Bagni 66 de Diego et Luca Governatori

Dans la sélection de Vendôme, cette année, certains films avaient comme thème la transmission. Que ce soit dans « Footing » de Damien Gault, « Home run » de Lucas Davis ou dans « Bagni 66 » de Diego et Luca Governatori, le rapport au père était bel et bien présent. Si le premier film oppose deux générations sur fond de course à pied et de préjugés, le deuxième prend le parti d’un road-movie moyennement intéressant alors que le troisième confronte père et fils dans un établissement balnéaire, sur la côte adriatique.

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Diplômés de la Fémis, les frères Governatori nous avaient intrigués avec « Vita di Giacomo », leur film de fin d’études centré sur Giacomo, la figure atypique d’un jeune séminariste sur le point d’être ordonné prêtre, en pleine période de coupe du monde, en Italie. Deux images nous étaient restées en tête : la première, très percutante, entourait une ronde de séminaristes, en habits de culte, l’autre, très drôle, favorisait la rencontre entre l’un d’eux (Giacomo) et des supporters de football, à l’arrière d’un camion. Le film, lauréat du grand Prix au Festival du moyen-métrage de Brive en 2008, parlait de deux professions de foi, le catholicisme et le football, reliant les êtres humains, sur fond ultra réaliste. Les frères Governatori y avaient joué sur plusieurs tableaux : le mélange entre fiction et réel, l’interaction entre les acteurs professionnels et non professionnels, les idées préconçues sur la prêtrise, et le contact simple et humain entre des individus que tout pouvait opposer.

Après s’être penché sur l’engagement spirituel, Diego et Luca Governatori nous proposent cette fois avec « Bagni 66 », un autre type de transmission et de confrontation, le temps d’un été. Un père, Aroldo, et son fils, Elio, ne s’entendent plus quant au sort à réserver à leur petite entreprise familiale, une station balnéaire sur la côte italienne. Evoquant la crise et l’absence de vacanciers, l’aîné (interprété par le propre père des réalisateurs) ne veut plus s’en occuper, étant en quête de tranquillité. Son fils, lui, rejette l’opinion du père et souhaite reprendre l’entreprise en lui apportant de légers changements. Ce même été, Mathilde, une jeune femme française vient aider les deux plagistes.

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Comme dans le précédent film, différentes choses nous interpellent : le mélange des langues (français/italien), des scènes très belles et singulières (le père faisant du yoga sur la plage, la scène de repas, avec le passage des petites cuillers), la relation platonique entre Marc Vittecoq (Elio) et la très troublante Salomé Stévenin (Mathilde), mais aussi le lien renouvelé entre réel et fiction (les frères Governatori prennent, par exemple, le temps de filmer longuement une fête aux accents rock & roll et d’y introduire leurs personnages et leurs oppositions.

Au coeur du film, se pose les questions de la transmission filiale, de l’incompréhension entre les générations, du sort d’une entreprise familiale, du vieillissement, du désir, de la renaissance, et de la recherche d’identité. Avec ses cris, ses non-dits, ses rires, ses sourires et ses gênes, « Bagni 66 » nous séduit particulièrement. Meilleur moyen métrage de Vendôme, il rejoint d’autres films de même format nous ayant passionné cette année : « Sur la route du paradis » de Uda Benyamina, « Boro in the Box » de Bertrand Mandico et « La vie parisienne » de Vincent Dietschy, notre prochain sujet sur Format Court.

Katia Bayer

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B comme Bagni 66

Fiche technique

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Synopsis : Comme tous les étés, Elio rejoint son père en Italie pour l’aider à gérer le petit établissement balnéaire familial, le BAGNI 66, situé sur la côte adriatique. Mais les temps de crise et les conflits permanents ont usé le vieux plagiste qui ne tarde pas à faire part à son fils de sa volonté de céder le petit commerce.

Genre : Fiction

Pays : France

Durée : 54′

Année : 2011

Réalisation : Diego Governatori , Luca Governatori

Scénario : Diego Governatori , Luca Governatori

Montage : Diego Governatori , Luca Governatori

Montage Son : Pierre Bariaud

Interprétation : Marc Vittecoq, Salomé Stévenin, Aroldo Governatori

Prodcution : Les Films Hatari

Article associé : la critique du film

A comme A nos terres

Fiche technique

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Synopsis : Nicole et Auguste vivotent de leur métier d’agriculteurs, seuls en Ariège. La question se pose de la fin d’un métier, de ce corps paysan menacé.

