Le Festival du film coréen (FFCP) à Paris revient pour sa 18ème édition. Un événement qui se tient du 31 octobre au 7 novembre au Publicis Cinémas (129, avenue des Champs-Elysées) et qui propose aux spectateurs une autre vision de la Corée.
Au menu, un focus sur Lim Oh Jeong (avec la projection, en sa présence, de Hail to hell, Empty lies, No more no less, The Shelter et Call if you need me) et une sélection de films de genres divers (comédie romantique, fantastique ou policier, parmi d’autres).
Le court-métrage, bien sûr, est à l’honneur, avec des séances spéciales les 3, 4 et 5 novembre respectivement à 18h50, 14h45 et à 18h30. Et, en prime une séance spéciale horreur (« strangecuts ») le 2 novembre à 20h50 et une autre à destination des enfants (« shortcutskids ») le 2 novembre à 14h30, où il sera beaucoup question d’animation, avec un titre évocateur « young, wild and free ». Parmi ces films d’animation, beaucoup mettent à l’honneur le rêve, comme Samsara de Joo Hyun-joon, ou mettent en scène notre rapport ambigu avec les objets qui nous envahissent et détériorent l’air que nous respirons. Ainsi de The Isle of trash de Choi Yeoleum ou de Overlapping Universe de OK Seyoung.
Parmi les courts-métrages destinés aux plus grands, la question du temps revient comme un leitmotiv à la séance de 14h45 du 4 novembre, avec par exemple Resilience de Choi Yunie ou The Sea on the days when the magic returns de Han Ji-won. Celle de 18h30 le 3 novembre nous embarquera pour sa part dans un monde volontiers absurde, tandis que celle de 18h30 le 5 s’interrogera sur le monde contemporain.
En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à son deuxième After Short, organisé le jeudi 9 novembre prochain, à 19h, au Forum des images (salle 500) !
Notre premier rendez-vous, organisé jeudi 19 octobre, a mis en avant 12 équipes de films de fiction en lice pour le César du meilleur court-métrage 2024. Dominique Moll, réalisateur de La Nuit du 12 et membre du nouveau comité artistique des César, était présent à cette soirée complète, marquée par la présence de très nombreux étudiants. Pour info, les photos de ce premier événement sont à retrouver sur notre compte Instagram.
Notre deuxième rendez-vous, fixé au jeudi 9 novembre prochain à 19h au Forum des images (salle 500), s’intéressera aux 12 autres équipes nommées pour le prochain César du meilleur court-métrage. Pour info ou rappel, ces soirées sont accessibles aux étudiants comme au grand public et deux autres dates suivront pour les courts d’animation et documentaires en lice aux César 2024.
Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?
Un After Short, comment ça se passe ?
En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.
Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.
Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée.
Après la rencontre : un cocktail est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.
2ème After Short : jeudi 9 novembre 2023 – 19h : catégorie fiction 2/2 (réservations/grand public : 5€, ici). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à vous inscrire gratuitement à communication@esra.edu. Attention : nombre de places limité !
Nos invités
– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César
– Brigitte Pardo, Responsable des Préachats et des Achats aux Programmes courts et Créations de CANAL+, et membre du comité d’experts
– Alice Douard et Marie Boltard, réalisatrice et productrice (Les films de June) de L’attente
– Michelle Keserwany et Noel Keserwany, réalisatrices de Les chenilles
– Maïté Sonnet et Ethan Selcer, réalisatrice et producteur (Quartett production) de Des jeunes filles enterrent leurs vies
– Julia Kowalski, Yann Gonzalez et Flavien Giorda, réalisatrice et producteurs (Venin Films) de J’ai vu le visage du diable
– Paul Rigoux et Marcello Cavagna, réalisateur et producteur (Le GREC) de Rapide
– Martin Mauvoisin, producteur (Dobro Films) de Sèt Lam de Vincent Fontano
– Garance Kim, réalisatrice de Ville éternelle
– Anne-Sophie Nanki, réalisatrice de Ici s’achève le monde connu
– Basile Vuillemin et Thomas Guentch, réalisateur et producteur (Blue Hours Films) de Les Silencieux
– Nans Laborde-Jourdàa et Margaux Lorier, réalisateur et productrice (Wrong Films) de Boléro
– Margaux Lorier, productrice (Wrong Films) de I promise you paradise de Morad Mostafa
– Mael Le Mée et Claire Bonnefoy, réalisateur et productrice (Bobilux) de La machine d’Alex
En pratique
Lieu : Le Forum des images (salle 500) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.
Alors que l’automne débute, les dernières chaleurs d’été (ou un réchauffement climatique inquiétant) nous donnent l’occasion de redécouvrir l’une des sorties DVD estivales, une des révélations de la Quinzaine des Réalisateurs 2022 : El Agua de Elena López Riera. Avec ce premier long métrage, la réalisatrice, déjà connue des festivals pour ses courts-métrages, dont un premier passage à la Quinzaine avec Pueblo, nous plonge dans un récit de femmes, de légende et d’eau ; une mise en avant de la parole, de la jeunesse et de la région d’Alicante. Ce DVD édité par Blaq Out, ayant bénéficié d’un jeu-concours sur notre site, est accompagné en bonus du Q&A en présence de la réalisatrice et de l’actrice principale Luna Pamies à Cannes en 2022.
L’eau est le mot d’ordre dans ce film d’une intensité mystique sur la jeunesse et le sud de l’Espagne. Source de légende ou présence géologique, elle lie les protagonistes tout au long de ce le long-métrage. Selon les dires des femmes du village, porte-paroles d’une légende fatidique, elle est aussi dangereuse. Ainsi débute l’histoire d’Ana, jeune adolescente terminant le lycée et issue d’une lignée de femmes soi-disant maudites. Elle vit avec sa mère, gérante du bar proche de l’autoroute et sa grand-mère, porteuse des récits qui bercent son quotidien. Comme celui qui parle de l’eau qui monte dans le corps des femmes, les envahit et pour cause : le fleuve. Il jetterait son dévolu sur une femme du village et, dès lors, elle n’aurait que deux solutions : s’abandonner à lui ou lui résister, advienne que pourra. Ces mythologies, avec lesquelles elle a grandi, sont un point de départ pour la réalisatrice qui souhaite à travers son film questionner la place des femmes dans cette parole commune. Comment une légende s’accapare le corps d’une femme, lui octroie une tragique destinée, prend le contrôle de son désir et de sa peur, selon les dires de Elena López Riera.
À Orihuela, ville d’origine de la cinéaste, de Luna Pamies et théâtre de ce récit, les forces de la nature font perdurer l’ardeur de ces légendes : les crues sont historiques et n’échappent pas au tournage de ce film déjà enclin aux restrictions sanitaires du Covid. Elena López Riera utilise alors habilement les images numériques filmées par les habitants en proie à la catastrophe. Avec ce montage d’archives documentaires, la réalisatrice apporte une nouvelle dimension encrée dans le réel. Un aspect important dans son travail qui brouille les frontières entre la fiction et le documentaire, notamment avec des témoignages face caméra de femmes originaires de la région.
Toujours dans une approche documentaire de porter le récit d’une jeunesse qui occupe ces terres du sud de l’Espagne, la caméra accompagne les mouvements d’un groupe d’ami·e·s, puis d’une famille au sein d’un village aux traditions et aux mentalités clivées. L’été est le berceau des premiers amours, des soirées et des va et vient estivaux. La ville est animée par un fluide d’activité autoroutière. Plus qu’une image des aspirations d’une jeunesse confrontée aux enjeux climatiques et aux problématiques générationnelles, c’est une représentation des moralités prédisposées aux genres. Une femme, un homme, ou bien une personne, les rôles sont établis, les coutumes et les travaux, la tradition, se perpétuent de façon presque archaïque. La mise en scène scinde le quotidien de ses protagonistes, elle met en lumière ces différentes réalités. L’héroïne espère échapper à cela et fuir le lieu de toutes les messes basses. Fuir aussi cette sensation qui l’appelle, qui tente de la retenir : l’eau qui monte en elle.
Plus qu’un amour fataliste, cette eau peut représenter tous sentiments, ceux qu’on opprime, ceux que les femmes ne sont pas censées exprimer.
C’est aussi le vide, la sensation de ne plus avoir sa place dans ces lieux si familiers qui deviennent parfois étouffants. C’est un moment de notre vie, un passage, une transition vers un âge adulte, une maturité : une décision à prendre sur la personne que l’on souhaite devenir. Le film se conclut sur les mots d’Ana qui prend son destin en main, elle ne laissera personne d’autre conter son histoire. Cela fait écho au désir de la réalisatrice quand à l’importance de la parole des femmes, notamment des mots de celles qui parlent et témoignent face caméra. Elles qui, comme l’explique Elena López Riera à la Quinzaine des cinéastes, pensent que leurs paroles ne comptent pas, n’existent même pas. Affermir leur témoignages si frontalement, était d’une portée politique pour la réalisatrice : rendre digne leur parole. À travers l’émancipation d’Ana, c’est une lignée de transmission orale qui est reconnue est prend place dans El Agua.
Dans un petit village du sud de la France, Mirales et Dog entretiennent une amitié tumultueuse et routinière. Leur quotidien est bouleversé par la rencontre avec Elsa, une jeune auto-stoppeuse dont Dog tombe amoureux. Mirales est laissé derrière, sans parvenir à rattraper le monde autour de lui. Comment aller de l’avant dans cette France où, comme Jacques Brel le chantait dans “Ces gens-là” : On ne s’en va pas Monsieur, On ne s’en va pas ?
Chien de la casse est le premier long-métrage réalisé par Jean-Baptiste Durand, qui a déjà remporté le Prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers 2023 et qui est sorti en salles en avril dernier. Dans ce DVD édité par Blaq Out, figure l’un de ses premiers court-métrages, Il venait de Roumanie (22 min, 2014), ainsi que le court-métrage mi making-of mi documenteur L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension avec le brillant Raphaël Quenard, une co-réalisation de ce dernier avec Hugo David tourné pendant le tournage de Chien de la casse, nommé au César du meilleur court-métrage documentaire 2024.
Chien de la casse, c’est l’histoire d’un triangle amoureux, comme toutes les grandes fictions l’ont dépeint. Mais quand l’histoire est souvent celle des êtres aimés (ici interprétés par Anthony Bajon, dont nous avions parlé dans La Troisième Guerre, et Galatea Bellugi), le film recentre sa perspective sur Mirales, magnifiquement joué par Raphaël Quenard, un beau parleur confus et explosif, jaloux et tendre. Ce chien de la casse, c’est aussi l’animal aimé de Mirales, qui lui donne une raison d’être quand rien n’a de goût. A la fois reflet de l’humanité de son maître et miroir de son animalité, c’est à lui que Mirales se confiera le plus, comme s’il libérait la parole entravée du jeune homme. En commençant directement par une amitié qui se fragmente, Jean-Baptiste Durand développe les envers d’une amitié masculine qui ne dit pas ses mots, dont les protagonistes semblent s’éloigner de manière floue et taciturne. Car Dog et Mirales ne sont pas les reflets d’une même pièce : rares seront leurs moments de complicité. Leurs deux énergies, subtilement confrontées par un jeu d’acteur orageux, ne s’opposent pas mais s’imbriquent mal, comme un rouage cassé.
Quand Mirales dit qu’il n’est pas adapté à l’environnement dans lequel il évolue, qu’il tente de sortir les autres de leur ennui tout en étant coincé dans un quotidien monotone et assez triste (avec une mère dépressive, un ami absent et aucune perspective d’avenir), le décalage émouvant se fait d’autant plus sentir auprès du spectateur, confronté au comportement parfois odieux d’un Mirales baratineur et jaloux. En effet, il ne parvient pas à dire sa souffrance, qui passe par un rejet d’Elsa qu’il voit comme perturbatrice d’un équilibre qu’il pensait maîtriser.
Le réalisateur crée cette émotion étrange dans la dynamique entre Dog et Mirales, où l’on reconnaît à la fois de l’affection, de la toxicité, de la bienveillance et de la jalousie maladive. Par l’art du dialogue, et de son absence, une longue mélancolie se tisse dans cette France des oubliés où la jeunesse s’ennuie, et s’oublie. Des scènes basculent dans de manière imprévisible dans une violence verbale très dure de Mirales envers Dog, qui dira de lui qu’il est “un imbécile heureux, qui n’est même pas heureux”. Dans L’Acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension, disponible sur le DVD et réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard, qui traite du processus de création, d’écriture et d’interprétation au cinéma, Jean-Baptiste Durand s’exprime sur la tragédie de n’exister que dans le regard de l’autre à la manière de l’existentialisme de Sartre : dans Chien de la casse, le pathétique du rôle de Raphaël Quenard est celui de n’exister que dans le rejet de l’individu qu’il affectionne le plus au monde, Dog.
