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Formats Longs : Le Mystérieux Regard du flamant rose de Diego Céspedes

Danse avec les queens

Un chahut dans l’eau, une jeune fille bousculée par une bande de garçons : la séquence qui ouvre Le Mystérieux Regard du flamant rose introduit un récit de corps repoussés, mis à la marge, tenus la tête sous l’eau. Après deux courts-métrages El verano del léon eléctrico (1er prix de la Cinéfondation 2018) et Les Créatures qui fondent au soleil (Semaine de la Critique 2022), Diego Céspedes présente son premier long-métrage cette année dans la sélection Un Certain Regard.

Dans une petite ville minière du désert chilien, au seuil des années 1980, une jeune fille grandit au sein d’une ardente communauté queer qui vit dans un cabaret. Une mystérieuse maladie contamine au fur et à mesure les habitants. On la dit provoquée par le regard, lorsqu’un homme en désire un autre. Récit généreux à la croisée des genres : le western, le road-movie, voire le fantastique, Le Mystérieux Regard du flamant rose endosse l’étoffe d’un film queer entre tragédie et burlesque, d’une liberté de ton débridée, qui emporte autant qu’elle importe. Diego Céspedes dans son premier geste révise notre regard autant que la réflexion sur la marge.

La fraîcheur de la proposition tient autant par son sujet que par une volonté de fluidité à travers les genres, ce que contient de facto l’esthétique queer, et ce, en prenant à bras-le-corps le western, genre de cinéma aussi viriliste et violent qu’attentif à la marge et aux frontières, empreint d’homoérotisme. Les corps des personnages féminins, travestis, sont eux-mêmes des corps frontières, en branle, que l’on tente de circonscrire dans un territoire. L’une des séquences voit d’ailleurs les mineurs du village leur interdire la sortie de leur bicoque. Les vendettas imaginaires ou réelles héritent des duels, tandis que les balades en moto, flingues autour des reins dans les terres poussiéreuses du désert, ont la violence du western et la fluidité du road-movie, véritable catalyseur de désir et d’émancipation.

Le Mystérieux Regard du flamant rose aurait pu s’en tenir à ces deux genres du cinéma, pour penser la marge et ses turbulences, mais par d’étranges séquences souvent nébuleuses, il met un pied dans le film de vampires. La maladie qui se propage est nommée «la peste», tenue comme une calamité, comme une plaie. C’est de toute évidence un écho au sida qui a ancré davantage l’homophobie envers les communautés queer. Cette épidémie qui se propage a tout à voir avec les vampires. Lorsque Nosferatu arrive dans la ville, c’est la peste qu’il sème dans son sillage. Si c’est l’horreur et l’ostracisation que permet l’idée du sida comme peste, c’est, dans le même réflexe, là que se situe l’érotisme hypnotique du film. L’union charnelle devient une dévoration au clair de lune dans une séquence hallucinante qui conjugue l’Eros au Thanatos. Les films de vampires prolifèrent dans leur monstruosité, leur déchéance des corps putréfiés, leur grande mort, autant que dans leur séduction envoûtante, leur sublimation, leur petite mort, celle de l’orgasme. Ce côtoiement du vampirisme dans un geste surnaturel renoue avec l’idée du sang comme substance de vie autant que de mort qui cimente le film. Le sida est une maladie du sang, ses effets sont proches de ceux de la peste : maigreur, traits creusés, sorte de bubons turgescents sur le corps, dépérissement progressif, et surtout la mise au ban des victimes, le cœur du film. Cela n’empêche pas que le sang, autant que la maladie, se vivent dans cette bulle qu’est le cabaret comme une fête, comme une représentation. N’y a-t-il pas une séquence de noces où l’on souhaite la félicité dans « le sang et le sperme » ? Uni ainsi au flot créateur, le sang reprend son statut de fluide de jouissance, d’existence et d’organique. Le film est de tous les instants une célébration de la vie dans ses mouvements les plus digestifs, comme une allégresse rabelaisienne, où l’on se raconte des histoires assis sur les cabinets entre deux flatulences.

Le film de Diego Céspedes se distingue par une intelligence des motifs qui dessinent un cercle bien établi et pensent avec force les échos et les miroitements, sans souligner ses intentions, en restant dans une sorte d’effronterie toujours renouvelée, en constante circulation. Là où il est le plus percutant est certainement dans son effort de repenser le regard, levier qui imprime le titre. Qu’est-ce que le regard ici ? Négativement, son absence est un rejet, une manière d’enraciner l’exclusion. Les mineurs du village se cachent les yeux sur le passage des travestis, car une rumeur veut que ce soit par le regard embrasé pour un autre homme que l’on s’infecte. Le regard comme échange donc, comme promesse érotique autant que pathologique. À l’inverse, la communauté du cabaret est un ensemble de personnes qui se regardent, qui échangent, et s’acceptent. Si elles sont stigmatisées, refusées à la vue, leur art et leur salut tient à la représentation, à leur propre geste de monstration. Le cabaret donne ainsi lieu au spectacle, à la sublimation de leurs corps, par des chansons, des danses, ou même lors d’une très signifiante séquence d’hypnose qui vient exorciser l’homophobie dont elles sont la cible.

Il n’y a rien de plus violent que de perdre la vue. Œdipe se crève les yeux pour ne plus voir son crime, pourtant il se soustrait à la possibilité de contempler les autres et la beauté. Ce geste de la vue empêchée est un motif récurrent du Mystérieux Regard du flamant rose : de la simple menace à l’innommable qui vient déchirer le film, ou encore de ce moment bientôt renversé avec beaucoup d’humour des yeux bandés comme prévention. Sur un mur est inscrit « Je me suis perdu dans ton regard mystérieux ». Cela rappelle l’ensorcellement dont le regard est la matrice, qui rend à la chair son potentiel de lascivité autant que sa perdition. À cette phrase probante répond une des plus belles séquences du film, teintée de magie et de sensualité, dans un ensemble rose à plumes, où le regard devient absorption, où le charnel fraie avec la cruauté, où les corps s’unissent à travers les yeux.

C’est une œuvre sans cesse en oscillation entre tragédie et comédie, qui saisit avec originalité et justesse l’idée des marges et du rejet sur ces communautés. Cela témoigne d’à quel point le cinéma est un lieu pertinent pour la pensée queer en cela qu’elle se conditionne sur l’importance du regard à poser, des yeux à ne pas détourner. Le film de Diego Céspedes allie rigueur théorique et mesure des motifs qui n’excluent jamais la fébrilité et l’audace des séquences.

Le mot flamenco évoque autant le flamant rose que l’impétuosité spectaculaire du style de chant et de danse auquel il donne son nom. On ne cesse d’aimer danser avec ces personnages. On est prêt, comme la maîtresse du cabaret, à imaginer une musique et à la précipiter dans le silence de l’enlacement pour en poursuivre l’ardeur. Les femmes du Mystérieux Regard du flamant rose sont autant des reines du drame que des reines de la trame.

Lou Leoty

Michael Zindel : « La comédie, un laboratoire sans fin »

À Cannes, il présente à la Semaine de la Critique en séance spéciale No skate !, le nouveau film de Guil Sela, dans lequel il joue Isaac, un homme-sandwich inspiré en plein JO estivaux, aux côtés de Cléo (Raïka Hazanavicius). Drôle et curieux, le comédien Michael Zindel (épatant dans Le Dernier des Juifs de Noé Debré) raconte son parcours, ses apprentissages par le court, l’empathie qu’il recherche chez les réalisateurs et ce qui l’intéresse dans l’écriture et la comédie.

© KB

Format Court : Tu es passé par Paris 8 et le Conservatoire Jacques Ibert. Qu’est-ce qui t’a incité à enchaîner ces deux formations-là ?

Michael Zindel : En fait, j’ai commencé par une fac de cinéma à Paris 8. Je voulais à tout prix être scénariste, puis réalisateur. Je me cherchais pas mal. J’ai fait un peu tout ce que je pouvais prendre. J’ai fait de la régie, de la déco, de la perche, des clips, des courts, même pour des rappeurs. À un moment, je ne savais pas trop quoi faire. Une copine m’a poussé à aller au Conservatoire Jacques Ibert, dans le 19ème arrondissement. Et là, ça a été la révélation.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

M.Z. : J’ai eu un prof génial, Éric Frey. Il m’a dit : “Tu as fait du cinéma ? Fais un court-métrage !”. Deux semaines plus tard, j’étais en train d’en tourner un. Et j’ai continué. À l’arrache, avec très peu de moyens. Juste pour faire, sans calcul, sans ambition d’avoir mes films en festival. À un moment, aux alentours de 2017, avec un ami, on a mis nos courts sur YouTube, on a pensé que c’était le meilleur moyen de se faire connaître à l’époque. Il y en a un qui a avoisiné les 1500 vues. Ma sœur a dû le voir 1588 fois, ça a dû aider ! Et petit à petit, je me suis mis à tourner dans les courts-métrages de Noé.

Qu’as-tu eu l’impression d’apprendre en faisant ces courts ?

M.Z. : Déjà, que le court, c’est quand même un exercice assez difficile. La moindre seconde en trop, la moindre petite erreur se voit. Dans un long, tu as le temps de rattraper les défauts par d’autres scènes. Et comme j’en ai tourné et monté moi-même, j’ai appris l’importance pour un acteur de proposer des choses variées, de ne jamais faire des mêmes scènes. Tu n’es jamais sûr de ce que va garder le montage donc il faut offrir une vraie palette. Et en même temps, tu te rends compte aussi à quel point la technique, c’est important. J’ai appris sur le tas. Chaque tournage, chaque film m’apprend quelque chose. Et comme j’ai monté mes films, j’ai compris ce que ça fait d’être de l’autre côté.

Comment la rencontre artistique et amicale avec Noé Debré a-t-elle eu lieu ?

M.Z. : Ma cousine a entendu à une soirée qu’il cherchait des jeunes pour jouer une bande de potes. Noé était en train de lancer la production de son deuxième court. Elle lui a dit : “Mon cousin est au Conservatoire, tu devrais le voir, il est marrant.” C’est comme ça que j’ai atterri un peu miraculeusement sur ce casting-là. J’ai fait Une fille moderne avec lui, puis On n’est pas des animaux et enfin Le Dernier des Juifs. Une fille moderne, c’était mon tout premier projet professionnel en tant qu’acteur. C’était structuré, bien produit. C’était impressionnant, sur mes tournages, j’avais l’habitude de tout faire : la mise en scène, la régie, les repas, on n’avait pas de lumière, de budget… Là, sur le tournage, il y avait plein de monde, de matériel. J’avais 22-23 ans. En écoutant Noé parler de son film en festival, j’ai saisi l’importance de penser son film, d’écrire pour ses personnages, d’approfondir l’histoire, de défendre son film.

« Une fille moderne »

Comment as-tu appris à lâcher prise sur tes différents projets ?

M.Z. : C’est là que la confiance avec le réalisateur ou la réalisatrice est essentielle. Quand tu sens que tu es bien dirigé, tu peux lâcher prise. J’ai eu la chance de ne tomber que sur des gens gentils, doués, empathiques, humains et de ne faire que des belles rencontres aussi bien pour des longs-métrages, des séries et des courts-métrages.

Pourquoi l’empathie, c’est si important ?

M.Z. : Parce qu’on va au-delà du scénario. Quand tu sens que le réalisateur t’aime bien, qu’il aime son équipe, qu’il respecte tout le monde, qu’il prend le temps de connaître les gens, d’être curieux, tu t’impliques autrement. Si tu n’as pas d’empathie, je pense que tu mets des barrières là où il ne faudrait pas. Sur certains tournages, il y a des larmes à la fin. Parce que c’était rare, beau, humain. C’est ce qui fait qu’on tient malgré la galère.

La fameuse attente entre deux projets, tu la vis comment ?

M.Z. : Moi, je suis hyper jeune et je débute. Si ça se trouve, dans 20 ans, je dirais que j’aurais dû devenir psychologue. Ça m’arrive d’être dans l’attente. Je ne tourne pas tous les mois. J’écris. Ça m’occupe mais surtout, ça me fait observer, chercher ailleurs. Quand tu réalises ou quand tu écris, tu observes différemment. Tu penses à l’image, aux lieux, aux idées de scènes. C’est une autre concentration.

Tu écris dans des carnets ?

M.Z. : Oui. J’ai des carnets, des agendas (il en sort un de sa poche). Je garde tout. Même si je ne note pas mes pensées, j’aime le papier. Ça laisse des traces. C’est chouette d’écrire.

« No skate ! »

Comment as-tu rencontré Guil Sela ?

M.Z. : Guil avait vu Le Dernier des Juifs, il m’a contacté. On s’est vu, on s’est baladé, on a parlé. Il m’a proposé de lire No skate !, que j’ai adoré ! Chaque version était meilleure que la précédente. J’aimais le Paris qui y est représenté, un Paris qu’on ne voit pas souvent. Guil a du goût, c’est fondamental pour un réalisateur.

L’empathie et le goût donc…

M.Z. : Oui. Et la curiosité aussi, mais bien placée.

M.Z. : Plein de choses : la dérision, le travail avec la voix, le corps … C’est un laboratoire sans fin. Le corps est essentiel. Dans Le Dernier des Juifs, la scène de krav-maga, on l’a bossée avec un coach metteur en scène qui fait du clown. On a essayé d’accentuer les choses à la Chaplin. En comédie, il y a tellement de manières de sortir de sa zone de confort et des lignes de scénario, rien ne t’empêche de travailler ta scène de plusieurs manières. La composition de personnages, c’est intéressant. J’aimerais aller encore plus loin, composer encore plus avec les personnages, comme jouer un hypocondriaque par exemple.

« Le Dernier des Juifs »

Parmi les comédiens, il y a des gens qui t’intéressent, des gens dont la palette te parle ?

M.Z. : J’ai vu il y a 5 ans Teddy des frères Boukherma, un mélange entre comédie et film de genre. Je suis tombé presque amoureux de la performance d’Anthony Bajon. C’est bizarre de dire ça mais je l’ai trouvé extraordinaire et ça m’a beaucoup marqué. Sinon il y a plein d’acteurs que je trouve trop forts : Harpo et Lenny Guit dans Fils de plouc, qui sont dans la justesse et la poésie, Édouard Sulpice, Laetitia Dosch, Elsa Guedj, … La liste est longue !

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique de No skate !

No skate ! de Guil Sela

Un an après Montsouris, couronné du Prix Découverte Leitz Ciné du court-métrage en 2024, Guil Sela revient à la Semaine de la Critique avec No skate !, tourné pendant les Jeux Olympiques de Paris.

Un été, dans la ville envahie par les touristes et vidée de ses habitants, un garçon et une fille se rencontrent. Lui, c’est Isaac (Michael Zindel). Elle, c’est Cléo (Raïka Hazanavicius). Les deux, travaillent comme homme et femme-sandwich pour inciter les passants à se baigner dans la Seine, dont l’eau a été soi-disant “dépolluée” à l’occasion des Jeux. Isaac et Cléo ne s’étaient jamais parlés jusqu’au jour où Isaac voit sa collègue jeter une planche de skate dans l’eau… Depuis les premiers plans du film, le style de Guil Sela est déjà reconnaissable : les personnages sont présentés de loin, au milieu de la foule, comme si leur histoire aurait pu être celle de n’importe quel autre passant. À l’instar de son précédent Montsouris, où un réalisateur (alter-ego de Sela) cherchait des gens intéressants à filmer dans le parc, le cinéaste utilise des longues focales pour nous montrer le monde comme si on le regardait avec nos propres yeux.