Genre : documentaire

Année : 2012

Pays : Belgique

Durée : 22′

Réalisation :  Aude Verbiguié

Production : IAD

Article associé : la critique du film

A nos Terres d’Aude Verbiguié

Le Prix du Meilleur Documentaire au festival Media 10-10 cette année a été remporté à juste titre par « A nos terres » d’Aude Verbiguié. Ce remarquable premier film pose un nouveau regard sur un sujet qui semble être l’une des préoccupations des cinéastes belges ces derniers temps : la crise agricole ressentie de diverses manières à travers le monde.

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Comme attirée par un appel à ses racines, Aude Verbiguié revisite sa région d’origine dans le département de l’Ariège, où elle suit Nicole et Auguste, vieux couple de survivants de cette espèce menacée qu’est la classe des fermiers. Dans leurs pérégrinations quotidiennes, la vie est dure et impitoyable mais gratifiante par le contact direct avec la Nature et la Terre. Aude Verbiguié explore la problématique de l’effacement progressif de la paysannerie locale face à la globalisation, en s’invitant dans l’intimité de ce couple, en leur donnant la parole pour exprimer leur point de vue, leurs craintes et surtout leur conviction sans faille pour une vocation d’éleveurs de bêtes et nourrisseurs d’hommes. Une vocation ancienne de millénaires qui distingue l’homme moderne de son prédécesseur chasseur-cueilleur, une vocation qu’il serait à tous points de vue aberrant de vouloir supprimer au nom du progrès. Au-delà de l’apologie de l’agriculteur paysan, le film démontre la fragilité du métier et l’incertitude de son avenir face au modèle productiviste qui, depuis des décennies, provoque la libéralisation des produits les plus fondamentaux, en l’occurrence la nourriture.

Ce ‘corporatisme’ semble effectivement en inquiéter plus d’un : les multiples crises laitières en Europe et les trop nombreuses catastrophes dans les pays pauvres ont indéniablement tiré la sonnette d’alarme pour qu’une grande partie de la population mondiale commence à questionner le statut quo et à chercher des solutions alternatives au marché agricole déséquilibré. Les cinéastes s’y mettent aussi, munis de leur caméra comme outil de communication. Rien qu’en Belgique francophone, l’an 2012 a vu pas moins de quatre titres consacrés à ce sujet brûlant. Du documentaire objectif et responsable de Jean-Jacques Andrien, « Il a plu sur le grand paysage », à la fiction intelligente et sensible de Guillaume Senez, « U.H.T », en passant par le documentaire affable mais quelque peu anecdotique de Manu Bonmariage, « La Terre amoureuse », il est évident que ce retour aux sources a le vent en poupe. Et le septième art comme puissance douce relève le défi de la dénonciation et de la sensibilisation sociale et, espérons-le, politique (en tout cas le documentaire d’Andrien aborde clairement cette dimension).

Ce n’est donc pas dans le choix du sujet que le travail de Verbiguié peut prétendre à une grande originalité. Sa force est plutôt dans sa démarche documentaire, franche, personnelle et hautement humaniste, qui permet une empathie totale avec son sujet. Avec son titre équivoque entre ode et ordre, « A nos terres » se positionne à la fois comme le portrait touchant d’un monde en voie de disparition et un traité engagé, un appel à l’action et à la réappropriation équitable et respectueuse de la planète par tous ses habitants.

Adi Chesson

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U.H.T de Guillaume Senez

Qu’elle a bien changé la situation des agriculteurs en l’espace de cent ans à peine. À l’heure où l’Europe sanctionne et normalise dans un but d’harmonisation, le profil des paysans d’aujourd’hui souffre grandement d’un manque de reconnaissance. Avec « U.H.T », sélectionné à Media 10-10 notamment, Guillaume Senez s’est intéressé à la crise que vivaient ces amoureux de la Terre et livre au passage une fiction fascinante.

Contrairement à ses aînés que sont Manu Bonmariage (« La Terre amoureuse ») ou encore Jean-Jacques Andrien (« Il a plu sur le grand paysage »), Guillaume Senez a choisi de traiter du monde agricole par le biais de la fiction, en montrant un moment de la vie de Sophie et Augustin. Lui est producteur de lait. Elle le voit tous les jours se donner corps et âme pour un métier qu’il aime passionnément au point de le faire passer avant sa famille.