Dans cette relation masculine inégale, le réalisateur développe les abîmes d’un personnage pris dans une situation qu’il ne contrôle plus, aussi touchante que déchirante dans un paysage aussi esseulé que lui. Ces thèmes avaient déjà été évoqués dans Il venait de Roumanie où une bande d’amis se remémorent la vie de Clément, un jeune homme taciturne décédé dont la présence hante encore ses proches. Par les récits qu’on fait de lui, par les vidéos qui restent, par sa chambre intouchée, ses répétitions tentent de se réconcilier avec leur mémoire, notamment par les deux protagonistes aux caractères opposés, qui rappellent fortement ceux de Dog et de Mirales. Dans Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand pose ce très beau regard sur des relations humaines qui font mal, à la fois fragiles et intouchables, par une mise en scène sobre et juste et par une impressionnante direction d’acteur d’Anthony Bajon et de Raphaël Quenard, dont les personnages imparfaits et incompris tentent néanmoins de recoller les morceaux d’une amitié, d’apparence, qui ne cesse de se briser. Original et poignant, Chien de la casse reste fidèle à lui-même en creusant avec brio une relation circulaire dépareillée et saisissante d’un regard de cinéaste dont on attendra avec impatience les prochaines créations.
Du 21 septembre au 1er octobre 2023 s’est déroulé à Rennes la 19ème édition de Court Métrange, un festival qui se targue de ne pas se conformer aux films traditionnels, mais qui met en valeur des films de genre, des expérimentations et, dans le meilleur sens du terme, de l’étrangeté. Dans une programmation osée où 9 prix ont été décernés, Format Court a choisi quelques coups de cœur à partager avec ses lecteurs.
Un genre de testament (France), qui a fait ses débuts à la Berlinale 2023 et qui est en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage d’animation, est le premier film de l’animateur Stephen Vuillemin. Nous suivons l’histoire d’une femme qui découvre un site web sous son nom avec plusieurs animations très complexes basées sur ses photos Facebook. Le réalisateur utilise une palette de couleurs, signature à la fois vibrantes et morbides, pour créer un univers visuel psychédélique et opulent qui plonge le spectateur dans ce voyage absurde.
Plus qu’une enquête sur les raisons pour lesquelles ces animations ont été mises en ligne, le court métrage explore la mystérieuse relation en miroir de ses personnages. Le film rassemble plusieurs couches à mesure que les animations du site Web commencent à se mélanger avec l’histoire de la femme dont elles sont inspirées.
L’utilisation des médias sociaux et de la technologie constitue un aspect important de l’esthétique et de l’histoire du film, qui incorpore plusieurs dispositifs dans les images et la narration. Des dispositifs qui ont été essentiels pour la création de ce projet. Le film en soi est intrinsèquement lié à une époque numérique et au métier d’animateur lui-même.
Dans La Pursé (Brésil), réalisé par Gabriel Nóbrega et Lucas René, une vieille dame qui refuse de nourrir son chat qu’elle croit être déjà trop gros, est courtisée en permanence par son voisin, qui lui propose d’étranges cadeaux. Le film se déroule dans une banlieue d’une calme inquiétante, avec des grandes maisons qui semblent hantées et où personne ne se balade dans la rue. L’image est désaturée, contribuant à une sensation morbide, en accord avec la profession (ou peut-être même le hobby) du voisin.
La réussite de ce film se trouve dans son positionnement entre l’horreur et le film pour enfants par des éléments différents. L’usage de plans diagonaux à la Hitchcock et le décor inquiétant, composé de maisons spacieuses avec peu de meubles et un faible éclairage, contrastent avec les personnages qui semblent sortis d’un dessin animé pour enfants. Ces grosses têtes sur des petits corps seraient assez amusantes à regarder si on oubliait dans quelle bizarre et même tragique situation ils se trouvaient.
Alors que les biopic hollywoodiennes deviennent chaque jour plus nombreux, Erik van Schaaik les utilise pour créer une drôle satire du star system américain. The Smile (Pays-Bas), qui était aussi présent dans la sélection officielle d’Annecy 2023, raconte la trajectoire de l’une des plus grandes stars du cinéma de son époque, une idole qui a conquis le cœur du pays avec son sourire : Knud Dendermonde. Le seul détail à retenir est que Knud est un crocodile.
Se plongeant dans l’E! Entertainment, The Smile représente l’étrange relation qu’entretient Hollywood avec son star system. Quand Knud est accusé d’avoir dévoré ses co-stars, certains des ses ex-collègues refusent de voir son lien avec les crimes, tandis que d’autres, même croyant à sa culpabilité, sont toujours charmés par son glamour. Utilisant des artifices comme les entretiens et les images d’archives, Van Schaaik réussit à explorer un genre qui se prend trop au sérieux, parfois au prix du ridicule, et à l’exagérer pour en extraire une critique comique et absurde.
Dans Les dents du bonheur (France, Belgique), de Joséphine Darcy Hopkins, Madeleine, 8 ans, accompagne sa maman esthéticienne lors d’un rendez-vous de travail. Elle passe son temps à jouer avec les filles des clientes de sa mère à un étrange jeu de société : le jeu de la reine, dont « le but, c’est de devenir la reine. » L’annonce du concept de jeu est déjà une constatation du véritable sujet du film : le rapport des classes. Alors que les filles riches incarnent le stéréotype des familles bourgeoises, servies par des employés qui leur parlent en anglais, Madeleine est victime d’une violence qui devient de moins en moins subtile.
La réalisatrice concrétise devant nos yeux ce problème social. Elle le traduit dans les règles du jeu, dans les costumes et dans les espaces. Quand Madeleine est emmenée dans la salle de jeux, on imagine une belle ludothèque colorée avec plein de jouets. Le spectateur est vite frappé à la découverte d’un énorme salon vide avec seulement une petite table entourée par les antipathiques Eugenie, Clemence et Emeraude. Cet usage des grands espaces vides, au style The Shining, crée une ambiance hostile qui produit la tension du film.
Darcy Hopkins donne de la complexité aux personnages d’enfant, leur accordant des moments de gentillesse, candeur, compétitivité, et même méchanceté. Les dents du bonheur est un film d’horreur qui réussit à créer des personnages captivants de bout en bout.
Abordant différents genres comme l’horreur, le suspense et la comédie, à travers des esthétiques uniques, le festival Court Métrange présente un concept assez rare en France : explorer des films inhabituels, des œuvres où les auteurs peuvent expérimenter et se plonger dans la création d’un nouvel univers mais aussi dans la distorsion du nôtre.
En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à la reprise de ses After Short, organisés cette année au Forum des images (salle 500) !
Ce nouveau cycle, organisé entre octobre et décembre, proposera pas moins de 4 rencontres autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2024, accessibles aux étudiants comme au grand public.
Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?
Les 2 premiers After Short, dédiés à la fiction, auront lieu les jeudis 19/10 (fiction 1/2) et 09/11 (fiction 2/2) au Forum des images (salle 500), en présence de nombreux·ses professionnel·les (réalisateur·ices, producteur·ices). Deux autres dates suivront en novembre et décembre pour les courts d’animation et documentaires en lice aux César 2024.
Un After Short, comment ça se passe ?
En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.
Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.
Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée.
Après la rencontre : un pot est organisé par l’ESRA au Forum des images. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.
Nous démarrons les After Short avec 2 soirées consacrées aux courts-métrages de fiction. Pour information/rappel, 24 films sont sélectionnés aux prochains César. Et on est plutôt heureux de vous annoncer que toutes les équipes de films seront présentes à nos événements, à savoir 12 pour la catégorie fiction 1/2 et 12 pour la fiction 2/2 !
1ère date : jeudi 19 octobre 2023 – 19h : catégorie fiction 1/2 (réservations/grand public : ici. Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu)
Nos invités
Dominik Moll, réalisateur et membre du Comité Artistique des César
Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du Pôle éducation à l’Académie des César
Robin Robles, producteur (Topshot Films) de Partir un jour de Amélie Bonnin, César du meilleur court-métrage 2023
Claudia Bottino et Hélène Mitjavile, réalisatrice et productrice (Melocoton films) de A trois
Camille Degeye, réalisatrice de Almost a kiss
Atsushi Hirai et Martin Bertier, réalisateur et producteur (MLD films) de Oyu
Pablo Dury, Julien Graff et Thomas Hakim, réalisateur et producteurs (Petit chaos) de 💔 et Le Soleil dort
Katia Khazak, productrice (Aurora Films) de Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir
Blanca Camell Galí et Mathilde Delaunay, réalisatrice et productrice (Barberousse Films) de Castells
Ninon Chapuis, productrice (L’Heure d’été) de Les enfants perdus de Lola Cambourieu et Yann Berlier
Martin Bertier, producteur (5 à 7 Films) de Euridice, Euridice réalisé par Lora Mure-Ravaud
Juliette Marrécau, réalisatrice de De la folie des hamsters
Clara Marquardt, productrice et chargée de développement (Les Valseurs) pour Big Bang de Carlos Segundo
Mahaut Adam, réalisatrice de Mon p’tit papa
En pratique
Lieu : Le Forum des images (salle 500) : 2, rue du cinéma, 75001 Paris (accès). Salle accessible aux personnes à mobilité réduite.
Erenik Beqiri est un réalisateur albanais ayant signé un premier court professionnel, The Van, qui figurait en compétition officielle à Cannes 2019. Luàna Bajrami est une comédienne et réalisatrice franco-kosovarde ayant joué dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Les Deux Alfred de Bruno Podalydès, L’Événement d’Audrey Diwan ou Ibrahim de Samir Guesmi. Elle est passée à la réalisation avec des courts et un premier long, La Colline où rugissent les lionnes (Quinzaine des Réalisateurs 2021).
À Venise cette année, tous deux présentaient A Short Trip, le nouveau film d’Erenik Beqiri qui a remporté à la fois le Prix Orizzonti du meilleur court à Venise et une nomination pour les European Films Awards 2023. Luàna Bajrami accompagnait également son deuxième long-métrage, Bota Jonë, programmé dans la section Orrizonti Extra. Conversation autour de leur collaboration-amitié, des erreurs, du processus d’écriture, du rapport au temps, de l’audace, des histoires personnelles et de la fameuse vie normale.
Format Court : Erenik, tu as commencé par faire des courts-métrages. Quel relation entretiens-tu avec ce format ?
Erenik Beqiri : J’ai commencé à réaliser moi-même des courts-métrages avant d’entrer dans une école de cinéma à Tirana, en Albanie. On m’a en quelque sorte donné de l’espace pour les réaliser. Mais je ne me sentais pas à l’aise dans cette école, dans la façon dont nous faisions les courts-métrages. Je ne fais partie que de la deuxième génération qui est allée à l’école, nous n’avions pas de formation avant. Il y avait un conflit entre les films que je voulais faire et la manière dont on nous a dit de les faire. C’était un peu difficile. Après être sorti de l’école, j’ai essayé de réaliser des courts-métrages pendant plusieurs années. Par la suite, j’ai été mis en contact avec une boîte de production française Origine Films qui m’a donné l’espace pour faire mon film, The Van. Notre collaboration a débuté ainsi.
Tu mentionnes des attentes envers cette école. Comment y est enseigné le cinéma ?
E.B : Des réalisateurs y donnaient cours. Certains d’entre eux étaient bons, d’autres un peu moins. Je pense qu’être un bon réalisateur ne veut pas dire être un bon enseignant. Parfois, j’ai ressenti la liberté d’explorer et le besoin de faire des erreurs. Mais si l’étudiant essayait de faire quelque chose par lui-même, ce n’était pas bien vu. On nous dictait ce qu’il fallait faire. Au bout d’un moment, on s’y habitue.
Etre jeune, ça veut aussi dire gérer ses sentiments.
E.B : Oui, tu dois faire face à tes sentiments. Mes premiers tournages étaient vraiment mauvais. C’est un processus : tu commences à te comprendre toi-même, à comprendre où tu veux aller. Tu commences à grandir pour devenir mature et à vraiment aborder les choses qui te sont personnelles. Il a simplement fallu un peu de temps pour que je m’en rende compte. On devrait toujours essayer de raconter ce qu’on aime, ce qu’on ressent.
Luàna, tu es originaire du Kosovo. Comment as-tu appris à faire des courts-métrages ?
