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Eduardo Williams : « Le décor, pour moi, n’est pas un accessoire décoratif, je le considère comme un personnage qu’il faut que je fasse dialoguer avec le reste du film »

Le film « Que je tombe tout le temps ? » était en sélection à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes. Il s’agissait de la deuxième sélection à Cannes pour le réalisateur Eduardo Williams (après « Pude ver un puma » à la Cinéfondation 2012) et presque d’une habitude pour le producteur Amaury Ovise (Kazak Productions) d’être pris à Cannes. Si les deux hommes se sont rencontrés il y a maintenant un an avec l’envie de travailler ensemble, de notre côté, nous avions très envie de les convier à un entretien croisé sur une des plages de la Croisette. Tous deux placides et respectueux du temps de parole de l’autre, ils nous ont parlé de leur manière de travailler et de créer ensemble. Eduardo, dans un français encore fragile, nous a embarqué dans son monde à lui, tandis qu’Amaury est apparu comme un producteur extrêmement attentif auprès de son réalisateur.

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Eduardo, peux-tu nous parler des prémisses de « Que je tombe tout le temps ? » ?

Eduardo : Au niveau pratique, tout a commencé au Fresnoy. Dans le cadre de mes études, je devais travailler sur un projet de film. Au niveau personnel, c’est un peu étrange car lorsque je commence à écrire, je ne suis jamais vraiment confiant ; par conséquent, je jette sur le papier un peu tout ce qu’il y a au fond de moi et après seulement, je lui donne une forme, une organisation. C’est toujours mon intimité, quelque chose d’intérieur qui ressort. C’est amusant d’ailleurs car je ne m’en rends pas forcément compte au départ, puis en regardant le film fini, je m’aperçois que ça parle vraiment de moi ou de quelque chose qui s’est passé dans ma vie. Pour ce film, j’ai voulu continuer le chemin que j’avais initié avec mes autres courts, tout en me concentrant un peu plus sur un seul personnage. J’affectionne toujours l’idée du groupe, mais j’aime bien le fait d’avoir extrait un personnage de manière plus claire. À côté de ça, j’apprécie l’idée d’aller chercher encore plus loin, d’explorer des domaines que je ne connais pas forcément. C’est en partie la raison pour laquelle j’ai voulu que cette histoire se déroule en Afrique. Enfin, il y a la question des langues. Avant « Pude ver un puma », j’écrivais toujours en espagnol et je faisais des choses très proches de l’Argentine. Puis j’ai commencé à voyager et j’ai adoré être dans un autre pays, entendre les gens qui parlent une langue que je ne comprenais pas, un peu comme une musique. J’ai ensuite commencé à assimiler des langues, comme le français, et j’ai souhaité l’évoquer dans ce dernier film.

Il semble donc que tes films se créent plus volontiers sur un ressenti, sur une expérimentation sans cesse en mouvement. Dans ce sens-là, la phase de l’écriture du scénario est-elle importante pour toi  ?

Eduardo : Oui, c’est important, mais plus pour une question d’organisation, pour avoir une structure qui me guide et pour ne pas être totalement dans l’improvisation. Et aussi parce que c’est une nécessité pour la production du film. Mais c’est vrai que j’aime rester assez libre concernant les dialogues et les détails du film. Comme je ne parle pas bien le français, je préfère que les acteurs parlent de leur propre manière. Ils sont également libres de me suggérer des choses, pas seulement des dialogues, mais aussi des actions. En plus, comme je travaille le plus souvent avec des acteurs qui ne sont pas professionnels, je préfère qu’ils se sentent à l’aise dans des éléments qu’ils me proposent plutôt que de leur imposer une manière de jouer.

Avec autant de liberté, peux-tu nous décrire un tournage avec toi ?

Eduardo : Idéalement, j’adorerais avoir trois mois de tournage pour un simple court métrage (rires) ! Mais je sais que c’est cher. Néanmoins, pour ce tournage à Sierra Léone, je n’avais jamais eu autant de jours : 18 au total, pas uniquement pour le tournage en fait, mais aussi pour les repérages et pour connaître les gens. On y est d’abord allé avec mon comédien, Nahuel Peréz Biscayart pour être en immersion là-bas, puis mon chef opérateur, Julien Guillery, nous a rejoints la dernière semaine. En tout cas, j’ai toujours essayé que durant le tournage, il y ait la même ambiance que ce qui se voit dans le film. C’est très important pour moi, pour pouvoir créer, d’avoir une ambiance amicale et pacifique sur le tournage, de telle sorte que des choses viennent de chacun.

Aussi bien dans «  Pude ver un puma  » que dans « Que je tombe tout le temps ? », les décors sont incroyables. Comment procèdes-tu ? En as-tu une idée très précise avant de découvrir les lieux où tu tournes  ? Ou bien, est-ce pendant les repérages que tu vois des lieux qui t’inspirent  ?

Eduardo : En général, les lieux sont toujours à l’origine de l’idée ou bien alors, je mélange des idées que j’ai avec des endroits que je connais. Ce sont en tout cas des éléments essentiels à prendre en compte afin d’écrire le scénario. Le décor, pour moi, n’est pas un accessoire décoratif, je le considère comme un personnage qu’il faut que je fasse dialoguer avec le reste du film. Par exemple, j’ai découvert la grotte du film « Que je tombe tout le temps ? » lorsque je suis allé manger chez la mère d’un ami et ça m’a évoqué beaucoup de choses. Je suis vraiment très sensible aux lieux que je découvre.

Pourtant, dans tes films, on a l’impression que parfois, l’improvisation domine et qu’il n’y a presque pas d’effort esthétique. Comment expliques-tu cela ?

Eduardo : En fait, c’est très important pour moi de mélanger l’irréel, le quasi fantastique, avec quelque chose de beaucoup plus naturel, comme si c’était l’un des personnages du film qui tenait lui-même la caméra pour tourner. J’ai toujours besoin d’éléments contraires et de créer des contrastes. Alors, c’est vrai que j’adore mettre en relation des aspects irréels avec des caractéristiques proches du documentaire. Et je pratique ça sur le film en général, aussi bien auprès des personnages, des actions que des décors.

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Justement, tes personnages sont à la fois étranges et très normaux. Ils ont des discussions qui semblent complètement sorties du contexte et d’autres qui sont très terre à terre, de l’ordre du quotidien. Et tu filmes le plus souvent des jeunes dans des situations peu valorisantes. Qu’est-ce qui t’amène à faire ces choix ?

Eduardo : Il y a des expériences et des sentiments que j’ai vécus, que j’ai partagés avec d’autres, et par conséquent, que j’ai envie de montrer. Parfois, ça passe par des choses étranges en effet, ce qui m’aide à être en connexion avec des lieux ou avec des personnes. Mais c’est aussi parce que c’est très intime et très personnel. Néanmoins, j’aime bien raconter ça, même si les spectateurs ne voient pas toujours bien ce que je veux dire ! Disons qu’il y a des choses qui sont importantes et significatives pour moi et pour d’autres, peut-être un peu moins. Après, j’espère que les gens vont tout de même comprendre ce que j’ai voulu dire.

On réussit tout de même à cerner des thèmes récurrents dans tes films, comme la destruction par exemple, et on imagine que c’est aussi ce qui explique que tu emploies souvent des jeunes. C’est un sujet qui t’est cher ?

Eduardo : Oui, c’est un thème qui vient naturellement pour moi. Après, il est vrai que je me demande pourquoi ça me vient et pourquoi ça m’attire (rires). Quelques fois, je me dis que c’est génial, et d’autres fois, je me dis que je ne suis peut-être pas bien dans ma tête. En réalité, j’aime bien chercher des éléments qui me sont inconscients et les analyser.

En même temps, il y a de l’espoir dans tes films, tout n’est pas chaotique.

Eduardo : Oui, c’est ça : toujours mettre en valeur et en scène des contrastes. En effet, la destruction et l’espoir sont des idées contraires, et c’est notre action qui fait qu’on bascule de l’un à l’autre. Dans mon dernier film, un de mes personnages dit : « Pour me comprendre, je me suis détruit ». C’est quelque chose que j’ai lu pendant mon année au Fresnoy, mais c’est en tout cas une phrase, une notion qui me parle beaucoup et qui ressemble à ce que je veux faire passer. Je pense qu’il y a quelque chose de positif dans la destruction. Qui plus est, selon moi, la destruction est naturelle. Et la relation entre les personnages pour s’aider ou pas, est très importante aussi.

Amaury, lorsque nous t’avons contacté pour réaliser cette interview et qu’on a commencé à parler d’Eduardo, tu nous as dit que lorsque tu avais vu «  Pude ver un puma », ça avait été comme une évidence de le suivre pour collaborer avec lui sur un prochain film, dont « Que je tombe tout le temps ? » est la preuve. Pourtant, lorsqu’on voit ce que vous produisez avec Kazak, même si les films sont tous uniques en leur genre, ce que fait Eduardo va encore plus loin dans la différence. Par conséquent, peux-tu nous dire ce qui t’a attiré dans son travail  ?

Amaury : Chez Kazak, lorsqu’on produit un film, on se pose la question suivante : est-ce que les films précédents des réalisateurs avec qui on travaille nous donnent envie d’aller plus loin ? Lorsque j’ai vu « Pude ver un puma », ça faisait très longtemps que je ne m’étais pas retrouvé devant un film avec une grammaire de cinéma, une manière de raconter une histoire aussi particulière, unique et finalement rare dans le court métrage. En fait, j’ai l’impression que les films que fait Eduardo sont des films qu’on ne peut pas faire en Europe. Je pense que les courts-métragistes en France ou en Europe ont une culture cinématographique et une grammaire qui sont infuses, et par conséquent, on a souvent le sentiment de voir des films qui se ressemblent, ou tout du moins avec la même façon de raconter une histoire, quelle qu’elle soit. Chez Eduardo, il y avait quelque chose qui n’est pas narratif et j’ai trouvé ça formidable. Dès le début du film, on devine qu’on va être perdu, qu’on ne va pas tout comprendre, mais que c’est poétique et qu’il y a des choses qui circulent dans un espace complètement surréaliste. Par conséquent, à la fin, on y réfléchit longtemps, on y revient. Personnellement, j’ai vu plusieurs fois « Pude ver un puma » et il a toujours le même effet sur moi. Fort de ça, j’ai vu en Eduardo un auteur avec qui j’avais vraiment envie de travailler, sachant que dans son cas, ça n’allait pas exactement être la même façon de travailler qu’avec les autres auteurs avec qui on collabore pendant très longtemps en développement. En effet puisque comme il l’a si bien dit, il a une manière de construire ses films de manière plus intuitive.

Par conséquent, comment en es-tu venu à ce film-là ?

