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Slavar de Hanna Heilborn et David Aronowitsch

Sur l’écho de mon enfance, j’écris ton nom. Eluard

Lauréat du Prix Unicef et du Cristal d’Annecy, « Slavar » est une expérience cinématographique qui ne laisse pas indifférent. En livrant le témoignage de Abuk (9 ans) et de Machiek (15 ans) enlevés par la milice soudanaise et exploités comme esclaves, les réalisateurs suédois, Hanna Heilborn et David Aronowitsch abordent un sujet percutant et engagé.

Alors que dans le paysage cinématographique actuel, une grande partie des films ne dénonce plus la bêtise humaine mais la diffuse allègrement sur les grands et petits écrans, il est rassurant de  découvrir ce court métrage librement engagé ouvrant les horizons de l’animation et du documentaire.

Nous sommes en 2003, en Suède. Un médecin, des interprètes, Hanna Heilborn, David Aronowitsch, et deux enfants, Abuk et Machiek, sont rassemblés autour d’une table. Tour à tour, dans un silence de plomb, les enfants racontent leur enlèvement par la junte militaire, leurs conditions de survie pendant leur séquestration, ainsi que leurs rêves futurs. Quelques années plus tard, les deux réalisateurs envisagent de mettre le récit en images. Ils vont jusqu’à illustrer les toussotements, les hésitations, les gestes indécis, les rires nerveux et les problèmes techniques rencontrés, pour accentuer la véracité des faits.

Produit hybride, « Slavar » mêle animation en 3D et documentaire en jouant sur les contrastes. Au-delà du stylistique (animation/documentaire), le montage alterne les tons monochromatiques, variant des couleurs chaudes pour l’évocation de la vie au Soudan et des couleurs froides (plus neutres) pour l’interview en Suède. Les dessins de Malt Johansson et Acne JR fonctionnent comme des esquisses narratives apportant les nuances nécessaires au récit sans jamais renforcer l’aspect tragique de façon outrancière.

Oser parler des agissements meurtriers de la milice soudanaise dans un film d’animation est un défi brillamment relevé par le duo suédois qui n’en est pas à son premier coup d’essai. Avant « Slavar », il a initié une série de documentaires animés traitant de l’enfance en difficulté, dont le premier film, « Gömd » (Hidden), raconte l’histoire d’un jeune réfugié péruvien.

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À travers ces deux témoignages, le film dénonce les atrocités et les injustices que provoquent les conflits dans le monde. Un authentique coup de fouet à notre conscience humanitaire un brin léthargique.

Marie Bergeret

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Article associé : l’interview d’Hanna Heiborn

S comme Slavar (Slaves)

Fiche technique

Synopsis : D’après une interview faite en 2003. Comme des milliers d’autres enfants, Abouk, 9 ans et Machiek, 15 ans, ont été enlevés par une milice commanditée par le gouvernement soudanais et utilisés comme esclaves.

Genre : Documentaire animé

Durée : 15’57’’

Pays : Suède

Année : 2008

Réalisation : Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Scénario : Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Graphisme : Mats Johansson, Acne Junior Production

Décor : Isak Gjertsen, Kim Naylor

Animation : Nicolas Maurice, Benoît Galland, Mathilde Le Moal, Gilles Brinkhuizen, Nicolas Hu, Hubert Seynave

Layout : Magnus Östergren, Degauss

Son : Peter Albrechtsen, Lydrummet

Voix : Abuk, Machiek, James Aguer Alic, Charles Deng Majok Kwal, Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Production : Story AB, Swedish Film Institute

Le site du film : www.story.se/films/-slaves/

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Hanna Heiborn

Festival de Locarno : le palmarès

Le Festival de Locarno a rendu son verdict samedi 15 août. Du côté du court métrage, plusieurs films issus de la Compétition internationale et nationale, se sont partagés les différents prix liés aux Léopards de demain.

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Le jury composé de Céline Bolomey, Denis Delcampe, Maike Mia Höhne, Najwa Najjar, Adrian Sitaru, a décerné les prix suivants :

Compétition internationale

* Pardino d’or : Believe de Paul Wright (Royaume-Uni-Ecosse)

* Pardino d’argent : Variációk de Krisztina Esztergályos (Hongrie)

* Prix film et vidéo « Untertitelung » : No country for chicken de Huang Huang (Chine)

* Mention Spéciale : Edgar de Fabian Busch (Allemagne)

Compétition nationale (suisse)

* Pardino d’or : Las Pelotas de Chris Niemeyer

* Pardino d’argent : Nachtspaziergang de Christof Wagner

* Prix « action light » pour le meilleur espoir suisse : Connie de Judith Kurmann

D’autres prix ont récompensé les Léopards de demain, les prix «cinema e gioventù». Un Jury spécial, composé de Elena Binda, Valentina Bosia, Carlotta Dionisio, Vania Gottardi, Jasmine Leoni, Giulia Moltrasio, Gianni Nägeli, Valentina Peduzzi et Samira Yeganeh, a décerné les prix suivants :

*  Prix du Meilleur court métrage pour la compétition internationale : Túneles en el río de Igor Galuk (Argentine)

* Mention spéciale : Gjemsel de Aleksandra Niemczyk (Norvège)

*Prix du Meilleur court métrage pour la compétition nationale : Kitsch panorama de Gilles Monnat (Suisse)

Le site du Festival : www.pardo.ch

El Empleo de Santiago Grasso

Lauréat du Prix Fipresci (auquel Format Court était associé cette année), « El Empleo », de Santiago Grasso, est le tout premier film argentin primé à Annecy, depuis la création du Festival. Révélation de cette édition, il mêle subtilement passivité du quotidien, individus-objets et sobriété du dessin.

Tic, tac, tic, tac. 7h15. L’homme à la tête en forme d’index se réveille, se gratte, et sort de son lit. Il se rase, avale un biscuit et un café, renoue sa cravate, hèle un taxi pour rejoindre le bureau. Une fois arrivé, il attrape de justesse l’ascenseur, et dépose ses affaires dans son casier, avant de se mettre au travail. Une nouvelle journée commence.

