d’énergie dedans. Je voulais que les gens le voient, j’en étais fier et j’étais un peu déçu du résultat. C’est pour ça que pour le suivant, « Bonjour Maman », j’ai fait un film très simple qui pouvait vraiment toucher les gens : un plan, une personne, une situation imprévue et une émotion (rires) !
Et ça a marché en festival ?
Un petit peu, mais pas non plus énormément. C’est un film dur, mais j’en étais très content parce que c’était vraiment un projet qui me tenait à cœur. Le film s’est fait très rapidement. On a rencontré un garçon très spécial, dans le cadre d’un workshop à Maubeuge, on a répété deux jours, et on a filmé le troisième. C’était génial comme expérience.
« Bonjour Maman »
Tu as mentionné à plusieurs reprises ton producteur Dirk Impens qui t’a suivi dans la production de tes longs. C’est quelqu’un que tu as rencontré à l’école. En tant qu’étudiant, qu’est-ce que tu as appris à son contact ?
En fait, c’est un très mauvais professeur (rires). Il le sait, ce n’était pas son but de l’être, ce qui l’intéressait, c’était de venir comme producteur dans une école de cinéma, de voir ce que faisait la nouvelle génération et d’essayer de l’aider. C’est vraiment quelqu’un qui aide l’autre si il est en mesure de le faire. À l’époque, je ne m’en rendais pas compte parce que c’était mon professeur. C’est quelqu’un de super intéressant mais aussi un très bon et grand producteur. Au début, il me faisait un peu peur, je ne savais pas trop comment le considérer. Il me faisait des compliments sur les films que je faisais, et puis, un jour, il m’a dit : « Si tu as envie de faire un long-métrage, je vais t’aider « . C’était très con, très simple…
Et ça a marché…
Oui.
Est-ce qu’il t’a encouragé sur « 50 cc », le film de 40 minutes ?
Oui, il n’est pas beaucoup intervenu. Il a lu le scénario. L’esprit dogme/vidéo/liberté, il avait senti ça chez moi, il m’a poussé à faire le film, à ne pas avoir peur. Quand je l’ai présenté à l’école, il m’a dit : « Il faut que tu fasses un long métrage ». Quand quelqu’un comme ça te dit ça à ce moment-là, tu ne peux pas avoir un meilleur compliment.
Dans tes films, longs comme courts, on retrouve souvent des personnages un peu paumés, imparfaits. Qu’est-ce qui t’intéresse chez ces antihéros ?
Je ne sais pas (gros éclat de rires) ! C’est un peu surprenant, c’est devenu un peu ma marque, les gens marginaux, comme dans mon dernier film. Les gens que je montre en fait, c’est ceux que je vois dans la vraie vie. J’ai eu plein de vies, j’ai rencontré beaucoup de gens très différents. Ce qui me touche, c’est les gens, une multitude d’individus différents.
Le documentaire t’a tenté par le passé ?
J’en ai fait des tout petits à l’école, parce que c’était obligatoire. C’est un genre que j’aime bien mais on ne peut pas tout faire. Si j’avais plus de temps, peut-être que j’en ferais. À un moment donné, j’ai décidé de ne plus faire de théâtre, ni de boulot commercial, et me consacrer uniquement au long.
En Belgique, peu de gens font autant de longs que toi en si peu de temps (quatre longs en dix ans). Tu es conscient de la chouette opportunité que tu as de tourner autant ?
Absolument, c’est aussi grâce à Dirk qui m’a donné cette liberté. Il continue à me payer pour écrire, pour développer mes films, et c’est pour ça qu’entre chaque projet, je ne dois pas me trouver un boulot. Il prend un risque parce que si jamais le film ne se fait pas, ce sera à lui de le payer. Ça m’évite d’aller chercher un boulot, d’aller enseigner, de faire des pubs ou de la télé. Tout au début, on m’a proposé différentes choses. J’ai vu que ça ne me rendait pas heureux, que je n’avais pas autant de liberté que depuis que Dirk m’a offert cette opportunité.
Pour revenir au court, après quatre longs, je ressens aussi l’importance de pouvoir montrer les films en salle. J’ai essayé de participer à la sortie des films, de créer un évènement, de donner aux gens l’envie d’aller les voir. Tu sens que ça vit, qu’il se passe quelque chose, et ça, avec mes courts, je ne l’ai jamais vraiment vécu. Parfois, tu es pris dans un festival de courts, c’est génial, c’est important, mais l’idée que ça bouge pour toi dans une ville ou dans un pays, c’est encore plus fort. Ce qui se passe par exemple pour le moment avec « Alabama Monroe » au niveau international, c’est génial (rires) !