Amaury : C’est Bernard Payen, à la Semaine de la Critique, qui m’a dit que c’était un film qui pourrait me plaire, sachant que je l’ai vu après Cannes. Du coup, on s’est rencontré avec Eduardo à Paris et on a évoqué l’idée de travailler ensemble, mais il avait déjà intégré le Fresnoy. Néanmoins, Eduardo m’a parlé de son projet de film en m’informant qu’il devait le faire dans le cadre de l’école. Ça restait donc un film d’école et il était difficile pour nous, à Kazak, de mettre de l’argent du CNC pour faire le film. Après, comme le film avait lieu dans la jungle, en Sierra Leone et que c’était un peu plus cher que le prix habituel des films d’écoles, on a décidé de co-produire ce film avec le Fresnoy. Mais j’ai très envie de travailler avec Eduardo sur un autre projet. D’ailleurs, on en parle pour cet été. Si bien que là, l’un des enjeux est d’essayer de faire en sorte que dans le cinéma d’Eduardo, il y ait un point d’équilibre qui se fasse entre le narratif et son univers. On s’est dit qu’il faudrait donc peut-être travailler plus longuement sur l’écriture, parce que personnellement, je n’ai pas suivi cette phase pour son dernier film. Dans notre boîte, de toute façon, on aime la diversité et la radicalité; par conséquent, on met nos désirs à l’épreuve. Eduardo fait partie des gens avec qui ça m’excite de travailler. Notre but est de collaborer avec eux en leur laissant la plus grande latitude possible pour qu’ils puissent exprimer pleinement leur talent, leur cinéma.

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Et vous n’avez jamais peur de la prise de risques, justement sur des films différents à produire ?

Amaury : Non, parce qu’on a un crédo chez Kazak, c’est de dire qu’il faut absolument que le court métrage soit vraiment une recherche de développement, sinon, il n’a aucun intérêt d’exister. On se dit toujours qu’il mieux vaut rater des films que de faire des films académiques, confortables, qu’on oublie. En Eduardo, je vois un grand cinéaste en devenir avec qui j’ai envie de travailler au niveau de l’écriture dans une configuration classique de développement, comme on aime le faire en général. Je trouve personnellement que le tournage est un espace qui n’appartient qu’au réalisateur, dans le choix de ses comédiens, de ses techniciens, de ses décors, et encore plus chez Eduardo. Dans ce que met en place Eduardo, il y a des enjeux excessivement forts sur le développement et sur le montage également.

Ce que je trouve intéressant, c’est de découvrir le travail et l’univers d’un nouvel auteur avec qui on travaille. Chaque réalisateur nécessite une collaboration différente et c’est ça qui nous plaît. Notre métier est de trouver leurs points forts et de les mettre en avant. Ici, c’est un film essentiellement produit par le Fresnoy on n’a pas encore eu le temps de réellement expérimenter notre collaboration. C’est ce qui nous donne l’envie de trouver de nouveaux défis entre nous, d’aller jusqu’à créer un dépassement dans son prochain film.

Propos recueillis par Camille Monin et Fanny Barrot. Retranscription : Camille Monin

Article associé : la critique du film

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Gudmundur Arnar Gudmundsson : « J’ai laissé parler l’enfant en moi pour qu’il prenne une place d’adulte dans mon film »

Après s’être posé des questions sur son avenir, Gudmundur Arnar Gudmundsson a travaillé dans la restauration avant de penser sérieusement au cinéma. Son film, « Hvalfjordur » (Le Fjord des Baleines), en compétition officielle à Cannes, était l’un de nos films favoris au dernier festival pour son esthétique (paysages islandais, visage angélique) et sa dureté (rapport à la mort, traitement de la solitude). Au final, le film a obtenu l’une des deux Mentions spéciales de Cannes (l’autre allant à « 37°4S » d’Adriano Valerio). Fin mai, nous rencontrions son auteur. Mi-juin, voici son entretien.

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Tu as étudié en Islande dans une école d’art et non dans une école spécifiquement cinématographique. Pour quelle raison ?

Plus jeune, j’étais plutôt un garçon à problèmes. Vers dix-huit ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’art. Je regardais ma sœur, qui est une artiste, peindre. J’ai arrêté mes études, j’ai commencé à travailler dans un restaurant dans lequel je cuisinais. En travaillant les aliments, en les associant, j’y ai trouvé une forme d’art. J’aimais beaucoup créer de belles assiettes, je m’entraînais souvent dans mon coin. Ensuite, je me suis intéressé à l’écriture, à la peinture et à la photographie. Cela devenait compliqué parce que j’aimais vraiment toutes les formes artistique. Finalement, je suis rentré dans une école d’art où je peignais principalement mais où je touchais à beaucoup de choses. Faire des films est une finalité à cette pratique. À l’époque, je créais surtout une cuisine de qualité parce que je voulais rendre les gens heureux. Quand je fais des films, je cherche à les influencer, à les marquer, à ce qu’ils se sentent différents après la projection.

Tu as fini tes études en 2006. Comment as-tu appris à tourner, à influencer tes spectateurs ?

Dans l’écriture du scénario. Lorsque j’écris, je le fais toujours avec mes propres mots. Si tu es honnête avec toi-même, les gens le sentent et l’apprécient. C’est à ce moment-là qu’ils peuvent sentir ton influence.

Tu as eu l’opportunité de faire du documentaire. Ce film-ci est une fiction, tu as donc procédé autrement pour montrer ton univers.

Dans les deux, tu amènes un peu de magie dans la façon dont tu montres les choses. Ça reste du cinéma. Tu es le magicien, tu façonnes le film à ta façon.

Je n’ai pas vu ton film précédent, mais d’après que j’ai pu en lire, la vérité et la réalité semblent être au centre de tes préoccupations.

Je fais beaucoup d’expériences à travers mes films, parce que j’aime ça. Je suis beaucoup inspiré par les films de Wong Kar-wai, par sa façon de créer : il tourne, il écrit, il tourne à nouveau. Je mets du temps à écrire mes films, parce que je n’aime pas rester devant un ordinateur toute la journée. Je n’aime pas les ordinateurs ni toutes les choses électriques qui nous entourent. Alors, je procède un peu de la même façon que Wong Kar-wai.

Dans « Hvalfjordur », il était important que le spectateur perçoive ce que voit l’enfant, qu’il vive les situations de son propre point de vue ?

Je pense qu’il était difficile au moment de l’écriture de traduire cet aspect. Les adultes ne perçoivent pas les mêmes situations que les adolescents. J’ai cherché à me souvenir de quelle façon je pouvais vivre une situation lorsque j’avais neuf ans et c’est cette version que j’ai gardé pour le scénario. J’ai alors laissé parler l’enfant en moi pour qu’il prenne une place d’adulte dans mon film. Petit, j’avais hâte de grandir, je pense d’ailleurs que tous les enfants ressentent cela. C’est pour cela aussi que dans « Hvalfjordur », on ne voit pas les parents, on entend simplement leurs voix.

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Comment est-ce que cela s’est passé pendant le tournage avec ton jeune comédien ?

Il avait joué au théâtre auparavant et des petits rôles dans des films. Ça a plutôt été facile en fait, il était a l’écoute et je lui demandais des choses simples qu’il faisait très bien. Je lui ai demandé d’être lui-même, mais il n’y avait pas d’improvisation alors, il devait vraiment respecter mes indications pour se déplacer ou pour fixer son regard.

En quoi est-ce un film personnel ?

Quand j’avais quatorze ans, le grand frère de mon meilleur ami s’est suicidé. Cela m’a marqué et je ne pense pas que j’aurais fait ce film si cet évènement ne s’était pas passé. C’est toujours resté présent en moi. Je savais que j’aurais besoin de m’en servir un jour.

L’avant-dernier plan de ton film, qui montre la mort, est très esthétique, très cinématographique. Comment as-tu choisi de le filmer ?

J’ai essayé de traiter cela de façon simple, sans multiplier les angles de vue. Le temps et le matériel étant limités, il fallait faire au plus efficace. Écrire et tourner dans cette optique a été pour cela très instructif. Le film raconte une belle histoire, avec beaucoup d’émotions. Il ne fallait pas bâcler cela.

Il y a quelques années, j’ai rencontré Rúnar Rúnarsson (réalisateur d’« Anna » et de « Smáfuglar »). Comme toi, il est islandais, il a fait des films au Danemark et ses films prennent place dans de magnifiques paysages. Son style t’a-t-il influencé ?

Je ne sais pas, mais nous avons travaillé ensemble. J’ai lu le scénario de son long-métrage « Volcano » et il a lu le mien. Il m’a dit que ce film irait à Cannes !

Tu as une idée de ce que tu vas faire après ce film ?

J’ai un autre court métrage, tourné en Islande, en cours de montage. Je tourne beaucoup là-bas car au final pour moi, ce n’est pas la langue d’un film qui compte, mais où cela a lieu. Pour cela, l’Islande possède des paysages remarquables. Comme ce pays n’est pas grand, il est souvent nécessaire d’avoir recours à la coproduction pour monter un projet.

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Quel est ton rapport au court ?

Dans le court métrage, il y a certaines règles que tu dois respecter, comme la durée d’un film. Tu es limité dans ce que tu fais, tu dois alors chercher la meilleure solution pour montrer ce que tu veux, malgré une restriction de temps. Pour cela, j’aime les courts métrages.

Propos recueillis par Katia Bayer

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Festival d’Annecy : le palmarès 2013

Samedi soir, les jurés du Festival d’Annecy ont remis les prix des différentes compétitions. En court métrage, c’est le film « Feral » de Daniel Sousa qui a raflé la mise avec trois prix (prix du jury junior, mention spéciale de la Fipresci et prix festival connexions). Plutôt éclectique tant en termes de récits que de techniques d’animation, le palmarès s’articule autour de films européens et américains qui ont pour cette édition littéralement évincé les productions asiatiques pourtant riches et originales…

Le Cristal du court métrage : Subconscious Password (Jeu de l’inconscient) de Chris Landreth

Prix spécial du jury : Obida (The Wound) d’Anna Budanova

Mention pour un premier film : Trespass de Paul Wenninger

Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première oeuvre : Norman de Robbe Vervaeke

Mention spéciale : Kolmnurga afäär (The Triangle Affair) d’Andres Tenusaar

Prix Sacem de la musique originale : Lonely Bones de Rosto

Prix du jury junior pour un court métrage : Feral de Daniel Sousa

Prix du Public : Lettres de femmes d’Augusto Zanovello

Prix du meilleur film de fin d’études : Ab ovo d’Anita Kwiatkowska-Naqvi

Prix spécial du jury : I Am Tom Moody d’Ainslie Henderson

Mention spéciale : Pandy (Pandas) de Matus Vizar

Prix du jury junior : Nyuszi és Oz (Rabbit and Deer) de Peter Vacz

Prix Unicef : Because I’m a Girl (Parce que je suis une fille) de Raj Yagnik, Mary Matheson, Hamilton Shona

Prix Fipresci : Gloria Victoria de Theodore Ushev

Mention spéciale Fipresci : Feral de Daniel Sousa

Prix « CANAL+ aide à la création » pour un court métrage : Autour du lac de Carl Roosens, Noémie Marsily

Prix Festivals Connexion – Région Rhône-Alpes en partenariat avec Lumières Numériques : Feral de Daniel Sousa

Le film le plus drôle selon le public d’Annecy : KJFG No 5 d’Alexei Alexeev

Annecy 2013, le programme 4 et 5 des courts métrages en compétition

Le Festival d’Annecy est terminé. Nous revenons aujourd’hui sur les oeuvres les plus marquantes des programmes 4 et 5 des compétitions de courts métrages. Ces derniers programmes ont offert une belle place aux cinématographies de pays peu représentés. On aura ainsi eu la chance de voir un film slovène « Boles » de Spela Cadez, un film estonien « Kolmnurga afaär » d’Andres Tenusaar, le très apprécié « Carne » du colombien Carlos Alberto Gomez Salamanca et le court métrage pictural de l’iranienne Shiva Sadegh Assadi « Bache gorbeh ».

