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Fuga de Juan Antonio Espigares

En octobre dernier, Format Court envoyait une petite équipe de rédacteurs au dixième festival Court Métrange de Rennes afin de remettre, pour la troisième année consécutive, son prix spécial (Prix Format Court). Au cœur d’une sélection relevée, notre choix s’était alors porté unanimement sur « Fuga » (« Fuite » en français), premier film d’animation de l’Espagnol Juan Antonio Espigares. Racontant l’arrivée d’une jeune fille au pensionnat d’un conservatoire de musique, le film mélange de façon subtile les effets d’animations 3D et 2D et la prise de vue réelle dans un conte symphonique de toute beauté où fantasmes et réalités se confondent dans un jeu de perception visuelle et musicale particulièrement saisissant.

Dès la scène d’ouverture, le climat se pose. Dans un décor en 3D qui évoque à la fois le fond d’un puits d’où s’élève un arbre étrange et gigantesque et les fantastiques univers parallèles de Lewis Caroll, on découvre la silhouette affalée d’une jeune fille qui semble venir d’achever sa chute. À mesure que la caméra s’approche du corps inerte, on est frappé par la puissance musicale du film. L’orchestre philarmonique de Malaga et la musique composée par Arturo Diez Boscovich illustre alors dans un mouvement d’intensité dramatique éclatant l’instant où les membres de la jeune fille se fendent et explosent dans un cri de douleur retentissant. Pas de doute, le film est fantastique, jouant d’emblée avec les codes musicaux et la réalisation des films d’angoisse.

Mais passé l’ouverture, le plus fantastique dans « Fuga » est encore à venir. Dans la scène suivante, on retrouve la jeune fille, cette fois-ci en un seul morceau, assise dans la voiture qui l’amène au pensionnat du conservatoire. Accompagnée de sa mère, elle est accueillie par deux personnages en costumes religieux. Dès cette séquence, « Fuga » révèle la force de son procédé technique et artistique. Par un habile mélange de techniques d’animation, Juan Antonio Espiagares crée de troublants tableaux où se différencient graphiquement ce que les personnages ressentent comme partie intérieure de leur monde, et ce qu’ils perçoivent comme leur étant extérieur.

FUGA

Perceptions intimes, alors que la 3D sert le point de vue subjectif du personnage pour définir ce qu’il est, des effets de crayonnages en 2D servent à décrire ce qui est inconnu pour lui. L’entrée dans le bâtiment et la découverte de celui-ci permet alors au réalisateur de pousser ce processus de différenciation subjective à son paroxysme pour une visite du pensionnat où seule la jeune fille apparaît en 3D, alors que tout le reste est animé par des teintes et des courbes crayonnées, à la fois sombres et inquiétantes.

Le scénario déroule alors son fil dans cette approche graphique originale, et on découvre très vite la rapide rivalité qui naît entre la jeune fille et une autre pensionnaire du conservatoire autour de leur virtuosité au violon. Avec ce nouveau personnage, apparaît aussi une nouvelle subjectivité. Reprenant le même procédé d’images mixtes 2D et 3D, ce qui est ressenti par les deux jeunes filles, se manifeste tour-à-tour sous des formes différentes et contradictoires qu’accompagnent toujours la puissance symphonique de l’orchestre de Malaga comme un ballet d’émotion musicale et visuelle. La scène de l’audition des violonistes est à cet égard particulièrement convaincante puisqu’elle nous place par un jeu de champ et de contre-champ au cœur des subjectivités de chacune des jeunes rivales, explorant avec force les univers intérieurs de leurs troubles émotionnels.

Fuga_juan_antonio_espigares

Sans dévoiler la chute du film qui finit par justifier le choix du procédé technique en révélant finalement ce que le spectateur ignore depuis le début, il faut signaler à quel point le passage à la prise de vue réelle est particulièrement réussi dans « Fuga ». En utilisant un angle de prise de vue en plongée à pic au dessus de la scène, reproduction d’un plan auquel Juan Antonio Espigares nous a habilement habitué tout au long du film pour introduire ses différentes scènes clés, on passe comme une évidence dans une réalité qui a cessé d’être fantasmée. Les subjectivités s’effacent, laissant la place à une situation objective où tout s’éclaire, implacablement.

Si on peut reprocher à « Fuga » d’être un film difficile tant dans sa forme narrative que par la complexité des rapports intimes qu’il met en scène, on ne peut que se réjouir de voir de telles œuvres sur les écrans. Virtuosité technique au service de l’image, composition et interprétation musicale magistrale, réflexion sur la subjectivité du regard humain, « Fuga » est sans aucun doute un film qui ne laisse pas son spectateur indifférent.

Xavier Gourdet

Article associé : l’interview de Juan Antonio Espigares

Consultez la fiche technique du film

Pour information, « Fuga » est projeté ce jeudi 13/02 au Studio des Ursulines, dans le cadre de la séance « Court Métrange

F comme Fuga

Fiche technique

Synopis : Sara vient d’arriver au conservatoire de Ste Cécile et découvre qu’il y a plusieurs façons d’interpréter le prisme à travers lequel elle perçoit sa réalité et son talent.

Pays : Espagne

Année : 2012

Genre : Animation

Durée : 15′

Réalisation : Juan Antonio Espigares

Scnario : Juan Antonio Espigares

Musique : Arturo Díez Boscovich

Animation : Víctor G. Boto, David López, , Alberto Portales, Juan Antonio Espigares, Jaime Sánchez

Son et mixage : Francis Oliva

Image, montage, compositing : Juan Antonio Espigares

Interprétation : Nerea Camacho, Noelia Gómez

Production: Kike Mesa / Ándale Films

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur 

Concours : 5 x 2 invitations pour la reprise du palmarès de la compétition internationale de Clermont-Ferrand, dimanche 16/02, au Forum des images

La reprise des films primés à Clermont-Ferrand aura lieu ce dimanche 16/02, là Paris, au Forum des images. Trois séances auront lieu dans la journée à 15h30 (compétition Labo), à 18h (compétition internationale) et à 20h30 (compétition internationale). Dans la continuité des opérations menées avec le Forum des images autour du Carrefour de l’animation, du festival d’Annecy et des Premiers Plans d’Angers, Format Court vous offre des places pour assister à l’une de ces séances, l’internationale.

Programmation

UD, SPRING OVER, IND (Pass pass le oinj) de Thomas Daneskov. Danemark / fiction 2013 coul. 26min. Prix des médiathèques

En allant rendre visite à son père pour la première fois après de longs mois d’absence, Rasmus voit son pire cauchemar se réaliser : le paternel a perdu la tête à force de camper seul à la campagne et de picoler tout en planchant sur l’écriture de son roman de science-fiction.

JUKE-BOX de Ilan Klipper. France / fiction 2013 coul. 23min. Prix spécial du jury

Danny est un chanteur qui, après avoir connu son heure de gloire, a plongé dans l’oubli. Il passe ses journées reclus dans son appartement. Pourquoi est-on connu un jour, méconnu le suivant ? Connaîtra-t-il de nouveau le succès ? Son obsession frôle la folie.

MEU AMIGO NIETZSCHE (Mon ami Nietzsche) de Fáuston da Silva. Brésil / fiction 2013 coul. 15min.Prix du public / Prix du rire « Fernand Raynaud »

La rencontre improbable entre Lucas et Nietzsche marque le début d’une révolution dans l’esprit du jeune garçon, au sein de sa famille et dans la société. Au final, ce n’est plus un petit garçon, c’est une bombe !