Luàna Bajrami : Je viens du Kosovo, et ce n’est pas pas du tout la même industrie. C’est très différent : quand j’ai commencé, j’ai appris à réaliser en tournant mes premiers films. Je ne suis pas allée en école de cinéma. J’ai commencé comme actrice, j’ai juste appris sur le plateau, je crois. Ma première ambition était de faire un long-métrage, même si j’ai fait quelques courts-métrages amateurs. Ces films étaient des tests, des expériences professionnelles pour moi. Je pense que le format des courts-métrages est beaucoup plus difficile à écrire que celui des longs-métrages parce qu’on n’a pas cette liberté de construire et de développer les éléments. Oui, je pense qu’il est plus difficile d’être puissant et efficace dans ce format.
« A Short trip »
Qu’as-tu l’impression d’avoir appris sur le tournage de ton premier court ? C’est une chose de jouer pour d’autres réalisateurs, c’en est une autre d’avoir sa propre équipe.
L.B. : J’ai appris beaucoup de choses lors de mon premier tournage. J’avais juste envie d’être dans un monde complètement différent, nouveau. C’était un test, je ne savais pas exactement comment faire. C’est plus instinctif qu’autre chose : c’était la première fois que je devais exposer précisément mes ambitions artistiques à propos de ce que j’avais écrit. J’ai aussi appris à gérer une équipe, parce que j’étais habituée à travailler seule.
Vous vous êtes rencontrés à Cannes. Quel a été votre intérêt à travailler ensemble ?
E.B : De mon côté, j’ai vu sa performance dans le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu. J’ai vraiment aimé la façon dont elle jouait et l’intensité du film. Puis, j’ai vu un autre film, un court italien qui était à la Cinéfondation (Deux égarés sont morts de Tommaso Usberti, 2017). Nous avons de bons acteurs en Albanie, mais dans l’état actuel des choses, c’est difficile d’avoir beaucoup de choix. Si je trouve quelqu’un qui, à mon avis, peut exprimer certaines émotions, je développe son personnage. C’est ce qui s’est passé avec Luàna. J’ai écrit A Short Trip pour elle. Mon projet a commencé après l’avoir regardé jouer, j’ai été fasciné. D’une certaine manière, cela m’a aussi aidé à écrire. J’avais vraiment envie de travailler avec elle. J’avais une idée de ce que nous pouvions faire, de ce que nous pouvions accomplir ensemble. Il en a été de même pour le long-métrage que j’ai écrit, dans lequel elle jouera.
Et pour toi, Luàna ?
L.B. : Tout d’abord, j’étais curieuse de connaître le travail de Erenik et notre rencontre m’avait intriguée (rires) ! C’était marrant. Et bien sûr, j’aime soutenir les nouveaux talents. On ressentait un peu les mêmes sentiments, on avait le même regard sur certaines choses. J’étais fan de The Van, alors j’ai répondu : « Super, allons-y ». Nous étions également curieux de savoir comment cela allait fonctionner sur le plateau.
E.B : C’est exactement ça. Nous avions le même projet de film, c’est là que nous sommes devenus vraiment amis.
« La Colline où rugissent les lionnes »
En quoi est-ce important pour vous de revenir d’où vous venez, de montrer la société dans laquelle vous avez grandi ?
L.B. : Je n’ai pas envie de revenir. J’ai envie de quitter les lieux. Cela a un impact assez puissant, car La Colline où rugissent les lionnes est le premier film qui parle de ce que l’on ressent au Kosovo. D’une certaine manière, j’y suis restée. Je pense que ce lieu et cette langue m’inspirent beaucoup. Maintenant, avec un peu de distance, je peux dire que cela a évidemment un impact, et que je suis fière d’avoir abordé la perspective de quelqu’un qui vient de chez moi. Mais j’insiste aussi sur l’aspect universel des choses : mes deux films sont deux histoires qui parlent de la jeunesse, c’est un peu les mêmes situations en France et au Kosovo. Tout vient de cette confrontation entre ce qui se passe en France, et ce qui se passe au Kosovo.
Tu filmes la jeunesse kosovare : que peux-tu dire à propos de son intérêt et de sa volonté à faire du cinéma ?
L.B. : Il y a une grande industrie qui est en train de se développer au Kosovo. Nous avons de nombreux réalisateurs très jeunes. Il existe une grande communauté d’artistes.
E.B : Mais c’est compliqué pour eux car le processus d’obtention de financement réel et le processus d’écriture sont très longs.
Luàna, est-ce qu’il y a des choses qui te manquent, que tu regrettes lorsque tu travailles avec des réalisateurs français ?
L.B. : Non, je ne regrette rien. Je pense que chaque fois qu’on rencontre un réalisateur, on doit déjà le connaître, parce qu’il travaillera à sa façon. En tant qu’actrice, il faut adapter les choses et essayer d’intégrer sa réflexion au lieu d’être simplement passive. Avec certains réalisateurs, il y a le feeling, tout devient authentique. Parfois même sans parler, juste avec un regard, on se comprend.
Tu as travaillé avec d’autres réalisateurs dont c’était le premier film, comme Samir Guesmi. Comment sélectionnes-tu les scénarios que tu reçois ? Maintenant que tu as plus d’expérience en tant que cinéaste, les choisis-tu différemment ?
L.B. : En tant qu’actrice, je n’aime pas être trop absorbée par le travail du réalisateur, trop intervenir. Mais bien sûr, cela a eu un impact à la fois sur mon travail d’actrice et de réalisatrice. Au début, je n’avais pas vraiment le choix. Mais après avoir entamé ma carrière, ce que j’avais en tête, c’était juste que je voulais créer des personnages qui n’étaient pas toujours les mêmes. Je voulais vivre des expériences différentes.
« The Van »
Sur vos plateaux respectifs, quels sont les défis les plus difficiles pour vous ?
E.B : Je pense que le grand défi est d’être dans le bon timing. On veut toujours consacrer plus de temps, plus de plans, plus de jours à nos projets. Ce que j’ai essayé de faire, même avec The Van, c’était de donner de l’espace à l’équipe. Je scénarise toujours tout avec le storyboard, mais je ne l’utilise pas à moins qu’il n’y ait un plan en particulier et que j’aie vraiment envie de le faire. Parfois, pour un plan différent, on doit se rendre à un autre endroit car le planning est très serré. Je pense donc que c’est un défi d’en faire toujours plus avec moins de temps. À l’heure actuelle, j’essaie d’être vraiment flexible pas seulement pour les acteurs, mais pour tous ceux qui sont impliqués dans le processus de création. Je veux qu’ils m’offrent quelque chose parce que je ne pense pas être la personne la plus sage du plateau. Je veux qu’ils se sentent vraiment libres de suggérer des choses et d’essayer. Et parfois, il faut vraiment prendre une décision.
L.B. : Oui, le temps est un défi. C’est drôle parce quand on écrit quelque chose, on projette puis on doit le rendre réel. Et parfois, il est difficile de savoir comment y arriver, surtout lorsque on a une vision, qu’elle ne fonctionne tout simplement pas dans la vraie vie et qu’on doit s’adapter.
E.B : Le plateau, c’est aussi résoudre des problèmes, quand tout n’est pas exactement comme on voudrait l’être. A ce moment-là, on se dit : « OK, ce n’est pas vraiment comme ça que j’y pensais, mais je dois trouver un moyen de le faire fonctionner ».
Cette manière de travailler influence-t-elle votre vie ?
E.B : On n’est pas les mêmes lorsqu’on entre sur le plateau, on se transforme. Dans la vie, je n’ai pas envie de décider, je laisse les autres choisir pour moi, sauf si c’est quelque chose que je veux vraiment, bien sûr.
L.B. : Je suis différente, et toi aussi, c’est dingue (rires) ! Mais ce qui est fou, c’est aussi le rapport entre réalité et fiction, parce que nous sommes toujours en train d’écrire quelque chose.
E.B : Oui, on passe de l’un à l’autre.
Etre en festival, c’est un petit peu comme être dans une bulle hors de la vie normale.
E.B : Ça fait du bien de partager et d’essayer de profiter. Je ne me sens ni bien ni mal, je m’y suis juste habitué.
« Portrait de la jeune fille en feu »
Comment garder une certaine distance avec tout ce qui se passe ?
L.B. : Le film de Sciamma a été un tournant, mais je ne l’ai pas jamais envisagé de cette manière. Je n’ai pas été submergée par les événements. Même si même je suis fière d’être actrice et réalisatrice, j’essaie de ne pas prendre le melon, je suis trop concentrée sur le travail. Du moment où l’on choisit d’être réalisatrice, on sait qu’on n’aura pas une vie normale en partant au boulot à 8 heures et en revenant à la maison à 17 heures. C’est une relation totalement différente au temps, à la façon dont on organise son temps. On ne fonctionne par exemple pas par semaine ou par mois mais par projet.
E.B : En même temps, on a des délais et on doit rédiger un scénario. Dans la vraie vie, si je peux l’appeler ainsi, c’est comme si on pensait constamment au processus d’écriture parce que, bien sûr, même si le tournage prend cinq jours, en réalité, l’écriture prend des années. On est vraiment dans ce processus quotidien. Si je voyais cela comme un travail, je ne le ferais pas.
L.B. : Il n’y a pas le cinéma et la vie. Le cinéma, c’est la vie.
Quand vous étiez enfant, comment voyiez-vous le futur, votre futur ? Et quels conseils donneriez-vous aux nouvelles générations ?
E.B : Quand j’étais enfant, en Albanie, nous venions de sortir du communisme, c’est-à-dire d’un demi-siècle très difficile. Nous avions la télévision italienne et c’est comme ça que j’ai appris l’italien. A part ça, il n’y avait pas grand chose à faire sauf jouer au football. On passait tout notre temps à regarder des films. A un moment, je me souviens m’être dit : « OK, mais comment sont-ils faits ?” Et j’ai commencé à apprendre petit à petit. Il n’y avait pas Internet. J’ai donc lu des livres à la bibliothèque et j’ai commencé à comprendre le processus. Je crois que c’est arrivé comme ça. Mais sinon, mes parents m’ont dit que lorsque j’étais enfant, je voulais être pilote, mais je ne m’en souviens pas du tout.
Je ne sais pas trop quoi dire aux nouvelles générations. C’est difficile parce que j’avais l’habitude de regarder ce que les autres réalisateurs conseillaient et tout le monde donnait des conseils tellement différents ! Je pense que si je devais résumer, ce serait d’essayer de raconter l’histoire que vous aimez, de créer l’histoire la plus personnelle possible parce que vous allez y passer beaucoup de temps, voire des années. Je pense donc que c’est un processus qui consiste à essayer vraiment d’aimer votre histoire et à vous entraîner parce que c’est la seule manière d’apprendre. Mon autre conseil serait aussi de ne pas avoir peur de l’idée de faire des erreurs, car rien n’est aussi magnifique que d’accepter cela sur le plateau.
L.B. : Quand j’étais petite, je voulais tout être. J’avais envie de créer des choses comme les scientifiques, puis j’ai découvert la lecture, les histoires. Je voulais en raconter mais je ne savais pas comment. J’ai donc d’abord voulu être écrivain, journaliste, .… Puis à 10 ans, j’ai découvert le plateau de cinéma. C’était une évidence, c’était fou. Je le voyais comme un jeu. La caméra me fascinait, tout comme la possibilité de capturer le moment avec elle. J’imitais le travail des autres, j’essayais à ma façon.
Aux nouvelles générations, je leur dirais de foncer, de sauter le pas pour faire ce qu’elles aiment. Ayez confiance en vous-mêmes et imposez-vous dans l’industrie. Si je n’avais pas eu le soutien de mes proches et la confiance, je ne serais jamais devenue réalisatrice. J’avais la conviction que ça allait arriver, que ce n’était qu’une question de temps. Je voulais capturer le moment, et je n’avais pas peur de mes erreurs.
« A Short Trip »
Que pensez-vous que les festivals vous ont apporté ?
L.B. : Un festival, surtout le premier auquel on assiste, c’est comme une fenêtre : on écrit seul, mais on écrit pour montrer son travail au plus de gens possibles.
E.B : A quoi bon faire des films pour les garder pour soi ? Le festival permet à de nombreuses personnes de voir notre travail, et c’est une belle chose. C’est curieux de voir comment beaucoup de gens de cultures différentes réagissent à nos histoires, et nous font voir des points de vue auxquels on n’avait jamais pensé. C’est le propre même du partage.
Conseiller en programmation à la Mostra depuis plus d’une dizaine d’années, le critique italien Mauro Gervasini s’occupe en particulier de la section Orizzonti qui regroupe à la fois les courts et les premiers longs sélectionnés à Venise. Dans cet entretien, il est question de programmation bien sûr mais aussi de territoires, de générations et de progression, d’exigence et de francophilie.