Si Senez opte pour une mise en scène fictionnelle, c’est avant tout parce que le vrai sujet du film n’est pas tant la crise du lait et celle du monde des paysans du 21ème siècle mais plutôt la façon dont le couple réagit à cela, la manière dont chacun se soutient dans les moments difficiles. La grande force du film est d’avoir été réalisé avec une minutie documentaire élaborée. Les gestes d’Augustin, de la traite des vaches à la conduite du tracteur, sont tellement justes qu’on y croit les yeux fermés. Dans les longs plans silencieux où il s’attarde sur les taches routinières de son protagoniste, le réalisateur semble filmer son alter-ego, son double, son complice solitaire qui combat l’aberration d’un système établi.

Plus que dans son film précédent « Dans nos veines », qui a connu un joli parcours dans les festivals belges et étrangers, Guillaume Senez a mis l’accent sur le naturalisme dans « U.H.T. », ce qui est tout à son honneur. L’interprétation sans faille de Catherine Salée et de Cédric Vieira y est certainement pour beaucoup. À la lisière des genres, « U.H.T » arrive à transmettre une certaine émotion de cinéma vérité que l’on retrouve dans le cinéma documentaire et réussit à sublimer le réel au sein d’une fiction maîtrisée . Un court métrage à découvrir assurément !

Marie Bergeret

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Article associé : l’interview de Guillaume Senez

Guillaume Senez : « Peut-être que quand je serai vieux, je ferai des films sur les vieux mais en attendant, je fais des films sur les adolescents »

Sélectionné à Media 10-10 et lauréat du Prix du Jury de la compétition nationale au FIFF, « U.H.T » compte également parmi les courts métrages pré-sélectionnés pour Les Magritte 2013. Voilà de quoi réjouir son réalisateur Guillaume Senez qui avoue avoir, à 14 ans, préféré regarder les films de Mike Leigh et de Ken Loach pendant que ses copains se ruaient pour voir « Jurassic Park ». C’est donc tout naturellement qu’il s’est dirigé vers le cinéma. Rencontre d’un passionné.

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Dans tes deux films précédents « La Quadrature du cercle » et « Dans tes veines », tu as traité de l’adolescence. Or, avec « U.H.T » tu t’intéresses plutôt au couple. Pourquoi ?

Je parle des choses qui me touchent. Je ne calcule pas vraiment. J’ai réalisé « La Quadrature du cercle » parce que lorsque j’étais en première à l’Inraci (Institut National de Radioélectricité et de Cinématographie, Bruxelles), un étudiant de deuxième s’est suicidé d’une balle dans la tête. Ça m’a marqué alors j’ai voulu parler du suicide d’un adolescent. « Dans nos veines », je l’ai écrit alors que j’allais devenir moi-même père. Je me suis posé pas mal de questions sur la filiation, la place que j’avais en tant qu’enfant et celle que mon fils allait prendre. Tout ce questionnement sur la paternité a fait que j’ai voulu en faire un film. Enfin, si j’ai voulu réaliser « U.H.T », c’est parce que j’ai été témoin de la révolte agricole pendant les manifestations en 2009. Voir les paysans jeter leur lait cela a fait écho à ma propre vie. Ces gens essayent de vivre, de se battre pour exercer leur métier. C’est cela qui m’intéressait avant tout, de voir comment un couple peut résister à l’adversité. En fait, mes films s’inspirent tous en général de quelque chose que je suis en train de vivre.

Dans « U.H.T », plus que dans tes autres films, tu t’es fort attaché aux détails dans une volonté de rester au plus près de la réalité. Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire dans ce cas ?

Tout simplement parce que je ne m’y retrouve pas en documentaire. Je me sens si bien dans l’écriture fictionnelle parce que je suis maître de mes personnages, je suis maître de ce qui leur arrive. De plus, c’est plus facile pour moi de faire passer quelque chose dans un univers créé de toutes pièces. Et puis, c’est très excitant de donner vie à quelque chose, de raconter une histoire. J’aime décider de ce que l’on montre, de ce que l’on suggère. Même si j’essaye toujours de tendre vers le plus de naturel possible, j’aime l’idée que mes films restent des fictions. Et j’apprécie beaucoup le jeu avec les comédiens, travailler avec eux et les mettre en scène.

