Le Festival BD6Né est un festival entièrement consacré aux apports de la BD au Cinéma et à toute la richesse des échanges entre ces deux arts. La 5ème édition du Festival BD6Né se déroulera du 22 au 25 juin 2017 à Paris, à la Médiathèque Marguerite Duras (20ème) et sera organisée par l’association Broken.
Pour la compétition de courts métrages, le festival recherche des films français et internationaux, d’une durée maximale de 20 minutes (générique inclus), produits après le 31 décembre 2014 et qui rendent compte d’un attachement ou d’une passerelle entre l’art cinématographique et la bande dessinée.
Date limite d’inscription : 31 décembre 2016
Remarque : Les films non francophones doivent être sous-titrés en français.
Notre rubrique « Le film de la semaine » accueille un nouveau titre animé choisi par Michèle Driguez, la sélectionneuse des courts-métrages du Festival Cinemed, consacré au cinéma méditerranéen à Montpellier. Son choix porte sur « O’Moro » de Christophe Calissoni et Eva Offredo, l’un de ses films préférés en animation.
O’Moro de Christophe Calissoni et Eva Offredo, 11’50’’, France, 2009, Je Suis Bien Content Production
Synopsis : Naples, fin des années cinquante. Un carabinier, colosse taciturne que son chef surnomme O’Moro, “Le Maure”, a pour mission d’arrêter la racaille de la ville. Un matin, sur le port, la rencontre d’une gitane va changer le cours de sa vie.
Pourquoi « O’Moro » ? Difficile de répondre en quelques lignes vu l’extrême richesse d’un film dont je n’arrive pas à me lasser, que je re-découvre à chaque fois. D’abord parce qu’il a le — trop ? — rare avantage d’être disponible légalement sur Internet, une des demandes de Format Court pour choisir le court métrage de sa rubrique « Le film de la semaine »… Mais aussi et surtout parce que c’est un petit bijou solaire, minutieusement ciselé qui nous offre en moins de 12 minutes un véritable concentré de Méditerranée.
Dans la lumière de Naples des années 50, « O’Moro » est une animation magnifique, colorée et poétique, inspirée des Naïfs mais aussi de Van Gogh. La technique est traditionnelle — pantins en papier découpé — avec un incroyable sens du détail pour rendre la vie grouillante et joyeuse du petit peuple, des hauteurs de la ville jusqu’à la splendeur de sa baie.
Grâce à une bande son très travaillée, « O’Moro » est aussi un film musical. Musique des langues et des accents d’abord : O’Moro c’est le Maure en napolitain, qui se mêle à l’italien, l’espagnol, l’arabe et l’anglais des touristes. Le Maure, si noir de peau, est brigadier sous les ordres d’une vieille baderne raciste et ridicule qui fait la chasse aux illégaux, mais il ne rêve que d’une chose : retourner au pays par le désert d’où il vient. Douleur de l’exil, solitude, nostalgie portée par le luth qui le console. Musique toujours avec les chansons des Gitans, gens du voyage, trop différents eux aussi, donc éternels suspects : « O’Sarracino », le Sarrasin, joueur de guitare, « Zingarella », la Gitane, danseuse et diseuse de bonne aventure. Dans un final sous les étoiles où fusionnent l’arabo-andalou et le flamenco, ils finiront par célébrer ensemble une Méditerranée vibrante et vivante où les corps « étrangers » dansent et chantent la vie, libres de toute répression morale ou policière. D’une actualité toujours aussi brûlante…
À la croisée de trois continents, la mer Méditerranée a toujours servi de pont entre cultures, confessions et mœurs différentes, entretenant des relations tantôt paisibles tantôt conflictuelles. Inspiré par ces multiples traversées, Short Screens propose en collaboration avec Cinémamed, le Festival du Cinéma Méditerranéen de Bruxelles, une sélection de courts métrages qui vous feront prendre des passages aussi bien littéraux que métaphoriques, reflétant la richesse et la diversité des cinémas du bassin méditerranéen.
En présence de Sandra Fassio, la réalisatrice de « Kanun ».
Rendez-vous le jeudi 24 novembre à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€
El Bathika (The Watermelon) de Mohamed Khan, Egypte, 1972, docu-fiction, 10’
Dans les rues du Caire, on suit le trajet d’un employé du gouvernement qui rentre chez lui, une pastèque à la main. Entre documentaire et fiction, on est témoin d’une conversation entre un homme et sa femme.
Voyages sans retour de Sergio Ghizzardi, Belgique, 2014, documentaire, 33’
Un voyage au cœur de la population immigrée du troisième âge d’origine marocaine ou turque. Leurs récits de vie posent de nombreuses questions : sur nous-mêmes, sur l’histoire de la Belgique, mais aussi sur la reconnaissance à avoir à l’égard de ces immigrés de l’ombre, qui ont déposé ici leurs valises et les ouvrent aujourd’hui devant nous, avec beaucoup de pudeur et de lucidité.
Black Tape de Michelle Kranot et Uri Kranot, Danemark/Palestine, 2014, animation, 3’
Un soldat israélien danse avec un activiste palestinien. Puis viennent d’autres soldats, d’autres combats, d’autres dominations. Rythmé par les dessins d’images documentaires, le tango continue inexorablement de raconter la violence du conflit israélo-palestinien. Black Tape illustre en quelques minutes l’une des plus grandes tragédies de notre époque.
Kanun de Sandra Fassio, Belgique/France, 2015, fiction, 27’. Prix Format Court au Festival Le Court en dit long 2015
KANUN : code albanais ancestral, impitoyable. L’article 864 dit : Tu vengeras la mort d’un membre de la famille par la mort de l’assassin. Mais l’article 602 impose de respecter et protéger son invité comme son propre enfant. Et ce soir, Adil a accepté d’héberger Johan, un de ses hommes de main, alors que son fils ainé n’est pas encore rentré à la maison.
Marseille, après la Guerre de Billy Woodberry, Etats-Unis, 2015, documentaire expérimental, 10’
Un portrait poétique en noir et blanc des dockers dans le Marseille d’après Guerre en même temps qu’un hommage au grand réalisateur sénégalais Ousmane Sembène. Il y a quelques années, alors qu’il faisait une recherche sur l’histoire des « National Maritime Union », Woodberry est tombé sur une collection d’images d’archives des dockers à Marseille, beaucoup d’entre elles montraient des travailleurs africains.
9 Days- From my Window in Aleppo de Floor Van Der Meulen et Thomas Vroege, Pays-Bas/Syrie, 2016, documentaire, 12’
Un matin, Issa Touma, photographe Syrien de renom, voit des jeunes gens transporter des sacs de sable dans sa rue. C’est le début du soulèvement Syrien dans la ville d’Alep. Touma attrape sa caméra et passe 9 jours enfermé dans son appartement.
Avant de vous proposer un tout nouveau rendez-vous autour du court le jeudi 8 décembre prochain, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), nous vous invitons à consulter en ligne l’album photo de notre récente soirée Format Court, organisée le jeudi 10 novembre dernier, consacrée aux Pays-Bas. Cette très belle séance, organisée avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France et de EYE International, nous aura permis de programmer 5 films magnifiques : « Feest » de Paul Verhoeven, « We were wolves » de Mees Peijnenburg, « Import » de Ena Sendijarević, « The Origin Of Creatures » de Floris Kaayk, « Geboren en Getogen » de Eelko Ferwerda.
Nos invités, à l’occasion de cette soirée, furent Harry Bos chargé du cinéma néerlandais pour l’Ambassade des Pays-Bas à Paris, Ena Sendijarević, réalisatrice de « Import » et Mees Peijnenburg, réalisateur de « We were wolves »
Venu du monde de la bande dessinée indépendante, avec des œuvres comme « Welcome to the Death Club » (2001), « Monsieur Ferraille » (2001), « Pat Boon » (2001) ou « Pinocchio » (2008), Vincent Paronnaud alias Winshluss a bifurqué ensuite vers le cinéma d’animation en co-réalisant notamment « Persepolis », en 2007.
Artiste discret et protéiforme, il navigue seul ou en équipe, entre cinéma et bande dessinée, alternant film fauché et production plus lourde. Intéressé par la réappropriation et le détournement des contes et des mythes, en témoigne sa nouvelle bande dessinée Dans la Forée sombre et mystérieuse aux éditions Gallimard, il a accepté de nous donner quelque clés de compréhension de son œuvre filmique, fascinante et en constante évolution.
Quels sont tes premiers projets en court métrage ?
Mon premier court métrage d’animation date de 2003, il s’agit de « Raging Blues », coréalisé avec Cizo (Lyonnel Mathieu), et produit par Je Suis Bien Content, société avec laquelle je collabore régulièrement. Au départ, je souhaitais développer un projet intitulé Smart Monkey, qui suivait les aventures d’un petit singe malicieux, à l’ère Paléolithique, mais il coûtait trop cher, donc je l’ai adapté sous la forme d’une bande dessinée chez l’éditeur indépendant L’Association. Des années plus tard (en 2014), j’ai pu finalement le faire en animation, en le coréalisant avec Nicolas Pawlowski.
