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Mili Pecherer : « Sans contraintes, tout est possible et donc impossible »

Sur la terrasse d’un café fermé à Berlin, on est allé à la rencontre de Mili Pecherer, la réalisatrice du court-métrage d’animation Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, présenté en compétition à la Berlinale cette année. Le film renouvelle le sujet de l’arche de Noé comme dernier refuge de l’humanité et programme de réinsertion professionnelle minutieusement planifié. La réalisatrice israélienne basée à Marseille nous a raconté son travail et ses inspirations et, en nous transmettant ses connaissances et sa passion sur un tas de différents sujets.

Format Court : Comment as-tu fait tes premiers pas dans le cinéma, qu’est-ce qui t’a intéressé en premier ?

Mili Pecherer : J’ai commencé par étudier à Jérusalem, mais il n’y a pas beaucoup de moyens comme en France. Il fallait faire un film et je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire. Je partais à l’aventure avec ma caméra et c’est devenu un documentaire, sans faire exprès. C’est aussi comme ça que je suis devenue le personnage principal de mes films, parce qu’il n’y avait que moi avec ma caméra et le monde que je rencontrais.

Comment es-tu passée du documentaire à l’animation ? Est-ce que tu as choisi l’animation en fin de compte ?

M.P. : En réalité je ne choisis jamais, je ne sais pas choisir. J’ai fait le Fresnoy, une école en deux années où il fallait créer un projet par an. La première année, j’ai fait un documentaire, et la deuxième, le Ministre de la Culture a imposé qu’on travaille avec de nouvelles technologies. Sur le coup, c’était chiant mais c’était aussi un défi, et puis je me suis dit qu’une nouvelle technique pouvait changer ma vie donc je l’ai pris au sérieux. Je pense que l’animation, c’est beaucoup plus de souffrance mais aussi de beauté par rapport au documentaire. En ce moment, je travaille sur un documentaire et d’un coup, le monde me paraît un peu plus fade. J’essaie de trouver un entre-deux.

Quelle est la technique d’animation que tu as préféré utiliser ?

M.P. : Quand j’ai basculé dans l’animation, j’ai cherché une technique qui pouvait préserver un peu cet univers, ce hasard que j’avais dans le documentaire et j’ai l’impression que le jeu vidéo me donne cette idée. Et puis, écrire des scénarios, ça me fait très peur. Un jeu vidéo, ce n’est pas compliqué, il y a juste à écrire les règles et après, je fais ce que je veux.

Comme c’est difficile pour toi, comment as-tu fait pour écrire Nous ne serons pas les derniers de notre espèce ?

M.P. : J’avais pris beaucoup de notes sur l’arche de Noé, et après, j’ai basculé sur l’aspect technique. Mes restrictions techniques nourrissent ce que je peux faire au point de vue de la narration, et inversement. J’ai lu l’histoire biblique comme des règles d’un jeu, en me créant un cadre de contraintes. Parce que sans contraintes, tout est possible et donc tout est impossible… d’une certaine manière. C’était un peu compliqué parce que c’est l’histoire la plus connue et la plus travaillée, et il fallait que je me trouve un petit coin où je sois à l’aise, où je puisse chercher mes propres interrogations contemporaines.

Comment as-tu travaillé l’animation de ton film?

M.P. : La première chose qu’on a faite, c’est l’arche. Eliav Varda a fait la 3D en tant qu’architecte design, mais elle était toute blanche. Il a fallu trouver quelqu’un qui fasse les textures, les lumières. On a trouvé quelqu’un à Londres, qui a choisi le logiciel sur lequel on a travaillé : Unreal Engine.

Moi, je ne sais pas faire d’animation. Il me fallait donc un développeur, quelqu’un qui traduise mes idées à l’ordinateur. J’essaie de travailler avec des logiciels de jeux vidéo, ce qu’on appelle du real time engine, parce que tu n’as pas de rendu : tu as un logiciel, un univers, et tout ce que tu mets dedans, tu le vois tout de suite. Dans cet univers de jeu vidéo, il y a d’immenses marchés virtuels d’objets. Je suis allée dans un magasin d’animaux, avec des animations intégrées. En voyant les possibilités des avatars, cela a nourri la façon dont je voulais raconter l’histoire.

Finalement, d’où est né ce projet ?

M.P. : Je n’avais aucune idée que j’allais faire ce film, j’avais juste promis que j’allais faire un film sur l’arche de Noé au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris. C’était une installation faite pour la Nuit blanche, et il y avait l’écran principal avec le film, et sur les côtés, des fenêtres comme dans un bateau donnant sur la mer, avec l’impression pour le spectateur d’être lui aussi sur l’arche.

Comment as-tu choisi les personnages de ton arche ?

M.P. : J’ai rapidement su que l’histoire du corbeau et du pigeon m’intéressait, parce qu’on connaît tous l’image de la colombe, mais en hébreu, l’écriture est plus vague et donc sujette à plus d’interprétations : l’oiseau pourrait aussi ien être une colombe qu’un pigeon. Dans la Bible, il est écrit que cela fait longtemps qu’ils sont tous coincés dans l’arche, et que Noé veut savoir si les eaux ont baissé et si la vie va reprendre. Il dit une seule phrase très énigmatique, avec un corbeau qui fait des aller-retours sans cesse, sans accomplir sa mission. De l’autre côté, il y a la colombe, qui elle arrive à l’accomplir. La révolte du corbeau est énigmatique et un peu oubliée dans cette histoire, et je me suis dit que je le voulais comme personnage.

Il me fallait d’autres animaux, et il est écrit dans le texte qu’il y a des animaux purs et impurs. J’essayais de comprendre ce que ça voulait dire. Je suis juive donc je me suis dit que ça voulait dire casher. C’est pour cette raison que j’ai choisi des poules, des vaches et des canards.

En parlant des animaux, pourquoi as-tu choisi de sous-titrer le langage des animaux ?

M.P. : J’avais vu ça dans le film Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et gros) de Pasolini. Dedans, des oiseaux parlent avec des moineaux, et il y a aussi un corbeau qui parle avec un être humain. Tout est sous-titré. Et puis j’avais aussi envie de donner aux animaux une place réelle. J’avais aussi ce petit fantasme, parce que j’ai toujours vécu dans des villes et que je n’ai pas ce contact que j’aimerais avoir avec eux. Je trouve du plaisir à passer du temps avec des animaux, même s’ils ne sont pas réels, ils sont un peu de la même substance. Et puis ça nous rend égaux, moi quand je parle francais, je suis aussi sous-titrée par exemple.

Comme tu l’as expliqué, tu es le personnage principal de tes films. Dans Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, il y a le personnage central de cette femme seule, mais aussi entourée d’animaux, dans le Département des Purs. Elle cherche d’abord un sens à sa mission puis finit par s’y soumettre. Comment as-tu décidé de traiter ce personnage et pourquoi de cette manière ?

M.P. : Je n’arrivais pas à trouver ma place dans l’arche, et une amie, Cindy Coutant, m’a beaucoup aidée. On s’est retrouvées, je lui ai lu toutes mes notes, et elle m’a fait une sorte de psychothérapie de film. À ce moment-là, je travaillais sur un chantier d’insertion parce que j’étais au RSA (Revenu de Solidarité Active, qui assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu qui varie selon la composition du foyer) pendant un moment et que Pôle Emploi m’avait dit qu’ils allaient me le couper. J’ai essayé d’expliquer que j’étais artiste et que ce n’était pas toujours évident, ce à quoi ils ont répondu : “Oui Madame, mais il y a la passion, et il y a ce qui met la nourriture dans le frigo… il faut trouver un vrai métier” (ndlr: référence à la “nourriture dans le frigo” répétée plusieurs fois par l’oiseau dans le film pour convaincre la femme de faire son travail sans poser de questions) .

Le seul travail que j’ai trouvé, c’était un chantier d’insertion. J’étais sûre que j’allais devenir menuisière, que j’avais trouvé un “vrai” travail. Pour notre chef, le truc le plus important, c’était de nous apprendre à être des êtres humains et à nous insérer dans la société. On doit arriver à l’heure, en uniforme, ne pas poser trop de questions, remplir nos tâches sans comprendre ce qu’on fait, sans distinction. La plupart des gens qui m’entouraient étaient des immigrants, des gens de tous les coins du monde et de toutes les religions. Mais il y avait un grand principe où il fallait qu’on soit tous pareils.

Mon amie Cindy m’a dit : “Tu sais, j’ai l’impression que ton arche, c’est un chantier insertion”. Ça a bien matché, parce que l’arche de Noé c’est aussi une histoire d’obéissance, où Noé est choisi par Dieu pour construire une arche sans pouvoir poser de questions. Il y a un seul personnage qui n’obéit pas – le corbeau, et sa place est si petite qu’on l’oublie.
Je me suis demandé : « Comment ça se fait que ces animaux qui étaient sauvages ont répondu à l’appel de l’homme pour monter sur cette arche ? Parce que c’est la fin du monde ? Est ce qu’ils sont même capables de le comprendre ? ». Et puis j’ai fait le lien. L’appel pour l’arche, ce serait celui de Pôle Emploi, qui leur promet que s’ils obéissent, leur vie sera plus confortable.

Ton film soulève aussi cette question : est-ce que ça a vraiment du sens de s’inquiéter pour son salaire alors que c’est la fin du monde ?

M.P. : C’est possible qu’on soit dans la même situation, parce qu’on nous dit aussi que la fin arrive, mais notre préoccupation principale reste quand même nos heures supplémentaires. On est dans un paradoxe où par exemple tu sais que le plastique, ce n’est pas bien, que tu dois être responsable dans ta consommation, mais quand tu vas au supermarché, tu es seule à résister à ça. Si tu dois te révolter, tu es seule et tu dois choisir seule.

Dans ton film, la recherche du sens puis l’abandon prend une place très importante., Avec cette voix des hauts-parleurs, cette espèce de dieu du patronat, tu installes une vision plutôt négative, non?

M.P. : Cette voix dans les hauts parleurs, c’est le manager de ce projet arche d’insertion au monde. J’ai un peu mis Dieu de côté, et j’imagine plus la voix comme celle de Noé, le grand chef qui commande tout depuis sa cabine. La vision est aussi assez négative dans la Bible. Il est écrit que quand Noé sort de l’arche, il construit un autel pour Dieu, et il sacrifie quelques animaux qu’il vient de sauver. Dieu passe et sent l’odeur, ça lui fait plaisir mais il comprend que l’homme est mauvais par nature. Cet autel, je l’ai transformé en barbecue dans mon histoire, et à la fin tous ceux qui ont obéi, ils finissent au barbecue construit par le personnage principal.

Pourquoi cet intérêt pour le texte biblique, que tu as déjà traité dans différents courts ?

M.P. : La Bible, c’est un livre incroyable que j’ai découvert ces dernières années. En hébreu, c’est écrit d’une manière tellement étrange et poétique que chacun peut l’interpréter comme il veut. Dans la tradition, c’est un livre que tu dois lire chaque année, chaque histoire va te retrouver dans un autre moment de ta vie et tu peux t’y identifier différemment.

C’est vrai qu’avant Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, j’ai traité l’histoire du sacrifice d’Isaac dans Ce n’était pas la bonne montagne, Mohammad, projeté aussi à la Berlinale il y a quatre ans. C’était la première fois que je faisais de l’animation et que j’interprétais la Bible. Le résultat ne m’a pas trop plu, c’était trop dramatique, et j’en ai fait une autre version. Dans cette histoire aussi, il est question d’obéissance. Dedans, je suis une bergère dans le désert qui se promène avec son troupeau de béliers. Petit à petit, ils meurent, et le dernier va être sacrifié par Dieu pour sauver Isaac. C’est une happy end, et en même temps pas vraiment.

Alors ton choix de titre, Nous ne serons pas les derniers de notre espèce c’est plutôt ironique, non ?

M.P. : J’imagine, parce qu’ils meurent tous à la fin (rires) ! J’ai été inspirée par une phrase de Yuval Noah Harari. Pour lui, un rhinocéros rare, à moins d’être en voie d’extinction, n’est pas moins content qu’un veau qui reste sa vie dans une petite boîte pour se retrouver dans notre assiette. Pour le veau, d’un point de vue évolutionnaire, il a gagné. Mais pour l’individu, une vache seule, c’est beaucoup de souffrance. Il s’agit de la grande question : est ce que cela vaut la peine de survivre à tout prix ?

Est-ce que tu peux nous parler de projets à venir?

M.P. : Comme je te l’ai dit, avant de faire ce film, je suis allée en chantier d’insertion. Ça me semblait tellement absurde que je me suis dit que peut-être, il faudrait aller au travail avec une caméra. C’est un peu la version documentaire de l’animation mais dans la vraie vie. J’ai accroché une caméra sur mon corps avec un harnais. Comme je n’intéressais personne dans mon équipe, on m’a dit : “Pourquoi pas ?”.

C’est dur de faire un film, avec la charge mentale. Mais la chose qui m’a poussée, c’est que mon chef ne m’aimait pas trop et m’a mis en binôme avec un autre gars de l’équipe, un menuisier de soixante ans un peu usé de la vie, mais très sympa avec moi et totalement conspirationniste. Il m’expliquait que Brigitte Macron était un homme, que les franc-maçons ont construit les pyramides, etc. Un jour, il m’a demandé si je voulais vraiment devenir menuisière. Ça faisait déjà un moment que je prenais des notes sur l’arche de Noé sans savoir que j’allais faire une animation, et je lui ai dit en blaguant que si dieu me choisissait pour construire une arche avant le déluge, il faudrait que je sache utiliser une visseuse. Lui, il est un peu habitué à ce genre de récits, alors il m’a répondu qu’il était d’accord pour m’aider à construire. C’était très touchant parce que les adultes d’habitude disent : “arrête tes conneries”. Là ça m’a un peu réconciliée avec les conspirationnistes parce qu’il y a une dimension de fantaisie qui est bien dans tout ça. Ça peut permettre d’autres choses qu’une vision rationnelle de la vérité. Et c’est avec cette rencontre entre autres que je me suis dit : « Il faut vraiment que je filme ici ».