Guil Sela saisit ici l’occasion pour filmer les Jeux rêvés dans son premier court-métrage La Flamme Olympique (2023), où une jeune femme songe de partir à Tokyo pour les Jeux Olympiques en défiant la paralysie qui touche la planète en 2020. Pourtant, il nous montre le revers de la médaille. C’est-à-dire la ville en dehors des stades et des compétitions, celle des appartements sous-loués, des tickets de métro à 4 € et des taxis qui profitent du calme des rues peu fréquentées. Pas moins onirique que celle du confinement, la ville des Jeux est l’arrière-plan d’une rencontre entre deux vingtenaires dont nous suivons les déambulations, de Montmartre au Canal Saint-Martin, en passant par les rues de Belleville et le Parc des Buttes-Chaumont. Encore une fois, un parc parisien devient le théâtre des spectacles les plus curieux : cette fois-ci, il s’agit du cours de Karaté fréquenté par Isaac, lequel ne peut plus avoir lieu au dojo car cet art martial a été exclu des JO et remplacé par le breakdance et le… skateboard ! Dans un geste de révolte, les panneaux publicitaires encourageant la baignade dans la Seine sont ainsi transformés en pancartes anti-skate, et exhibés par les deux protagonistes dans l’une des scènes les plus hilarantes du film.

Michael Zindel (révélé en tant qu’acteur par Le Derniers des Juifs de Noé Debré) et Raïka Hazanavicius (déjà à l’affiche de Montsouris) forment un duo formidable à l’écran, capable de créer des moments de pur comique à partir des situations les plus anodines. Mais derrière ses allures de comédie, le film évoque un certain sentiment de mélancolie, qui émane de la musique d’Alexandre de La Baume lorsqu’elle accompagne la marche agitée de la foule ou les balades flegmatiques d’Isaac et Cléo au coucher de soleil. Car avec sa caméra, Guil Sela sait dépeindre Paris et ses jeunes habitants dans toutes leurs nuances et contradictions. En fin de compte, No skate ! n’est ni une proclamation de haine, ni une déclaration d’amour, mais le portrait sincère d’une ville qui, comme la vie, est faite de rires, de pleurs et de ces actes insensés qui donnent du sens à ses jours.

Margherita Gera

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Michael Zindel

N comme No skate !

Fiche technique

Synopsis : Paris, Jeux Olympiques 2024. Isaac est homme-sandwich. Cléo est femme-sandwich. Un jour, Isaac voit Cléo jeter une planche de skate dans l’eau.

Genre : Fiction

Durée : 24′

Pays : France

Année : 2025

Réalisation : Guil Sela

Scénario : Guil Sela, Joséphine Ha

Interprétation : Michael Zindel, Raïka Hazanavicius

Image : Pauline Doméjean

Son : Lucas Doméjean

Musique : Alexandre de La Baume

Montage : Paul Nouhet

Décors : Ysé Braconnier

Production : Les Films Norfolk, Rosa Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Michael Zindel

Formats Longs : Partir un jour d’Amélie Bonnin

Le Festival de Cannes a débuté mardi dernier et pour lancer ces 12 jours d’intenses projections, c’est le film Partir un jour d’Amélie Bonnin, en hors-compétition, qui a fait l’ouverture. Un titre familier puisqu’il s’agit aussi de celui de son court-métrage, Césarisé en 2023.

Ce premier long-métrage développe le récit et la mise en scène qu’Amélie Bonnin avait entrepris dans le format court. On y retrouve le même casting composé de Juliette Armanet et Bastien Bouillon, accompagné de François Rollin et avec la participation de Dominique Blanc de la Comédie française. Partir un jour, c’est l’histoire d’un retour aux sources. Dans le court-métrage, Bastien Bouillon retrouvait ses parents pour les aider à déménager. Les prémices de ce long-métrage nous laissaient entrevoir le désir de mettre en scène et de chorégraphier ses acteurs dans un film chanté. L’humour piquant du court se retrouve mot pour mot dans sa version longue et les ébauches de ce récit familial s’aboutissent avec ce nouveau film. Amélie Bonnin prend ainsi avec ce projet le temps de dérouler la bande originale de sa comédie.

L’ambition cinématographique se traduit par un désir musical et le film lorgne à la frontière des règles conventionnelles de la comédie musicale. Ici, des hits incontournables allant des 2Be3 à K.Maro, ou encore Dalida, sont repris et joués par les comédiens. Il est moins question de prouesses vocales (bien que le timbre de Juliette Armanet est d’une douceur sans faille), mais de performances jouées et de dialogues chantés. Les titres s’intègrent avec justesse dans le récit et rythme d’un côté pop la mise en scène. Le tout chorégraphié avec précision et d’un engouement contagieux.

Cécile, interprétée par Juliette Armanet revient dans sa ville natale suite à l’infarctus de son père. Dans un climat familial tendu, elle renoue avec son amour de jeunesse, joué par Bastien Bouillon. Le film se raconte avec charme mais ne se réduit pas à une comédie romantique classique. Les personnages ne sont pas des héros en mal d’amour, mais des personnalités complexes, happées par une nostalgie commune. Cécile et Raphaël (Bastien Bouillon) sont deux âmes adolescentes qui essaient de rattraper le temps perdu. Les années ont passé mais le désir renaît quand ils se rendent compte de l’histoire qu’ils auraient pu avoir. Avec tendresse, ils parcourent leur mémoire et les souvenirs de leur jeunesse. Cette histoire n’est pas celle du grand amour, c’est celle d’une nostalgie enfantine où les échos de ce qui aurait pu se passer bercent les incertitudes du présent. Mais dans sa ville natale, Cécile doit aussi composer avec son père. Leur relation plus que tendue se nourrit d’une répartie mordante et d’un humour sec. Dans les non-dits des retrouvailles, se cache une fragilité plus douce, et de cette relation amère, naît de beaux moments de complicité et d’apaisement. Avec ce récit musical qui met du baume au cœur, Amélie Bonnin nous fait chanter et ses personnages avancent sans se retourner, sans regretter pour garder les instants qu’ils ont volés.

Garance Alegria

Cannes, des courts & des premiers longs qui nous intéressent

Ce mardi 13 mai 2025, s’est ouvert le festival le plus médiatisé du monde. Nous, à Format Court, on parlera, comme chaque année, des courts qui nous plaisent (à l’officielle, à la Quinzaine, à la Semaine). On s’intéressera également à quelques premiers longs qui font partie de la programmation dense de cette 78ème édition. Si vous avez suivi les nombreuses annonces cannoises, vous aurez peut-être constaté que de nombreux gens issus du court, notamment en lice aux César, font partie des heureux élus. Depuis quelques années, face aux listes des sélectionnés, on parcourt les noms des personnes ayant participé à nos After Short (près de 20 cette année, pas mal !), des anciens lauréats des Prix Format Court (Arthur Harari, Emmanuel Marre, Simon Coulibaly Gillard, …), des personnes sélectionnées et/ou primées à notre festival, … En général, par pudeur, on ne se la ramène pas trop mais cette année, on a envie d’y aller.

Du côté de l’officielle, le film d’ouverture hors-compétition n’est autre que Partir un jour, version longue du court-métrage éponyme d’Amélie Bonnin, ayant remporté le César du court-métrage de fiction 2023. Dans le court, Bastien Bouillon, Parrain de notre festival en 2023, écrivain à succès, retournait chez les siens pour se confronter à son cercle et tombait par hasard sur son amour de jeunesse, campé par la chanteuse Juliette Armanet. L’originalité du projet résidait dans la bonne humeur du film, le duo synchro et sympa et le scénario du film qui empruntait certaines paroles de tubes des années 90. Dans la version longue, ce n’est pas Bastien Bouillon qui fait le voyage mais Juliette Armanet, cuistot de son état qui, en refaisant un tour dans sa famille et son patelin, tombe nez à nez sur une vieille connaissance, sur fond de petite tension amoureuse, de patins et de chansons.. Avec bien évidemment un scénario plus long, des acteurs réguliers (François Rollin) et de nouveaux venus (Dominique Blanc).

Toujours à l’officielle, du côté des séances spéciales, on va s’intéresser de près à Mama, le premier long-métrage de l’israélienne Or Sinai, ayant réalisé Anna, premier prix à la Cinéfondation en 2016 mais également Prix Format Court au festival de films d’écoles de Tel Aviv la même année. Pour ce passage au long, la réalisatrice a retravaillé avec la comédienne Evgenia Dodina qu’on aime beaucoup. A Un Certain Regard, l’Italien Francesco Sossai présentera Le città di pianura (Un dernier pour la route), son deuxième long après le court-métrage L’anniversaire d’Enrico, Prix du Jury Étudiant au Festival Format Court 2024.

Du côté de la Quinzaine des Cinéastes, Gala Hernández López présentera son nouveau court, +10K, 1 an seulement après son César du court-métrage documentaire pour La Mécaniques des fluides. En premier long, on fera quelques pas du côté de La danse des renards de Valéry Carnoy qui avait réalisé Titan, présélectionné aux César du court 2023. Toujours à la Quinzaine, Julia Kowalski présentera dès ce dimanche son deuxième long Que ma volonté soit faite, version plus longue de J’ai vu le visage du diable, présélectionné aux César du court en 2024. Annoncé dernièrement, l’israélien Nadav Lapid présentera son nouveau long Yes à la même Quinzaine après avoir fait à plusieurs reprises les honneurs de Cannes et avoir présenté en 2023 La Première, l’un de ses courts, à notre festival. Un film se passant dans un Cannes hystérique justement.

Repéré sur Format Court avec son court I promise you paradise, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2023, Morad Mostafa présentera son premier long Aisha can’t fly away à Un Certain Regard. C’est bien à la Semaine de la Critique qu’on va a priori se faire le plus plaisir cette année avec une flopée de gens passés par Format Court. On commence avec deux courts en séance spéciale. No skate ! est une comédie savoureuse portée par Michael Zindel (Le dernier des juifs de Noé Debré) et Raïka Hazavinicus, réalisée par Guil Sela. Le réalisateur était déjà à la Semaine l’an passé avec Montsouris qui était reparti avec le Prix Découverte Leitz Cine du court-métrage. Le film avait été présélectionné aux César 2024 également.

Comptons également sur la présence de Agnès Patron, également en séance spéciale, qui signe son retour à Cannes après de nombreuses années avec son nouveau très beau court, Une fugue. L’animatrice avait présenté en compétition officielle L’heure de l’ours en 2021. Le film avait la même année obtenu le César du meilleur court-métrage d’animation. Du côté des premiers longs en séance spéciale, on portera un regard curieux sur Martin Jauvat, ayant tourné et joué dans son nouveau long Baise-en-ville (son dernier passage à Cannes, c’était pour Grand Paris à l’ACID en 2022). On sera bien évidemment tenté aussi de voir Des preuves d’amour d’Alice Douard, ayant remporté le César du meilleur court de fiction pour L’attente en 2022. Enfin, Momoko Seto, découverte il y a bien longtemps avec Planet Z (2011), nous charmera sûrement avec son premier long tant attendu, Planètes, qui clôturera la sélection de la Semaine de la Critique.

Du côté des dernières sélections, on a appris il y a quelques jours celle de Ma frère, le nouveau film de Lise Akoka et Romane Gueret à Cannes Première. Cela fait longtemps qu’on suit ce duo, depuis Chasse royale, présenté à la Quinzaine en 2016. Les deux réalisatrices étaient revenues à Cannes, à Un Certain Regard, en 2022 avec leur premier long, Les pires, qui avait tout déchiré. A Cannes Classics, Raphaël Quenard et Hugo David présenteront leur premier long, I love Peru. Les deux compères s’étaient rencontrés sur le tournage de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand et en avaient profité pour signer ensemble un premier court, L’acteur, présélectionné aux César du meilleur court documentaire en 2024.

Le planning de projections s’annonce chargé, sans compter tous les nouveaux courts à découvrir. Et il y en a beaucoup. On ne résiste pas à l’idée de profiter de ce papier pour vous proposer de (re)découvrir des courts de certains de ces cinéastes qui feront l’actu, côté courts/longs, dans les prochains jours et qui ont eu la bonne idée de rejoindre la Toile. Enjoy !

Katia Bayer

Format Court sur la Croisette

Le Festival de Cannes débute aujourd’hui. Si la Croisette se pare de ses plus beaux habits de lumière, les festivaliers arrivent progressivement dans l’espoir de profiter au maximum des films que cette édition a à nous offrir. Ce soir, lors de la cérémonie d’ouverture, le jury présidé par Juliette Binoche et composé de célèbres artistes telles que l’écrivaine Leïla Slimani ou encore la réalisatrice et scénariste indienne Payal Kapadia, se réunira pour lancer officiellement les festivités de 12 jours réunissant une sélection officielle mais aussi de nombreuses sections parallèles.

C’est le film Partir un jour, d’Amélie Bonnin, qui aura l’honneur d’ouvrir le bal, un premier long métrage présenté en hors compétition dans lequel elle prolonge le récit de son court métrage du même nom, Césarisé en 2023. Cette année 22 films sont en compétition officielle. Nous pourrons retrouver notamment La petite dernière, le dernier film d’Hafsia Herzi, dont la musique est composé par Amine Bouhafa, jury cette année de la 6e édition du festival Format Court. Cette sélection est complétée par de nombreux films hors compétition et par celle d’Un certain regard qui présentera 20 films dont les premiers longs métrages des actrices, réalisatrices et productrices Scarlett Johansson et Kristen Stewart. Parallèlement, la Quinzaine des cinéastes, La Semaine de la critique, l’Acid ou encore le Marché du film, sont tout autant de rendez-vous incontournables de Cannes. Côté courts-métrages,  un large catalogue est prévu auprès de la compétition officielle de courts métrages mais aussi au sein des différentes sections parallèles (Quinzaine des cinéastes, Semaine de la critique). Le Jury commun des courts et de La Cinef (qui met en avant les films d’école) est présidé cette année par la réalisatrice, scénariste et productrice Maren Ade (Toni Erdmann) et composé entre autre de l’auteure, compositrice, interprète Camélia Jordana et du réalisateur et scénariste croate Nebojša Slijepčević, lauréat de la palme d’or du court métrage 2024 pour son film L’homme qui ne se taisait pas. Profitez donc de 12 jours d’émerveillement et de passion pour cette 78e édition du festival de Cannes.

Garance Alegria

Retrouvez dans ce focus :

La critique de Une fugue d’Agnès Patron (Semaine de la Critique)

L’interview de Tawfeek Barhom, Palme d’or du court-métrage 2025

La critique de Hypersensible de Martine Frossard (compétition officielle)

L’interview de Sayyid El Alami, comédien (10 to Watch)

L’interview de India Hair, comédienne (10 to Watch)

L’interview de Megan Northam, comédienne (10 to Watch)

L’interview d’Adam Bessa, comédien (10 to Watch)

L’interview de Heo Gayoung, réalisatrice de First Summer, Premier prix de la Cinef

La critique de I’m Glad You’re Dead Now de Tawfeek Barhom, Palme d’or du court-métrage 2025

Les autres prix du court à Cannes

La Palme d’or et la Mention spéciale du court 2025 !

La critique de First Summer de Heo Gayoung (1er Prix de la Cinef, Prix Lights on Women, La Cinef)

La critique de Dieu est timide de Jocelyn Charles (Semaine de la Critique)

La critique de Bimo d’Oumnia Hanader (La Cinef)

Semaine de la Critique 2025, les prix du court

23ème Prix Unifrance du court-métrage, le palmarès

La critique de Critical Condition de Mila Zhluktenko (Semaine de la Critique)

L’interview d’Ugo Bienvenu, réalisateur d’Arco (séance spéciale, en compétition)

La critique de Le Mystérieux Regard du flamant rose de Diego Céspedes (Un Certain Regard)

L’interview de Michael Zindel, comédien (No skate ! de Guil Sela, Semaine de la Critique)

La critique de No skate ! de Guil Sela (Semaine de la Critique)

Formats Longs : Partir un jour d’Amélie Bonnin (film d’ouverture)

Cannes, des courts & des premiers longs qui nous intéressent

La sélection des courts et de La Cinef

Semaine de la Critique 2025, les courts sélectionnés

Quinzaine des Cinéastes 2025, les courts et moyens-métrages sélectionnés

Semaine de la Critique 2025, les courts sélectionnés

La Semaine de la Critique, section parallèle du Festival de Cannes, a annoncé hier sa sélection de courts-métrages. Voici les œuvres courtes retenues pour cette édition 2025, en sélection et en séance spéciale.