Comment t’est venu le choix des comédiens pour incarner ce jeune couple qui n’arrive pas à communiquer ?

Le choix de Catherine Salée est venu assez vite et naturellement, c’est une comédienne avec laquelle j’avais envie de travailler depuis longtemps. En ce qui concerne Cédric Vieira, c’est la directrice de casting qui m’a fait rencontrer 5 à 6 comédiens, tous aussi bons les uns que les autres mais Cédric amenait une profondeur en plus par rapport aux autres. Du coup, j’ai foncé. C’est un vrai comédien. Il est tout simplement hallucinant. Et le couple marche très bien. Ils ont d’ailleurs tous les deux obtenu le Prix d’interprétation au Festival Jean Carmet dans la section « Jeunes espoirs ». C’est une belle reconnaissance. Je suis vraiment content pour eux.

Comment s’est passé le transition de la direction d’adolescents non professionnels pour tes deux précédents films à des comédiens professionnels dans « U.H.T »?

Ca a été un peu pareil car j’ai travaillé de la même façon. Dans les deux cas, je ne leur ai pas donné mon scénario, on a travaillé sur des situations improvisées proche de celles à interpréter dans le scénario, petit à petit je les ai amené au texte. Je dirais que c’est même presque plus facile de diriger des comédiens non professionnels car ils ne sont pas imprégnés de leur technique.

« U.H.T » a été réalisé au même moment que « La Terre amoureuse » de Manu Bonmariage et « Il a plu sur le grand paysage » de Jean-Jacques Andrien, deux longs-métrages qui traitent également du monde agricole.

C’est le fruit du hasard. Je pense que c’est normal, ils sont cinéastes et que comme moi, ils ont été touchés par ce qu’il se passe chez les agriculteurs. En même temps, je précise que chez moi, l’agriculture est la toile de fond. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de montrer la difficulté de vivre de sa passion. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de non-dits dans mon film et qu’il y a beaucoup d’ellipses aussi. On n’explique pas par exemple pourquoi Augustin jette son lait à la fin du film et quand Sophie est au téléphone, il aurait été simple de montrer la conversation avec le laitier qui lui explique les choses. Mais j’ai voulu me centrer sur le couple, sur les répercussions que la crise laitière avait sur leur histoire d’amour.

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Le format du court métrage est-il un format qui fonctionne bien avec ta façon de mettre tes thématiques en scène ou est-ce une étape obligatoire avant le long ?

Je ne vais pas te cacher les choses. Moi, j’ai voulu faire du cinéma pour faire du long, c’est sûr. J’ai découvert le court métrage alors que j’étais étudiant. Après, j’avoue que je me sens très à l’aise dans le court métrage parce que j’ai beaucoup plus de facilité à raconter une histoire dans le court, c’est un format que j’aime beaucoup. C’est un format en soi et j’aimerais vraiment pouvoir continuer à réaliser des courts métrages toute ma vie, et puis, c’est aussi plus facile à financer. J’aimerais pouvoir vivre de ma passion et pouvoir faire des films toute ma vie que ce soit des courts, des moyens ou des longs car c’est cela que j’ai envie de faire. Le problème est que tu ne gagnes pas ta vie en faisant des courts métrages. Si je veux en vivre, je suis quasi obligé de passer au long.

Tu as un projet de long métrage, peux-tu m’en parler ?

Oui. C’est de nouveau sur l’adolescence. Et oui, on parle que de ce que l’on connaît. Peut-être que quand je serai vieux, je ferai des films sur les vieux mais en attendant, je fais des films sur les adolescents. C’est l’histoire de deux ados de 14 ans qui sont amoureux. Et puis, la fille tombe enceinte. Tout le film se concentre sur le fait de savoir comment le gars va convaincre sa copine de garder l’enfant. C’est un film que j’ai écrit avec David Lambert, le réalisateur du long-métrage « Hors les murs ». On avait déjà collaboré pour « Dans nos veines ». Là, on est en recherche de financement. C’est très difficile de développer un premier long métrage sur l’adolescence sans têtes d’affiche. Mais bon, on continue d’y croire.