En parlant d’évènement, comment est venue l’idée de faire du vélo nu à Cannes, au moment de la présentation de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs ?
C’était une idée très con qu’on avait sorti à la première réunion chez MK2, l’agent de ventes et le distributeur français. Ça ne leur avait pas trop plu. Tout le monde rigolait un peu bizarrement, donc on s’est dit qu’on n’allait pas le faire. Plus tard, en faisant des interviews, je ressortais cette idée pour rigoler. Le jour de la première, quelqu’un a écrit qu’on allait le faire parce que je l’avais redit en entretien. Là, MK2 nous a appelés en nous disant que si on voulait le faire, il fallait y aller parce que si on l’annonçait, il y aurait plein de journalistes (rires) ! Donc on l’a décidé deux heures avant parce qu’il y avait un buzz autour de ça. On était en voiture vers Cannes avec les comédiens quand j’ai reçu le coup de fil. J’étais d’accord, mais il fallait que je trouve quelque chose pour convaincre les autres. Je leur ai dit : « Allez, on va le faire tous ensemble. Le producteur, le monteur, et moi, aussi (rires) ! Et on l’a fait et c’était génial, quoi !
Tu trouves que le cinéma bouge en Belgique ?
Oui, en Flandre, on a toujours été très jaloux des films wallons. Quand je grandissais, il y avait les films qui touchaient au coeur, qui trouvaient un public, en France et dans le reste du monde, comme « C’est arrivé près de chez vous », « Toto le héros » ou les films des frères Dardenne. De notre côté, ça ne marchait pas, on nous disait toujours : « C’est pas mal pour un film flamand ». On avait du mal à dépasser ça, et en dix ans, cette idée a disparu. Les films sont bons et les gens les trouvent bons. Maintenant, il y a une dizaine de réalisateurs belges qui sont en train de faire des très bonnes choses et qui trouvent leur place dans le monde et en Belgique.
Synopsis: L’histoire de Ion est atypique: né sous une dictature, devenu handicapé de la vue par accident, réfugié politique… Il écoute à présent les criminels pour la police belge. Pour décider de son destin, il se réfère au pouvoir de la volonté, et à la littérature.
Réalisateur de « Ion », sélectionné au Festival Millenium dans la catégorie “Docs belges”, Olivier Magis, issu de l’IAD, a roulé sa bosse sur toutes les scènes artistiques avant de nous offrir un magnifique témoignage humain sur le handicap de la vue.
Peux-tu revenir sur ce qui t’a amené à étudier le cinéma ?
À l’époque, j’étudiais le droit à Louvain-la-Neuve mais je me rendais bien compte que ce n’était pas vraiment fait pour moi. Alors que j’étais en deuxième session, j’ai rencontré un ami qui étudiait à l’IAD. Quand il m’a raconté ce qu’il faisait, j’ai soudainement eu l’envie de poursuivre ces études-là aussi. Je connaissais déjà l’IAD de nom mais pour moi, c’était une école d’artistes avec les cheveux ébouriffés et des pulls déchirés. Je me suis donc décidé à abandonner le droit et à passer l’examen d’entrée. Il faut dire aussi que ce n’est pas complètement par hasard non plus que j’ai fait ce choix. En plus d’avoir fait de la photo étant adolescent, j’aimais beaucoup le cinéma ; surtout depuis que j’ai découvert le Dogma avec des films comme « Festen » ou « Les Idiots ». J’ai complètement été fasciné par le vent de réalisme qui soufflait sur toute une série de films à ce moment-là. J’ai lu quelque part que les grandes décisions de la vie se prenaient en quelques secondes et que les plus petites prenaient plus de temps. C’est un peu ce qui m’est arrivé dans mon choix professionnel.
Qu’est-ce que tu recherches quand tu fais un film ?
Depuis mon film de fin d’études « Le Secret des Dieux », je constate que j’aime beaucoup travailler sur la notion de manipulation et surtout au niveau formel. Dès qu’il y a un rapport intelligent entre le contenu et la forme, ça m’intéresse. J’ai d’ailleurs fait mon mémoire sur les trois premiers films de Michael Haneke. Je me rends compte aussi que j’aime travailler sur une forme d’aveuglement, que ce soit au sens propre ou au sens figuré. J’aime questionner le spectateur sur le vrai et la faux et voir comment interpréter ces notions.
Tu as travaillé comme assistant à la mise en scène pour la compagnie théâtrale Les Baladins du Miroir, notamment. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté en tant que réalisateur ?