Dépourvu de tout dialogue, « El Empleo » est un film éloquent, à plus d’un titre. Le décalage surgit devant la représentation d’un univers incongru dans lequel les individus sont relégués au rang et à l’usage d’objets. Dans ce monde, chacun travaille, quelque soit la fonction à accomplir et l’effacement de soi à accepter. Sans distinction, hommes et femmes sont au service les uns des autres, faisant office de meubles, de porte-manteaux, de porte-clés, de feux de signalisation, de transports, ou même de contre-poids d’ascenseurs.

Le film interpelle par sa problématique universelle. Entre critique sociétale et humour raffiné, « El Empleo » livre un regard différent et original sur les notions de travail, de monde en crise, et d’exploitation de l’homme par l’homme. Pour servir sa mécanique domestiquée, Santiago Grasso fait appel à un humour fin et absurde, proche de Ionesco, et à un dessin simple et dépouillé, incrusté de regards vides, sans âme ni espoir.

L’intelligence d’« El Empleo » tient aussi et surtout à sa chute touchante. “M. Index” s’installe à son poste, celui d’homme-paillasson, sous les ordres et les pieds de son patron. À la différence de ses congénères, il sort de son silence et de sa passivité, en poussant un soupir à peine audible. L’humanité s’exprime. Malgré tout.

Katia Bayer et Adi Chesson

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Article associé : l’interview du réalisateur

E comme El Empleo (L’emploi)

Fiche technique

Synopsis : Un homme, en chemin vers le travail, est plongé dans un monde où l’utilisation de gens en tant qu’objets fait partie du quotidien.

Genre : Animation

Durée : 6’19’’

Pays : Argentine

Année : 2008

Réalisation : Santiago Grasso

Scénario : Patricio Plaza

Graphisme : Patricio Plaza

Storyboard : Patricio Plaza

Layout : Santiago Plaza

Décor : Santiago Plaza

Animation : Santiago Grasso, Patricio Plaza

Techniques : Dessin sur papier, ordinateur 2D

Son : Patricio Plaza

Montage : Santiago Grasso

Compositing : Santiago Grasso

Production : Santiago Grasso

Distribution : Patricio Plaza

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand : les inscriptions sont ouvertes !

Cette année, le Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand aura lieu du 29 janvier au 06 février 2010. Les inscriptions en ligne sont déjà ouvertes, sur le site www.shortfilmdepot.com.

COMPETITION INTERNATIONALE

Date limite d’inscription des films : 15 octobre 2009
Frais d’inscription : gratuit

Conditions :

1) Film terminé après le : 1er juillet 2008
2) Durée maximale : 40 minutes
3) Origine : Tous pays sauf France
4) Support de projection au festival : 35 mm, Beta SP Pal ou Digital Betacam Pal

Règlement international (PDF)

COMPETITION NATIONALE

Date limite d’inscription et réception des films : 31 octobre 2009
Frais d’inscription : gratuit

Conditions :

1) Film terminé après le : 1er juillet 2008
2) Durée maximale : 59 minutes
3) Origine : France comme pays de production principal
4) Support de projection au festival : 35 mm, Beta SP Pal ou Digital Betacam Pal

Règlement national (PDF)

MARCHE DU FILM COURT

Date limite d’inscription : 13 novembre 2009
Frais d’inscription : gratuit (jusqu’au 13 novembre 2009)

Condition :
1) ouvert aux films inscrits au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2010

Règlement marché (PDF)

COMPETITION LABO

Aucune inscription pour cette compétition puisque les films seront choisis parmi ceux inscrits aux deux compétitions ci-dessus.

Dès que votre inscription en ligne est terminée, merci de faire parvenir au Festival 2 DVDs de votre film (1 DVD pour la sélection festival + 1 DVD pour le marché) à l’adresse ci-dessous :

Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (France)

– par poste (bien préciser “sans valeur commerciale – usage culturel”) à :
La Jetée, 6 place Michel-de-L’Hospital
63058 Clermont-Ferrand Cedex 1, France

– ou EMS (DHL, Federal Express…) en déclarant une valeur inférieure à 15 € ou US$. à :
La Jetée, 6 place Michel-de-L’Hospital
63000 Clermont-Ferrand, France

Sites web : www.clermont-filmfest.com, www.shortfilmdepot.com

Annecy, le Petit Journal

Meuglements, aboiements, miaulements, pépiements, roucoulements, bruits de carpes, hurlements, applaudissements, … : bienvenue au Festival d’Annecy. Au rendez-vous de l’image, il est coutumier de ne pas rester tranquille sur son siège, de faire de grands signes aux copains, de chahuter devant la bande-annonce officielle, et d’envahir l’espace, avec d’improbables avions en papier. Ces rituels, potentiellement déconcertants, font partie de la popularité de l’événement. À Annecy, on ne se prend pas trop au sérieux, et ce n’est pas plus mal.

Le ton est donné à l’entrée de la Grande salle du centre Bonlieu. Des recommandations fusent (“dites, le ballon, vous le gardez aux pieds”), tandis que la voix-off demande, sans surprise, d’éteindre son téléphone portable, mais étrangement, de ne pas perturber la projection, “dans la mesure du possible”.

Certes, la facétie est de mise, en début de séance. Parallèlement à la surenchère de cris animaliers, des avions en papier, fabriqués à l’aide de programmes ou de feuilles de calcul, alignent les figures dans les salles. Des applaudissement nourris accompagnent les projectiles de fortune qui parviennent à atteindre la scène, tandis que des acclamations gratifient ceux qui percutent les rideaux de velours. Force est de constater que les spectateurs ne sont pas spécialement de bons pilotes, et que leurs avions atterrissent souvent en urgence, quelques rangées plus bas, sur une tête, dans un cou, et occasionnellement, dans un oeil (et ça fait mal, peut attester la reporter).

Survient une autre forme d’agitation, devant la bande-annonce des partenaires du festival. La musique s’accélère, les clameurs redoublent, quand tout à coup, un lapin blanc fait intrusion dans l’image, et suscite l’exaltation du public. Depuis qu’un mammifère à pelage doux et à dents chouettes s’est incrusté dans une bande-annonce, lors d’une édition précédente, le public annecien s’est pris d’affection pour la bonne bête. Depuis ce jour, dès qu’un lapin apparaît, en guise de clin d’œil, à l’écran, l’enthousiasme s’installe dans la salle.