Mon deuxième court, « O’Boy, What nice legs ! », a été créé il y a une dizaine d’années dans le cadre d’une exposition organisée par Ferraille Production, qui s’occupait entre autres de la revue Mr Ferraille. Le film s’insérait dans toute une mythologie que l’on avait créée autour du personnage principal de la revue à laquelle il donnait son nom, Monsieur Ferraille, et qui démarrait au début du siècle dernier. Dans cette exposition, il y avait des films, des détournements graphiques et l’équivalent d’un empire à la Walt Disney, avec tout ce que cela implique comme produits dérivés, mais dans une version beaucoup plus sombre et pervertie. Nous avions intégré à l’exposition plusieurs faux dessins animés, dont celui-ci, dans l’esprit de ceux des années 20 et 30, comme Betty Boop et Popeye, mais avec une dimension subversive et satirique.
Ce que j’ai aimé faire avec ces premières œuvres, c’est m’approprier des codes de la culture populaire, dans des genres très marqués, puis en détourner le sens et y injecter un mauvais esprit.
Tu te lances ensuite dans l’aventure du long métrage, notamment en collaborant avec Marjane Satrapi, mais aussi en faisant un film de zombies complètement fou, « Villemolle 81 », comment cette transition s’est-elle faite ?
J’ai eu la chance de co-réaliser « Persepolis » avec Marjane Satrapi, adapté de sa propre bande dessinée, ainsi que « Poulet aux Prunes », pour lequel nous avions prévu de travailler sur un film live, avec des comédiens. Je sortais tout juste de l’aventure « Persepolis », j’avais besoin de faire quelque chose de plus artisanal, entre amis, et je souhaitais également me tester sur le format du film en live. Je suis quelqu’un qui travaille dans l’apprentissage, pas dans la théorie, j’ai senti que c’était le bon moment pour réaliser un film complètement différent et je suis parti sur le projet de « Villemolle 81 ».
Avec Frédéric Felder alias Franky Baloney, l’un des cerveaux derrière les éditions Requins Marteaux et la revue Ferraille, nous avons écrit le scénario le plus idiot possible, en gardant en tête l’idée de partir du vide pour aller vers le néant le plus total. Et ce fut de ce point de vue une sacré réussite ! On peut dire que pour ce film, les astres s’étaient alignés pour faire du grand n’importe quoi. Cela parlait d’un virus mutant se propageant dans un petit village du sud de la France et transformant la population en zombies, sous l’œil intrigué d’un journaliste parisien, incarné par le dessinateur Blutch. Le seul bémol est que je ne pensais pas que cela allait me prendre autant de temps, il y a eu plusieurs versions de montage. Tout le monde s’est beaucoup investi, c’était un projet super dense même s’il était fauché. J’aime ce film, il est imparfait au possible mais je ne lui connais pas d’équivalent. Il ressemble au mec qui l’a fait. Ce n’est pas un film comparable à « Persepolis », pour beaucoup ce n’était même pas un vrai film, mais finalement avec les années qui passent, on continue à m’en parler, c’est qu’il doit bien vieillir.
Comment s’est déroulé le passage de la BD au film d’animation, et puis au film live ? As-tu éprouvé des difficultés en explorant ces divers formats ?
Il faut avoir pleinement conscience de tous les aspects techniques et humains propres à chaque format. Quand je fais de la bande dessinée, personne n’est derrière moi, je suis tout seul à décider. Dès le moment où je fais du cinéma, je dois travailler avec une équipe, et je me dois de bien comprendre ce que chacun fait. Il ne faut pas faire preuve d’arrogance et être constamment à l’écoute. Ce n’est pas parce que j’ai une idée géniale et que ceux qui m’entourent ne la comprennent pas, qu’ils sont forcément inaptes. Quand on fait un film et que l’on pense avoir une idée géniale, il faut accepter d’en perdre un bon pourcentage en cours de route et qu’à la limite, si cela se passe bien à toutes les étapes, on n’en garde assez au final pour en sortir une idée intéressante.
Comment cela s’est passé pour ton film d’animation suivant « Il Etait Une Fois l’Huile » ? Tu sembles ne pas avoir trop perdu de ton idée initiale pour ce court métrage.
Ce film est, d’une certaine manière, la synthèse de tout ce que j’ai pu faire pendant dix ans, à l’instar de la bande dessinée Pinocchio, vers la même époque (2008-2009). Il est hystérique, il part dans tous les sens et explore tous mes thèmes sociaux et environnementaux de prédilection. J’avais acquis plus d’expérience, mais cela n’a pas été facile à faire pour autant. Mon talent réel sur ce film, si l’on peut dire, a été de gérer les gens, l’équipe, de les mettre à tel poste, de pister quand il y avait des problèmes et de trouver des solutions ; de réaliser en somme. C’est peut-être là-dessus que j’avais amassé une certaine expérience. À mon sens, le vrai boulot de réalisateur, c’est d’avoir des idées et du talent bien entendu, mais c’est surtout de gérer l’humain, d’appréhender les problèmes et de tenter de les prévenir.
Cette approche du travail, comment t’est-elle venue ?
Je suis la personne la plus bordélique qui existe, ce n’est pas dans ma nature de travailler méticuleusement. Il s’est avéré que quand j’étais plus jeune, avec des amis j’ai monté un groupe de rock et je disais des choses du style : « Il faudrait répéter » ou « il faudrait passer à un stade supérieur ». En général, mes amis me traitaient alors de fasciste… Et puis très tôt, j’ai appris à travailler avec d’autres personnes que mon entourage proche.
Dans ma vie, au quotidien, c’est le chaos le plus total ; par contre au niveau du travail, je fonctionne avec plus d’intuition, je fais preuve de pragmatisme, je ne suis plus humain quand je travaille, mon égo disparaît. Par exemple, si quelqu’un a une idée meilleure que la mienne, je l’accepte sans problème.
Pour ton dernier court métrage en date « Territoire », œuvre hybride, sorte de western rural, explorant à la fois le film d’horreur et le folklore paysan français, tu sembles vouloir essayer autre chose ?
Je fonctionne beaucoup par cycle et je m’intéresse depuis un certain temps à tout ce qui relève de la nature et de son interaction avec l’humain. Comme l’ermite paysan du film, il est possible qu’à terme je finisse dans la forêt (rires) !
Je ne me considère pas vraiment comme un écologiste à proprement parler. Malgré moi, j’ai développé un certain scepticisme. Ce qui me fascine ce sont plutôt les contradictions, les dualités et les contresens, comment on peut accommoder les volontés propres à notre société de consommation et les velléités écologiques qui fusent de tout bord. Cela peut prendre des proportions inédites lorsqu’il s’agit de mensonge à grande échelle. Par exemple, il y a quelques années de nombreuses multinationales comme Mc Do & consorts, ont choisi de communiquer avec la couleur verte, synonyme d’espoir ou d’écologie. Je trouve cela très hypocrite.
Est-ce que l’on peut parler d’un certain aspect mythologique présent dans « Territoire » ?
Effectivement, je cherchais à créer un personnage mythologique, une légende ou un héros, avec une approche simpliste revendiquée. J’avais besoin de m’entrainer à filmer la nature, sans que cela paraisse chiant à l’image, j’ai donc écrit ce scénario en m’appuyant sur une trame de film de genre. Le scénario était plus explicite, notamment au niveau du rapport entre cette histoire et la guerre d’Algérie. Quand le FLN a gagné, De Gaulle, quelques jours après, a passé un deal avec eux pour garder les éléments nécessaires pour faire des essais nucléaires en échange de leur fournir une centrale. J’adore m’emparer de ces secrets d’histoire aberrants.
Au début, il y avait des images d’archives sur la Guerre d’Algérie pour appuyer mon propos, j’ai finalement tout enlevé. J’estimais savoir ce que je racontais et je pouvais me permettre de retirer le superflu. J’avais l’impression d’appuyer mes dires et je trouvais cela vulgaire. Juste garder le conflit entre les militaires et un homme seul, sorte de paysan/berger, cela avait du sens pour moi, ne serait-ce que par mon histoire familiale, mon grand-père étant résistant déporté et mon père, syndicaliste. J’ai également fait l’armée, je me suis fait réformer et j’ai atterri en bataillon disciplinaire.
Le personnage principal de « Territoire » est un ermite mutique dont il est bien difficile de cerner tous les contours. Il semble que plusieurs de tes personnages partagent une telle ambiguïté, pourquoi ce choix ?
Nous vivons dans un monde où l’on comprend les gens dans le verbe, nous sommes à l’ère de la communication où toute aspérité est gommée et où l’hypocrisie est reine. Je préfèrerai toujours les actes à la parole. De plus, j’aime bien les personnages où les notions de bien et de mal ne sont pas tranchées, qui agissent suivant des choix et des décisions, mais qui ne sont pas forcément sympathiques au premier abord.
As-tu éprouvé des difficultés pour réaliser un film s’apparentant au film de genre ?
