Shanti Masud : « Je fais des films pour analyser mes rêves, les retranscrire et pour en sortir au bout du compte »

Lors de la dernière édition du festival de Vendôme, Format Court avait décerné son prix annuel à « Pour la France » de Shanti Masud. Son dernier opus « Métamorphoses » nous a également tapé dans l’œil lorsque nous l’avons découvert aux Rencontres du moyen-métrage de Brive cette année. Voici notre entretien avec Shanti Masud, jeune réalisatrice ultra-prolifique qui revient pour nous sur son parcours, sur sa cinéphilie transversale et sur ses méthodes de travail.

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Comment es tu arrivée au cinéma ?

Quand j’étais petite, je me souviens que mon père n’aimait pas l’idée que la culture française rentre chez nous. Tout ce qui était variété , cinéma français lui faisait horreur. On regardait les pièces de Shakespeare retransmises sur France 3 et les péplums. Mon père avait une passion pour le cinéma hollywoodien et pour la musique classique. J’ai donc développé d’abord un rapport très fort aux classiques, et certaines œuvres m’ont profondément marquée. La vision d’un film comme « Le Magicien d’Oz » de Victor Flemming fut un vrai choc, avec cette manière de créer tout un univers en studio, l’utilisation de la couleur, les chansons, et surtout le récit initiatique de Dorothy qui nous emmène dans cette aventure incroyable ! J’ai revu le film récemment, et je me suis rendu compte qu’il n’avait pas pris une ride.

Un autre film initiatique qui m’avait bouleversée quand j’étais enfant, c’est « L’Oiseau Bleu », un film avec Shirley Temple qui raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur qui voyagent dans le monde des rêves. En le revoyant aujourd’hui j’ai compris quelque chose : ce qui me touche, ce qui me bouleverse au cinéma, c’est lorsque s’y déploie le récit d’aventures intenses qui peuvent s’apparenter aux périples d’un cauchemar ou d’un rêve agité. À la fin du « Magicien d’Oz », Dorothy s’éveille et répète plusieurs fois : « There’s no place like home ». Je fais aussi des rêves très agités dans lesquels je vis des aventures complètement folles. Je pense que je fais des films pour analyser mes rêves, les retranscrire et pour en sortir au bout du compte.

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Tu n’as pas fait d’école de cinéma, mais tu es passée par Paris 8. En quoi consistait son enseignement ?

J’y ai fait une formation documentaire sous la direction de Claire Simon. J’y ai également fait la rencontre d’un ami et collaborateur précieux, Arthur Harari. Claire nous a un peu déniaisés en nous disant que si nous voulions filmer le réel ,il fallait d’abord se tourner vers nos proches, familles et amis pour trouver une matière documentaire forte. Elle nous a mis des caméras dans les mains et nous as poussés à aller vers ce qu’elle appelle le « personnage réel », à s’interroger sur le geste de filmer quelqu’un sans trahir son regard ni son sujet. Cette notion m’a beaucoup marquée et a conditionné ma manière de fabriquer mes premiers films.

J’ai cru comprendre que tu t’étais affranchie de ton attachement à tes premiers amours du cinéma français, en particulier celui de Pialat, découvert à ton adolescence.

Quand j’étais au lycée, je me souviens avoir dit à mon meilleur ami de l’époque qui était très cinéphile : « J’aimerais voir un film qui ressemble à la vraie vie ». Il m’a montré les films de Maurice Pialat, ce qui m’a ravie car j’ai découvert par ce biais-là un cinéma que je ne connaissais pas du tout. Pialat réussit à rendre compte d’une vérité d’une manière sublime, c’est un peintre du réel.

Tu as commencé à travailler avec les caméras Super 8 lors de ton apprentissage à Paris 8, une composante essentielle dans ton travail de cinéaste depuis tes débuts et jusqu’à aujourd’hui.

J’en suis venue à travailler avec des caméras Super 8 par le biais d’Arthur et de mon copain de l’époque qui en utilisaient beaucoup. J’étais émerveillée, j’apprenais à me servir d’un objet qui fabriquait des images magnifiques qui retranscrivaient déjà quelque chose de l’ordre du passé, de la nostalgie. J’avais la sensation de faire de la magie avec cette caméra, et je ne m’en suis jamais détachée par la suite. Je viens d’ailleurs d’achever le montage de « While the unicorn is watching me », un court-métrage dans lequel joue Nicolas Maury (un des acteurs de « Métamorphoses »), un film érotique tourné intégralement en Super 8.

Mon premier court-métrage était réalisé sur le même support. Il date de 2004 et s’appelait « L’Appel ». J’y faisais le portrait documentaire d’un jeune soldat que j’avais rencontré sur les routes d’Ardèche alors que je rentrais du festival de Lussas. J’ai réalisé ensuite un court-métrage expérimental intitulé « The place we want to go » dans le cadre de la fac, que j’ai aussi tournéseule avec ma caméra Super 8.

D’une approche documentaire vériste, tu es passée par les formes expérimentales avec le diptyque composé de « Don’t touch me please » et « But we have the music » pour arriver à des formes plus fictionnelles dans « Pour la France » et dans « Métamorphoses », ton dernier moyen-métrage. Il y a néanmoins un fil conducteur qui traverse ta filmographie, c’est ce travail autour du portrait qui s’accompagne progressivement d’une recherche d’alchimie avec la musique puis le verbe.