Format Court : Comment as-tu été amené à travailler dans la critique, à entrer dans ce triptyque du critique-programmateur-passeur ?
Mauro Gervasini : J’ai commencé comme journaliste dans un quotidien local, du côté de Milan. J’ai fait ma formation là-bas et puis je suis passé à un hebdomadaire très célèbre et populaire en Italie, Film Tv. J’ai été Rédacteur en chef, maintenant, je suis collaborateur. Pendant ces années-là, Alberto Barbera (ndlr : directeur artistique de la Mostra de Venise) m’a proposé de rejoindre l’équipe, vers 2012, ça a été ma première sélection. J’ai commencé tout de suite à m’intéresser aux courts-métrages. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour ce format que j’ai essayé de cultiver.
Tu as été contacté pour mettre en valeur les courts, pour donner un nouveau souffle à la section Orizzonti ?
M.G : Orizzonti existait déjà et il y avait déjà des courts-métrages. Il n’y avait pas de limite de durée, maintenant, la limite est de 20 minutes. Alberto ne m’a pas demandé de rejoindre l’équipe pour les courts mais pour les longs. La première fois qu’on a discuté, c’était pour faire autre chose dans la sélection. Il s’est rendu compte que j’étais très intéressé par le court-métrage. Alors, on a décidé ensemble de continuer ce travail sur le court. Je ne fais pas seulement ça. À l’époque, il y avait Enrico Vannucci qui s’occupait de la présélection, Clara Vulpiani a pris le relais. On reçoit beaucoup de courts-métrages jusqu’à la fin du mois de mai, après le festival de Cannes. On commence à s’occuper de la présélection à ce moment.
Qu’est-ce qui distingue ce projet d’Orizzonti ? C’est une section qui rassemble à la fois les courts et les longs, qui sont d’ailleurs au même niveau.
M.G : Il s’agit d’une intuition d’Alberto Barbera d’avoir le même jury pour les longs et les courts. C’est notre façon de dire qu’ils sont au même niveau. Evidemment, Venise n’est pas un festival de courts-métrages, on en prend seulement 12-14 par an.
Orizzonti aurait pu s’appeler “nouveaux horizons”, “perspectives”, “explorations”… Est-ce que tu peux revenir sur ce terme ?
M.G : Le projet d’Orizzonti – l’horizon d’aujourd’hui – c’est d’ouvrir le regard aux choses nouvelles, pas seulement expérimentales ou de recherche. Aller chercher quelque chose de nouveau dans le cinéma de genre, le cinéma narratif aussi. C’est notre premier objectif. Avant, cette section était plus connotée comme une section expérimentale. Depuis une dizaine d’années, on a encore cette caractéristique de découverte de nouveaux réalisateurs. On veut voir toutes les choses qu’on peut, de tous les territoires, avec une attention particulière aux premiers films.
En quoi ton travail de critique a pu influencer ton travail de programmateur, et inversement ?
M.G : Comme programmateur, j’essaie de ne pas me faire trop influencer par mes goûts et les choses que je préfère. J’ai étudié intensément le cinéma français. J’ai publié il y a 20 ans le premier livre en français sur le polar, ça m’a donné la possibilité de connaître beaucoup de metteurs en scène et de collègues français. Le bagage culturel que j’ai comme critique – métier que je fais depuis 30 ans ! – est indubitablement présent. Mais je pense que c’est quelque chose d’important, c’est une valeur ajoutée.
Sortons de Venise un peu et regardons le territoire italien. Il y a une forme de frustration des réalisateurs ici qui ne réussissent pas toujours à faire exister leurs films.
M. G : On a beaucoup de festivals de courts en Italie mais il y a une difficulté à les distribuer et à les rendre visibles. Il y a quelques espaces dédiés sur la télévision publique mais à des horaires impossibles. Sinon il faut aller les chercher sur Youtube ou sur RaiPlay, le site internet de la télévision publique. Ce n’est jamais immédiat pour les trouver, ils ne sont pas sur la page d’accueil. On n’a pas Arte qui s’intéresse beaucoup plus aux courts-métrages et qui les met en valeur. Maintenant, quelque chose va changer. Un nouveau site de visionnement est très intéressé par les courts-métrages et ils ont besoin de remplir leur contenu. C’est effectivement le problème, c’est très difficile en Italie de voir des courts en dehors des festivals.
Est-ce qu’en 30 ans, tu as le sentiment que les choses ont changé dans le milieu de la critique ?
M. G : La critique a beaucoup changé, il y a sûrement une nouvelle génération. Je sais qu’il y a des jeunes qui vont voir les films avec un œil complètement différent de mes passions et de mes goûts initiaux. Je pense que c’est une question essentiellement générationnelle. Je ne saurais pas te dire en quoi la critique a changé sinon que la considération des moyens techniques est différente. Les jeunes ont une ouverture différente – mentale et de regard – vis-à-vis du cinéma, d’un cinéma fait au téléphone, en réalité virtuelle, avec de l’intelligence artificielle… Je suis encore un peu dans la case de la classicité. Par exemple, je vois beaucoup de choses tournées avec les nouveaux moyens de prises d’images numériques. Pour moi, c’est compliqué. Il y a des critiques, des journalistes et des collègues plus vieux que moi qui ont encore plus de difficultés à accepter et à comprendre ce genre de mouvements de la cinématographie.
En Italie, depuis les dix dernières années, les écoles de cinéma ont beaucoup évolué. On le voit très bien dans les courts-métrages parce qu’on en reçoit beaucoup plus, 150 par an. C’est pas mal pour l’Italie. À la Semaine de la Critique (ndlr : sur le modèle de la Semaine de la Critique cannoise, cette section mise en place par des critiques italiens a lieu en marge de la Mostra) aussi. Ils passent un court avant chaque long et surtout un court italien. Ils sont très attentifs à ce qui se déroule dans le contexte du court-métrage italien. Je sais qu’en France aussi il y a eu un changement de perspectives. Pour les critiques ici, nos trois points de référence restent Libé, les Inrocks et les Cahiers.
La critique italienne traditionnelle a toujours été francophone. Beaucoup des vieux maîtres ont étudié en France. Le premier, Paolo Mereghetti, qui a toujours été le critique du Corriere della Sera et qui est maintenant à la retraite ou Goffredo Fofi qui a écrit à Positif. La critique aujourd’hui est absolument anglophone et en Italie, on étudie moins le français à l’école. Mais la critique historique est francophone et francophile.
Comment les programmateurs de la Venise se positionnent-ils par rapport aux sélections des autres festivals, que ce soit en longs ou en courts ?
M.G : Il y a évidemment une compétition entre festivals. On fait notre sélection pour la première partie en parallèle avec Cannes et avec Locarno aussi. Ils clôturent leur sélection avant nous. Par la suite, on a peut-être un peu de compétition avec les festivals américains, mais ça concerne surtout les films des gros studios. Toronto, par exemple, a intérêt à avoir ces films, ça correspond à leur marché.
Est-ce que tu as des regrets ou des fiertés par rapport à des programmations que tu as faites ?
M.G : Il y a beaucoup de fiertés. Je suis très content qu’on ait pris il y a quelques années, en 2018, le film de Sara Fgaier, Les Années. Il a gagné l’EFA (European Film Awards) l’année suivante, j’étais très heureux. Il y a beaucoup de films… On se demande toujours si on a fait le bon choix en prenant un film ou en ne le prenant pas. C’est propre à la sélection, on ne peut pas les avoir tous et on doit choisir. C’est toujours compliqué. Toucher juste, c’est recueillir la complicité du public après les séances. J’aime voir les réactions du public, c’est très important pour moi. Travailler pour Orizzonti est prenant, c’est exigeant. Tu dois découvrir de nouvelles voix alors qu’en parallèle, tu as des auteurs et autrices célèbres en compétition internationale.
Tu as 12 ans d’expérience en tant que programmateur. Comment fais-tu pour ne pas te répéter, pour que chaque édition soit différente ? Comment à la fois imprimer sa patte et s’intégrer dans un historique ?
M.G : C’est une question surtout pour le directeur artistique. Selon moi, c’est lui qui doit conserver les liens avec le passé. Par exemple, en considérant toujours le cinéma italien. Venise est un festival international mais il a une grande histoire avec le cinéma italien. Comme Cannes avec le cinéma français. Il doit surtout rechercher une ligne éditoriale originale parce que le festival doit progresser. Il faut trouver cet équilibre entre le passé glorieux de la Mostra et le présent et peut-être le futur aussi.
As-tu le sentiment d’avoir rencontré des difficultés, que ce soit en programmation, par rapport à des enjeux de société ou dans le monde des festivals, un milieu fragile ?
M.G : Il y a beaucoup de défis, surtout au niveau du contenu, des défis culturels, cinématographiques. Je sais qu’il y a beaucoup de programmateurs qui sont mal payés ou pas payés. La seule réelle difficulté à laquelle je pense, c’est la quantité de films. Je pense que c’est commun à tous les festivals. C’est très difficile parce qu’il faut commencer la programmation bien en avant parce qu’il y a beaucoup de films. Pour être un bon programmateur, tu dois avoir le temps, la patience, la lucidité, la concentration. C’est parfois difficile de maintenir tout cela sur la durée. Je me suis aperçu par contre que j’ai appris beaucoup de choses et pas seulement en progressant dans la sélection, mais dans la relation avec les autres programmateurs. Le travail en équipe est la clé aussi.
Ce mercredi 27 septembre 2023, les Comités Court Métrage de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma se sont réunis pour établir les 3 sélections officielles des César 2024, en animation, documentaire et fiction. Voici les 48 films en lice aux prochains César.
Bon à savoir : comme chaque année, Format Court organisera des After Short (soirées de Q&A en présence des équipes) en lien avec ces sélections, en partenariat avec l’ESRA.
Courts-métrages en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage d’animation
Thun-le-paradis ou la balade d’éloïse réalisé par Éléonor Gilbert
Tutto apposto gioia mia réalisé par Chloé Lecci López
Un pincement au cœur réalisé par Guillaume Brac
Courts-métrages en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage de fiction
Pour la première année, deux comités fiction ont travaillé conjointement pour établir la liste des films de court métrage qui vont concourir pour le César 2024 du Meilleur Film de Court Métrage de Fiction. Le Comité Artistique, composé de Frédéric Baillehaiche, Irène Drésel, Louis Garrel, Guslagie Malanda, Dominik Moll et Pierre Salvadori, s’est réuni pour sélectionner 24 courts métrages parmi une liste établie par un comité d’experts composé de professionnels du court. Les films retenus sont les suivants :
Réalisatrice philippine de 29 ans, Sam Manacsa a réalisé un court-métrage Cross my heart and hope to die qui a fait sa première en compétition ce mois-ci à Venise. Ce premier film professionnel est un polar suivant une jeune femme intriguée par des coups de fil d’un inconnu, sur son lieu de travail. Le film est l’un de nos coups de coeur du festival cette année. Lors de sujets abordés dans cet entretien-conversation, il est question de Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul, d’atmosphère plutôt que dialogues, de confiance en soi, d’images statiques et d’impressions de Venise.
Format Court : Vis-tu de ton métier aux Philippines ?
Sam Manacsa : Je travaille actuellement comme chef déco, c’est mon travail principal. Je ne travaille pas vraiment en tant que réalisatrice. Le premier film que j’ai réalisé était, en fait, mon film de fin d’études, car je suis diplômée en cinéma à l’Université des Philippines. Ce film a été projeté à Clermont-Ferrand l’année d’après. Je n’ai rien fait après parce que je n’étais pas sûre que les choses que j’aimais allaient réellement aboutir, alors j’ai senti que je pourrais faire quelque chose d’autre où je pourrais gagner de l’argent. J’ai décidé de faire de de la décoration puisque c’est dans ce domaine que j’ai fait mon stage et j’ai décidé de poursuivre là-dedans au lieu de réaliser. Je fais principalement des projets commerciaux. Nous nous occupons des décors et des accessoires en général, mais surtout pour les publicités, pas vraiment pour les films.
Quelle est la situation du court-métrage aux Philippines ?
S.M : Ces dernières années, il y a eu davantage de soutien de la part du département des arts du gouvernement. Il existe peu de programmes auxquels on peut postuler et qui peuvent ensuite participer au financement. C’est très minime, on peut y accéder tous les six mois. Même s’il y a beaucoup de films à faire, il n’y a pas vraiment beaucoup d’opportunités. En parallèle, il y a aussi les festivals. Actuellement, il n’y a qu’un seul festival local qui finance des projets et un autre où on soumet son film déjà réalisé.
Le festival finance les courts-métrages ?