Cela reste mystérieux, mais nous avons eu un financement. Peut-être que les personnes qui nous ont attribué ce financement se sont dits que ce scénario proposait autre chose, moins naturaliste que ce qu’ils ont l’habitude de lire. Notre projet était différent des films habituels où les agriculteurs font du fromage. Ici, notre héros fait à la fois du fromage, mais découpe aussi des monstres avec une hache. Alors qu’il pourrait juste découper du fromage avec une hache… (rires)
Dans le système de financement actuel, il y a un mode de pensée particulier, l’intérêt se porte beaucoup sur le film d’auteur social, dégoulinant d’empathie et en totale rédemption. Il existe cette tendance-là, le besoin de récompenser le héros pour avoir accompli une bonne action. Dans mes scénarios, je ne récompense personne et à la fin, on se retrouve livré à soi-même. Mes histoires sont sèches, on peut passer à côté et n’y voir qu’une succession de scènes d’action. J’ai besoin de situer et de contenir l’action dans une situation de film de genre, pour pouvoir ensuite en détourner tous les codes et servir mon propos.
Est-ce que tes films possèdent une dimension politique ?
Oui et non, car cela fait longtemps que je suis en quelque sorte désabusé. Je viens d’une famille politisée, mon père était très engagé, sans être carriériste. Il m’est arrivé de fréquenter des personnes sans réelle conviction, qui n’arrivent pas à tenir sur la longueur. Des personnes moralisatrices qui se révèlent être le contraire de ce qu’ils prétendent. Quand je travaillais avec Marjane Satrapi sur « Persepolis », c’était un engagement très idéaliste pour moi. Je pensais que cela en valait la peine, notamment vis-à-vis de ce qui se passait en Iran à l’époque, et c’est pour cette raison que je l’ai fait, pas juste par simple envie de réaliser un dessin animé.
Au tout début, dans mes histoires, je m’intéressais surtout à l’aspect économique. La vraie religion, pour moi, est celle de l’argent et je voulais dénoncer cela. Maintenant, mon travail s’attache plus à l’individu, aux tréfonds de l’être humain, ce qui peut expliquer le choix de certaines thématiques dans mes films, notamment ce qui relève de l’animalité et de la transmission. Peut-être que mon travail possède une vraie dimension politique, mais il faudrait plus la distinguer d’un point de vue philosophique ou existentiel.
D’une certaine manière, l’humain a besoin d’être rassuré, il lui arrive donc de s’arrêter sur des idées, car il est confortable de délimiter les choses. Je ne suis pas comme cela, j’ai besoin de partir dans tous les sens, de garder ma pensée mouvante. Je trouve qu’il manque des propositions anarchistes qui disent et font n’importe quoi. A l’heure actuelle, tu es obligé de répondre de tout ce que tu fais, si tu dis quelque chose, il faut bien préciser ta pensée. C’est pour cela qu’il m’arrive de faire des choses assez vulgaires et grossières, car si tu es en accord avec toi-même, tu assumes ce genre de projets.
C’est la même chose en ce qui concerne la notion de bonheur. Il me semble qu’il y a un malentendu sur les termes même de la définition. Il nous faut accepter qu’il ne puisse y avoir que des instants de nos existences qui peuvent s’en approcher. Cela n’a rien à voir avec le fantasme que l’on peut nous vendre et qui remplit les publicités pour voitures où papa conduit avec maman à côté, en écoutant de la musique de merde, tandis que les gamins et le chien sont assis à l’arrière. Je trouve cela triste et réducteur comme vision du bonheur.
Il y a quelques années, en 2008, Agnès B. et Potemkine ont édité un coffret DVD dédié à Barry Purves, le réalisateur et animateur britannique indépendant, spécialiste de la stop-motion (3D, image par image), « Barry Purves – His Intimate Lives », comprenant six courts-métrages d’animation pour adultes, des interviews et un livret de 80 pages en couleurs. Ce bijou de l’un des maîtres de l’animation de marionnettes contemporaine est un must pour les passionnés et amoureux du genre animé.
Après avoir étudié la littérature grecque et travaillé comme acteur de théâtre, Barry Purves devient animateur indépendant en réalisant des campagnes publicitaires et des clips vidéos et en organisant des ateliers dans certains des studios américains les plus importants du monde, comme DreamWorks, Pacific Data Images, Pixar et Laika. Il crée sa propre boîte de production, Bare Boards, dans laquelle il développera presque tous ses films, en s’occupant lui-même du scénario, de la réalisation et de l’animation. Ses courts-métrages, maintes fois primés dans les festivals spécialisés, ont été nommés aux Oscars et aux Bafta.
Ancien comédien, Purves a été fortement influencé par le théâtre, notamment par Shakespeare, l’opéra italien et la tragédie grecque. Véritable artiste, il n’hésite pas à mélanger tous ces arts pour créer un univers très personnel. Il manipule de manière virtuose ses marionnettes articulées, expérimente le jeu des possibles et accentue les expressions faciales et corporelles de ses personnages, privilégie un jeu à la limite de l’artifice, filme, de manière intensément dramatique, les grands sentiments (amour, passion, colère, mort, etc), passant constamment de l’ombre à la lumière.
Le livret accompagnant ce DVD, composé d’une discussion entre Barry Purves et Michel Ocelot, de documentaires et d’un livret qui ravira à la fois les professionnels de l’animation ainsi que les amateurs, fonctionne comme un prélude aux courts-métrages présentés. La conversation entre les deux géants de l’animation britannique et française fait état du processus créatif et du rapport au public. Tous deux savent ce que signifie être un auteur, un réalisateur et un animateur de ses propres films.
Purves présente une brève et captivante introduction de ses films qui fonctionne comme une préface à ses films. Ceux-ci racontent des histoires universelles et portent la signature du réalisateur : les visages sont très travaillés, les marionnettes semblent prendre vie devant la caméra, les décors et les costumes sont élaborés avec minutie, ce qui rend les films de Purves identifiables entre tous.
Dans le livret, Paul Wells, l’un des plus grands critiques du cinéma d’animation, analyse les principales caractéristiques des films de Purves : la “manipulation sensuelle” des marionnettes, les sentiments passionnés des personnages, le sens du détail du metteur en scène, l’élaboration de ses récits.
Toujours dans le livret, chaque film s’accompagne d’un bref dossier personnalisé, d’un synopsis, de commentaires, d’anecdotes, d’une liste de prix les plus importants, d’images de story-boards et de dessins. La chose certainement la plus attirante pour les non initiés ? Un guide essentiel des secrets de réalisation de l’animation en stop-motion.
Purves, cinéaste prolifique, propose dans ce DVD une excellente sélection de six de ses courts. Dans « Next » (1989), nous assistons à une audition de Shakespeare lui-même qui passe un casting devant le directeur de théâtre Peter Hall. Alors que celui-ci l’ignore, Shakespeare fait son possible pour attirer son attention et lui exposer l’étendue de son talent, le tout en cinq minutes. La marionnette articulée porte la performance au maximum, en combinant des moments phares des oeuvres de Shakespeare et une palette de sentiments, tous au service de l’histoire.
« Screen Play » (1992), nominé aux Oscars est sans doute l’œuvre la plus célèbre de Purves. Ce projet épique se réfère aux conventions du théâtre Noh de Kabukki et de Bunraku, au naturalisme du théâtre traditionnel japonais. En utilisant un décor tournant, véritable symbole de la culture japonaise, un visible narrateur nous raconte à travers le langage de signes et une voix off l’histoire d’un vieil homme japonais qui se rappelle sa jeunesse passionnée et tragique. Cette œuvre est la plus poétique de toutes car les marionnettes ne communiquent que par langage des signes. « Screen Play » est pure scénographie, le décor tourne autour du personnage, offrant au spectateur une toute autre façon d’aborder le film.
« Rigoletto », un moyen-métrage de 30 minutes tourné l’année suivante (1993) combine tout le drame de l’opéra de Verdi et une brillante technique d’animation de marionnettes. Dans cette pièce complexe de Verdi, le bouffon bossu du duc de Mantoue tente de venger le déshonneur de sa fille. Les décors et les costumes des personnages évoquent la Renaissance italienne, pour atteindre un haut degré de sophistication grâce à une respiration mécanique des marionnettes. Element étonnant : Purves a « recyclé » la marionnette du directeur de théâtre Peter Hall (présent dans « Next ») pour créer le personnage du comte Monterone, par souci d’économie.
« Achilles » (1995) aborde les relations amoureuses entre Achilles et Patrocle pendant la guerre de Troie. Ce chef d’œuvre parle du mythe grec et de l’hypocrisie des tabous sociaux liés à l’homosexualité et à l’intimité érotique. Le traitement formel des amants nus, faisant semblant d’être de robustes sculptures grecques, est précis dans les contours et les détails ainsi que dans l’harmonie et la beauté de leur anatomie. L’obsession de Purves pour l’expression corporelle des personnages est évidente dans cette pièce représentative de l’époque hellénistique caractérisée par le luxe, l’hédonisme et l’exploration constante de l’expressivité émotionnelle.