Pas toujours faciles à aborder, ces cinématographies que l’on a peu l’habitude de voir – notamment en festival – offrent un regard singulier sur des thématiques plus ou moins fortes, toujours portées par des esthétiques très maîtrisées.

Dans ces courts métrages, peu de place à l’improvisation : les animateurs cherchent la tenue parfaite de leurs séquences animées. Pour autant, les courts métrages précités ne sont pas dépourvus de sens ni d’intérêt scénaristique. Pour exemple, dans « Boles », on regarde du côté de l’angoisse de la page blanche chez les artistes, pendant que dans « Bache gorbeh » on évoque une histoire de famille et le sentiment d’appartenance.

Du côté des films très attendus de la compétition, l’expérimentation 3D de Théodore Ushev aura conquis définitivement le public. « Gloria Victoria » est sans aucun doute un digne représentant de ce que peut être une recherche artistique construite autour de la technique 3D. Celle-ci est ici utilisée pour porter le propos artistique et ne sert pas le sensationnel comme cela est très souvent le cas. Le travail d’Ushev pour ce film s’est élaboré dès le départ en fonction de ce que pouvait apporter la stéréoscopie à son projet. Très présente, voir exagérée au début du film, la 3D s’affaisse au fur et à mesure, en même temps que les couleurs vives du début virent au noir et blanc. Symboliquement, Ushev décrit ici le mouvement qu’imprime la guerre dans les esprits, les nuances disparaissent au propre comme dans les mentalités des soldats confrontés aux conflits militaires. « Gloria Victoria » est le troisième volet d’une trilogie sur les relations entre l’art et le pouvoir. Après les volets politique et économique, c’est le militaire qui est dépeint avec brio dans ce film.

La place des films documentaires était également à relever dans le programme 5 du festival. Avec trois films aux récits documentaires, ce programme revêtait une touche de réel un peu oubliée dans le reste de la sélection compétitive.

Avec « Marcel, king of Tervuren », l’Américain Tom Schroeder signe un court métrage francophone très original. Basé sur le récit d’une femme, le film parle de la cruelle histoire d’un coq aimé de ses maîtres mais confronté à d’incroyables problèmes animaliers. Graphiquement, le réalisateur oscille entre des images dessinées et de la rotoscopie très fidèle au traits de l’animal. Pour autant, il s’octroie la possibilité récurrente d’un dessin abstrait dans les mouvements guerriers du coq quand celui-ci affronte ses démons. Poétique et décalé, le film est suffisamment atypique pour susciter un intérêt fort. Documentaire aussi, « Recycled » du Chinois Lei Lei propose un film fait à partir de 3.000 photographies issues d’une zone de recyclage de la banlieue de Pékin. On y voit des personnes poser devant des monuments, des scènes de la vie quotidienne reproduites quasiment à l’identique par différents individus à différentes époques. Touchant à l’immuabilité de la chose sociale et aux rituels touristiques et photographiques souvent gentiment moqués des Chinois en vacances, le film agit comme une jolie balade documentaire, sans dialogue ni commentaire.

Enfin, l’inattendu « Carne » signé par le colombien Carlos Alberto Gomez Salamanca regarde du côté de l’expérimentation visuelle en travaillant conjointement photographie et peinture. Rapportant un souvenir de son enfance, le réalisateur propose une oeuvre grave en noir et blanc qui parle d’un sacrifice animal.

D’une façon beaucoup plus légère, les sélections ont ouvert une petite place aux blagues les plus courtes mais aussi les meilleures. Sans les dévoiler, nous retiendrons dans le programme 5 le charmant « Not over » du Japonais Toru Hayai tout en images de synthèse qui invite au voyage – rapide (1’30) – dans les grands espaces naturels en compagnie d’un ours en peluche pour qui l’enjeu n’est pas seulement de se balader dans la nature.

Relevons également une petite perle. Le film du Polonais Tomasz Popakul « Ziegenort » est une belle proposition de film narratif aux accents fantastiques troublants. De prime abord assez classique, avec un trait proche des romans graphiques, le réalisateur nous embarque dans son univers étrange, instaurant une ambiance doucereuse qui laisse au fur et à mesure la place à une étrangeté plus franche. Du nom du village d’enfance du réalisateur, « Ziegenort » est la jolie découverte de ces deux programmes.

En 5 programmes et 57 films en compétition, la sélection 2013 des courts métrages d’Annecy a tenu toutes ses promesses tant en terme de diversité que de qualité des oeuvres. Chaque film trouve sa place, chaque réalisateur pose son point de vue sur une idée, une thématique et le talent technique des animateurs sublime les propos. Plus ou moins narratifs, traditionnels ou expérimentaux, les films d’animation nous ont fait voyager mentalement et géographiquement dans des sphères pas toujours connues ni même reconnues, mais très souvent sensationnelles et sensorielles.

Fanny Barrot

Lire aussi : Annecy 2013, le programme 1 des courts métrages en compétition, le programme 2 des courts métrages en compétition, le programme 3 des courts métrages en compétition

Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec

Après « Je sens le beat qui monte en moi », chouchou des festivals de courts il y a deux ans, Yann le Quellec revient avec un jeu de jambes encore plus musclé et monte en danseuse les pentes ensoleillées du sud de la France dans un court sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs qui fait la part belle au vélo et à un trio improbable et génial d’hommes mûrs (Bernard Menez, Christophe, Bernard Hinault).

« Le Quepa sur la Vilni ! » (chamboulement orthographique de « Panique sur la ville » film de 1957) utilise le cinéma comme toile de fond. Le maire d’un village reculé (Christophe, parfait derrière ses lunettes bleues) souhaite partager avec ses administrés le bonheur d’une projection, en l’occurrence celle du film d’Harmon Jones. Il engage alors le facteur du village à la retraite et lui demande de sillonner les routes aux alentours pour promouvoir la projection événementielle du soir.

Accompagné d’une bande de jeunes plus occupés par leur libido naissante que par le sens de leur mission, il part pour une tournée à vélo d’un genre nouveau, façon homme-sandwich, affublé d’une partie du titre du film dans le dos, la somme des cyclistes de fortune formant le titre dans son entier.

Yann Le Quellec a le sens du casting. Déjà dans son dernier opus, le couple formé par Serge Bozon et Rosalba Torres Guerrero faisait corps et merveille. Ici, le cinéaste fait appel à des marginaux du cinéma, de ceux qu’on ne voit jamais, ou pas assez. Bernard Menez, en tête, qui trouve un rôle de leader/loser à sa mesure. L’anecdote voulant que l’acteur a un temps brigué des fonctions politiques locales, pourtant, c’est le chanteur Christophe qui porte ici l’écharpe tricolore avec le mystère qu’on lui connaît. Quant à Bernard Hinault – figure centrale et fantomatique du film – son statut de héros national (cinq victoires du Tour de France) est sublimé par le Quellec qui en fait un personnage mythique au visage-paysage à l’image de ceux que l’on pourrait croiser dans les vieux westerns américains.

Comme dans « Je sens le beat… », « Le Quepa sur la Vilni ! » est un film où le corps est omniprésent. Le corps adolescent que l’on aperçoit lors d’une baignade improvisée ou d’un coup de vent bien placé, et le corps adulte que l’on tente tant bien que mal d’entretenir, de travailler. La pudeur est pourtant des deux côtés même lors d’une scène de danse joyeusement hippie. Yann Le Quellec réunit les deux générations sous un orage estival au bord de l’eau qui refroidit les ardeurs et permet à toute la petite bande de repartir de plus belle portée par un autre Bernard proclamé fils spirituel du grand Hinault.

« Le Quepa sur la Vilni » a reçu le prix Jean Vigo avant même sa première cannoise, un double soutien qui laisse augurer d’une carrière brillante en festivals. Une chevauchée fantastique.

Amaury Augé

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Q comme Le Quepa sur la Vilni !

Fiche technique

Synopsis : Aujourd’hui, André sort de sa paisible retraite : sur ordre du maire, il doit mener à travers monts une troupe d’hommes-sandwichs à vélos pour attirer les spectateurs à l’inauguration du cinéma local. Malgré sa détermination, l’ancien facteur a bien du mal à dompter ses jeunes et impétueux coéquipiers.

Genre : Fiction

Durée : 37′

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Yann Le Quellec

Scénario : Yann Le Quellec

Image : Nicolas Guicheteau

Montage : Nicolas Desmaison

Son : Antoine Corbin, Fred Meert, Emmanuel De Boissieu

Décors : Marc Barroyer

Interprétation : Bernard Menez, Christophe, Bernard Hinault , Romeu Runa , Finnegan Oldfield , Maxime Dambrin

Production : White Light Films

Article associé : la critique du film

Annecy 2013, le programme 3 des courts métrages en compétition

Retour sur les courts métrages du programme 3 qui, jusqu’à ce jour, est celui qui met le plus à l’honneur le mélange des genres au-delà même de l’animation pure. Entre techniques d’animation classiques et perméabilité avec d’autres disciplines de l’image et du son, le programme est également plus léger que les deux précédents. Les arts y sont sollicités au sens large pour fabriquer des films ingénieux et inattendus.

Ouvert par le film « Trespass » de Paul Wenninger, le programme plonge immédiatement le public dans une atmosphère qui tend vers l’expérimentation. Dans le film, le réalisateur se met en scène dans une chorégraphie en pixilation où le propos principal est de mettre en contexte son corps au milieu d’objets et de les faire intéragir. Ici, on traite de l’art du mouvement. Au-delà de l’animation, c’est le danseur qui imprime la rétine des spectateurs. Ses non-mouvements comme ses mouvements composent une chorégraphie complexe à réaliser : la pixilation impose une staticité de Paul Wenninger sur des temps très longs pour obtenir le rendu souhaité – une impression d’immobilité du personnage dans un monde extrêmement mouvant autour de lui. Tourné en neuf mois, dans cinq pays, ce premier film a nécessité une lourde préparation avant tournage pour un rendu assez bluffant.