Un dernier mot ?

M.P. : Que la fin arrive… (rires) !

Propos recueillis par Amel Argoud

Article associé : la critique du film

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Festival Format Court 2024. Carte blanche Ville de Paris

La 5ème édition du Festival Format Court se tiendra du 25 au 28 avril prochain au Studio des Ursulines (Paris 5). Une compétition de 19 courts-métrages et différents programmes thématiques, dont un focus dédié à la Ville Paris, seront proposés au public et aux professionnels.

Pour la deuxième année consécutive, le festival programme une carte blanche consacrée au Fonds court métrage de la Ville de Paris. Cette séance aura lieu le vendredi 26 avril prochain à 18h30 au Studio des Ursulines.

Après avoir dédié une séance aux femmes cinéastes l’an passé en présence de 3 réalisatrices (Brigitte Sy, Aurélia Morali et Jawahine Zentar), le thème sera axé cette année autour des liens familiaux. Cette nouvelle projection se déroulera en présence de nombreux invités : Jeanne Herry, Mariame N’Diaye et son producteur Léonard Héliot (Golgota Productions), Karine Blanc, Vibirson Gnanatheepan, Alexey Evstigneev et ses producteurs Clémence Crépin Neel, Igor Courtecuisse (Moderato) et Yanna Buryak (Mimesis), Jean-Paul Salomé et Judith Nora, membres du fonds de soutien de la Ville de Paris, ainsi que Carine Rolland, adjointe à la Maire de Paris en charge de la culture et de la ville du quart d’heure.

Cette séance confirme également le soutien de la Ville de Paris qui devient cette année partenaire officiel du festival. La billetterie est accessible sur place mais aussi en ligne (conditions tarifaires en bas de page).

Programmation

Marcher de Jeanne Herry. Fiction, 2009, France, Égérie Productions, Onyx Films. Sélectionné au Festival Premiers Plans d’Angers 2009. En présence de la réalisatrice

Une femme va devenir grand-mère. Dans son quotidien rien n’a changé, et pourtant ! Comme chaque semaine, cette actrice reconnue se rend à pied à son cours d’Anglais. En chemin, et tandis que les rencontres inattendues se succèdent, elle mesure à quel point la naissance imminente de l’enfant de son enfant l’habite.

Langue Maternelle de Mariame N’Diaye (France). Fiction, 24′, 2023, France, Golgota Productions. En compétition au Dakar Court Short Film Festival 2023. En présence de la réalisatrice et du producteur Léonard Héliot

Dans les années 80, Sira, jeune femme malienne de 26 ans, mène en France une existence paisible entre son mari Malick et sa fille Abi 6 ans. Son quotidien se vit en soninké, la seule langue qu’elle connaisse. Mais Abi parlant mal français, l’école propose de l’orienter vers une classe d’adaptation et invite les parents à privilégier l’usage du français à la maison. Sira s’y oppose.

Planter les choux de Karine Blanc. Fiction, 18′, 2013, France, Takami Productions. En compétition au Festival du court-métrage méditerranéen de Tanger 2014. En présence de la réalisatrice

Julie a un rendez-vous important aujourd’hui. Elle a un bébé aussi, et pas de place en crèche. Elle a tout prévu sauf les caprices d’un ascenseur fatigué et un tête à tête singulier avec
son futur employeur.

Father’s Letters d’Alexey Evstigneev. Animation, 12′, 2023, France, Russie, Moderato, Mimesis. Sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand 2024. En présence du réalisateur et des producteurs Clémence Crépin Neel, Igor Courtecuisse et Yanna Buryak

Un jour d’hiver 1934. Le professeur Vangengheim, météorologue, membre du Parti et victime des purges staliniennes, est conduit au goulag sur les Îles Solovki. Pour protéger sa fille Elya, il prétend être en voyage d’exploration, lui envoyant des lettres et herbiers des îles.

Anushan de Vibirson Gnanatheepan. Fiction, 24’, France, 2023, Bien ou Bien Productions, (SIC) Pictures. Sélectionné au Festival Cinébanlieue 2023. En présence du réalisateur

Anushan est un adolescent de treize ans et fils unique d’une famille tamoule. Alors qu’il renie sa culture et ignore l’histoire de son pays d’origine, il se retrouve à partager sa chambre pour quelques jours avec son oncle arrivé du Sri Lanka.


En pratique

Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

Billetterie sur place et en ligne

Tarifs : plein : 8,50€, réduit : 7€. Cartes UGC Illimité et cartes de fidélité des Cinémas Indépendants parisiens acceptées. Achats en ligne majorés de 0,40€ par place (frais de gestion)

Alice Douard. L’importance des représentations

À l’occasion de la 49ème cérémonie des César, Alice Douard a remporté le César du meilleur court-métrage de fiction pour son film L’Attente. Mettant en scène Clothilde Hesme et Laetitia Dosch, il déploie l’histoire de Céline qui attend l’arrivée de son premier enfant à la maternité. C’est Jeanne, sa compagne, qui va le mettre au monde. La nuit, dans le hall de l’hôpital, elle fait la connaissance d’hommes qui, comme elle, attendent.

Marie Boitard (Les Films de June), Alice Douard © Caroline Dubois

Format Court : D’abord, félicitations pour le César. Qu’est-ce que ça fait de recevoir un tel prix, on ressent plus de pression ou d’excitation ?

Alice Douard : On ressent un mélange des deux. Avoir un César, ça fout un peu la pression c’est sûr, on a l’impression de devoir remplir une certaine attente mais ça aide aussi beaucoup, notamment pour les financements.

Justement, comment s’est passé le financement de L’Attente ?

A.D : C’est le film pour lequel j’ai eu le plus de financements. En règle générale, je n’ai que le financement d’une région pour faire mes films, j’ai toujours dû composer avec un budget assez serré. Mais cette fois-ci, on a eu la chance d’avoir une aide du CNC et de la région où s’est fait le tournage. Ça nous a permis de déployer plus de moyens de mise en scène.

La forme du huis clos, sur laquelle L’Attente est construite, découle-t-elle de ce budget serré ?

A.D : Non pas tellement. Le huis clos permet de créer une bulle temporelle où le temps s’est arrêté, et plus rien ne compte mis à part l’attente. L’hôpital est filmé en lumière artificielle très travaillée, on perd la notion du temps et le rapport au monde extérieur. D’une manière générale, je n’écris pas en fonction du budget, en revanche il est évident que l’on doit s’adapter aux imprévus sur le plan de la mise en scène. Par exemple, je tenais à filmer un vrai hôpital en activité qui grouillait de monde, mais le tournage s’est fait en plein Covid donc c’était impossible. On a alors trouvé un bâtiment désaffecté tout en bois, alors qu’il n’y a pas du tout de bois dans un hôpital, et on s’en est servi pour construire un décor très travaillé, assez irréel, désert, un peu hors du temps.

Pourquoi avoir choisi de centrer l’histoire autour de Céline ? On aurait attendu que l’histoire soit dirigée vers Jeanne qui est enceinte, là où l’action principale de l’accouchement se passe.

A.D : Oui, c’est vrai. C’est un peu inspiré de ce que j’ai vécu quand ma compagne a accouché de notre fille, de six ans maintenant. J’ai eu envie de raconter mon expérience en tant que maman qui attend la venue d’un enfant qu’elle ne porte pas. J’avais l’impression que cette représentation n’existait pas vraiment. Cette histoire de rapport au temps m’avait vraiment frappée, c’était une expérience si unique que j’ai eu envie de la faire vivre aux spectateurs.

La place de Céline dans la salle d’attente la fait côtoyer des hommes, parce que ce sont eux qui attendent normalement. Est-ce que c’est un film qui questionne le genre et les places assignées ?

A.D : Oui totalement. Il y a une vraie dimension universelle dans le film. Céline est une femme qui se retrouve du côté des hommes et bien qu’ils soient évidemment différents, ils se retrouvent à avoir une place et des préoccupations communes. Pour moi, c’était aussi le moyen de faire parler les hommes sur leurs doutes à ce moment-là. Je voulais que le film soit fédérateur, pas du tout excluant pour les hommes. D’ailleurs, en festival, j’ai eu beaucoup de retours d’hommes qui se retrouvaient dans les personnages.

C’est en cela que les représentations doivent faire avancer les choses ? Faire que le moins normal se normalise ?

A.D : Tout à fait. Les représentations sont super importantes. On s’est tous identifié.e à un personnage féminin ou masculin dans un film. Mon but n’était pas de faire un film agressif ou revendicateur, mais un film qui inspire surtout la joie de ce moment particulier. L’universalité sert à ce que des hommes puissent s’identifier aux personnages féminins et se dire : « Ah tiens, c’est pareil en fait ! ». C’est une forme de militantisme pas discursif mais plus incarné, disons.

*Spoiler alerte*. À la fin, on ne voit pas l’accouchement, pourtant l’élément clef de l’histoire, pourquoi ?

A.D : Justement parce que ça n’est pas l’élément clef (rires) ! Je voulais représenter le temps de « l’avant ». C’est un temps qui m’intéresse beaucoup, ce moment de projection de quelque chose qui n’est pas encore là. Par exemple, j’ai trouvé plus fort le moment où nous attendions de savoir si nous avions le César que l’instant où on l’a reçu. Parce que c’était le temps de tous les possibles. De même pour un rendez-vous amoureux, le moment le plus délicieux est celui du chemin pour y aller, quand on imagine la personne, et puis, une fois qu’on la voit en vrai, c’est toujours un peu décevant parce que ce n’est pas comme on l’a imaginé.

On a l’impression dans le film que la culpabilité de ne pas être la personne qui porte l’enfant est d’autant plus grande quand on est une femme. C’est quelque chose que vous avez vécu ?

A.D : Une culpabilité, oui. On me demandait toujours pourquoi ça n’était pas moi qui portait l’enfant, pourquoi je n’avais pas voulu le faire moi etc.. Il y avait un peu de la culpabilisation générale des femmes qui décident de ne pas avoir d’enfant, comme s’il y avait un manque de courage. Mais il y a aussi une question de place à trouver. La femme enceinte a des inconvénients mais aussi un certain orgueil de porter la vie, qui est normal, et l’homme a un orgueil masculin de devenir père, mais la femme qui devient mère sans être enceinte, elle, doit un peu trouver sa place dans tout ça.

Vos actrices et acteurs sont super dans le film. Comment les choisissez-vous ?

A.D : Premièrement, j’aime mélanger acteurs professionnels et amateurs. Dans le film, il y a des gens qui sont de vrais soignants. Je fonctionne souvent par coups de coeur aussi. Parfois, en casting, je ne vais pas forcément prendre la personne qui joue le mieux mais celui ou celle qui me tapera dans l’oeil, qui me fera dire : « C’est cette personne, c’est le personnage ! ». Et je fais le pari de pouvoir l’amener où je veux. Jusqu’ici ça a marché (rires) ! À côté de ça, il y a Clotilde Hesme et Laetitia Dosch qui sont toutes deux de super actrices chevronnées. J’avais d’ailleurs un peu peur qu’elles s’annulent l’une l’autre tant elles ont de fortes personnalités de jeu. Mais en fait pas du tout, elles ont réussi à se compléter et ça donne des personnages avec des caractères bien marqués.

Jusqu’ici, vous avez principalement réalisé des courts-métrages, pourquoi le format court vous intéresse-t-il ?

A.D : Tout dépend de l’histoire qu’on raconte. Ce qui a été déployé sur les films précédents étaient des histoires assez courtes, rien ne sert d’étirer le récit inutilement. Les courts-métrages sont aussi une façon de faire ses armes et comme j’ai aussi un métier de scénariste à côté, je n’avais pas l’urgence de faire des longs. Je pense qu’il faut trouver le sujet qui nous porte vraiment. Ce n’est pas mon but de faire un long-métrage pour le principe de l’avoir fait. Il n’empêche que j’en prépare un justement en ce moment (rires) !

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

Regards d’Afrique. Regards nouveaux

Au crépuscule de la 46e édition du Festival de Clermont-Ferrand, nous avons pu repérer l’émergence de nouvelles visions via des programmes thématiques annexes. C’est notamment le cas avec « Regards d’Afrique », une catégorie hors-compétition permettant de mettre en avant de nouveaux talents qui se réapproprient la culture ainsi que les problèmes sociaux et politiques d’un continent fertile de nouvelles histoires à raconter. Entre expérimentation, exploration d’une mythologie et récit féminin, la programmation (composée de deux séances) fait office de porte-étendard d’un narratif encore trop peu exploité au cinéma.

C’est ce qu’on peut voir par exemple à travers le film Katope de Walt Mzengi Corey. Il nous raconte le parcours d’un jeune enfant sculpté dans l’argile par sa mère et qui va entreprendre, au péril de sa vie, de mettre fin à la sécheresse qui dévaste son village. Nous sommes ici dans une exploration autour du conte et de la mythologie tanzanienne, avec un réel respect et connaissance envers cette dernière. Originaire de Tanzanie, mais ayant vécu une grande partie de sa vie aux États-Unis, Walt Mzengi Corey, se réapproprie la culture de ses parents à travers le fantastique. Cela transparaît notamment à travers le climax du film, une danse de la pluie, comme sacrifice de cette enfant aux origines mystiques.