« Gilbert & Sullivan, the Very Models » (1998) est une opérette de l’époque victorienne qui se distingue par son esprit comique, sa musique omniprésente et ses personnages tiraillés entre désirs de création, rêves de gloire et passions personnelles. A la limite de l’autobiographie, Purves révèle ses préoccupations en tant qu’auteur devenu incontournable grâce ou à cause de la visibilité des prix et festivals : le gaspillage de talent, l’obsession de la célébrité, la question de la reconnaissance pour les générations à venir.
« Hamilton Mattress » (2001) est un court-métrage diamétralement opposé des courts-métrages précédents. Hamilton est un fourmilier faisant son entrée dans le monde décadent du show-biz par le biais de son agent, le mille-pattes Feldwick. Purves réalise ce film qu’il n’a ni écrit ni animé. Distingué par une palette de couleurs très riches, cet autre moyen métrage de 30 minutes est un projet pilote issu des Studios Aardman. Sa technique a de fait évolué. Ses marionnettes sont plus sophistiquées : elles sont à la fois plus petites, ce qui permet une manipulation plus précis, elles contiennent également des mécanismes sous-cutanés qui, une fois animés, leur permettent une plus grande expressivité. En parallèle, les décors utilisés jouent avec les fausses perspectives, ce qui renforce l’étendue du champ et en en approfondit et en en complexifie l’histoire.
Cette sélection de six films, numérisés pour l’occasion de ce DVD, met en avant un animateur et cinéaste majeur, un artiste total à la filmographie plus que cohérente. Le travail de Purves est étroitement lié à sa vie, à ses obsessions et à ses sentiments les plus profonds. Il évite les clichés de type Disney, les stéréotypes faciles en privilégiant un travail d’auteur, personnel, artistique et indépendant dans lequel la chaîne de télé britannique Channel 4 a bien fait de croire dans les années 80 (au même titre que Joanna Quinn, les frères Quay ou Ruth Lingford). Artiste indémodable, il est selon les propres mots d’Ocelot : « un artiste énorme, de ceux qui vivent avec la passion, l’honnêteté, la culture, l’esthétique et la virtuosité ».
En termes de moyens-métrages, il n’y a pas que le Festival de Brive à se faire repérer par les réalisateurs, producteurs et quelques diffuseurs. En Espagne, à Valence plus précisément, le Festival international La Cabina mise sur le format moyen depuis 9 ans. Ce dimanche soir, plusieurs films issus des compétitions internationales et Amalgama (documentaires de création, ciné expérimental, art vidéo, …) ont été distingués. Format Court, présent pour la première fois au festival, reviendra sur cette jeune manifestation dans les prochains jours. En attendant, en voici le palmarès.
Prix du Meilleur moyen-métrage & Prix de la meilleure Réalisation : Le Gouffre de Vincent Le Port (France)
Prix du public : The Mouth de Thomas Aufort (France)
Prix Amalgama : Dum Spiro Spero de Pero Kvesic (Croatie)
Mention Spéciale : Freedom to kill the other’s children de David Varela (Espagne)
Prix du scénario : Sebastian Schmidl, pour Liebling de Sebastian Schmidl (Autriche)
Prix du meilleur acteur : ex aequo: Samuel González et Antonio Altamirano pour San Cristóbal de Omar Zúñiga Hidalgo (Chili)
Prix de la meilleure actrice : ex aequo : Marta Mazurek et Aleksandra Adamska pour Ameryka de Aleksandra Terpinska (Pologne)
Prix de la meilleure photo (Nino Peschel) & Prix de la meilleure musique (Christian Dellacher) pour Der Einsame Hof de Christian Zipfel (Allemagne)
Prix de la Meilleure Affiche : Limbo de Konstantina Kotzamani (Grèce, France)
Sacha Feiner, le réalisateur belge récompensé au festival Le Court en dit long du Prix Format Court pour son dernier court-métrage d’animation « Dernière porte au sud », plonge dans son film le spectateur dans un univers fantastique d’après le point de vue d’un enfant et de sa tête siamoise. La précision des détails, du décor, la volonté de retranscrire et d’adapter la bande dessinée de Philippe Foerster, met en avant la sensibilité du réalisateur pour ses personnages, une sensibilité que l’on retrouve dans ses deux précédents films : « Gremlins fan film », et « Un monde meilleur ».
C’est en 2008 avec « Gremlins fan film » que le cinéaste se fait connaître du public, en réalisant un court-métrage parodiant les célèbres créatures des années 80. Il les incruste dans différents films qui ont marqué son enfance comme « Batman » ou « L’Exorciste ».
Ce premier court-métrage amateur, réalisé notamment avec l’aide de ses parents, suscita une importante réaction auprès de la communauté cinéphile, notamment de Rick Baker, le créateur des Gremlins. La technique de réalisation utilisé par le réalisateur impressionna les cinéphile du monde entier : Sacha Feiner créa un moule correspondant le plus possible à la marionnette originale, qu’il préféra à l’image de synthèse, et joua avec les éléments des films choisis. La difficulté fut présente au tournage lorsqu’il s’agit d’interagir avec des éléments précis des films, par exemple lors de l’incrustation dans le « Batman ». Le réalisateur décida d’intégrer les Gremlins dans le film au moment d’une course poursuite au bord de la batmobile. Il effaça la présence du méchant qui attaquait Batman, pour le remplacer par une dizaine de Gremlins. Les créatures donnèrent alors un aspect comique aux scènes choisies, car on ne s’attendait pas à les voir surgir du film.
En 2013, Sacha Feiner réalisa un deuxième court-métrage de fiction dans un cadre plus professionnel : « Un monde meilleur », une fresque fantastique dans un monde où la surveillance est omniprésente et le sourire est prohibé. Lorsque le régime totalitaire s’effondre, le personnage principal Henry, obéissant et dépendant de toutes ces règles, est le seul qui n’arrive pas à s’adapter à cette nouvelle vie. Lors de la mise en place du nouveau gouvernement, il est perdu car on ne lui dicte plus ce qu’il doit faire et il continue pour autant à aller travailler alors que les bureaux ont été abandonnés.
Avec ce deuxième court-métrage, Sacha Feiner garde le désir de plonger le spectateur dans un univers fantastique. Il construit un personnage antipathique, car il est en accord avec le régime totalitaire, mais qui touche le spectateur par sa solitude et sa volonté de retrouver ses repères. Le personnage principale est émouvant, car il a été abusé par un régime qui l’a programmé pour accomplir une tâche : dénoncer ceux qui transgressent les règles. « Un monde meilleur » s’interroge sur différents sujets contemporains comme la place de l’homme dans la société ou encore le rôle de la famille dans la réussite sociale. Chaque détail de la mise en scène permet ce questionnement comme par exemple le décor de l’appartement d’Henry, mélange entre « 2001, l’Odyssée de l’espace » et « Le Cinquième élément » où chaque élément a été conçu par utilité. L’espace est conçu pour une seule personne, l’homme vit seul et les rêves sont enregistrés. Tout est contrôlé et minuté, ce qui renforce cette atmosphère mécanique et oppressante.
« Dernière porte au sud », le dernier court-métrage d’animation fantastique de Sacha Feiner, livre au spectateur un personnage beaucoup plus sombre, notamment par son jeune âge et la présence de cette deuxième tête sur son corps. L’atmosphère est plus pesante dans ce court-métrage par l’utilisation du noir et blanc, mais aussi par la voix-off de l’enfant qui plane au dessus de l’action. Cette interprétation naïve du monde peut se référer au deuxième court-métrage du réalisateur, « Un monde meilleur », où le monde est réduit à certains endroits spécifiques, comme les bureaux de dénonciation.
Sacha Feiner nous livre, à travers ses trois court-métrages fantastiques, une interprétation de son monde cinématographique, proposant des personnages enfermés dans leur univers (comme le régime totalitaire pour Henry ou le personnage de la mère dans « Dernière porte au sud ») et qui arrivent à découvrir un autre monde en y échappant. À la découverte de ce nouvel univers, ils réapprennent à vivre, difficilement pour Henry qui fuit ses nouvelles sensations, comme la liberté d’expression ou tout simplement la possibilité de choisir, et naïvement dans « Dernière porte au sud » où l’enfant découvre la réalité de son monde. Cela fait écho au spectateur et à toutes les premières fois où l’on découvre une nouvelle sensation. Sacha Feiner arrive à faire revivre cet état en chacun de nous, ce qui en rend ses courts-métrages d’autant plus passionnants.
Réalisé dans le cadre de la collection « Dessine toujours » (lancée par Canal+ à la suite des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, avec pour thème la liberté d’expression), « Journal Animé » de l’italien virtuose Donato Sansone (« Videogioco », « Topo Glassato Al Cioccolato », « Portrait »), est un film d’animation improvisé sur un mois, au jour le jour, entre le 15 septembre et le 15 novembre 2015, et qui commente l’actualité en détournant les pages du journal quotidien Libération.