S.M : Oui, il y a un festival qui finance des courts-métrages. Il s’appelle QCinema. Mais si l’on pense aux courts métrages aux Philippines, c’est quelque chose que les gens font juste avant de réaliser leurs longs métrages. C’est comme un film d’entraînement. La seule raison pour laquelle les gens veulent continuer à créer des courts-métrages est parce qu’ils les voient comme une passerelle qui leur permet de créer des longs.
Comment ça s’est passé pour ton film ?
S.M : Je n’avais pas vraiment d’idée d’aller vers un long-métrage complet lorsque je l’ai écrit. J’ai vraiment senti que l’histoire correspondait parfaitement au format court, alors j’ai décidé de le faire. J’ai commencé à le développer en 2019 et comme je n’avais vraiment pas beaucoup de financement, j’ai continué à le réécrire jusqu’au début de cette année, puis j’ai décidé de le tourner.
J’ai essayé de solliciter des financements dans le festival dont j’ai parlé. Il y a d’autres financements pour des courts-métrages aux Philippines que j’ai tenté d’avoir, ainsi que d’autres financements pour des courts asiatiques, mais je n’en ai pas vraiment obtenus. C’est pour ça que j’ai, en quelque sorte, arrêté pendant un moment, mais ensuite j’ai été acceptée dans un atelier pour réalisateurs en Thaïlande. C’est à ce moment-là que je suis devenue un peu plus sûre de moi et que j’ai voulu vraiment faire le film.
Parfois, c’est trop compliqué d’attendre.
S.M : Oui, j’ai pensé que si je ne le faisais pas maintenant, j’aurais été capable d’abandonner à nouveau. Et puis, peut-être que j’aurais dû attendre encore une demi-décennie avant de vouloir faire un autre film…
Pourquoi était-il si important pour toi de tourner ce film, de raconter cette histoire ?
S.M : C’est en fait une histoire très proche de moi que j’ai entendu en grandissant, ça m’a vraiment marquée. J’ai décidé de baser librement mon film sur un événement dont on m’a parlé. J’ai imaginé que je pourrais explorer davantage le voyage émotionnel de mon personnage, Mila.
Tu as mentionné la confiance en soi. Comment s’est passé le travail en équipe ?
S.M : J’étais à l’aise avec l’équipe de tournage parce que j’ai tourné avec des amis très proches, avec qui je travaille déjà depuis des années, même sur des projets commerciaux. Ce n’était pas vraiment une sensation nouvelle de me retrouver sur un plateau avec eux. Quand j’ai décidé de tourner, je leur ai déjà dit que c’était avec eux que je voulais travailler. Ma productrice, mon directeur de la photographie, mon chef décorateur sont mes amis.
Peux-tu me parler de la tradition du cinéma philippin ?
S.M : Aux Philippines, les cinémas projettent surtout les films de Hollywood. Beaucoup de grandes sociétés de production sont très orientées vers Hollywood, donc j’ai grandi en regardant ces films-là.
Mais le cinéma, ce n’est pas qu’Hollywood.
S.M : Je n’ai vraiment découvert ce que je voulais faire que deux ans avant d’obtenir mon diplôme. J’avais un cours de cinéma expérimental et le professeur montrait tout ce qui n’avait aucun rapport avec Hollywood, comme du cinéma asiatique intéressant et du cinéma européen. C’est dans ce cadre-là que j’ai pu voir Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce de Chantal Akerman et cela a touché quelque chose en moi.
Tu te souviens de quoi ?
S.M : Je pense au fait de regarder le personnage de Jeanne Dielman, pendant tout ce temps, à l’expérience d’être là avec elle. Je me suis demandée comment capturer ce moment où l’on a envie de rester longtemps avec un personnage. C’est aussi pendant ce court que j’ai pu voir le travail de Apichatpong Weerasethakul. Ce n’est pas exactement le même cinéma, mais les deux réalisateurs aiment rester avec les personnages et prendre leur temps.
Ton film, Cross my heart and hope to die, est plutôt un polar. Souhaites-tu poursuivre dans la voie du film noir ?
S.M : Je sens que je suis en train de découvrir la façon dont j’ai envie de faire des films. J’ai l’impression que mes films sont assez différents, même s’ils se ressemblent avec de longues images statiques. Je sens qu’il existe encore une manière différente de voir mes personnages, mais je suis toujours en train de découvrir le type de concept avec lequel je veux jouer avant d’en créer un autre.
A quoi ressemblent tes scénarios ? Comment était celui-ci, par exemple ?
S.M : J’essaye surtout de décrire l’espace où se trouve le personnage. Le dialogue est la dernière chose que je mets. Je m’intéresse plutôt à l’atmosphère, au mouvement, à l’endroit où se déplacent les personnages qu’à leurs conversations. Je commence toujours par ce qu’ils disent, mais jamais vraiment par le dialogue lui-même. Je passe beaucoup de temps à écrire sur l’espace. C’est quelque chose dont j’essaie de m’inspirer dans les films : plus que les personnages, la façon dont l’espace autour d’eux est construit se répercute dans mes films.
Comment t’es-tu retrouvée à Venise ? As-tu un distributeur ?
S.M : Une fois le montage du film terminé, nous avions encore besoin d’un peu plus d’argent pour terminer la post-production. Ma productrice a décidé de postuler pour une bourse à Singapour. Flavio Armone de Lights On faisait partie du jury. Il nous a envoyé un e-mail demandant s’il pouvait représenter le film, et c’est ainsi que nous avons obtenu un partenariat avec Lights On. Je n’avais pas de grand espoir en termes de diffusion. Je me suis dit : « même si cela n’est pas projeté, ce n’est pas grave, nous trouverons un endroit pour que ma mère puisse le regarder ! ». Finalement, elle ne l’a pas vu car la première a eu lieu à Venise.
Que t’a apporté ce festival ?
S.M : C’est un très grand événement. J’ai pu rencontrer quelques réalisateurs de courts-métrages. C’était intéressant de rencontrer d’autres personnes. Après avoir visionné quelques-uns des projets, certaines personnes ont exprimé leur intérêt à travailler ensemble. Nous avons eu des conversations vraiment intéressantes. Je trouve que les festivals de cette envergure sont bons pour le networking. Il y a des producteurs qui nous ont dit qu’ils aimaient le projet. Ils sont très intéressés au cas où nous aurions un prochain projet, mais malheureusement nous n’en avons pas encore. J’écris toujours, mais j’ai l’impression que c’est trop tôt.
Quel est ton intérêt pour le format court ?
S.M : En ce moment, j’essaie d’écrire un long-métrage, mais c’est assez compliqué. C’est plus facile pour moi d’imaginer comment l’histoire se déroulerait dans un court laps de temps. Je l’envisage comme une histoire, comme un souvenir. Il est donc beaucoup plus facile pour moi d’écrire sur un format court. Je pense que 15 ou 18 minutes suffisent pour les histoires que je raconte.
Quels souvenirs as-tu gardé de tes études ?
S.M : J’ai étudié à l’Université des Philippines à Manille. Je n’avais pas de formation artistique. Mon père était ingénieur, ma mère avait beaucoup de métiers en même temps. Nous aimions beaucoup passer notre temps en famille à regarder des films, mais ce n’était pas vraiment quelque chose qui m’inspirait. Quand je suis allée à l’université, j’ai d’abord étudié la physique. J’ai vite réalisé que n’était pas pour moi.
De quelle manière ?
S.M : C’est assez difficile. Beaucoup d’étudiants là-bas, avant de commencer leurs études de physique, étaient allés dans une école de sciences spécifiques, donc ils avaient cette base en sciences et en mathématiques, ce qui n’était vraiment pas mon cas. J’ai vraiment senti que cela avait des conséquences néfastes sur ma façon de comprendre la physique.
J’ai réalisé que je n’arrivais pas à suivre, alors peut-être qu’il était temps de faire autre chose. J’étais vraiment sur le point d’abandonner mon diplôme. Je passais mon temps de l’autre côté de l’université avec les étudiants en cinéma, parce qu’il y avait une salle où ils projetaient des courts-métrages d’étudiants, des films indépendants de nouveaux réalisateurs. Ce n’était vraiment pas cher, alors quand j’étais frustrée, j’y allais. J’ai trouvé du réconfort en regardant des films pendant une période très difficile de ma vie et je me suis dit que peut-être je pourrais changer et faire du cinéma, sachant simplement que c’était quelque chose dans lequel je me sentais bien J’ai postulé et j’ai été admise. J’aimais beaucoup faire des projets de films avec d’autres étudiants, car nous en faisions beaucoup, alors j’ai décidé de rester. Je n’avais pas vraiment de but, je voulais juste être là, dans le même espace. Quoi qu’il m’arriverait après, j’allais me débrouiller.
Merci pour vos participations : l’appel à films est clos depuis ce 30 novembre, minuit !!!
👑 902 films ont finalement été soumis à notre appel à films. Merci à tous et à toutes pour vos candidatures. Le comité de sélection a du boulot !
Les deux dernières années, nous avions reçu 500 films pour notre festival. On sent un engouement pour le Festival Format Court et on en est ravi !
⏰ La sélection finale sera annoncée le 25 février 2024 ! Rendez-vous en salles, pour notre 5ème édition, du 25 au 28 avril prochain, au Studio des Ursulines !
Chères toutes, chers tous,
Depuis le 15 septembre, l’appel à films de la 5ème édition du Festival Format Court est ouvert. Il est actif jusqu’au jeudi 30 novembre 2023 minuit. Plus de 900 films nous ont déjà été envoyés ! À vous de jouer !
Vous avez réalisé ou produit un court (hors film d’école) de fiction, d’animation, documentaire ou expérimental de 30 minutes maximum, qu’il soit en prises de vues réelles ou animées ?
Vous avez jusqu’au jeudi 30 novembre 2023 minuit pour postuler à notre nouvelle compétition dont la sélection finale sera soumise aux regards de nos 3 jurys (professionnel, presse, jeune) ainsi que par le public !
Le Festival Format Court se déroulera du jeudi 25 au dimanche 28 avril 2024, au Studio des Ursulines (Paris, 5e). Nous sommes impatients à l’idée de découvrir vos œuvres !
Pour postuler :
– Prendre connaissance du règlement téléchargeable sur le site de Format Court
– Vous rendre sur la plateforme Film Fest pour inscrire votre film.
L’annonce de la sélection officielle sera consultable sur le site de Format Court, relayée par ses différents réseaux sociaux, et communiquée aux réalisateur.ices ou producteur.ices par e-mail le 25 février 2024.
Jurée des formats courts au Champs-Elysées Film Festival en juin dernier, la photographe et réalisatrice Charlotte Abramow, s’est fait connaître par son travail photo, ses couvertures de magazines et ses clips, notamment pour sa compatriote Angèle. Elle revient sur son parcours, son lien à l’image, son regard sur les femmes et sa curiosité pour les vraies et belles personnes, issues du quotidien.
Format Court : Comment t’es-tu retrouvée à passer par les Gobelins ? Qu’y as-tu appris ?
Charlotte Abramow : Avant l’école, j’étais autodidacte. Je travaillais avec mon petit appareil photo en lumière naturelle mais je ne savais pas du tout gérer la lumière artificielle et je me rendais compte que ça limitait ma créativité. Je m’étais renseignée sur les écoles en Belgique, je n’avais pas spécialement envie de faire une école d’art, j’avais vraiment une envie technique. Je savais que les Gobelins faisaient de la préparation au terrain. J’avais été au stand des Gobelins aux Rencontres d’Arles, j’avais aussi bien accroché avec des professeurs qui y étaient présents. Du coup, ça a été évident de faire cette école et j’ai pu la faire après moult péripéties. Il fallait un Bac +2. Je faisais déjà de la photo au lycée, je me suis demandée ce que j’allais faire après. J’ai essayé d’étudier à l’ULB (Université libre de Bruxelles) en histoire de l’art. J’ai tenu 3 mois. Je n’ai pas été au bout, j’ai tenté un dossier de dérogation qui est passé et j’ai réussi le concours d’entrée des Gobelins. Je suis arrivée en 2013. Ca a été assez intense parce que je suis passée d’une photographie un peu plus lifestyle à la vraie page blanche du studio, ça m’a ouvert une nouvelle voix. J’ai fait beaucoup de studio. C’était très intéressant de composer à partir de « rien » et de voir tout ce qu’on peut apporter dans l’image de manière très précise dans un environnement neutre.
Tu as commencé très jeune. Qu’est-ce qui t’a introduit à la photo?
