Elie Girard : « J’ai besoin que mes histoires soient imprégnées du monde réel »

Elie Girard a remporté le César du court-métrage de fiction avec Les Mauvais Garçons. Il réunit à l’écran Raphaël Quenard et Aurélien Gabrielli qui interprètent deux amis d’enfance aux personnalités différentes et contrastées, amenés à repenser leur relation à la trentaine passée. Nous avons échangé avec le réalisateur de ce long court-métrage (40 minutes) que nous avions par ailleurs eu le plaisir d’accueillir à l’un de nos After Short César en décembre dernier, en compagnie de son producteur Lionel Massol (Films Grand Huit).

Les Mauvais Garçons est sorti en salles en janvier 2022, dans le cadre de la programmation Tous les garçons et les filles, et est encore visible dans quelques salles. Sont présentés ensemble le moyen-métrage d’Elie Girard et le court de Charline Bourgeois-Tacquet, Pauline Asservie, avec Anaïs Demoustier et Sigrid Bouaziz.

Format Court : Comment s’est passé cet après-César ?

Elie Girard : Et bien… Ça fait extrêmement plaisir de recevoir autant de messages de soutien de tes proches, de personnes que tu n’as pas vues depuis super longtemps, ou simplement de gens qui ont vu le film ou la cérémonie et qui souhaitent t’encourager. Ça donne vraiment beaucoup d’énergie. J’ai vraiment essayé de répondre à tout le monde, et puis… J’ai perdu mon téléphone ! Je suis donc passé de la joie et la fête à un silence soudain. J’en ai profité pour prendre quelques jours de vacances, ce qui était sans doute également souhaitable, car la diffusion du film nous a demandé beaucoup de travail. Maintenant, je me concentre sur le futur.

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

E.G. : J’ai toujours eu envie de réaliser des films mais j’ai tourné un petit bout de temps autour du pot. Très tôt, j’ai fait des films autoproduits et j’écrivais aussi des scénarios que je ne faisais pas forcément lire. Du coup, j’ai fait mes études dans ce sens : la fac, un BTS audiovisuel puis l’école Lumière. Et à partir de là, comme je ne me sentais pas encore spécialement légitime comme réalisateur, j’ai commencé à travailler dans des équipes images : assistant caméra, chef opérateur, surtout sur des courts-métrages.

J’ai énormément appris en tant que chef opérateur. Ça m’a permis de voir plusieurs plateaux dans l’année, différentes manières de travailler avec des comédiens et d’en rencontrer aussi. Ça a renforcé ma formation. Puis en 2015-2016, j’ai fait l’atelier scénarios à La Fémis qui permet d’écrire un long-métrage en un an. J’ai parachevé tout ce que j’avais envie de voir avant de me lancer sur mes propres films. En parallèle, je faisais aussi des clips et du documentaire musical. J’ai planté des graines un peu partout jusqu’à ce que Pauline Seigland (Films Grand Huit) vienne me voir. Elle connaissait un peu mon parcours, et moi, je me sentais en confiance. Au cours de nos discussions, je lui ai présenté Les Mauvais Garçons, une fiction que j’avais initialement écrite pour France Culture et on a commencé à travailler ensemble.

C’est plutôt rare les films qui abordent l’amitié masculine. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?

E.G. : C’est drôle car je n’ai pas choisi cette thématique en pensant qu’elle était peu explorée à l’écran. J’aurais bien aimé, mais ce n’était pas aussi conscient de ma part. En sortant de la formation à la Fémis, France Culture m’avait proposé d’écrire pour une série qui s’appelait “Les vies modernes”, c’était quelque chose d’assez contemporain et naturaliste. Afin d’être sûr de ce que je racontais, j’ai choisi une thématique que je connaissais bien et qui me touchait. J’avais un peu plus de 30 ans et je venais de traverser ces états. Je me sentais légitime d’en parler, c’était peut-être un besoin aussi. Cette connaissance m’a permis de faire les choses assez vite et de m’approcher au plus près d’une forme de réalité.

C’est important pour toi, cette “réalité” ?

E.G. : D’un côté, je crois énormément à la fiction et à son pouvoir cathartique, empathique et émotionnel. De l’autre, en tant que spectateur et auteur, j’ai besoin que ce soit fortement rattaché au réel. Je cherche un sens et une légitimité du propos. J’ai besoin que mes histoires soient imprégnées du monde réel, de données concrètes.

Comment s’est imposé le choix du moyen-métrage ?

E.G. : Ce n’est pas une volonté de départ. Si on avait dû choisir, on l’aurait fait plus court car c’est plus facile à diffuser et même à produire. Les chaînes n’ont pas beaucoup d’endroits pour montrer un moyen métrage. La fiction que j’avais écrite pour la radio durait au total 70 minutes. Au moment de l’écriture, j’ai coupé beaucoup de personnages. Au départ, il y avait cinq garçons. Dans le film, ils ne sont plus que deux, donc ça densifie beaucoup les choses et permet de se focaliser sur cette relation.