Au départ, dispositif ludique et pop mettant en scène l’auteur lui-même, gribouillant et raturant les images d’articles anecdotiques, avec l’attitude d’un sale gosse qui s’amuse à « dessiner des moustaches », le film commence à alterner informations légères comme événements plus sérieux. Recourbé sur sa table de bar, Donato s’échine à traiter l’ensemble de ces nouvelles avec la même ironie sarcastique, comme s’il essayait d’en comprendre l’essence et d’extirper le peu d’humanité qui se dissimule derrière cet étalage d’articles disparates.
Puis, au détour d’une page, le film bascule, évacuée la distanciation salutaire qui permettait d’appréhender toute l’horreur de certaines nouvelles, nous sommes le 13 novembre 2015, Paris est sous le choc de tragiques événements qui vont mettre KO tout un pays.
Comment comprendre tout cela ? Comment y faire face ? Le stylo de Donato continue ses gribouillages et détournements, mais l’amusement n’est plus là, le trait se fait lourd, charbonneux, il utilise la métaphore et le symbole pour évoquer certaines idées et réussit en quelques portraits glaçants à saisir toute la complexité de la situation.
Rattrapé par la dure réalité sordide en plein exercice d’improvisation, Donato Sansone brave les nouvelles sans filet, se confrontant à la douleur palpable du moment tout en gardant intact son envie de réfléchir sur la gestion moderne de l’information à travers le prisme de la liberté d’expression.
Pour la cinquième année consécutive, Format Court récompense un film issu de la sélection européenne du Festival de Brest. Le Jury Format Court, composé de Agathe Demanneville, Zoé Libault et Katia Bayer, a décidé de remettre le prix à la réalisatrice lettone Madara Dišlere pour son film « Darznieks » (The Gardener). Un film poétique très riche qui montre une grande maîtrise du cadre, de la lumière et du son et parvient à sublimer la relation qui unit certains hommes à la nature.
La réalisatrice bénéficiera d’un dossier spécial sur Format Court, d’un DCP relatif au film primé ou au prochain film crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution et d’une diffusion de son film lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines à Paris.
Darznieks de Madara Dišlere. Fiction, 20’36, 2016, Lettonie, Tasse Film
Un jardin fait le bonheur et l’épanouissement d’un vieux jardinier. Le jardin ne lui appartient plus mais il se sent toujours comme chez lui. Il communique avec le jardin qui lui répond, lui offrant un refuge et une riche récolte.
Synopsis : Une femme travaille de nuit dans une station service. Des gens qu’elle ne connaît pas font escale dans son monde, puis la laissent à nouveau seule dans sa bulle. Une nuit, un étrange client va bouleverser ses habitudes.
Genre : Fiction
Durée : 10′
Pays : Pays-Bas
Année : 2013
Réalisation : Ena Sendijarević
Scénario : Ena Sendijarević
Image : Emo Weemhoff
Montage : Lot Rossmark
Interprétation : Bien de Moor, Ward Weemhoff, Felix Jan Kuypers
Si Muybridge et Marey, tous deux nés et morts aux mêmes dates (1830-1904), décomposent le mouvement des corps humains et des animaux, c’est avant tout pour comprendre scientifiquement, mais non sans conséquence poétique, la subtilité invisible d’un déploiement. Et puis les démarches du cinématographe naissant entérinent la possibilité de restituer par le défilement, à l’aide de perforations, le temps donné d’un geste. S’ensuit un triple étirement : celui du cadre (dévoyant la profondeur pour l’horizontalité), puis celui du temps filmé (substituant au plan fixe la menace d’un travelling infini) et enfin celui de l’expérience du spectateur (passant de la série enchaînant les sketchs spectaculaires à l’exploration d’une intimité vécue dans sa continuité). Mais il ne faut pas voir dans cette généalogie une quelconque résolution des contrastes.
Bien au contraire, parallèlement à ces multiples extensions, le cinéma s’est rendu acteur des perceptions en cherchant à capter l’insaisissable, ou à montrer l’inmontrable. Comment comprendre les soubresauts d’un Keaton se volatilisant à l’écran ? Y aurait-il, profondément ancré dans l’acte de filmer, la volonté insoumise d’atteindre l’impossible ? Comment comprendre chez Kieślowski la substitution du corps de Weronika/Véronique sinon à travers cette manière dont le cinéma comme champ magnétique pulvérise les frontières admises ? On pourrait dire alors que, loin d’en rester au constat magnanime d’un art « étiré », le cinéma n’existe qu’à partir des tiraillements que les cinéastes lui font gentiment ou violemment subir. Et ceux-ci ne cessent de prendre dans les larmes perturbantes des images ce qui leur échappe, c’est-à-dire le vent, le mouvement perpétuel dans la stabilité parfaite, les traces de la mort dans l’agitation diurne, ce qu’il reste de virevoltant — de révoltant — dans la nuit.
Observer politiquement les bruissements nocturnes, c’est justement ce à quoi s’attelle le film de fin d’études de la réalisatrice hollandaise d’origine bosniaque, Ena Sendijarevic : « Reizegers in de nacht » (« Voyageurs de la nuit »). Et le film, sélectionné maintes fois dans les festivals internationaux, n’a pas à rougir de son inscription dans une longue histoire des émotions nocturnes au cinéma. Osons l’écrire d’emblée : il y a un peu d’Antonioni dans la prégnance des visages et surtout un peu de Vigo dans l’insoumission des gestes. Essayons d’y voir plus clair.
Alors on craint
Une station-essence sur une autoroute de Hollande. Il est très tard le soir ou très tôt le matin. Question de point de vue. Une employée de quarante ans, seule responsable d’un mini-temple de la consommation passagère, s’agite derrière son comptoir à friandises. Elle réapprovisionne les rayons de cigarettes. Et puis s’assied, désolée de son sort. Le plan fixe, comme le film entier, baigne dans son jus musical; ça commence par Lola des Kinks (1973). Serait-ce pour donner un prénom à cette anti-héroïne du présent européen ? On osera le croire.
Toujours est-il que, s’il est question de la nuit, il est aussi rapidement question du vent. Ou plutôt de fumée de cigarette. Celle qu’on appellera Lola est dehors; elle fume, le corps appuyé contre un mur. Non sans élégance. Non sans grâce. L’apparition d’un client fait naître un sourire désespéré; le temps de la nicotine ne se confond pas avec le temps de la fonction, même si l’on sait que travailler rime ici avec attendre et surveiller. Absurdité du contemporain néo-capitaliste.
Ainsi la mise en scène se construit-elle lentement autour du regard de l’employée, n’ayant pour seul punctum la présence physique du client. Ça s’enlise pour un temps, juste le temps d’attendre autre chose dans ce monde en points de suspension; l’apparition floue au second plan des phares d’une voiture indique l’arrivée d’un troisième personnage. Un homme à la chevelure blonde et hirsute sort de l’automobile, et entre dans le magasin. L’employée le regarde presque médusée, peut-être intriguée. Dans ses yeux, on croit bientôt reconnaître de la crainte. Si l’univers est manifestement celui des transports, il ne s’agit en aucun cas d’une expérience de sentiments. Et pourtant.
Cliquer sur l’image pour voir le film en ligne
Alors on danse
De la crainte du regard, on passe à celui de l’amusement. La femme observe cet individu à la démarche étonnante, lequel remue la tête comme s’il était mû par une mélodie intérieure. Et la réalité du lieu semble donner raison à cette pulsation; la radio se met bientôt à balancer la chanson de Kim Carnes, Bette Davis Eyes (1982). L’homme de se mettre à danser comme s’il était en boîte de nuit, jouant de la configuration des rayons pour dissimuler son corps et ses intentions. Et la femme de se laisser entraîner dans cette danse et cette intimité (dé)placées là, hors de tout contrôle et de toute angoisse.
Jusqu’au moment où l’homme lâche les bras de l’employée, qui n’était en vérité que la cible espiègle de sa manigance : il marche jusqu’au comptoir, sous le regard cette fois-ci totalement médusé et interrogateur de la femme, pour y prendre l’argent de la caisse à l’aide d’un petit sac plastique. Le tour est joué. La manipulation a parfaitement opéré. La stratégie a totalement fonctionné. Tout cela s’est fait dans la plus grande simplicité, fugacité même, dans la croyance d’un bonheur qui n’était que manipulation.
La subtilité du film réside dans sa capacité à déjouer les attentes, dans le sens d’observer comment le statut des corps en présence se déplace, s’exténue, se délite (ceci est d’autant plus vibrant que la scène se déroule sous le regard neutre du premier client, brillant de constance et de flegme). Par son imprudence, l’employée a tout perdu. Et la situation la révèle à elle-même : un pion sur un échiquier. À son statut de pantin du système capitaliste s’ajoute finalement celui de pièce de la mécanique d’un malfaiteur. La nuit ne lui appartient plus.