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© KB

Le lapin occupe une telle place dans la localité du fromage chaud déclinable (fondue/raclette) qu’il est impossible de rester passif devant une sale affaire, survenue en plein festival. Cette année, un doudou à grandes oreilles a été retrouvé, tout seul, et rapporté au Bureau des Pleurs. Étonnamment, les parents de la propriétaire ont pris le soin d’inscrire le prénom et le nom de leur fille sur les oreilles du doudou. Sans succès, un bénévole a contacté toutes les familles homonymes de la région pour restituer la peluche. Une de ses collègues en fait une affaire personnelle. Étant mère, elle connait bien l’importance du doudou : “il y a une petite fille toute triste en ville. Un doudou, on y est attaché, ça ne se remplace pas. C’est personnel, c’est sale, et ça pue.”.

Katia Bayer

Lien associé : Annecy, les quelques photos

Short Film Depot. Entre utilisateurs et festivals

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Depuis 2005, le site Short Film Depot, créé par l’association Sauve Qui Peut le Court Métrage (liée au Festival de Clermont-Ferrand), offre, aux réalisateurs, producteurs, distributeurs, organismes, écoles, etc, la possibilité d’inscrire gratuitement leurs films dans les principaux festivals du monde entier, au moyen d’un formulaire unique, et d’un compte personnel. Avec ce système d’inscriptions en ligne, les données sont sauvegardées une fois pour toutes, pour tout film enregistré. Régulièrement, chaque utilisateur reçoit des messages d’alertes, en fonction du calendrier des festivals, et de la spécificité du film inscrit.

Le site est également ouvert aux festivals présentant au moins une section consacrée au court métrage. Moyennant 1.000 €, chaque festival adhérent dispose d’un outil d’administration en ligne auquel il accède directement pour optimiser la gestion de ses inscriptions. 26 festivals internationaux, partageant les valeurs de la Conférence Internationale du Court Métrage, sont d’ores et déjà membres du réseau Shortfilmdepot.

Pour plus d’informations : www.shortfilmdepot.com

Dans le fief du tapis rouge, du téton à l’air, et de la paillette à gogo…

C’est l’été. On ne va pas vous recommander de porter un bermuda violet, de vous lancer dans un régime à base de soupes, de lire le dernier Marc Levy, ou d’arrêter les lardons. Même si vous êtes en tongs, et dans vos valises, on vous reparle de Cannes, bien que le festival ait éteint ses lampions depuis sacrée lurette.

Dans le fief du tapis rouge, du téton à l’air, et de la paillette à gogo, vous disposez du loisir d’en savoir plus sur le sentiment de liberté éprouvé à la Fémis, de découvrir comment le skate-board peut mener au cinéma, de vous imprégner d’Islande et de de films personnels, d’approcher la Cinéfondation et son amitié pour les films d’école, de vous débarrasser de vos préjugés liés à la chasse, d’être séduits par un univers gémellaire animé et musical, de vous laisser guider dans l’alphabet, ou encore de vous replier sur les DVD de la Quinzaine des Réalisateurs et de la Semaine de la Critique.

Envie de légèreté ? C’est possible, avec notre clip (voir ci-dessus), le journal de petite taille, et le reportage photo rapportés de Cannes. Nos invités ? Sandrine Kiberlain, Penélope Cruz, les glaces en boules, et les chaises pliantes. Si cela ne vous suffit pas, présentez un nouveau venu à votre garde-robe, dites-vous que les légumes sont vos amis, passez à la librairie, et recommencez les lardons.

Prochaine destination, prochain Focus : Annecy

Katia Bayer
Rédactrice en chef

Ébullition de Anne Toussaint et Khalid Saadi

Entre les murs

Présenté à l’ACID, cette année à Cannes, « Ébullition » est le troisième temps d’un film plus large intitulé « Fragments d’une rencontre ». Réalisée par Anne Toussaint, « Ébullition » prend les formes du documentaire pour capter deux moments de la réalisation de « Sirine », un film réalisé « entre les murs »  par Khalid Saadi.

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Étrange et belle histoire que « Fragments d’une rencontre » : pendant deux ans, des étudiants de Sciences Politiques, à Paris, sont allés à la Prison de la Santé rencontrer des détenus et tourner avec eux des films dans le cadre d’un atelier, « En quête d’autres regards », dirigé par Anne Toussaint. En est né ce film qui se compose de quatre diptyques (« Rue des plaisirs », « Ébullition », « Le cadre d’Anna », « Projections »). Chaque fois, Anne Toussaint documente la genèse d’un film que l’atelier va réaliser – ce qui est en jeu et en question dans ce projet. Puis, le film lui-même nous est donné à voir une fois réalisé. Là, dans cette marge, dans cet écart entre un projet et sa réalisation, se jouent tous les silences, les imaginaires, les possibles qui sont à l’œuvre dans l’acte de créer. Tour à tour, les regards se confrontent autour des images, qu’elles soient à produire, à penser ou encore à mettre à l’épreuve. En allant et venant entre filmeurs, filmés et films, Anne Toussaint tourne une sorte de carrousel des regards où des subjectivités, et des imaginaires se heurtent, se confrontent, se croisent pour venir, finalement, se concrétiser sous nos yeux. L’enjeu de la rencontre surgit dans la confrontation entre l’intérieur et l’extérieur, dans la marge, le hors champ. Dans ce troisième fragment que constitue « Ébullition », l’ailleurs, l’extérieur que ces jeunes gens amènent dans les murs de la prison est mis à l’épreuve – ce moment où quelque chose s’éprouve. Face à un homme enfermé qui récuse cette peine comme une absurdité, comment se positionner, quand on est la future élite politique d’une démocratie ? Et peu à peu, le film de Khalid Saadi dégage, quant à lui, un horizon inatteignable, l’impossible projection hors des murs.