En compétition

Alișveriș (15’), de Vasile Todinca (Roumanie)
An-Gyeong (Glasses, 15’), de Yumi Joung (Corée du Sud)
Dieu est timide (God is Shy, 15’), de Jocelyn Charles (France)
Donne batterie (Free Drum Kit, 25’), de Carmen Leroi (France)
Erogenesis (15’), de Xandra Popescu (Allemagne)
Kattu !, Bleat ! (15’), d’Ananth Subramaniam (Malaisie, Philippines, France)
Критичне Становище (Critical Condition, 24’), de Mila Zhluktenko (Allemagne)
L’mina (26’), de Randa Maroufi (Maroc, France, Italie, Qatar)
Samba Infinito (Samba infinie, 15’), de Leonardo Martinelli (Brésil, France)
Wonderwall (27’), de Róisín Burns (France, Royaume‑Uni)

Séance spéciale

Eraserhead in a Knitted Shopping Bag (Eraserhead dans un filet à provisions, 19’), de Lili Koss (Bulgarie)
No Skate ! (24’), de Guil Sela (France)
Une fugue (To the Woods, 15’), d’Agnès Patron (France)

Surgissements et tremblements : Coup de projecteur sur le festival d’animation de Rennes

Les courts-métrages les plus sidérants présentés en compétition au festival d’animation de Rennes étaient ceux qui proposaient par l’animation de transcender le réel. Ceux qui, par le trait, investissaient la matière historique pour en affronter autant l’horreur que l’indicible par des moyens poétiques. En cela, Quelque chose de divin, Plus douce est la nuit et Mont-Noir, rappellent la singularité d’un genre qui est d’autant plus percutant lorsqu’il embrasse les fulgurances plastiques qui le caractérisent. La séparation d’amants pendant la Seconde guerre mondiale, la disparition d’un missionnaire en Afrique de l’Ouest dans les années 1960 et la naissance de la vocation littéraire de Marguerite Yourcenar, ont en commun leur déploiement au sein d’une esthétique colorée et impure. L’animation est le lieu des surgissements et des tremblements, c’est ce que nous rappelle cette sélection rennaise.

Quelque chose de divin de Bogdan Stamatin et Mélody Boulissière

Quelque chose de divin a un quelque chose de métissé. Réalisé à quatre mains, le court-métrage s’investit d’abord comme une galerie d’archives photographiques avant de plonger dans l’animation, esquissée comme un patchwork. La plastique du film fluctue entre l’estampe et les couleurs de l’aquarelle.

Mélody Boulissière est française, maîtrise les diverses techniques d’animation autant que la peinture, la gravure et le monotype. Son film de fin d’études, Ailleurs, avait été sélectionné à la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2016. Bogdan Stamatin quant à lui, a grandi en Roumanie et avait déjà signé un film autour de ce pays avec Une Semaine maximum deux qui narrait le retour d’exil d’un Roumain parti en France.

De ces deux paramètres, Quelque chose de divin nourrit son esthétique comme son sujet : la forme contrariée et diverse rend avec justesse le déchirement et la fragmentation du couple dont on fait l’histoire. C’est celle d’un homme et d’une femme, d’un militaire bientôt appelé au front et d’une demoiselle en rose qui l’attend. Au soir de sa vie, elle raconte cette histoire qui s’est dissoute dans le chaos des hommes. La voix de cette dame aujourd’hui très âgée, fait le lien entre 1939 et le contemporain, entre le documentaire et l’animation, entre la guerre et les émois.

Les personnages colorés évoluent dans un univers figé, en noir et blanc, dans lequel les visages sont comme tirés de photographies. Cette impureté, ce rapport de collage entre les personnages animés et leur environnement photographique entretient la douleur de ce qui se joue : la solitude de l’amour face à un univers de désolation, celui du conflit mondial auquel participe la Roumanie. Cela donne un court métrage singulier au magma esthétique souvent étrange, dont on peine, au premier abord, à trancher si on le trouve repoussant ou sublime. C’est la cohérence de ce choix avec le souffle tragique du témoignage convoquant les temps passés au sein d’un présent documentaire, qui en parachève la beauté. Les prises de vues réelles qui ouvrent et referment le film, cette vieille dame dont la voix rappelle le caractère historique et testimonial du film, forment une nappe documentaire qui révèle l’importance de l’archive photographique et de l’incrustation de l’animation en son sein.

Ce quelque chose de divin, c’est la possibilité d’un sentiment amoureux, de sa couleur parmi la calamité grise, une union entre le rose de l’habit de la femme et le vert de l’uniforme militaire, mélés dans l’un des dernier plans : la grâce des mains entrelacées au travers d’un bouquet de fleurs blotties au creux de leurs feuilles.

Plus douce est la nuit de Fabienne Wagenaar

Lauréate du prix Ciclic pour le pitch court-métrage du festival rennais en 2020, Fabienne Wagenaar présentait cette année Plus douce est la nuit, le fruit de la résidence d’artiste dont elle a pu bénéficier. Remarquable film réalisé en peinture animée, Plus douce est la nuit propose un voyage initiatique, au cœur des ténèbres, ceux de l’Afrique coloniale des années 1960. Un officier français part à la recherche d’un missionnaire disparu et constate la fin d’un monde, sa décrépitude et sa cruauté, dans une quête qui lui donne rendez-vous aux confins de la jungle.

Fabienne Wagenaar a en tête Coppola, Conrad, Herzog, pour cette errance désabusée. C’est la constatation déceptive d’un monde déchu dont on ne fait que vanter la grandeur : “ Dire qu’à l’école militaire on nous parlait de la grandeur de l’empire…” Dès le seuil du film, on comprend ce que va proposer véritablement cette enquête : une traversée des couleurs. Au-delà du devoir du militaire, cette déambulation qui accompagne la mission permet de mettre en lumière les réalités coloniales : ses escroqueries, son racisme, sa vulgarité. Dès lors, la question change de sens : ce n’est plus “Qu’est-il arrivé au missionnaire” mais “Pourquoi c’est arrivé ?”. L’une des femmes que l’officier rencontre lui rétorque que c’est ce “maudit pays qui l’aura avalé”. Le pays, ou plutôt, la folie de ce qui se passe en terre colonisée, l’arbitraire et les violences constantes, physiques autant que culturelles. Ce à quoi est confronté le jeune militaire, c’est une disparition, au sens le plus général du terme, celle d’un peuple. C’est distillé à merveille par le corps du film : les personnes qu’ils interrogent ne cessent de disparaître, la religieuse autant que l’enfant. Près du port, l’officier assiste au transport de statues africaines jusqu’à un bateau qui vogue en direction de la France. Cela scelle l’entreprise de colonisation : les statues meurent aussi. Cette séquence est l’envers de Dahomey de Mati Diop : pour que les statues reviennent, il faut d’abord qu’elles partent. Afin de trouver la vérité, dans la nuit, pour faire la lumière, il faudra que l’officier s’immerge dans la jungle après avoir violemment dérobé la lumière à la personne qui l’accompagnait.

La mise en scène cristallise avec adresse les contrastes, entre la nuit et le jour, entre les noirs et les blancs. L’un des meilleurs plans du film, vertigineux, présente l’officier assis côte à côte avec une personne noire, derrière eux est affiché un panneau bleu où il est écrit trois fois plutôt qu’une le mot “indépendance”. Si l’officier en son cœur souhaite comprendre ce qui se joue, il ne peut le faire qu’en se confrontant à la réalité coloniale, en faisant face donc, en ne tournant pas le dos à la honte d’opprimer un peuple qui, plus que l’indépendance, réclame la justice. Pour survivre dans le corps d’une telle horreur, comme Kurtz, comme le missionnaire, il faut bien trouver le moyen d’adoucir ses nuits.

Mont-Noir de Erika Haglund et Jean-Baptiste Peltier

Erika Haglund, dont le travail est attentif aux personnages féminins, et Jean-Baptiste Peltier à l’approche picturale, joignent leurs obsessions dans leur très sensible portrait d’enfance de l’écrivaine Marguerite Yourcenar. La petite Marguerite grandit à travers le deuil de sa maman morte en couches, de son chien et du départ de sa nourrice. Dans une enfance marquée par la solitude et une forme d’indifférence, elle développe une fascination pour l’érudition et en particulier pour la littérature. La richesse du trait de l’animation, ses couleurs vives, dressent ainsi un court-métrage en forme d’épiphanie, la révélation d’une passion : ce plaisir immense ébréché par une douleur profonde.

La grande force du film est celle d’un mouvement fluide, émaillé de références que seule l’animation peut faire surgir. Admirablement bien construit, Mont-Noir ancre la vocation littéraire de Marguerite autour d’absences et de morts. On sait ce que les futurs textes de Yourcenar doivent à cette idée de frayer avec les fantômes. Le film se distingue par de brillantes et fulgurantes idées d’animation comme cette tâche noire d’encre qui jonche et noie le papier ; serait-ce l’évocation d’une Oeuvre au noir ? Plus loin c’est une tête sculptée antique qui fait face à Marguerite, elle qui se plongera avec intensité dans un texte sublime et crépusculaire, celui des Mémoires d’Hadrien.

Si le premier plan du film semble blême et dolent, c’est parce qu’il commence le film autant qu’il le referme allégoriquement. L’accouchement est une naissance autant qu’une mort : pour que vive la fille, il faut que meure la mère. C’est tout le poids de cet aller-retour funeste entre vie et mort qui fait le parfum tragique de Mont-Noir autant qu’il creuse la solitude douce-amère d’une petite fille qui n’en finit pas de vouloir vivre, lire, écrire, et apprendre. C’est l’histoire de l’absorption d’un monde, un passage obligé pour Marguerite qui porte un tel poids sur ses frêles épaules, fardeau dont la pesanteur ne peut être transcendée que par le geste artistique. L’animation se fait ici le relais tutélaire de l’envie de vivre et de créer. Par un trait sensible et pictural, on découvre avec émotion les premiers jeux de mots de Marguerite avant qu’elle devienne Yourcenar, et ce lieu du Mont-Noir, point de départ de l’écriture, qui enracine les fleurs et les premiers tremblements.

Mont-Noir réussit son évocation de l’écrivaine, le bouleversement du frôlement inaugural avec la littérature, semblable à celui d’une première fois. Le film semble contredire ce qu’écrivait Yourcenar dans Mémoires d’Hadrien : “La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir.” Le souvenir de Marguerite parmi ses fleurs n’a jamais été plus incandescent.

Lou Leoty

Hiver à Sokcho de Koya Kamura

Ce 8 mai, Diaphana Distribution sort en DVD Hiver à Sokcho, avec Bella Kim et Roschdy Zem. Sélectionné au Festival International du film de Toronto et au Festival de San Sebastian en 2024, le premier long-métrage du réalisateur franco-japonais Koya Kamura est tiré du roman du même nom de l’écrivaine Elisa Shua Dusapin. Format Court vous propose de remporter 3 exemplaires de ce DVD.

Le récit a lieu dans la ville balnéaire de Sokcho, en Corée du sud, où Soo-Ha, 23 ans, vit depuis toujours. Son quotidien monotone est bouleversé lorsqu’un dessinateur français, Yan Kerrand, débarque dans la petite pension où la jeune femme travaille. Cette rencontre se révèle être l’occasion pour elle de questionner sa propre identité, et enquêter sur son père français qu’elle n’a jamais connu.

Koya Kamura, juré au dernier Festival Format Court, explore le thème de la double culture et du déracinement dans un film extrêmement sensible et subtil. Restant au plus près du visage et des gestes de Soo-Ha, sa caméra capte le ressenti de la protagoniste par rapport à elle-même et aux gens qui l’entourent. L’acceptation de son propre corps et la fascination envers les autres occupe une place centrale dans le film : Soo-Ha observe les formes des femmes dans les bains, touche la peau de son petit ami, scrute les gestes impétueux de Yan Kerrand en train de dessiner… et dans l’une des plus belles scènes du film, elle se regarde dans un miroir terni par la vapeur, sur lequel apparaît progressivement son visage « imparfait » selon les standards de son pays, où l’injonction à la chirurgie esthétique est un phénomène très répandu.

Les émotions et les pensées de Soo-Ha sont aussi représentées par des scènes d’animation réalisées par Agnès Patron (à l’origine de L’heure de l’ours), qui ponctuent le récit. Ses dessins aux traits stylisés représentant le corps de la protagoniste, dansent et se déforment sur un fond noir, rappelant (en négatif) les illustrations à l’encre noir réalisées par le personnage de Kerrand. Ce dialogue entre animation et prise de vue réelles est très bien calibré, parvenant à surprendre le spectateur sans pourtant paraître forcé.

L’allusion à la scission des deux Corées fait écho dans le film au sentiment d’instabilité du personnage de Soo-Ha, qui est divisé entre deux patries : l’une connue, la Corée, et l’autre inconnue, la France. L’arrivée d’un étranger dans la pension, coïncide avec un moment de sa vie où elle se retrouve bloquée, sans savoir quoi faire de son avenir. Sa fascination pour Kerrand, réveille en elle une sorte d’énergie vitale, mais également la frustration liée au manque et au rejet, lorsqu’il refuse de manger les repas qu’elle prépare. Si Soo-Ha semble chercher dans Kerrand la figure du père qu’elle n’a jamais rencontré, la relation entre les deux personnages n’est jamais romancée. Il s’agit de deux personnes qui s’observent, le temps d’un hiver, sans jamais vraiment se trouver.

La force d’Hiver à Sokcho réside justement dans la fragilité de ce lien, incarné avec justesse par Roschdy Zem et Bella Kim, épatante dans son premier rôle de cinéma. À travers leurs regards, nous découvrons un endroit à la fois familier et exotique, chaleureux et glacial. Sokcho devient ainsi la métaphore de ce sentiment, parfois déroutant, parfois libérateur, de n’appartenir à aucun lieu.

Le DVD des éditions Diaphana propose plusieurs bonus : un making-of inédit où l’on apprend le processus de réalisation du film, des storyboards à la composition de la musique originale, des scènes coupées commentées par le monteur Antoine Flandre, un entretien avec Koya Kamura (lauréat 2022 de la Fondation Gan), ainsi que son premier court-métrage Homesick (sélection officielle aux César 2021).

Tourné au Japon, Homesick, sélectionné au Festival Format Court 2020, se déroule deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Muni d’une combinaison anti-radiations, Murai se rend dans la « no-go zone » à la recherche de la balle de baseball de son fils Jun, qui le rejoint du passé. Pendant ses missions, il retrouve et rend à leurs propriétaires des objets perdus suite au tsunami.

Au premier abord, le paysage que Murai parcourt avec sa voiture a l’air anodin, mais en regardant de plus près, on y on aperçoit des détails surréels : un navire échoué et recouvert de lichens, une maison écrasée, une voiture renversée au côté de la rue… . Adoptant un style narratif qui rappel le cinéma de Kore-Eda, le réalisateur nous conduit progressivement dans un monde aux allures de science-fiction, et pourtant terriblement réel. La tragédie collective se mêle au drame intime du protagoniste, dont l’ambiguïté entre réalité et imaginaire donne lieu à des moments poétiques. Avec sa mise en scène envoutante, qui laisse place à l’émotion sans jamais tomber dans le pathos, Homesick prouve déjà le talent d’un cinéaste à suivre de près.

Margherita Gera

Albin de la Simone : « La musique peut aussi avoir de la personnalité »

Albin de la Simone était de passage à Rennes ces derniers jours, pour deux dates de concert, un nouveau spectacle alliant le dessin et la musique, dans la lignée de son nouvel album Toi la-bas et de son livre Mes Battements, collection de textes et de dessins. Très lié à la capitale bretonne (il était artiste associé du Théâtre national de Bretagne), il était invité par le festival du film d’animation de Rennes autour de sa composition pour La Vie de Château de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi dans le cadre du fil rouge consacré à la musique et aux voix dans le film d’animation. Vêtu d’un pantalon en velours rouge vif et d’une veste rose, il nous parle avec amour des Barbapapa, du dessin, en chantonnant parfois au détour d’une phrase. D’une voix tendre avec un peu de grain, il s’épanche aussi sur les artistes qu’il aime, sur ceux qui émergent comme sur les disparus. Avec philosophie, il nous partage sa maxime “Mieux qu’hier et moins bien que demain”, un art de vivre, et même pourrait-on dire, un art de vivre-ensemble.