Avec sobriété, ce climax nous plonge dans cette culture et dans ce rituel qui met en lumière toutes les questions que nous pouvons avoir en tant que spectateur sur le mutisme de son personnage principal. Ainsi, de par son dispositif de mise en scène intimiste et de son économie d’effet, le film réussit à nous surprendre dans l’incursion du fantastique. Nous laissant à la fin avec une image qui reste bloquée en notre tête, tant cette dernière évoque un imaginaire exaltant.

De surcroît, en abordant le problème de la sécheresse à travers le prisme du genre, le film décide de façon indirecte de parler de motifs sociaux. Ce n’est pas le cas du film Boussa de Azedine Kasri, qui décide de traiter ces sujets frontalement à travers la comédie. Meriem et Reda sont un couple de fiancés algériens qui se livrent un véritable parcours du combattant pour pouvoir juste se partager un bisou. Nous sommes ici en contrepoint de ce que nous pouvons voir dans un cinéma africain et politique beaucoup plus rugueux et contestataire. Le film rappelle ainsi un cinéma italien proche de celui de Visconti dans la réappropriation et le traitement de problèmes sociaux via un certain humour.

Une comédie qui passe avant tout par la superbe prestation de Mourad Boudaoud et Anaïs Lazizi dans les rôles respectifs de Reda et Meriem. De leur alchimie, sort une drôlerie et un ludisme appuyé par une mise en scène qui leur laisse de l’espace. En outre, Azedine Kasri nous montre avec Boussa ses talents dans la direction d’acteur, ce dernier ayant travaillé dans un premier temps en tant que comédien sous la direction de Kim Chapiron. Cependant, cet humour ne nuit pas au film en ce qui concerne le sérieux du sujet et la manière dont ce dernier a été traité. Il sert ici de motif d’espoir dans une Afrique et une Algérie en proie au changement.

En ce qui concerne la montée en puissance et la mise en avant de nouvelles voix féminines, il est d’autant plus frappant de constater que malgré la grande diversité créative qui émane d’Afrique, encore trop peu de femmes ont réussi à en émerger. Heureusement, nous trouvons de plus en plus de narrations féminines et féministes noires et la catégorie “Regards d’Afrique” n’en manque pas. Cela se reflète dans l’histoire contemporaine de Fatima, une jeune fille de 12 ans enlevée sous les yeux de sa mère, puis forcée par ses ravisseurs à porter une ceinture explosive pour attaquer les ennemis d’Allah. Avec L’envoyée de Dieu, Amina Abdoulaye Mamani met au centre de sa mise en scène un véritable combat féminin contre l’oppression, et ceci dès le plus jeune âge. De par son sujet, le film nous évoque évidemment une imagerie extrêmement violente sur la condition des femmes dans une société où le fanatisme religieux a pris le dessus.

Amina Abdoulaye Mamani s’attaque à un sujet lourd qui peut nous brusquer en tant que spectateur. Le film flirte avec un certain misérabilisme sans toutefois passer le pas et ceci grâce à un dispositif de mise en scène très simple et sobre dans le suivi des dernières minutes de la vie de Fatima. Cette dernière est interprétée avec brio par Salamatou Hassane, Sa performance silencieuse et délicate trouve toute sa signification lors de son climax. Un climax tout en ironie dramatique qui met en exergue la folie d’un monde d’homme et le sacrifice d’une femme.

Dylan Librati

Article associé : l’interview de Azedine Kasri

Festival Format Court 2024 : participez au Jury Étudiant !

Vous avez entre 18 et 25 ans et vous êtes passionné·e de cinéma, et surtout de courts-métrages !? Devenez membre du Jury Étudiant de la 5ème édition du Festival Format Court qui aura lieu du jeudi 25 au dimanche 28 avril au Studio des Ursulines (Paris, 5e). Vous aurez l’occasion de découvrir notre festival, de visionner les 19 films de notre compétition et de décerner un prix à l’un d’entre eux lors de la cérémonie de clôture le dimanche 28 avril prochain.

Pour postuler, contactez-nous avant le 15 mars 2024 pour vous présenter et exprimer votre désir de participer à notre festival.

Envoyez-nous vos candidatures à l’adresse suivante  : coordinationformatcourt@gmail.com

Festival Format Court 2024, les films en compétition

Vous avez été très nombreux à nous envoyer vos films que notre comité de sélection a pris soin de visionner ces derniers mois. Bravo à toutes et tous pour ces pépites ! Cette année, nous avons reçu pas moins de 913 films (quasiment le double des années précédentes). Nous avons finalement porté notre choix sur 19 films, tous différents et singuliers, reflétant un esprit de diversité cher à Format Court avec des courts-métrages animés, en prises de vues réelles, documentaires, expérimentaux, produits ou plus indépendants, français comme étrangers.

Sans plus attendre, voici la liste des films qui seront projetés, en présence des équipes, du jeudi 25 au dimanche 28 avril 2024 au cinéma Le Studio des Ursulines (Paris 5e), à l’occasion de notre 5ème édition. Ces mêmes films seront soumis aux regards de nos différents jurys (professionnel, presse et étudiant) ainsi qu’au vote du public.

Films en compétition

Herbe Verte de Élise Augarten (France, Portugal, Novanima, Le-loKal production, Cola Animation)

L’anniversaire d’Enrico de Francesco Sossai (France, Allemagne, Kidam, DFBB – Deutsche Film und Fernsehakademie Berlin)

Boucan de Salomé Da Souza (France,  Alta Rocca Films, Marnie Production, Waste Films)

Avec l’humanité qui convient de Kasper Checinski (France, Takami Productions)

Boléro de Nans Laborde-Jourdàa (France, Italie, Wrong Films, MeMo Films)

Les Rossignols de Juliette Saint-Sardos (France, Italie, Composite Films, Illmatic Film Group)

Dolce Casa de Stéphanie Halfon (France, Italie, Canada, Mondina Films, Documist, Soul Film Production)

Le Vide de Mandana Ferdos (France, Les Salines Films)

Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne (France, Apaches films)

Après l’aurore de Yohann Kouam (France, Alta Rocca Films)

Saint Lazare de Louis Douillez (France, Les Films du Sursaut)

Le Songe de Joseph de François Hebert (France, Kalpa Films)

Le Bannissement de Yilmaz Özdil (Turquie, Irak, DocuDrama Film Production Service)

Mémoires du Bois de Théo Vincent (France, Le GREC)

L’Américain de Maxime Renard (France, Le GREC)

Guerre Las de Jean-Baptiste Bertholom (France, Eddy)

Pas le temps de Camille Lugan (France, Barney Production)

À court de mots de Lara Pinta (France, auto-production)

Déshabille-moi de Florent Médina et Maxime Vaudano (France, Félicité Production, Micro Climat, La Puce A l’Oreille)

Rachel Gutgarts  : “Je m’interroge de plus en plus quant à la place de l’art dans la société”

Au carrefour de plusieurs influences et expérimentations, le travail de Rachel Gutgarts de par son éclatement stylistique nous renvoie au morcellement d’une société israélienne dont la réalisatrice est originaire. Présente à la fois dans la section Labo du Festival de Clermont-Ferrand  et à la Semaine de la Critique, elle raconte avec Via Dolorosa sa propre errance, à la recherche de son passé dans un état de guerre permanent. Dans cet entretien, elle revient sur la genèse de son œuvre, entre documentaire et animation, et de la place de l’art dans une société israélienne fracturée.

Format Court : Comment êtes-vous arrivée jusqu’à l’animation ?

Rachel Gutgarts : Je pense que j’ai dû commencer à m’intéresser à l’animation vers la fin de mon lycée. J’ai toujours été très intéressée par l’art, et ce, dès mes 6 ans. Je passais mes journées à dessiner, même en classe. Et surtout, j’adorais le cinéma, passionnément a un point où j’allais à la Cinémathèque de ma ville tous les soirs après l’école. Pour revenir à l’animation, je crois que je me suis vraiment intéressée à ce médium quand j’ai commencé à faire avec une amie des sortes de petits tests en stop motion. Je suis tout à coup tombée amoureuse du format et j’y ai trouvé une exaltation dans la fusion entre la création du monde et le dessin.

Tu as ensuite fait l’école des beaux-arts Bezalel à Jérusalem, était-ce important de passer par cette formation ?

R.C : C’est une bonne question, je pense qu’il y a certaines personnes qui sont moins compatibles avec l’idée d’école, qui préfèrent leur indépendance et je pense que ce n’est pas mon cas. Personnellement, quand je suis allée à l’école, c’était vraiment dur de devoir faire tous ces exercices très techniques et de devoir attendre quelques années avant de pouvoir faire ce qui m’intéressait vraiment. Cependant, en rentrant dans un système comme celui-ci avec des deadlines et quelqu’un pour me guider, j’ai trouvé cela très enrichissant. Dans tout cela, je réussissais quand même à trouver une certaine liberté créatrice.

C’est un peu cette même liberté créatrice que l’on peut retrouver dans tes films comme Via Dolorosa ?

R.C : Oui, je pense que ça a déterminé mon style, je me souviens d’ailleurs d’un cours en troisième année d’étude, un cours de laboratoire qui permettait chaque semaine de pouvoir faire plusieurs tests d’animation et d’expériences. Je trouvais que c’était un format très intéressant et j’avais une prof qui me poussait à créer, elle ne voulait pas que je lui dise mon idée mais plutôt que je lui montre ce que je pouvais faire. C’était vraiment très inspirant et ça m’a vraiment permis d’explorer plein de formats.

Comment s’est passé le processus derrière l’animation et le documentaire dans Via Dolorosa ?

R.C : L’idée avant tout avec Via Dolorosa était de revenir dans mon passé et dans les endroits où j’avais l’habitude d’aller. Le film parle avant tout de ma vie en tant qu’adolescente à Jérusalem et de toute la complexité qui en émane. J’ai commencé à me balader dans ces rues de mon enfance et à rencontrer des ados ainsi que des amis que j’avais à cette période. J’ai commencé à leur parler et je me suis basée sur ces conversations pour l’animation. Je savais que j’allais ensuite me réapproprier cela ainsi que mes propres souvenirs en tant qu’adolescente via l’animation. Aussi, cela m’a aidé dans un aspect plus moral de passer par des dessins notamment quand j’interviewe ces adolescents, de ne pas les exposer. L’animation m’a permis d’être vraiment dans l’intime tout en ayant un certain recul quant à son côté documentaire.

La façon dont tu traites cela nous donne un peu l’impression d’être dans un film de fantômes.

R.C : Je trouve cela très beau, oui, c’est très exact surtout pour ce film, quand j’ai commencé à travailler, j’étais comme hantée par mon passé. Je suis dans une certaine façon retournée dans le passé pour résoudre quelques problèmes avec moi-même. D’un côté, c’était un projet très personnel pour moi et de l’autre, c’est une histoire beaucoup plus large sur Jérusalem et sur sa culture vieille de plusieurs millénaires. On peut observer que cet endroit porte le poids de l’histoire et de son héritage sur ses épaules La question qui s’est posée avec ce film, c’est comment vivre dans un endroit aussi intense.

Pourquoi était-ce important de situer le film à Jérusalem ?

R.C : Comme j’ai pu le dire, j’ai vécu à en Israël et j’avais cette impression que je devais être authentique pour pouvoir raconter cette histoire, cette errance dans les rues de Jérusalem.  C’était aussi super intéressant de s’intéresser à cette vie un peu cachée dans ses rues sinueuses, une vie dont beaucoup de gens ont entendu parler. Certains habitants vivent là-bas au jour le jour, en particulier la jeunesse. Aussi, avec tout ce qu’on peut voir à la télévision, je voulais montrer et faire réaliser que derrière les faits divers, ce sont de réelles vies, de réelles personnes avec leurs complexités. Je pense que pour moi, c’était un moyen de créer de l’empathie avec les autres, de créer un espace pour avoir un dialogue.

Quand on pense à l’animation israélienne mêlée au documentaire, on pense évidemment à Valse avec Bachir. Était-ce l’une de vos inspirations ?

R.C : Oui, je l’adore, en fait, je l’ai revu, il n’y a pas très longtemps et je l’ai trouvé très inspirant. Et de manière plus générale, l’œuvre d’Ari Folman a influencé mon travail, bien que je pense avoir également puisé mon inspiration dans Persepolis. La nature politique de ces deux films d’animation m’a profondément touché et a été une source d’inspiration dans l’élaboration de mon film. Surtout ce que je ressens en voyant ces films, c’est à quel point à travers le médium de l’animation, nous pouvons réussir à recréer des expériences personnelles auxquelles les spectateurs peuvent s’attacher et s’identifier.

Avec ce qui est en train de se passer en Israël à l’heure actuelle, quelle place accorder à la fiction ?

R.C : J’y pense beaucoup, en fait, je pense de plus en plus à la place de l’art en général en ce moment. Je pense qu’on utilise l’art avant tout pour exprimer nos émotions. Surtout dans un moment difficile, on parle de tristesse, de colère, d’amour et de bonheur. Je crois qu’actuellement, c’est l’une des méthodes les plus efficaces pour exprimer nos sentiments. Nous devrions exploiter ces outils narratifs pour nous exprimer et instaurer un dialogue entre des cinéastes et des artistes provenant de pays en conflit, mais qui en tant qu’individus ne le sont pas. À travers l’art et le cinéma, nous avons là un nouveau langage pour amorcer ce dialogue et cette médiation, je trouve cela important.

Comment êtes-vous arrivée à travailler avec Miyu Productions pour Via Dolorosa ?

R.C : J’ai dans un premier temps rencontré Emmanuel-Alain Raynal, le fondateur de Miyu quand j’étais à Lille pour le festival du cinéma européen avec mon film A love letter to the one i made up. Je connaissais déjà ce qu’il pouvait faire et je me disais que ça pouvait être bien de travailler ensemble sur un projet. Je lui ai donc envoyé un dossier pour Via Dolorosa. Très vite, j’ai déménagé sur Paris et on a commencé à chercher des financements pour le film.