PRIDE (Fierté) de Pavel Vesnakov. Bulgarie, Allemagne / fiction 2013 coul. 30min. Grand prix

Manol, grand-père à la retraite, est un patriarche qui a toujours su imposer fermement ses valeurs au sein de sa famille. Mais aujourd’hui, il apprend que le garçon qu’il a élevé est homosexuel. Voilà ses certitudes ébranlées par les choix de vie de ses proches, dans une bataille perdue d’avance.
Grand prix

SEQUENCE (Séquence) de Carles Torrens. Etats-Unis, Espagne / fiction 2013 coul. 20min. Prix Canal+

Et si vous vous aperceviez un beau matin que le monde entier a rêvé de vous ?

Infos

Projection à 18h, durée totale de la séance : 1h54

Pour assister à cette séance, rien de plus simple : envoyez-nous un gentil e-mail avant ce vendredi 14/02, midi ! Nous avons 5 x 2 places à vous offrir !

Rappel. Soirée Format Court, spéciale Court Métrange, ce jeudi 13 février

Le magazine en ligne Format Court vous convie à sa nouvelle séance « spéciale Court Métrange », ce jeudi 13/02, à 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Découvrez lors de cette soirée une sélection de films de fiction et d’animation fantastiques, étranges, insolites, aux formes bizarres et débridées, en présence de Cédric Courtoux (programmateur), Olivier Calmel, Pauline Seigland (« L’Art des Thanatier ») et Renaud Bajeux (« Peau de chien »), Sacha Feiner et Chloé Morier («Un Monde Meilleur », sous réserve).

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En pratique

► Séance : Jeudi 13 février 2014, à 20h30

► Durée du programme : 70′

► Adresse : Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Epée), BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon)

► Entrée : 6,50 €

► Réservations vivement conseillées : soireesformatcourt@gmail.com

Mathieu Bompoint : « Il faut que Frédérique Bredin, l’actuelle présidente du CNC, reprenne vite conscience que c’est la création de demain qui naît dans le court métrage »

Après Ron Dyens (Sacrebleu Productions), Jean-Christophe Reymond (Kazak Productions) et Emmanuel Chaumet (Ecce Films), Mathieu Bompoint (Mezzanine Films) a remporté l’an passé le prix Procirep du Meilleur Producteur au festival de Clermont-Ferrand. Grâce à ce prix, il a bénéficié de 5000€ à redistribuer dans un ou plusieurs court(s) métrage(s) et d’une carte blanche présentée ces jours-ci au festival de Clermont-Ferrand.

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À la tête de Mezzanine Films créée en 2004, il a produit en dix ans pas moins de 34 courts métrages, 4 longs métrages et 4 documentaires. A l’occasion du festival de Clermont-Ferrand, il nous a parlé de ses choix de programmation liés à sa carte blanche mais également de son métier de producteur, des joies qu’il lui procure, et de son combat au jour le jour pour continuer à collaborer avec des gens dont il aime le travail. Le tout avec un ton des plus bienveillants envers le cinéma et plus particulièrement pour le court métrage.

Peux-tu nous parler de ton parcours de producteur?

J’ai très tôt voulu être producteur, je me sentais l’âme d’un organisateur plutôt que celle d’un réalisateur ou d’un acteur. Quand j’étais petit, je me rendais dans un festival en province où je voyais de nombreux producteurs. À partir de là, je me suis dit que c’était un métier que j’avais envie d’exercer et j’ai par conséquent orienté tout mon parcours pour devenir producteur. Comme je ne connaissais personne dans le cinéma, j’ai décidé de faire une école de commerce (HEC) pensant que ça m’ouvrirait plus de portes. En en sortant, j’ai travaillé six ou sept ans avec Frédérique Dumas à Noé Productions où je me suis formé au développement, à la post-production, au suivi de production des films. J’ai terminé avec elle en produisant un documentaire, « Enquête sur le monde invisible » de Jean-Michel Roux avant de me dire que j’allais créer ma boîte. Il s’est avéré que le faire n’était pas aussi simple que prévu. J’ai donc repris la fabrication et la production exécutive de longs-métrages pour d’autres. Sylvie Pialat créait aussi sa structure (ndlr : Les Films du Worso) et avait besoin de mettre de l’ordre dans tout ce qu’elle était en train de développer. J’ai donc travaillé avec elle pendant trois-quatre ans en parallèle du développement de ma propre boîte. Et puis, les premiers courts métrages sont arrivés, les premières rencontres en festivals jusqu’à arriver à aujourd’hui avec plus de 30 courts métrages et 4 longs métrages produits.

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« Nice »

On remarque en effet que tu es un producteur à la fois de courts et de longs métrages. Comment expliques-tu ces va-et-vient entre le court et le long ?

Il y a des réalisateurs avec qui il faut continuer de travailler en faisant des courts métrages avant de passer au long et il y a des réalisateurs que je croise, avec qui j’ai envie de faire des longs, mais pour lesquels il est intéressant de tester une collaboration grâce aux courts. Le court est un moyen d’expression important et surtout, de crédibilité vis-à-vis de l’expérience aussi bien pour tout un chacun que pour le duo réalisateur/producteur. Je vois mon travail de producteur comme celui d’un accompagnateur, ça me semble donc une évidence d’arriver à travailler sur la durée avec les auteurs. Après, ça ne veut pas dire que nous allons passer toute notre vie ensemble, mais lorsque je commence une collaboration, j’espère toujours que ça va aller loin. En effet, je ne sais jamais à l’avance si ça va fonctionner ; c’est une question de temps, d’expérience et d’atomes crochus. Par exemple, avec Maud Alpi, ça s’est très bien passé depuis le début : on a fait trois courts métrages ensemble (ndlr : « Lucas sur Terre », « Nice » et « Courir »), on vient de tourner un moyen métrage, on a une avance pour un long métrage, donc c’est plutôt positif, mais ça dépend des différents parcours de chacun. Il y a d’autres gens que j’accompagne un temps et qui partent ensuite sous d’autres horizons mais c’est la vie et c’est bien comme ça aussi.

Pourrais-tu décrire ton travail de producteur ?

J’ai conscience d’accompagner plutôt des auteurs que d’être sur des propositions de cinéma de l’ordre du divertissement. Peut-être que j’en ferai un jour, mais aujourd’hui, je fais plus volontiers attention à essayer de rendre faisables les idées des auteurs avec qui je travaille. Par conséquent, c’est un réel accompagnement. C’est-à-dire que je n’interfère jamais dans leurs histoires en pensant à ce qui va plaire ou ne pas plaire. Bien évidemment, il arrive que je conseille en voyant ce qui faisable ou non, mais on essaie toujours de trouver des solutions. Arrive à un moment où on se pose ces questions parce qu’il faut rester réaliste quant aux moyens qu’on a lorsqu’on fait un court. Je suis plutôt bienveillant en essayant d’être toujours le plus ouvert et positif possible pendant cette période qu’est le développement du scénario. Ce n’est certes pas évident, mais selon moi, c’est toute la différence entre la loi de l’offre et la loi de la demande. Le cinéma d’auteur en l’occurrence est sur la loi de l’offre où l’on propose et le public décide ensuite d’y aller ou non, d’adhérer ou non à cette proposition. Pour la loi de la demande, à l ‘inverse, on essaie de comprendre ce que les gens ont envie de voir et on cherche ensuite quelque chose qui y répond. Ce sont deux approches différentes et dans le court métrage, nous bénéficions encore de cette liberté. Par exemple, en court, la comédie est un genre qui est très délaissé mais lorsqu’il y a de bonnes propositions de comédies dans le court, elles sont loin d’être formatées. C’est la preuve qu’on peut réussir à populariser du cinéma d’auteur même compulsif.