Ça m’a beaucoup apporté. Comme tout jeune réalisateur, j’avais très peur des comédiens, je n’avais aucune expérience. Or, ils sont quand même l’argile avec laquelle on sculpte son film. Cette expérience aux Baladins m’a permis de me rapprocher d’eux, de les comprendre aussi. C’était passionnant.
Comment est né le projet de « Ion » ?
Lorsque je travaillais à la RTBF en tant que réalisateur du JT, je me suis dit qu’il fallait que j’avance dans mes projets. Je voulais me diriger vers une école qui pouvait m’apprendre des choses, une école plus axée sur l’humilité, celle du documentaire. Après avoir chiné un peu partout sur des sujets qui m’intéressent comme l’aviation ou encore le handicap, j’ai décidé de contacter La Ligue Braille qui se trouvait juste à côté de chez moi. Je me suis abonné à leur newsletter et je suis tombé sur l’annonce de six malvoyants et non voyants qui avaient été recrutés un an auparavant par la Police fédérale via le Selor [organisme belge de recrutement public] pour les écoutes téléphoniques. J’ai tout de suite été interpellé par cela. J’ai recontacté La Ligue Braille en disant que j’étais intéressé de rencontrer ces personnes handicapées de la vue. Je leur ai bien fait comprendre que je n’étais pas un journaliste mais un réalisateur qui voulait faire un documentaire. J’ai d’abord été fasciné par Sacha Van Loo qui travaille à Anvers. C’est quelqu’un d’hallucinant, il parle 7 langues, joue plusieurs instruments de musique, est fan de musique médiévale, il fait du théâtre. Bref, un être complet. Malheureusement, il ne désirait pas s’investir dans un tel projet parce qu’il avait déjà eu beaucoup de presse autour de lui. Finalement, j’ai rencontré Ion à la cafeteria de la Police judiciaire de Liège, au milieu de policiers qui prenaient des notes. Dès qu’il m’a parlé de sa vie, de sa fuite en Belgique avec comme seul guide son enfant de 7 ans, j’ai été séduit par cet homme au destin hors du commun.
Comment as-tu pu filmer des personnes handicapées de la vue en respectant “la bonne“ distance, sans donner l’impression de voler leur image ?
C’est une question de confiance. Grâce aux rencontres que j’ai faites (Ion, sa femme Maria, son fils Cyprien, les gens en Roumanie…), il me semblait évident de filmer le handicap avec le plus de vérité possible. Ça n’a aucun sens de jouer la carte de la fausse pudeur. J’ai compris que je devais être direct et sincère afin que tout le monde se sente à l’aise, et que je devais me comporter comme je me comporte avec n’importe quelle autre personne, ni plus ni moins. En ce qui concerne la caméra, c’est la même chose. Ion et Maria sont handicapés de la vue, pas du cerveau ni de l’ouïe. Ils savaient très bien où se trouvaient ma caméra. De plus, je leur expliquais tout le temps ce que je filmais et pourquoi je le faisais. Il y a eu un réel rapport de confiance qui a fait que le film est ce qu’il est. Ils m’ont vraiment ouvert leur cœur. Et ça, c’est magnifique. Maintenant, je me suis toujours dit que leurs limites étaient les miennes. Par exemple, je sais que je trippe un peu sur les hommes qui se brossent les dents dans leur salle de bains, j’avais envie de filmer Ion dans cette posture mais il m’a dit: “tu ne rentreras jamais dans ma salle de bain pour me filmer”. J’ai respecté cela. En revanche, je leur ai bien dit que s’ils acceptaient de faire le film, ils se devaient de jouer un minimum le jeu de l’honnêteté. C’est ce qu’ils ont fait.
Pour le montage, as-tu travaillé en concertation avec Ion et Maria ?
Non, pas du tout. Je ne voulais surtout pas. Ils savaient très bien que j’allais parler de leur passé, j’ai d’ailleurs voulu que chacun donne son propre avis à propos de ce sujet mais je ne les ai jamais consultés pour le montage parce que je ne voulais pas qu’ils orientent le film malgré eux. Je voulais avoir un récit brut et y donner sens personnellement, traduire leurs mots en images, en y mettant tantôt un côté dramatique, tantôt un côté plus léger, tantôt un côté comique même. C’est un film documentaire certes mais je le vois comme un récit avant tout où les personnages principaux se complètent. Maria, c’est les yeux de la prudence, Ion ceux de l’intuition et Cyprien les yeux bien réels.
D’où est venu ce choix d’inclure des images actuelles de Roumanie pour parsemer ton récit documentaire?