C.A : Mes parents m’avaient donné un appareil photo jetable quand j’étais petite. Je crois que ma mère faisait aussi beaucoup de photos de famille, j’aimais bien l’idée de « collecter des souvenirs ». Je n’avais pas du tout une vision artistique de la photo, mes parents n’avaient pas forcément de connaissances en la matière. Entre les magazines de mode et Google images, j’ai fini par tomber sur des photographes comme Paolo Roversi ou Peter Lindbergh. J’étais fascinée. Tout de suite, c’est devenu une obsession. J’ai commencé vraiment vers 13-14 ans. Je faisais des petites photos de chats, de fleurs, de canettes de Red Bull, de Converse, de mégots de cigarettes, de mon quotidien que je mettais sur mon blog. Vers mes 16 ans, je shootais mes copines et des filles d’autres lycées que je ne connaissais pas forcément, des parents voyaient mes photos sur ma page Facebook. La rédactrice en chef du magazine Elle Belgique a découvert mon travail et m’a proposé une première série, puis une couverture. C’était chouette parce que j’étais vraiment jeune, ça m’a donné de la confiance pour en faire quelque chose de plus professionnel. Je savais que j’allais vivre à Paris, c’était un peu acté dans ma tête. Ça fait 10 ans maintenant que j’y suis.
Pourquoi fallait-il passer par Paris ?
C.A : En termes de mode, même de magazines, il n’y a pas beaucoup d’opportunités à Bruxelles. Je pense que maintenant je pourrais faire le chemin inverse, je peux avoir un plus grand atelier à Bruxelles, je suis plus installée, mais quand tu démarres, tu as besoin de construire ta patte.
Tu as fait Le Cri défendu, un court pour Arte dans la série des courts-métrages réalisés par des femmes. En venant du monde des shootings en studio, comment cette étape s’est-elle passée ?
C.A : Ça a commencé d’abord par les clips, avec ceux d’Angèle. J’ai abordé mon premier clip (La loi de Murphy) comme une suite de photos, puisque c’est une série de plans fixes. Comme je peux raconter des histoires à travers une série de photos, je peux aussi mettre en forme une séquence d’images qui deviennent une vidéo avec de la musique. Je me suis formée avec le clips et puis, je suis arrivée au court. Finalement, pour ce projet, j’ai gardé un peu cet esprit assez découpé que m’apportait le texte de l’écrivaine Jo Güstin, qui était déjà très théâtral. Son texte est presque un poème. Ça m’a tout de suite inspirée. En fait, je « prémonte » les films dans ma tête avant de les tourner, ce qui me donne une idée très précise de ce que je veux faire. C’est ma manière de travailler jusqu’à maintenant et ça a marché aussi sur ce court-là.
Est-ce que tu penses que quand tu réalises une vidéo, tu envisages autant l’image que l’histoire ? Les Passantes (réalisé pour la Journée Internationale des Droits des Femmes) est extrêmement visuel, par exemple.
C.A : C’est drôle parce que dans Les Passantes, j’ai travaillé la chanson de Georges Brassens de manière un peu particulière. Sur les chansons d’Angèle, j’ai la structure d’une chanson pop qui m’aide à « délimiter » les différentes séquences du clip. Pour Les Passantes, c’était un long tunnel : il n’y avait plus que la voix et la manière dont Brassens dit les mots et les phrases qui me permettent finalement de découper. J’ai découpé vers par vers pour faire cette séquence de tableaux. Ça m’intéresse aussi de prendre certaines images en contre-pied du vers. Par exemple, à un moment, on entend dans la chanson « silhouette fluette » et je mets un gros fessier plein de cellulite ! J’adore l’image et, avec le son et la parole, je peux parfois créer un combo désarçonnant que je trouve intéressant.
En termes d’image, est-ce que tu penses à une idée et après, tu te donnes des moyens pour trouver les modèles ?
C.A : Oui, c’est ça. Même si mon image doit être belle et travaillée, je veux toujours qu’elle ait un sens, qu’elle raconte quelque chose et ne soit pas gratuite, et après, je trouve les personnages correspondants. Ce n’est pas mon truc, les agences de mannequinat.
Tu as envie de vrais gens, en fait.
C.A : Oui. J’ai créé une adresse e-mail de casting. Je poste des annonces et n’importe qui peut m’écrire. Parfois, il y a des personnes que je contacte deux ans après parce qu’elles correspondent à un profil. Après, forcément, quand il y a du jeu en compte, il faut parfois un peu d’expérience. Mais sinon, pour des photos et des clips, ça peut m’arriver de contacter quelqu’un qui n’a jamais rien fait.
Si je comprends bien, tu te crées une sorte de bibliothèque de profils pour des projets à venir.
C.A : C’est ça. J’adore recevoir des visages. J’ai un peu une passion pour les visages. Pendant le Covid, c’était horrible à cause des masques. Quand on les a enlevés, je me suis dit : « Waouh, les gens sont trop beaux ! ».
Tu le penses toujours ?
C.A : Oui. Mais personne ne s’en rend compte, tout le monde se trouve moche. Même les gens qui sont dans les carcans, les mannequins, pensent qu’ils sont moches.
Tu parlais d’une image gratuite. Qu’est-ce que c’est pour toi ?
C.A : C’est difficile à définir, mais c’est juste que j’aime le fait que l’image puisse interroger ou raconter quelque chose. Je me sens moins légitime quand je capte des instants où je me dis : « OK, ma photo est jolie, mais ça va intéresser qui ? » Si j’essaie d’ajouter un message, ça va amener un début de conversation ou de débat. Une image, c’est presque un prétexte, même si j’adore la travailler. J’aime toujours essayer d’amener du sens dans une image.
Justement, dans tes images, on voit que tu travailles avec plusieurs artistes féminines et que tu as ta manière de filmer le corps feminin. On parle beaucoup du female gaze, est-ce important pour toi de trouver une autre manière d’illustrer le corps feminin ?
C.A : Je pense que ça a été assez instinctif, même avant que j’ai des notions féministes ou théoriques. C’est encore plus passionnant d’en comprendre le sens, de l’analyser. Finalement, c’était ma manière naturelle de regarder les femmes. Déjà jeune, ce côté désirable, bonne, je trouvais ça tellement étriqué, complexant et horrible. J’avais envie de montrer qu’il y a plein d’autres voix et que c’est possible d’exister en tant que femme et de se sentir bien, belle et forte.
Cela t’a été transmis par ta famille, la vision de la femme ?
C.A : Je ne sais pas. Ma maman était obèse quand j’étais petite et je ne comprenais pas les regards sur elle. Pour moi, c’était une personne qui avait le droit d’exister en tant que telle comme les autres.
Comment perçois-tu les courts et moyens métrages, as-tu l’habitude d’en voir ?
C.A : Non et je trouve ça hyper triste qu’ils ne soient pas mieux diffusés. Tu peux voir des TikTok, des clips, des films sur Netflix, mais pas des courts aussi facilement. Je suis un peu frustrée parce qu’ils ne sont pas plus accessibles, à part dans les festivals. Dans un court, tu peux avoir une bombe d’informations ou d’émotions toute aussi impactant, ou parfois plus impactant que dans un long. En plus, nous sommes dans une société où les gens sont de moins en moins concentrés. J’ai l’impression qu’ils commencent à se désintéresser même aux clips vidéos, que c’est trop long par rapport à un TikTok de 15 secondes. Je pense que le format court a, peut-être, du coup un avantage à jouer.
Erenik Beqiri, réalisateur albanais dont nous avions découvert et aimé le court précédent, The Van, en compétition officielle à Cannes 2019, vient de recevoir le Prix Orizzonti du meilleur court-métrage à Venise pour son nouveau film A Short Trip, tourné à Marseille. Le film, produit par Origine Films et Moteur S’il Vous Plaît, a également obtenu une nomination pour les European Films Awards 2023.
Syn. : Mira et Klodi, un jeune couple albanais, arrivent à Marseille avec une mission cruciale. Alors qu’ils font face à un rendez-vous fatidique et à une salle pleine d’hommes, le temps est compté. Tout en affrontant l’urgence de leur choix, ils doivent également faire face à la nécessité de se séparer.
Article associé : notre interview du réalisateur et de sa comédienne, également réalisatrice, Luàna Bajrami.
Partenaire du Festival Format Court, La Scénaristerie, association créée en 2015, lance une nouvelle résidence : Le Labo Court-Métrage qui s’intéresse de près à la relation scénariste/réalisateur.rice.
L’appel à projet est destiné aux scénaristes porteur.euse.s de deux projets de courts-métrages qu’il.elle.s ne souhaitent pas réaliser eux.elles-même.
La première semaine de résidence aura lieu du 11 au 15 décembre 2023 à la Maison des Auteurs de la SACD à Paris.
Suite à cette première session, sera lancé, fin janvier 2023, un appel à réalisateur.rice.s cherchant à collaborer avec des scénaristes. Les réalisateur.ices devront être à l’aise avec l’idée de travailler sur un projet qu’il.elle.s n’ont pas initié.
Pour candidater, il vous suffit d’envoyer les pitchs de vos projets jusqu’au 24 septembre minuit à courtmetragelelabo@gmail.com. Les scénaristes sélectionné.e.s seront prévenu.e.s par mail le 8 octobre.
En janvier 2024, à la manière d’un speed dating, 4 binômes de scénaristes/réalisateur.rice.s seront formés, avec chacun un projet sur lequel travailler.
La 2ème semaine de résidence aura lieu en mars 2024 afin d’aboutir à une version dialoguée des courts-métrages.
Enfin, la présentation des projets de et des duos scénaristes/réalisateur.rice.s devant des producteur.rice.s, aura lieu à l’occasion du prochain Festival Format Court en avril 2024 au Studio des Ursulines (Paris, 5).
À Venise, la Biennale bat son plein jusqu’à ce samedi 9 septembre. Au programme de la section cinéma, la compétition, bien sûr, les classiques, aussi, mais surtout ses Orizzonti (« Horizons ») qui présente, à côté de dix-huit longs-métrages, treize courts-métrages.
Place aux questions de société
La sélection 2023 accorde une place importante aux questions de société. Area Boy, par exemple, du réalisateur britannique Iggy London, présente un personnage d’adolescent en proie au doute. Avec sa très belle scène de baptême par submersion complète, ce film aborde les questions de dysphorie de genre et des relations adolescentes, mais aussi la place du religieux. Le poids des injonctions faites aux femmes et des narcotrafiquants dans la Colombie des années 1990 apparaissent pour leur part dans Bogotá Story, du réalisateur colombien Esteban Pedraza.
La situation des immigrés traverse également de nombreux films. A côté de Sentimental Stories, de la réalisatrice roumaine Xandra Popescu, sur les conditions de vie de travailleuses immigrées en Allemagne, A Short Trip, du réalisateur albanais Erenik Beqiri, nous présente un couple albanais dont la femme est prête à contracter un mariage blanc pour pouvoir rester en France. La misère du couple comme des aspirants au mariage, prêts à épouser une inconnue pour quelques euros, est au cœur de l’écriture du film.
Le poids du regard des hommes sur le corps des femmes apparaît en filigrane dans Sea Salt, de Leila Basma, également parcouru par la question migrante : Nayla, une adolescente de dix-sept ans, subit les remarques de son frère, qui trouve son short trop court. A travers cette relation fraternelle difficile, le film nous montre l’attirance paradoxale du lointain sur la jeunesse libanaise. La jeune fille est en effet confrontée à un dilemme : suivre son frère au Canada, où la vie est sans doute moins compliquée qu’au Liban, ou rester à Beyrouth près de ses amis et, surtout, de son amoureux secret, et échapper ainsi à ce frère pour le moins envahissant.
C’est toutefois Cross My Heart and Hope to Die, de la réalisatrice philippine Sam Manacsa, qui retient l’attention parmi tous ces films de société. Sa peinture de la vie humble et répétitive de Mila, une modeste employée de bureau, doit beaucoup à son travail de l’espace et de la profondeur de champ. Les murs et les plafonds étouffants, la création de lieux hermétiquement clos et le travail de la lumière reproduisent une atmosphère asphyxiante qui extrait le court-métrage du seul film à sujet pour l’orienter vers quelque chose de beaucoup plus singulier.
Un coup de projecteur sur l’animation
Film politique et film d’animation tout à la fois, The Meatseller, de la réalisatrice italienne Margherita Giusti, nous fait suivre le parcours vers l’Europe d’une jeune Nigériane, Selinna, qui rêve de devenir bouchère. Un parcours chaotique, difficile et semé d’obstacles, retransmis par la simplicité d’un dessin qui joue de l’opposition du rouge de la viande au noir et blanc des contrées traversées.