Alors on fuit
À la fois attentif et efficace, Voyageurs de la nuit aurait pu terminer là le récit triste d’un volte-face. Mais non. La fumée de cigarette du début n’était pas anodine : elle indiquait déjà la nécessité d’un ailleurs, le besoin d’un changement de conditions, la présence prospective d’un rêve. Le film ne s’en tient pas non plus à un sens social. Sous l’action de la joie, même la plus éphémère, le réalisme à l’œuvre nous embarque vers le constat d’une migration à laquelle on ne peut pas échapper. Comme si le seul état possible pour cette femme, victime d’une entourloupe maligne, ne pouvait être que celui du flottement; être un point blond dans une nuit merdique. Outrance de l’espace et absence de lieu. C’est donc sans surprise que le spectateur du film, déçu autant que l’héroïne de la tournure prise par les événements, assiste à l’acte final : l’employée prend ses cliques et ses claques, investissant un 35 tonnes pour refuge momentané en direction du néant. À qui incombe la responsabilité de la nuit ? Drôle de question pour triste réalité qui laisse ses voyageurs au bord du monde.
Nous n’oublierons pas « Le Vent » de Victor Sjöström ni « La Notte » de Michelangelo Antonioni. Et nous attendrons, peinant à dissimuler notre impatience, la suite d’un cinéma qui n’a pas peur de la réalité dont il se fait non seulement le témoin froid mais aussi l’acteur perceptif, nourri d’éthique et de poésie tragique.
Ce jeudi 10 novembre, à 20h30, les Pays-Bas seront mis à l’honneur au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) à l’occasion de la deuxième Soirée Format Court de l’année organisée avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France et de EYE International.
« Feest » de Paul Verhoeven, « We were wolves » de Mees Peijnenburg, « Import » de Ena Sendijarević, « The Origin Of Creatures » de Floris Kaayk, « Geboren en Getogen » de Eelko Ferwerda : 5 films éclectiques à souhait (fiction, animation, expérimental, film d’école, très court, moyen-métrage, propositions récentes comme plus anciennes, …) seront projetés ce jeudi, en présence de Ena Sendijarević, réalisatrice de « Import » (Quinzaine des Réalisateurs, Cinemed, Amiens, …) et Mees Peijnenburg, réalisateur de « We were wolves » (sélectionné à Edinburgh, Poitiers, Mecal, …).
En pratique
– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Infos, programmation : ici !
– Durée de la séance : 81′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Event Facebook !
– Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées :soireesformatcourt@gmail.com
À l’affût de réalisateurs prometteurs, Format Court fait aujourd’hui la lumière sur Or Sinai, jeune cinéaste israélienne diplômée de l’École Sam Spiegel de Jérusalem. Primée par notre équipe au Festival de films d’écoles de Tel Aviv pour son court métrage « Anna » – également remarqué au festival de Cannes où il a reçu le Premier Prix de la Cinéfondation, Or Sinaï nous fait entrer dans un univers où la femme est au centre du récit : ses trois courts métrages, deux fictions, « Two » et « Anna », et un film documentaire « Violetta mi vida », mettent en scène des personnages de mères qui élèvent seules leurs enfants. Femmes désespérées ou mères-courage, les personnages féminins de Or Sinai sont empreints de romanesque et nous révèlent des moments de vies parfois éprouvants, parfois sensuels et intimistes, dressant le portrait délicat de femmes en quête d’amour. Alors que Or Sinai vient de décrocher une bourse pour la réalisation de son premier long métrage intitulé « In the Heat of the Day » au festival Cinémed de Montpellier, Format Court vous invite, par ce focus, à découvrir son travail.
Stéphane Blanquet a plus d’une corde à son arc. À la fois plasticien, dessinateur, scénographe, réalisateur, il distille à travers ses différents travaux une forme d’inquiétante étrangeté, doublée d’une incroyable cohérence intrinsèque. Naviguant en eaux troubles, son œuvre parvient à se frayer un chemin sinueux et personnel au gré des multiples influences pour nous amener dans des contrées inexplorées et pourtant curieusement familières.
À l’occasion de sa carte blanche à la 22ème édition de l’Etrange Festival qui se déroulait au Forum des Images, à Paris, du 07 au 18 septembre 2016, nous lui avons posé quelques questions pour en savoir plus sur son œuvre dense et mystérieuse.
Nous avons pu lire ici ou là qu’un souvenir semble vous avoir spécialement marqué enfant devant la TV, le film « L’Étrange créature du lac noir » de Jack Arnold. Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché dans ce film ?
Ce film m’a surtout touché parce que France 3 le diffusait en 3D. Il fallait aller chez le marchand de journaux pour acheter les lunettes 3D, c’était toute une aventure ! J’étais fan de Pif Gadget et découvrir un gadget qui passait à la télé, je trouvais cela génial. Et puis, ce film dégage une forme de poésie, le monstre aquatique du titre n’est pas vraiment monstrueux, il est surtout très beau et très graphique. J’emprunte souvent ses traits dans mes dessins, par petites touches, que cela soit pour ses ongles ou ses écailles.
Vous co-réalisez un premier film d’animation en 1997, avec Olive [ proche collaboratrice qui l’accompagnera sur la réalisation de ses films d’animation jusqu’à 2003 pour « La Peau de Chagrin »], « Le mélange des couleurs ». Pouvez-vous nous en parler ?
Nous avons expérimenté l’animation sur un banc titre directement, cela faisait partie d’un projet de film expérimental, « Le Dernier Cri », produit par la maison d’édition du même nom. Nous avions filmé en 16mm en utilisant l’animation en papier découpé et quand j’ai vu le résultat, j’ai trouvé qu’une certaine magie en émanait. Cela m’a séduit. Mes dessins, ces petits bouts de papier non animés prenaient soudainement vie. Ce qui m’a le plus intéressé dans ce projet, c’était le contact direct avec la matière : pouvoir toucher ce que je créais et travailler directement avec.
Vous faites ensuite le film « Mon placard », l’adaptation d’une vos bandes dessinées…
Oui, d’un petit livre. J’ai de nouveau travaillé avec le même producteur que sur le film précédent et qui m’a suivi dans tous mes films réalisés en papier découpé. Quand j’ai vu le résultat du premier court métrage, je lui ai proposé un nouveau projet, mais cette fois-ci en 35mm, avec une logistique beaucoup plus compliquée, ce qui m’a un peu refroidi… En fin de compte, l’énergie et la spontanéité que je pouvais avoir sur un simple banc titre, je l’avais un peu perdue. La réalisation du film avait duré six mois et celui-ci ne durait que quelques minutes, c’était plutôt frustrant.
Ensuite, avec la série de petits films d’animation « Histoire Muette » (26 épisodes d’une minute chacun), j’ai essayé de retrouver le côté impulsif que j’avais un peu perdu en route. Pour ce projet, c’était un peu comme un groupe de rock qui enregistre une chanson en une seule prise : il y a tous les défauts que l’on peut imaginer, avec des animations un peu bancales, mais ce qui comptait c’était l’instantanéité. Les erreurs faisaient partie du processus.
Enfin, pour mon court métrage « La Peau de Chagrin », je l’ai fait dans le cadre d’un appel d’offres que Canal+ avait lancé. Il se trouve que j’avais écrit une histoire qui pouvait coller au sujet et je la leur ai proposé. Cette fois-ci, c’était une autre expérience : faire un film avec très peu de temps pour le faire. La bande dessinée est sortie après coup dans ce cas de figure.
On arrive à « Cornée », votre dernier court métrage en date (réalisation collective avec les étudiants de Supinfocom), vous passez de l’animation en 2D à la 3D. Pourquoi avoir fait ce choix et est-ce que cela vous a ouvert de nouvelles possibilités dans l’exploration de votre univers ?
Là aussi, Canal+ m’a proposé d’écrire une histoire, en collaboration avec Supinfocom. C’était une expérience assez intéressante, évidemment il fallait faire confiance, savoir déléguer ou, au mieux, accompagner. Cela m’a beaucoup plu, j’ai aimé l’énergie que chacun y amenait. Les élèves voulaient expérimenter aussi bien dans le traitement de l’image que dans le choix de l’histoire, qui était volontairement beaucoup plus bizarre et incompréhensible que mes précédents projets. Nous avons pas mal travaillé sur les textures. Sur mes anciens films, comme je travaillais directement sur banc titre, il n’y avait pas de grandes possibilités en trucages et effets de lumière. Avec « Cornée », de nouveaux horizons s’ouvraient à nous, on pouvait tout calibrer. C’était plus de temps de fabrication, mais aussi, plus de possibilités dans les choix artistiques.
Comment cela se passe lorsque vous passez d’un support à l’autre ? Comment parvenez vous à maintenir l’intégrité de votre univers en changeant de discipline, par exemple, en passant de la BD au film d’animation ?
Je sais qu’il y a plusieurs dessinateurs qui ont du mal à imaginer leurs personnages en trois dimensions. Je n’ai pas ce problème-là, comme j’ai participé à beaucoup d’expositions et d’installations, j’ai pris l’habitude d’appréhender mon univers en 3D.