L’approche documentaire que j’ai entreprise via l’enseignement de Claire Simon m’a poussée à considérer avec respect et pudeur les individus que je filmais. Filmer le visage de quelqu’un qui se confie, qui se révèle ne va pas de soi. On nous a appris à écouter et à regarder les autres dans ces ateliers documentaires. J’ai réalisé beaucoup de portraits sur ce mode là, et j’ai longtemps pensé que la réalité suffisait et que tout ce qu’elle donnait était bon à prendre. C’était faux, évidemment, mais le fait d’être passée par cet apprentissage m’a donné des clefs pour appréhender le réel et surtout pour regarder les gens, leur visage.

Avec le diptyque « But we have the music » et « Don’t touch me please », le projet consistait à réaliser quelque chose de simple, d’économique tout en cherchant une certaine joliesse. Je voulais travailler une narration à partir d’un fil conducteur très ténu, en mettant en place un dispositif qui construirait un rapport entre la photographie et le cinéma. J’écoutais également beaucoup de musique, et j’ai mis en place ce principe : une cartouche de pellicule Super 8 permet de filmer en continu pendant trois minutes, ce qui est aussi la durée standard d’une chanson pop. J’ai donc réalisé une suite de portraits d’individus qui composaient mon entourage de l’époque en filmant leurs visages, avec pour bande sonore des chansons pop. J’avais trouvé une forme qui me permettait d’être complètement en adéquation avec l’endroit créatif où je me trouvais à ce moment-là, tout en fabriquant un objet qui pouvait plaire à d’autres spectateurs.

Avec « Pour la France » et « Métamorphoses », tu te diriges plus franchement vers la fiction en passant par les personnages, le texte et le jeu d’acteur. Tu intègres également des éléments ouvertement fantastiques à ces récits. Tu les matérialises en passant par des effets spéciaux artisanaux que l’on retrouve dans chacune de tes productions récentes.

« Pour la France » est le premier film dont j’ai accouché comme d’un enfant, car sa gestation fut très longue. Il s’agit du premier film que j’ai écrit, et j’ai mis beaucoup de temps à trouver un producteur et des financements. J’ai même eu plusieurs fois l’envie de jeter le scénario à la poubelle, de le désavouer complètement. Mais j’ai réussi à faire le film, et je suis très contente du résultat. Je voulais arriver à filmer des visages, des personnages mélancoliques et à intégrer certains éléments qui relèveraient presque de la magie, ainsi que des éléments comiques pour désamorcer la lourdeur d’un récit assez ampoulé.

Avec « Métamorphoses », je voulais revenir frontalement à ce travail autour du portrait en allant vers de nouvelles formes. Pour ce faire, il fallait passer à des couleurs flamboyantes, travailler avec des fabricants d’effets spéciaux, des costumières, tout un aspect technique de la réalisation d’un film que je ne connaissais pas encore. J’ai réussi à m’affranchir de l’idée qu’un film est juste le pur produit d’«un auteur avec sa caméra», et qu’il est important de considérer tous les acteurs de la fabrication d’un film, des techniciens aux producteurs jusqu’aux financiers.

Dans « Métamorphoses », comme dans tes autres films, tu assumes des envies et des partis pris assez gonflés. Tu filmes tes personnages déclamant des monologues face caméra qui sont autant de cris du cœur liés à une rupture ou à une rencontre amoureuse, avec pour contre-champs le vide infini de l’espace comme seul réceptacle capable d’accueillir leurs paroles. Il s’en dégage une forme de pureté, une lecture au premier degré des affects de ces personnages.

Je déteste le second degré au cinéma, j’espère que personne ne peut ressentir cela à la vision de mes films. J’écris et réalise mes films au premier degré, c’est-à-dire pour moi, je pense à mon plaisir et à mes envies avant toute chose. J’ai écrit huit textes très chargés en peu de temps, de façon très intense avec un besoin de transformer des sensations en cris stridents qui résonnent dans l’espace. Pour que ce film fonctionne, il fallait que tous les aspects de sa conception aillent dans la même direction : il fallait des acteurs talentueux qui aillent à fond dans leur jeu, que les maquillages soient ahurissants, que les effets spéciaux soient aussi délirants que les textes que j’avais écrit. J’ai énormément travaillé, et je suis contente du film et contente de mes textes. On peut trouver le résultat ampoulé, dire que cela frôle le grotesque mais j’en suis parfaitement consciente et l’assume car c’est ce que j’aime.

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Aujourd’hui, vers quoi tendent tes envies de réalisatrice ? Quels sont tes projets ?

Je prépare un court-métrage avec Lucas Harari et un autre acteur que j’adore, qui s’intitule « Jeunesse ». Je veux explorer d’autres horizons, aller du coté de l’océan tout en conservant cette volonté d’expérimentation, en tournant ce film en studio notamment. J’ai un projet beaucoup plus lointain qui s’appelle « Young », un projet de comédie et un film tragique sur l’enfance qui travaillerait les notions de rêve et de cauchemar… dans un récit d’aventure.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

Article associé : la critique de « Pour la France »

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