Reconnais-tu que chez Mezzanine Films, il n’y a donc pas de ligne éditoriale à proprement parlé ?

De fait, je n’ai pas un genre prédéfini mais plutôt, des goûts très variés. C’est d’ailleurs ce que j’ai indiqué dans ma note pour accompagner cette carte blanche que je pense que depuis dix ans, on doit commencer à voir se dessiner un peu qui je suis à travers tous les films que j’ai produits. Effectivement, ils sont très variés, mais ça reflète forcément mes goûts et ça dit un peu qui je suis, sans aller jusqu’à dire que je fais ma psychanalyse en produisant des films (rires) ! C’est vrai en tout cas que je n’aime pas dire que j’ai une ligne éditoriale précise. J’ai fait des films sociaux, des films d’horreur fantastique, des films expérimentaux, etc. Tant que j’ai quelque chose à partager avec le porteur de projet, j’estime que j’ai encore à apprendre en tant que producteur et dans mes relations de travail. Qui plus est, je pense que c’est réciproque.

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Peux-tu nous raconter comment s’est passé l’aventure de production de « Todo lo que no puedes dejar atràs » (Tout ce que tu ne peux pas laisser derrière toi), un film de Nicolàs Lasnibat, entièrement tourné au Chili et en langue espagnole présenté en compétition nationale cette année à Clermont-Ferrand ?

Nicolàs Lasnibat est un Chilien qui vit en France depuis dix ans. Il a fait La fémis et il a besoin de parler de choses qui se sont passées dans son pays. Par chance, le CNC est tout à fait ouvert à l’idée d’aider les courts métrages tournés à l ‘étranger. Nous avons cherché à avoir un peu de financement au Chili, mais il n’y a qu’en France où l’on a cette réelle chance d’avoir autant de financements pour les courts métrages. À un mois du tournage, le seul financement que nous avions trouvé au Chili nous a malheureusement lâché, donc on a dû faire sans. On a pris des décisions à droite, à gauche et on y est arrivé. Ceci étant, je ne suis pas allé au Chili. On avait traduit le scénario pour tout ce qui était de la recherche de financements en France et on a trouvé au Chili, des gens de confiance avec lesquels on a travaillé. Nicolàs avait également déjà un peu travaillé là-bas ce qui facilitait les choses. Disons qu’on a réussi à faire de la production par Skype avec des rendez-vous quotidiens (rires) !

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« Luca sur Terre »

Ce n’est bien sûr pas la première fois que tes films sont sélectionnés en festival mais quel effet ça fait d’être sélectionné à Clermont-Ferrand ?

Je suis à chaque fois super content. Ça avait commencé avec Maud Alpi et « Lucas sur Terre » et ça m’avait déjà fait très plaisir. Depuis, ça ne s’est jamais arrêté. Je trouve que Clermont-Ferrand a en plus cette tendance à suivre les auteurs qui font des courts, à s’intéresser à eux. Ils essaient de résister malgré la pression des lignes éditoriales d’autres festivals. Ils proposent toujours des programmes très variés avec aussi bien des films d’école, de l’animation et tous types de genres différents. Et ça permet ainsi à chaque film d’exister en tant que tel dans leurs programmes plutôt que d’être immédiatement comparé. S’ils créaient des thématiques pour la compétition, ce serait dramatique. Ce sont au contraire des gens bienveillants à l’égard du court métrage. Ils permettent l’assurance que toutes les façons de s’exprimer dans le court métrage seront représentées à Clermont.

Dans le cadre du Prix Procirep du meilleur producteur que tu as reçu l’an passé, tu bénéficiais de 5000€ à redistribuer dans un ou plusieurs court(s) métrage(s). As-tu déjà utilisé cette récompense ?

L’annonce du prix avec les 5000€ est tombée début février et nous avons tourné le film de Nicolás Lasbinat à peu près au même moment avec de l’argent en moins, la somme a donc directement été redistribuée. Du coup, cet argent ne pouvait pas mieux tomber !

Peux-tu nous expliquer tes choix de films dans le cadre de la carte blanche qui accompagne ce Prix ?

Je dois t’avouer que je me suis bien pris la tête avec cette carte blanche (rires) ! L’idée des premières cartes blanches, c’étaient de faire connaître des sociétés de production et leurs films maison, puis avec les années, l’idée n’était plus forcément de montrer leurs films mais aussi ceux qui leur plaisaient. Personnellement, j’ai eu envie de programmer des films qui m’avaient plu, des films que j’avais produits et des films de réalisateurs avec lesquels je vais travailler par la suite et dont les films m’ont marqués. Il y a donc des films très variés. Parmi les films qui m’ont particulièrement marqué, il y a « La peur, petit chasseur » de Laurent Achard, « L’amour existe » de Maurice Pialat ou « Prologue » de Bela Tarr. J’ai même pris un film de Chaplin (« A film Johnnie ») que j’avais choisi d’abord pour le sujet car le cinéma est l’objet même du film. Il s’agit d’un film de 1914, réalisé par quelqu’un d’autre dans lequel on voit déjà le personnage Chaplin qui se dessine. De plus, c’est un court-métrage sur le cinéma qui a aujourd’hui 100 ans et je me suis dit que ce serait l’occasion de le montrer. Je trouvais ça intéressant symboliquement. D’ailleurs, le festival de Clermont-Ferrand l’a repris dans sa séance d’ouverture. Après, j’ai aimé les films d’Estelle Larrivaz (« Notre Père ») et de Jean Denizot (« Mouche ») dont j’ai produit les premiers longs (ndlr : respectivement « Le paradis des bêtes » et « La belle vie »). Ce sont des films qui m’avaient marqué à mes débuts et qui m’ont conforté dans l’envie de travailler avec eux. Ensuite, puisqu’il s’agissait d’une carte blanche spécifiquement clermontoise, j’ai mis le premier film de Maud (ndlr : « Lucas sur Terre ») car c’était le début de mon histoire avec le festival donc j’avais envie de le montrer à nouveau. Après, j’ai tâché qu’il y ait un programme intégralement en 35 mm et un autre en vidéo.

Dans ce dernier programme, je voulais également composer entre des films qui m’avaient marqué et des films que j’avais produits, essentiellement ceux de l’année dernière (« Le retour » de Yohann Kouam et « Le verrou » de Laurent Laffargue) parce que ce sont des cinéastes dans lesquels je crois et dont je développe d’ailleurs leur long métrage. J’ai aussi mis un moyen métrage (« Vourdalak » de Frédérique Moreau) car c’est toujours compliqué, dans une carte blanche, de mettre des films longs, mais j’avais vraiment envie de montrer la diversité de ce que j’ai produit jusqu’à présent. Par ailleurs, c’est un moyen métrage que j’aime beaucoup, qui est extrêmement libre sur un ton un peu décalé.

Parallèlement à Mezzanine Films, tu es également vice-président au SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants). Par conséquent, on te sent concerné par le métier de producteur et sa situation dans le milieu audiovisuel. Peux-tu nous donner ta vision de la profession ?

Lorsque je suis arrivé au SPI, j’ai remarqué que je n’étais pas le seul à galérer. C’est en effet un moyen de créer des liens, de se donner du courage, d’avancer sur nos projets en se disant qu’on n’est pas seul au monde. Au SPI, on a aussi été clairement identifié comme un syndicat qui essayait de défendre les intérêts du court métrage, de la même manière qu’il y a eu une volonté de professionnaliser ce secteur depuis une dizaine d’années en France. Les résultats commencent à se voir aujourd’hui avec les sociétés qui produisent aussi bien du court que du long et qui arrivent à produire des longs différemment. Elles dérangent sûrement encore le paysage audiovisuel français, mais c’est important de défendre un autre point-de-vue là de la production. Ces personnes défendent communément un film avant de penser qu’elles sont assises sur un tas d’or. C’est un peu comme ça que je le vois. A priori, ce qui motive l’ensemble des producteurs du SPI, c’est la création, l’accompagnement d’auteurs et de projets de manière très sincère.