De quelle manière métaphoriser un sentiment d’oppression à l’écran ? L’idée de Khalid Saadi est de filmer de l’eau qui bout. Prendre une image au pied de la lettre donc, car c’est en lui que ça bout.Oui, mais dans quel récipient filmer cette eau qui bouillonne ? Pour les étudiants qui l’accompagnent dans la réalisation du film, la cocotte minute  – et sa soupape – ferait l’affaire. Pour lui, non. Dans l’immobilité de ce qu’il vit, dans ce temps mort qui est le sien, il n’y a pas de soupape. S’engage alors une discussion où Khalid débat et se débat –  et c’est tout son corps qui se débat, bouge, cherche à s’échapper, sa voix qui monte et ne lâche pas prise. Sous nos yeux, se rejoue justement ce drame intime de l’enfermement, de l’incommunicable, de l’incompréhension quand il est pris peu à peu comme une mouche dans la toile de leurs propos et qu’il lutte, pourtant. Dans un second temps, une autre discussion s’engage au moment du montage du film, où se questionne, à partir de l’enfermement de Khalid, la validité de la métaphore qu’il a employé (et se repose sans cesse cette question de la validité d’une image : qu’y a-t-il donc à discuter autour de ces images, sinon leur justesse, puisque qu’il n’y a là qu’une subjectivité qui cherche à métaphoriser un ressenti… ?). La discussion peu à peu débouche sur une autre question, celle de la légitimité de la peine carcérale. La caméra d’Anne Toussaint va et vient d’un visage à l’autre, d’une parole à l’autre, où Khalid, encore s’énerve, se bat et se débat, prisonnier de ce qu’on veut lui faire dire. Au fil de cette discussion sur la peine carcérale et les petites soupapes que l’institution croit lui donner au travers d’un ventilateur ou d’une télévision, il revient à ce que serait pour lui une véritable échappatoire : une voie vers l’extérieur, une possibilité de se projeter dans un avenir au dehors. Et la véritable souffrance qui le traverse, semble là, dans cet extérieur impossible à atteindre, vers où il n’y a pas de voie, et les élèves venus d’ailleurs, justement, avec leurs incompréhensions, en sont, au final, une bonne illustration. Mais cette rencontre, pourtant, gît là : dans cette confrontation des regards, dans cette caméra qui le filme et qui l’ouvre, justement à l’extérieur, dans la projection des films eux-mêmes, dans la rencontre avec le spectateur.

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À la suite d’ « Ébullition », vient « Sirine », long plan fixe d’une eau qui bout. Tout d’abord calme et claire, montée avec des bruits de la mer, l’image, tout à coup s’obscurcit tandis que le son d’une porte claque. Alors l’eau commence à bouillir, tout doucement, tandis qu’une voix égrène « promenade, douche, gamelle ». Et tandis que l’eau bout de plus en plus, s’agite et se démène, son bruit d’ébullition peu à peu recouvre la litanie des mots. Et le film, brusquement s’arrête. Sans issue. La beauté de « Sirine », qui peu à peu, nous oppresse dans l’attente d’un quelque chose qui n’arrive pas, est dans la force, la lisibilité et la simplicité de sa métaphore. Elle prend tout son impact à la suite des propos de Khalid Saadi : « ça pète ensuite dehors ». « Ébullition », loin d’être un film d’atelier, un film d’éducation à l’image ou encore une bonne action, est un film politique. À bon entendeur.

Anne Feuillère

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E comme Ébullition

Fiche technique

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Synopsis : Durant une année, des étudiants en sciences politiques sont venus chaque semaine à la prison de la Santé travailler avec le groupe de l’atelier « En quête d’autres regards ». Ensemble ils ont regardé des images et éprouvé l’acte de filmer. Ébullition est un moment particulier de cette rencontre.

Genre : Documentaire

Durée : 12’

Pays : France

Année : 2005

Réalisation : Anne Toussaint, et Khalid Saadi, avec les membres de l’atelier cinéma “En quête d’autres regards” de la prison Paris La Santé

Production : Les Yeux de l’Ouïe

Article associé : la critique du film

PISAF : Appel à candidatures

Le PISAF (Puchon International Student Animation Festival) célèbre du 6 au 10 novembre 2008 sa 11ème édition dans la ville de Bucheon, en Corée du Sud. Depuis 1999, le Festival s’intéresse aux films d’étudiants en animation, et contribue à la découverte de nouveaux réalisateurs et de nouvelles tendances en animation.

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Dans le cadre de la programmation de sa 11ème édition, le Festival lance un double appel à candidatures :

– « Short Animated Film » : ouvert aux films d’animation d’une durée inférieure à 30 minutes
–  « New Media Content » : ouvert aux spots internet ou mobiles, aux vidéos ou aux animations interactives (durée : environ 1 minute)

Conditions : Les films-candidats doivent être des films d’étudiants, et doivent avoir été achevés après novembre 2007.

Le formulaire d’inscription est téléchargeable sur le site du Festival : www.pisaf.or.kr

Date limite des inscriptions : 16 septembre 2009

Annecy, les quelques photos

Après Cannes, voici les images rapportées d’Annecy. Solitaires ou regroupées, elles croquent :

* Les interviewés de notre Focus : Hanna Heilborn, réalisatrice suédoise de « Slavar », Prix Unicef et Cristal d’Annecy, et Izù Troin (chemise grise), réalisateur du « Bûcheron des mots »

* Un aperçu de la vieille ville, et du Bureau des plaintes/pleurs

* Des stands du MIFA (le Marché du film), et des figurines de l’expo “Panique au Village”, en lien avec le film de Patar et Aubier

* Des invités du festival : Peter Sohn, réalisateur de « Partly Cloudy » (le dernier court de Pixar), et les deux lauréats ex æquo du Cristal du long métrage, Adam Elliot (réalisateur, à lunettes, de « Harvie Krumpet », et de « Mary & Max »), et Henri Selick (réalisateur de « James et la Grosse Pêche », et de « Coraline »)

* Et pour l’insolite, un cheval déshydraté à la terrasse des Deux Avenues, et un doudou-lapin égaré en plein centre Beaulieu

https://www.flickr.com/photos/cannes-formatcourt/sets/72157621945330872/

Article associé : Le Petit Journal d’Annecy

Codswallop de Myles et Greg Mc Leod

Where’s Wally ?

Chaque pays possède apparemment ses frères déjantés du cinéma. Aux États-Unis, les frères Coen, en Belgique, les frères Malandrin, et en Grande-Bretagne ? Les frères Mc Leod. Myles et Greg n’ont pas leur stylo dans leur poche, et leur dernier court métrage animé de moins de quatre minutes, intitulé « Codswallop », nous transporte immédiatement dans un univers personnel plus qu’étrange.