C’est simple, je n’avais aucune image. Et quand on fait un film, on a besoin d’images. Et lorsque Ion me raconté son enfance dans son village en Transylvanie, cela évoquait pour moi déjà tellement de sensations, de couleurs et d’odeurs même. Deux options s’offraient dès lors à moi. Soit je puisais dans les archives, ce qui allait coûter une fortune, soit je traduisais ce récit bouleversant, les mots de Ion, de Maria, de Cyprien avec mes mots de réalisateur, c’est-à-dire en images.
Comment as-tu pu filmer les gens sur place? Étaient-ils au courant de ton projet de film ?
Les gens là-bas sont tranquilles, ils acceptent la caméra sans trop de difficulté et l’oublient aussi très vite ce qui fait qu’il est plus simple de les filmer. Par ailleurs, mon assistant, Bogdan Palici, vient d’un village de Moldavie roumaine, ce qui signifie que le monde de la paysannerie ne lui est pas inconnu. Lorsqu’on les filmait, il parlait longuement avec eux.
Pourquoi penses-tu que Ion et Maria ont accepté de faire le film ? L’ont-ils apprécié ?
J’ignore les raison exactes qui ont poussé Ion et Maria à accepter de faire le film. La réponse à cette question, je la laisse aux théoriciens du cinéma, aux sociologues, aux anthropologues. Il est évident qu’il y a une différence entre accepter d’être filmés pour un reportage comme acteur ou témoin, et le faire pour un documentaire où il y a une notion de long terme et d’exhibition de soi. Il y a là peut-être une certaine forme de narcissisme mais je pense que la réponse est bien plus complexe. Je pense aussi qu’il y a certainement une envie de témoigner de leur parcours, de laisser une trace. Quant au film, Ion et Maria l’ont aimé. Ion a essuyé quelques larmes et Maria, qui au départ était fort sceptique, m’a dit qu’elle était contente du résultat.
Comment est né ton partenariat avec Dérives ?
Julie Freres, qui était au courant de mon projet, m’a conseillé de le proposer à Dérives, avec qui elle était en contact. C’est marrant parce que par la suite, elle a été engagée comme productrice à la demande des frères Dardenne et donc elle a suivi la production du projet. Suite à un premier contact avec Véronique Marit, après que j’ai retravaillé le dossier, et après avoir eu une aide à l’écriture par la WIP, Dérives a accepté de me suivre. On a eu l’argent de la Commission et j’ai travaillé avec Jean-Pierre Dardenne sur l’écriture du film.
Comment s’est passée cette collaboration ?
C’était très instructif. On se voyait tous les deux mois environ. Jean-Pierre est quelqu’un d’assez cash mais j’aime beaucoup ça. Il est franc, c’est un vrai prof. Il n’a jamais critiqué mon travail mais il a toujours dit par exemple, “attention, là ça manque un peu d’humain” ou alors “tu vas un peu trop dans les artifices, reste sur le personnage”. C’était vraiment intéressant car toutes ces remarques étaient fondées pour le bien du film. Tout sur les enjeux, les obstacles, un peu comme en fiction, finalement. Je pense sincèrement que le but des frères Dardenne est de donner aux jeunes auteurs tous les outils en main au niveau du scénario et de la réalisation pour faire le film qu’ils veulent vraiment faire.
Maintenant que tu as réalisé ton film documentaire, comment te positionnes-tu par rapport à la culture du documentaire belge qui se trouve à mi-chemin entre l’intimisme et le déshabillage ?
En Belgique en documentaire, on doit vraiment marcher sur un pied d’équilibriste. La tendance dominante est de retourner vers les films qui ont baigné notre enfance, très burlesques comme le sont les « Strip-tease », avec parfois une patte d’auteur plus ou moins réussie. C’est triste à dire mais c’est ce genre de documentaire qu’on programme à des heures de grande écoute, et forcément, les gens y sont habitués. Personnellement, je ne trouve pas beaucoup d’intérêt à ces documentaires, dans lesquels le peu de fonction anthropologique présente est assez réductrice. Ce qui me dérange c’est surtout qu’on limite le documentaire à ça. Ou alors, si ce n’est pas du documentaire à la « Strip-Tease », c’est ce que j’appelle le format Arte ou BBC, où on traite telle ou telle grande page de l’Histoire.
Je m’interroge sur la place d’un type de documentaire peut-être plus fragile, qui sort des sentiers battus, qui ne cherche pas à raconter ou à divertir. C’est difficile parce que si on va à l’inverse des codes d’un documentaire prime time, on rencontre encore plus de difficultés à être soutenu et on est vite jugé trop sérieux. Je ne comprends pas d’où vient cette allergie pour les films qui font réfléchir. Il faut que le spectateur se pose des questions, que le sujet lui travaille. Un artiste c’est ça et rien d’autre que ça.