Que penses-tu de la nouvelle présidente du CNC, Frédérique Bredin, lorsqu’on se souvient que son prédécesseur, Éric Garandeau, avait démontré une réelle passion pour le court métrage ?

Il ne faudrait pas, sous prétexte que son prédécesseur était fan de court, qu’elle veuille à tout prix se démarquer en laissant de côté le court. Je ne pense pas qu’elle éprouve un désamour du court métrage mais qu’il ne faut pas qu’elle l’oublie trop longtemps. C’est la première fois que la présidente du CNC ne se déplace pas depuis 7 ou 8 ans à Clermont-Ferrand. Ça se rajoute au fait que parmi les temps forts de 2013, le court métrage n’a même pas été mentionné. Il ne faut pas que ça dure trop longtemps. Il faut qu’elle reprenne vite conscience que c’est la création de demain qui naît là et que le CNC doit y prêter une attention particulière. Bien évidemment, on remarque ce que fait déjà le CNC, mais ça passe aussi par des marques d’affection de la présidente.

Le mot de la fin ?

Un mot pour remercier Format Court. Il y a beaucoup de bénévolat au sein de ce webzine comme c’est fréquemment le cas dans le court métrage en général, mais ça reste important qu’il y ait des gens qui parlent de ce qui se fait dans le court métrage.

Camille Monin

Interview réalisée le lundi 3 février 2014

Soirée Bref n°151, ce mardi 11 février 2014 : Spéciale Clermont-Ferrand

Rendez-vous mondial du court métrage, le Festival international de Clermont-Ferrand offre chaque année la trop rare opportunité de parcourir la planète côté courts. La sélection que vous propose la revue Bref, aussi éclectique que possible, n’a d’autre ambition que de faire partager quelques-unes des découvertes sélectionnées, puisées dans les compétitions internationale et labo.

Programmation

NOAH de Walter Woodman et Patrick Cederberg. Canada / 2013 / couleur / 17 mn / projection numérique. Grand Prix, Prix du Public Labo, festival de Clermont-Ferrand 2014

Matthew Kinch – Son : Aaron Yeung. Montage – Animation : Patrick Cederberg – Interprétation : Sam Kantor, Caitlin McConkey-Pirie – Production : KoalaMotion, Walter Woodman, Patrick Cederberg.

Une histoire d’amour et ses aléas à l’heure des réseaux sociaux et de l’ère numérique.

MONTAUK de Vinz Feller. Suisse / 2013 / couleur / 16 mn / projection numérique

Réalisation et scénario : Vinz Feller – Image : Martin Ahlgren et Filip Zumbrunn – Son : Andreas Litmanowitsch et Caleb Mose – Musique originale : Simon Ho – Montage : Vinz Feller et Aaron Yanes – Interprétation : Linda Geiser, Emilio Delgado, Hansrudolf Twerenbold, Ernesto Solo et Janice Acevedo – Production : Contrast Film, Ivan Madeo.

Les dernières volontés du mari d’Elisabeth étaient de se rendre à Montauk, où ils s’étaient rencontrés voilà bien des années. Elisabeth entreprend alors cet ultime voyage aux États-Unis avec les cendres de son époux.

WELKOM de Pablo Munoz Gomez. Belgique / 2013 / couleur / 18 mn / projection numérique

Réalisation : Pablo Munoz Gomez – Scénario : Pablo Munoz Gomez et Sarah Schenkel – Image : Kinan Massarani et Erika Meda – Son : Pierre Dozin et Marc Alberisio – Musique originale : Rafael Munoz Gomez – Montage : Cyril Delannoy – Interprétation : Jean Jacques Rausin, Simon André, Wim Willaert, Patricia Goemaere, Bart Cambier, Miel Van Hasselt et Daniel Vidovsky – Production : Mediadiffusion, Emmanuel Van Hoof.

Jorge aime son père. Son père aime une poule. Jorge n’aime pas la poule, il veut la mettre dans un poulailler. Avant de construire ce poulailler, Jorge doit avoir un permis de construire.

SUBCONSCIOUS PASSWORD de Chris Landreth.  Canada / 2013 / couleur / 10 mn / projection numérique

Réalisation et scénario : Chris Landreth – Son : Andy Malcolm et Pierre Yves Drapeau – Musique originale : Daniel Janke – Animation : Sean Craig – Voix : John Dilworth et Don McKellar – Production : Office National du Film du Canada, Marcy Page.

Un prénom oublié provoque une troublante incursion dans l’inconscient sous forme de jeu-questionnaire.

METUBE : AUGUST CHANTE LA HABANERA DE CARMEN de Daniel Moshel.  Autriche / 2013 / couleur / 4 mn / projection numérique

Réalisation et scénario : Daniel Moshel – Image : Martin Bauer – Son : Bernhard Drax – Musique : Philip Preuss et Georges Bizet – Montage : Christin Veith – Interprétation : August Schram, Albert Maier et Elfie Wunsch – Production : Moshel Filmproduction, Daniel Moshel.

Hommage à ces milliers d’utilisateurs de YouTube et de blogueurs vidéo à l’ambition débordante.

RIVALISER AVEC LES VOISINS de Michael Pearce. Royaume-Uni / 2013 / couleur / 28 mn / projection numérique

Réalisation : Michael Pearce – Scénario : Selina Lim – Image : Benjamin Kracun – Son : Gunnar Oskarsson – Musique originale : Stuart Earl – Montage : Immanuel Von Bennigsen et Maya Maffioli – Interprétation : Maxine Peake, Geoffrey Bell et Adeel Akhtar – Production : Incendiary Pictures, Megan Rubens.

Celia, l’épouse d’un homme politique, se retrouve confrontée à deux malfrats qui en veulent à son mari.

Infos pratiques

Mardi 11 février, séance à 20h30

MK2 Quai de Seine – 14 Quai de la Seine – 75019 Paris
M° Jaurès ou Stalingrad
Tarif : 7,90 € (cartes illimitées acceptées)

A comme A Onda, O Vento Leva

Fiche technique

Synopsis : Rodrigo est un jeune sourd, installateur de systèmes audio pour voitures dans un petit atelier en banlieue de Recife, au nord-est du Brésil. En dépit de sa surdité, il vit en lien étroit avec les sons, dont il ressent les vibrations qui battent au plus profond de son corps.

Genre : Documentaire

Durée : 28’

Pays : Brésil, Espagne

Année : 2012

Réalisation : Gabriel Mascaro

Son : Joana Claude, Gabriel Mascaro

Montage : Eduardo Serrano

Production : Gerardo Peral (Art Aids) et Rachel Ellis (Desvia)

Article associé : la critique du film

A Onda Traz, O Vento Leva de Gabriel Mascaro

Présenté en compétition internationale du festival de Clermont-Ferrand cette année, « A Ondaz Traz, O Vento Leva » de Gabriel Mascaro est un documentaire sensible sur Rodrigo, un jeune sourd, installateur de systèmes audio pour voitures.

Dans la chaleur de Recife, au nord-est du Brésil, Rodrigo passe son temps à travailler dans son atelier et à s’occuper de sa petite fille Mariana dont il a la charge. Rodrigo est sourd mais cela ne l’empêche aucunement de ressentir les sons et les vibrations qui l’entourent.