Quel est ton point de vue sur l’évolution du court-métrage en Israël et sur l’animation en particulier ?

R.C : Je suis impressionné par le nombre de personnes talentueuses en Israël qui parviennent à créer des œuvres remarquables. Je pense notamment aux Beaux-arts de Bezalel où on trouve vraiment des artistes merveilleux et talentueux.  J’espère qu’avec le temps, ils pourront faire de plus en plus de films et être de plus en plus créatifs. Cependant, je suis d’avis qu’avec les événements en cours en Israël, la situation devient très complexe pour l’art et pour les artistes qui y évoluent. On peut réellement voir une détérioration politique à travers la culture et à quel point elle est de moins en moins bien conservée. Et c’est un signal d’alarme, je pense, pour la démocratie et pour la politique en général, parce que la culture doit être indépendante, elle doit être bien entretenue et fière de l’endroit d’où elle vient.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

Yohann Kouam. Se défaire de ces attentes qui nous emprisonnent

Yohann Kouam présentait récemment Après laurore, son cinquième court-métrage en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand. Le film entrelace, au sein d’un même quartier, le parcours de trois personnages qui ne se connaissent pas. Ce court-métrage choral, filmé en pellicule, nous fait suivre la vie de ces trois protagonistes, grâce notamment au grain de l’image, au travail apporté à la lumière et aux jeux des acteurs. Pour Format Court, Yohann Kouam revient sur ses inspirations, ses désirs et sa vision du cinéma.

Format Court : Cest ton cinquième court-métrage, que représente pour toi cette forme ?

Yohann Kouam : Cest mon troisième court-métrage produit. J’ai fait mes deux premiers films semi-produits parce quils l’étaient dans un cadre associatif. Le cinéma était une passion à la base, qui est venue assez tôt. J’ai eu la chance de grandir à Villeneuve dAscq, en périphérie de Lille, qui est une ville assez associative où il y avait beaucoup de structures culturelles. Jai notamment fait partie d’une association dédiée au cinéma où on organisait mensuellement des séances thématiques et des festivals. Ça m’a permis d’écrire plein de films. J’ai aussi eu la chance de faire l’option cinéma au lycée. Ça m’a orienté dans cette voie-là et puis, jai fait une école de cinéma après le bac, lIAD, en Belgique. Mon parcours est particulier parce que j’ai quitté cette école au bout d’un an. Je me suis rendu compte que j’étais beaucoup trop jeune. Jy suis rentré à 19 ans. On a beau apprendre toutes les théories, toutes les techniques du monde, en termes de vécu, à 18, 19 ans, on est encore un enfant. En plus, javais postulé pour être en réalisation et quand on se présentait au concours, on pouvait avoir un deuxième choix. Moi, j’ai pris montage et finalement, ils m’ont mis en montage.

Le montage, j’étais persuadé que j’adorais ça. Au lycée, avec loption cinéma, on devait faire un film pour le bac. On avait fait des petits films à échelle très minime. Mais ça m’amusait beaucoup, je trouvais ça très chouette. Mais monter son propre film et monter celui des autres, ce n’est pas la même chose. Le vrai montage, c’est quand on s’approprie la matière de quelqu’un d’autre et qu’on doit en faire quelque chose. Quand je me suis confronté à ça à l’école de cinéma, je me suis rendu compte que ce n’était vraiment pas ce que je pensais. C’était intéressant, passionnant, mais ce n’était pas du tout fait pour moi. Jai quitté l’école pour faire des études de langue, de traduction. Je me suis retrouvé en Erasmus. Jai voyagé. J’ai vécu en Espagne et ça m’a permis d’aller chercher des récits. C’est vrai que voyager, c’est quand même un moyen de faire des rencontres, des expériences humaines, qui sont très différentes de celles qu’on a au quotidien dans sa ville.

Pour ce qui est de mon rapport à la forme courte, je ne vois pas ça comme un moyen de passer au long. Même si, évidemment, si on veut être lucide et que lon veut vivre de ce métier-là, passer au format plus long, c’est une voie plus adaptée. Peut-être qu’il y a une époque où, effectivement, je voyais ça comme un parcours pour passer au long-métrage. Dailleurs, je n’adhère pas à cette expression, « passer au long-métrage ». Ça voudrait dire qu’il faudrait faire des courts-métrages pour arriver à un certain Graal. Ce nest pas comme ça que je veux raisonner. On a des idées de projets : est-ce que cette idée est adaptée à un projet long ou à un projet court ?

Effectivement, le schéma classique, c’est de faire deux, trois courts-métrages et après de passer au long-métrage. Mais pour moi, ce que je trouve magique dans le court-métrage, c’est de pouvoir explorer des choses qu’on ne peut pas faire en long-métrage. Cest ce que j’expliquais aux élèves auprès de qui je faisais une intervention dans un établissement scolaire. Je parlais de mon parcours et je leur disais : « Là, je vais vous montrer un court-métrage, ça va vous dérouter, parce que ça ressemble pas du tout à ce que vous avez vu ».  Je peux le comprendre. Quand j’étais au lycée, la première fois que j’ai vu des courts-métrages, c’était très déroutant. On s’attend vraiment à un format avec un début, un milieu et une fin. Un court-métrage ne répond pas forcément à ces codes-là. C’est ça qui est bien. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer ces possibilités-là, ce nest pas juste un moyen de passer au long-métrage.

Tu parlais daller chercher des histoires ailleurs, il est beaucoup question dans ton cinéma de personnages qui partent ou qui reviennent aux endroits où ils ont vécus, quest ce qui alimente ce désir de raconter ça ?<

Y.K. : En tant que que français de parents africains, camerounais, jai passé pas mal de temps à visiter de la famille dans des pays étrangers. Très tôt, j’ai eu ce goût naturel pour les voyages. C’est ça aussi qui m’a tourné vers ce double cursus, cinéma et langue. En parallèle de l’option cinéma au lycée, je faisais anglais renforcé. Pour moi, les langues, ça a toujours été un « plan B ». Quand on fait du cinéma, ça peut effrayer. Le fait d’avoir fait des études de langue, ça a rassuré ma famille parce quils se sont dit que dans tous les cas, je pourrais rebondir. Par la force des choses, en faisant des études de langues, j’ai fait des séjours à l’étranger. Le voyage fait partie de ma vie. C’est pour ça que ça revient souvent, ces questions de nomadisme, de vivre ailleurs, de revenir là où on a grandi. Ce sont des choses qui me parlent directement.

Pour Après laurore, pourquoi avoir choisi de raconter trois parcours de vie qui évoluent au même endroit, au même moment sans quasiment jamais se croiser ?

Y.K. : Il y a des croisements mais en subtilité. Pour moi, le lien se fait vraiment, sans spoiler, avec la lumière à la fin du film. C’est une remarque intéressante parce que je me suis trouvé dans une Commission où on m’a posé la question sur labsence de lien. Souvent, dans les films comme ça, un peu choral, où on suit plusieurs personnages, on s’attend à un moment donné à ce que les destins s’entrechoquent. Ça a été tellement fait que moi, ça ne m’intéressait pas. Ce n’était pas du tout l’idée. Quand jai présenté mon projet à un jury, quelquun ma dit quil n’y avait pas de lien entre les personnages. Cette remarque-là m’a déçu. Oui, il n’y a pas de lien évident, mais en fait pour moi, le lien est d’ordre poétique. On a quand même trois personnages qui sont tous les trois dans une sorte de conflit de lappartenance. Avec Deborah (ndlr: un des trois personnages) qui aurait pu partir quelque part et qui n’est pas partie, il y a un destin qui a été interrompu. Le jeune Hamza fait partie d’une bande, mais en même temps, on sent qu’il n’a pas forcément envie d’en découdre autant que ses amis. Cette connexion, elle est beaucoup plus évidente. Cette idée que les choses doivent être vraiment explicites, c’est dommage. C’est toujours compliqué de savoir comment est venue l’idée d’un film. Ce sont toujours des origines très mystérieuses. En tout cas, un des désir de base, une des raisons qui m’a vraiment poussé à faire ce film, est que j’ai fait un court qui sappelle le Retour. A l’époque, je voulais vraiment faire un film sur la banlieue. J’ai grandi dans un quartier. J’étais très en colère de voir tous ces films qui montraient toujours la même chose et qui reproduisaient des stéréotypes. Je partais avec l’idée de vouloir casser tout ça. Maintenant, avec le recul, je me rends compte que ce film-là ne casse pas tant les clichés que ça et quinconsciemment, j’ai aussi, à ma façon, reproduit certains stéréotypes. Malheureusement, la réalité, c’est que j’ai grandi avec « ce genre » de film de banlieue comme on lappelle en France. Jai été biberonné par ça et inconsciemment, j’ai intégré ces codes-là. On ne se rend pas compte, nous les « auteurs de banlieue », mais peut-être que l’on fait ce qui est attendu de nous. Je ne suis peut-être pas si libre que ça et il faut vraiment que je me détache complètement de ces codes-là. Les films qui se passent en banlieue, ce nest plus comme il y a 30 ans. Ça se monte facilement parce que depuis certains succès commerciaux et critiques, ça a le vent en poupe. Aujourdhui, ce n’est plus tabou de faire un «  film de banlieue », encore que c’est discutable mais en tout cas ce nest pas quelque chose de rédhibitoire quand on veut le faire financer.

Après, la façon dont on veut le faire, là, ça peut être problématique. Qu’est-ce que les gens attendent d’un film de banlieue ? Est-ce qu’à un moment donné, ces films ne sont pas financés qu’à condition d’être faits selon les attentes de certaines personnes ? Et c’est ça qui, moi me dérange. Ce film-là, Après laurore, c’était vraiment l’idée de faire quelque chose de complètement libre par rapport à ça et de me défaire de toutes ces attentes qui nous « emprisonnent ».

Est-ce que justement il y des films qui t’ont marqué par rapport à ça ? Ou même, plus globalement, quelles sont tes influences, les réalisateurs que tu regardes, dont tu revois les films, en courts ou en long ?

Y.K. : Il y en a tellement que c’est dur de les citer. J’aime beaucoup le cinéma de Jim Jarmusch et de Wim Wenders, parce que ce sont typiquement des cinéastes qui suivent des nomades et forcément, ça me parle directement. Jai aussi vécu à Berlin, à une période, j’étais beaucoup entre la France et l’Allemagne, donc forcément, Wim Wenders, ça me parle beaucoup. Cest quelqu’un qui a vécu aux États-Unis, en France, qui a beaucoup voyagé et forcément, ça me parle directement. Et pour Jim Jarmusch, il suit souvent des nomades qui nont pas forcément de racines, de « chez eux ». Ça me parle vu mon parcours de vie. Au-delà des questions thématiques, en termes cinématographiques, Wim Wenders est photographe, (je fais aussi de la photo à côté) et ça se sent dans ses films, son approche photographique, au niveau du découpage, du cadre. Pour moi, la photo est vraiment une très grande source dinspiration, elle me nourrit beaucoup donc quand un cinéaste comme ça a une approche très photographique au cadre, ça me plait.

J’avais fait un teaser du film que j’avais envoyé à une copine cinéaste qui m’a dit : « On dirait Tarkovsky en banlieue ». Je ne cherche pas à me faire comparer à lui mais c’était un très beau compliment. Tarkovsky est un cinéaste que j’aime beaucoup et ça a été aussi une source d’inspiration en termes d’approche formelle. Il y a quelque chose qui est de l’ordre du sacré dans le film qui est très proche de ce que peut faire Tarkovsky. C’est toujours compliqué de citer des cinéastes comme ça, parce qu’on peut vite passer pour quelqu’un de prétentieux qui veut se comparer à eux, mais ce nest pas ça, c’est juste que, ça me parle beaucoup.

Concernant la lumière, qui tient une place importante dans le film, comment avez-vous travaillé avec ton chef-opérateur sur les séquences de nuit, de jour, jusqua la dernière séquence ou le soleil arrive, là ou les destins des personnages se rejoignent ?

Y.K. : Au-delà de la lumière, il faut savoir déjà quon a tourné en pellicule. Ça a été un débat, des discussions très houleuses avec la production. Pour négocier ça, ça a été très compliqué. Le film a failli se faire en numérique. Heureusement qu’avec le chef-op, on s’est battu pour que ça se fasse en pellicule. Mais la contrepartie était qu’on n’avait pas beaucoup d’argent pour le matériel de lumière. En vrai, il n’y a pas tant d’éclairage que ça. C’est marrant que tu cites les scènes de fin avec la lumière du soleil parce quavec la scène où les enfants sont derrière l’immeuble, ce sont les deux seules scènes ou on avait vraiment de l’éclairage. Le reste, tout est quasiment en pure lumière naturelle. Je ne suis pas un fétichiste de la pellicule, il y a plein de films tournés en numérique que j’adore et que je n’imagine pas une seconde tournés en pellicule.

En revanche, pour ce film-là, la raison pour laquelle j’ai voulu tourner en pellicule, c’est que mes références cinématographiques et photographiques étaient très argentiques. Pour moi, ce n’était pas concevable de faire le film en numérique. Il y a une ambiance très mélancolique en termes atmosphérique. La façon dont je voulais retranscrire cette mélancolie-là, il ny avait que la pellicule qui pouvait la traduire. Typiquement, là où le numérique est vraiment compliqué, cest pour les scènes de jour avec des lumières un peu fortes, comme la lumière du soleil. C’est là où on voit les limites du numérique.