Peux-tu nous parler de tes projets?
Je suis occupé à monter un autre projet documentaire « Les Fleurs de l’ombre », sur un concours de Miss aveugles en Roumanie. J’ai aussi déposé un projet de fiction sur les querelles linguistiques. On a écrit le scénario à trois. L’idée c’est de défendre un projet entre Flamands et francophones sur les absurdités belges. C’est une comédie noire. Et enfin, j’ai aussi un projet de long métrage documentaire avec Mathieu Frances sur la Viva World Cup, la coupe du monde de football alternative.
Short Screens a le plaisir de vous annoncer sa troisième séance estivale de courts métrages sur grand écran. Dans une ambiance chaleureuse et décontractée, venez vous régaler devant une programmation éclectique, avec des films d’hier et d’aujourd’hui, fruits de la créativité d’auteurs belges et étrangers.
Le 25 juillet 2013, 19h30 – Aventure Cinema, Galerie du Centre 57, 1000 Bruxelles – PAF : 6€
A FISTFUL OF RUPIES Hannes Gieseler
Inde, Allemagne / 2012 / documentaire XP / 10’
Des hommes se rassemblent dans des lieux tenus secrets pour faire vivre une vieille tradition. C’est l’excitation de la vitesse et du danger sur une piste de 400 mètres. Deux conducteurs, quatre zébus, quatre roues, lancés à soixante kilomètres-heure, pendant vingt-cinq secondes.
Les souvenirs d’Emile nous emmènent à la découverte des forges de Clabecq, une usine métallurgique à l’abandon. Cette exploration visuelle et sonore révèle un espace où la vie s’est arrêtée, où le temps semble suspendu, où les traces du passé éveillent les songes et ouvrent la voie à la fl ânerie industrielle.
À NOS TERRES Aude Verbiguié
Belgique / 2012 / documentaire / 22’
Nicole et Auguste vivotent de leur métier d’agriculteurs, seuls en Ariège. La question se pose de la fi n d’un métier, de ce corps paysan menacé.
Dans un gigantesque élevage de poulets industriel, l’une d’entre eux a une vision et tout à coup se rend compte du mécanisme terrible qui contrôle sa vie et son destin. Même si elle est cachée parmi des millions de poulets qui ne partagent pas son angoisse, cette révolutionnaire est persuadée qu’une vie différente est possible. Penser (et agir!) c’est la
liberté!
Cette année, le Festival Paris Cinéma a décidé de mettre un coup de projecteur sur le cinéma belge, wallon comme flamand, au sens large (courts, longs, comédies, drames, films récents, rétrospectives, etc.). Dans le cadre de ce programme Made in Belgiëque, nous avons eu l’opportunité de retrouver, après deux anciens sujets publiés sur Format Court (l’un sur le Festival Anima, l’autre sur le Festival Premiers Plans d’Angers), celui que l’on nomme « le magicien d’Ostende » : Raoul Servais. Ce pionnier de l’animation belge et même internationale, âgé de 85 ans, a été invité à Paris pour présenter un bel éventail de ses films ainsi que pour signer un ouvrage qui vient d’être édité en son hommage : Les animés : Raoul Servais, voyage en Servaisgraphie de Michel Moins et Maurice Corbet. Grand adepte du format court qui, selon lui, correspond plus volontiers à ce qu’il a voulu raconter et qui lui permet également une plus grande liberté, le réalisateur flamand est revenu sur son parcours : celui d’un artiste-artisan pas prêt de s’arrêter à réaliser.
Vous avez étudié à l’Académie Royale des Beaux Arts de Gand, mais vous ne vous lancé dans l’animation qu’à partir des années 1950. Qu’est-ce qui vous a amené à faire des dessins animés ?
Raoul Servais : Le virus du cinéma d’animation m’est venu très tôt. Je pense que je devais avoir quatre ou cinq ans, lorsque mon père, grand amateur de cinéma, me préparait, tous les dimanches,une séance composée d’un long-métrage, d’un court-métrage (généralement de Charlie Chaplin), et chaque fois aussi, d’un dessin animé. Le dessin animé en question, c’était généralement « Félix le Chat », et c’était ça que j’attendais car ça m’intriguait beaucoup. À l’époque, déjà enfant, je dessinais beaucoup, mais voir des dessins qui bougeaient, qui vivaient, c’était pour moi, de la magie. J’avais décidé à ce moment-là que ce serait le métier que je voulais faire plus tard bien que j’ignorais complètement comment ça fonctionnait. D’ailleurs, ça a mis beaucoup de temps avant que je comprenne comment on faisait des dessins animés !