Dans ce court métrage documentaire, Gabriel Mascaro porte un regard attendrissant sur son protagoniste que l’on suit dans ses pérégrinations diurnes et nocturnes. Il nous fait ressentir ses doutes, ses craintes, tout en évitant habilement tout côté mélo grâce à la personnalité rayonnante de Rodrigo qui, même s’il est atteint du sida, continue à aller de l’avant, à se battre pour lui et pour sa fille. Le film a d’ailleurs reçu l’appui du Art Aids Foundation, une association internationale qui vise à promouvoir des projets artistiques qui traitent du combat de la maladie.

Pour « A Onda Traz, O Vento Leva », le réalisateur brésilien recourt à une mise en scène qui invite à un voyage sensoriel pour toucher au plus près de l’humain. Il joue avec l’absence et la saturation sonores, chaque plan pousse à éprouver la réalité du jeune sourd pour mieux la comprendre. L’océan qui borde la ville fait écho à la vitalité qui anime son âme et la dernière image où Rodrigo, plongé dans l’eau, tient Marianna dans ses bras tout en les levant au ciel, est un appel à la vie.

Marie Bergeret

Consultez la fiche technique du film

36e Festival de Clermont-Ferrand, le palmarès

Le Festival international du Court Métrage s’est achevé à Clermont-Ferrand ce samedi 8 février 2014. En voici le palmarès.

Compétition nationale

Grand Prix : La lampe au beurre de Yak de Hu Wei, France, Chine

Prix Spécial du Jury : Molii de Carine May, Mourad Boudaoud, Yassine Qnia, Hakim Zouhani, France

Prix du Public : Inupiluk de Sébastien Betbeder, France

Prix de la Meilleure Musique Originale (SACEM), Prix de la Meilleure Photographie (Nikon) : Scars of Cambodia de Alexandre Liebert, France

Prix Meilleure 1ère Œuvre de Fiction : Prix S.A.C.D. (Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques) : T’étais où quand Michael Jackson est mort ? de Jean-Baptiste Pouilloux, France

Prix ADAMI d’Interprétation Meilleur Comédien : Adel Bencherif pour La Fugue de Jean-Bernard Marlin, France

Prix ADAMI d’Interprétation Meilleure Comédienne : Nina Mélo pour Vos violences de Antoine Raimbault, France

Prix du Meilleur Film d’Animation francophone SACD : Lettres de femmes de Augusto Zanovello, France

Prix Canal + : Trucs de gosse de Emilie Noblet, France

Prix de l’ACSE (Agence Nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) : Todo se puede de Elias Belkeddar, France

Prix de la Presse Télérama : La Fugue de Jean-Bernard Marlin, France

Prix Procirep du Producteur : ENVIE DE TEMPÊTE PRODUCTIONS, Frédéric Dubreuil pour Inupiluk de Sébastien Betbeder, France

Prix Etudiant de la Jeunesse : Peine perdue de Arthur Harari, France

Mentions Spéciales du Jury

Martine Schaambacher pour son interprétation dans D’où que vienne la douleur de Khalil Cherti, France

Lætitia Dosch pour son interprétation dans Ennui ennui de Gabriel Abrantes, France

Extrasystole de Alice Douard, France

Pedro malheur de Camila Beltrán, France, Mexique

Sexy Dream de Christophe Le Masne, France

Lame de fond de Perrine Michel, France

Mentions du Jury Telerama

Peine perdue de Arthur Harari, France

Shadow de Lorenzo Recio, France

Compétition internationale

Grand Prix, Nomination « European Film Awards » : Pride de Pavel Vesnakov, Bulgarie, Allemagne

Prix Spécial du Jury : Juke-Box de Ilan Klipper, France

Prix du Public, Prix du Rire Fernand Raynaud : Meu amigo Nietzsche de Fáuston da Silva, Brésil

Prix du Meilleur Film d’Animation : Junk Head 1 de Takahide Hori, Japon

Prix des Médiathèques (CVS) : Ud, spring over, ind de Thomas Daneskov, Danemark

Prix Canal + : Sequence de Carles Torrens, Etats-Unis, Espagne

Coup de Coeur CANAL+ family : Mia de Wouter Bongaerts, Belgique, Pays-Bas

Prix Etudiant de la Jeunesse : Ojcze Masz de Kacper Lisowski, Pologne

Mentions du Jury

Les Jours d’avant de Karim Moussaoui, Algérie, France

Namo de Salah Salehi, Iran

Olga de Kaur Kokk, Estonie

Zima de Cristina Picchi, Russie

Compétition Labo

Grand Prix, Prix du Public : Noah de Patrick Cederberg , Walter Woodman, Canada

Prix Spécial du Jury : Montaña en sombra de Lois Patiño, Espagne

N comme La Nuit américaine d’Angélique

Fiche technique

Synopsis : En allant voir La Nuit américaine de François Truffaut, Angélique découvre qu’on peut inventer sa vie. Se prendre pour Nathalie Baye, obtenir l’admiration de son père, choisir un métier incompréhensible, autant de perspectives ouvertes par ce film. Il faudra quelques années à la jeune fille pour comprendre que le cinéma ne règle pas tous les problèmes bien qu’il ouvre au grand plaisir d’être enfin libre.

Genre : Animation

Durée : 7’30 »

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Joris Clerté, Pierre-Emmanuel Lyet

Scénario : Olivia Rosenthal

Son : Bruno Guéraçague, Martin Chapel

Interprétation : Louise Bourgoin

Production : Senso Films, Donc voilà Productions

Article associé : la critique du film

La Nuit américaine d’Angélique de Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet

Un lent fondu du gris au noir, des taches blanches, quelques murmures et accords à la guitare ouvrent « La Nuit américaine d’Angélique », sélectionné en compétition nationale à Clermont-Ferrand cette année. C’est un peu comme si les réalisateurs Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet étalaient leurs ingrédients bruts sur un plan de travail avant de préparer une recette.

Dans ce film d’animation de 7’30″, la recette est élaborée et complexe. Suivant le ressenti d’Angélique, devenue scripte après avoir vu « La Nuit américaine » de François Truffaut, les concepts s’enchainent. Le film est une adaptation d’un des récits de l’ouvrage d’Olivia Rosenthal, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, paru en 2012 aux éditions Verticales. Reprenant la recherche de l’écrivain sur la réalité sensible et intime du cinéma, le film donne à ce récit une forme… de cinéma justement.

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« Le cinéma amplifie la puissance des drames humains en les redoublant », écrit Olivia Rosenthal. On trouve dans « La Nuit américaine d’Angélique » un dispositif de récit appelant un film, celui de Truffaut, mais le transmettant par un autre, celui de Clerté et Lyet. Alors que l’exercice pourrait donc paraître doublement tautologique, il permet, au contraire, par la limpidité du parcours du récit, de se concentrer sur l’indicible et le sensible.

L’indicible s’exprime ici grâce à une animation minimaliste, un retour à l’une des premières projections, celle des ombres chinoises tout autant que par la présence de l’écran dans l’écran et par la belle voix off de Louise Bourgoin.


Angélique inscrit le souvenir du personnage de la scripte du film de François Truffaut dans son histoire personnelle. Tout au long de son récit, elle donne ses raisons d’aimer le cinéma plus que la vie. Dépassant la simple mécanique d’appropriation d’un film, « La Nuit américaine d’Angélique » réussit à recouper les réflexions de tout cinéphile et au-delà, de tout spectateur ayant eu un film qui l’a un jour influencé dans sa vie.