Pourtant, notamment parce que je tenais à conserver la progression sur neuf mois avec des ellipses, on a rapidement senti que la durée du film serait plus longue qu’un court-métrage classique. Ça ne nous arrangeait pas vraiment (rires) ! Notamment pour trouver des financements, et ensuite pour la diffusion en festivals… Mais, avec Pauline Seigland et Lionel Massol, on a choisi de l’assumer, pariant que cette durée finirait par être une force. On s’est même posé la question d’allonger le film. Je ne sais pas vraiment l’expliquer, mais finalement ça ne marchait pas, surtout en termes d’action. Le récit est assez ténu. Je craignais qu’en rajoutant 10-15 minutes, on fasse naître l’ennui. Je ne voulais pas que le film s’étire ou soit contemplatif, donc finalement on a gardé les 40 minutes.

Comment as-tu choisi les acteurs ?

E.G : Pour cette histoire d’amitié, il y avait deux approches possibles : soit prendre deux comédiens aux vibrations similaires, voire étant déjà amis, soit à l’inverse chercher un contraste entre eux.

J’ai choisi cette deuxième option, car Les Mauvais Garçons est le récit d’une amitié en danger, qui se réinvente au fur et à mesure du film. C’était intéressant de partir d’un point de départ fragile, moins évident.

Aurélien et Raphaël sont totalement opposés physiquement, dans leur caractère et même leur manière de parler… Tout semble les séparer. Ça convient parfaitement à l’histoire du film. Tout au long du film, les deux personnages tentent de recoller les morceaux, et la distance qui les sépare rend le propos plus dynamique. Comme dans tout bon film de duo finalement.

Cependant, les personnages étaient tellement aux antipodes qu’il y avait toujours un risque que les spectateurs ne croient pas à cette amitié. C’était quitte ou double. Il fallait travailler les moindres détails du scénario pour rendre ce duo totalement crédible.

Qu’as-tu appris avec ce premier film ?

E.G. : J’ai appris à me faire confiance en tant que réalisateur. Et j’ai aussi appris à faire confiance aux comédiens, être ouvert à leurs suggestions. Ce n’est pas du tout un film improvisé, et nous avons énormément répété pour faire rentrer le film dans les dialogues prévus. Je craignais à chaque instant de perdre le fil de l’histoire, qui était déjà ténue, en faisant des digressions et improvisations.

Cependant, j’ai fait confiance aux acteurs à de nombreux endroits. Sur le plateau, ils sont vraiment les seuls à pouvoir se connecter aux personnages et à les faire vivre de manière juste, à proposer différentes manières d’incarner. C’est beaucoup le cas de Raphaël, et parfois ça tombe à côté et parfois ça rend les choses extraordinaires. Il y a une scène où Raphaël marche à côté d’Aurélien qui lui parle de sa déprime. Et à ce moment il s’arrêtait, il marchait lentement, il lui attrapait le bras… Il modulait la rythmique de la déambulation pour lui donner du sens. Cette manière de construire la scène dans des détails physiques apporte beaucoup d’expressivité.

La deuxième chose que je retiens, c’est qu’en étant le plus sincère possible, le sens profond du film parvient à se frayer un chemin jusqu’au cœur des spectateurs. Je n’en étais pas totalement conscient avant, car je n’avais pas encore fait tout ce chemin de l’écriture à la réception auprès des spectateurs.

Aujourd’hui, je me dis qu’à chaque fois que je crains un peu de faire lire une idée, un scénario – c’est parfois que je n’ai pas assez bossé – mais ça peut aussi être le signe que je suis sur la bonne voie. En tant qu’auteur, je dois me forcer à me dévoiler. Ce n’est pas quelque chose de facile ni confortable, mais je crois que c’est la condition sine qua non pour toucher vraiment les gens.

Peux-tu nous parler de tes nouveaux projets ?

E.G.: Depuis Les Mauvais Garçons, j’ai co-écrit et co-réalisé une série avec Camille Rosset, qui s’appelle Platonique et qui va sortir sur OCS au printemps. C’est l’histoire de deux amis qui décident de se séparer de leurs conjoints respectifs et de se mettre en colocation. Une semaine sur deux, ils explorent donc leurs célibats retrouvés ; et la semaine suivante, ayant la garde des enfants, ils essaient de reconstituer une famille de circonstance. C’est une histoire d’amitié aussi, et de duo donc, et j’ai adoré travailler avec Camille sur ce projet. C’est vraiment précieux de ne pas être seul.

Là on commence à développer plusieurs projets avec Films Grand Huit, un premier long métrage notamment. Mais après je n’exclus rien, ni d’histoire ni de format. J’aimerais beaucoup refaire de la série, surtout à la réalisation. Du théâtre aussi pourquoi pas ? Un podcast. Les Mauvais Garçons a confirmé mon goût pour le dialogue qui pourrait se développer ailleurs que dans la forme cinématographique !

Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand

Article associé : notre reportage sur les César 2022

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