Autre film en quelque sorte transdisciplinaire, « The caketrope of Burton’s team » d’Alexandre Dubosc est l’installation artistique filmée d’un gâteau, en pâte à modeler, déposé sur un disque vinyle, sur une platine en mouvement. La rotation de la platine est ici utilisée pour recréer le principe du praxinoscope. Le procédé est intéressant d’autant que le réalisateur travaille autour de ce concept qu’il réutilise et ré-interprète au fil du temps dans un esprit de performance.

La musique et la création musicale se sont également invitées dans le programme avec un clip en 2D, « Zounk! » réalisé par Billy Roisz. Ce film expérimental fait de signaux lumineux colorés et en mouvements soutient la composition musicale et l’interprétation du morceau plus qu’il ne propose une narration propre. Ici, la réalisatrice joue sur l’interaction entre le son, la musique et la vidéo. L’enjeu réside dans le son, dans la fréquence sonore qui influe sur la composition de l’image. Distribué par la fameuse société autrichienne Sixpack (comme «Trespass») spécialisée dans les films expérimentaux, « Zounk! » est une proposition quelque peu horripilante visuellement, presque insoutenable au regard, mais néanmoins particulièrement intéressant du point de vue de la recherche artistique.

Autre thématique récurrente dans les films d’animation mais particulièrement représentée dans ce programme : la figure animale. Hier, dans le programme 2, les êtres humains étaient mis à mal par les réalisateurs, dans ce programme, ce sont clairement les espèces animales qui en prennent pour leur grade. Dans l’angoissant « Peau de chien » de Nicolas Jacquet, un chien va subir les tourments d’une société en crise et pâtir de la cruauté d’un boucher. Dans le graphiquement magnifique « The event » de Julia Pott, un couple de bêtes indéfinissables est plongé dans un monde dont le péril est imminent. Ces héros animaliers ne sont pas sans nous rappeler les fables et contes populaires où les hommes se cachent souvent sous les traits des bêtes, à part peut-être dans le drôle « History of pets » de Kris Genijn où c’est toute l’histoire tragique des petits compagnons domestiques d’une famille qui nous est narrée. Dans ce film, les animaux sont bien dépeints en chair et en os, vivants et mortels, sans plus d’intelligence ou d’intention que les vrais bêtes… souvent drôles dans leurs attitudes.

Enfin, on ne peut pas passer outre l’incroyable « Kick-heart » de Masaaki Yuasa qui a suscité un très fort engouement de la part du public d’Annecy. Concrètement, ce dessin animé japonais, inspiré entre autres du bondage et de shows TV, parle d’une histoire d’amour entre deux catcheurs nippons. Très provocateur, le film fait penser par son esthétique criarde et son rythme saccadé aux dessins animés japonais vus en France dans les années 80. Avec un humour certain, le réalisateur propose une histoire classique dans un milieu qui l’est moins, celle d’un catcheur au grand coeur – qui s’occupe à ses heures perdues d’un orphelinat – qui a pour technique de drague l’utilisation abusive de coups sur le ring.

Le programme 3 de la compétition de courts métrages fait ainsi le grand écart entre des films atypiques dans leur réalisation et des courts métrages techniquement plus classiques mais aux propos décalés. Le coup de coeur du jour va sans concession à une réalisatrice dont nous aurons sûrement l’occasion de reparler, Julia Pott avec « The event » dont l’univers est extrêmement singulier.

Fanny Barrot

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À demain, pour les programmes de la compétition 4 et 5 !

Annecy 2013, le programme 2 des courts métrages en compétition

Dans ce programme tout en émotions fortes, assez dur dans ses propos, le Canada s’ausculte et s’introspecte pendant que la Belgique flirte avec les fantômes de l’histoire de la Nouvelle Orléans. La poésie et le conte revêtent un côté punk décomplexé qui rivalise de trashitude avec une comédie « mortelle ». Merci en tout cas aux programmateurs de nous avoir autorisé à nous languir 3’40 » en milieu de programme sur le « Chemin faisant » du maître Schwizgebel, soit un peu de douceur dans ce monde de brutes.

De belles surprises constituent ce programme où il faut avoir le coeur bien accroché pour saisir ce que les réalisateurs nous proposent comme visions de l’espèce humaine. Entre les personnages belliqueux de « Fight », l’homme supposé violent de « Liebling », la jeune femme commanditaire d’un crime de « A wolf in the tree », l’obsédé « Norman », les représentants du Ku Klux Klan de « Betty’s blues », l’ivrogne pathétique de « Drunker than a skunk », le banal trou de mémoire perturbateur de vie sociale de « Subconcious password » ou encore l’ado incompris de « Le courant faible de la rivière », les hommes en prennent pour leur grade.

Vils, libidineux, faibles et violents, les personnages ne sont ici pas très héroïques ! Même lorsqu’ils prennent la forme d’animaux fabuleux comme dans « Kalté » et de loups de « A wolf in the Tree », les personnages principaux des films sont tout au mieux dépressifs et mal dans leur peau… La crise, l’inconfort… Ces antis-héros ont laissé leur confiance en eux chez leurs copains du long métrage où Monstres (« Monstres Academy ») et Cafards (« Oggy et les cafards ») s’éclatent dans les salles de projections voisines.

Du côté de la technique, nous ne reviendrons pas sur la maîtrise plastique de Schwizgebel qui propose ici un film de commande inscrit dans une collection consacrée à Jean-Jacques Rousseau. Dans son « Chemin faisant », il nous donne son interprétation toute en mouvement de la citation de Rousseau : « Je ne puis méditer qu’en marchant. Sitôt que je m’arrête je ne pense plus, et ma tête ne va qu’avec mes pieds ». Inutile également de revenir sur le travail reconnu de Bill Plympton pour « Drunker than a skunk ». En revanche, Il faudra s’attarder sur le très maîtrisé « Liebling » d’Izabela Plucinska. Son film en pâte à modeler est assez remarquablement maîtrisé. La réalisatrice a travaillé seule sur l’animation et affirme souhaiter laisser le spectateur assez libre dans son interprétation autant visuelle que dans le sens même de la narration.

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Le très visuel « Subconscious password » commis par le réalisateur de « Ryan » qui avait mis en émoi les spectateurs de nombreux festivals en 2004, est encore une fois une sorte d’ovni visuel dans le paysage de l’animation. Construit autour de l’idée que le personnage de Charles, interprété par le réalisateur, a oublié le prénom d’une personne à laquelle il est confronté et de la gêne engendré par l’oubli, Chris Landreth fait grossir le malaise et s’immisce dans le cerveau de Charles. Il transforme celui-ci en plateau de TV où se joue un étrange spectacle inspiré d’un jeu des années 60 (Password). Le réalisateur joue techniquement avec des éléments de 3D ainsi qu’avec des images de found-footage de personnages célèbres tels que Yoko Ono ou encore Samy Davis pour figurer les combats mentaux qui se trament dans le subconscient de Charles.

Pour le coup de coeur du programme, il s’agira sans doute du film de Joël Vaudreuil, « Le courant faible de la rivière », un retour doux-amer sur les troubles de l’adolescence mâtiné d’humour décalé (apprécions l’incongruité du « pouvoir » de la jeune femme). Egalement musicien, le réalisateur a particulièrement travaillé le rythme du film. Les séquences s’étirent juste ce qu’il faut pour que l’on ressente le trouble et la gêne des personnages mis en scène, gauches et touchants, drôles et singuliers.

Le programme 2 de la compétition des courts métrages laisse peu de place aux rires francs mais souligne à plusieurs occurrences avec un certain humour, qu’il soit noir ou décalé, les travers des hommes en tant qu’êtres faillibles.

Fanny Barrot

Le programme 2 sera présenté vendredi 14 juin à 16h au Décavision 2

À demain, pour le programme de la compétition 3 !

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Hvalfjordur (Le Fjord des Baleines) de Gudmundur Arnar Gudmundsson

Parallèlement à « Safe » (Corée), la Palme d’Or du court métrage, deux films ont obtenu deux Mentions Spéciales au 66ème Festival de Cannes : « 37°4S » d’Adriano Valerio (France) et « Hvalfjordur » (Le Fjord des Baleines) de Gudmundur Arnar Gudmundsson (Danemark, Islande). Ce dernier nous invite dans un fjord reculé d’Islande à suivre la relation étroite de deux frères, Arnar et Ivar.

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À travers le regard du plus jeune, Arnar, Gudmundur Arnar Gudmundsson dépeint la solitude d’un enfant malmené par les tentatives de suicide de son ainé, auxquelles il assiste impuissant, et le mutisme de ses parents face à ce tabou. Aussi maladroitement que son jeune âge le permet, il prend la responsabilité de rétablir la situation familiale. Dans son film, le réalisateur, Gudmundur Arnar Gudmundsson, fait de l’enfant son personnage central. Les parents ne font qu’acte de présence, aucun mot ou presque ne sort de leur bouche même s’ils semblent conscients du mal-être de leurs enfants.

Le décor naturel tient une place importante dans ce court métrage : dans une région du Hvalfjordur où la pêche à la baleine est la principale activité, les grandes plaines vides et grisées du fjord tiennent place de métaphore visuelle à la solitude de l’enfant. Cet aspect est davantage mis en avant par le réalisateur grâce à sa façon simple et sans superficialité mais néanmoins très esthétique de montrer les choses. Les points de vue ne sont pas multipliés, ce qui compte uniquement, c’est l’enfant et la perception de ce qui l’entoure. La caméra suit le jeune garçon, explore son visage triste et l’accompagne dans cette immensité islandaise foulée par les chevaux où liberté cohabite avec isolement. Le réalisateur réussit ainsi le tour de force de saisir le contraste entre la beauté des images, lors d’une découpe de baleine par exemple, et le drame qui s’y joue, notamment lors de la scène d’ouverture sur la pendaison de l’aîné.

Einar Johann Valsson joue Arnar, le jeune garçon d’une dizaine d’année. Aussi simplement qu’avec talent, il livre une interprétation pleine de sincérité et de sensibilité, révélant une direction d’acteur tout en finesse, au service d’une belle histoire. Gudmundur Arnar Gusmundsson nous propose à travers ce court métrage très court (une quinzaine de minutes) un voyage rempli d’émotions qui marquera à jamais les personnages comme les spectateurs.