Dans une scène importante de « La Nuit américaine », Truffaut fait dire à son personnage que « les films avancent comme des trains dans la nuit. » La phrase est au cœur de sa discorde avec Godard, comme on a pu le voir dans le documentaire d’Antoine De Baecque « Deux de la vague ». On peut dire aujourd’hui, qu’avec le film de Clerté et Lyet, le train a trouvé son phare.

Georges Coste

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Paul Wenninger, Prix Format Court au Festival Premiers Plans d’Angers 2014

Après avoir délibéré autour de 22 films d’animation proposés dans la catégorie « Plans Animés » du festival Premiers Plans d’Angers en janvier dernier, le choix du jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Camille Monin, Xavier Gourdet et Marc-Antoine Vaugeois) s’est arrêté sur le film autrichien « Trespass » (2012), première réalisation de Paul Wenninger.

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Ce chorégraphe et musicien, qui expérimente depuis de nombreuses années différents médiums, s’est dirigé vers le stop-motion et vient de présenter à Angers un film très soigné et très maîtrisé. Dans « Trespass », le réalisateur-interprète fait interagir son propre corps, la caméra et les objets au sein de l’espace filmique pour créer une autre réalité, en parvenant à se détacher, pour quelques minutes, des contraintes du temps et de l’espace. Le film sera projeté le jeudi 10 avril 2014 dans le cadre de la séance Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Découvrez dans ce dossier spécial :

La critique de « Trespass »

L’interview de Paul Wenninger

Love Games de Joung Yumi

Présenté en programme labo L4, à Clermont-Ferrand, le très esthétique Love Games de la coréenne Joung Yumi apporte un petit moment de quiétude tout en volupté retenue, de la délicatesse dans le propos et dans le trait qui ravissent les yeux.

Joung Yumi est une réalisatrice trentenaire dont les films sont sélectionnés par les plus grands festivals de la planète. À chaque essai animé, elle glane des éloges du public et la reconnaissance de ses pairs. Après avoir été sélectionnée dans plus de 50 festivals internationaux dont la prestigieuse Quinzaine des Réalisateurs en 2009 avec son film Dust Kid, puis enchaîné avec Math test qui a également connu une très belle carrière, son Love Games a été présenté notamment à la Berlinale 2013. C’est à Clermont-Ferrand que le film poursuit sa brillante ascension.

Dans Love Games , le parti pris esthétique de la réalisatrice est particulièrement épuré. Il s’agit d’une animation 2D en noir et blanc dénuée de décor. Seule compte l’interaction entre les deux protagonistes, la femme et l’homme qui entrent dans un jeu de séduction. Ici, le seul repère spatial donné est un rectangle tracé en ouverture par la femme, comme un tapis imaginaire qui contraint l’espace et le temps de leur jeu. Un espace ritualisé où les deux individus ne pénètrent qu’après s’être déchaussés, l’une invitant l’autre à l’y rejoindre pour qu’à la fin le jeu s’arrête et que chacun sorte du «tapis».

Dans le rectangle, la femme mène le début de cette danse de couple, elle invite l’homme puis se laisse inviter à jouer. Le duo oeuvre avec délicatesse dans cet échange presque enfantin. Ils se cherchent, s’attirent et se repoussent en toute complicité. À chaque jeu, chacun donne à l’autre des indices sur ses intentions de séduction même si nous ne saurons jamais vraiment de quelle nature est leur relation : un origami se détourne en bouquet de fleurs, un colin-maillard en baiser volé, … .

Dans un rythme doux, les déplacements des corps sont presque chorégraphiés. Ils occupent l’espace intérieur du rectangle comme des danseurs investissent une scène. Leur spectacle est intime mais la réalisatrice nous l’offre comme une boîte à musique qu’on ouvre. À l’intérieur, la danseuse se meut puis s’éteint dès que le couvercle se referme, comme une parenthèse…

Sans mièvrerie, Joung Yumi suspend les quinze minutes de son film dans une bulle où l’on regarde ces personnages tout en retenue. C’est un regard original et doux sur la séduction qu’elle propose. La gentille désuétude qui flotte sur ce rendez-vous poétique gagne en puissance et en modernité par une maîtrise et un style formel très affirmé.

Festival de Clermont-Ferrand 2014

Jusqu’au 8/02, se déroule le festival de Clermont-Ferrand. Pour sa 36ème édition, le festival propose ses traditionnelles sélections de courts en compétition, organise un programme autour du centenaire de la première guerre mondiale, projette des courts avec et autour de Jeanne Moreau (collection Canal +), offre une carte blanche à Mezzanine Films et s’intéresse de près à l’école Tisch School of the Arts.

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    Retrouvez dans notre Focus :

L comme Love games

Fiche technique

Synopsis : Un homme et femme qui s’adonnent à des jeux amoureux. Assis sur un tapis imaginaire dessiné dans l’espace, ils plient et assemblent des pièces du Tangram, jouent au docteur et à l’infirmière, boivent du thé, jouent à cache-cache… Chaque jeu amoureux en entraîne un autre. Les situations stéréotypées se transforment en quelque chose d’unique ─ unique comme l’amour.

Genre : Animation

Durée : 15’

Pays : Corée du sud

Année : 2013

Réalisation : Joung Yumi

Son : SONG Youngho (Chungnam Techno Park)

Musique : Domenico Scarlatti, Sonata K 208 in A major

Production : KIM Kihyun

Article associé : la critique du film

Soirée Format Court, spéciale Court Métrange, jeudi 13 février, à 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème)

Après trois Prix Format Court remis au festival Court Métrange (Rennes) et au vu des dix ans de la manifestation, nous organisons notre prochaine projection Format Court aux couleurs du Festival, le 13 février prochain, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Découvrez lors de cette séance spéciale un aperçu de ce qui fait la force de Court Métrange, avec une sélection de films de fiction et d’animation étranges, insolites, aux formes bizarres et débridées, qui repoussent les limites du réel et laissent le spectateur hagard, perdu dans une sorte de rêve éveillé. Prenez goût à cet imaginaire fort et laissez-vous porter par ce florilège de courts issu d’un des plus intéressants festivals européens de cinéma fantastique, en présence de Cédric Courtoux (programmateur), Olivier Calmel (« L’Art des Thanatier ») et Renaud Bajeux (« Peau de chien »).

Programmation

Fuga de Juan Antonio Espigares, animation, 15’, 2012, Espagne,  Andale Films. Prix Format Court au festival Court Métrange 2013, Meilleur film d’animation au Festival de Sitges 2013

Syn. : Sara vient d’arriver au conservatoire de Ste Cécile et découvre qu’il y a plusieurs façons d’interpréter le prisme à travers lequel elle perçoit sa réalité et son talent.

Articles associée : la critique du film, l’interview du réalisateur 

L’Art des Thanatier de David Le Bozec, animation, 14’26, 2012, France, Butterfly Productions. Prix du Meilleur Film d’Animation au Festival International du Court Métrage de Drama (Grèce)En présence du compositeur Olivier Calmel et de la productrice, Pauline Seigland

Syn. : Au XVIIIe siècle, Prosper Thanatier, dernier né d’une longue lignée de bourreaux, exerce avec passion son métier qu’il considère comme un art. A l’aube de la Révolution, il se voit forcé d’abandonner ses outils et son savoir faire ancestral, au profit d’une toute nouvelle machine d’exécution. Privé de son ancien art de vivre, Prosper ne s’adapte pas au « progrès », et refuse de voir son rôle d’exécuteur relégué à une simple machine…

Comme des lapins de Osman Cerfon, animation, 8’, 2012, France, Je Suis Bien Content. Grand prix au Festival national du film d’animation de Bruz 2013 (France)

Syn. : Comme des lapins est le second volet des Chroniques de la poisse. L’homme à la tête de poisson poursuit sa balade mélancolique dans une fête foraine, distribuant au hasard ses bulles de malheur. Ainsi que son titre le suggère, il y est beaucoup question de lapins, mais que cela ne vous fasse pas oublier les corbeaux. Et si vous voyez dans ce film un portrait sordide d’une humanité mal barrée, c’est sans doute que vous avez l’esprit mal tourné.