Propos recueillis par Marie Bergeret

Article associé : la critique de « U.H.T. »

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U comme U.H.T

Fiche technique

Synopsis : Sophie voit tous les jours son mari Augustin partir travailler pour sa petite exploitation laitière. Il y travaille corps et âme. Pourtant depuis quelques temps, la production de sa ferme ne suffit plus à assurer la pérennité financière de sa famille. Sophie ne se doute de rien, mais pour combien de temps encore…

Genre : Fiction

Durée : 18’

Pays : Belgique

Année : 2012

Réalisation : Guillaume Senez

Scénario : Guillaume Senez et Grégory Lecocq

Image : Elin Kirschfink

Son : Antoine Corbin

Montage : Julie Brenta

Interprètes : Catherine Salée, Cédric Vieira

Production : Iota, Ultime Razzia, Les Films Velvet

Articles associés : l’interview de Guillaume Senez, la critique du film

Le Cri du homard de Nicolas Guiot

« Je sentais un cri infini qui se passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. » Edward Munch à propos de son tableau « Le cri »

Lauréat du Prix du Premier Film au Festival de Brest et Prix du Meilleur Court métrage de fiction à Média 10-10 à Namur, « Le Cri du homard » de Nicolas Guiot, dont on ne compte plus les récompenses glanées au gré des sélections festivalières,, est également nominé pour le prestigieux César ainsi que pour le Magritte, du Meilleur Film de Court Métrage. Un succès qui se justifie pleinement tant la réalisation de ce court belge relève d’une certaine virtuosité.

Au cinéma, quand la guerre est traitée par le prisme de l’enfance, elle prend souvent une toute autre dimension, car loin du monde rationnel des adultes, l’imaginaire enfantin élève à la poésie ce qui ne serait en définitive que pure barbarie. Le regard que l’enfant pose sur la violence humaine est nécessairement teinté d’innocence même s’il ne peut empêcher la peur de naître aussi. Cette peur viscérale, c’est celle que Natalia, 6 ans, installée depuis peu en France avec ses parents, ressent à l’égard de son grand frère Boris, revenu de Tchétchénie. Il semble tellement différent du frère qu’elle a connu qu’elle préfère l’éviter.

Si Guiot fait débuter son film par un plan séquence éloquent à travers les pièces de la maison, lieu de la nouvelle vie de cette famille d’exilés russes, c’est pour mieux nous plonger dans l’histoire qu’il veut nous raconter, pour mieux faire figurer l’esprit fragile de Boris qui contraste grandement avec la candeur de Natalia. Les vieilles pierres et le soir d’été semblent bien ridicules face aux tourments qui animent le regard absent du fils prodigue. Chacun tente d’affronter la situation à sa manière. Mais très vite, l’atmosphère se gâte, une tension palpable se fait sentir. Tel le cri absent du homard que l’on plonge dans l’eau bouillante, le silence entoure la famille. Un silence pesant qui ne peut mener qu’à la tragédie.

La force du film de Nicolas Guiot réside dans une parfaite connaissance du langage cinématographique. Le producteur de « Dimanches » (Valéry Rosier), et d’« U.H.T » (Guillaume Senez) est passé à la réalisation en sachant très bien comment il veut exprimer ce qu’il a à dire et ça se voit. L’image de Jean-François Metz nous poursuit tout au long du film et bien après. Quant aux acteurs, ils sont tous plus vrais les uns que les autres et l’on s’accorde à penser que la petite Claire Thoumelou n’a certes pas volé son Prix d’interprétation à Brest.

« Le cri du homard » est un film dense et intense qui arrive à parler du traumatisme psychique d’un jeune soldat sans jamais peser car le point de vue de Guiot n’est ni politique ni militant. Ce que le réalisateur a voulu démontrer c’est la manière dont la violence mène irrémédiablement à la violence, comment il est difficile de se soustraire à ce cercle vicieux. Avec son premier film, Nicolas Guiot nous montre que la guerre est l’abnégation de l’humanité et que pour celui qui en revient, il est presque impossible de regarder la vie dans les yeux et continuer comme s’il ne s’était rien passé.

Marie Bergeret

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C comme Le Cri du homard

Fiche technique

Synopsis : D’origine russe et installée depuis peu en France avec ses parents, Natalia, six ans, attend impatiemment le retour de son frère, Boris, parti combattre en Tchétchénie. 
Le grand jour est arrivé, mais la fillette doit rapidement déchanter. 
Cet homme est-il vraiment le frère qu’elle a connu ?

