Joachim Lafosse : Avant (et après) les longs

Cette année, Joachim Lafosse sera présent au 63e Festival de Locarno avec pas moins de deux films, deux courts métrages plus précisément.

Le premier, « Tribu » (2001), est son film d’école réalisé à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion) et aussi son coup d’essai. Il sera projeté en séance spéciale ’20 ans de Pardi di Domani’, une section du festival consacrée aux courts métrages de jeunes cinéastes prometteurs pas encore passés au long, où on retrouve des auteurs confirmés comme Ursula Meier (Suisse), Laurent Cantet (France) ou Cristi Puiu (Roumanie).

« Avant les mots », c’est le titre du deuxième court que viendra présenter l’auteur de « Nue Propriété » (2006) et d’« Elève Libre » (2008). Ce documentaire de création, produit par Les Films du Bélier, a été réalisé dans le cadre d’une carte blanche proposée par le Théâtre de Gennevilliers etdirigée par Olivier Assayas. Cette carte blanche avait déjà vu naître en 2008 les oeuvres courtes de Jean-Paul Civeyrac (« Malika s’est envolée ») et de Shinji Aoyama (« Le petit chaperon rouge »). Cette année Bertrand Bonello et Lodge Kerrigan sont avec Lafosse les cinéastes invités par Assayas.

Tribu

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Un babillage d’enfant et une comptine en flamand viennent accompagner le générique de début de « Tribu », suivis de la dédicace « à nos idéaux déçus ». Le ton est donné. La lune de miel est terminée. Le film s’ouvre sur une scène violente de dispute entre des parents divorcés qui se déchirent autour de la figure du fils, devenu grand, à l’évidence plus proche du camp maternel.
Le père a refait sa vie avec une femme qui a déjà un enfant et qui en attend un de lui. Il essaye maladroitement de se rapprocher de son fils pour lui annoncer qu’il va avoir un demi-frère. Ce nouveau-né sera malgré tout celui qui les réunira au final.

« Tribu » a les qualités et les défauts d’un premier film. Les qualités car le scénario de Lafosse contient déjà les thèmes qu’il abordera dans ses longs métrages : la cellule familiale comme berceau de la rupture, le rapport problématique à la sexualité et la question de la transmission et plus particulièrement de la filiation. En cela, « Tribu » aurait très bien pu donner lieu à un long métrage car on est loin de l’anecdotique que l’on croise malheureusement souvent dans le court métrage. Lafosse démontre déjà son aisance dans l’installation de son récit et la force de ses personnages. Il semble voir plus loin que le format. Il n’échappe pourtant pas à certains tics esthétisants comme cette boulimie de fondus au noir qui finissent par agacer plus que suggérer. Il endosse là le costume de l’étudiant en cinéma qui veut impressionner avec des artifices malheureusement un peu usés.

Avant les mots

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Dix ans séparent « Tribu » de « Avant les mots ». Lafosse a tourné quatre longs entre temps et s’est hissé parmi les jeunes auteurs européens qui comptent. C’est donc avec attention qu’on découvre ce court métrage, le deuxième seulement de sa filmographie. On est d’abord surpris car il délaisse la fiction pour choisir le documentaire. Il quitte aussi le monde des adultes en consacrant son film à Cédric, un enfant de deux ans lors de sa journée à la crèche de Gennevilliers. Cédric tient depuis peu sur ses jambes mais se cache déjà derrière ses lunettes qu’il a solidement attachées derrière la tête. Les verres se retrouvent vite mouillés par ses larmes lorsque sa maman le quitte comme tous les matins pour le laisser avec l’assistante maternelle. La tragédie est quotidienne, pourtant elle a le goût salé des premières fois.

La caméra de Lafosse est en retrait. Cédric, tout comme les autres enfants de la crèche, ne semble pas la voir. Lafosse dit « vouloir filmer ce qui se passe lorsque nous ne sommes pas là ». On sait depuis longtemps que l’observateur influe sur le comportement de l’observé. Souvent caché derrière une porte, il essaye donc au maximum de se faire oublier. Les scènes, chronologiques, font apparaître la fragilité de Cédric facilement malmené par les autres enfants. Les épisodes de siestes qui viennent ponctuer le film sont autant de moments pour lui de lâcher prise, de ne plus être sur ses gardes face aux autres. Ce sont aussi les plus beaux moments du film. Lafosse filme le réveil de Cédric avec beaucoup de pudeur, on a l’impression d’assister à un moment d’intimité et de vérité. Le film est d’ailleurs basé sur cette sensation, celle d’observer sans être vu, d’assister à quelque chose de quotidien mais rare. Depuis « Tribu », Joachim Lafosse est lui-même devenu père et sa façon de filmer les enfants a peut-être changé suite à cet événement, le regard qu’il porte est moins dur et moins pessimiste. Lui qui est connu pour ses scènes de tensions familiales et frontales trouve ici l’occasion de casser un peu l’image qu’on a de son cinéma et d’explorer de nouvelles pistes, hors de la fiction, hors de Belgique et hors du long. Souhaitons qu’il revienne à la forme courte plus rapidement la prochaine fois, cela lui réussit très bien.

Amaury Augé

Consulter les fiches techniques de « Tribu » et de « Avant les mots »

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