Article associé : la critique du film

Un monde meilleur de Sacha Feiner, fiction, 23’30, 2012, Belgique, Suisse, France, Anga Productions, Panache Productions, Rita Productions. Prix du meilleur réalisateur au Festival Hollyshorts 2013 (Etats-Unis)

Syn. : Henry, citoyen zélé d’un état dictatorial impitoyable dont il suit les lois à la lettre, assiste du jour au lendemain à la transformation de ce monde froid en une étendue idyllique et caricaturale de champs verdoyants, chantants et libres..

Article associé : l’interview des réalisateurs

Peau de chien de Nicolas Jacquet, animation, 13’20, 2012, France, Joseph Productions. Prix Beaumarchais du festival Court Métrange 2013. En présence du compositeur Renaud Bajeux

Syn. : Pour échapper à une fin violente et certaine, un chien errant vole le manteau d’un mort. En le posant sur ses épaules, le chien disparaît et se dissimule dans la vie de son ancien propriétaire. Une étrange métamorphose s’opère, où le chien se change en homme. Il prend pour un jour la place de cet étranger et finira par rejoindre son destin.

The Heart of The World de Guy Maddin. Expérimental, 6’19 », Canada. Prix FIPRESCI et Prix du Meilleur court métrage au Festival de Miami 2001

Syn. : Anna, scientifique travaillant pour l’Etat, découvre que le cœur du monde est sur le point d’avoir une attaque…

Article associé : l’interview du réalisateur

En pratique

► Séance : Jeudi 13 février 2014, à 20h30

► Durée du programme : 70′

► Adresse : Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

► Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Epée), BUS 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon)

► Entrée : 6,50 €

► Réservations vivement conseillées : soireesformatcourt@gmail.com

Pour faire la guerre de Cosme Castro et Léa Forest

Cela pourrait commencer comme un film d’Eric Rohmer, « Le rayon vert » par exemple. Sept cousins autour d’une table. Une discussion banale qui vire à la dispute. « Pour faire la guerre » présenté la semaine passée à Angers, dans le programme « Figures libres », commence ainsi, avec ce sens rare du dialogue, de la justesse. Premier court de Léa Forest et Cosme Castro, le film est un terrain de jeu au grand air pour ses sept acteurs tous étonnants – dont les réalisateurs eux-mêmes.

Cosme Castro et Léa Forest auraient pu filmer une « cousinade », ces fameuses réunions anxiogènes où l’on reprend contact avec des cousins éloignés ou volontairement oubliés. Mais leur film évite fort heureusement cette option généalogique et glisse vers un récit mélancolique puissant.

Avec une énergie jouissive et une apparente simplicité, ils font retomber en enfance sept adultes pas tout à fait sevrés. Après une fin de déjeuner un peu tendue, la découverte d’une valise emplie de déguisements apaise temporairement les nerfs et entraine le groupe à pratiquer leur jeu favori d’antan : faire la guerre. On fabrique des cabanes, on élabore deux camps, ça court, ça crie et la guerre fictive devient vite plus menaçante, plus changeante. Le jeu n’est plus drôle et malgré les moustaches dessinées au feutre noir, les garçons et les filles ne roulent plus des mécaniques.

On sent chez Léa Forest et Cosme Castro ce goût absolu pour le jeu – celui de l’acteur –, cet amour des visages de cinéma, de la troupe de saltimbanques dont ils font partie (on se souvient notamment de Cosme Castro dans « C’est plutôt genre Johnny Walker » et « Robert Mitchum est mort » d’Olivier Babinet).

Loin de la pose ou de la posture, plus proche de l’improvisation et du naturalisme, le jeune duo étonne et touche juste. C’est un autre jeune duo – de producteurs cette fois-ci, Punchline Cinema, qui accompagne les auteurs. Comme quoi, à deux on est plus forts.

Amaury Augé

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P comme Pour faire la guerre

Fiche technique

Synopsis : 7 cousins se retrouvent pour un dernier séjour dans la maison de leur enfance. Alors qu’ils s’ennuient, ils retrouvent la malle conservant les costumes avec lesquels ils se déguisaient pour jouer quand ils étaient enfants. Ils décident de lancer une partie de « Pour faire la Guerre » une dernière fois, le temps d’un après midi…

Genre : Fiction

Durée : 28’

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Cosme Castro, Léa Forest

Scénario : Cosme Castro, Léa Forest, Delphine Eliet

Image , Balthazar Lab

Montage : Cosme Castro

Son : Thomas Vivance

Interprétation : Bastien Bouillon, Cosme Castro, Léa Forest, Clara Hedouin, Mathias Pradenas, Paul Renoult, Justine Bachelet

Production : Punchline cInema

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Trespass de Paul Wenninger, Prix Format Court au Festival Premiers Plans d’Angers 2014

Après avoir délibéré autour de 22 films d’animation proposés dans la catégorie « Plans Animés » du festival Premiers Plans d’Angers, le choix du jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Camille Monin, Xavier Gourdet et Marc-Antoine Vaugeois) s’est finalement arrêté sur le film autrichien « Trespass » (2012), première réalisation de Paul Wenninger.

Ce chorégraphe et musicien qui expérimente depuis de nombreuses années différents médiums s’est dirigé vers le stop-motion et vient de présenter à Angers un film très soigné et très maîtrisé. Dans « Trespass », le réalisateur-interprète fait interagir son propre corps, la caméra, et les objets au sein de l’espace filmique pour créer une autre réalité, en parvenant à se détacher, pour quelques minutes, des contraintes du temps et de l’espace.

Le film bénéficie d’un dossier spécial en ligne et sera projeté le 10 avril 2014 dans le cadre des séances Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Trespass, 11′, 2012, Autriche, Sixpack Film

*** Local Caption *** Trespass, , Paul Wenninger, A, 2012, V'12, Kurzfilme

Synopsis : En anglais, « trespass » signifie s’immiscer, mais peut aussi faire allusion à une entrée non autorisée ou, dans le jargon légal, à une « perturbation domestique ». Ce film d’animation joue avec toutes ces significations.

Ilan Klipper : « Un artiste peut ressentir le besoin de s’isoler, de se calfeutrer pour créer comme il l’entend, sans être influencé par des interventions extérieures »

Ilan Klipper a déjà réalisé des longs-métrages documentaires, en duo avec Virgil Vernier (le diptyque sur la police composé de « Flics » et « Commissariat ») ou seul (« Saint-Anne », réalisé au sein de la célèbre institution psychiatrique). Il s’essaye à la fiction avec « Juke-Box », premier court-métrage remarquable et déjà salué dans les festivals. Lauréat du Prix One+One au dernier festival Entrevues de Belfort et plus récemment du Prix des Bibliothécaires lors de la dernière édition du festival Premiers Plans d’Angers, le film a retenu l’attention de Format Court qui est allé à la rencontre de ce jeune réalisateur talentueux.

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Format Court : Comment es-tu arrivé au cinéma ?