Genre : Fiction

Durée : 30’

Pays : Belgique, France

Année : 2012

Réalisation : Nicolas Guiot

Scénario : Nicolas Guiot

Image : Jean-François Metz

Son : Arnaud Calvar, Aline Huber

Montage : Martin Leroy

Interprètes : Claire Thoumelou, Anton Kouzemin, Tatiana Gontcharova, Miglen Mirtchev, Jana Bittnerova, Boris Rabey

Production : Hélicotronc, Ultime Razzia Productions, Offshore

Article associé : la critique du film

Festival Média 10-10 2012

Du 13 au 17 novembre, le Festival Média 10-10 fêtait ses 40 ans, à Namur. Pour l’occasion, la Maison de la culture accueillait pas moins de 39 courts métrages répartis en deux compétitions : celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de l’OVNI (objets visuels non identifiés). Pour la seconde fois, Format Court remettait un Prix au meilleur film OVNI. Avant de découvrir le focus consacré à notre film lauréat, « Antero » de Jose Alberto Pinto, laissez-nous vous dévoiler nos coups de cœur de cette année.

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Retrouvez dans ce focus :

la critique de « U.H.T. » de Guillaume Senez

l’interview de Guillaume Senez, réalisateur de « U.H.T. »

la critique du « Cri du homard » de Nicolas Guiot

la critique de « Atomes » de Arnaud Dufeys

le palmarès

la programmation

le focus 2011

et d’autres sujets dans les jours à venir!

La compétition labo du prochain Festival de Clermont-Ferrand

Les nouveaux films d’Andrew Kavanagh, de Theodore Ushev, de Sergio Oksman, de Jean-Gabriel Périot, de Yuri Ancarani, dont nous avons déjà évoqué les travaux respectifs sur Format Court, seront visibles au prochain festival de Clermont-Ferrand, en section Labo. Voici les titres de ces films ainsi que ceux des autres films en compétition (30 au total)

Sélection Labo

Sonntag 3 – Jochen Kuhn – Allemagne
Mud Crab – Igor Coric, Sheldon Lieberman – Australie
The River – Tarquin Netherway – Australie
Men of the Earth – Andrew Kavanagh – Australie
Rauch und Spiegel – Nick Moore – Australie
Malody – Philip Barker – Canada
Rossignols en décembre – Theodore Ushev – Canada, Québec
A Story For the Modlins – Sergio Oksman – Espagne
Bite of the Tail – Song E Kim – Etats-Unis
The Giant – David Raboy – Etats-Unis
Just Ancient Loops – Bill Morrison – Etats-Unis
Nadya – Mary Rasmussen, Jonathan Sanford – Etats-Unis
Solipsist – Andrew Huang – Etats-Unis
The Great Rabbit – Atsushi Wada – France
The Devil – Jean-Gabriel Périot – France
Chiens – Caroline Poggi – France
Piattaforma Luna – Yuri Ancarani – Italie
Liza, Namo! – Oksana Buraja – Lituanie, Estonie
Reality 2.0 – Julia Kovalenko – Mexique, Allemagne
Nol King Ruter – Nood Heerkens – Pays-Bas
Sizígia – Luis Urbano – Portugal
Lady and the tooth – Shaun Clark – Royaume-Uni
Last Breath – Ying Ping Mak – Royaume-Uni
Lay Bare – Paul Bush – Royaume-Uni
The Search for Inspiration Gone – Ashley Briggs – Royaume-Uni
Ekki Mukk – Nicholas Abrahams – Royaume-Uni
My Face Is In Space – Thomas Jobbins – Royaume-Uni
Velocity – Karolina Glusiec – Royaume-Uni
The Creator – Al Holmes, Al Taylor – Royaume-Uni
Plug & play – Michael Frei – Suisse

Les derniers jours d’Elsa d’Armand Lameloise

Elsa. Une fille pas comme les autres

Il fut beaucoup question de l’adolescence dans la sélection du dernier Festival de Vendôme. « Les derniers jours d’Elsa » d’Armand Lameloise ne déroge pas à la règle, mais offre un point de vue original sur les tourments d’une jeune fille en pleine mutation.