© Aurélie Sauffie

Format Court : Cette année, vous publiez votre dernier album, Toi là-bas, et Mes Battements, un premier livre qui revient sur une autre pulsation que celle de la musique : le dessin. Votre amour du trait vient donc percuter votre musique, qu’est-ce que vous tirez comme plaisir en vous y consacrant ?

Albin de la Simone : Je ressens un besoin permanent de créer, de fabriquer, de produire et ça peut être assouvi par le fait de cuisiner, de jouer de la musique, de composer, d’écrire des paroles, de dessiner ou d’écrire des textes. Si je me mettais à apprendre à faire du canevas et que ça me plaisait, j’ajouterais le canevas à mes disciplines préférées. Ça représente le moyen d’assouvir un besoin, quel que soit le canal. Le matin, je peux prendre un crayon, un piano ou si c’est l’heure de faire à bouffer, je fais à bouffer. Je vois ça comme produire quelque chose en y mettant de moi.

Est-ce que le trait vient raconter quelque chose que la voix ne peut que taire, vient renforcer les mots ou encore permet de faire un pas de côté, de se décentrer, de déceler un nouvel angle ? D’où vient ce besoin de faire se télescoper le dessin et la musique, notamment dans votre nouveau spectacle ?

A.S : Il y a le fait que je trouve que c’est beau de voir un dessin en train de se faire. Ça, je l’ai déjà vécu. L’IPad le permet maintenant sans avoir une vitre. Il enregistre le dessin en train de se faire. Quand on dessine, après, on peut se faire rejouer notre propre dessin depuis le début, sans nos mains. On va juste voir le trait comme dans Le Mystère Picasso de Henri-Georges Clouzot (1956) et c’est vachement beau de se voir soi-même dessiner. C’est intéressant, c’est beau et assez magique. J’ai déjà fait des concerts dessinés avec Lewis Trondheim, avec Charles Berberian, avec Jean Jullien, ce sont de grands dessinateurs. Ça m’hypnotise de voir leurs dessins se faire pendant que moi je chante, d’observer le trait, dont au début, on ne sait pas où il va aller. On sait que la personne qui est en train de le faire a une idée en tête, mais nous, on ne sait pas où ça va. Ce n’est pas comme une chanson qui évolue dans le temps, là, le dessin se construit et à son terme, il est fini. Mais, à la fin d’une chanson, le début, on ne l’a plus. Le temps remplace le temps, alors que le dessin s’ajoute et à la fin, on a le tableau complet. C’est une autre démarche temporelle et je trouve ça hyper beau. L’idée de pouvoir proposer ça me plaît. L’idée de croiser un dessin et une chanson ou un texte, ou de croiser les disciplines, je le pratique beaucoup avec des écrivains aussi. J’ai fait beaucoup de concerts avec des écrivains qui lisaient des portions de leurs livres et moi, je chantais des chansons. Je remarque que quand on met deux disciplines ensemble qui ne sont pas accordées à l’origine, le spectateur va tricoter un fil entre les deux.

« Le Mystère Picasso »

Par exemple, je suis sur scène, je suis artiste, vous êtes venue pour m’écouter. Vous allez suivre ce que je vous dis. Imaginez que je vous propose deux choses : « Une tortue » et puis « un sabre laser ». Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir. Forcément, vous allez essayer d’imaginer quelque chose mettant en scène une tortue et un sabre laser, vous connectez les deux. Le cerveau est fait comme ça. C’est ce que je faisais aussi avec les films fantômes. Ce sont de faux films dont j’ai écrit les musiques et dont j’ai tiré une exposition pour les faire imaginer. Si vous lisez le titre d’un film, si vous en écoutez la musique, si vous regardez l’affiche japonaise de ce film, vous allez vous raconter un film. Dans trois ans, vous ne saurez même plus, avec le temps, si ce film-là vous ne l’avez pas vu. L’imaginaire, c’est génial, et ça demande des piliers. Moi j’aime bien planter des piliers qui permettent à l’imaginaire de travailler. C’est une grande boucle pour dire que j’aime bien faire deux choses en même temps sur scène, parce que je sais que ça génère une troisième chose.

Est-ce qu’une mélodie ou une musique peut faire naître un dessin et inversement ? Comment ça fonctionne chez vous ?

A.S : Le dessin génère souvent du texte, le texte génère du dessin. Moi, je fais plutôt des connexions entre le goût et le son par exemple. Selon moi, le citron, ça va être aigu. La crème fraîche ou l’huile, c’est grave, mais pas parce que c’est gras. Je classifie. Comme les fréquences, comme les couleurs aussi, il y a des fréquences avec les couleurs. Pour moi, le rapport entre le son et le goût, c’est d’ailleurs un truc sur lequel j’aimerais bien travailler. J’en ai parlé à Alexandre Gauthier qui est un chef cuisinier, un grand chef étoilé. Je trouve que ce serait intéressant de mettre en son la cuisine.

Quand tu croques dans un plat ou dans ce qui vient, il y a de la matière, donc il y a du son avec la matière, mais il y a aussi le goût. Si c’est acide, amer, pour moi ça va être aigu, medium, nasillard : je vois des sons. Alexandre, le chef en question, ça ne lui a pas parlé plus que ça. Mais je reviendrai à la charge parce que ça me semble vraiment intéressant. J’ai envie de proposer un jour, que quand il pose une assiette, tout le monde ait la même et commence à manger en même temps, et que moi, je fasse le son de ce que les gens mangent. J’aimerais bien, il faut les bons instruments, le dispositif. Je ne fais pas le lien entre le dessin et la musique. Je n’ai pas de sons qui apparaissent avec le dessin et inversement. Pour moi, la connexion n’est pas là.

Pensez-vous, après votre livre, poursuivre l’entrelacement du dessin et de la musique avec un film par exemple ? Est-ce que ça vous intéresserait d’écrire un film?

A.S. : Non, je ne pense pas. Mon livre n’est pas un un développement temporel, ce sont des tranches. Comme des photos, ce sont des dessins avec un texte qui sont autonomes les uns des autres et qui, mis bout à bout, font un livre. D’ailleurs, je suis classé en littérature, ce qui me surprend, parce que je n’ai pas l’impression de faire de la littérature. Je ne sais pas développer dans le temps. Je fais des chansons, c’est court. Je fais des dessins, des petites nouvelles à la limite. De même que je ne fais pas de bande dessinée, je ne me vois pas développer une histoire, je ne sais pas faire ça. Un film c’est quand même lourd, il faut avoir une vocation puissante. À moins qu’elle naisse là, mais c’est un peu tard quand même, peut-être pour moi. J’imagine que ça n’arrivera pas.

À vos yeux et oreilles, quelles sont les émotions que provoquent un festival de cinéma ou de musique ? Qu’est-ce qui leur est commun ? Qu’est-ce qui les différencie ?

A.S. : Ce n’est quand même pas pareil du tout, je trouve. Il y a des festivals de musique classique, des festivals de musique bretonne, des festivals d’électro, qui eux-mêmes n’ont rien à voir les uns avec les autres. En tout cas, il y a quelque chose qui est sûr, c’est que dans un festival de musique, en général, il y a une performance live avec des gens sur scène qui font quelque chose dans l’instant et qui agitent émotionnellement un certain nombre de personnes en face. Tout ça est instantané.

Le cinéma est indirect. Ce sont des productions lourdes sur des projets qui sont en place depuis cinq ans avec 200 personnes engagées. Au moment où on arrive dans un festival, le truc est déjà fini complètement, les comédiens ont déjà tourné trois autres films. C’est très indirect. J’ai du mal à y voir un lien en dehors du fait que les publics viennent là par amour pour la musique ou par amour pour le cinéma et que c’est super de réunir les gens. Le point commun, c’est qu’on vient pour un truc et on en découvre un autre souvent. On vient pour un court-métrage, on en découvre huit. On vient pour un concert, on en découvre quatre avant et après. C’est vraiment super pour ça. Et puis les gens se retrouvent et ne font pas ça dans leur coin chez eux, ça, j’aime bien.

Après dans les festivals de cinéma, il y a souvent le côté prix, concours bon, ça c’est un autre trip. La part de concurrence, l’existence des prix, l’attente de savoir qui va gagner, c’est beaucoup d’angoisse pour tout le monde. Pourtant, cela ne m’a pas empêché de participer à des jurys. Néanmoins, je ne suis pas un très bon client pour les festivals en général. Je ne vais pas de moi-même aux Vieilles Charrues, en plein cagnard, regarder un concert au milieu de 100 000 personnes. Ce n’est pas mon truc, mais je trouve ça super. Mais pour les autres.

Vous avez collaboré avec un grand nombre d’artistes. Vous venez du jazz et avez rendu hommage aux incontournables de la chanson française : Alain Bashung, Barbara, Françoise Hardy. Est-ce que vous avez d’autres influences, par exemple au niveau de la musique en cinéma, vous avez parlé lors de votre conférence de Michel Legrand, Gabriel Yared, Ennio Morricone aussi…

A.S. : Beaucoup Morricone. Ce sont des influences, mais pas tant pour la musique de films, comme que je n’en fais quasiment pas. Tout ce que j’écoute me nourrit. Je dirais Jerry Goldsmith aussi, Wojciech Kilar, dont j’ai beaucoup aimé la musique de Dracula. Il y a des musiques de films qui m’ont vraiment marqué. Goldsmith en a =fait un paquet, notamment une que j’aime particulièrement, celle de Basic Instinct. Même si le film est un peu douteux à revoir maintenant, cette musique m’avait complètement envoûté. J’aime bien l’idée que quelque chose qui a été créé à dessein, pour cohabiter avec de l’image, avec du sens, une l’histoire, puisse être complètement enlevé et être écouté comme œuvre à part entière.

C’est quand même magique, c’est magnifique, parce que ce sont souvent des musiques qui laissent une petite place aussi à l’imaginaire. Comme elles sont censées laisser la place à l’image, aux voix, il y a des trous dans cette musique. En même temps, elles doivent être assez caractéristiques, avoir beaucoup de caractère.
C’est intéressant que des réalisateurs et des producteurs appellent des musiciens qui ont un style marquant. C’est la même chose que lorsqu’ils appellent des acteurs qui vont rester la personne qu’ils sont, qui ne peuvent pas complètement se travestir, qui ne peuvent disparaître derrière leur rôle. Ils arrivent et ils imposent leur personnage. La musique peut aussi avoir de la personnalité, Ennio Morricone par exemple avec sa guimbarde, forcément, on le reconnaît tout de suite.

En termes d’animation, quelles sont vos références pour le dessin ?

A.S : J’ai l’impression que tout m’influence un peu, que je suis une espèce de passoire, je n’ai pas un style défini dans mon dessin. Je peux être très influencé par le cinéma, le dessin, les paysages que je vois, les dessinateurs. J’ai beaucoup été au Japon. L’art japonais m’influence autant dans la cuisine que dans le textile. C’est en moi tout le temps. Au Japon, historiquement, ils dessinent au trait. Là où, en France, le trait, c’était pour les croquis. La peinture, c’est tout de suite des masses, il n’y a pas de contours tandis que le Japon traditionnel est beaucoup plus proche de la BD. Tout ça se brasse et me touche.

Flow de Gints Zilbalodis, avec ce sublime chat, ces paysages incroyables a changé ma façon de penser à un chat, lorsque j’en vois un. Tout se mélange. Je passe mon temps à penser dessin. Quand je regarde un truc, je vais me dire : « Est-ce que c’est dessinable ? Est-ce que ça aurait un sens ? ». Comme un photographe verrait tout de suite un cadre avec ce qui est intéressant. Je vois ce qui est dessinable, ce qui m’inspire, ce qui me donne envie de dessiner.

Y a-t-il eu un film d’animation qui a été fondateur pour vous ?

A.S. : Une très bonne amie de ma mère est la fille de John Halas et Joy Batchelor, qui ont fait La ferme des animaux en 1954, un film cultissime. Ils ont fait aussi un clip, qui a été très connu, qui s’appelle Love is all. C’est une grenouille qui joue du banjo et qui chante (il chantonne l’air). C’est une chanson à la Beatles, le clip est un tube. Les Halas et Batchelor, ça m’a toujours été familier, parce que ce sont les parents de Vivien Halas, qui est une amie très proche de ma mère. C’est elle qui, dans les années 1970, a ramené à la maison Les Barbapapa en disant : « Tiens, c’est vachement bien ! ». Mes parents trouvaient ça un peu nul, mais moi j’ai tout de suite flashé. Pour moi, c’est très fondateur, dans mon amour pour la couleur, j’en suis la preuve vivante. Je vénère vraiment Les Barbapapa autant graphiquement que pour la musique. Comme je disais tout à l’heure, plus on prend du recul dessus, plus on voit que c’était beau, simple, bien-pensant, mais dans le bon sens du terme, généreux. Comme ce que devrait être une religion et ce que ne sont pas les religions, à part dans les écrits. C’est beau, c’est riche, c’est vertueux, c’est plein d’imaginaire, ça prône la diversité, c’est féministe, c’est écolo, c’est tout ce qu’on veut, c’est super.

Quels sont les artistes émergents de la scène musicale qui vous intéressent ?

A.S. : Il y a un disque que j’ai beaucoup écouté ces derniers temps d’un jeune chanteur qui s’appelle Claude, que je ne connais pas, je ne l’ai jamais rencontré. Il roule les r, cette espèce de petit tic un peu hérité de Stromae, de Jacques Brel sans doute. Enfin, il roule du fond de la gorge, pas comme les Italiens, je ne sais pas comment il fait. Mis à part ça, ça me touche beaucoup, les paroles qu’il écrit, les musiques, c’est très actuel, très jeune, très électro, pas du tout le genre de musique que je fais, mais je me reconnais complètement dans ce qu’il dit, dans sa façon de chanter, ça me plaît. J’aime beaucoup le travail de Voyou, un de mes amis, c’est un chanteur qui joue de la trompette aussi et qui fait des disques, il est super. J’aime Pi Ja Ma et November Ultra aussi. Allez faire un saut voir ces gens-là, ce sont des gens chouettes.

Avec qui rêvez-vous de travailler ?

A.S. : On me pose des fois la question et j’ai pris l’habitude de répondre un truc qui est globalement ce que je pense. J’ai eu tellement de surprises, j’ai tellement détesté bosser avec des gens avec qui je rêvais de bosser et inversement. J’ai eu des surprises hallucinantes avec des gens qui ne m’intéressaient a priori pas beaucoup. J’ai vécu de très grands moments d’enregistrement de musiques par exemple sur des albums que je n’ai jamais réécouté après parce que ce n’est pas ma came au résultat, mais c’était génial à faire, où l’expérience était fabuleuse. Je reste ouvert à tout. En tout cas, ça ne va pas forcément être David Bowie. Plutôt, peut-être, quelqu’un que vous ne connaissez pas. Il y a des gens effectivement, dont j’adore le travail, que j’ai l’impression de pouvoir servir dans leur musique. C’est dans ce cas-là que je ressens une insatisfaction et je me dis : « Ah, j’aurais bien aimé lui proposer ça, parce que ça remplirait quelque chose qui me manque alors que j’aime tellement cette personne ».

Je suis un peu fan par exemple de Damon Albarn, l’ancien chanteur de Blur, qui fait aussi des projets avec des Africains. C’est quelqu’un qui m’inspire et qui m’attire et j’aimerais bien être lui en fait. Parfois, je me dis ça, c’est fait pour rester dans ma tête. Ça ne sert à rien parce que c’est sûrement un gars qui prend toute la place, et à quoi bon collaborer avec quelqu’un à qui on n’a rien à apporter ? Collaborer pour faire quoi ? Pour qu’il me dise quoi faire ? Ça ne m’intéresse pas non plus. On peut admirer des gens, mais on n’a plus grand-chose à leur apporter.