Le beau In the Shadow of the Cypress, des réalisateurs iraniens Hossein Molayemi et Shirin Sohani, nous embarque dans un univers moins déterminé, fait de pêche au cachalot, de nostalgie et de mélancolie. Les couleurs pastel du début cèdent la place à des couleurs plus franches, qui parviennent à créer un univers étrange et paradoxal, conjointement inquiétant et rassurant.
Un peu d’humour, peut-être, avec Wanted to wonder, de la réalisatrice néerlandaise Nina Gantz, parodie des shows TV pour enfants. Des marionnettes, filmées en stop-motion, répondent avec un enthousiasme un peu forcé aux questions existentielles de leurs jeunes téléspectateurs (par exemple : « Peux-tu dire à Maman que les rollers ne sont pas dangereux ? »). Surtout, plus que les marionnettes, c’est le show lui-même qui devient le personnage principal du film. Aussi découvrons-nous l’envers du décor, des coulisses sombres et glauques, aux antipodes de la joie factice de l’émission de télé. L’humour du début a cédé sa place à un univers inquiétant, qui transforme la parodie en une satire acerbe de la société.
La sélection de Venise ne brille donc pas par son optimisme, mais est sans doute à l’image du monde contemporain. On y observe une certaine unité de ton et de thèmes, qui parle des angoisses d’une époque où les uns et les autres peinent à trouver leur place.
En 1992, la Colombie traverse un moment historique difficile. La guerre contre le trafic de drogue prend des proportions massives et a des conséquences directes sur la vie des citoyens, tant dans les campagnes que dans les grandes villes, comme Bogotá, la capitale. Le gouvernement, des factions et les principaux cartels du monde, dont celui commandé par le légendaire trafiquant de cocaïne Pablo Escobar, s’attaquent en permanence. Seul représentant en compétition de l’Amérique latine parmi les courts-métrages de la Mostra de Venise, Bogotá Story de Esteban Pedraza dresse un portrait de la vie quotidienne d’un pays immergé dans un conflit armé interne à la fin du siècle dernier.
Une radio diffuse discrètement de la musique, le son étant étouffé par le cri puissant d’un bébé, que Pilar (Catalina Rey) semble ne pas entendre, hypnotisée par la lettre qu’elle lit. La jeune maman vient de recevoir une proposition de stage aux Etats-Unis, un conflit d’intérêts qui guide l’histoire du film. Elle va devoir discuter avec son mari des opportunités ou des pertes que ce déménagement peut entraîner pour eux trois.
Le dilemme familial se déroule au milieu d’événements effrayants mais banals dans le pays à l’époque, tels que le rationnement de l’énergie, les coupures de courant soudaines, les bombardements partout en ville. Utilisant l’image au service de l’histoire, Esteban Pedraza contextualise, tout au début de son film, le temps et l’espace de son œuvre à travers le parcours d’un fil électrique qui traverse la maison familiale typiquement latino-américaine de Pilar. L’installation qui relie le garage à la salle à manger est alimentée par l’électricité de la voiture, aidant ainsi la famille en cas de panne.
Deux raisons principales poussent la protagoniste à déménager aux États-Unis : le pays est un endroit où elle peut évoluer professionnellement d’une façon qui ne serait pas possible en Colombie. De plus, il y a le facteur qu’elle partage avec tous ses compatriotes et qui a amené plus d’un million de colombiens à émigrer entre 1985 et 1993 : la peur. Pilar craint de rester dans son pays et de mettre sa vie et celle de sa famille en danger.
La protagoniste de Bogotá Story semble vivre en 1992 avec la mentalité d’une femme de 2023. Regarder cet anachronisme produit un mélange de sentiments chez le spectateur. D’abord, le soulagement d’accompagner une protagoniste non stéréotypée, qui ne se conforme pas à l’idée de se consacrer uniquement au rôle de mère et épouse, mais qui souhaite l’équilibrer avec son indépendance personnelle. Ensuite, il y a l’angoisse de la voir prisonnière de son époque . Dans une société patriarcale, Pilar n’a pas peur d’être la principale pourvoyeuse de son foyer. Malgré son manque évident de talent en affaires, son mari Alejandro (Víctor Tarazona) refuse de quitter le magasin qu’il dirige, une entreprise familiale fondée par son père. Les racines familiales et la tradition sont de la plus haute importance pour lui. Le confort qu’il recherche ne lui est pas fourni par l’argent ou la carrière, mais par la proximité de sa famille dans sa ville natale, en vivant comme il l’a toujours fait. Les rôles de patriarche et de matriarche au sein d’une société traditionnelle semblent inversés dans la maison.
L’identité colombienne a été impactée par les événements historiques que le pays a vécu à la fin du 20ème siècle et au début du 21ème. Ce lien au pays se traduit dans le film à travers de nombreux aspects. Le réalisateur propose au public une visite à Bogotá, aussi visuelle que sonore. Le dispositif de la radio, utilisé à différents moments du récit, contextualise l’histoire, que ce soit par la musique ou les informations sur la guerre. Les images extérieures, des balades en voiture ou panoramiques qui captent la dimension de la capitale, sont vues sous le grain nostalgique du 16mm. Ces plans nous familiarisent avec l’endroit, transmettant un sentiment d’attachement à la ville qui, malgré les adversités, est celle des protagonistes.
Esteban Pedraza part d’une situation personnelle pour créer le scénario de Bogotá Story, qui est raconté par la fille de Pilar, devenue adulte. Avec un regard délicat qui fait plonger le public dans la vie des personnages, le réalisateur expose un panorama de l’histoire colombienne à travers le quotidien des citoyens, décrivant à la fois le confort de la maison et la peur de l’imprévisible. Le scénario est ancré dans un moment historique, mais reste actuel grâce à des protagonistes vraisemblables et complexes.
Synopsis : En 1992, alors que la Colombie est confrontée à une ère de violence liée à la drogue, des bombes, et de pannes de courant quotidiennes, une jeune mère de Bogotá reçoit une opportunité de stage aux États-Unis et doit finalement choisir entre ses rêves et sa famille.
Aussi à l’aise dans les films de Quentin Dupieux (Yannick sort ce 2 août) que dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Sur la branche de Marie Garel-Weiss, Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, Raphaël Quenard a commencé « tardivement » dans le cinéma à 23 ans après un passage éclair en politique et des débuts avec l’association 1000 Visages. En 2020, Les Mauvais Garçonsde Elie Girard, dans lequel il joue, a reçu le César du meilleur court. Un format dans lequel Raphaël Quenard se sent à l’aise. Il vient d’ailleurs de co-réaliser L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhensionavec Hugo David, qui a remporté le Prix France Télévisions du court-métrage aux Champs-Elysées Film Festival 2023.
Le film, co-produit par Insolence Productions, Nouvelle Toile et Lipsum Productions, conçu de façon improvisée sur le tournage de Chien de la casse, s’intéresse à un acteur qui reçoit pour la première fois un rôle important sur un long-métrage. On y retrouve un Raphaël Quenard très en forme, maniant les mots, jouant avec son corps. L’occasion pour nous de rencontrer enfin cet acteur qui nous intrigue depuis un moment. Un acteur lucide, avide de combler ses lacunes en cinéma, reconnaissant pour les rencontres qui l’ont amené sur les plateaux et prêt à venir aussi en aide aux autres en passant par la case production.
Format Court : On va commencer avec ton expérience sur Les Mauvais Garçons d’Elie Girard. Tu as fait beaucoup de courts-métrages.
Raphaël Quenard : J’ai fait plein de courts bénévoles, auto-produits. Sur Cineaste.org (site d’informations sur le cinéma), je répondais à toutes les offres, comédien, bénévole, tout. J’ai fait beaucoup de courts-métrages pas forcément très aboutis. Parfois, tu tournes et le film n’est jamais monté, ou tu ne le vois jamais, ou tu fais 10 tours de casting alors que ça n’a pas de sens. Après quand on te rappelle après un casting et qu’on te paye pour jouer, c’est carrément extraordinaire !
C’est arrivé quand ça pour toi, dans ton parcours ?
R. Q : C’est arrivé grâce à Emma Benestan (réalisatrice, scénariste, Fragile), elle m’a présenté quelqu’un qui m’a dit : « Raconte-moi une histoire ». Je le fais et il me répond : “Ok, j’ai un rôle pour toi dans une série, 6×52 minutes, sur France 2 : À l’intérieur”. J’ai tourné à Angoulême avec Mylène Demongeot, Béatrice Dalle, Hippolyte Girardot, Noémie Schmidt, Antoine Gouy, Grégoire Leprince-Ringuet… C’était ma première expérience payée. Après, Émilie Noblet, qui était chef op sur L’Amour du risque, m’a permis de faire une autre série, HP, et m’a fait passer plein d’autres castings. Émilie et Emma, elles m’ont trop aidé. Ensuite, l’une des co-autrices de HP, Camille Rosset, a parlé de moi à son copain de l’époque, Elie Girard, qui préparait Les Mauvais Garçons. J’ai rencontré la directrice de casting, Marine Albert, qui après m’a fait faire Mandibules de Quentin Dupieux.
Comme quoi ça tient à pas grand-chose en fait : c’est juste des rencontres. Je ne connais pas beaucoup de gens qui se mettent à répondre à toutes les annonces sur Cineaste.org.
R. Q : Moi après, je suis hyper têtu. La détermination et l’acharnement, c’est un cadeau – je sais pas si c’est du ciel ou de mes parents. Vraiment, je sais que je suis un acharné. Et là, le court-métrage qu’on a fait ensemble L’acteur, on l’a fait seul, on prenait la caméra, Hugo venait dormir dans ma chambre, on tournait des petites conneries. Après j’ai dit : “Vas-y viens, on fait un film”. On a fait un bout à bout, un ours dégueulasse d’une heure et quart. Hugo a dérushé 15 heures d’images pour atterrir aux 25 minutes. Il a fait un travail exceptionnel. Heureusement, on était tous les deux. En plus de ça, je suis trop content parce que c’est une expérience de co-réalisation. J’espère qu’on va faire plein d’autres films ensemble ! On s’engueule et tout hein – bien sûr qu’on s’embrouille ! C’est normal ça, sur un plateau. “Laisse-moi mettre ça, rallonge un peu le plan”. Mais au final, on arrive toujours à déployer les argumentaires qui font qu’on aboutit à quelque chose de convenable pour tous les deux. Plein de gens nous ont aidés. S’ils voient que tu es déterminé, il y en a toujours qui ont du cœur et qui t’aident à la fabrication de ton projet.
Avais-tu déjà eu une expérience de réalisation ?
R. Q : On avait déjà fait un court-métrage collectif au sein de 1000 Visages qui s’appelle Koala en 2017-2018 par là, c’était après L’amour du risque (de Emma Benestan), ma première expérience de jeu quand je suis arrivé à 1000 Visages.
Tu fais encore des courts métrages ?
R. Q : J’ai envie de produire des courts-métrages maintenant. On a monté une boîte de production qui s’appelle Lipsum Productions, c’est vraiment en rapport avec le premier objet cinématographique qui va faire partie du catalogue, à savoir L’acteur (ou la surprenante vertu de l’incompréhension).
C’est le sous-titre ?
R. Q : C’est le titre entier. En gros, le propos de L’acteur c’est de dire : est-ce qu’on a besoin de délivrer un message intelligible pour être compris ? On n’a pas vocation à le faire, tout ça est parodique. Un « lorem ipsum », en informatique, c’est un texte en latin qui veut rien dire. On va faire un autre court-métrage avec un autre ami à moi, avec qui on a déjà fait plein de courts-métrages. Nous, on avait une bande de potes, avec qui on tournait plein de courts-métrages.
Vous aviez un nom ?
R. Q : Non, on n’avait pas de nom, mais par contre, si tu tombes sur nos courts, tu rigoles ! On a fait plein de petits courts-métrages comme ça, tous ensemble. Avec l’un d’entre eux, on va faire quelque chose de bien. On a eu 20.000€ de la ville de Strasbourg. Bac Films nous a accordé leur fonds de soutien. On va essayer de trouver un peu d’argent et de le faire bien. J’ai vraiment envie d’en apprendre davantage sur toute la chaîne de fabrication : comment se construit un film, même être impliqué dans les choix, voir comment ça se passe au montage, avant, à la préparation du film. Tout me passionne dans ce procédé, dans le cinéma.
C’était déjà le cas avant ou pas ?
R. Q : Pas du tout. Moi, j’ai découvert le mot « casting » à 23 ans. Après, j’ai commencé à écrire des courts-métrages quand j’ai découvert le cinéma. J’avais écrit un film pour le Nikon Festival. On l’a tourné. Après, j’ai essayé de faire un autre court-métrage qui n’avait pas marché. Ensuite, on a fait Koala collectivement au sein de 1000 Visages et puis, j’ai écrit un autre court-métrage qui n’a jamais abouti.
