Jean-Bernard Marlin : « Ce que j’ai essayé de faire dans cette fiction, c’est avoir sans cesse une exigence de vérité et d’authenticité, c’est-à-dire ne jamais mentir sur ce que j’ai ressenti ou vu dans des foyers, avec les jeunes en difficulté »

À l’instar de sa jeune héroïne qui s’échappe d’un tribunal, le film de Jean-Bernard Marlin La Fugue, lui, court après les récompenses. Il a d’abord décroché l’Ours d’or du court métrage à Berlin en 2013. Puis, il a remporté à Clermont-Ferrand le prix Télérama ainsi que le prix ADAMI pour son acteur principal Adel Bencherif. Ce film qui dévoile à un rythme effréné la relation d’équilibriste d’un éducateur avec une jeune délinquante, est aujourd’hui nominé pour le César du Meilleur court métrage 2014. Nous avons rencontré le réalisateur pour un entretien révélant quelques secrets de fabrication de ce film urgent qui s’accommode si bien de la forme courte.

Ton précédent film, La peau dure en 2007, abordait déjà la délinquance juvénile. Qu’est-ce qui te motive à montrer cette réalité ?

C’est un peu personnel, il y avait chez ces jeunes-là des problématiques sociales et familiales qui faisaient écho aux miennes. Je n’ai pas été délinquant, je n’ai pas vécu en foyer. Mais je croisais des des éducateurs et des jeunes en foyer quand j’étais jeune. Je viens d’un milieu modeste et parfois je suis surpris par la représentation de ces gens au cinéma qui, selon moi, est très éloignée de la réalité.

Il y a une vision de la délinquance qui sonne faux. Ça me mettait un peu hors de moi car je me disais « En fait, ils ne savent pas ce que c’est et ils font des films sur des gens qu’ils ne connaissent pas ». Ils perpétuent des images fausses et l’intention de mon film, c’était justement de casser cette image et d’être au plus près de ce que moi je connaissais et de cette vérité-là. Pour moi, tenter de montrer les exclus, les gens en difficulté, ceux que l’on peut croiser dans la rue, c’est même une position politique.

Tu as donc choisi la fiction pour un abord plus réel.

Oui, parce que finalement, dans un documentaire, il y a des choses que tu ne peux pas montrer et que tu ne peux pas représenter. Parce que ces jeunes que tu filmes ont parfois des sursis, des problèmes judiciaires. Tu ne peux pas montrer un jeune qui ne respecte pas ses obligations judiciaires sinon il risque la prison. Parfois la fiction, c’est plus facile. En tout cas, je me suis senti plus limité au travers de mon expérience documentaire.

Le paradoxe de la position de l’éducateur qui se substitue aux parents, sans s’attacher est au cœur du film. Pourquoi avoir voulu définir ce lien particulier ?

Je me suis intéressé à la relation particulière de l’éducateur pendant l’élaboration de mon documentaire. J’avais suivi pendant un an un jeune et je me suis rendu compte qu’il voyait à travers moi une figure paternelle. À trente ans, ça m’a fait un choc de découvrir que je pouvais lui donner des conseils. Tout d’un coup, les rôles s’étaient inversés. D’une certaine manière, j’étais venu pour recueillir quelque chose et c’était à moi de donner. Je ne me suis pas contenté de faire un documentaire. J’ai aussi tenté de l’aider. J’ai constaté que c’était très compliqué. La Fugue reflète cette relation impossible, complexe. Ce qui m’intéressait aussi, c’est toute cette complexité, cette ambivalence. C’est comme si l’éducateur disait en permanence au jeune dont il s’occupe : « J’essaye de t’aider, mais en même temps, je dois garder mes distances professionnelles ».

Là, tu as choisi un personnage pour qui cette relation à l’éducateur est difficile. Sabrina, sans attaches, est anxieuse. Elle y croit de moins en moins, jusqu’au moment où elle craque.

C’est ce que j’ai constaté justement chez tous les jeunes que j’ai rencontrés. Ils se rattachent un moment aux éducateurs. Puis ensuite, ça craque et ils lâchent.

C’est le moment dans le film où Sabrina dit : « Je te parle comme je veux maintenant, on fait notre vie chacun de notre côté » ?

Oui, et ça je l’ai vu. Ce que j’ai essayé de faire dans cette fiction, c’est d’avoir une exigence de vérité et d’authenticité, tout le temps. C’est-à-dire de ne jamais mentir sur ce que j’ai ressenti ou vu dans des foyers, avec ces jeunes en difficulté. C’est assez représentatif de ce qui se noue et se fabrique entre un jeune et un éducateur. Après il y a plusieurs relations possibles mais c’est mon point de vue. C’est subjectif.

Comment as-tu réussi à intégrer un acteur déjà expérimenté, Adel Bencherif, (Lakdar, l’éducateur dans le film) à cet ensemble d’acteurs non professionnels ? Comment s’est articulé son travail avec Médina Yalaoui (Sabrina, qui comparait au tribunal dans le film) ?