Quelles sont vos envies ?

A.S. : J’ai une devise qui que je répète à qui veut l’entendre, c’est : « Mieux qu’hier et moins bien que demain ». C’est quelque chose qui me guide au quotidien. Je passe mon temps à essayer de faire en sorte que demain soit mieux qu’hier et comme ça, pas de regrets, jamais. Je pense que demain, je vais pouvoir encore résoudre des trucs. Pourtant, je vieillis, il y a des trucs qui se mettent à partir un peu en cacahuète, le corps, tout ça vieillit et c’est chiant. Mais par contre, ma vie est de mieux en mieux, toujours. J’essaie d’améliorer, de régler les problèmes, de ne pas rester sur les positions qui m’alourdissent. Ça me permet de ne pas être nostalgique, de regarder dans le passé mais en continuant à regarder devant, plutôt comme un rétroviseur. Est-ce que j’ai des envies ? Que ça continue comme ça. Je ne veux surtout pas subir un « moins bien qu’hier et mieux que demain». Ça, ce serait l’enfer. Si j’arrive à me dire : « Merde, c’était mieux hier », là je crois que je déprimerais. Mon but est de ne pas déprimer, d’en avoir encore sous la main et de continuer à explorer ce que j’ai, ce qui peut me faire progresser.

Propos recueillis par Lou Leoty

Rob : « Je crois beaucoup au pouvoir de la frustration comme un véhicule de désir »

Au festival du film d’animation de Rennes qui vient de s’achever, Robin Coudert alias Rob, compositeur proche de l’électro qui habille autant le cinéma que la série, a été membre du jury de la création professionnelle. Il animait une Master class autour de son travail dans le cadre du fil rouge consacré à la musique et aux voix dans le film d’animation. Lors d’un entretien désinvolte et généreux, du haut de sa grande silhouette filiforme, il conte son amour pour Les Mystérieuses Cités d’or et Moebius, ses envies d’un monde plus inclusif et de lendemains plus chantants.

© Lucie Belarbi

Format Court : Vous avez suivi des études aux Beaux-Arts, mais vous avez poursuivi dans la musique. Le passage par les arts plastiques a-t-il influencé votre travail ? Quel lien gardez-vous avec les arts plastiques ?

Rob : J’étais peintre et graveur, ce que m’ont surtout appris les Beaux-Arts, c’est l’accompagnement de mon travail de création par un discours. D’être capable de raconter ses intentions, d’expliquer d’où ça vient, ce qu’on anticipe, les projets, les mettre en forme, comme je suis en train de le faire en cet instant. Ça m’a appris à raconter une histoire autour de mes œuvres, à vendre ma camelote. Mon approche musicienne puise énormément dans la pratique que j’avais en tant que plasticien. Je ne cherche pas du tout une approche musicienne qu’il faudrait définir avant de la balancer à la poubelle. Je ne suis pas spécialement intéressé, par exemple, par l’idée d’avoir de bons musiciens, par la virtuosité, par ces choses-là. En revanche, j’attache une grande importance à l’expressivité, à puiser dans ses émotions, dans ses sentiments. Je crois que c’est assez notable quand on écoute ma musique. Comparé à d’autres compositeurs, je n’ai pas une approche virtuose ni musicienne, et d’ailleurs, ne suis pas un compositeur au sens académique du terme. Je n’utilise pas spécialement de partitions, en tout cas, je ne travaille pas à partir d’elles. Ma musique est improvisée avant d’être écrite.

Vous travaillez régulièrement pour le cinéma, cela renoue avec votre envie de raconter des histoires autour de votre musique. Vous avez eu une collaboration très prolifique avec Rebecca Zlotowski. Vous avez soutenu plutôt des films d’auteurs, comme le premier film de Coralie Fargeat, Revenge. Cela ne vous empêche pas de travailler sur des séries très identifiées comme Le Bureau des Légendes. Avez-vous des critères particuliers pour accepter de travailler sur un projet ?

Rob : Je suis très instinctif. Cela va être principalement un travail de communication avec le créateur ou la créatrice du projet. Je m’attache donc à la qualité de la relation que j’arrive à nouer. Ça passe par les fluides, l’interaction. Est-ce qu’on sent qu’on va pouvoir communiquer ? Et puis après, il y a l’importance de la qualité de cette communication. Est-ce qu’on emploie les bons mots, ceux avec lesquels on sent qu’on se comprend ? Une des grandes difficultés quand on est compositeur, c’est celle de créer un langage pour le film. C’est souvent parce que les scénaristes, les réalisateurs sont des gens qui sont des gens de langage, mais qui maîtrisent assez peu le langage musical. Mon travail souvent, c’est de convertir leurs idées en matière musicale. Et ça, ça exige une sorte de connivence et une confiance. Ce serait un des critères, je dirais, de choix. Est-ce que je vais pouvoir acquérir la confiance de mon interlocuteur ou de mon interlocutrice ? Ce n’est pas si simple, parce que ce sont des gens qui sont habitués à être des sortes de tyrans sur le plateau, et qui eux-mêmes ont été tyrannisés puisqu’ils ont dû se battre pendant des années pour vendre et défendre leurs projets. Ce sont des gens qui sont à la fois traumatisés et traumatisants, ce qui est le cas des traumatisés d’ailleurs. Moi dans tout ça, j’agis un peu comme une sorte de psychanalyste qui utiliserait l’art-thérapie, la musicothérapie pour transformer leurs traumatismes, si possible, en cinéma de qualité. Évidemment, aussi, je m’intéresse au projet, c’est purement instinctif pour le coup. Est-ce que ça me fait kiffer ? Est-ce que j’ai l’impression que je vais pouvoir aussi sortir quelque chose de moi-même qui va élever le film ?

À vos yeux et oreilles, quelles sont les émotions que provoque un festival de cinéma ou de musique ? Qu’est-ce qui leur est commun ? Qu’est-ce qui les différencie ?

Rob : Dans les deux cas, je dirais que ce qui pousse les gens à venir là, c’est le sentiment de communauté, de collectivité et de sentir qu’on est réunis autour d’un amour commun pour les œuvres, pour les créateurs aussi, pour les rencontrer. C’est une expérience collective. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus fort dans les festivals, et évidemment, c’est aussi porté par une grande curiosité. C’est le moment où on est censé avoir les chakras grands ouverts pour découvrir des œuvres, des artistes, pour participer à des échanges. Ce sont quand même des valeurs extrêmement vertueuses et très belles qui manquent probablement dans notre société, dans une vie quotidienne : l’échange, la curiosité et la collectivité. C’est tout ce qu’on aimerait pour que le monde aille mieux, peut-être que le festival est un lieu pour ça. Il y a évidemment l’envers du décor et on sait que ce n’est pas si simple, mais en tout cas, il y a une utopie derrière tout ça qui me touche particulièrement.

Quelles sont vos influences dans votre travail pour la musique de cinéma ? Vous êtes proche de l’électro, quelqu’un comme Giorgio Moroder a-t-il compté ?

Rob : J’adore Moroder. Il y a plein de compositeurs d’électro effectivement que j’adore. Tangerine Dream, même d’une certaine façon Vangelis, François de Roubaix même plus lointain, Jean-Michel Jarre, Trent Reznor, Oneohtrix Point Never (Daniel Lopatin), un compositeur génial qui fait toute la musique pour les frères Safdie. Ce sont des gens que j’apprécie énormément, mais je dirais que mon influence principale vient plutôt de la peinture, de la littérature, pas spécialement de la musique ou du moins pas de la musique de film. J’aime m’inspirer de tout autre chose et essayer de transformer ça, de me le réapproprier d’une façon ou d’une autre et de le digérer, le recracher, en tout cas sous la forme de musique de film. Je trouve que c’est plus fertile de faire ça. Même si je suis fan d’Ennio Morricone, c’est hors de question pour moi d’essayer de faire du Ennio Morricone : ce serait pitoyable.

Y a-t-il un film d’animation qui a été fondateur pour vous ?

Rob : Absolument. C’est un film qui s’appelle Les Maîtres du temps, de René Laloux et de Mœbius qui doit dater de 1982. C’est un film de science-fiction métaphysique typiquement dans l’univers de Moebius, dans la trilogie de Laloux avec La Planète Sauvage et Gandahar. C’est un peu dans la lignée des films d’animation français des années 1970-80 extrêmement poétiques, un peu planants, clairement psychotropes. C’est vraiment la drogue qui est l’influence principale. Je l’ai vu enfant et ça m’a traumatisé dans les deux sens du terme parce qu’il y a une scène avec des frelons géants et qui a développé chez moi une phobie des frelons. Par ailleurs, il y a un côté hyper doux, contemplatif, avec une histoire de temps qui se replie sur lui-même. On sent que déjà à l’époque, évidemment, les histoires de physique quantique imprégnaient la science-fiction. Ça me plaisait beaucoup. Et Mœbius était proche d’Alejandro Jodorowsky, j’ai travaillé par la suite avec lui et je travaille avec son fils, Adan, on a fait la musique de son film.

Il y a évidemment tous les dessins animés qui ont bercé mon enfance puisque je suis né en 1978. Les premiers dessins animés japonais importés par Antenne 2 à l’époque, j’en suis tombé à la renverse : Les Mystérieuses Cités d’or, Princesse Sarah, tous ces films hyper émotionnels, avec beaucoup d’aventures ainsi qu’une direction artistique très forte à chaque fois. Je peux citer la musique notamment, celle des Mystérieuses Cités d’or, de Shuki Levy qui est un compositeur israélien qui a émigré aux États-Unis. Il a été le premier, selon moi, à utiliser dans les dessins animés une musique synthétique avec vraiment tous les synthés que je collectionne aujourd’hui, ils viennent de là. Quand tu les réécoutes aujourd’hui, tu comprends mieux Kavinsky, toute la French Touch, c’est exactement les mêmes sons. Pour les Daft Punk c’est la même chose. Je vois bien que nous, toute cette génération, sommes influencés par ça. D’ailleurs, eux, ils ont demandé au fondateur, au créateur d’Albator de faire leur film. C’est dire à quel point nous sommes marqués. L’animation est au cœur de mon inspiration, mais je dirais inconsciente, liée à la petite enfance.

Vous naviguez entre vos projets personnels, la scène, notamment pour Phoenix et la composition pour le cinéma ou la télévision. Comment trouvez-vous votre équilibre ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

Rob : Mon équilibre, je le trouve magnifique. Comme artiste, je me sens extrêmement chanceux et comblé de pouvoir avoir à la fois le loisir d’être avec mes meilleurs amis, Phoenix, sur scène, et de faire des tournées internationales, et en plus, de ne même pas subir la pression du succès, puisque c’est eux qui l’ont. Je suis juste là comme un accompagnateur, c’est joyeux, c’est formidable. En même temps, j’ai l’espace, mon studio parisien qui est comme un laboratoire, presque un atelier. C’est exactement à la manière d’un atelier pendant la Renaissance : il y a une équipe qui travaille, on se délègue, on partage, on communique, on travaille à des grands œuvres ensemble. C’est quand même incroyable d’avoir cet équilibre-là. Par ailleurs, j’ai des projets personnels, de plasticien, je fais des installations, de la photographie, tout ce qui me passe par la tête. Je produis des disques pour d’autres artistes, je fais de la pop, je sors des albums. J’ai bien peur d’être bienheureux. Ce qui est vraiment suffisamment rare pour être évoqué.

Quels sont les artistes émergents de la scène musicale qui vous intéressent le plus ?

Rob : Il y a une artiste, je vais la citer parce que ça concerne à 100 % ce qu’on fait ici, c’est Oklou. Je travaille en ce moment avec elle à la musique d’In waves, sur l’adaptation du roman graphique d’AJ Dungo en animation par Phuong Mai Nguyen. Ce sera un long-métrage d’animation qui sortira l’année prochaine. C’est la première fois que je travaille pour un long-métrage d’animation, et c’est plus qu’un honneur, je fonds, littéralement, parce que je suis archi fan de son deuxième album que j’ai découvert qui s’appelait Galore. Depuis, je l’ai rencontrée et elle a accepté de collaborer avec moi à la musique de ce long-métrage. Je suis amoureux de sa musique et de son personnage, de ce qu’elle véhicule.

J’adore Oneohtrix Point Never, qui est un artiste américain complètement barré, qui d’ailleurs a bossé aussi avec Oklou, qui est une espèce d’Aphex Twin mais un peu plus émotionnel et qui travaille pour le cinéma, c’est vraiment un mec génial. J’avais aimé Disasterpeace qui avait fait la musique pour It Follows, un film d’horreur américain sorti il y a quelques années. Je trouvais que c’était une électro très précise, très violente, et en même temps hyper planante. Les mots me manquent, quand on me demande ce que j’écoute ou ce que j’aime aujourd’hui, je crois que je n’ai pas un rapport exactement comme ça avec mes contemporains. J’ai l’impression que je suis dans la découverte permanente, mais j’oublie instantanément tout ce que je découvre. C’est un peu particulier. Je crois que je suis aussi extrêmement habité par la création permanente et ça me met un peu à distance, quelque part, de ce que font les autres. Je n’écoute pas beaucoup ce que font les autres tellement je suis happé par mon propre désir d’être en création moi-même.

Vous aviez commencé un projet inspiré par Les Évangiles, Le Dodécalogue, vous en avez fait la moitié. Il est resté inachevé à la fermeture du label. Est-ce que vous pensez que vous allez le reprendre un jour? Est-ce que vous en avez envie ?

Rob : Non, parce que j’aime bien le caractère inachevé. Je trouve que ça se prête très bien à la liturgie. Ce qu’on aime dans les cathédrales, c’est quand elles sont à moitié abandonnées. L’incendie de Notre-Dame, c’était un des plus beaux événements de ces dernières années. C’est très beau de voir la foi s’ébranler. En cela, laisser Le Dodécalogue inachevé, même si ce n’était pas le projet initial, c’est beau. Je prends le destin comme il vient et je trouve que c’est très beau de se dire : « Voilà, on en reste là ». Je sais qu’il y a une frustration et par ailleurs, je crois beaucoup au pouvoir de la frustration comme un véhicule de désir. Mais la suite existe. J’ai régulièrement des demandes. Je me dis ce genre de choses parfois, que quand je serai vieux et que des jeunes viendront me chercher en me disant : « Mais attends, c’était génial ! ». Peut-être, alors, que je craquerai. Parce que j’aurai besoin d’argent.

Avec qui rêvez-vous de travailler?

Rob : Je ne suis pas fan dans la vie. J’ai particulièrement, je crois, une certaine aversion à l’idée de rencontrer des gens que j’admire parce que j’ai peur d’être déçu, je sais qu’il faut faire la part des choses entre la personne et l’œuvre, n’est-ce pas ? On l’a bien compris depuis quelques temps. Je ne tiens pas spécialement à savoir ce qui se passe dans la tête de Michael Nyman. Je le cite parce que lui, je l’ai rencontré. J’adore éperdument sa musique, mais, tout d’un coup, je me suis trouvé en face de lui et je n’avais rien à lui dire. Ça n’a aucun intérêt de dire : « J’adore ce que vous faites ». Ce n’est pas le début d’une conversation. Cela peut arriver si on est amenés à jouer ensemble. Il y a des personnes que j’ai appris à aimer après la rencontre, à comprendre leur œuvre, à rentrer dedans. Mais je ne formule pas le souhait de rencontrer une personne en particulier.