Ilan Klipper : J’étais d’abord journaliste à la télévision, je réalisais des petits reportages de treize minutes. J’ai aimé faire ça un temps mais je n’étais pas satisfait, je trouvais à chaque fois le rendu un peu vain. À un moment donné, j’ai eu l’opportunité de réaliser un reportage sur une école de police. J’ai proposé à Virgil Vernier qui commençait lui aussi à réaliser et qui avait du temps libre de venir faire ce reportage avec moi. On s’est retrouvé dans cette école de police où des instructeurs lançaient des grenades et tiraient au taseur sur les élèves. Ils avaient recréé un décor de rue dans l’enceinte de l’établissement et organisé des simulations avec des comédiens. On a décidé d’en faire le cadre de notre premier documentaire, qui est devenu « Flics », un long-métrage de 74 minutes que je considère aujourd’hui comme mon premier film.

On a tourné un second long-métrage, « Commissariat », en quelque sorte la suite du premier film, à l’occasion d’un stage pratique exercé par les élèves que l’on suivait dans « Flics ». Ce long-métrage est devenu autonome, même s’il entretient quelques correspondances avec le précédent opus. Ces deux documentaires ont été remarqués, puis j’ai obtenu l’autorisation de tourner dans un hôpital psychiatrique, à Saint-Anne. J’ai travaillé sur ce projet pendant un an et demi, c’est devenu ma première réalisation solo. Aujourd’hui, je travaille sur un nouveau film documentaire autour des affaires familiales, qui a pour cadre un palais de justice dans une petite ville de province. En parallèle, je développe mes premières fictions.

Il y a un fil conducteur qui apparaît dans chacune de tes réalisations : la récurrence d’espaces clos où des individus sont amenés à se livrer, à exprimer des pensées souvent hors-normes. Tu mets en place des dispositifs où les conventions volent progressivement en éclats, tu guettes l’instant où les choses vont se dérégler. J’ai l’impression que la dimension claustrophobique est importante.

I.K. : C’est très juste. Je suis moi même très claustrophobe, et c’est vrai que dans mes films, on retrouve de manière implicite ou frontale cette thématique de l’enfermement. Je ne l’avais jamais formulée de façon aussi limpide. Ça relèverait presque de quelque chose d’organique, d’inconscient chez moi.

Dans « Juke-Box », tu mets en scène un personnage de chanteur déchu, marginalisé, qui vit seul dans un grand appartement. D’où est venue l’envie de filmer ce personnage ?

I.K. : Pendant le tournage de « Saint-Anne », j’ai assisté à des visites à domiciles. Il s’agit de patients au long court qui ne donnent plus de nouvelles à leur médecin, qui disparaissent dans la nature. Le médecin essaye de contacter son patient, sa famille, et en dernier recours il finit par débarquer chez lui avec la police. J’ai essayé de filmer ça dans le cadre de ce documentaire. C’était très intéressant car à chaque fois, on pénétrait dans un univers : les patients avaient retourné leurs appartements, fait des trous dans les murs, construit des installations étranges. Ça c’est finalement révélé impossible à filmer, notamment à cause de la paranoïa des patients qui se méfiaient de la présence de la caméra. Je suis parti de cette expérience pour écrire un scénario de fiction.

Ensuite, est venue ma rencontre avec le chanteur Christophe, par hasard au sortir d’une projection. On a commencé à se fréquenter, on a joué au poker pendant un an, j’allais le voir en concert. À un moment donné, Sabrina (Seyvecou, actrice et compagne d’Ilan Klipper) et Christophe ont manifesté l’envie de travailler ensemble. Je leur ai alors proposé d’adapter le scénario inspiré des visites à domicile pour eux. J’ai réécrit le projet en y ajoutant une dimension artistique qui était fondamentale pour moi car je ne voulais pas tomber dans la redite par rapport à « Saint-Anne ». Je voulais aborder la question de la reconnaissance des artistes qui travaillent mais dont les oeuvres ne sont pas nécessairement reçues ou comprises, ceux qui continuent à créer dans leur coin et se retrouvent marginalisés.

Le film met en scène le rapport étroit entre la folie et la création artistique. Le personnage de Daniel s’est coupé du monde et se retrouve dans un état presque animal, à tourner en rond dans son appartement comme un lion en cage. On sent qu’il travaille à quelque chose, qu’il essaye de composer une chanson de façon très brouillonne. Ce n’est qu’à la fin du film, lors de cette envolée lyrique où, posté derrière ses machines, il donne vie à son morceau de musique que l’on comprend que la création passe par le ressassement, l’isolement voire le rejet du monde extérieur.

I.K. : Tu résumes bien mes intentions, même si pour moi, ça ne traite pas directement de la folie. J’ai voulu filmer un moment d’errance psychique, lorsque tu te lances dans le processus de création et que tu te retrouves dans un état d’incertitude très angoissant. Un artiste peut ressentir le besoin de s’isoler, de se calfeutrer pour créer comme il l’entend, sans être influencé par des interventions extérieures. Je voulais faire de la trajectoire de ce personnage une allégorie de cet état d’errance.

Le fait d’écrire pour Christophe a conditionné beaucoup de choses ?

I.K. : Je voulais faire ce film avec lui pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il a lui-même connu dans sa carrière de chanteur des moments creux, la traversée du désert. Il comprenait tout à fait le sujet et le personnage. Il a également connu la psychiatrie, il a vécu des moments difficiles où il a failli sombrer. Je me suis dit que son expérience personnelle résonnerait parfaitement avec le sujet du film et en deviendrait même le centre. La possibilité de jouer sur différents niveaux de lectures, de questionner la frontière entre la fiction et le documentaire me plaisait.

Christophe a commencé à apparaître dans des courts-métrages, chez Yann Le Quellec (« Le Quepa sur la Vilni ! ») ou Isabelle Prim (« Déjeuner chez Gertrude Stein »). Dans ces films, les réalisateurs ne montrent de lui que son personnage public, celui qu’il s’est créé depuis des dizaines d’année (costume blanc, lunettes fumées, etc). Dans « Juke-Box », j’ai l’impression qu’il joue pour la première fois, qu’il compose un personnage.

I.K. : C’est drôle, car souvent des spectateurs qui sortent du film pensent que je me suis directement inspiré de lui, ils s’imaginent qu’il vit comme ça aujourd’hui, que c’est un artiste déchu. Alors qu’à la fin du tournage, Christophe est venu me voir pour me dire : « C’est la première fois que je suis comédien »? C’est probablement l’aspect du film dont je suis le plus fier, d’être parvenu à l’amener véritablement dans le jeu. Je lui ai offert son premier rôle.

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Sabrina Seyvecou joue un petit rôle dans le film, mais elle est également créditée au générique en tant que « directrice d’acteur ». Comment s’est déroulée cette collaboration au moment du tournage ?

I.K. : Sabrina et Christophe avaient une relation privilégiée, une envie de travailler ensemble. Il a fallu que je m’insère dedans. Sabrina croyait beaucoup au projet, elle était très investie. Sa contribution lors de la préparation du film était capitale, elle faisait la passerelle entre mes envies et Christophe pour l’aider à construire le personnage en amont. Ça s’est compliqué au moment du tournage où il a fallu trouver le juste dosage entre son travail de coach et ma mise en scène. C’était un fonctionnement assez complexe, mais indispensable.

Après ce documentaire sur les affaires familiales, as-tu d’autres projets de films ?

I.K. : Je travaille actuellement sur deux projets de longs-métrages que j’essaye de développer : un premier sur le mode documentaire centré sur la vie d’adolescents en province, et un autre projet de fiction qui serait dans la continuité thématique de « Juke-Box », focalisé sur un personnage qui ne sortirait que la nuit pour arpentait la capitale et qui ferait des rencontres insolites. Avec Christophe, évidemment, comme premier rôle.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

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