Codswallop ? Avec leurs têtes un peu hirsutes, leurs barbes, et leur petit air de mauvais garçons, on aurait pu penser que les frères Mc Leod avaient choisi pour titre une injure anglaise intraduisible. Il n’en est rien. Codswallop, signifie « bobards » ou encore « absurdités », « n’importe quoi » ! Mais « codswallop », avec son air de pas grand-chose, est loin d’être n’importe quoi justement !

À première vue, des vignettes défilent sur l’écran, deux par deux, et montrent de petites scènes humoristiques de quelques secondes sans véritables liens entre elles. Ici, une chouette inquiète et trop bavarde, là, un lapin joyeux à pois et grandes oreilles, là-bas, un cycliste pourvu de quelque huit paires d’yeux. Leurs propos ? Cela va de réflexions shakespeariennes, « Always ask questions – Don’t look for answers » [Posez toujours des questions. – Ne cherchez pas de réponses] à des préoccupations culinaires de la plus haute importance du genre «  I think I’ll cook pea and bean risotto tonight » [Je pense que je vais cuisiner des petits pois et du risotto aux haricots ce soir].

À y regarder de plus près, ce très court métrage qui semble un charmant fourre-tout cache pourtant une cohérence grâce à des liens ténus visuels ou sonores qui organisent ce petit monde joliment poétique et joyeusement fantasque. Le héros d’une des scènes se retrouve en photo en arrière-plan à un autre moment, le décor de fond d’une vignette devient le carrelage d’une autre, deux chapeaux sauteurs traversent l’image à divers moments…et l’on s’amuse à chercher les indices d’une scène à l’autre, comme dans les jeux de notre enfance, comme dans le fameux « Où est Charlie ? ». C’est drôle et sophistiqué, c’est joli et joyeux, c’est donc rare et précieux.

Sarah Pialeprat

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C comme Codswallop

Fiche technique

Synopsis : Une série de personnages étranges à des moments cruciaux de leur histoire, dont on a un bref aperçu.

Genre : Animation

Durée : 3’40’’

Pays : Royaume-Uni

Année : 2008

Réalisation : Greg McLeod, Myles McLeod

Scénario : Greg McLeod

Graphisme : Greg McLeod

Storyboard : Greg McLeod

Layout : Greg McLeod

Décor : Greg McLeod

Animation : Greg McLeod

Son : Greg McLeod

Montage : Greg McLeod

Compositing : Greg McLeod

Musique : Myles McLeod

Voix : Greg McLeod, Myles McLeod, Lucy McLeod, Louis McLeod

Production : Greg McLeod, Myles McLeod

Article associé : la critique du film

Fantoche : la sélection internationale

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Du 8 au 13 septembre 2009, Fantoche, le Festival International du Cinéma d’Animation de Baden (Suisse), vivra sa septième édition. 39 œuvres, déclinées en cinq programmes, ont été retenues pour la compétition internationale. Cette année, le jury est constitué de cinéastes d’animation, d’artistes et de producteurs : Abi Feijó (Portugal), Lauri Faggioni et Caroline Leaf (États-Unis), Thomas Ott (Suisse) et Tatia Rosenthal (Israël). De son côté, le public est également en mesure de désigner son film préféré.

Programme 1

Staty tverdym, de Stepan Koval (Ukraine)
Lost and Found, de Philip Hunt (Grande-Bretagne)
Slavar, de Hanna Heilborn et David Aronowitsch (Suède)
The Royal Nightmare, d’Alex Budovsky (États-Unis)
Dar khane-ye ma, de Maryam Kashkoolinia (Iran)

Programme 2

Muto, de Blu (IT)
Please Say Something, de David OReilly (Allemagne)
Tôt ou tard, de Jadwiga Kowalska (Suisse)
Bing & José, de Yi Zhao (Pays-Bas)
Öhus, de Martinus Klemet (Estonie)
Jaulas, de Juan José Medina (Mexique)
Mission, de Ramil Usmanov (Kazakhstan)
Lidingöligan, de Maja Lindström (Suède)

Programme 3

Dialogos, de Ülo Pikkov, (Estonie)
The Heart of Amos Klein, de Michal Kranot, Uri Kranot (Israël, France, Pays-Bas, Danemark)
Souiu Megane, de Atsushi Wada (Japon)
Walzerkönig, d’Adnan Popovic (Autriche)
Noteboek, d’Evelien Lohbeck (Pays-Bas)
Malchik, de Dmitry Geller (Russie)
Drux Flux, de Theodore Ushev (Canada)
Passeio de domingo, de José M. Ribeiro (Portugal, Pays-Bas, Belgique, France)

Programme 4

Der Da Vinci Timecode, de Gil Alkabetz (Allemagne)
Refreny, de Wiola Sowa (Pologne)
Raah, de Sanjay Jangir (Inde)
Poznija gosci, de Yulia Ruditskaya (Bielorussie/Russie)
Bamiyan, de Patrick Pleutin (France)
The Control Master, de Run Wrake (Grande-Bretagne)
Rybka, de Sergei Ryabov (Russie)
Chainsaw, de Dennis Tupicoff (Australie)

Programme 5

Lögner, de Jonas Odell (Suède)
Western Spaghetti, de PES (États-Unis)
Kurzes Leben, de J. Freise, D. Šuljić (Autriche, Allemagne)
Madame Tutli-Putli, de Chris Lavis, Maciek Szczerbowski (Canada)
Il gioco del silenzio, de Virginia Mori (Italie)
Ezurbeltzak, una fosa común, d’Izibene Oñederra (Espagne)
Lucia, de Cristóbal Leon, Joaquín Cociña et Niles Atallah (Chili)
On i ona, de Maria Mouat (Russie)
Sparni un airi, de Vladimir Leschiov (Lettonie)
Retouches, de Georges Schwizgebel (Suisse, Canada)

Le site du festival : www.fantoche.ch

Short is Big

Même si le festival d’Annecy compte de plus en plus de longs métrages dans sa sélection officielle (9 films retenus sur 45, cette année), la plateforme incontournable de l’animation reste très attachée à la forme courte. Projetés pendant la deuxième semaine de juin, les programmes courts contribuent, pour beaucoup, à la vitalité et au dynamisme de l’événement. Même “petits”, ils font preuve d’originalité et d’inventivité, et attirent l’œil  pour la qualité et la richesse de leur animation, de leur histoire, et de leur univers graphique.