Ça ne te désolait pas que les choses ne marchent pas ? Qu’est-ce qui a fait que tu continuais quand même ?
R. Q : Franchement, je ne sais pas et je pense que c’est un bon signe de ne pas savoir. J’ai le sentiment que je n’y suis pas encore arrivé, il faut encore faire des centaines de films. Il y a à faire devant nous, il y a 40 ans de carrière à remplir, d’œuvres les plus qualitatives possibles. Je ne me suis jamais posé la question : « Est-ce que je vais arrêter tout ? » Il y a une petite voix qui me dit : « Il y a un truc à faire ». Une conviction intérieure.
Est-ce que cette conviction est liée au fait que les projets qu’on te soumet sont quand même plus nombreux depuis quelques temps et plus grands ? Quand on voit tes débuts – et c’est le cas pour tout le monde – que ce soient dans des courts et dans des longs, tu joues “le trompettiste”, “le policier”… Tu n’as pas de prénom, pas de personnage.
R. Q : J’avais fait une apparition dans Gagarine (de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh), je suis un trompettiste alors que ça n’avait rien à voir. C’était plutôt le désamianteur que le trompettiste. Le fait de me retrouver dans ce genre de situations, ça ne m’emmerdait pas parce que je me disais : « C’est pas grave, je suis sur un tournage, j’apprends ! » J’adore, j’ai fait plein de figurations et ça m’a nourri plus qu’un milliard d’autres expériences qui pourraient paraître plus sérieuses. Dans la figuration, tu apprends tellement de trucs, il y a énormément de profils inspirants, il y a trop de choses qui se passent, trop de façons de faire, trop de réalisateurs interlopes qui inspireront peut-être des œuvres plus tard.
J’ai vu que tu étais passé par la politique. Comment ça a pu te nourrir ?
R. Q : Je croyais que c’était du spectacle. J’aimais bien le principe de parler à une audience, j’avais une vision erronée de ce que c’était. Encore maintenant, je porte un regard, je pense un peu trop enfantin sur la politique, et je suis, à l’instar de beaucoup de nos concitoyens, trop vite fasciné par l’éloquence, la verve, le show, la gestuelle d’un gars, les silences, le fait de se manifester au monde, de s’auto-mettre en scène.
Est-ce que tu reconnais une forme de jeu chez les politiciens ?
R. Q : Pour moi, ce sont les plus grands acteurs, parce qu’ils sont les acteurs du réel, et ils arrivent à le porter à un tel niveau ! Je me pose toujours la question – en plus vu le niveau de pouvoir stratosphérique que certains atteignent – comment ils ont fait, par une suite d’expériences, de rencontres, de discussions, pour inspirer autant de respect, de peur, pour s’accaparer d’une certaine façon un pouvoir démentiel, ça je trouve ça fascinant. Parfois, ils en sont arrivés avec des motivations qui sont toutes personnelles, toutes intimes, et juste pour aller, comme tout-à-chacun, trouver un éclat de fierté dans l’œil de leur mère.
Mais ça, je pense que tout le monde le recherche.
R. Q : Bien sûr, bien sûr. On cherche tous la reconnaissance. Que ce soit de nos parents ou des autres.
Qu’est-ce qui s’est passé sur Chien de la casse pour que vous ayez envie avec Hugo de faire L’acteur ?
R. Q : Même au début de Chien de la casse, je ne savais pas qu’on allait faire ce film. C’est le plus beau film qu’on puisse faire parce qu’on ne savait même pas qu’on en tournait un. A la base, Hugo tournait le making-of du film et ça s’est transformé en un court en cours de route.
Ça aurait pu être une forme de journal de bord. Dans quelle mesure, ça t’a fait plaisir de travailler là-dessus ?
R. Q : Moi, j’adore. On en a fait un personnage. C’est un farfelu de la dernière espèce, l’acteur. On avait du mal à tisser une histoire. Comme on ne savait pas l’objectif du personnage, on avait un amas de scènes disparates, sans cohérence. Il a fallu tisser un truc au sein de cet amas hétéroclite.
Pour toi, c’est important de mettre dans la phrase des mots qui font plus que deux syllabes ?!
R. Q : J’espère que ça ne paraît pas trop pédant ou bien cuistre. Franchement, les mots, je te jure, j’aimerais ne pas les utiliser comme un sachant qui veut disperser sa science. Je suis juste un gars qui a un milliard d’interrogations et l’étendue de son ignorance est tellement infinie que j’essaie de combler mes lacunes. La sonorité d’un mot, ça me résonne dans la tête. Il a des petites couleurs avec lui. Lequel tape le plus juste, lequel va avoir un effet comique tandis que le même mot qui est un synonyme parfait ne va rien créer. Par exemple, on peut dire un « énergumène » ou un « hurluberlu ». Si tu dis un « spécimen », ça n’amène rien. Tandis que si tu dis : « qu’est-ce que c’est cet hurluberlu de la dernière espèce ? », je sais pas, il y a un truc qui me paraît plus drôle, plus goûtu.
Qu’est-ce que tu peux faire de ces mots-là à part avoir envie d’écrire des histoires ? Est-ce que tu pourrais partir sur d’autres choses, la poésie, la chanson, par exemple?
R. Q : Bien sûr, bien sûr.
Tu as ton imaginaire et ta curiosité pour les mots, mais en même temps, quand tu te retrouves sur les tournages des autres, tu es un peu cantonné par le texte.
R. Q : Il y a quelque chose d’exceptionnel dans les textes des autres. Par exemple, Quentin Dupieux ou Jeanne Herry sont très attachés à leur texte. Et pour autant, leurs univers sont tellement exceptionnels, leur vision est si affirmée, si précise, si minutieuse, qu’ils savent quelle va être la couleur de leur film. Improviser, ça reviendrait à sortir de leur ton qui est celui qu’ils veulent conférer à leur film. Ca voudrait dire basculer dans un ailleurs qui n’irait pas.
Tu laisses donc tes mots de côté.
R. Q : Sauf si le réalisateur les aime bien. S’il aime bien les propositions, on va essayer de lui en donner.
Dans quelle mesure, toi, tu as envie de faire confiance à des jeunes auteurs qui viennent du court-métrage et qui font leur premier long ?
R. Q : Moi, franchement, si c’est un bon film…! Mon rêve, c’est de faire des classiques. Un classique, un film qui repasse dans 20 ans, un film qui restera dans l’histoire, un intemporel. Si tu crois vraiment en un personnage qui est fort, qui te foudroie, je ne sais quoi, de vérité à son endroit, franchement, moi, j’ai envie de le faire.
C’est quoi un bon classique pour toi ? C’est le film ou le rôle qui t’intéresse ?
R. Q : Parfois l’un et parfois l’autre. Par exemple, dans Boudu sauvé des eaux (de Jean Renoir), ça va être le rôle de Michel Simon, que je trouve exceptionnel, associé à des dialogues de génie. Là, c’est le personnage. Souvent, j’ai l’impression que si le personnage est grandiose, par exemple dans Scarface, que c’est parce qu’il est sous-tendu par un grand film. Et parfois, les personnages, par exemple dans les films de Tarkovsky, même s’ils sont extraordinaires, je suis moins fasciné par eux que par la mise en scène, l’ambiance, l’atmosphère qui est créée. La danse de Satan de Béla Tarr, ça, c’est un film exceptionnel. C’est extraordinaire de voir dans quel mood le réalisateur va réussir à te plonger. C’est magnifique.
Dans quelle mesure tu rattrapes tes lacunes, comme tu dis ?
R. Q : Je vais regarder des films avec avidité. Je vais beaucoup au cinéma. J’ai vu récemment Ne croyez surtout pas que je hurle. Frank Beauvais, le réalisateur, a fait une dépression. Il a vu 400 films en 6 mois. Il a écrit un monologue – mais le film, c’est un délire, c’est une expérience – sur un cocktail d’images des 400 films qu’il avait vus.
Qu’est-ce qui toi t’intéresse en particulier dans la forme du court ?
R. Q : Son côté pardonneur, dans le sens où tu peux laisser libre cours à l’expérience de façon plus clémente que dans le long-métrage. Le long-métrage expérimental, il faut arriver à tenir l’attention du spectateur, ce n’est pas simple.
Récemment, j’ai adoré le court Pacific Club de Valentin Noujaïm, qui mélange plein de trucs (de la danse, du témoignage des images de synthèse, …). Moi, il m’a procuré une émotion notoire.
Est-ce qu’en voyant beaucoup de films et en lisant des scénarios, tu as le sentiment de devenir plus critique ?
R. Q : Ça je pense que ça arrive, à n’importe quel gars – quand bien même il n’aurait pas lu beaucoup de scénarios – il y a un jugement qui s’abat comme un couperet, comme dans la vie, dans une discussion. Par exemple, une fois j’ai refusé un rôle, après quand j’ai vu le résultat, je me suis dit que le cinéaste qui avait fait le film était exceptionnel, qu’il était trop fort. Parfois, tu lis mal, tu lis – je ne sais pas – dans la mauvaise atmosphère, la mauvaise énergie, tu n’es pas dans l’état d’esprit pour recevoir… C’est dur de retranscrire. J’aimerais bien par exemple lire un scénario de Yorgos Lanthimos pour voir si, déjà à ce stade, tu vois la dinguerie que ça va être. Le gars est extraordinaire. Ari Aster aussi ! J’adore des gars comme ça. Ce sont des scénarios réservés à l’élite.
Comment fais-tu avec toute la liberté dont tu as l’air de faire preuve pour fonctionner avec un agent ?
R. Q : Franchement, on s’entend trop bien avec mon agent. On parle, on discute… Moi, je lui dis mon rêve, lui, il le prend en considération. Il a plus d’expérience que moi de ce que réserve le milieu donc il essaie de tracer un petit chemin au sein du Marigot.
Comment le percevais-tu ce milieu, ce fameux milieu avant d’y entrer ?
R. Q : Je peux pas te dire. À la place de regarder les César, je sortais voir les copains, j’allais travailler,… La flânerie. Avant de commencer, franchement, je n’avais pas vu beaucoup de films, mais c’est ce qui cause le complexe que j’ai, que j’essaye de colmater, de gommer. Moi, j’avais vu Le Dîner de cons, et j’étais trop petit, je n’avais même pas compris.
Tu as l’impression quand même que les gens te font ressentir le fait que tu n’as pas vu assez de films, ou c’est juste toi…?
R. Q : Non, c’est plus moi-même. Maintenant, en fait, je me suis vraiment fait piquer par la passion. Je fais même plus genre, même pour discuter avec quelqu’un. Au début, c’est vrai que dans les discussions, quand on t’accable de références, ton ignorance t’apparaît de plus en plus crasse. . Aurais-tu un conseil pour les jeunes ?
R. Q : Première chose, la détermination. Deuxième chose, l’action ! La fabrication. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est la même chose. Le cinéma, c’est de l’artisanat ! Le réalisateur, il trouve les bons acteurs, place les bons rivets, aux bons endroits et il sort une commode Louis XVI !
Comment est-ce que tu te voyais l’avenir quand tu étais enfant?
R. Q : Quand j’avais trois ans, ma mère m’a demandé ce que je voulais faire plus tard et j’ai répondu : “Président de la République !”
13 courts-métrages, figurant dans la section Orizzonti, sont cette année en compétition à Venise. Le festival fête par ailleurs ses 80 ans d’existence. À Format Court, on est curieux de retrouver dans cette sélection de courts les nouveaux travaux d’Erenik Beqiri qui nous avait scotchés avec The Van (en compétition à Cannes 2019) et de Wissam Charaf, dont le très beau deuxième long-métrage Dirty, Difficult, Dangerous est sorti en salles il y a quelques mois.
Courts en compétition à la Biennale 2023
– Aitana de Marina Alberti, Espagne
– Sea Salt de Leila Basma, République tchèque, Liban, Qatar
– A Short Trip de Erenik Beqiri, France
– Et si le soleil plongeait dans l’océan de nues de Wissam Charaf, France, Liban
– Wander to wonder de Nina Gantz, Pays-Bas, Belgique, France, Royaume-Uni
– The meatseller de Margherita Giusti, Italie
– Dive de Aldo Iuliano, Italie
– Area Boy de Iggy London, Royaume-Uni
– Cross my heart and hope to die de Sam Manacsa, Philippines
– Dar saaye sarv de Hossein Molayemi, Shirin Sohani, Iran
– Bogotá story de Esteban Pedraza, Colombie, Etats-Unis
– Sentimental stories de Xandra Popescu, Allemagne
– Duan pian gushi de Lang Wu, Chine