Comme la question de la lumière du soleil était quand même centrale dans le film, le film commence avec ça, finit avec ça, je ne pouvais pas en faire l’économie. Là où le numérique est aussi problématique, c’est que dès qu’on a des scènes de jour où il fait gris, limage est très plate. Ce n’est pas très beau, à moins qu’on éclaire pour justement donner du contraste à limage, mais sinon ce sont vite des images plates. Je ne vais pas dire « pas beau » parce que ce n’est pas une question de beauté. Il y a des films tournés en numérique dans des grisailles qui ont un résultat plat, mais ça marche avec ce que le film cherche à faire. Avec ce film, ce n’était pas ça que je voulais du tout. La texture de la pellicule, dans les scènes de grisailles, apporte une atmosphère mélancolique que je n’aurais pas eu avec le numérique. Les discussions avec le chef opérateur, ont été à base de beaucoup de références photos. J’ai fait un mood board avec plein de photos pour essayer à chaque séquence de communiquer mes idées de façon précise.

Il y a des cinéastes qui ne sont pas du tout dans le découpage, qui pensent à déléguer ça au chef opérateur. Je ne juge pas, chacun sa technique. Comme je fais de la photo, j’ai plutôt un sens du cadre assez précis. En général, je sais précisément ce que je vais faire. Après, il peut arriver qu’il y ait des scènes où je ne sais pas trop où mettre la caméra. C’est là que le chef oppeut faire des propositions. Quand je fais des propositions de cadre ou de découpage, j’attends du chef opérateur qu’il fasse des contre-propositions. Je n’ai pas d’ego par rapport à ça. Si ce qu’on me propose, en termes de découpage, de cadre est plus intéressant, je suis preneur.

Tu l’as évoqué tout à l’heure par rapport à ton parcours et au fait que tu estimais que le court était une forme à part entière et pas forcément un passage pour aller vers long, est-ce que c’est quand même quelque chose qui t’intéresse ? Est-ce que tu as envie de passer au long ? Quels sont tes projets pour la suite ?

Y.K. : Je suis passé par une étape de développement d’écriture de long il y a 4-5 ans. C’était une erreur parce que justement je suis tombé dans ce piège où j’ai suivi le parcours typique. Quand on est auteur et que lon fait des films qui commencent à marcher en festival, il y a cette pression des producteurs pour passer au long. Malheureusement, je suis tombé dans le panneau. J’ai développé un projet qui était beaucoup trop précoce, qui n’était pas assez mûr. Et comme beaucoup de cinéastes, j’ai passé du temps d’écriture sur un projet qui nen valait pas la peine. Ce n’est pas le nombre de films qui fait qu’on va passer à telle étape à tel moment. On a une idée ou on n’a pas une idée. Actuellement, je développe deux idées de longs-métrages. Pas parce que j’avais la pression de devoir passer au long, mais parce qu’à un moment donné, il y avait des idées qui ne pouvaient se développer que sur un format long. J’ai un film qui est en cours d’écriture qui se passe à Berlin qui avec le recul, se rapproche de Après laurore. Je suis assez lucide. On est quand même dans une situation compliquée depuis le Covid pour le cinéma d’auteur, où les films vont se financer de façon de plus en plus difficile. Je pense que là, les projets que j’ai en tête ne sont quand même pas évidents pour les producteurs. Ce sont des films qui se passent à l’étranger, en plusieurs langues.

Depuis mon premier film, je n’avais pas pu retourner en pellicule et j’avoue que depuis que j’ai tourné Après laurore, jai du mal à imaginer retourner au numérique. Après, ça dépend des projets, évidemment. Je ne veux pas être dogmatique là-dessus. Mais là, les projets que j’ai en tête, c’est plutôt des films qui se tourneraient en pellicule. En termes de court-métrage, j’ai envie de continuer. Jai pris la décision et ce n’est pas qu’une décision, cest aussi un feeling, d’aller vers des choses pas du tout narratives en court-métrage. Des formes courtes, voire très courtes, plus de lordre de lexpérimental, de linstallation vidéo.

Je pense que Après laurore était vraiment mon dernier film narratif, dans la forme courte. Pas parce que j’estime que j’ai fait 5 films et que je passe à autre chose, cest juste une question de besoin. Le fait d’avoir fait tous ces films narratifs me donnent envie maintenant d’explorer d’autres choses. J’ai toujours été très, très passionné par l’art vidéo, linstallation vidéo et lexpérimental. J’ai toujours été tenté par les films expérimentaux, mais je me suis toujours mis une sorte dautocensure. Je sens qu’il y a des projets que je ne vois pas se développer narrativement avec des dialogues, des personnages, mais plus comme quelque chose de très formel. C’est ça qui m’intéresse maintenant, je pense, pour la forme courte.

Propos recueillis par Damien Carlet

Article associé : notre reportage sur la compétition nationale du 46ème Festival de Clermont-Ferrand

Les courts primés à la Berlinale 2024

Ce samedi 24 février 2024, 3 courts-métrages ont été récompensés lors de la 74ème édition de la Berlinale. Ces prix ont été attribués par le Jury composé de Ilker Çatak, Xabier Erkizia et Jennifer Reeder.

Ours d’or du meilleur court-métrage : Un movimiento extraño (An Odd Turn), Francisco Lezama – Argentine

Ours d’argent, Prix du jury du meilleur court-métrage : Re tian wu hou (Remains of the Hot Day), Wenqian Zhang – Chine

Mention spéciale et court-métrage candidat aux European Film Awards : That’s All from Me, Eva Könnemann – Allemagne

Les courts primés aux César 2024

Ce vendredi 23 février 2024, trois courts-métrages de fiction, d’animation et documentaire ont été primés lors de la 49ème cérémonie des César, organisée à l’Olympia. Ils sont tous trois réalisés par des femmes. Youpie !

César du Meilleur court-métrage de fiction : L’Attente, réalisé par Alice Douard (interview à venir)

César du Meilleur court-métrage documentaire : La Mécanique des fluides, réalisé par Gala Hernández López

César du Meilleur court-métrage d’animation : Eté 96, réalisé par Mathilde Bédouet

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension de Raphaël Quenard et Hugo David

Raphaël est acteur. Pour la première fois, il a le rôle principal d’un long-métrage. Personne ne comprend pourquoi il a été choisi. D’ailleurs, personne ne le comprend vraiment. Dans un film de 25 minutes nommé aux César du meilleur court-métrage documentaire 2024, Raphaël Quenard se met en scène face à la caméra d’Hugo David pour nous livrer une performance folle et très très riche.

Un jeu de réalités 

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension est construit sur une mise en abîme, c’est-à-dire, une fiction dans une fiction. Le film adopte la forme du faux documentaire, qui donne l’impression d’une spontanéité alors que tout est écrit et répété. Un documentaire qui est supposé montrer les coulisses du long métrage de Jean-Baptiste Durand Chien de la casse, film à succès sorti en 2023. Pourtant, dans le faux documentaire le film semble raté, l’ambiance du tournage est pourrie, Raphaël Quenard considéré comme mauvais.

Réalité alternative, ou archive compromettante qui nous montre les coulisses d’un film considéré comme mauvais, gâché par un acteur nul, avant que la critique ne l’acclame jusqu’à le faire atterrir aux César ? La question reste en suspens. Le réel et la fiction se chevauchent, on perd le fil et on ne distingue plus quand ça joue et quand c’est vrai. Raphaël Quenard incarne son propre rôle dans le documentaire, mais endosse un rôle de loser comme dans Chien de la casse. On finit par confondre la fiction du film et la fiction du documentaire, de même que la distinction entre la fiction des deux et la réalité se confondent aussi. Bref, tout est flou. Et, ce flou, c’est peut-être celui que l’acteur ressent.

L’actor studio à son comble

Dans une scène de répétition, Raphaël prend un accent pour incarner un personnage puis continue de parler avec cet accent alors qu’il est sorti de son rôle. L’acteur ne sait plus faire la différence entre le moi frictionnel qu’il invente pour jouer la comédie et son moi réel. On retrouve là le mythe de l’actor studio qui se perd dans sa performance, que Jean Dujardin avait brillamment interprété dans la série Dix pour cent, ou que certaines stars incarnent dans la vraie vie, comme c’est le cas du légendaire Heath Ledger (interprète du Joker) qui aurait développé des troubles mentaux après sa performance dans le film de Christopher Nolan.

Raphaël a beau donner des conseils de jeu, imitant la master class d’acting, toutes ses techniques échouent et sont décridibilisées puisque l’équipe de tournage le trouve mauvais. Ce qu’on nous dit, c’est que la ligne est fine entre le génie et le grotesque, entre un acteur qui a l’air con-con, mais qui est en vérité un génie avec beaucoup à offrir, et celui qui est une coquille vide.

Un cycle de l’absurde à l’écran 

Avec ce rôle, Raphaël Quenard s’inscrit définitivement dans la lignée des acteurs de l’absurde, dont le premier membre est, sans doute, Edouard Baer avec son monologue iconique dans l’Astérix et Obélix d’Alain Chabat. Dans ce film de 25 minutes, Raphael Quenard  passe maitre dans l’art de la tautologie, de la phrase qui dure et dure, mais ne va nulle part et, pire, revient sur elle-même. L’acteur qu’incarne Raphaël Quenard est un comédien raté, fourre-tout, qui dit tout et son contraire et se réinvente à tout bout de champ. En confiant ses techniques de jeu face caméra, il se dit d’abord instinctif, puis on le voit répéter toute la nuit et s’acharner sur des dialogues éprouvants. Entre Jean-Claude Van Damme et Jonathan Cohen, l’acteur s’apparente à un mythomane complètement illusionné qui doit bâtir sa légende, quitte à raconter n’importe quoi, pourvu que ça ait l’air profond.

À cette situation grotesque, s’ajoutent des moments vraiment hilarants, comme la scène finale d’improvisation théâtrale dirigée par un metteur en scène de théâtre expérimental japonais. On rit de l’absurde de l’acteur, mais on le trouve aussi très touchant, car il reste un grand enfant plein de naïveté, d’illusions et de fragilité. Aussi risible et mauvais soit-il, on ne peut s’empêcher d’être touché de son courage pour se mettre à nu ainsi devant nous, face caméra.

La désillusion de l’acteur incompris 

Les 25 minutes de film s’apparentent à une descente aux enfers. Au début, tout le monde est plein d’espoir, puis la réalité apparait, et on découvre que le réalisateur n’a pas fait passer d’essais à Raphaël et qu’il l’a engagé sur recommandation, autrement dit à l’aveuglette. Grave erreur, si l’acteur est nul, alors le film est nul, car le rôle de l’acteur est primordial.

Sous couvert de parodie, le court métrage dit beaucoup de choses sur le cinéma, sur les dynamiques entre la personne qui réalise, les comédiens et l’équipe technique. Raphaël est un acteur à côté de la plaque qui ne trouve pas sa place parce qu’il ne remplit pas correctement son rôle. Puisqu’il ne fait pas partie des dynamiques du plateau, il se trouve coupé du monde. On le voit très souvent seul dans le plan ou séparé des autres. Il ne cohabite presque jamais avec d’autres personnes à l’écran, la séparation visuelle représente l’impossibilité d’entrer en contact avec les autres. Par son discours que personne ne comprend et physiquement à l’écran, Raphaël est toujours à distance, toujours en fausse note.

La voix off du documentaire surgit au milieu du film, au moment où nous apprenons que personne ne comprend ce que Raphaël dit. La voix off, c’est la nôtre. Et ses questions, ce sont les nôtres, spectateur.ices, qui essayons de le comprendre. Et comme le caméraman n’est jamais montré à l’écran, la caméra est aussi nos yeux. À mesure que le documentaire avance, la caméra devient floue, tremblante, et multiplie les zooms pour aboutir au gros plan et nous faire accéder aux pensées du personnage. Les mouvements de la caméra imitent notre volonté de voir Raphaël de plus près, de l’atteindre pour mieux l’appréhender.

Finalement, Raphaël se retrouve perdu dans la foule de l’équipe du tournage. Personne ne lui dit où aller, on l’ignore, car il n’a plus d’intérêt à être sur le plateau. Le réalisateur lui demande de partir de son champ de vision, pourtant la place naturelle de l’acteur, qui n’existe que par le regard du réalisateur. L’acteur est déchu, chassé du plateau comme un animal. Parce que l’acteur qui ne joue pas, qui n’occupe pas le plan, n’est rien. Il n’a plus qu’à disparaitre dans le noir, hors champ.

« Chien de la casse »

Une dimension philosophique

Derrière le titre à rallonge qui semble parodier les œuvres philosophiques du XVIIIᵉ siècle, se cache une vraie réflexion sur le langage, sur le métier d’acteur et ce qu’il veut dire. Comment fait-on pour être un acteur quand on a des soucis à s’exprimer clairement ? Après tout, c’est le propre de l’acteur, dire le message du film, transmettre les émotions aux spectateur.ices. Raphaël Quenard et Hugo David ont eut cette intelligence de mettre l’acteur en difficulté au cœur même de ce qu’il est, un langage. Que ça soit les gesticulations de Chaplin ou les punchlines de Bernard Blier, l’acteur se résume au fait de communiquer. Quand il ne communique pas, il n’est rien. Et pourtant.. Raphaël Quenard et Hugo David arrivent à ouvrir le débat et à se poser la question : « Mais est-ce que ça n’est pas plus intéressant de n’être pas compris, et donc, de laisser libre cours à l’imagination de l’autre ? ».

En 25 minutes, dans un film qui semble très simple, Raphaël Quenard et Hugo David nous offrent une vraie pépite. Comment réussir à intégrer autant d’éléments dans si peu de temps et de moyens reste un mystère. Mais, in fine, elle est là, la magie du cinéma.

Anouk Ait Ouadda

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A comme L’acteur

Fiche technique

Synopsis : Raphaël est acteur. Pour la première fois, il a le rôle principal d’un long-métrage. Personne ne comprend pourquoi il a été choisi. D’ailleurs, personne ne le comprend vraiment.