Racontez-nous…
Oui, je me souviens encore. C’était avant la guerre. Dans le bureau de mon père, je savais qu’il fallait faire beaucoup de dessins alors j’avais fait toute une série de mouvements. J’ai emprunté une caméra et je me suis mis à filmer le long des dessins, en promenant l’objectif, croyant que je faisais un dessin animé. Quand le film est revenu du laboratoire, j’ai évidemment eu une grande déception : c’était un stupide mouvement panoramique sans intérêt. Je ne comprenais pas; ce n’est que plus tard que j’ai dit : « Eurêka ! », en saisissant que ça fonctionnait image par image. Voyez à quel point on était ignorant dans le métier !
Lorsqu’on regarde vos courts-métrages, on note que pour chacun, vous avez utilisé des techniques d’animation très différentes.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Il y a en effet deux types différents de cinéma d’animation et je crois que dans la majorité des cas, ils ont un style bien précis, un graphisme qui permet de les reconnaître. Quant à moi, c’est différent car j’attache beaucoup d’importance au style graphique de mes films et lorsque j’estime que mes propres capacités graphiques ne correspondent pas à ce que je cherche à dire, je n’ai aucun problème d’égo et de faire appel à d’autres dessinateurs. Je veux illustrer le mieux possible ce que je veux exprimer. Et c’est ce qui explique qu’il y ait une variété de techniques dans tous mes films, selon les sujets que j’exploite. En plus, l’éventail des possibilités d’animation est beaucoup plus large dans le court-métrage que dans le long-métrage.
À un moment de votre carrière, vous avez justement souhaité aller vers une technique d’animation particulière pour traiter votre sujet, mais comme elle n’existait pas, vous l’avez créée : la Servaisgraphie. Comment expliquez-vous qu’en tant que réalisateur, vous êtes devenu à ce moment-là, un technicien, pour ne pas dire un chercheur, un ingénieur ?
À l’origine, j’avais déjà fait pas mal de dessins animés avec certes, des styles différents, mais je trouvais que j’avais un peu épuisé mes possibilités graphiques. Par conséquent, j’ai eu envie de découvrir ce monde, ou plus exactement ce no man’s land, entre la vie réelle et l’animation. Ça m’intriguait profondément. Je ne suis certainement pas le premier et on l’a fait avant moi, mais c’était quelque chose que je souhaitais absolument découvrir et je voulais m’aventurer dans ce cinéma que je ne connaissais pas. J’avais donc écrit un scénario, celui du film « Harpya » (ndlr : Palme d’Or du court-métrage en 1979) et c’était ça que je voulais traduire, ce « cinéma mixte ». Je me suis rendu aux Studios Arthur Rank, à Londres et là, on m’a montré quelques films qu’ils avaient réalisés surtout pour les Américains et qui utilisaient le système du cache contre cache pour introduire des personnes réelles dans des dessins ou des peintures. Je trouvais ça intéressant et j’ai par conséquent voulu utiliser ce système pour réaliser mon film. Mais quand j’ai appris le prix, j’ai dû renoncer : c’était abordable pour les gens de Hollywood, mais pas pour moi !
Néanmoins, je ne perdais pas l’idée du procédé et j’ai donc réfléchi à la manière d’y arriver. Je ne peux expliquer la multitude de systèmes que j’ai essayé, ce serait trop nombreux. Mais par exemple, j’avais une table multi plans avec des découpes qui correspondaient à la prise de vue réelle grâce à un miroir semi transparent incliné vers le bas et la caméra au-dessus, mais la lumière qui était renvoyée vers cette découpe n’était pas suffisante. Ça ne fonctionnait donc pas. Je me suis donc demandé comment faire pour rendre ça plus lumineux et j’ai pensé aux signaux lumineux qu’on trouve partout sur les route s : ce sont des microscopiques billes en verre qui renvoient la lumière mille fois. Dès lors, j’ai demandé à un ami parti aux États-Unis de tâcher de m’acheter un bidon de ces billes et de me les envoyer. J’ai voulu les lâcher sous le plus lumineux des projecteurs éclairant les acteurs réels, mais elles se sont éparpillées dans tous les sens. Eh oui, les billes, ça roule ! C’était une catastrophe sur le tournage ! Finalement, j’ai acheté le même matériau, cette fois imprimé sur des feuilles de papier. À chaque fois, il fallait découper dans le papier la silhouette du personnage que j’avais choisi. Ça a pris des mois mais ça a marché.