Adel est un comédien talentueux qui communique très bien. Il a cette faculté d’un grand pouvoir d’adaptation qu’il a montrée avec des gens qui n’avaient jamais joué. Je pense que parfois, ce n’était pas facile pour lui, quand par exemple Médina ne connaissait pas son texte ou le changeait au dernier moment. C’était un peu compliqué pour lui, mais autrement il y arrivait assez facilement.

Pour Médina, Adel fut à coup sûr un exemple. C’était également son tout premier rôle. Elle n’avait fait que deux petites répétitions avant. On l’a appelée deux jours avant le tournage. À l’origine, j’avais choisi quelqu’un d’autre avec qui j’avais répété pendant deux mois. Mais il s’est désisté au dernier moment. C’était quelqu’un qui sortait de prison, qui avait de gros problèmes judiciaires. J’avais fait un casting, et j’avais déjà repéré Médina.

Tu a fais un casting au sein d’un CEF (Centre Educatif Fermé) ?

Non, j’ai fait un casting sauvage dans les rues de Marseille pendant deux ou trois mois. Je suis très exigeant au niveau du casting. On a dû voir 60 jeunes qu’on avait choisis dans la rue et dans des foyers aussi, mais vraiment dans des lieux très divers.

Les dialogues du film semblent très spontanés. As-tu écrit d’après des improvisations avec les comédiens ?

Dans ce cas précis, non. Le scénario fut un travail de longue haleine, près de deux ans, et il était très écrit, avec des dialogues qui collaient au milieu que je décrivais. On crée des situations de cinéma lors de l’écriture du scénario. Et puis, c’est à l’écriture du scénario qu’on crée des situations de cinéma sur le tournage et même au montage, on dramatise un peu. La dramatisation est importante pour le spectateur afin qu’il puisse comprendre et suivre l’histoire.

Après, rien n’était figé non plus. Il y a eu de petits moments improvisés, mais finalement on est resté très près de ce que j’avais écrit à la base. Les scènes, leur mouvement et les dialogues sont identiques. Je voulais que ça colle à ce que j’avais écrit sinon il n’y avait plus de dramatisation justement. Mon travail consistait donc à pousser les comédiens à tenir une ligne, à respecter le rôle par rapport à celui que j’ai écrit.

Tu expliques dans d’autres interviews que tes comédiens pouvaient se déplacer beaucoup. Si je simplifie, tes comédiens n’étaient pas libres de leurs dialogues mais libres de leurs mouvements ?

Oui, vraiment. C’était le directeur photo, Julien Poupard, qui devait s’adapter. Comme avec les dialogues, les comédiens étaient libres mais dans une certaine limite. Ce que je voulais éviter, c’était d’avoir des comédiens contraints de se déplacer dans un cadre. Ils n’avaient pas la conscience du cadre et je voulais préserver leur spontanéité. Tout était fait pour qu’ils n’aient pas à se soucier d’une marque au sol, du cadre ou de la lumière. Justement, j’avais envie qu’ils oublient tout ça et qu’on inverse le processus. Que ce soit la caméra qui suive les comédiens et non les comédiens qui suivent la caméra.

Ton film montre la proximité et la sincérité de visages cadrés de très près. Comment as-tu fait ce choix ?

Au début, je voulais au contraire cadrer très large et en fait j’ai trouvé la façon de filmer sur le tournage avec le directeur photo. Pour être au plus près des personnages, de leur intimité, c’est sûrement comme ça que je le voyais.

Pour moi, tu joues avec leur grain de voix, mais aussi avec leurs grains de peau. On voit toutes sortes d’éclairages. On a le sentiment de bien connaître leurs visages.

Ça, c’est purement intuitif, ce n’était pas pensé ni cérébral. Cette façon de filmer s’est vraiment décidée au moment du tournage mais c’est vrai que tout était orienté sur les acteurs et l’actrice.

Au départ de La Fugue, il y a donc un travail documentaire. Comptes-tu terminer le documentaire ? Quels sont tes projets ?

Le documentaire est déjà terminé et sortira bientôt au cinéma. C’est un long métrage où je suis le parcours d’un jeune d’un foyer à l’autre. Ils n’ont jamais de vraies maisons, d’endroits pour grandir correctement. Mon film montre ça et les coulisses de la délinquance. On ne voit jamais de délits, on voit ce qu’est le rendez-vous au tribunal, le quotidien judiciaire qui est très lourd. D’ailleurs, ces jeunes-là sont des spécialistes du droit, ils connaissent tout. J’ai eu l’impression de suivre de vrais cours de droit.
J’écris actuellement un projet de long métrage qui reprend certains thèmes du court métrage mais j’essaye d’aller beaucoup plus loin.

Propos recueillis par Georges Coste

Article associé : la critique du film

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