Et d’ailleurs, je n’ai aucun nom qui me vient spécialement en tête. Les plus belles œuvres de ceux que j’admire sont derrière eux. Je pense à Polanski par exemple. Il faut faire la part entre l’homme et l’œuvre, mais je n’ai aucune envie de travailler avec Polanski. Et pourtant, ses œuvres de jeunesse ont bercé et continuent d’alimenter mes fantasmes de cinéma. Pour autant, je ne me vois pas assis dans une salle de montage avec lui, je pense que c’est trop tard. C’est un autre sujet, mais si on parle de #MeToo, typiquement, j’ai le rêve un peu comme celui de Tarantino lorsqu’il assassine Charles Manson ou Hitler pour se venger de l’histoire. Je rêverais de réécrire l’histoire. J’aimerais que Polanski prenne la parole et dise : « Voilà ce qu’il s’est passé, je suis coupable. J’ai violé cet enfant et voilà ce que j’ai traversé. Je fais mon mea culpa et c’est important que les hommes puissants comme moi prennent la parole et ouvrent leur cœur pour dire que le monde doit changer ». Je rêverais qu’un Polanski fasse ça. Je me dis qu’il a le talent et l’intelligence suffisante pour le faire. Je suis déçu parce qu’il ne le fera pas.

Il n’aurait pas tourné J’accuse, mais Je m’accuse.

Rob : Mais exactement, il a fait J’accuse. Ça, c’est problématique. Il fait le réac. Et il ne bouge plus. On voit bien que le monde ne change pas.

Quelles sont vos envies ?

Rob : La reconnaissance du travail des femmes et de l’acceptation de l’altérité dans le monde du cinéma, dans le monde de l’art et dans celui des relations humaines en général, c’est quelque chose qui me touche aujourd’hui. J’ai 46 ans, je suis en pleine crise de la quarantaine. C’est un sujet qui me travaille, en tant qu’homme créateur qui a réussi, qui est reconnu aujourd’hui dans son milieu, qui prend une certaine place dans le débat. Je sens que c’est un devoir pour moi de prendre la parole. On m’interviewe aujourd’hui, on me pose des questions. J’aimerais dire : « Alors, mes confrères, chers hommes, soyons moins cons, cédons la place, ouvrons le débat, prenons moins de place et essayons d’ouvrir les portes ». J’ai un studio où j’accueille le plus possible d’artistes, des étudiants, des stagiaires, je propose les outils pour que quiconque a besoin de travailler puisse le faire, et j’essaie d’ouvrir les portes le plus possible et d’essayer, contrairement à ce que je fais là, de fermer un peu ma gueule pour que d’autres puissent prendre la parole. Je vois la chance que j’ai eu, moi, quand j’ai commencé. Je veux qu’aujourd’hui d’autres puissent la saisir.

Propos recueillis par Lou Leoty

Cannes 2025, la sélection des courts et de La Cinef

Dernière sélection très attendue du côté de Cannes, celle des courts et des films de la Cinef, dévoilée aujourd’hui. Sur 4 781 films, 11 courts métrages font partie de la compétition cette année. Du côté de la Cinef, ce sont 16 films (sur 2700 candidatures présentées par les écoles de cinéma à travers le monde) qui font partie de la sélection 2025.

Le Festival de Cannes a également annoncé son Jury unique pour attribuer  la Palme d’or du court métrage ainsi que les 3 prix de La Cinef : Maren Ade (réalisatrice, scénariste et productrice), Reinaldo Marcus Green (réalisateur, scénariste et producteur), Camélia Jordana (auteure-compositrice-interprète), José María Prado (producteur, photographe et ancien Directeur de la Filmoteca Española) et Nebojša Slijepčević (réalisateur et scénariste, Palme d’or du court l’an passé pour The Man Who Could Not Remain Silent).

Compétition courts métrages

Arguments in favor of love (Disputes en faveur de l’amour), de Gabriel Abrantes
Ali d’Adnan Al Rajeev
Im glad you’re dead now, de Tawfeek Barhom
Agapito, d’Arvin belarmino et Kyla Danelle Romero
Fille de l’eau, de Sandra Desmazières
Hypersensible, de Martine Froissard
Dammen, de Grégoire Graesslin
The spectacle, de Bálint Kenyères
Nvhai (Filles) de Zhaoguang Luo et Shuhan Liao
A solidão dos lagartos, d’Inês Nunes
Aasvoëls (Vautours), de Dian Weys

La Cinef

O pássaro de dentro, de Laura Anahory
Per bruixa i metzinera, de Marc Camardons
Tres, de Juan Ignacio Ceballos
Matalapaine, de Helmi Donner
Bimo, de Oumnia Hanader
Talk Me, de Joecar Hanna
First Summer, de Heo Gayoung
Måske i marts, de Mikkel Bjørn Kehlert
Winter in March, de Natalia Mirzoyan
My Grandmother is a Skydiver, de Polina Piddubna
12 Moments Before The Flag-raising Ceremony, de Qu Zhizheng
Ether, de Vida Skerk
Fursecuri si lapte, de Andrei Tache-codreanu
Ginger Boy, de Miki Tanaka
A Doll Made up of Clay, de Kokob Gebrehaweria Tesfay
Le continent somnambule, de Jules Vésigot-Wahl

Festival d’animation de Rennes 2025

Une peau qui ondule entre le bleu et le vert arbore un immense œil dont la pupille irradie. Juchée au ras de ses cils, une kyrielle de petits personnages truculents exulte : c’est ainsi que se découvre cette nouvelle édition du festival du film d’animation de Rennes. Le ton est donné par l’affiche : de la couleur, une envie de regarder, et une joie certaine pour ce nouveau rendez-vous du 22 au 27 avril 2025.

Depuis 2010, le festival chante les louanges de l’animation, dont la France est un incroyable vivier. Cartographie de ce qui se fait de plus novateur dans l’animation française, il embrasse autant le jeune public que les adultes, transcendant ainsi le stéréotype d’une forme qualifiée à tort d’enfantine. Cette année, Rennes propose dix compétitions de courts-métrages, qui reflètent la grande vitalité de la production française contemporaine, scrutées par deux jurys : l’un pour la création étudiante et l’autre pour la création professionnelle. Au-delà de ses compétitions, le festival offre par ailleurs un fil rouge qui invoque l’ouïe autant que le regard, avec une attention particulière envers la musique et les voix. Pour ce faire, il fera résonner des rencontres et des masterclasses de professionnels. Rennes accueillera dès lors des invités de prestige, parmi lesquels Jean-François Laguionie, qui présentera le Tableau, et Albin de la Simone, compositeur et dessinateur dont les deux domaines sont entrelacés dans cette nouvelle édition.

L’éclectisme dont se targue le festival passe aussi par l’écoute des échos de la création à la marge, avec des séances spéciales autour du genre, de l’expérimental, des clips, des films bricolés. Rennes fait la part belle autant à la maîtrise virtuose qu’aux trouvailles de l’artisanal. Attentive aux savoir-faire, cette nouvelle édition regorge d’ateliers et de parcours techniques afin de poursuivre la transmission des compétences de l’animation.

Le panorama s’étoffe également des grands succès de l’année avec des longs-métrages d’animation très porteurs comme La Plus Precieuse des Marchandises et Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau. Des succès qui assurent la pérennité de l’animation française, au premier rang de l’Europe, et encouragent à scruter les traits qui feront les attraits de demain. Notre équipe vous fera part de ses éblouissements au cœur du festival breton. Bevet Breizh !

Lou Leoty

Retrouvez dans ce focus :

Surgissements et tremblements : Coup de projecteur sur le festival d’animation de Rennes

L’interview du musicien et auteur Albin de la Simone

L’interview du compositeur et musicien Rob

Quinzaine des Cinéastes 2025, les courts et moyens-métrages sélectionnés

La Quinzaine des Cinéastes, l’une des sections parallèles du Festival de Cannes, a annoncé ce mardi matin sa sélection de longs et de courts. Voici les 10 œuvres courtes et moyennes retenues sur 2634 films reçus pour cette édition 2025.

+10K de Gala Hernández López
Loynes de Dorian Jespers
Nervous Energy de Eve Liu
Bread Will Walk (Le pain se lève) de Alex Boya
La mort du poisson d’Eva Lusbaronian
Cœur Bleu (Blue Heart) de Samuel Suffren
The Body de Louris van de Geer
Before the Sea forgets de Ngọc Duy
Lê Karmash (کرمش) de Aleem Bukhari
When the Geese Flew d’Arthur Gay

Les interviews filmées du Festival Format Court 2025

Le Festival Format Court est terminé (mais se poursuit encore un peu). Nous avons réalisé des interviews filmés de certains de nos invités, avec le soutien de trois étudiantes de l’EICAR : Marie Sanchez Bueno, Maëva Dillou et Mahée Nari. Voici ces sujets, ajoutés au fur et à mesure de leur mise en ligne sur notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à revenir faire un tour sur notre site, via cette actu : beaucoup de pros (comédiens, réalisateurs, sélectionneurs, techniciens) ont encore des choses à partager avec vous !

Vincent Macaigne : « Le cinéma permet d’aller chercher l’intime »

Parrain de la sixième édition du Festival Format Court, Vincent Macaigne revient sur ses débuts en tant qu’acteur grâce à « Un monde sans femme » de Guillaume Brac, réalisé en 2011. A l’occasion de sa carte blanche présentée ce mercredi 2 avril 2025 au Studio des Ursulines (Paris, 5), il a présenté le film de Guillaume Brac mais aussi « Ce qu’il restera de nous », son propre film, tourné également en 2011. En entretien pour Format Court, il revient sur son attachement au court, la rencontre artistique et l’éclairage des oeuvres en festival.


Constance Rousseau : « Il n’y a pas de rupture entre le tournage et la vie »

Lors de notre soirée d’ouverture, nous avons rencontré Constance Rousseau, interprète de Juliette dans « Un monde sans femmes » de Guillaume Brac. Elle revient pour nous sur la construction de ce film, les liens entre les acteurs qui s’y sont noués, les avantages des lieux de tournage. Cette expérience étant proche de ses débuts dans le cinéma, c’est également l’occasion d’aborder son parcours d’actrice et sa manière de voir les castings.


Rebecca de Pas : « Qu’est-ce que ça veut dire, bousculer les conventions aujourd’hui ? »

A l’occasion de la séance dédiée à Rotterdam, diffusée ces derniers jours au Festival Format Court, avec le soutien de l’Ambassade des Pays-Bas, nous avons invité trois cinéastes, un producteur et une programmatrice à venir parler de cinéma au Studio des Ursulines. Rebecca de Pas, programmatrice de courts mais aussi de longs à Rotterdam, dont la dernière édition a eu lieu fin janvier, s’intéresse aux visions fortes des cinéastes et à leur façon de se renouveler. A l’opposé des festivals « tapis rouges », elle insiste sur l’engagement du public de Rotterdam, en quête de découvertes, de films introuvables dans les canaux classiques et les plateformes en ligne. Membre de comités de sélection depuis près de 20 ans (elle est passée par le FID, la Berlinale, Venise, le Festival du Film Environnemental de Paris, Visions du Réel, …), elle évoque certains changements qu’elle a constaté dans le milieu de la programmation, des festivals et de l’industrie.


Ambroise Pujo. Caméra en main

Lauréat du prix de l’image du 6e Festival Format Court pour « Tapage » de Joséphine Madinier, le chef opérateur Amboise Pujo évoque son parcours, ses inspirations et l’image qu’il défend.


Samir Guesmi : « Pour y arriver, le chemin est dur mais il est chouette »

Depuis un moment déjà, on a repéré Samir Guesmi. Que ce soit dans « Seule », le court-métrage de Érick Zonca qu’on a diffusé l’an passé au Festival Format Court dans le cadre de la séance consacrée à notre marraine 2024, Florence Loiret Caille, dans « Camille redouble » de Noémie Lvovsky, dans « L’effet aquatique » de Sólveig Anspach, .… La liste est longue. Élément intéressant : Samir Guesmi n’est pas qu’acteur, il est aussi réalisateur.

Son premier long-métrage, « Ibrahim », suit de quelques années (2020) son premier et seul court-métrage, « C’est dimanche ! » (2008). Ce film, nous l’avons programmé cette année au sein de notre séance Ville de Paris autour de la thématique « C’est quoi, grandir ? », aux côtés de 4 autres films. A l’occasion de cette soirée thématique, Samir Guesmi revient sur les souvenirs de tournage de son court-métrage, sa réception en festival, son intérêt pour la thématique père-fils (avec laquelle il a renouée avec « Ibrahim ») et sa drôle de rencontre avec Bruno Podalydès lors de la présentation de « C’est dimanche ! » face au Jury d’aide à la production de court-métrage de la Ville de Paris.


Amine Bouhafa : « Compositeur, c’est le dernier cinéaste et le premier spectateur d’un film »

Amine Bouhafa, compositeur de musiques de film et membre du jury de la 6e édition du festival Format Court, revient le temps d’un entretien pour Format Court, sur son parcours et la relation professionnelle entre un.e compositeur.ice et un.e réalisateur.ice. Il est à l’origine des compositions des films « Timbuktu » de Abderrahmane Sissako ou » Gargarine » de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh et à travaillé avec de nombreux.e.s réalisateur.ice.s telles que Katell Quillévéré ou Kaouther Ben Hania. Il nous raconte ses débuts avec le court, les moments forts de son métier, nous parle de ses projets actuels comme le prochain film d’Hafsia Herzi, « La Petite Dernière » (en sélection officielle à Cannes 2025), et partage aussi ses conseils pour les futur.e.s cinéastes et compositeur.ice.s cinéphiles.


Rémi Brachet. Accéder à l’émotion grâce aux formes documentaires

Lauréat du prix du public au Festival Format Court 2025, son film « Chère Louise » mélange fiction et geste documentaire afin de partager une histoire personnelle forte liée à son arrière-grand mère. Rémi Brachet nous explique le parcours effectué pour donner naissance à ce film particulier et sa manière d’utiliser l’imagination pour étoffer le réel afin d’en extraire une émotion qui parvient à toucher les spectateurs. Il nous parle également de l’importance de son équipe, de l’énergie de l’actrice Ariane Ascaride (qui campe Louise) et de sa relation avec Héloïse Pelloquet, monteuse, réalisatrice et compagne.


Bétina Flender : « Ce que j’aime dans l’interprétation, c’est de pouvoir sortir des clichés »

Elle repart du Festival Format Court 2025 avec le prix de la meilleure interprétation (son tout premier) pour son rôle de Loïs dans « Une fille comme toi » de Nathalie Dennes. L’occasion pour la jeune comédienne de partager sa vision du projet dans lequel elle s’est beaucoup impliquée, les parts d’elle-même qu’elle a pu apporter à son personnage, sa satisfaction de jouer une fille « qui ose » et d’apporter un regard décalé sur les rôles féminins.


Clara-Maria Laredo : « J’ai envie de tout ressentir, de tout vivre par le métier de comédienne »

L’actrice révélée dans « A son image » de Thierry de Peretti a fait partie du jury professionnel de notre 6ème Festival Format Court. De ses études en sciences politiques à ce premier rôle en phase avec ses engagements, elle raconte sa préparation à jouer la photographe Antonia qui a fait évoluer jusqu’à son rapport à l’image et à la caméra. Tout comme ses envies de sensations et de rôles multiples.


Boris Lojkine : « Lorsqu’on veut apprendre, on est forcément humble »

Multi récompensé pour son film « L’Histoire de Souleymane », Boris Lojkine était présent au Festival Format Court cette année à l’occasion de notre toute première Master Class qui lui était consacrée. Le moment était propice pour en apprendre un peu plus sur les idées et la vision de ce réalisateur agrégé de philosophie et formé par ses voyages.

Son cinéma a d’abord été documentaire lorsqu’il filmait son moyen-métrage « Ceux qui restent » ou son premier long « Les âmes errantes » au Vietnam où il a habité pendant un moment. Il s’est tourné ensuite vers la fiction avec « Hope  » (Semaine de la Critique 2014) et « Camille « (Locarno 2019) avant la reconnaissance plus officielle que « L’Histoire de Souleymane » (Un certain regard 2024) lui a apporté. Dans le cadre de cet entretien, Boris Lojkine nous explique l’importance de « l’autre » dans son travail, son envie de garder un œil curieux et ouvert sur les êtres, les histoires de vies. Il laisse enfin entrevoir sa manière de travailler, la proximité qu’il aime créer dans une équipe de tournage et la liberté que permet le cinéma à petit budget.