Carine Lebrun

Consultez la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Gudmundur Arnar Gudmundsson

H comme Hvalfjordur

Fiche technique

Synopsis : Le film dépeint une relation étroite entre deux frères vivant avec leurs parents dans un fjord reculé. Nous pénétrons dans leur monde à travers le regard du plus jeune frère et nous l’accompagnons dans un voyage qui marquera un tournant dans leur vie.

Genre : Fiction

Pays : Danemark, Islande

Durée : 15′

Année : 2013

Réalisation: Gudmundur Arnar Gudmundsson

Scénario : Gudmundur Arnar Gudmundsson

Image : Gunnar Audunn Johannesson

Son : Huldar Freyr Arnarson, Gunnar Oskarsson

Décor : Julia Embla Katrinardottir

Montage : Anders Skov

Interprétation : Vladimar Örn Flygenring, Unnur Ösp Stefansdottir, Einar Johann Valsson, Agust Örn Wigum

Production : Frae Films, Fourhands film, Sagafilm, Mailand-mercado films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Gudmundur Arnar Gudmundsson

Annecy 2013, le programme 1 des courts métrages en compétition

Depuis lundi, la Mecque du cinéma d’animation accueille ses festivaliers pour leur plus grand plaisir. Entre une virée détendue au lac et une balade dans la vieille ville, Format Court fréquentera cette semaine assidument les salles de cinéma et du Haras pour guetter les perles et autres bijoux présentés en compétition et dans les programmes spéciaux de courts métrages. Aujourd’hui, nous vous proposons d’en savoir plus sur le programme 1 des courts métrages en compétition.

Dans ce programme composé de 12 courts métrages, nous attendions avec une certaine impatience les films des stars de l’animation : Rosto avec « Lonely bones », Simone Massi avec « Animo resistence » ou encore Daniel Sousa avec « Feral », mais ce seront finalement les films asiatiques qui auront suscité le plus d’engouement. Haiyang Wang propose avec son « Double Fikret » une plongée en 3’30″ dans un univers très particulier fait de peintures qui jouent sur des transformations corporelles inédites. On retrouvera d’ailleurs ce thème de transformation des corps dans le magnifique « Futon » de la Japonaise Yuriko Mizushiri, beaucoup plus épuré et sobre ,mais également basé sur des réactions en chaîne qui entremêlent avec habileté objets, nourriture et corps. Là où « Double Fikret » enchaîne les transformations dans un rythme assez soutenu, « Futon » délaie, prend son temps, s’éveille doucement dans une esthétique hyper charnelle où les sens prennent de plus en plus de place dans l’espace, littéralement à l’image mais également dans le ressenti du spectateur.

Le troisième film de cette lignée asiatique est coproduit en France, en Suisse et au Canada mais traite visuellement et narrativement de la Chine à travers un opéra oriental adapté par Heifang Wei. Dans « Le Banquet de la concubine » encore, le corps est source d’inspiration. Loin d’une quelconque vulgarité, la réalisatrice suggère avec beaucoup de talent le plaisir féminin mais traite également de la complexité du sentiment amoureux. Dans ce conte-là, l’érotisme est sensible et féminin, doux et hystérique.

Techniquement parlant, le film « Astigmatismo » de Nicolaï Troshinsky est particulièrement réussi. Le réalisateur joue visuellement avec les nets et les flous pour nourrir une narration qui tourne autour du vol de lunettes d’un petit personnage par une jeune fille joueuse. Concrètement, le rendu a été possible grâce à un travail d’animation sur 10 niveaux de verre, auxquels le réalisateur a ajouté des éléments de papier découpé ainsi qu’un peu d’animation en volume. Dans ce court, la technique sert remarquablement bien le propos, la perte de repères étant là autant pour le personnage que pour le spectateur. Déroutant.

Du côté de la surprise, « Les Voiles du partage » de Pierre Mousquet et Jérôme Cauwe obtiennent une mention spéciale. Le film aura sans doute laissé sur le bord de la route les plus sérieux ou ceux dont l’humour s’arrête au premier degré. Et pourtant, ce duo de réalisateurs a osé un film parodique, à l’humour décalé où le personnage principal n’est autre qu’un abominable macho sans cervelle, inspiré par l’écrivain aventurier Cizia Zykë, débarquant dans une ville pour découvrir ce qui se trame derrière une histoire de pari sur des courses clandestines de… chars à voile ! Décapant.

Fanny Barrot

Le programme 1 sera présenté jeudi 13 juin à 18h à la MJC Novel et vendredi 14 juin à 10h30 au Décavision 2

À demain, pour le programme de la compétition 2 !

Lire aussi : Annecy 2013, le programme 2 des courts métrages en compétition, Annecy 2013, le programme 3 des courts métrages en compétition

Festival d’Annecy 2013

Du 10 au 15 juin, se tient la 37eme édition du festival d’animation d’Annecy. Cette année, un nouveau délégué général a pris les rennes du festival. Marcel Jean entend bien dès 2013 surprendre et bousculer les habitudes. Du côté de la programmation de courts métrages, la compétition sera rude avec 5 programmes internationaux soit 52 films. Nous avons fort à parier que le jury des courts métrages, composé des réalisateurs Bill Croyer et Jerzy Kucia et du compositeur Robert Marcel Lepage, aura à débattre intensément tant la programmation se révèle innovante et parfois presque déroutante. Hors compétition, 37 films courts seront visibles ainsi que des programmes spéciaux et des films de fin d’études qui seront pour leur part jugés par le producteur Phil Davis, la réalisatrice Michaela Pavlatova et la commissaire d’exposition et l’organisatrice de festival, Heilika Pikkov. Une nouvelle fois, Annecy promet aux publics de jolis moments de cinéma animé !

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Retrouvez dans ce Focus :

La critique de « Premier Automne »  d’Aude Danset et Carlos de Carvalho (France)

La critique de « Autour du lac » de Carl Roosens et Noémie Marsily (Belgique)

La critique de « Plug & Play » de Michael Frei (Suisse)

Annecy 2013, le programme 3 des courts métrages en compétition

Annecy 2013, le programme 2 des courts métrages en compétition

Annecy 2013, le programme 1 des courts métrages en compétition

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Oscar Ruiz Navia : « Je ne choisis pas des gens parce qu’ils sont de bons acteurs, mais parce que j’aime ce qu’ils sont en tant qu’êtres humains et parce qu’ils me touchent »

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2013, « Solecito » d’Oscar Ruiz Navia est un film lumineux, touchant et pertinent sur les relations amoureuses entre deux jeunes adolescents colombiens, Maicol et Camila. Construit en deux parties (entretiens face caméra/tournage extérieur), à la croisée du documentaire et de la fiction, ce court signé Oscar Ruiz Navia fait partie de notre séance spéciale Quinzaine des Réalisateurs, programmé jeudi 13 juin 2013 au Studio des Ursulines. Juste avant sa projection, nous vous invitons à en savoir plus sur « Solecito », en compagnie du réalisateur Oscar Ruiz Navia et du co-producteur français du film, Guillaume De Seille (Arizona Films), rencontrés tous deux à Cannes.

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Guillaume De Seille & Oscar Ruiz Navia

Oscar, tu as fait plusieurs courts métrages, un long aussi (« El vuelco del cangrejo »). J’aimerais savoir si tu reviens aux sources avec ce film, en retournant au court métrage.

Oscar : Tout le monde pense que le court métrage, c’est le début de carrière, le cheminement nécessaire avant de passer au long métrage. Pour moi, ce n’est pas ça. Bien sûr, les débutants font des courts pour apprendre à faire des films, moi, j’ai juste envie de mélanger les projets et les formats. Si je ne peux pas travailler sur des gros projets, ce n’est pas grave, j’en développe en attendant d’autres moins importants qui peut-être ne verront jamais le jour. C’est très important, à mes yeux, qu’il y ait peu de temps entre l’idée et le projet final. En temps normal, lorsque tu deviens un réalisateur de plus en plus important, tes projets le deviennent aussi, mais ce n’est pas la façon dont je veux procéder. C’est toujours bon de revenir aux origines, pour l’esprit.

Quelle était l’idée originale du projet « Solecito » ?

Oscar : Mon précédent film s’intéressait à des jeunes un peu perdus, trainant dans la rue. Je préparais mon deuxième long (« Los Hongos ») et je recherchais aussi ce type de personnes, mais en fait je n’étais pas très sûr de ce que je voulais réellement, alors je cherchais, cherchais. Je suis allé dans une école secondaire où j’ai fait un gros casting, j’y ai réalisé au final 700 interviews. Ce que je voulais faire, c’était montrer deux ados en train de parler, de façon très réaliste. Je ne savais pas d’avance quelles allaient être leurs réactions. Lorsque j’ai fait le casting, je ne savais rien d’eux. J’ai juste demandé aux jeunes que je rencontrais où ils vivaient, ce qu’ils aimaient et j’essayais de sonder leurs personnalités. Ce que j’aime dans ce procédé de casting, c’est que même si tu viens avec une idée précise, tu peux tomber sur des centaines de nouvelles choses intéressantes.

À un moment, j’ai rencontré deux jeunes gens qui me racontaient la même histoire mais dans des versions différentes. Cette histoire m’a touchée, peut être parce que je pouvais ressentir quelque chose de similaire à cette époque. J’étais seul, je voulais faire le film rapidement, alors j’ai essayé de faire quelque chose à partir de ce matériau qui complétait mon idée de départ. Le projet est lié aussi à l’invitation d’un artiste nordique, Olafur Eliasson, à créer un film sur la lumière, la vie et l’énergie. C’est de là que vient le nom du film, qui veut dire « petit soleil ».

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Guillaume, qu’est-ce qui t’a incité à co-produire le film d’Oscar ?

Guillaume : J’ai commencé en étant réalisateur, mais je prends plus de plaisir à produire les projets des autres. J’ai produit 4-5 courts qui m’ont réellement décidé à faire de la production. Sur ce film, on a comblé certains manques financiers, mais nous ne sommes pas à la genèse du projet, les Danois ont d’avantage aidé de ce point de vue. En revanche, Oscar sait que nous sommes bons dans le son, que je suis maniaque pour les sous-titres et comme nous travaillons ensemble sur un prochain film, il était normal qu’on l’aide. Le film a été difficile à financer, d’ailleurs la Colombie n’a pris connaissance du film que lors de sa venue à Cannes.

Oscar : Oui, ça a été un projet difficile à financer. J’ai d’abord envoyé à Guillaume le scénario, puis je lui ai transmis 90% du film terminé. Je lui ai demandé s’il aimait les images où non, et dans l’affirmatif, s’il pouvait être mon coproducteur. Il a été très gentil car il a accepté de suite. S’il avait dit non, il n’y aurait pas eu de problème, mais il a accepté et j’en suis très content car nous sommes maintenant à Cannes.

Pendant combien de temps as-tu tourné dans cette école ?