Je me suis toujours dit que cela allait donner autre chose, je n’ai pas essayé de copier ou calquer mon dessin, parce que c’est impossible. Je ne souffre pas non plus de voir s’approprier mes dessins par d’autres personnes que moi. J’aime travailler avec des collaborateurs et que chacun puisse amener sa vision des choses.
Quand on regarde votre parcours, on s’aperçoit que vous tendez des passerelles entre plusieurs arts (cinéma, arts plastiques, théâtre, danse contemporaine, musique, etc). Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette complémentarité ?
Tout m’inspire ! Et c’est aussi une façon de ne pas s’ennuyer. Par exemple, avec le court métrage, on peut expérimenter. Le résultat n’a pas besoin d’être « propre », on peut faire dans l’abstrait et l’expérimental, sans être contraint.
Ce sont des projets ou des rencontres qui m’amènent à essayer d’autres choses, mais je ne me verrais pas refaire ce que j’ai déjà fait. En ce moment, je suis par exemple en train de réaliser des essais pour un futur film expérimental pornographique, avec des comédiens.
Pouvez-vous nous parler de la carte blanche que l’Etrange Festival vous a proposé et notamment des courts métrages que vous avez programmés à cette occasion (les films de Keiichi Tanaami et Derek Jarman) ?
En ce qui concerne les films de Keiichi Tanaami, c’est un travail que je voulais absolument montrer, déjà parce que j’édite ses œuvres et puis également car je trouve qu’en ce moment dans le graphisme ou dans l’édition, il y a un revival des images des années 70, alors que lui avait déjà ce style au moment même des années 70 ! Il a 85 ans et j’ai rarement vu quelqu’un avec une telle pèche et qui croit encore en ce qu’il fait. Il y a une modernité assez folle dans ses films et dans ses dessins.
Pour le choix du film de Derek Jarman (« TG : Psychic Rally in Heaven »), mon souhait était de montrer une œuvre qui mette en avant des textures particulières. Je me suis mis récemment à faire des polaroïds et dans ce film j’ai retrouvé cet usage des couleurs saturées, un peu brûlées et qui me donne envie d’expérimenter, d’utiliser des matières.
Vous avez également programmé « L’Ange » de Patrick Bokanowski, long métrage expérimental culte des années 80, qui peut se présenter comme une combinaison de courts métrages ou séquences autonomes. Est-ce aussi une source d’inspiration pour vous ?
Tous ces films sont des sources d’inspiration pour moi, mais qui marchent de façon presque mystérieuse, je n’en ai pas toutes les clés de compréhension. Je vois que cela me parle, me touche, mais ce n’est pas exactement inscrit dans mon domaine de travail. En même temps, cela me donne à moudre. Du coup, je sens que même si ce n’est pas une influence directe, tout cela peut m’ouvrir sur d’autres choses. Ce qui est intéressant, c’est de ne pas toujours comprendre, et même parfois de ne pas toujours aimer et de s’y confronter. Cela ouvre des passerelles et je me dis que peut-être une idée ou même une image peut m’amener autre part et enrichir mon imaginaire pour créer de nouveaux projets.
Lors de votre dernière exposition sous forme d’installation interactive « Goudron Pressage – Sillon Tympan » au Centre Pompidou, une place spéciale avait été donné à la musique. On pouvait même pendant l’exposition, prendre des instruments de musique et jouer avec. Quelle est la place de la musique, et du son en général au sein de votre travail ?
J’ai toujours écouté de la musique, cela fait partie intégrante de mon travail, j’aurais du mal à monter une installation ou même à réaliser un film, sans en travailler l’aspect sonore et musical parce que c’est indivisible de la chair du projet et participe à l’ambiance générale. La musique permet d’orienter, de donner une direction. Même si elle s’avère légère, en retrait, un peu fragile, elle amène le spectateur à appréhender mes images avec la bonne atmosphère.
Je travaille avec des musiciens que j’écoute régulièrement, et comme je dessinais en écoutant ces gens-là, il y a eu une certaine logique à ce qu’ils participent à mes installations, dans une idée de continuité. Par exemple, mon court métrage « Mon Placard » a été mis en musique par Albert Marcoeur [musicien et chanteur français inclassable, appelé en son temps « le Frank Zappa français »] que j’écoutais depuis longtemps et sur cette récente exposition à Beaubourg, j’ai eu le plaisir de collaborer avec The Residents [collectif d’artistes californien œuvrant dans l’avant-garde et actifs depuis 1969]. Leur musique est très évocatrice et cinématographique, il y a beaucoup d’images qui viennent en les écoutant.
Plusieurs thématiques apparaissent dans votre œuvre, comme la place du corps, les secrets enfouis, le sentiment de frustration, un mal-être généralisé. Est-ce qu’il y a une part complètement instinctive dans votre approche ou est-ce que vous intellectualisez tout cela ?
Au niveau de mon travail en bande dessinée, je souhaitais surtout montrer un climat, explorer la dimension cachée des choses, les frustrations dissimulées et créer un malaise ambiant. Ce qui me plaisait, c’était qu’il y ait des bizarreries et de plaquer mes propres obsessions sur mes personnages.
Ne faisant plus vraiment de bande dessinée, mais plutôt de l’illustration, mes images sont devenues plus abstraites, relevant toujours des mêmes obsessions par rapport au corps, à la chair, aux matières organiques, mais avec un côté très instinctif. Je ne contrôle plus rien, je suis dans le coup de plume libéré. J’ai du mal à faire autrement et surtout autre chose.
Est-ce que les EC Comics [éditeur de BDs horrifiques américaines dans les années 50-60] et les Pulps [magazines américains populaires et peu coûteux abordant SF, romance, fantastique] sont une influence directe pour vous ?
Cela fait partie de mes influences, mais j’ai été finalement plus marqué par l’éditeur français Elvifrance [éditeur de bande dessinée érotique bon marché en format de poche, des années 70 à 90]. Le côté sexe explicite, l’horreur débridée, tout ce que représentait crûment Elvifrance. La dimension crapuleuse, complaisante, le côté roman de gare, journal bon marché, est une inspiration directe pour moi. De plus, je suis en plein dedans, car je prépare actuellement une compilation avec à peu près 300 de leurs couvertures les plus hard, le tout assorti d’un descriptif historique.
Est-ce qu’Elvifrance pourrait être l’une des sources d’inspiration pour la création de votre maison d’édition United Dead Artists ?
En effet, c’est l’une des raisons pour laquelle j’ai fondé ma propre maison d’édition (United Dead Artists), dans le sens que je souhaite avant tout désacraliser l’Art et le rendre accessible au plus grand nombre. Je ne veux pas que les livres soient trop chers et que cela reste abordable pour tous. Je veux retrouver la proximité et le rapport aux œuvres que j’avais quand j’allais sur les marchés avec ma mère, acheter des livres de seconde main et transmettre ce sentiment. Les frontières deviennent perméables, éclatées, il n’y a plus ce côté sacré, voire élitiste. Ce sont dans ces formes populaires, prétendues moins nobles, qu’il y a de véritables émotions.
La publication dont je suis le plus fier au niveau des éditions, c’est peut-être le journal La Tranchée Racine [journal d’images rassemblant de nombreux artistes en format Tabloïd géant], parce que pour un prix abordable (3-5 euros), cela touche un grand nombre de gens qui ne se seraient peut-être pas intéressés à des formes aussi spécifiques et différentes. Cela m’intéresse plus que des tirages limités hors de prix qui s’alièneraient toute une partie des lecteurs. C’est pour cela que je suis très content d’offrir un numéro de La Tranchée Racine, à l’Etrange Festival cette année. Je suis sûr qu’il y a des gens qui ne vont pas du tout être intéressés par l’objet, particulièrement encombrant, et l’on va en retrouver plusieurs exemplaires dans les poubelles. Cela m’alimente, me pousse à me surpasser en quelque sorte. On ne reste pas dans l’entre-soi de son univers, avec ses amis, on se confronte à tout autre chose.
Du 18 au 27 novembre, se déroulera le 37ème Festival de Villeurbanne. Format Court y attribuera pour la troisième année consécutive un prix au sein de la compétition européenne. Le Jury Format Court (composé de Clément Beraud, Lila Toupard, Aziza Kaddour et Katia Bayer) récompensera l’un des 43 films sélectionnés.