Cristèle Alves Meira : « Je veux continuer à faire des films avec ma vision d’auteur »

Invitée comme intervenante au Festival Format Court autour d’une table ronde à destination des réalisateur·ices et producteur·ices, la réalisatrice Cristèle Alves Meira, à l’origine de plusieurs courts-métrages et du premier long « Alma Viva », évoque la nécessité de passer et repasser par le court pour écrire. Elle revient aussi sur les exigences de la réalisation d’un long, les difficultés du métier mais aussi ses motivations pour continuer à faire du cinéma d’auteur.

Festival Format Court 2025, le palmarès !

La 6ème édition du Festival Format Court s’est achevée joyeusement ce dimanche 06 avril 2025 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de notre parrain, Vincent Macaigne, nos 3 jurys et les équipes de films primés.

Cette semaine, nous avons mis à l’honneur le cinéma dans sa grande et belle diversité à travers de nombreux rendez-vous : 4 séances compétitives, 4 thématiques (Vincent Macaigne, Ville de Paris, Festival de Rotterdam, Lynch), 2 rencontres professionnelles, une Master Class avec Boris Lojkine et notre tout premier Lab. 80 invités (réalisateurs, scénaristes, comédiens, producteurs, programmateurs, directeurs de la photographie, compositeurs, preneurs de son, critiques, ..) ont participé à cette nouvelle édition. On en est ravi !

36 films ont été programmés au festival, en présence de nombreux spectateurs : près de 800 personnes ont assisté au festival, merci à eux !

Les 18 films sélectionnés cette année en compétition officielle ont été évalués par nos jurys. Un Prix du public a également été attribué par les spectateurs qui ont voté à l’issue de chaque séance pour leur film favori. Enfin, un pot de clôture a succédé à la remise des prix de cette sixième et fabuleuse édition !

Palmarès

Jury Professionnel

Composition : Clara-Maria Laredo (comédienne), Félix Kysyl (comédien), Jeanne Lapoirie (cheffe opératrice), Amine Bouhafa (compositeur) et Koya Kamura (réalisateur)

Grand Prix : Adieu Tortue de Selin Öksüzoğlu. Dotation de 1 000 € remis par Format Court

Prix du scénario : Un Hijo & un Padre de Andres Ramirez Pulido. Deux consultations de scénaristes dotées par La Cité européenne des Scénaristes (valeur 800€)

Prix de l’image : Ambroise Pujo pour Tapage de Joséphine Madinier. Prêt de matériel lumière doté par Transpa pour un prochain tournage (valeur 1 500€ HT)

Prix de la création sonore : Fabrice Devienne, Noëmy Oraison, Thibault Macquart et Stéphane Huchard pour Sous le gel de Glasgow de Léo Devienne. Prêt de matériel son doté par Tapages & Nocturnes pour un prochain tournage (valeur 1 000€ HT)

Prix d’interprétation : Bétina Flender pour Une fille comme toi de Nathalie Dennes. Portrait prestige doté par le Studio Harcourt Paris

Jury presse

Composition : Manon Marcillat (Trois Couleurs, La perche est dans le cadre), Franck Finance-Madureira (FrenchMania, Têtu), Elie Bartin (Super Seven, Les Cahiers du Cinéma), Clément Colliaux (Libération, Critikat), Mathi Adjinsoff (Culture aux trousses)

Prix de la presse : Un Hijo & un Padre de Andres Ramirez Pulido. Abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma

Jury étudiant

Composition : Antoine Jury (EICAR), Anna-Rose Lux (Sorbonne-Nouvelle), Yara Keyrouz (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Nathan Laurent (ESCP), Séraphin Massé (Sorbonne-Nouvelle)

Prix du Jury étudiant : Mille moutons de Omer Shamir. Abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma

Prix du public

Vote du public : Chère Louise de Rémi Brachet. Acquisition du film lauréat par la plateforme UniversCiné, abonnement d’un an offert à l’offre VOD de Bref Cinéma

Sarah Seené : “J’envisage mes films comme des photographies en mouvement”

Orbites, court métrage de Sarah Seené, vient de remporter le Grand Prix Canadien et le Prix de la Critique internationale FIPRESCI au festival Regard à Saguenay. Le film dévoile une série de conversations entre la réalisatrice et sa protagoniste Marie-Christine Ricignuolo, jeune femme qui a perdu la vue à cause d’un glaucome congénital. Marie-Christine réapprend à voir le monde et toute sa beauté, qu’elle a toujours énormément admirée, grâce aux bouts de ses doigts. Elle utilise désormais un nouveau sens pour absorber les plus belles choses du monde : la nature, les fleurs, le soleil, son enfant, son compagnon. La réalisatrice française, installée au Québec depuis 2016, nous raconte le parcours de création de son nouveau projet.

Format Court : En quoi ton travail de photographe influence-t-il ta manière de faire du cinéma ?

Sarah Seené : Mon langage réside dans l’image. Quand je réalise un film, ce sont les images qui naissent d’abord dans ma tête. J’en visualise précisément les cadrages, les couleurs, les textures. C’est pour cette raison que je me charge de la direction de la photographie et de la caméra. Je ne pourrais pas réaliser un film sans le filmer. C’est ma signature, mon regard. J’envisage mes films comme des photographies en mouvement. D’ailleurs, en tant que spectatrice, ce qui m’attire quand je vais voir un film au cinéma ou en festival, c’est l’image. La plupart du temps, je ne lis pas le synopsis en amont car j’aime me réserver la surprise de son contenu. C’est davantage le visuel ou l’affiche du film qui me pousse à aller le voir.

Le thème de l’anticapacitisme est très présent dans ton travail. Qu’est-ce qui t’a poussé à l’explorer et pourquoi ce sujet t’interpelle-t-il particulièrement ?

SS : Le handicap est un sujet auquel je suis sensible depuis mon enfance. J’ai grandi aux côtés d’une maman en situation de handicap. Je vis moi-même avec plusieurs handicaps invisibles (notamment des acouphènes permanents – auxquels j’ai dédié le court-métrage Le silence a disparu, 2020) et des douleurs chroniques. Je crois fortement que le handicap est très mal connu socialement parce qu’on manque de représentations et surtout de nuances. La plupart du temps, les personnes en situation de handicap sont montrées à travers des prismes et des regards misérabilistes, angéliques ou inspirateurs qui sont problématiques parce qu’ils continuent de perpétuer des stéréotypes. Depuis quelques années, mon travail en photographie et en cinéma se fonde sur des collaborations avec des personnes concernées par le handicap desquelles je brosse le(s) portrait(s) en prenant soin de ne pas les réduire à leur handicap. J’ai à cœur d’apporter de nouvelles représentations lumineuses et poétiques tout en cherchant à faire valser les tabous à propos du handicap.

Avais-tu déjà une relation avec Marie-Christine avant de tourner ce documentaire ? Comment ce rapport a-t-il influencé ton approche ?

SS : J’ai découvert Marie-Christine sur les réseaux sociaux au printemps 2021. J’avais à l’époque envie de réaliser un projet photographique à propos des mères ayant un handicap visuel. Je suis tombée sur son compte Instagram (@mariechristinericignuolo) en faisant mes recherches et j’ai été subjuguée par son naturel et son humour sur les vidéos qu’elle partageait pour parler de la cécité. Je l’ai contactée pour lui parler de mon projet. Elle a immédiatement fait preuve d’un grand enthousiasme et nous nous sommes retrouvées quelques jours après pour aller marcher ensemble au jardin botanique de Montréal. On a toutes les deux senti une grande connexion entre nous, ce fut le début d’une belle amitié. Dans les mois qui ont suivi, j’ai photographié Marie-Christine et son fils Liam. Pour voir ce que ça donnait, je les ai aussi filmé·es en Super-8 noir et blanc. En voyant le résultat sur la pellicule développée, j’ai pris conscience que mon projet à propos des mères aveugles allait se resserrer sur le portrait de Marie-Christine et qu’il allait prendre la forme d’un film. Je sentais qu’une grande profondeur et de belles possibilités créatives pourraient naître à travers un projet cinématographique.

Les images manipulées dans le film ont une esthétique très marquée. De quelles inspirations visuelles es-tu partie et quelle technique as-tu utilisée pour obtenir cet effet si singulier ?

SS : J’ai eu la chance de faire une résidence d’un an au centre d’artistes Main Film à Montréal entre 2022 et 2023. J’ai pu réaliser certaines séquences d’Orbites sur une tireuse optique incluant une caméra Bolex. C’est un dispositif qui permet de réaliser des effets « spéciaux », des manipulations analogiques à partir de footage Super-8 ou 16mm pour le rephotographier sur 16mm. Sur cette tireuse optique, j’ai beaucoup travaillé la technique du bipack qui m’a notamment été enseignée par les cinéastes Alex Larose et Erin Weisgerber. Le principe du bipack consiste à juxtaposer au moins deux pellicules en « sandwich ». Cette superposition analogique offre un résultat différent d’une superposition numérique au montage. Elle permet de créer des sortes de pochoirs dans les zones claires ou foncées en fonction du matériel source s’il est négatif ou positif. J’ai également utilisé de la peinture sur pellicule comme je l’avais fait avec Guillaume Vallée dans mon premier (Il fait gris dans ta tête, tout à coup, 2018) film co-réalisé avec lui.

Selon toi, que rajoute l’usage de la pellicule dans le film Orbites ?

SS : La pellicule fait partie intégrante du projet. D’abord, parce que j’ai très peu tourné : la plupart du temps, je filmais 10 minutes en tout sur une journée. Parfois moins, exceptionnellement plus. L’emploi de la pellicule induit une temporalité très lente et indéniablement une économie très différente du numérique. Chaque image tournée a un coût et comporte un risque de ne pas voir le jour (pour une multitude de raisons techniques) donc elle est très précieuse. Aussi, parce que quand j’ai tourné Orbites, je ne voyais pas l’image sur un écran, je ne pouvais pas vérifier les images qui ont été tournées. Je devais attendre que les pellicules soient développées puis numérisées pour voir les images. Comme je travaille toujours de cette manière, ça fait tout simplement partie de ma pratique. Ce qui a été nouveau avec Orbites, ça a été de travailler avec une tireuse optique après les sessions de tournage, comme je le mentionnais plus haut. Ça a été confrontant car c’est encore plus long et complexe que simplement tourner en pellicule. Cet apprentissage impliquant beaucoup d’essais-erreurs s’est révélé enrichissant et passionnant mais il a mis à l’épreuve mon corps et notamment mes douleurs chroniques car c’est un dispositif très physique. Une fois développée, lorsque la pellicule issue des sessions de tireuse optique donnait quelque chose qui me plaisait, je ressentais une joie extraordinaire parce qu’encore une fois, c’était précieux.

As-tu réalisé des repérages dans la maison de Marie-Christine avant le tournage ? Le film a-t-il été principalement découpé ou certaines images ont été captées de manière plus spontanée ?

SS : Nous avons souvent tourné dans l’appartement de Marie-Christine mais aussi dans d’autres lieux, notamment en extérieur, dans la nature. Le film a essentiellement été planifié. Comme j’ai créé des mises en scène avec des costumes, des accessoires, des éclairages particuliers (qui incluent parfois des animaux), il était indispensable pour moi de planifier. Pour le tournage d’Orbites, j’ai même dessiné mes images dans un cahier avant de les tourner sur lequel je me basais à chaque session. Cependant, il y a quand même eu quelques rares prises que j’ai choisi de tourner sur le moment, notamment une séquence en noir et blanc où Marie-Christine fait danser des bulles près d’un lac sous la pluie. Pour l’anecdote, un gros orage commençait tout juste à gronder et la pluie à tomber mais j’ai quand même voulu qu’on tourne quelques minutes car la lumière était incroyable.

La musique du film crée une atmosphère hypnotique, onirique. Comment s’est déroulé le travail sur la bande sonore et quelle était l’intention derrière cette approche musicale ?

SS : Depuis le début du projet de film, je souhaitais faire appel à la compositrice et harpiste Sarah Pagé dont j’ai connu le travail quand elle collaborait avec la chanteuse Lhasa. J’ai été honorée qu’elle accepte de composer la musique d’Orbites. Je savais que nos univers allaient merveilleusement fonctionner ensemble. C’est à partir des rushes que je lui envoyais au fur et à mesure des numérisations pendant qu’elle était en résidence au Japon que Sarah travaillait sur la musique du film. Pendant que je commençais le montage image, elle m’a proposé une première mouture qui m’a totalement séduite. On a gardé cette base originale à la harpe électronique qu’elle a par la suite agrémenté d’autres sons. J’avais le désir que le public se sente enveloppé par le film. Je voulais que la musique nous invite dans la bulle de Marie-Christine pour qu’on passe un moment avec elle. Son travail musical est combiné à celui du concepteur sonore Andrés Solis Barrios qui a fait un travail remarquable lui aussi. J’ai donné comme consigne à Andrés de travailler à partir de sons caressant et duveteux. Il a également travaillé avec une gamme de sons maritimes et lunaires très subtils, à peine perceptibles, qui ajoutent énormément à l’atmosphère poétique dont je rêvais pour ce film.

Comment s’est déroulé le processus de montage ? Y avait-il beaucoup d’extraits de l’interview que tu as choisi de ne pas intégrer ?

SS : Le montage a été un grand défi pour moi, pour une raison technique : le laboratoire avec lequel je travaillais pour le développement des pellicules a eu un bris de machine. Une grande partie de mes images m’a donc été livrée avec… trois mois de retard ! Ce qui veut dire que j’ai fait mon montage-image dans un premier temps avec très peu de footage. En attendant, j’ai dérushé le son et j’ai beaucoup travaillé le montage son pendant ces trois mois. Cette contrainte technique s’est finalement révélée intéressante parce que j’ai pu travailler en profondeur le propos du film par l’agencement des voix. J’ai finalement fait le montage-image sur les deux dernières semaines avant le calendrier de post-production. Ça a été un gros rush pour moi et mes collaborateur·ices mais on a su s’adapter.

Comment perçois-tu les différences entre les milieux du cinéma, et en particulier du court métrage, au Québec et en France ?

SS : Ce qui me plaît au Québec, c’est qu’il y a un champ des possibles immense pour qui souhaite devenir artiste. Je suis autodidacte et je n’ai pas de diplôme qui me valide en tant qu’artiste. Mon expérience personnelle me laisse penser qu’il est plus difficile en France d’être considéré·e comme artiste si on n’a pas fait les Beaux-Arts, une haute école ou si une institution réputée ne nous a pas dit « C’est bon, tu es artiste ». Le milieu de l’art y est très académique et très élitiste. Au Québec, artiste est un métier. En France, c’est différent, la perception de l’artiste me semble souvent erronée. À Montréal et au Québec en général, on trouve une communauté de cinéastes hyper vibrante. Les sphères du cinéma documentaire et du cinéma expérimental que je côtoie sont « tissés-serrées » comme on dit ici. Le mentorat est très développé au Québec, tout comme le réseautage. On se rencontre, on collabore, on s’engage plus facilement qu’en France, selon moi. On se sent plus vite à sa place dans le milieu du cinéma et notamment du court-métrage. Et puis, les Conseils des arts qui octroient des subventions permettent de réaliser des films sans forcément devoir dépendre d’une boîte de production, ce qui me semble assez rare en France.

Quel rôle joue le festival Regard dans la diffusion et le parcours du film Orbites ?

SS : Regard présente la première mondiale du film. Je suis extrêmement heureuse qu’elle ait lieu dans ce festival dans lequel je me rends pour la toute première fois. J’en ai entendu énormément de bien. Regard offre justement beaucoup d’opportunités de rencontres nationales et internationales et il présente des films de cinéastes dont j’adore le travail. Et puis symboliquement, j’aime le nom de ce festival que je perçois comme un écho paradoxal à mon court-métrage qui aborde la cécité. D’ailleurs, le lendemain de la projection à Regard, je présenterai une projection spéciale d’Orbites en vidéo-description dans une bibliothèque en marge du festival pour un public de personnes aveugles et malvoyantes.