Genre : Fiction

Duré : 25′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Raphaël Quenard, Hugo Davis

Scénario : Hugo David, Raphaël Quenard

Montage : Marc Allal, Hugo David

Musique : Hugo Rossi, Theodore Vibert

Son : Paul Jousselin

Étalonnage : Vincent Amor

Nationalité : France

Production: Lipsum Productions, Insolence Productions

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R comme Rapide

Fiche technique

Synopsis :  Jean est un « lent », il construit sa vie autour de ses angoisses, et se considère inadapté à la vie en société. Il vit en colocation avec Alex, qui lui, est un « rapide ». Passionné par l’aérodynamisme et l’eurodance, Alex vit vite, se pose le moins de questions possible. Un matin, il reçoit chez eux une amie « rapide », Lou, alors que Jean avait lui aussi prévu de recevoir une amie « lente », Caroline.

Genre : Fiction

Durée : 25’

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Paul Rigoux

Scénario : Paul Rigoux

Montage : Ugo Simon

Décors : Lucie Audau

Image : Quentin Lacombe

Son : Louis-Julien Pannetier

Interprétation : Edouard Sulpice, Mélodie Adda, Abraham Wapler, Mathilde Weil

Production: Le G.R.E.C

Chargé de production : Marcello Cavagna

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Rapide de Paul Rigoux

N’avez-vous jamais eu cette envie de rester cloîtré dans votre chambre de peur de ce qui puisse s’y trouver dehors ou au contraire, vous sentir si bien que vous pensiez toucher la lune ? C’est de ce tumulte au sein d’une colocation que naît l’histoire de Jean (Édouard Sulpice) et Alex (Abraham Wapler) : l’un, est anxieux et apathique, tandis que l’autre cherche à éviter la réflexion pour agir rapidement. Leur quotidien est perturbé lorsque Alex, accompagné de son amie Lou (Mélodie Adda) invite Jean et son amie Caroline (Mathilde Weil) à sortir de leur caverne pour pouvoir se confronter à une vie plus rapide. C’est de ce concept que Paul Rigoux nous signe son premier film produit avec l’aide du GREC, et qui marque sa première apparition aux César 2024 pour un film bourré d’humour et d’anxiété.

Des rires, de toute cette anxiété sociale dont Rapide traite voilà de quoi il en ressort, voilà ce qui nous reste de ce film. Un film qui se révèle comme une envie de la part de son réalisateur Paul Rigoux de jouer avec les codes de la comédie et de le mettre dans un contexte générationnel ou le stress est omniprésent. En racontant l’histoire de Jean et de sa confrontation forcée avec d’autres philosophies, le film explore une comédie qui découle de la dichotomie établie en préambule entre la lenteur et la rapidité, entre la réflexion et l’action. Tout cela peut sembler très théorique, mais est finalement traité avant tout comme pure interaction de comédie et comme une opportunité de voir toute la panoplie d’un casting merveilleux.

Le film tire ainsi sa drôlerie dans un premier temps de ses personnages et de ses acteurs qui les incarnent, Édouard Sulpice en tête de liste. Le jeune acteur qu’on a pu voir officier chez Guillaume Brac avec A l’abordage et François Ozon avec Mon Crime nous livre une composition hilarante. Une prestation qui va puiser dans un slapstick à la manière de Jerry Lewis, Tout en empruntant, dans ses mimiques, aux classiques de la comédie française des années 60-70. Pourtant, c’est avant tout la dynamique entre tous ces personnages qui fait le sel de ce film et de cette comédie. Cette alchimie qui est en partie due à la simplicité de la mise en scène qui laisse beaucoup, parfois trop de place aux acteurs et aux dialogues. Le film est ainsi rythmé par ces personnages lents et rapides qui confrontent leurs perceptions le temps d’une discussion.

En somme, le film tire sa réussite de cette comédie de l’anxiété qui nous fait penser à un humour juif et psychanalytique que pouvez utiliser un certain Woody Allen dans Manhattan et Annie Hall ou encore plus récemment Larry David avec Curb your enthusiasm. De même, en abordant le sujet de la santé mentale, le film se réapproprie les codes du teen movie. Et ceci à travers la rencontre amoureuse et le parcours initiatique accolé au personnage de Jean qui essaye de trouver sa place dans un monde qui va trop vite. Une rencontre amoureuse présentée comme la libération d’un personnage emprisonné par ses propres peurs, attiré vers une philosophie qu’il pensait hors de lui.

Cependant, malgré cette réussite formelle, le film atteint sa limite dans la simplicité de son approche narrative. Avec entrain, le film déploie tout un cinéma de la bande de potes, mais de par sa linéarité et son côté théâtral, le film trébuche à certains moments quand il s’agit de dépasser son dispositif de mise en scène qui laisse parfois trop de place à ses acteurs. Ainsi, au fil de son déroulement, le film met en exergue une certaine légèreté quelque peu futile mais toutefois agréable, surtout à travers le traitement précédemment évoqué de la rencontre amoureuse et de la santé mentale. Une limite que l’on met facilement de côté à quel point le film traite avec habileté et humour des sujets aussi contemporains

En soit, Rapide émerge comme un film qui arrive au bon moment, une œuvre générationnelle qui place au cœur de son intrigue un comique de situation porté par un casting prometteur. Au même titre que son réalisateur Paul Rigoux, qui se profile comme un véritable espoir de la comédie française au cinéma.

Dylan Librati

Article associé : l’interview du réalisateur

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Paul Rigoux : « Pour moi, la comédie est une forme de catharsis »

Avec Rapide, Paul Rigoux signe son premier film produit et nous invite à explorer avec légèreté et humour l’anxiété d’une génération en proie au doute. Récompensé durant le dernier Festival Format Court de la mention spéciale du jury, il est maintenant nommé aux César 2024 dans la catégorie meilleur court-métrage de fiction. Une carrière de réalisateur qui pourtant n’était pas si évidente pour le jeune natif bordelais qui a travaillé une grande partie de sa vie dans la distribution. Avec recul et humour, il nous parle de l’impact qu’a eu le succès de Rapide sur sa vie et de son envie de faire de la comédie.

Format Court : Ça te fait quoi d’être nommé aux César ?

Paul Rigoux : C’est une grande joie évidemment, c’était déjà une grande fierté de figurer dans les 24 présélectionnés, mais de me voir parmi les 4 finalistes ça m’a fait exploser de joie. Maintenant, depuis ma nomination, je suis très sollicité et j’ai l’impression de vivre quelque chose d’un peu irréel. D’autant plus pour un court-métrage que j’ai pu réaliser il y a un an de cela avec le GREC qui est une association nommée pour la première fois.

Tu as toujours gravité autour du cinéma, qu’est-ce qui t’a fait passer du côté de la réalisation ?

P.R : Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, ce qui fait que ma relation avec le cinéma quand j’étais adolescent notamment, était beaucoup lié à des grosses petite coquille sur la virgule ,comme les films de Christopher Nolan. Je me souviens entre autres que le film qui m’avait choqué à l’époque, c’était Seul contre tous de Gaspar Noé parce que ça me questionnait sur ce qu’on pouvait faire au cinéma. Mais c’est surtout pendant mes études de droit que je suis rentré dans une période de cinéphilie et que je me suis intéressé à des cinémas différents, comme celui de la nouvelle vague. C’est à ce moment-là qu’est née aussi l’envie de pouvoir concilier mes études et mes passions un peu plus artistiques. Moi, je viens de Bordeaux et j’ai toujours eu cette impression que le cinéma, c’était un environnement très loin du mien, un milieu très parisien. J’ai décidé par la suite de faire un master en droit du cinéma et c’est ainsi que j’ai pu après intégrer la Fémis, en distribution. Au début, je n’avais pas d’ambition de réaliser un film, en tout cas, je n’y trouvais pas ma légitimité. Je venais du juridique et je étais en rien un artiste. C’est en rencontrant tous ces élèves en réalisation et en scénario et en voyant toutes ces émulations créatives que ça m’a poussé à écrire et à réaliser mon premier court-métrage Ainsi commença le déclin d’Antoine et ensuite Rapide. Je me questionnais et ces rencontres m’ont décomplexé en un sens. Aujourd’hui, je suis content d’avoir pris cette décision.

« Ainsi commença le déclin d’Antoine »

Si tu pouvais pitcher Rapide à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

P.R : C’est l’histoire de deux colocs, Jean et Alex. L’un, est anxieux et apathique, tandis que l’autre cherche à éviter la réflexion pour agir rapidement. Leur quotidien est perturbé lorsque Jean invite son amie Caroline, tandis qu’Alex accueille Lou, ce qui fait confronter leurs deux visions de la vie.

Comment s’est passé le processus avec les comédiens ?

P.R : C’était beaucoup de dialogue et de discussions avant tout. Notamment, en ce qui concerne les personnages de Mélodie Adda et Abraham Wapler, à l’origine, je leur avais proposé les rôles de Édouard Sulpice et Mathilde Weil, qui étaient des personnages anxieux et lents. Et c’est lorsqu’ils ont lu le scénario qu’ils ont exprimé le désir de jouer les rôles des “Rapides”, estimant que ceux-ci leur correspondaient plus. Quant aux personnages des « Lents », Édouard et Mathilde, j’ai choisi de ne pas passer par des castings traditionnels. C’est après les avoir remarqués dans leurs apparitions respectives chez Guillaume Brac avec À l’abordage et chez Martin Gérard avec À l’ombre l’après-midi que j’ai décidé de les contacter directement.. Après en amont du tournage, c’était beaucoup de travail de répétitions parce que c’est un film très écrit et on n’avait au final que 4 jours de tournage. Je profitais aussi de l’opportunité pour réécrire le scénario et les dialogues qui ne marchaient pas pour peaufiner l’alchimie entre les personnages. Ça nous a vraiment permis d’arriver sur le plateau et d’être rodés à l’exercice. On avait juste, entre guillemets, à poser la caméra et ça s’est très bien passé.

Quelle était la place de l’improvisation sur le tournage ?

P.R : On a tellement travaillé le texte pendant les répétitions qu’au final sur place, il n’y avait quasiment pas d’improvisation sauf peut-être en ce qui concerne leur gestuelle. J’étais tellement concentré sur le texte que je leur ai laissé plus d’espaces et ils ont fini par apporter quelque chose de très comique à leur personnage notamment dans leur mimique. C’était assez naturel au final même pour le texte qui était récité limite au mot près.

De quoi est né Rapide ?

P.R : Je pense que Rapide est née en contradiction avec mon premier film. C’était un film très sérieux, très intello, très Nouvelle vague en fait, et je me souviens que quand je le montrais en festival, les moments qui m’intéressaient le plus, c’était quand les spectateurs rigolaient aux scènes où on se moquait du personnage principal. Je me suis rendu compte à ce moment-là que l’ironie pouvait être l’une de mes armes et c’est ainsi que j’ai décidé d’écrire un film plus léger et comique. Après le film est né aussi d’un constat que j’ai fait sur moi-même et sur ma personnalité fragmentée entre mon côté lent un peu intello solitaire et mon côté plus Rapide et fêtard. Ainsi, j’ai profité de ce moment de lenteur extrême qu’est le confinement pour pouvoir mettre sur papier toutes ces idées-là. Cette pause en plein chaos a beaucoup influencé l’écriture de Rapide.

« Rapide »

On voit que tu traites cette dichotomie à travers la mode de tes personnages Rapide notamment.

P.R : Oui, c’était l’une des envies aussi avec ce film de pouvoir mettre des vêtements et des accessoires empruntés au style un peu techno et techwear. Cette fascination est née d’un délire que j’avais avec des potes où on s’amusait à acheter des lunettes et des accessoires un peu débiles. Avec le temps, la haute couture s’en est emparé, une marque comme Balenciaga a commencé à faire des collections avec des lunettes hyper profilées, des vêtements très proches du corps, très sport. C’est tout un univers visuel que j’aime beaucoup et que j’avais envie de filmer et qui rejoignait toute mes pensées théoriques en ce qui concerne le rapport au temps. En plus, c’est assez kiffant de filmer et de voir les acteurs porter ces lunettes aérodynamiques, ça me faisait marrer, quoi.

Comment as-tu réfléchi à toutes ces idées théoriques à travers ta mise en scène ?

P.R : Ça peut paraître un peu simple, mais ce que je voulais en amont, c’était de couper le film et sa narration en deux parties. Dans un premier temps, avoir une première partie très fragmentée et comique avec le personnage d’Édouard Sulpice qui se fait balader de scène en scène et où on se laisse autant embarquer que le personnage. Je voulais vraiment que ces premières minutes puissent accrocher le spectateur pour qu’il ait l’envie de voir la suite. Dans un deuxième temps, avoir une deuxième partie avec une mise en scène qui joue sur le temps long qui laisse plus la place aux dialogues entre le personnage d’Édouard Sulpice et de Mélodie Adda. Cela me permettait aussi de faire comme dans mon premier film et de jouer sur des plans-séquences. C’était un moyen pour que le fond et la forme se répondent.

On sent dans Rapide comme une influence de la comédie psychanalytique à la Woody Allen. Était-ce l’une de vos inspirations ?

P.R : Évidemment, Woody Allen était l’une de mes influences, rien que dans les dialogues et les scènes de balades dans la rue, mais aussi notamment à l’époque où il jouait dans ses films, comme Manhattan, ce personnage d’anxieux merveilleux. Je sais que j’ai été beaucoup influencé par le cinéma un peu bavard comme celui d’Eustache, Rohmer ou même de Hong Sang-Soo, un cinéma qui reflète l’anxiété. Après, on me demande souvent ça, mes inspirations, mais je crois que quand t’écris un film, une fois que tu te mets vraiment dans la prépa, t’arrêtes un peu d’être cinéphile et tu te concentres vraiment sur ton histoire. Après, évidemment, t’as tes inspirations qui sont infusées en toi, et tu ne peux pas trop t’en échapper du moins inconsciemment.