Oscar : Deux jours. Un dans l’école et un autre à l’extérieur. La première partie du film, constituée d’un dialogue entre les deux jeunes, est une sorte de documentaire qui ne fait pas partie du tournage. Cela fait partie des archives qui j’ai réutilisés par la suite.

Comment peut-on décrire le genre de « Solecito » ? Documentaire, fiction, hybride ?

Oscar : Pour moi, c’est une fiction. Le documentaire est juste un style différent de la fiction. Selon moi, tous les films sont fictionnels. Même si tu as de vraies personnes devant toi, tu crées d’une certaine façon un univers et c’est pour cela que c’est une fiction. Au moment du casting, si tu gardes les images pour toi, c’est du documentaire, mais à partir du moment où elles servent le film, cela devient de la fiction. Tu changes le sens des choses, des images, juste par le montage et l’utilisation que tu en fais. C’est pour cela que je ne pense pas que « Solecito » est un documentaire. La différence entre la fiction et le documentaire n’est pas dans la façon dont tu bouges la caméra, mais d’avantage dans le contrôle que tu as sur la narration, sur ce qui se passe devant la caméra. Parfois, tu n’as pas de contrôle, des choses arrivent devant la caméra et tu ne les maîtrises pas. Cela m’intéresse énormément.

Y a-t-il des choses que tu n’as pas contrôlées dans « Solecito » ?

Oscar : Oui, je ne savais pas exactement ce qui allait se passer pendant le tournage, ce que ce jeune couple allait dire, mais j’étais certain de l’ambiance, de l’atmosphère qui allait régner, parce que j’avais demandé à chacun d’insister sur certains points de leur histoire. Il était important qu’ils disent tout ce qu’ils ressentaient.

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Tu sembles aimer tourner avec des acteurs amateurs. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce procédé en général ?

Oscar : Ils n’ont pas l’arrogance des acteurs professionnels et ils sont spontanés. Lorsque je choisis un acteur, c’est parce qu’il a quelque chose à raconter, une complexité que je recherche. Mais tous les acteurs sont différents et il n’y a pas qu’une seule façon de diriger un acteur. Tu dois à chaque fois réfléchir à la façon de lui faire passer tes idées. Par exemple Maicol, le jeune garçon du film, est légèrement arrogant et insolent dans la vie réelle. Il voulait toujours voir les images tournées. J’ai du trouver un moyen de lui faire oublier la caméra, pour qu’il ne se sente pas comme une star. La jeune fille, Camila, elle, par contre, était très humble. Tu dois comprendre comment sont les gens pour savoir comment les diriger. C’est très difficile mais c’est ce que j’aime le plus dans le cinéma, c’est ce qui m’intéresse le plus. Dans mon premier film, il y avait deux acteurs professionnels, mais je leur ai demandé de jouer comme s’ils étaient des amateurs et je n’ai pas eu de problème d’arrogance avec eux. Ils ne lisaient pas le scénario. Parfois, ils voulaient proposer des idées, mais je leur disais que j’avais juste besoin de leur présence, de ce qu’ils étaient. Cela me suffisait. Je ne choisis pas des gens parce qu’ils sont de bons acteurs, mais parce que j’aime ce qu’ils sont en tant qu’êtres humains et parce qu’ils me touchent.

Guillaume, j’aimerais savoir comment tu as été amené à rencontrer Oscar, vu que tu le suis depuis de nombreuses années.

Guillaume : C’est une super histoire. Il y a six ans, je me suis rendu à Buenos Aires pour un festival du cinéma et quand je suis arrivé à l’aéroport, j’ai appris que je devais attendre quelqu’un avant d’aller à l’hôtel. Je m’étais tapé douze heures d’avion, j’avais six heures de décalage horaire, cela ne m’arrangeait pas trop d’attendre comme ça dans un aéroport. Tout à coup, un petit jeune est arrivé, c’était Oscar. Dans le taxi, j’ai discuté avec lui, il m’a dit qu’il était un jeune réalisateur qui venait pitcher son histoire hors de la Colombie. Il m’a donné son scénario que j’ai lu le lendemain, j’ai vu ses courts dans la foulée et deux jours plus tard on a dîné ensemble après un rendez-vous officiel. C’est comme ça qu’on a commencé. Au-delà de sa jeunesse et de son énergie qui m’intéressent fortement, j’aimais bien l’inspiration ancrée dans le réel, presque environnementale, de son projet.

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Je me suis rendue compte que dans ta boîte, Arizona Films, vous aviez un catalogue très tourné vers les auteurs étrangers. Pourquoi ?

Guillaume : On n’a que des films étrangers. J’ai travaillé dix ans chez Canal +, chaque année, je voyais plus de 200 films français et bien souvent, de moins en moins de films m’intéressaient. J’ai vu des films de jeunes cinéastes qu’on soutenait au début et plus du tout par la suite. C’est pour ça que je suis parti. Ce qui m’intéressait, c’était la recherche et la jeunesse, de plus en plus abandonnées par le système. En ce moment, je fais un film en Azerbaïdjan. En juillet, je vais au Kazakhstan, je suis les projets de petits marchés et c’est ce que je préfère. Dans certains pays, les gens sont souvent limités dans leur production, c’est pour ça qu’ils ont besoin des autres, des co-producteurs. On est dans ce créneau.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Carine Lebrun

Article associé : la critique du film

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Pour information, « Solecito » sera projeté le jeudi 13 juin 2013, à 20h30, lors de la séance Format Court spéciale Quinzaine des Réalisateurs, au Studio des Ursulines (Paris 5e).

S comme Solecito

Fiche technique

Synopsis : C’est au cours d’un casting dans leur établissement scolaire que les deux personnages de ce film ont rencontré le réalisateur. Chacun de leur côté, ils lui ont raconté l’histoire de leur rupture amoureuse. Et si la fiction leur permettait de se remettre ensemble ?

Genre : Fiction

Pays : Colombie, Danemark, France

Durée : 20′

Année : 2013

Réalisation: Oscar Ruiz Navia

Scénario : Oscar Ruiz Navia

Image : Oscar Ruiz Navia

Son : Camilo Marinez, Frederic Thery

Décor : Maria Alexandra Marin, Ingrid Pérez

Montage : Rodrigo Ramos E.

Musique : Da

Interprétation : Camila Llanos Correa, Maicol Stiven Quiñones González

Production : Contravia Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Oscar Ruiz Navia et de Guillaume de Seille (Arizona Films)

Solecito de Oscar Ruiz Navia

Présenté dans un des deux programmes de courts à la Quinzaine des Réalisateurs, « Solecito », de Oscar Ruiz Navia est un film à la frontière de la fiction et du documentaire. Partant du postulat que les hasards produisent de belles rencontres, le réalisateur Oscar Ruiz Navia laisse le destin choisir la trame de son film. Dans une école, il converse avec de jeunes adolescents, espérant mettre l’oeil sur des personnalités suffisamment attachantes pour leur consacrer des moments de son film. Dans la première partie de celui-ci, Camila et Maicol, chacun de leur côté, avec des versions différentes, en viennent à évoquer leur histoire d’amour. De fil en aiguille, le jeune couple se confie, en plan fixe sur fond de mur scolaire. Ce qui se dit est finalement assez superflu, les mots ne sont pour eux que des gestes inaboutis.

Ce rapport au dialogue est d’autant plus fort que la seconde partie du court métrage met en scène Camila et Maicol côte à côte sur la même image. Faisant écho à l’absence implicite de l’autre dans la première partie, la présence ici portée à l’écran sublime ce qui est en devenir dans une relation de cette nature (la découverte de l’amour et les déceptions qui lui sont liées). L’image, plus lumineuse qu’auparavant, échappe aux règles classiques de la construction cinématographique visuelle, jouant avec les éblouissements solaires autant qu’avec le rapprochement de la caméra. Le moment se fait plus intime que dans la première partie, le temps est aux confidences, aux murmures… Oscar Ruiz Navia n’est pas loin et pourtant, sa présence est plus un témoin discret qu’un observateur manipulateur. Cette capacité à filmer le vrai fictionnel, à se fondre au coeur des faits donne un relief complètement différent à la seconde partie de « Solecito » : là où les questions aiguillent dans la première partie, seul le relationnel est au centre de la seconde. On entrevoit avec affection la possibilité d’une suite amoureuse, d’un retour aux premiers émois de leur histoire. Dans l’interview qu’il a accordé à Format Court, le réalisateur dit que Camila et Maicol l’ont touché en tant qu’êtres humains. Gageons que cette sensibilité est en partie responsable de toute la tendresse émergeant de ce film !

Géraldine Pioud

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Article associé : l’interview de Oscar Ruiz Navia et de Guillaume de Seille (Arizona Films)

Bishtar Az Do Saat (Plus de deux heures) d’Ali Asgari

Présenté à Cannes dans le cadre de la compétition officielle cette année, le court métrage iranien « Bishtar Az Do Saat » (Plus de deux heures) d’Ali Asgari est une métaphore éloquente de la confrontation entre tradition et modernité dans le contexte d’un jeune Iran renaissant des cendres de la Révolution Twitter.

Un jeune couple se rend à l’hôpital, en plein milieu de la nuit, pour cause d’une hémorragie incontrôlable chez la jeune fille. Avec pudeur et appréhension, ils révèlent la perte de la virginité de celle-ci, déclenchant immédiatement une grande méfiance et l’obligation de produire des preuves de mariage. L’urgence médicale devra attendre le règlement de cette situation douteuse dans un pays qui proscrit sévèrement les rapports sexuels pré-maritaux.

Le culte de la virginité caractérise beaucoup de sociétés, notamment celles où la liberté féminine est entravée par le poids social et clérical. Cependant, le parcours de l’Iran est singulier, avec son histoire abondant de révolutions et son tiraillement constant entre un conservatisme accablant et une soif de modernité. Les droits de la femme en particulier incarnent cette hybridité, entre une émancipation poussée, à une époque même imposée, et toutefois une soumission à une loi misogyne. La génération d’aujourd’hui semble ressentir un besoin impérieux de relever le défi du changement, et le septième art iranien porte fidèlement depuis plusieurs décennies le flambeau de cette expression.

Avec « Bishtar Az Do Saat », Ali Asgari affirme sa place parmi ces réalisateurs de la nouvelle vague iranienne, en sachant susciter une réflexion d’ordre sociologique par le biais d’une fiction intimiste parfaitement ficelée. Au lieu de partir sur une narration démonstrative et explicite, il parsème d’abord son récit de petits indices laissant d’emblée entrapercevoir la véritable nature de la situation : lorsque le couple rentre au premier hôpital, le garçon rappelle à la fille de mettre sa bague sur sa main gauche. De même, Asgari rend son propos universellement accessible en y introduisant des éléments permettant à tout spectateur de saisir les codes culturels de la société iranienne : il est frappant de voir la première infirmière s’adresser fixement à la fille alors que son vrai interlocuteur est le garçon.