Dans cette 33ème proposition d’images en mouvement, la version courte s’affiche un peu partout : dans les programmes de courts métrages, de films de fin d’études, de télévision, et de commande, comme dans les cartes blanches (offertes à l’Allemagne et au réalisateur Jean-Pierre Jeunet), les voyages sur la lune, les films de danse, ceux au service de l’écologie, et ceux qui n’ont que faire du politiquement correct. Si la variété s’invite dans les programmes, elle s’insère aussi dans les techniques utilisées (dessin sur papier, sur cellulos, ordinateur 2D/3D, éléments découpés, pâte à modeler, marionnettes, animation d’objets, pixillation, prises de vues réelles, …).

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Partly Cloudy

Quant aux histoires, certaines sont des purs instantanés de comédies, tandis que d’autres s’aventurent dans des registres émotionnels, documentaires, musicaux, et même trash. L’humour subtil, par exemple, se reconnait dans plusieurs titres : la recette inédite de pâtes, « Western Spaghetti », concoctée par l’américain Pes, récompensée du Prix du Public; « Codswallop », une succession de dias absurdes et de personnages anglais curieux, en proie à des questions existentielles, croquée par les frères Mc Leod; « About love », l’étude scientifique d’une attirance entre aimants, menée par l’italien Giacomo Agnetti; « Sagan om den lille dockpojken », un conte jubilatoire “très long et très compliqué” animé par le suédois Johannes Nyholm; « Partly Cloudy », la dernière production des studios Pixar, qui répond à la terrible question “d’où viennent les bébés ?” par l’entremise de son réalisateur, Peter Sohn. Enfin, du côté de l’Argentine, « El empleo » de Santiago Grasso, s’impose. Le lauréat du prix Fipresci, mêle subtilement passivité du quotidien, individus-objets, et sobriété du dessin.

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Zachte Planten

Délivrées dans des films très personnels, les émotions, elles, se déclinent dans quelques films de fin d’études, de façon touchante et poétique : du côté belge, « Milovan Circus », de Gerlando Infuso, livre le récit en volume, d’un mime de rue en proie au rejet, à la solitude et à la vieillesse, et « Zachte planten », de Emma De Swaef, offre une balade tout en douceur et en laine, à dos de mouton. « Volgens de vogels », de la hollandaise Linda Faas, accompagne le réveil de petits animaux des bois, alors que « Homeland », de Juan de Dios Marfil Atienza, illustré en République tchèque, réunit une petite madame et un curieux bonhomme à une main.

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Autres images remarquées, celles relatives au documentaire animé, avec trois courts métrages en lien avec des faits réels. « Q&A », des américains Tim et Mike Rauch, traite de la relation entre un adolescent atteint du Syndrome d’Asperger et sa mère. « Lögner », du suédois Jonas Odell, se compose de trois enregistrements de mensonges, appuyés par des graphismes très différents, d’une histoire à l’autre. « Slavar », des suédois Hanna Heilborn et David Aronowitsch, récompensé du Prix Unicef et du Cristal du court métrage, livre un témoignage grave et sobre, celui de deux enfants soudanais, revenant sur leur passé d’esclaves. En réalité, le recours au documentaire animé n’est pas une première pour les deux réalisateurs : leur premier film, « Gömd », reposait sur l’interview d’un adolescent péruvien vivant dans l’illégalité en Suède.

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Je criais contre la vie. Ou pour elle

Comme dans toutes les formes de cinéma, en animation, le son est crucial, raison pour laquelle les réalisateurs, actuels ou en devenir, soignent tout particulièrement leur bande sonore, et que leurs films sont autant ”écoutés” que ”vus”. Des noms ? « Jazzed » du belge Anton Setola, « Le bûcheron des mots » du français Izù Troin, « Runaway »  du canadien Cordell Barker, récompensé du Prix spécial du Jury, « Le piano du chat » des américains Eddie White et Ari Gibson, « Je criais contre la vie. Ou pour elle » de la française Vergine Keaton, ou « Chick » du polonais Michal Socha, gratifié du Prix Sacem de la musique originale.

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Chainsaw Maid

Enfin, le goût pour le subversif, le controversé, et le dérangeant, semble plus populaire que jamais dans “La Venise des Alpes”, avec un programme plutôt politiquement incorrect, et pas moins de quatre films très peu conformistes en compétition. Avec « Chainsaw Maid » de Takena Nagao (Japon), « I Live in the Woods » de Max Winston (USA), « Syötti » de Tomi Malakias (Finlande), et « Touchdown of the dead » de Marc-Antoine Deleplanque, Hubert Seynave, Pierre Mousquet (Belgique), le festival rend hommage aux zombies sans éducation, aux affrontements gore, au dépassement des limites, et aux sujets tellement triviaux qu’ils en deviennent cocasses. Tout n’est pas rose et lisse dans les sphères de l’animation. Que ça plaise ou choque, le trash est bien décidé à rester et à profiter de la liberté offerte par le genre. Short is big, short is free, short is varied.

Katia Bayer

Festival d’Annecy 2009

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La 33ème édition du Festival d’Annecy, la référence mondiale de la création animée, a eu lieu du 8 au 13 juin. Le temps d’une semaine ludique, une variété de rencontres et de propositions d’images en mouvement s’est déployée dans la  »Venise des Alpes » : conférences, cartes blanches, voyages sur la lune, films de danse, programmes politiquement incorrects, expositions, making of, appels à projets, rétrospectives, animation citoyenne, films sur la lutte contre le sida, … . Sans oublier les traditionnelles séances de longs métrages, et les programmes de courts métrages, de films de fin d’études, de télévision, et de commande.

Cette année, Format Court était invité à Annecy pour faire partie du Jury Fipresci (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique), se balader dans la vieille ville, enchaîner les séances de courts métrages et de films d’écoles, dire des bêtises autour d’une fondue, chausser des lunettes 3D, et compter le nombre de pin’s sur les sacs d’accrédités.