« Manhattan »

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la comédie ?

P.R : Je suis convaincu que c’est principalement cette interaction avec le public, suite à la sortie de mon premier film, qui m’a profondément intéressé, et qui a suscité ma curiosité envers le genre de la comédie.. Je voulais vraiment m’éloigner de mon premier film qui faisait un peu redite avec ma vie, avec sa léthargie. Avec la comédie, tout en étant léger ça me permet de me libérer, de faire comme une catharsis. De pouvoir traiter via la comédie et la rencontre amoureuse de toute cette anxiété sociale, typique de notre génération et de notre époque où tout va un peu trop vite. Cela me fait du bien, et d’après les retours que j’ai reçus de ceux qui l’ont vu, c’est un film qui fait du bien et qui fait rire. Et pour quelqu’un comme moi qui est assez taiseux et timide, c’était aussi un challenge de pouvoir faire rire les gens.

Comment s’est passé ton expérience avec le GREC ?

P.R : C’était vraiment libérateur. A l’origine, moi, je développais le film avec un producteur et c’était vraiment un travail différent parce qu’on devait du coup candidater au CNC, aux régions et finalement, il fallait, pour que les Commissions aiment le film, altérer un peu le scénario. Alors qu’avec le G.R.EC. , Ils sont là avant tout pour mettre en avant des visions de cinéastes, c’est notamment ce que n’arrêtait pas de répéter chargé de production, Marcello Cavagna. Le GREC, c’est un accompagnement avant tout, c’est une superbe porte d’entrée dans le cinéma d’autant plus pour des réalisateurs dont c’est leur première expérience produite. Moi, maintenant quand je vais en festival, quand je vois qu’il y a le logo du GREC au début du film, je me dis : « Tiens, ça va être un film singulier ». Ce ne sera pas forcément toujours réussi, mais il y aura une proposition et ça, je trouve génial. C’est vraiment la matérialisation de l’exception culturelle française. C’est une association créée il y a 60 ans, qui te file 18.000 euros pour que tu fasses un film, qui t’aide à le diffuser. C’est tellement précieux et j’espère que ça va durer.

«  »Rapide »

Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi dans le futur ?

P.R : Après avoir vu le parcours Rapide en festival, j’ai décidé de quitter mon travail dans une boite de production et en ce moment, je travaille sur l’écriture de mon premier long-métrage. C’est quelque chose d’assez fastidieux sur lequel je suis en train de bosser, mais je ne m’interdis pas aussi de travailler sur du court-métrage en attendant. Je me souviens avoir parlé avec Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse, qui me disait qu’entre son dernier court produit et son long-métrage, il avait fait plein de films auto-produits. Et je pense que c’est ce que je vais faire, ça te permet de tester plein de trucs et de ne pas trop attendre pour créer.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

Stephen Vuillemin : « Mon film est dans la continuité de mon travail d’illustration et de BD »

Un Genre de testament, le premier court-métrage de Stephen Vuillemin a été sélectionné dans plusieurs festivals, dont la Berlinale 2023 et Clermont-Ferrand 2024 (section Labo). Le film était en lice pour les César 2024. Après une riche carrière comme illustrateur et animateur, le tout nouveau réalisateur s’inscrit dans le milieu du cinéma et se familiarise avec le format court.

Une femme découvre un site web à son nom avec plusieurs animations basées sur ses photos personnelles publiées sur les reseaux sociaux. Dans sa quête, elle tombe sur des animations de plus en plus romanesques et complexes. Une histoire intrigante et un style visuel unique qui marquent Un Genre de testament.

Format Court : Peux-tu nous parler de ton parcours académique ?

Stephen Vuillemin : J’ai fait un bac appliqué en arts. C’est une initiation à tout ce qui touche au design, design de mode, design graphique, etc… . Après, j’ai fait un an aux Beaux-Arts et ensuite, je suis allé aux Gobelins, en animation.

Quel était ton objectif au départ avec cette école ?

SV : Je pense que quand j’ai commencé à faire avec les Gobelins, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire comme métier en sortant. J’avais choisi les Gobelins parce que j’avais entendu que c’était une bonne école pour le dessin. J’étais plus intéressé par la BD avant d’y aller. C’est en suivant la formation que j’ai découvert comment fonctionnait l’industrie de l’animation, car il y a plusieurs métiers : le métier de réalisateur, storyboarder, designer, animateur… Je me suis rendu compte aux Gobelins que ce qui m’intéressait le plus était la réalisation et le design. En sortant de l’école, je n’ai pas trouvé du travail là dedans, donc je suis devenu animateur, alors que cela ne m’intéressait pas spécialement quand j’étais étudiant.

Pourtant, en faisant ça, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi des choses intéressantes là-dedans, et c’est d’ailleurs ce que m’a permis de faire mon film. J’ai fait une grande partie de l’animation tout seul, et si je n’avais pas fait le métier d’animateur avant, ça aurait été impossible.

Avant Un Genre de testament, tu travaillais en tant qu’illustrateur de BD, tu faisais de l’animation pour la presse et pour la musique. Qu’as tu appris de ces autres milieux qui aurait pu être appliqué dans ton film ?

SV : Avant de faire Un Genre de testament, j’avais deux carrières en parallèle. Une carrière “d’auteur », celle que je mettais en avant sur internet (j’avais réalisé un clip, pas mal d’illustrations, je faisais beaucoup de GIFs animés, une BD qui avait un petit peu marché sur internet, appelée Lycéennes…). Mais il y avait aussi une carrière parallèle, d’animateur pur et dur, sur les projets des autres (surtout des pubs). Ça m’intéressait moins, je le faisais plutôt en alimentaire. Par contre, en faisant cela, j’ai appris à animer et même à y prendre du plaisir.

Pendant longtemps, j’avais envie de faire un film, mais je n’avais pas très envie d’aller défendre un projet, d’aller voir un producteur, de lui demander de me faire confiance, etc. Je me suis donc lancé dans ce projet de film tout seul, au départ. Grâce à mes années d’expérience dans l’animation, le fait d’avoir fait un peu tous les métiers de l’animation dans des studios, c’était envisageable. Comme ça, je n’avais pas besoin de discuter avec quelqu’un, je pouvais faire ce que je voulais et il n’y aurait pas de pression, pas de deadline. Jusqu’à la dernière année, ou j’ai commencé à collaborer avec Remembers (boîte de production, ndlr).

Mon autre carrière, celle d’auteur-illustrateur, m’avait donné le temps de développer un style, une voix, des sujets de prédilection. Le film est dans la continuité de tout mon travail d’illustration et de BD.

Comment ça fonctionne quand tu travailles tout seul sur un film d’animation ? À quel moment as-tu décidé que le scénario était fini et que tu pouvais commencer à l’animer ?

SV : J’ai perdu un peu de temps au début, parce que j’avais envie de commencer par l’animation. Normalement, on démarre par le scénario, puis le storyboard et le design avant de faire l’animation.

Au moment où j’ai commencé, je pointais le matin au travail pour faire de l’animation dans des studios, et le soir et les weekends, je travaillais sur le film, comme une espèce de hobby. Alors forcément, je n’avais pas envie de reproduire ce que je faisais au travail dans mon hobby ! Je voulais faire les choses différemment. Mais en faisant le film, je me suis rendu compte qu’il y avait certaines conventions qu’il valait mieux respecter, comme celle de faire un storyboard et un animatic avant de commencer à animer des plans. J’ai fini par me plier à cette convention. Par contre, je suis passé directement au storyboard, sans écrire de scénario.

Une des raisons pour lesquelles j’avais envie de commencer tout seul, outre mon envie de prendre mon temps et de travailler différemment, c’est que quand j’essayais d’expliquer mon projet à des personnes, c’était très compliqué, alors que quand on voit le film, c’est très clair.

À quel point étais-tu avancé dans le film quand Remembers est rentré dans le projet et quelle a été leur contribution ?

SV : J’ai d’abord travaillé seul pendant 5 ans et j’avais pas mal avancé sur le film, mais il manquait encore plusieurs scènes, dont la plus longue du film, celle dans les toilettes ; ainsi que la scène de l’accouchement, l’une des plus difficiles à animer ; entre autres. La dernière année, j’ai terminé le film avec la boîte de production Remembers. La version que je leur ai présentée était assez avancée pour qu’on puisse regarder le film et comprendre ce qui s’y passe, mais ces scènes manquantes étaient à l’état d’animatic. D’autres séquences étaient complètement terminées, et permettaient de se faire une idée du look final qu’allait avoir le film.

Quand Remembers est arrivé, ses producteurs ont d’abord cherché des financements. Ils ont trouvé tout ce qu’il nous fallait pour finir le film dans les meilleures conditions très rapidement. Ils ont trouvé une équipe incroyable, et nous avons travaillé ensemble dans leurs locaux. J’étais accompagné par une productrice géniale, Joséphine (Mancini, ndlr), et plusieurs animateurs très talentueux sont venus m’aider. Nous avons travaillé ensemble une année entière. C’était devenu une vraie production. Je travaillais à plein temps sur mon film, et contrairement aux 5 premières années, j’étais payé pour le faire, ce qui était plus confortable !

Comment as-tu vécu ce changement ? Est-ce que ça a été facile de travailler avec une équipe d’animateurs ?

SV : C’était différent, mais j’ai adoré les deux phases. Pendant les 5 premières années, ça avançait lentement, déjà parce que j’étais tout seul, mais aussi parce que je cherchais une forme de perfection, et que comme il n’y avait pas de deadline, je pouvais la chercher pendant des mois. C’était très satisfaisant quand j’avais l’impression de la trouver.

Ensuite, avec Remembers, cela a beaucoup changé parce qu’une fois qu’on avait un budget et une production, il fallait finir à une certaine date. Il fallait aussi faire confiance à d’autres personnes et déléguer le travail. Heureusement, mon équipe était incroyable. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers Remembers : ils travaillent avec les meilleurs animateurs. Par contre, la partie que j’ai eu le plus de mal à déléguer, c’était le clean-ups (la phase finale de passage au propre des dessins). J’en ai fait une grosse partie moi-même, y compris sur des plans que je n’avais pas animés, pour qu’on ait au maximum la sensation que tout venait d’une même main.

Remembers a aussi ramené quelque chose que je ne savais pas faire : la 3D. Simon Cadilhac, qui est leur “head of 3d”, a modélisé le visage du personnage en 3D, pour servir de référence aux animateurs qui la redessinaient en 2D. Certains mouvements de caméra ont aussi été animés en 3D, avec des calques en 2D. Cela nous a fait gagner énormément de temps.

Quand tu travaillais tout seul, parlais-tu du projet à d’autres personnes ?

SV : J’en parlais aux gens mais je ne le montrais pas. J’étais complètement obsédé par ce projet pendant 6 ans. Je n’avais plus de hobbies, tout mon temps libre, je faisais ça.

Je recherchais une forme de pureté. J’étais habitué à voir des projets passer de main en main dans l’industrie de l’animation, mais c’était l’opposé de ce que je cherchais pour mon film. Quand je l’ai montré aux producteurs, c’était une grosse étape à franchir. Remembers était une nouvelle compagnie, et l’esthétique de leurs projets était proche de la mienne. L’un des fondateurs, Ugo Bienvenu, était à l’école avec moi (deux promos en dessous) et il fait aussi de beaux projets d’animation. Je me suis dit que ça pouvait fonctionner avec eux. Aussi, au bout de 5 ans, cette rencontre arrivait à point nommé, parce que je commençais à fatiguer un peu. J’avais envie de terminer le projet rapidement.

C’est avec eux que le design son a été construit ?

SV : J’ai commencé le film quand j’avais 30 ans et ça faisait presque 10 ans que je travaillais dans l’animation. J’avais vraiment développé une énorme envie de faire mon propre film, et je me disais souvent : « Si je faisais un film, il serait comme ci, il serait comme ça, je demanderais à untel de faire ci, a untel de faire ça…». C’était une espèce de fantasme. J’avais plein d’idées sur les personnes avec qui je voudrais travailler. Cette personne pour la musique, c’était Charlie Janiaut, dit Qoso, un ami de longue date. J’avais fait une vidéo pour lui il y a dix ans. Lucien Krampf, qui a fait le sound design, est musicien aussi, et il fait partie de la même bande d’amis. Il y a aussi Kerhao Yin, à qui j’ai demandé de choisir les costumes dans le film, un designer de mode et ami de longue date, que j’avais envie d’impliquer depuis le début.

Ils étaient là dès le début, je leur ai montré très vite des choses, et ils savaient qu’ils allaient faire le son, mais nous n’avons commencé à travailler ensemble que quand Remembers est rentré dans le projet. À ce moment-là, il y avait un budget pour le son !

J’ai aussi pu faire jouer du saxo dans le film à Jack Willie de Portico Quartet, que je connaissais de mes années à Londres. Les astres s’alignaient !

Les vêtements des personnages sont très opulents et flashy. Même dans votre travail en général, la question de la mode est récurrente, d’où vient cet intérêt ?

SV : Je ne saurais pas dire d’où ça vient mais c’est vrai que cela m’intéresse. J’ai l’impression que mes grands deux intérêts sont de faire de l’animation et d’acheter des vêtements. Je passe beaucoup de temps à regarder des habits et, souvent dans mes illustrations, je dessine de vrais vêtements dans les personnages.

Kerhao Yin est designer et a travaillé chez Céline et Marni, des marques que j’adore et dont je dessinais déjà parfois des vêtements. Je lui ai demandé de choisir des tenues pour la protagoniste d’Un Genre de testament. Dans ce projet, il faisait du stylisme, il choisissait des vêtements déjà existants pour chaque scène du film.