C’était une tâche très minutieuse alors ?
Excessivement minutieuse ! J’avais à l’époque une assistante qui était très précise et qui avait des petits ciseaux pour couper toutes les silhouettes. Chaque fois, je devais les mettre sous le flux lumineux de façon à ce que ça ne bouge pas et que je capte vraiment le plus lumineux de l’acteur. C’était un travail énorme et fatigant. Quand j’ai terminé, je me suis dit que je ne referais plus jamais ce genre de film ! Je me souviens de la première projection; je trouvais le film complètement raté. J’avais réuni une dizaine d’amis dont des cinéastes. On a projeté le film et j’avais vraiment peur de leurs réactions. À la fin de la projection, un silence complet a confirmé mon impression. J’étais désespéré. Après quelques minutes, un des jeunes s’est levé vers moi et m’a dit : « Raoul, c’est un chef d’œuvre ». Plus tard, comme je ne voulais plus utiliser cette méthode qui m’avait épuisé, j’ai commencé à réfléchir dans mon laboratoire. Finalement, j’ai mis au point la Servaisgraphie qui consistait donc à utiliser des plaques de cellophane sur lesquelles ne sont pas dessinés les personnages d’animation, mais des personnages réels.
Vous avez beau avoir eu recours à la collaboration avec des acteurs réels, il y a un détail récurrent dans vos films : il n’y pas ou très peu de parole. Pourquoi avoir fait ce choix de réaliser des films quasi muets ?
Les chefs-d’œuvre du muet n’avaient pas besoin de parole. Si on peut s’en passer, autant le faire. Je trouve ça beaucoup mieux.
On peut donc vous considérer comme un artisan-réalisateur ou un réalisateur-artisan… D’ailleurs, on a en France un réalisateur d’animation que vous connaissez certainement et qui, lui aussi, a souvent travaillé comme un artisan sur ses films : Michel Ocelot.
Oui, c’est un grand ami et je l’ai vu avant-hier. On vient d’éditer un livre sur la Servaisgraphie et Michel est venu à la présentation de l’ouvrage.
À ce propos, y a-t-il des réalisateurs d’animation d’aujourd’hui qui vous intéressent ou que vous admirez ?
Oui, bien sûr. Frédéric Back, un réalisateur canadien qui a fait un film superbe, L’homme qui plantait des arbres. Je l’aime beaucoup en tant qu’homme et en tant que cinéaste. Michel Ocelot aussi bien sûr et Jean-François Laguionie qui est aussi un ami. J’aime beaucoup l’atmosphère de ses films.
Si on revient à la question des techniques d’animation, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des techniques d’aujourd’hui réalisées exclusivement sur ordinateur ?
Un des derniers films que j’ai réalisé, « Atraksion », était fait sur ordinateur, mon long-métrage, « Taxandria », aussi en fait. J’ai bien compris que mon système était un peu dépassé, par rapport à l’ordinateur. Un des avantages de l’ordinateur, c’est certainement de pouvoir travailler aussi bien dans un grand studio que chez soi. On peut aussi être beaucoup plus précis et beaucoup plus juste. Ça a beaucoup d’avantages en réalité. Malheureusement, ma frustration est que je ne peux pas l’utiliser. Je ne m’y connais pas bien alors je suis incapable de faire bouger des images sur ordinateur.
Oui, c’est un nouveau métier en fait.
Exactement. Alors, je travaille avec des jeunes qui me comprennent, et moi, je leur parle des effets que je recherche afin qu’ils le réalisent. Parfois, ils me disent que c’est trop onéreux et me proposent des solutions. Bref, je ne suis plus un maître.
Oui et non. On vient de sortir en France, une copie neuve du film Le roi et l’oiseau de Paul Grimault. Voyez comment même les enfants d’aujourd’hui restent friands des dessins plus classiques !
Je sais et ça me fait grand plaisir ! J’ai connu et j’ai suivi la progression des problèmes de Paul Grimault sur ce film. Paul était un ami formidable. Figurez-vous que nous avons visité le Japon ensemble ! Il m’a raconté les péripéties quant à la production de ce film. Il a eu avec le producteur, des ennuis qui se sont résolus lorsqu’il a récupéré les droits de son film.
C’est parfois le problème qui se pose entre le producteur qui doit répondre à des contraintes de temps et d’argent, alors que l’artiste a besoin de son propre temps de création…
Oui et c’est pour ça que j’ai toujours été mon propre producteur sur quasiment tous mes courts-métrages, à part celui que je vais faire maintenant. Si j’avais des problèmes de production, c’est avec moi-même que je devais les régler !