Retrouvez dans ce Focus :

Rúnar Rúnarsson : “J’ai vécu les pires moments de ma vie à cause du cinéma”

Son premier court, « The Last Farm » a été nominé pour les Oscars en 2006, le suivant, « Smáfuglar » a concouru pour la Palme du court métrage en 2008, et le dernier, « Anna », a été présenté, cette année, à la Quinzaine des Réalisateurs. Quand Rúnar Rúnarsson ne se balade pas du côté de Los Angeles et de Cannes, il sillonne l’Islande et le Danemark. Ce grand cinéaste, auteur de films personnels, fraichement sorti de l’école, s’intéresse aux comédiens non professionnels, aux périodes de transition, et au passage à l’âge adulte.

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As-tu des souvenirs de films que tu as vu, enfant ou adolescent ?

Oui, bien sûr. J’ai vécu les pires moments de ma vie à cause du cinéma. J’ai été complètement bouleversé par « Lassie Come Home », dans lequel Lassie se perdait à la campagne. Ayant grandi dans un coin où on devait chasser ou pêcher tout ce qu’on mangeait, je me disais que Lassie ne survivrait jamais tout seul. Après avoir vu le film, j’ai fait des cauchemars pendant au moins deux semaines !

Quel âge avais-tu ?

Cinq, six ans. L’autre mauvaise expérience cinématographique a été « Elephant Man » de David Lynch, qui m’a montré à quel point le monde était cruel, et à quel point les gens pouvaient être dégoûtants et intolérants. En Islande, il n’y avait qu’une seule chaîne de télévision jusqu’en 1986, on en profitait donc pour voir un maximum de films, de tous genres. Comme c’était une chaîne de l’Etat, il n’y avait pas que des films américains. Très jeune, je me suis retrouvé devant des films de Kaurismäki, et des documentaires.

T’es-tu tourné vers les salles, puisqu’il n’y avait qu’une seule chaîne de télévision ?

Oui. En Islande, on est 300.000 habitants, mais il y a à peu près 3 millions de tickets de cinéma vendus par an. Ma sœur aînée m’emmenait voir des James Bond, mais aussi des films alternatifs. Je ne me souviens pas à quel âge j’ai vu « Subway » de Luc Besson, mais ça a été une nouvelle expérience pour moi.

Plus de cauchemars ?

Non !

Certains réalisateurs ont vu deux ou trois films qui ont laissé une telle empreinte qu’ils ont su dès lors qu’ils ne voulaient faire que du cinéma. Ça été pareil pour toi, ou c’est venu plus tard ?

Un peu plus tard. Avant de m’intéresser complètement aux films, j’ai écrit des poèmes et des nouvelles, peint, fait de la photographie, et même de la musique. Je cherchais vraiment à m’exprimer. Vers l’âge de 16 ans, tout à fait par hasard, j’ai fait un film avec un ami, et j’ai senti pour la première fois que je contrôlais mon expression. C’était un sentiment très agréable.

Quel était le sujet de ce premier film ?

Cela s’appelait « Toilet Cultures ». Le film présentait, en une douzaine de minutes, des fragments de vies qui prenaient place dans des toilettes publiques. Chaque fragment était relié à une histoire et à une émotion. C’était assez statique et assez simple.

Ton ami a-t-il continué à faire des films, par la suite ?

Oui. On a fait quelques films ensemble, et puis on s’est séparés. Grimur Hakonarson est assez connu maintenant. Il a fait des courts, dont le plus connu est « Braedrabylta » (« Wrestling ») [une histoire d’homosexualité sur fond de lutte]. Il travaille actuellement sur un long métrage.

Tu étudies le cinéma au Danemark, à la Danske Filmskole. Pourquoi ne pas être resté en Islande ?

En Islande, il y a très peu de choix pour faire de telles études, et l’école nationale n’est pas terrible. Comme l’Islande a été colonisée par les Danois jusqu’en 1944, des liens puissants existent entre les deux pays ; du coup, j’ai bénéficié d’un enseignement gratuit au Danemark. La Danske Filmskole (The National Film School of Denmark) est une des plus riches écoles du secteur : elle propose beaucoup de filières et d’exercices, on y produit beaucoup de films, tous tournés en pellicule. C’est un lieu d’apprentissage formidable. Pendant des années, j’ai pu y tester des choses intéressantes.

Parallèlement à cette formation, tu as pourtant fait des films à côté, « The Last Farm », et « Smáfuglar »…

Oui. C’est important, pour moi, de développer des projets propres, en parallèle. En 2004, j’ai fait « The Last Farm », avant de m’inscrire à l’école. Quant à « Smáfuglar », mon avant-dernier film, il a été tourné, pendant l’été, et monté pendant le weekend.

Pourquoi avoir opté pour la réalisation ?

C’était tout simplement quelque chose que je devais faire. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais eu le cancer ou des hémorroïdes… Je suis un réalisateur narcissique. Je parle invariablement de moi, de mes émotions, ou de mon regard sur les personnes que j’aime, et leurs situations. Chaque scénario que j’écris, chaque film que je fais, est extrêmement personnel. C’est drôle, car les personnages principaux de mes films ne sont vraiment pas des personnes proches de moi, aujourd’hui, que ce soit des jeunes (« Smáfuglar », « Anna ») ou une personne âgée (« The Last Farm »).

« Smáfuglar » et « Anna » se suivent dans ta filmographie. Même si ils sont très différents, ce sont, tous deux, des films traitant de la jeunesse, et du passage à la maturité.

Oui. La jeunesse m’interpelle. Les deux films traitent du passage à l’âge adulte, mais de différentes façons. L’un suit un adolescent en train de devenir un homme, l’autre observe une pré-ado en train de devenir une adolescente.

As-tu été inspiré, en faisant « Smáfuglar », de souvenirs de ton adolescence ?

Oui. J’étais très timide avec les filles, et j’allais à des fêtes très étranges. Même si le viol, à la fin du film ne m’est pas personnellement arrivé, beaucoup de personnes l’ont subi, y compris de nombreuses jeunes femmes de ma connaissance. L’Islande est un pays qui peut être très brutal. Les gens commencent à boire, et à se droguer très tôt, et des actes très graves ont lieu.

