Montsouris de Guil Sela

Au milieu du brouhaha et du chaos de la vie parisienne, les parcs se révèlent comme des endroits à part dans le temps, où chaque plaine est remplie de pique-niques et d’histoires cachées. C’est dans ce décor du quotidien que Guil Sela décide de poser les cadres de son court-métrage Montsouris, Prix Découverte Leitz Cine du court-métrage à la Semaine de la Critique 2024, qui nous raconte l’histoire de Jacques et Nathan et de leur recherche désespérée de gens intéressants à filmer pour leur documentaire. Cette quête les mènera à rencontrer Pierre et Martin, un couple d’amis aux personnalités totalement différentes (l’un est calme et placide tandis que l’autre est nerveux et colérique) qui s’apprêtent à vivre un moment inattendu.

À l’image de ces personnages dichotomiques, le film nous apparaît comme un subtil mélange de couleurs, d’envie et de genres, tant nous oscillons, en tant que spectateurs, de l’humour au drame et à la poésie cotonneuse du quotidien avec une grande facilité. Un équilibre rondement mené qui s’incarne avant tout grâce à une palette de comédiens se révélant comme la relève d’un cinéma français en proie à de nouveaux talents. En tête, nous retrouvons évidemment ce couple d’amis au comportement antithétique, incarné par Pierre Gandarmay et Martin Jauvat, tous deux très précis dans leurs incarnations et à l’alchimie superbe. Ce dernier, plus connu pour son travail en tant que réalisateur, se trouve ici à contre-emploi, loin de ses rôles habituels.

Un exercice qui nous paraît d’autant plus stimulant qu’il est effectué dans un plan-séquence d’une quinzaine de minutes. Un long plan qui met en exergue la comédie de situation inhérente au délit auquel nos héros sont confrontés. Une comédie intrinsèque, accentuée par la prise de recul apportée par la mise en scène, qui choisit de jouer sur des longues focales, magnifiant et transformant simultanément le parc de Montsouris en un décor organique où les histoires semblent omniprésentes. Une organicité qui transparaît grâce à l’utilisation de l’argentique, procédé cher au réalisateur et qui en a fait sa spécificité dans le domaine de la photographie, où il a également officié.

La figure du photographe, du filmeur, nous est ici présentée comme un pur voyeur. Inhérente au cinéma, la position de voyeur a souvent été traitée, se référant surtout à notre place en tant que spectateurs devant une œuvre cinématographique. Ici, Guil Sela se plonge dans ce voyeurisme pour interroger sa propre position en tant que filmeur et auteur à la recherche de quelque chose à dire, à montrer, à commenter. Ainsi, le film se révèle nourri de plusieurs influences cinématographiques, notamment celle de De Palma avec Blow Out. Tant dans sa construction narrative que dans le voyeurisme inhérent à son plan-séquence, le film ne cesse de citer le réalisateur italo-américain. Au final, le film se livre comme un objet cinématographique réellement passionnant, une œuvre d’une épure qui éveille chez chaque auteur le questionnement et la peur face à une page blanche.

Un discours d’autant plus métaphysique que le film se présente comme une introspection personnelle de son auteur, symbolisée à la fois par le personnage du réalisateur, que Guil Sela incarne, et par celui du preneur de son, tous deux en complète opposition sur ce qu’il faut filmer et sur la place de la vie privée dans leur quête d’images. Cette double incarnation s’affiche alors comme une personnification du tiraillement entre la quête du beau et celle de la signification des images en tant qu’art. Pour, au final, dans ses dernières minutes, mettre les observateurs en position d’observés, en perspective avec la figure du voyeur dans une société parisienne où tout le monde est à la fois spectateur et acteur.

Ainsi, en explorant les frontières floues entre l’observé et l’observateur, Guil Sela réussit avec brio à nous attacher à ses personnages et à la comédie qui émane malgré eux.

Dylan Librati

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