La mise en scène capture avec justesse la tension qui souligne tout le récit qui se déroule dans la noirceur d’une nuit froide. Filmés de manière quasi documentaire (le récit est d’ailleurs basé sur une vraie histoire), les personnages sont présentés à travers un dispositif franc qui les suit de dos confinés dans la voiture, ou les accompagne nerveusement dans les couloirs crus et antipathiques des hôpitaux. Par conséquent, le choix de passer, pour la scène finale, devant les personnages et de les filmer de face prend une signification importante. C’est comme si l’acte d’amour commis par les jeunes ingénus était d’emblée condamné et auto-punissant, que ce saignement était la rétribution de cette Ève bannie du paradis, qui plus est, dans le pays originel de l’acception. Cependant, le parti pris du réalisateur est de présenter les choses comme des constatations, sans drame et sans hyperbole. Seule l’urgence de la situation qui tend vers le fatal pousse le couple à s’obstiner et à supplier les autorités de fermer les yeux devant leurs circonstances et de déroger à leur transgression. Le point de vue d’Asgari est tout à fait exempt de jugement. L’antagoniste ici est le système, ce régime inexorable, et non pas ceux qui l’appliquent à la lettre de peur d’éveiller son courroux. Fléau du monde moderne, où que ce soit d’ailleurs : le cri de l’être humain tombe dans les oreilles du pouvoir sourd, absolu, impitoyable.

Adi Chesson

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Article associé : l’interview d’Ali Asgari

La Lampe au beurre de Yak de Hu Wei

Sélectionné à la Semaine de la Critique, « La Lampe au beurre de Yak » de Hu Wei, est un film qui, à première vue, pourrait être considéré comme un ovni. Mais si l’on y regarde de plus près, tous les procédés et les messages intrinsèques de ce court métrage sont finalement assez classiques. Partant d’une pratique assez répandue en Asie (se faire photographier devant un fond), Hu Wei dissèque ses compatriotes avec bienveillance et simplicité. Pour ce faire, le réalisateur laisse l’image prendre le pouvoir en ne la manipulant pas par les mouvements de caméra : les quinze minutes de « La Lampe au beurre de Yak » se déroulent en plan d’ensemble fixe, témoin quasi objectif des histoires qui se déroulent à travers son oeil optique. Si ce choix peut surprendre au départ, il devient vite un élément indispensable de la narration. L’immobilité de la caméra offre au cadre une liberté de tons et de mouvements qui n’est envisageable qu’ainsi. Dans la restriction de l’espace filmique, s’ouvre alors les histoires personnelles, et tout se raconte avec aisance, données brutes et sans artifice de la souffrance de ne pas être là où on le souhaiterait.

Car tous ces personnages qui se font prendre en photo devant un lieu fictif souffrent d’être là. Absents au monde pour des raisons qui leur sont propres, l’image leur permet de s’offrir, le temps d’un clic argentique et pour l’éternité sur papier photographique, la captation d’un moment qui n’existe pas. Se succèdent par exemple une famille devant « la muraille de Chine », un couple devant « sa maison » ou encore un podium d’enfants devant « les tribunes du stade de Beijing 2008 ». Au-delà du naïf et acceptable mensonge que ce cliché implique, les protagonistes accèdent par un leurre habile à un rêve inaccessible. L’image n’est que ce que l’on veut bien y voir, et surtout ce que l’on veut bien y projeter de désirs et de désillusions.

Hu Wei questionne la légitimité des procédés cinématographiques complexes et prouve que la simplicité de forme (un plan fixe) peut être une force. Il interroge aussi les messages propres à l’objet filmique en mettant en scène la manipulation (l’arrière-plan est un leurre assumé). Faux ovni, « La Lampe au beurre de Yak » est un hommage indirect au cinéma des Premiers Temps, aux Frères Lumières et autres Mélies, à cette époque où l’intérieur du cadre était le lieu de la mise en scène, sans artifice ni faux semblant, à cette période où un film, c’était la vie… L’impertinence en plus.

Géraldine Pioud

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Article associé : l’interview de Hu Wei, le réalisateur, et de Julien Féret, le producteur du film

Rappel. La Soirée Format Court, Spéciale Quinzaine des Réalisateurs, a lieu ce jeudi !

Ce jeudi 13 juin, à 20h30, notre dernière séance de l’année est consacrée à la Quinzaine des Réalisateurs. Cinq films, sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs entre 2011 et 2013, seront projetés ce soir-là, au Studio des Ursulines (Paris, 5e), en présence de nos invités : Laurence Reymond, chargée de la présélection des courts, Marianne Visier, Déléguée au court métrage à la SRF, Philipp Mayrhofer, Paul Bandey, François Martin Saint Léon (réalisateur, comédien et producteur de « Königsberg »), Maria Alexandra Marin et Frédéric Théry (assistante réalisateur et mixeur son de « Solecito »).

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En pratique

► Projection des films : jeudi 13 juin 2013, à 20h30. Durée du programme : 91’

► Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche: Ligne 7 – Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…), RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée).

Entrée : 6 €

► Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Annarita Zambrano : « Mon film est une histoire d’amour, une poésie avec la tristesse de la mort »

Lors du dernier Festival de Cannes, nous avons rencontré Annarita Zambrano, en compétition officielle avec son film « Ophelia ». La réalisatrice d’origine italienne nous a longuement raconté son parcours, ses choix et son cinéma, avec passion et coups de gueule, comme une copine avec qui on prendrait un café, et nous a démontré qu’elle était une personne aussi déterminée dans la vie que dans son cinéma.

© CM

Cela fait déjà quelques années qu’on voit tes films dans les plus grands festivals, que ce soit en France ou à l’étranger, et c’est pourtant la première fois que nous te rencontrons. Peux-tu nous parler de ton parcours pour en arriver là ?

Je suis venue en France pour étudier. J’ai commencé avec le programme Erasmus, puis j’ai poursuivi sur un doctorat en linguistique. À la fin de mes études, je suis restée en France puisque je me suis mise à enseigner ici. En réalité, j’ai toujours rêvé de faire du cinéma mais à l’époque, il n’en était pas question car je viens d’une famille très classique et bourgeoise dans laquelle on ne fait pas de cinéma, si bien que partir en France était également un moyen d’échapper à une carrière qui ne me convenait pas en Italie. Je crois finalement que j’avais surtout envie de voir comment on vivait dans un autre pays que le sien, tout simplement parce que je suis curieuse. Le choix de la France a été une évidence du fait que j’admirais beaucoup le cinéma français et que j’avais fait ma thèse sur François Truffaut. Et la vie a voulu que j’y reste car je m’y sentais plus libre avec en plus, des possibilités de travail.

« La troisième fois »

Il semble, à voir les génériques de tes films, que tu travailles souvent avec les mêmes personnes et que tu t’es constituée une vraie équipe « à toi ». Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Stéphanie Douet (Sensito Films) qui produit tous tes films depuis le début  ?

Auparavant, j’ai enseigné puis travaillé dans un festival, mais j’étais profondément malheureuse car ce que je voulais plus que tout, c’était faire de la mise en scène. Le problème, c’est que j’étais déjà vieille et que j’étais « plombée » par autant d’années d’études et « écrasée » par l’aspect culturel théorique. Je n’avais donc aucune envie de reprendre des études de cinéma et bien au contraire, je souhaitais faire de la pratique. À 34 ans, je me suis demandé qui voudrait bien de moi « telle quelle » et la seule qui m’a acceptée a été Stéphanie. J’avais pourtant contacté tous les producteurs que je connaissais, mais ils m’ont tous refusée. J’avais envoyé à Stéphanie le scénario de ce premier petit film, «  La troisième fois  », qui me tenait beaucoup à cœur. Ça l’a beaucoup touchée aussi et en trois semaines, elle a trouvé de quoi le financer. Elle a également accepté mes exigences  : faire jouer la comédienne Magali Woch et tourner en 16 mm. Et ça a été la même aventure pour mon deuxième film, «  Andante mezzo forte  » qui plaisait également beaucoup à Stéphanie.

« Schengen »

Depuis 2006, tu as réalisé huit courts métrages qui ont beaucoup de succès puisqu’on a pu les voir aux festivals de Cannes, de Venise, de Berlin, de Rotterdam, etc… On peut penser que tu n’as plus grand-chose à prouver, alors pourquoi ne pas passer au long-métrage  ?

Parce que je traîne (rires) ! En réalité, j’ai besoin d’être sur un plateau sinon je meurs. J’aime bien travailler dans l’urgence car lorsqu’on a passé toute sa vie, le nez dans les bouquins, on en vient à tout accepter du moment qu’on passe à la pratique. Par exemple, pour le film « Schengen » (écrit pour Claudia Tagbo) de la Collection Canal, je me suis dit que j’allais m’amuser. J’avais envie d’être sur un plateau, pour pratiquer parce que j’apprends toujours lorsque je tourne et aussi parce que je suis une « flippée » de devoir passer au long  !  Mais aujourd’hui, ça y est  : je sais que je suis prête pour faire mon long. Je pense que je vais tout autant flipper sur le plateau, mais j’en ai envie. Il fallait juste que je suive mon rythme à moi, même si ce n’est pas forcément celui des autres.

Pour en revenir au court métrage, quels sont les prémices d’« Ophelia » ?

En réalité, c’est le décès d’une amie très chère, Céline, qui m’a donné envie de faire ce film. Le jour où j’ai appris qu’elle était morte, j’ai failli me noyer. J’ai couru et couru sur la plage jusqu’à me jeter à l’océan parce que je voulais pleurer. Et j’ai vraiment failli me noyer car je n’arrivais plus à revenir. Je ne connais pas l’océan puisque je suis méditerranéenne et la marée me surprend toujours. À un moment donné, j’ai fait la planche pendant une heure et demi. C’était long mais j’avais besoin de réfléchir et de faire passer ma tristesse. Là, j’ai pensé à Céline qui s’était jetée d’une fenêtre et je me suis demandée pourquoi je devais mourir ce jour-là dans l’océan alors que je voulais vivre. En effet, on a le choix dans la vie, de vivre ou de mourir. Elle avait fait le choix de mourir et je respecte finalement sa décision mais moi, je savais que je voulais vivre. Pourtant, ce jour-là dans l’eau, je voyais bien que je ne maitrisais plus rien et j’ai cru que j’allais mourir. Finalement, je me suis retrouvée bien plus loin, échouée sur la plage et des gens m’ont traînée alors que j’étais à poil. Je pense que c’était des enfants mais je ne m’en souviens plus très bien car je ne voyais que des ombres. Donc en fait, c’était moi, Ophelia. Et si j’ai fait ce film en pensant à Céline, c’est aussi parce que finalement, je crois que j’aurais préféré qu’elle ait ce type de mort  dans la nature, avec des gens qui s’occupent d’elle comme ils l’ont fait avec moi sur la plage. J’aurais aimé que son corps soit traîné dans la forêt avec les oiseaux et qu’elle s’envole peut-être quelque part. « Ophelia », c’est donc une poésie avec la tristesse de la mort. Sauf que la jeune femme conserve les yeux semi ouverts comme l’Ophelia de John Everett Millais, car la vie est encore en elle.