Ton cinéma est traversé par la question du choix, et la confrontation au changement. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce moment particulier où tout peut changer dans la vie d’une personne ?

Ce sentiment de se trouver au bord d’une falaise, et d’avoir à atteindre la prochaine falaise. Quand un personnage doit prendre une décision importante ou est forcé d’agir, pour le meilleur ou pour le pire, il opère de grands changements dans sa vie. Ce n’est pas que fictionnel. Nous devons tous passer par cette période de transition.

Ton intérêt pour la transition pourrait-il expliquer celui que tu portes pour l’adolescence ?

Oui. C’est une période, où tout peut réellement changer. Dans « Anna » et « Smáfuglar », les personnages sont naïfs, purs, et innocents, et sont confrontés à un contraste violent, très négatif, pour eux. Pour s’en sortir, ils sont forcés de mûrir, et de passer à l’âge adulte.

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Le contraste se situe ailleurs dans tes films, notamment par rapport à l’image. Tu privilégies la lumière naturelle dans des histoires obscures. Quel est ton rapport avec ta directrice photo, Sophia Olsson ?

Sophia est dans la même année que moi, à l’école. On a beaucoup travaillé ensemble, sur des exercices et des films communs, et on a évolué lentement, de concert. Avec le temps, notre dialogue s’est de plus en plus réduit, parce que notre connaissance et notre  compréhension mutuelles se sont approfondies. Je me sens vraiment privilégié d’avoir trouvé ce chef opérateur, qui va me suivre pour le reste de ma vie. Elle me comprend, et je la comprends.

Pourquoi travailles-tu avec des acteurs non professionnels ?

La plupart de mes films, à l’école, intégrait des comédiens confirmés, mais quand j’ai dû trouver des enfants ou des adolescents pour les rôles principaux de mes films, il n’y avait pas tellement de choix, parmi les acteurs existants. Naturellement, je me suis tourné vers les non professionnels. Pour dénicher les bons acteurs, j’ai essayé, à chaque fois, de vivre des séances  de casting intensives. La jeune fille de « Anna » n’avait jamais joué, à l’époque où je l’ai trouvée, mais elle avait quelque chose. À cet âge-là, soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas. Même chose pour « Smáfuglar » : environ 150 jeunes gens se sont présentés au casting, et celui qui a été retenu, était l’un des derniers, mais je savais qu’il était fait pour le rôle.

Qu’entends-tu par intensif ?

C’est une chose de jouer face à moi, et une autre de jouer face à la caméra. Les enfants inexpérimentés, il faut les pousser, et tester leurs limites et leur potentiel. Dans cet esprit, au moment du casting de « Smáfuglar », j’ai joué la dernière scène avec eux, en interprétant le rôle de la jeune fille. Le casting avait lieu dans un très grand espace, d’environ 1000 m². J’ai demandé à des garçons de 14 ans de s’allonger à côté de moi, à seulement quelques centimètres d’écart, et d’exprimer des émotions. Celui que j’ai retenu, Atli Óskar Fjalarsson, y est parvenu, malgré la foule, les micros, et la caméra. Il était non seulement bon, mais également suffisamment fort, pour surmonter ce qui l’entourait.

Tes films sont islandais, le dernier est danois. Est-ce difficile de faire des films en Islande ?

Il est toujours difficile de travailler en tant que réalisateur, où que vous soyez. Le cinéma islandais est assez jeune, la Commission du film est établie depuis seulement quelques années, et elle concerne une petite communauté de professionnels. Tout le monde rencontre des difficultés, mais les gens n’hésitent pas à s’entraider. Tout ce que Grimur Hakonarson et moi, avons fait, ensemble comme séparément, est due à la bonne volonté des gens.

Envisages-tu de poursuivre dans le court ou es-tu tenté par le long ?

Je prévois de faire mon premier long métrage l’été prochain, mais je souhaite continuer à faire des courts métrages. Si l’on compare le long au roman, et le court à une nouvelle ou un poème, rien n’empêche, si on commence à écrire un roman, l’écriture d’un poème ou d’un récit court. Il y a toujours un ou deux ans entre les longs métrages, si on a de la chance, et moi, je ne suis ni intéressé par les publicités débiles ni par les séries télévisées.

Quel est le sujet de ce long métrage ?

C’est l’histoire d’un homme pensionné qui a du mal à exprimer ses émotions, et qui est un étranger dans sa propre famille. À sa manière, c’est à nouveau une histoire de passage à l’âge adulte, et un film très personnel.

Est-ce que la longueur d’ « Anna », ton film de fin d’études (35 minutes), est une forme d’exercice au long ?

Non. La durée est liée à une condition exigée par l’école : faire un film de 28.5 min, soit un créneau TV. J’ai fait un 35 minutes, parce chaque histoire a sa propre longueur, et qu’on ne la décide pas d’avance.

L’année dernière, tu es venu à Cannes, présenter « Smáfuglar », en Sélection officielle. Cette année, « Anna » a été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. Les deux sections diffèrent-elles ?

Chacune soutient le court métrage, avec des nuances. La Sélection officielle accepte des films d’une durée maximale de 15 minutes. « Smáfuglar » a pu y accéder, « Anna », pas. On est très limité avec un film de 35 minutes dans le circuit des festivals. Il y a beaucoup de festivals pour les film plus courts, mais peu d’options pour ceux de 35 minutes. Raison pour laquelle la sélection et la plateforme de la Quinzaine des Réalisateurs ont été fantastiques.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Adi Chesson

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A comme Anna

Fiche technique

Synopsis : Anna est une petite fille de douze ans qui vit dans un petit village de pêcheurs. Elle est à un tournant de sa vie. Le monde qui l’entoure est en train de changer – et elle aussi.

Genre : Fiction

Durée : 35’

Pays : Danemark

Année : 2009

Réalisation : Rúnar Rúnarsson

Scénario : Rúnar Rúnarsson

Images : Sophia Olsson

Son : Sylvester Holm

Décor : Mathilde Christiansen

Montage : Jacob Schulsinger

Interprétation : Marie Hammer Boda, Daniel Stampe, Petrine Agger

Production : The National Film School of Denmark

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