Propos recueillis par Bianca Dantas

Article associé : la critique du film

Festival Format Court 2025, La programmation et les invités !

Ça y est ! Nous sommes ravis de vous annoncer le programme complet du Festival Format Court 2025, qui démarre le mercredi 2 avril au Studio des Ursulines (Paris 5e). Cette année encore, nous célébrons du mercredi 2 au dimanche 6 avril la créativité et l’innovation cinématographique avec la présence de nombreux invités (jurys & équipes de film). De très nombreux professionnels sont attendus pendant ces 5 jours de festival !

Le festival s’annonce intense avec 4 séances de compétitions ainsi que 4 séances thématiques, sous le parrainage de Vincent Macaigne. La soirée de clôture, avec l’annonce du palmarès, promet d’être un autre temps fort de cette 6ème édition.

Restez informé des dernières nouvelles et mises à jour sur nos réseaux sociaux. Le catalogue de la manifestation est disponible et téléchargeable dès maintenant.

Programmation

Ouverture du festival. Focus Parrain : Vincent Macaigne, mercredi 02 avril à 18h30, en sa présence. Billetterie sur place et en ligne.

Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne, fiction, 39′, 2011, France, Kazak Productions, Grand Prix, Prix de la presse Télérama et Mention spéciale du Jury jeunes au Festival de Clermont-Ferrand 2012, nommé au César du meilleur court-métrage 2013

Un monde sans femmes de Guillaume Brac, fiction, 57′, 2011, France, Année Zéro, Nonon Films, Prix du meilleur court-métrage 2011 décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma, Grand Prix Europe et prix Cinécinéma au Festival de Brive en 2011, nommé au César du meilleur court-métrage 2012


Compétition 1, mercredi 02 avril, 21h. Billetterie sur place et en ligne

Adieu tortue de Selin Öksüzoğlu. Fiction, 24’, France, 2024, Apaches films, Préludes, Sis Films. Sélectionné au Festival de Berlin 2024

Better than Earth de Sherif El Bendary. Fiction, 23’, Égypte, Suède, France, 2024, Fikra, Les Cigognes Films, Studio Africa Films. Sélectionné au Festival du Film Francophone de Namur 2024

Miracle à Maiori d’Anouk Baldassari-Phéline. Documentaire, 30’, Italie, France, 2024, autoproduction. Première du film. En présence de la réalisatrice et d’Antoine de Baecque critique et directeur de thèse

Qu’importe la distance de Léo Fontaine. Fiction, 18’, France, 2023, Offshore. Sélectionné au Brussels Short Film Festival 2024. En présence du réalisateur, de la comédienne Sylvia Homawoo et des producteurs


Rencontre professionnelle. Atelier de la SRF (complet !), jeudi 03 avril, 15h30, Mairie du 5è : « La collaboration entre compositeur, superviseur musical et cinéaste : de la rencontre à la création ». Intervenants : Valentin Hadjadj (compositeur), Varda Kakon (superviseuse musicale), Stéphane Ly-Cuong (cinéaste) et Michel Petrossian (compositeur). Atelier animé par Quentin Lazzarotto et Bojana Momirovic (cinéastes membres de la SRF).

Atelier gratuit, dans la limite des places disponibles
Réservations obligatoires : coordinationformatcourt@gmail.com
– Merci d’indiquer votre nom et prénom et de préciser si vous êtes membre ou non de la SRF


Carte blanche Ville de Paris, jeudi 03 avril à 18h30. Billetterie sur place et en ligne

C’est dimanche ! de Samir Guesmi, fiction, 30′, 2008, France, Kaléo Films. Prix du public au Festival de Clermont-Ferrand 2008. En présence du réalisateur

Negative space de Max Porter & Ru Kuwahata, France, 2017, 6’, Animation, 5’, France , 2017, Ikki Films. En lice pour l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation 2019

Cola de León de Sonia Franco, Fiction, 22’, France, 2023, Micro climat studios. Sélectionné au Seattle Latino Film Festival 2024. En présence de la réalisatrice

L’heure de l’ours de Agnès Patron. Animation, 14’, France, 2019, Sacrebleu Productions. César du meilleur court-métrage d’animation 2021. En présence de la réalisatrice

Joana dans l’univers de Jonathan Millet, Fiction, 20’, France, 2023, Films Grand Huit. Sélectionné au Festival Côté Court 2024. En présence du producteur Jules Reinartz


Compétition 2, jeudi 03 avril, 21h. Billetterie sur place et en ligne

À Marée haute de Camille Fleury. Fiction, 30’, France, 2024, Les 48° Rugissants. Sélectionné au FIFIB 2024. En présence du producteur Victor Thomas, de la comédienne Luna Hô Poumey et du comédien Maxime Roy

Esquisse d’Albert d’Hugues Perrot. Fiction, 17’, France, 2024, Hippocampe Productions. Première du film. En présence du réalisateur et du producteur Jordane Oudin

1 Hijo & 1 Padre d’Andrés Ramírez Pulido. Fiction, 25’, France, Colombie, 2024, Alta Rocca Films, Valiente Gracia. Sélectionné au festival de Locarno 2024

La Fille qui explose de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Animation, 19’, France, 2024, Atlas V. Sélectionné au festival de Locarno 2024. En présence des réalisateurs

Car Wash de Laïs Decaster. Documentaire, 13′, France, 2024, Lorca Productions. Prix Jean Vigo du court-métrage 2024. En présence de la réalisatrice (sous réserve)


Rencontre professionnelle. Table ronde réalisateur·ices & producteur·ices (complète !), vendredi 4 avril à 15h30, Mairie du 5è (Salle Agora) : « Écriture, développement, réseautage : comment construire son parcours et son projet jusqu’au dépôt aux aides sélectives ». Intervenants :  Morad Kertobi, chargé de mission court métrage et première œuvre au CNC, échangera avec la réalisatrice Cristèle Alves Meira et le producteur Lionel Massol (Films Grand Huit)

Atelier gratuit, dans la limite des places disponibles
Réservations obligatoires : coordinationformatcourt@gmail.com


Focus Festival de Rotterdam, vendredi 4 avril à 19h. En présence de la programmatrice Rebecca de Pas. Billetterie sur place et en ligne

Deluge de Meejin Hong, animation, 12′, 2024, États-Unis, autoproduction.

I wan’na be like you de Margit Lukács et Persijn Broersen, animation, expérimental, 13’, 2024, autoproduction, Pays-Bas, France, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne. En présence de la réalisatrice Margit Lukács

My Brother, My Brother de Abdelrahman et Saad Dnewar, animation, 19′, 2024, Égypte, Allemagne, France, Punchline Cinéma, Dnewar Films, Milkman Films. Mention spéciale au Festival de Clermont-Ferrand 2025. En présence du réalisateur Abdelrahman Dnewar

Commute de Henry Hills, expérimental, 9′, 2024, autoproduction, Autriche, République Tchèque

Père et fille de Quentin Papapietro, fiction, 36′, 2024, France, Le plein de super, 10:15 Productions !. En présence du réalisateur et du producteur Julien Naveau


Compétition 3, vendredi 04 avril à 21h. Billetterie sur place et en ligne.

« Adieu Emile »

Sous le gel de Glasgow de Léo Devienne. Fiction, 30’, France, 2024, Dirty Tools, Zayanfim. Première du film. En présence du réalisateur et des comédiens Louise Ferry et Gaël Kamilindi

Mille moutons d’Omer Shamir. Fiction, 24’, France, 2024, La Cellule Productions. Sélectionné au festival de Clermont-Ferrand 2025. En présence du réalisateur

Une fille comme toi de Nathalie Dennes. Fiction, 19’, France, 2024, The Living, Kalpa Films. Sélectionné au festival d’Amiens 2024. En présence de la réalisatrice et du producteur Tristan Bergé

Adieu Émile d’Alexis Diop. Fiction, 25’, France, 2024, Barney Production, Remembers. Sélectionné au FIFIB 2024. En présence du réalisateur, de la productrice Judith Abitbol et des comédiens Benjamin Sulpice et Arthur Beaudoire


Masterclass Boris Lojkine, samedi 05 avril à 19h. Billetterie sur place et en ligne

© Marie-France Coallier

La toute première Master Class de Format Court aura comme invité Boris Lojkine, réalisateur et co-scénariste de L’Histoire de Souleymane, qui a obtenu deux prix à Cannes dans la section Un Certain Regard (Prix du jury, prix du meilleur acteur pour Abou Sangaré). Il a également obtenu quatre récompenses aux César : meilleur scénario original, meilleur montage, révélation masculine pour Abou Sangaré et meilleure actrice dans un second rôle pour Nina Meurisse.


Compétition 4, samedi 05 avril à 21h. Billetterie sur place et en ligne

Comment savoir…? de Joachim Larrieu. Fiction, 18’, France, 2023, J’ai grandi ici. Sélectionné au FIFIB 2024. En présence du réalisateur

Crave de Mark Middlewick. Fiction, 12’, France, Afrique du Sud, 2023, Jabu-Jabu, Rikiki Films. Sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand 2024. En présence du comédien Thimotée Robart

The Oasis I deserve d’Inès Sieulle. Documentaire, expérimental, animation, 22’, France, 2024, Too Many Cowboys. Présélectionné au César du meilleur court-métrage documentaire 2024. En présence de la réalisatrice

Chère Louise de Rémi Brachet. Fiction documentaire, 24’, France, 2024, Mabel Films. Sélectionné au Festival Cinémed 2024. En présence du réalisateur et de la productrice Joséphine Moularque

TAPAGE de Joséphine Madinier. Fiction, 25’, France, 2024, Les Films du bazar. Sélectionné au Festival Que du Feu 2024. En présence de la réalisatrice


Focus David Lynch, dimanche 06 avril, 16h30. Séance présentée par Marcos Uzal, Rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Billetterie sur place et en ligne

© Frédéric Atlan – La Cinémathèque française

Six Men Getting Sick de David Lynch, expérimental, 4′, 1967, États-Unis

The Grandmother de David Lynch, fiction, 34’, 1970, États-Unis

Out Yonder : Neighbor Boy de David Lynch, fiction, 11’, 2006, États-Unis

The Darkened Room de David Lynch, expérimental, 12’, 2006, États-Unis

Boat de David Lynch, expérimental, 8’, 2006, États-Unis

The Alphabet de David Lynch, expérimental, 4’, 1968, États-Unis


Remise des prix, Dimanche 06 avril, 19h. En présence des jurys et lauréats (en entrée libre)


En pratique

– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

– Billetterie relative au festival sur place et en ligne
– Tarifs : 8,50€. Réduit : 7€. Masterclass Lojkine : 5€. Carte UGC illimité, carte des Cinémas Indépendants Parisiens + carte Pathé (CinéPass) + toutes les contremarques acceptées par le cinéma
Achats en ligne majorés de 0,40€ par place (frais de gestion)

Festival Format Court, table ronde réalisateur·ices & producteur·ices

Cette année, le Festival Format Court a mis en place des nouveaux rendez-vous professionnels : le Lab, l’atelier SRF autour des interactions entre compositeurs, superviseurs musicaux et cinéastes, mais également une table ronde à destination des réalisateur·ices et producteur·ices. Le thème retenu pour cette première rencontre est : « Écriture, développement, réseautage : comment construire son parcours et son projet jusqu’au dépôt aux aides sélectives ».

Chaque année, un nombre très important de projets de courts-métrages se voient refuser les aides sélectives (régions, CNC…) permettant de financer son film. Le CNC constate, à travers l’expertise artistique des professionnels qui siègent au sein des commissions d’aides sélectives, qu’en grande partie, les dossiers reçus sont inaboutis : le dépôt peut être prématuré, l’auteur ou le producteur précipitent fréquemment des candidatures où l’on sent que le scénario et la trajectoire globale du projet ne sont pas suffisamment mûrs.

Il est certes question d’écriture et de réécriture, de lisibilité du projet et de ses intentions, mais également du parcours du cinéaste et/ou du producteur qui l’accompagne.

Lors de cette table ronde basée sur l’interaction avec le public, organisée le vendredi 4 avril prochain à 15h30 à la Mairie du 5è (Salle Agora), Morad Kertobi, chargé de mission court métrage et première œuvre au CNC, échangera avec la réalisatrice Cristèle Alves Meira et le producteur Lionel Massol (Films Grand Huit) qui partageront leurs expériences personnelles : les débuts, les premières demandent d’aides, l’intégration au réseau, la construction d’un parcours.

Entre informations et conseils, cette table ronde a pour vocation de préciser les facteurs essentiels qui impactent les chances de succès des projets de courts-métrages candidats aux aides sélectives, notamment du CNC.

En savoir plus sur nos invités

Comédienne de formation, Cristèle Alves Meira est d’abord metteuse en scène de théâtre. Elle a mis en scène Les Nègres, Splendid’s de Genet, Vénus de Suzan-Lori Parks au théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Elle réalise un premier documentaire au Cap-Vert, Som & Morabeza, où elle se pose la question de l’immigration dans les milieux lusophones en Afrique à travers le thème de la musique ; puis, sous le prisme de la jeunesse angolaise pour traiter de ses réalités sociales avec Born in Luanda.

Elle réalise ensuite deux courts métrages de fiction, un film d’été et un film d’hiver, dans le village de sa mère au Portugal : Sol Branco sélectionné dans de nombreux festivals puis Campo de Víboras, sélectionné entre autres au Festival de Cannes à la Semaine de la Critique en 2016 où elle revient en 2019 avec Invisível Herói qui remporte au Festival de Clermont-Ferrand le Prix du Meilleur Film Européen. Son dernier court-métrage Tchau Tchau est sélectionné entre autres à Clermont-Ferrand 2021.

Son premier long métrage intitulé Alma Viva a été sélectionné à La Semaine de la Critique en 2022 et représente le Portugal aux Oscars en 2023. Il est sorti en salle au Portugal en octobre 2022 et en France en avril 2023 ainsi qu’à l’étranger (Suisse, Belgique, Espagne, Mexique, Brésil…). Elle développe actuellement son deuxième long-métrage Joe en co-production entre la France (les Films Pelleas, Take Shelter) et le Portugal (O Som e a Furia). Elle se prépare à tourner un prochain court-métrage Le Cri du Diable en France.

Diplômé de L’École des Gobelins, Lionel Massol commence à travailler à 21 ans en tant que chargé de production dans différentes sociétés de production cinéma. Il s’y découvre un réel intérêt pour la gestion au quotidien d’une société, le développement, le financement et l’accompagnement des auteurs. Sur le plan de la fabrication, il se spécialise dans la direction de post-production. En 2015, Lionel créé Films Grand Huit avec Pauline Seigland, rencontrée pendant ses études. En un peu plus de 7 ans, ils produisent une trentaine de courts-métrages sélectionnés dans les plus grands festivals internationaux (Semaine de la Critique, Locarno, Telluride, Venise, Toronto, Rotterdam, Palm Springs, Annecy, etc.). L’un de leurs films remporte le European Film Award du court-métrage en 2018, un autre le César du court-métrage 2019 et en 2022, deux autres de leurs films remportent le César du meilleur court de fiction et celui du meilleur court documentaire. Un de leurs courts a été shortlisté aux Oscars et deux ont été nommés aux Annie Awards. La société a remporté le Prix du jeune producteur France Télévisions en 2018 et le Prix Procirep du meilleur producteur de courts métrages en 2021. Aujourd’hui, ils accompagnent les réalisateurs.rices (Giacomo Abbruzzese, Jonathan Millet, Camila Beltrán, …) dont ils ont produit les courts vers le long métrage.

Morad Kertobi est chargé de mission au CNC. Après avoir géré plusieurs mécanismes d’aide (programmes audiovisuels, aide au développement de scénarios de long métrage), et animé le Département Court métrage, il est actuellement en charge de l’accompagnement des auteurs émergents du court métrage.

En pratique

– Atelier complet
– Atelier gratuit dans la limites des places disponibles
– Vendredi 4 avril 15h30, Mairie du 5e (salle Agora)
– Réservations sur : coordinationformatcourt@gmail.com