Il a fait une espèce de graduation dans l’extravagance des tenues que la personnage porte, elles deviennent de plus en plus dramatiques. Il a aussi choisi des vêtements dont on peut identifier la saison, si on connait la mode : par exemple, si dans une scène, le personnage porte intégralement du Marginal de 2008, puis dans une autre, du Prada de 2012, et si on arrive à reconnaître les vêtements, on peut voir combien de temps sépare chaque scène. Il y a une chronologie.

Les vêtements ont été dessinés tels qu’ils sont ?

SV : Oui. Mes palettes de couleurs très particulières sont souvent renseignées par les couleurs avec des vêtements des personnages. Si je dessine des vêtements qui existent, j’utilise leurs palettes pour poser l’ambiance, et, ensuite, je mets les autres couleurs en fonction.

Quelles sont tes influences pour le film ?

SV : J’ai été très guidé par des peintures de vanités. Ce sont des peintures de la Renaissance très soignées, très expertes dans la façon dont elles sont peintes. Quand les peintres de la Renaissance faisaient des vanités, ils essayaient vraiment de faire la peinture la plus belle possible et de mettre tout leur savoir-faire dans cette peinture, mais au même temps, il y avait toujours une espèce de fausse humilité, comme s’ils se disaient : « Oui, je peins bien, mais cela n’a aucun sens parce que finalement je suis conscient que je vais mourir ». Les sujets qui étaient représentés étaient en accord avec cela : fleurs qui fanent, têtes de morts, insectes…

Mon idée pour le film était un peu similaire. Moi, qui suis animateur, je voulais mettre tout mon savoir-faire pour créer une belle animation, mais en même temps il y a ce thème qui est dans les vanités : la mort, le temps qui passe, et le fait qu’au final, tout n’a pas d’importance. J’aimais bien cette idée d’être à la fois très prétentieux, très démonstratif, et en même temps faire comme si cela n’avait pas d’importance.

Comment perçois-tu les festivals d’animation où passe le film ?

SV : Je suis bien content parce que quand j’ai commencé le film, je ne connaissais pas très bien le côté court-métrage de l’industrie de l’animation. Je travaillais surtout sur des projets de commande, de la pub. Être dans des festivals m’a permis de voir plus de courts-métrages, alors que je n’en regardais presque pas, c’est assez foisonnant.

Pourquoi as-tu décidé de faire le film en anglais ?

SV : Parce que quand j’ai commencé le film, j’habitais à Londres. D’ailleurs, ça aurait été inconcevable de faire financer le film au Royaume-Uni ! Là-bas, l’industrie est vraiment tournée vers la pub, et vers des styles très “commerciaux”. Il n’y a pas de studio comparable à Remembers, et leur équivalent au CNC est beaucoup moins puissant. J’ai du attendre d’être revenu en France (après un passage de deux ans à Taiwan) pour y penser.

As-tu de nouveaux projets pour l’instant ?

SV : Je suis en train de finir un livre pour enfant qui devrait sortir à la rentrée. Il y a des points communs avec le film mais c’est beaucoup plus family friendly.

Quelle est ta vision du court métrage ?

SV : Je pense que c’est un endroit parfait pour développer des films qui ne reposent pas sur les personnages, contrairement au long-métrage, ou c’est plutôt la tendance. A titre personnel, j’ai du mal à m’intéresser à mes personnages, mais ça viendra peut-être.

Propos recueillis par Bianca Dantas

Palmarès SFCC 2023, le court et les premiers longs primés

Lors de la 78ème cérémonie des Prix du Syndicat Français de la Critique (SFCC) qui s’est tenue à la Cinémathèque Française le lundi 12 février 2024, le cinéma a été célébré dans diverses catégories, mettant en avant le meilleur des ouvrages littéraires et DVDs de cinéma ainsi que les meilleures productions télévisuelles et cinématographiques de l’année. Parmi celles-ci, les courts et les premiers longs-métrages.

Meilleur court métrage français 2023 : Mémoires du Bois de Théo Vincent, décerné par le Jury composé de Julia Wahl, Valérie Ganne, Margherita Gera, Pierre-Simon Gutman, Nicolas Thys.

Meilleurs premiers films 2023, décerné par le Jury composé de Katia Bayer, Garance Hayat, Yaël Hirsch, Diane Lestage, et Christiane Passevant.

– Meilleur film français français : Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck

– Meilleur premier film étranger : Chili 1976 de Manuela Martelli (Chili)

Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck

Les éditions Diaphana sortent le 20 février en DVD et VOD le très beau film de Iris Kaltenbäck, Le Ravissement, un premier long-métrage sélectionné à la Semaine de la Critique en 2023 et lauréat, entre autres, du Prix Louis Delluc du meilleur premier film et du Prix SFCC du meilleur premier film français. Le film, nommé aux César 2024, est à découvrir impérativement, avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse. Format Court organise un jeu-concours et vous propose d’en remporter un exemplaire.

Salomé est aussi délurée que Lydia est sage et introvertie. Elles nourrissent toutefois une amitié de longue date, vécue par la dernière comme un principe de vases communicants : plus joyeuse est l’une, plus triste est l’autre. Or, Salomé, enceinte, va bientôt accoucher. Ne dit-on pas que cette expérience est le plus beau jour d’une femme ? A l’approche de la date, Lydia, sage-femme de son état, s’inquiète donc des conséquences sur elle. Ne risque-t-elle pas de connaitre un profond malheur?

Est-ce pour cela qu’elle décide de voler l’enfant de son amie, ou est-ce pour (re)conquérir Milos, qui ne répond à aucun de ses appels depuis la nuit qu’ils ont passée ensemble ? Toujours est-il qu’elle se transforme en kidnappeuse et présente à Milos le nourrisson comme le fruit de leur nuit d’amour. 

Cette histoire, inspirée d’un fait divers, nous est racontée progressivement. C’est d’abord la voix d’Alexis Manenti, qui joue Milos avec simplicité, qui cueille le spectateur. Acteur malgré lui de cet enlèvement, son récit est fait de failles et d’interrogations. 

La dramaturgie du film est écrite de façon millimétrée : alors que la voix de Milos/Alexis Manenti s’adresse, on le comprend rapidement, à la cour d’un tribunal chargée de le juger, nous ne savons encore rien de l’histoire qui va se jouer. Si les doutes du personnage ne sont pas ceux des spectateurs, ils se répondent, et chacun avance doucement dans son accès à la – à une – vérité de l’histoire. 

L’écriture du scénario – assurée par Iris Kaltenbäck – fait également montre de virtuosité dans la fabrique de ce hors-champ qu’est le procès. Milos y fait certes allusion, dès le début, du fait de son adresse en voix off, mais jamais il n’apparaît à l’écran. Ce dispositif transforme alors l’écran sur lequel nous regardons le film en prétoire : s’il n’y a à l’image ni juge ni juré, c’est au spectateur de prendre leur place. Ce jeu avec le genre – actuellement bien envahissant – du film de procès rend de fait le spectateur actif. 

Cet effacement des effets de manche et autres exhibitions de preuves s’inscrit également dans l’esthétique générale du film, qui fait de la sobriété son maître-mot. Sobriété de l’image, donc, qui refuse au prétoire sa place, mais aussi des dialogues. 

Hafsia Herzi, qui incarne Lydia avec grâce, nous propose en effet un personnage avare de mots, même quand il s’agit de mentir. Elle affabule avec la même discrétion avec laquelle elle promène son spleen dans les rues de Paris ou la plage d’Houlgate. Son visage n’a pas besoin d’artifices pour être expressif et dit assez la résignation du personnage. 

La musique composée par Alexandre de la Baume la suit à la manière d’une ritournelle mélancolique et légère, qui sait elle aussi s’effacer pour laisser place au drame qui se joue. 

Ce premier long-métrage apparaît comme un coup de maître, la réalisatrice parvenant à associer dans une même retenue scénario, musique et direction d’acteurs. Ce film n’annonce donc pas seulement la naissance d’une réalisatrice, mais celle d’une cinéaste avec une esthétique propre, déjà bien définie.

Le DVD des éditions Diaphana propose en sus du film deux bonus : le premier court-métrage d’Iris Kaltenbäck, Le Vol des cigognes, et un échange entre la réalisatrice et Ava Cahen – déléguée générale de la Semaine de la Critique. 

Réalisé à la Fémis, Le Vol des cigognes (2015) présente, en vingt-huit minutes, une première version du Ravissement. Le style d’Iris Kaltenbäck y affleure déjà, de manière peut-être plus absolue : la sobriété du long-métrage est annoncée par le silence presque complet du court. Le scénario varie certes quelque peu, mais l’essentiel n’est pas là : ce qui importe est bien de cerner ce passage du mutisme à la réserve. 

Quant à l’échange avec Ava Cahen, il permet de comprendre la naissance de cet étrange scénario à partir d’un simple fait divers, mais aussi les choix présidant au casting, si important dans la réussite de ce film. Ce DVD/VOD permet donc de saisir la naissance d’une cinéaste dont on attend beaucoup dans les années à venir.

Julia Wahl

N comme Nous ne serons pas les derniers de notre espèce

Fiche technique

Synopsis : Et si la fameuse arche biblique, dernier refuge de l’humanité et du règne animal lors du grand déluge, n’était pas un simple acte d’intervention divine mais plutôt un programme de réinsertion professionnelle minutieusement planifié ?

Genre : Animation

Durée : 24’

Pays : France

Année : 2024

Réalisation : Mili Pecherer

Scénario : Mili Pecherer, Adrien Dupuis-Hepner

Musique : Beila Unger

Son : Hugo Debrie

Production : Mili Pecherer, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

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Nous ne serons pas les derniers de notre espèce de Mili Pecherer

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux » écrit Marcel Proust dans son célèbre roman À la recherche du temps perdu. Nous ne serons pas les derniers de notre espèce (France) correspond à cette idée : un dernier voyage apocalyptique sur une arche de Noé moderne qui nous fait ouvrir les yeux. Ce court-métrage d’animation brillant, innovant et disruptif de l’israélienne Mili Pecherer est présenté cette année dans la sélection des courts en compétition de la Berlinale.

Dans le livre de la Genèse, il est écrit : « Pour moi, je vais faire venir le déluge, les eaux, sur la terre pour détruire toute créature ayant souffle de vie sous le ciel; tout ce qui est sur la terre périra.” Ici, pas de Dieu ou de grande parole annonciatrice : on voit seulement le bateau accueillir les animaux avant que la terre ne soit submergée par l’eau. Le court-métrage commence par une aube rosée avec la présence d’un bateau à terre, on s’enfonce dans notre siège à la rumeur d’animaux au loin. Une fois le “déluge” passé, il semble faire nuit sans cesse. L’animation savamment travaillée confère de façon saisissante une solitude tremblotante sur le navire, ressemblant de près ou de loin à une sombre retraite thérapeutique pour des gens perdus qui chercheraient un sens à leur vie.

Le spectateur reste bloqué à un étage du bateau, dénommé le “Département des purs”, se voulant productif et utile – sans doute assez ironique au vu de l’unique présence d’animaux de ferme et d’une femme. On devient rapidement témoins des discussions en entendant les vaches mugir, les cochons couiner, les poulets caquetter, grâce aux sous-titres proposés. Cela fait curieusement écho à un autre court de la sélection berlinoise Les animaux vont mieux de Nathan Ghali (France), où une mystérieuse communauté d’animaux a décidé de vivre en autarcie dans le sous-sol d’une église. Là aussi, le langage des animaux est conservé et traduit par un sous-titrage, offrant une nouvelle perspective du langage au spectateur.

Dans Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, le mythe est renversé. Il n’y a pas de colombe annonçant la paix, comme sur l’arche de Noé, mais un pigeon annonçant à la femme qu’elle doit effectuer sa mission en quarante jours, même si elle ne la comprend pas. La femme doit donc obéir et travailler. Elle discute avec ses collègues, les animaux, dont le corbeau, un personnage singulier : il ne travaille pas et boit tout le café, en partageant sa vision pessimiste et nihiliste du monde, qu’il souhaite voir périr. Le travail de la femme – sans issue possible – est aliénant en ce qu’il lui fait croire qu’il y a une issue, même si elle se sent toujours aussi perdue – et qu’elle perd sa liberté… Elle travaille pour un but et un chef qu’elle ne connaît pas et dont elle ne reçoit que les ordres par intermittence. Cette espèce de patron, ou dieu qui dicte ses commandements à partir des hauts parleurs, donne cette sensation malaisante de contrôle et de surveillance propre aux dystopies.

Tout au long du visionnage du court, de nouvelles questions se soulèvent. Quoi de mieux qu’utiliser la fin du monde comme prétexte pour critiquer notre monde actuel ? Même si la terre est engloutie, le système continue d’avoir un pouvoir sur les derniers restants. Cette arche de Noé moderne illustre cette perte de sens, notamment en suggérant l’exploitation par le travail caractéristique d’une société capitaliste. Plusieurs fois, un oiseau répète que les heures supplémentaires de la femme seront payées davantage, et que le frigo sera enfin rempli. N’y aurait-il pas une pointe d’ironie de parler de salaire quand c’est la fin du monde au dehors ? La femme, qui semble chercher un sens au commencement, finit par suivre les ordres et construire ce qu’elle a à construire : une sorte de tour en vestige d’une civilisation perdue.

La reprise burlesque, quoique dramatique du célèbre épisode biblique, nous invite à regarder autrement le monde d’aujourd’hui et nous interroge sur l’idée de la survie de l’espèce humaine. À l’image d’une fable désenchantée, le court-métrage nous fait finalement peut-être espère que nous serons les derniers de notre espèce.

Amel Argoud

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Article associé : l’interview de la réalisatrice