À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé. Celui-ci sera diffusé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition
L’ESPRIT DU LOUP / Katia Scarton‐Kim, France – Suisse – Allemagne
ZAKAT / Andrei Annenski, Russie UNE TÊTE DISPARAÎT / Franck Dion, France – Canada
HERCULANUM / Arthur Cahn, France IL SILENZIO / Ali Asgari & Farnoosh Samadi, Italie – France
MARIE SALOPE / Jordi Perino, France
SPOON / Markus Kempken, Allemagne
LE DERNIER VOYAGE DE L’ENIGMATIQUE PAUL W.R. / Romain Quirot, France
LOST EXILE / Fisnik Maxhuni, Suisse
ZVIR / Miroslav Sikavica, Croatie
JE TE TIENS, TU ME TIENS / Eric Guirado, France
ENNEMIS INTERIEURS / Sélim Azzazi, France
DE LONGUES VACANCES / Caroline Nugues, Belgique
LA BAIGNOIRE / Tim Ellrich, Allemagne
HOW LONG, NOT LONG / Michelle & Uri Kranot, Danemark
WARDE / Qutaïba Barhamji, France
VICTOR XX / Ian Garrido, Espagne
A NEW HOME / Ziga Virc, Slovénie
PASSER LES CHAMPS / Camille Melvil & Fabien Cavacas, France
BINGO ! / Patrick Schoenmaker, Pays-Bas
LE RESTE EST L’OEUVRE DE L’HOMME / Doria Achour, France
NABELSCHNUR / Eliza Petkova, Allemagne
2037 / Enric Pardo, Espagne
MAYDAY RELAY / Florian Tscharf, Allemagne
PORT BOU / Jean Anouilh, France
COLOCATAIRES / Delphine Priet‐Mahéo, France
L’OMBRE D’UN AUTRE / Léo Médard, Belgique
LA VOIX DU PERE / Mathias & Colas Rifkiss, France
COKOLWIEK SIĘ ZDARZY, KOCHAM CIĘ / Justyna Mytnik, Pologne
LANA DEL ROY / Julien Guetta, France
UNCANNY VALLEY / Paul Wenninger, France – Autriche
CEREMONIE / Patrick Guedj, France
ALLES WIRD GUT / Patrick Vollrath, Autriche – Allemagne
L’ENFANCE D’UN CHEF / Antoine de Bary, France
TRIAL & ERROR / Antje Heyn, Allemagne
1992 / Anthony Doncque, France
VARANASI / Basile Pierrat, France
LÖSS / Yi Zhao, Pays-Bas
MA FILLE NORA / Jasna Krajinovic, Belgique
TAPETTE / Satya Dusaugey, France
THE ORACLE / Nan Feix, France
GRAFFITI / Lluis Quilez, Espagne
YALDA / Roshanak Roshan, France
AUF WIEDERSEHEN / Yordan Petkov & Eddy Schwartz
Notre rubrique Le film de la semaine accueille un nouveau titre repéré par un autre professionnel du court, Richard Van Den Boom, producteur et gérant de la société française Papy 3D Productions (en lien direct avec les projets de Sarah Van Den Boom, Franck Dion, Gilles Cuvelier & Jérémy Clapin). Son choix porte sur « Fable » de Daniel Sousa, l’un de ses films préférés en animation.
Animation, 7′, 2005, États-Unis, prod. : Daniel Sousa, Handcranked Film
Synopsis : Dans ce conte de fées cyclique, un homme et une femme sont condamnés à être séparés pour toujours, sauf quand ils se changent en animaux. Mais quand cela se produit, leur passion est assombrie par leurs instincts de chasse.
Daniel Sousa est sans conteste possible l’un des auteurs d’animation américains les plus audacieux et intéressants. Vivant en Nouvelle Angleterre et professeur à la Rhode Island School of Design, il produit ses films (« Minotaur », « The Windmill », « Drift », « Feral ») sur de très longues périodes, en bénéficiant de financements limités et en utilisant un mix de techniques traditionnelles et numériques. « Fable » est son film le plus abouti, mêlant une beauté formelle et un mystère rares dans l’animation indépendante américaine.
Richard Van Den Boom (producteur, Papy 3D Productions)
La 31e édition du Festival Européen du Film Court de Brest aura lieu du 8 au 13 novembre 2016. 38 films issus de 28 pays forment les contours de la compétition européenne. Pour la cinquième année consécutive, Format Court attribuera un Prix à l’un des films en sélection.
À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé par le Jury Format Court (composé de Agathe Demanneville, Zoé Libault et Katia Bayer). Celui-ci sera diffusé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur/la réalisatrice bénéficiera également d’un DCP relatif au film primé ou au prochain (dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition européenne
GUILLAUME À LA DÉRIVE de SYLVAIN DIEUAIDE, France
LA BRÊLE SAUVAGE de GREG CLÉMENT, Suisse
THE TROLLEYBUS-MAN de JONAS TRUKANAS, Lituanie
CENTRO BARCA OKKUPATO de ADAM SELO, Italie
CAROUSEL de KAL WEBER, Royaume-Uni
ARIANA FOREVER! de KATHARINA RIVILIS, Allemagne
DARZNIEKS de MADARA DIŠLERE, Lettonie
A BRIEF HISTORY OF PRINCESS X de GABRIEL ABRANTES, France – Portugal
A NEW HOME de ZIGA VIRC, Slovénie
SHOPPING de LAYKE ANDERSON, Royaume-Uni
GRÝLA de TOMAS HEIDAR JOHANNESSON, Islande
TIMECODE de JUANJO GIMÉNEZ, Espagne
CARGO de LUDWIK PRUSZKOWSKI, Pologne
GETTING FAT IN A HEALTHY WAY de KEVORK ASLANYAN, Bulgarie – Allemagne
SUR ÉLISE de STEFANO RIDOLFI, Belgique
DOUG & WALTER de SAMUEL MORRIS, Suisse
JUNGWILD de BERNHARD WENGER, Autriche
EN LA AZOTEA de DAMIÀ SERRA CAUCHETIEZ,Espagne
LA SLITTA de EMANUELA PONZANO, Italie
LOVE IS A STING de VINCENT GALLAGHER, Irlande
CRAZY SHEEP de MATHIAS DESMARRES, Belgique
PYSÄHDYS de PIA ANDELL, Finlande
MUKWANO de CECILIE McNAIR, Danemark
KATIFORA de STELIOS KAMMITSIS, Chypre
WHACK de SYNI PAPPA, Grèce – Croatie
PANTHÉON DISCOUNT de STÉPHAN CASTANG, France
JAG FOLJER DIG de JONATAN ETZLER, Suède
OME de DANIEL MULLOY, Kosovo
BERLIN METANOIA de ERIK SCHMITT, Allemagne
REMÉNY de MÁRTON SZIRMAI, Hongrie
EUROMAN de GABRIEL TZAFKA, Danemark – Grèce
SPOETNIK de NOËL LOOZEN, Pays-Bas
FEITOS E DITOS DE NASREDDIN de PIERRE-MARIE GOULET, Portugal – France
TUHAF ZAMANLAR de MEHMET EMRAH ERKANI, Turquie
STILLE PÅ SETT de PETTER HOLMSEN & MARTE HANSEN, Norvège
NOIEMBRIE de STROE IOACHIM, Roumanie
PIENIÄ KÖMPELÖITÄ HELLYYDENOSOITUKSIA de MIIA TERVO, Finlande
Pour sa 2ème projection parisienne de l’année, Format Court vous invite jeudi 10 novembre 2016 à 20h30 à une séance spéciale consacrée aux Pays-Bas au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). 5 courts-métrages récents & plus anciens (dont « Feest » de Paul Verhoeven) seront projetés à l’occasion de cette soirée organisée avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas en France et de EYE International. Pour l’occasion, 2 réalisateurs seront présents pour accompagner cette toute nouvelle Soirée Format Court.
Programmation
Feest de Paul Verhoeven, fiction, 27′, 1963, Pays-Bas, prod. : Paul Verhoeven
La liaison entre deux lycéens de La Haye se termine en conflit lors d’une fête échevelée à l’école.
We were wolves de Mees Peijnenburg, fiction, 11′, Pays-Bas, 2012, Nederlandse Film en Televisie Academie, sélectionné aux Rencontres Henri Langlois 2013. En présence du réalisateur
Dicky se remémore l’époque où lui et ses frères n’étaient encore que de jeunes chiens maladroits, jusqu’à ce qu’une fille pointe son nez.
Import de Ena Sendijarević, fiction, 17′, 2016, Pays-Bas, prod. : Pupin, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs 2016 et au Festival Cinemed 2016. En présence de la réalisatrice
En 1994, une jeune famille de réfugiés bosniaques se retrouve dans un petit village des Pays-Bas après l’obtention de leur permis de séjour. Les situations absurdes surviennent alors qu’ils essaient de faire de ce nouveau monde leur maison.
The Origin Of Creatures de Floris Kaayk, animation, 12′, 2010, Pays-Bas, prod. : Koert Davidse, Marc Thelosen, Yan Ting Yuen. Prix Format Court au Festival Paris Courts Devant 2011
La vision futuriste d’un monde après un désastre catastrophique. Dans cette parabole, des membres mutés autonomes sont à la recherche d’une coopération, mais en raison de problèmes de communication, cette mission est vouée à l’échec.
Geboren en Getogen de Eelko Ferwerda, fiction, 3’50 », 2009, Pays-Bas, prod. : Waanzee, Grand Prix Festival Très Courts 2010, sélection au Festival de Clermont-Ferrand 2010
Bo et Elsa vont avoir un bébé et, au moment où leur enfant naît, Bo compose un morceau de musique.
En pratique
– Projection : 20h30, accueil : 20h
– Durée de la séance : 70′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Event Facebook : ici !
– Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com