Ce qui est étrange dans ton film, c’est que lorsque les enfants parlent d’elle, on imagine qu’on va la voir bel et bien vivante alors qu’on la découvre morte. Mais du coup, même morte, on imagine qu’elle est vivante, surtout que les deux adolescents y croient.

Bien sûr  ! Je ne voulais surtout pas que ce soit glauque. J’ai bien évidemment lu le poème d’Arthur Rimbaud, mais je n’ai pas voulu créer quelque chose d’aussi glauque avec les vers et tout ce que représente la mort métaphoriquement. Je souhaitais au contraire que la vie vienne de s’échapper d’elle. C’est une histoire d’amour en réalité. La différence d’âge entre elle et les deux garçons; particulièrement le blond, est très légère, et je voulais qu’on croit que le baiser qu’il lui donne soit comme le premier baiser des deux. Je voulais montrer l’intimité d’une histoire d’amour avec toute la pudeur qu’elle engendre. Les deux adolescents vont là-bas pour la mater et ils finissent par la rhabiller. C’est aussi une histoire d’adolescence, de qui va la vivre et de qui ne va pas la vivre. D’ailleurs, on se pose la question  : Ophelia s’est-elle suicidée par amour  ? Toute le monde sait qu’elle s’est suicidée pour Hamlet et en même temps, Shakespeare dit qu’elle est tombée dans la rivière. Et on ignore vraiment qui elle est, mais ce n’est pas si grave. Cela n’empêche que pour cette jeune fille de 17 ans qui aurait pu vivre un amour qu’elle ne vivra finalement pas, avec les souffrances liées à l’amour et à l’adolescence, la douleur réside dans le fait qu’elle ne passera pas par tout ça mais par la mort à proprement parlé. Et dans mon film, les deux garçons lui font comme un adieu, d’où l’aspect très poétique. D’autant plus que je ne sais pas si elle va pourrir dans sa cabane; au contraire, je me suis dit qu’avec les oiseaux, les animaux, et la nature autour, c’est comme si elle entrait dans un autre monde. D’ailleurs, techniquement, on a beaucoup travaillé pour que l’endroit où elle est amenée apparaisse comme un autre espace. Là-dessus, le travail sur le son était très important. Même au niveau de l’image, on a essayé de créer un univers enveloppant.

Vous avez tourné pendant combien de jours ?

Quatre jours. On a décidé de tourner en 35 mm à deux perforations, c’est-à-dire en scope pour filmer au mieux Les Landes. Et j’ai tourné au même endroit où mon histoire personnelle que je viens de raconter m’est arrivée. D’ailleurs, l’équipe est devenue folle car je voulais absolument retrouver les lieux exacts. En effet, on ne peut pas conduire dans la forêt à cet endroit-là, si bien qu’on a marché des heures et des heures  ! Mais de toutes façons, je n’aurais pas tourné ailleurs.

Parmi tes comédiens, il y en a deux que tu as fait jouer à deux reprises  : Django Desplain qui joue dans ton prochain film « L’heure bleue » et Audrey Bastien qui avait joué dans « Dans la cour des grands ». Tu peux nous parler d’eux ?

Django, c’est un génie ! Il fait du surf et il m’a dit : «  Il faut que tu en fasses aussi, mais avec les petits là-bas » (rires). « L’heure bleue » est issu d’un concours que j’ai gagné, donc je me suis dit que j’allais faire les deux films ensemble. Quant à Audrey, je la remercie de m’avoir supportée. Elle avait adoré faire  « Dans la cour des grands »avec moi, mais dans « Ophelia », elle s’est quand même faite traîner pendant quatre jours ! La pauvre, elle pleurait. Je pense qu’elle a accepté parce qu’elle me connaissait et qu’elle connaissait mon cinéma. Pour moi, elle est incroyable. D’ailleurs, je propose qu’elle reçoive le prix d’interprétation  ! Effectivement, c’est très difficile de rester les yeux semi ouverts et de jouer la morte. En revanche, on a utilisé très peu de maquillage car elle est aussi blanche dans la réalité que dans le film. Après, on a quand même dû faire quelques petits effets spéciaux car malgré tous ses efforts, on voyait son cœur battre ; on ne pouvait pas la tuer. J’ai encore des textos avec Technicolor où ils me disent : «  Ça y est, on a réussi  : on a tué la morte  » (rires). En bref, « Ophelia », c’est tout ça  : une sacrée aventure pour moi.

Lorsqu’on a été comme toi sélectionnée dans les plus grands festivals du monde, est-ce qu’on est encore surprise d’être prise à Cannes, en compétition officielle  ?

Bien sûr que j’ai été heureuse. D’ailleurs, je me souviens d’avoir dit à Stéphanie (ndlr : Douet, Sensito Films)  que je ne voulais plus aller à Cannes si je n’étais pas prise en compétition officielle. La Quinzaine, je n’y aurai pas été sélectionnée car j’y suis déjà allée avec « Tre Ore » et je pense qu’il faut laisser la place aux autres. Je n’ai jamais été à la Semaine de la Critique, j’ai toujours été à deux doigts de l’être, mais à chaque fois, un film avec un thème proche du mien y a été préféré. Il y a deux ans, ils ont pris « Junior » de Julia Ducourneau plutôt que « Dans la cour des grands », et cette année, ils ont préféré « Océan » d’Emmanuel Laborie à « Ophelia ». C’est comme ça, c’est la vie. Mais après, le comité de sélection m’a appelée pour me dire que j’étais en compétition officielle, c’était encore mieux ! C’était absolument génial  ! À Cannes, non seulement, j’ai découvert la plupart des films et des noms qui m’ont inspirée pour réaliser mes propres films mais à côté de ça, j’ai l’impression d’y trouver le public que je cherche pour les films que je fais. Alors bien évidemment, j’ai été très heureuse d’y être cette année et j’espère continuer d’y être sélectionnée.

Propos recueillis par Camille Monin

Article associé : la critique du film

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Soirée Bref n°146, mardi 11 juin. L’air des familles

“On ne choisit pas sa famille”, dit-on parfois. Elle peut tourner à l’enfer, l’air devient irrespirable, on veut la quitter. Le noyau se fissure. Ce peut être à l’occasion d’une disparition qui, à la fois, ressoude et relègue chacun à sa solitude. Il arrive aussi qu’on se choisisse une famille, pour le meilleur, mais aussi parfois que cette façon de se laisser porter par un collectif conduise au pire.

Tels sont les motifs qui, entre autres, traversent ces films récents, par la mise en scène de groupes qui se disjoignent et de personnages confrontés à des choix personnels. Pour autant, on ne trouvera aucun air de famille entre ces quatre courts métrages réunis ici. Chacun fait au contraire entendre sa voix singulière. Chaque famille heureuse est heureuse à sa propre façon. Jacques Kermabon

La fugue de Jean-Bernard Marlin. 2013, couleur, 23 mn, DCP.

Réalisation et scénario : Jean-Bernard Marlin • Image : Julien Poupard • Montage : Nicolas Desmaison • Son : Laure Allary, Claire Cahu et Mélissa Petitjean • Interprétation : Adel Bencherif, Médina Yalaoui, Sabine Gavaudan et Agnès Cauchon-Riondet • Production : Les Films de la Croisade

Lakdar, éducateur dans un foyer pour mineurs délinquants à Marseille, accompagne au tribunal sa jeune protégée, Sabrina, jugée pour une ancienne affaire. Il part confiant, convaincu que leurs efforts seront récompensés…

Petit matin de Christophe Loizillon. 2013, couleur, 34 mn, HDcam.

Réalisation et scénario : Christophe Loizillon • Image : Aurélien Devaux • Montage : Sarah Turoche • Décors : Françoise Arnaud • Son : Patrick Genet et Jean-Marc Schick • Interprétation : Mathieu Amalric, Raphaël Bouvet, Alice Butaud, Philippe Frécon, India Hair, Philippe Laudenbach, Sébastien Tavel et Vulcain • Production : Les Films du Rat

Au petit matin, une main masculine cueille un dahlia rose…

Mademoiselle Kiki et les Montparnos de Amélie Harrault. 2013, couleur, 15 mn, DCP.

Réalisation et scénario : Amélie Harrault • Image : Joan Frescura • Montage : Rodolphe Ploquin • Musique : Olivier Daviaud • Animation : Amélie Harrault, Serge Elissalde et Lucile Duchemin • Décors : Amélie Harrault et Delphine Chauvet • Son : Yan Volsy et Raphaël Seydoux • Voix : Marie-Christine Orry, Céline Lambert, Matthew Geczy, Jean-Pierre de Giorgio, Alan Czarnecki, Eriko Takeda, Serge Elissalde et Yan Volsy • Production : Les Trois ours

Kiki de Montparnasse était la muse infatigable des grands peintres avant-gardistes du début du XXe siècle. Témoin incontestable d’un Montparnasse flamboyant, elle s’émancipera de son statut de simple modèle et deviendra reine de la nuit, peintre, dessinatrice de presse, écrivain et chanteuse de cabaret.

Mention spéciale du jury au Festival Col-Coa (City of Lights, City of Angels) de Los Angeles 2013

Avant que de tout perdre de Xavier Legrand. 2013, couleur, 5 mn, DCP.

Réalisation et scénario : Xavier Legrand • Image : Nathalie Durand • Montage : Yorgos Lamprinos • Décors : Jérémie Sfez • Son : Julien Sicart, Vincent Verdoux et Aymeric Dupas • Interprétation : Léa Drucker, Anne Benoît, Mathilde Auveneux, Miljan Chatelain, Denis Ménochet et Claire Dumas • Production : KG Productions

Un jeune garçon fait mine de se rendre à l’école et se cache sous un pont. Une adolescente en larmes attend prostrée sur le banc d’un arrêt de bus. Une femme vient les chercher tour à tour et les conduit sur le parking d’un hypermarché. Les enfants sortent du véhicule, la femme ouvre le coffre pour en extraire un gros sac poubelle. Ils entrent alors tous les trois précipitamment dans le magasin…

Grand prix, Prix du public, Prix de la presse et Prix de la jeunesse au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 2013

Infos pratiques

Mardi 11 juin, séance à 20h30 – MK2 Quai de Seine

14 Quai de la Seine – 75019 Paris
M° Jaurès ou Stalingrad
Tarif : 7,90 € (cartes illimitées acceptées)