Concernant votre long-métrage « Taxandria », ça correspond généralement à ce qu’on lit un peu partout : vous ne vous sentiez pas libre face à votre producteur.
Exactement.
Est-ce pour cette raison que vous avez toujours ou presque préféré le format court au format long ?
Oui. Jusqu’à « Taxandria », je n’avais jamais écrit un scénario qui nécessitait plus qu’un court-métrage. Je n’ai jamais pensé passer au long parce que je me sentais mûr pour en faire un, mais simplement parce que j’avais un scénario qui s’y prêtait. Et après, je n’ai plus écrit de scénario pour des longs-métrages, donc je n’en ai plus fait. C’est juste dommage parce que la diffusion d’un court-métrage est plus difficile. À l’époque de mes tous premiers films, j’ai pu les passer en salle en complément d’un long-métrage, en général des films de Fellini. Ça m’a fait gagner un peu d’argent ; en tout cas, suffisamment pour couvrir mes frais.
À part peut-être votre long-métrage « Taxandria », on ne peut pas dire que vos films se soient adressés aux enfants, d’autant plus s’ils étaient projetés avant Fellini ! Les messages que vous faites passer sont toujours assez durs, ils tournent généralement autour de la notion de groupe qui anéantit l’individualité. Pouvez-vous nous expliquer votre vision ?
Oui, il y a une constante dans mes films qui est contre l’oppression. Vu mon âge, j’ai connu la guerre et j’en ai beaucoup souffert avec mes parents. On a été complètement ruinés, des membres de ma famille ont disparu dans des camps de concentration et moi-même, à l’âge de 14 ans, j’ai été arrêté par la Gestapo. Avec la guerre, c’est le passage brutal de l’aisance à la plus grande pauvreté. Dans mon cas, j’avais 12 ans lorsque la guerre a éclaté et je suis donc passé directement de l’enfance à l’âge adulte sans passer par l’adolescence. Tout ça vous marque pour le restant de vos jours. C’était un peu ça que je voulais exprimer. Je voulais aussi un peu prévenir mes concitoyens du danger du fascisme, du nazisme, de l’oppression dictatoriale. Après, la guerre a un avantage : vous apprenez à relativiser. Aujourd’hui, je me contente de très peu de choses !
On constate en effet tout au long de vos films que la critique de l’oppression est un thème récurrent, qu’au départ, il est traité de manière assez poétique mais qu’ensuite, il bascule plus volontiers vers le fantastique. Par exemple, avec le film Papillons de nuit, en hommage au peintre Paul Delvaux, vous exprimez clairement un goût pour l’étrange. Pourquoi lui avoir rendu hommage avec ce film ?
À l’origine, pour « Taxandria », je comptais utiliser la peinture de Paul Delvaux. Mais pour des raisons diverses, ça n’a pas fonctionné. Alors, je me suis dit que je n’avais pas étudié sa peinture pour rien et j’ai eu envie d’en faire un film en son honneur, ça a été « Papillons de nuit ». Il en a d’ailleurs été très content, même si malheureusement, il n’a jamais pu voir le film. J’étais un grand admirateur de sa peinture et c’est l’argument essentiel de la raison pour laquelle j’ai eu envie de faire un film à son hommage. On s’est rencontré deux fois à peine, mais nous avons eu une correspondance très amicale ensemble. En revanche, j’avais un contact quotidien avec René Magritte, et j’ai travaillé sur son œuvre au début de mon travail de réalisateur.
Cette année, le Festival Paris Cinéma met à l’honneur la Belgique et son cinéma. Vos films font partie de cette rétrospective. Quel regard portez-vous sur le cinéma belge ?
Je vais vous avouer quelque chose : je suis un provincial, j’habite très loin des villes. La ville la plus proche est Ostende où il ne se joue que des films américains. Pour voir des films de valeur, je devrais donc aller à Bruxelles qui est à 130 km ! Par conséquent, je ne vois jamais de films belges. Je ne peux que répondre que je ne les connais pas.
Pouvez-vous nous dire deux mots sur le film que vous en train de préparer ?
Il s’appelle « Tank » et il fait référence à la Première Guerre Mondiale. Il sera visible dans un an, je pense.
En tout cas, vous ne comptez pas prendre tout de suite votre retraite ?
Ah non, surtout pas ! Si vous saviez combien de projets j’ai sur papier, je crois que je ne vivrai pas assez longtemps pour tous les réaliser.