Le film démarre par une banalité quotidienne de l’âge ado : des jeunes filles se maquillent dans les toilettes, discutent de leurs amours, de sexualité et de soirées entre amis. Toutes raillent la même camarade, une certaine Elsa, a priori assez libérée avec les garçons. Une fille facile en somme. Il faut dire qu’Elsa a besoin de réconfort : vivant à la campagne dans un environnement qui l’exècre, elle n’arrive pas à se faire des ami(e)s à l’école (seuls deux semblent vraiment la comprendre) et ne rêve que d’intégrer un nouvel établissement à la rentrée prochaine. En attendant, Elsa se console avec ses (ch)armes, et ce sont les garçons qui la font se sentir moins seule.

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Le point de vue pourrait choquer : n’oublions pas qu’il s’agit d’une représentante de la gent féminine, et que ce qui rend un garçon Don Juan fait d’une fille une salope. Là où le réalisateur aurait pu mettre son film en péril, il lui donne une force inattendue. Le choix de Virginie Reyes comme interprète d’Elsa est un coup de maître. L’actrice, visage poupon et corps sensuellement enrobé, habite son personnage avec force et distance, laissant l’adulescente en elle s’exprimer. En brossant le portrait d’une fille perdue mais pas désespérée, le réalisateur met la société en perspective. Il évoque alors aussi bien le poids de l’apparence que l’infâmie de la rumeur, ne laissant que peu d’échappatoire à une génération sacrifiée d’avance sur le bûcher de la crise. « Les derniers jours d’Elsa » aurait pu être un documentaire, tant dans sa forme que dans son fond. Ce film est à la fois une ode à la vie et un crépuscule de mort, car tous y errent dans l’attente de jours meilleurs. Le triste constat du désenchantement n’est pourtant pas une fatalité : dans « Les derniers jours d’Elsa », rien n’est perdu d’avance.

Géraldine Pioud

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D comme Les derniers jours d’Elsa‏

Fiche technique

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Synopsis : Elsa a seize ans. Elle aime beaucoup les garçons et pas vraiment l’école. Mais elle n’aime pas la campagne où elle vit. À la rentrée prochaine, Elsa quittera la ferme familiale, les crasses des filles du collège et les secrets des garçons.

Réalisation : Armand Lameloise

Genre : Fiction

Durée : 41′

Année : 2012

Pays : France

Scénario : Armand Lameloise

Image : Thomas Favel

Son : Nicolas Paturle

Montage : Martial Salomon

Décors : Marie Grosdidier

Mixage : Vincent Verdoux

Interprétation : Virginie Reyes, Apolline Ley, Yvan Criqui, Olivier Jannel, Marie Goypieron

Production : Les Films Velvet

Article associé : la critique du film

Clermont-Ferrand, les 79 films de la compétition internationale

Cette année, les sélectionneurs du Festival de Clermont-Ferrand ont retenu 79 films en compétition internationale. Parmi ceux-ci, « The Curse » de Fyzal Boulifa (projeté à notre séance de rentrée), « Sessiz/Be Deng » de L. Rezan Yesilbas (Palme d’Or 2012) et « Prematur » Gunhild Enger, lauréat du Prix Format Court au dernier Festival de Brest. Voici la liste entière des films en lice au prochain festival.

Compétition internationale

Une journée ordinaire – Bahia Allouache – Algérie
Ausgleich – Matthias Zuder –  Allemagne
Stolz des Ostens – Christoph Wermke – Allemagne
Primera Sangre – Ramiro Longo – Argentine
Tender – Jessica Redenbach – Australie
You Like It, I Love It – James Vaughan – Australie
Perfect Drug – Toon Aerts – Belgique
Sidewalk – Berivan Binevsa – Belgique
Canção para minha irmã – Pedro Severien –  Brésil
Na sua companhia – Marcelo Caetano – Brésil
Father – Collectif – Bulgarie, Croatie, Allemagne
Skok – Kristina Grozeva, Petar Valchanov – Bulgarie
A Pretty Funny Story -Evan Morgan – Canada
Bydlo – Patrick Bouchard – Canada
Calcutta Taxi – Vikram Dasgupta – Canada, Inde
Par avion – Cristina Martins –  Canada, Québec
San Juan, la noche más larga – Claudia Huaiquimilla – Chili
6th March – Chun Wong –  Chine, Hong Kong
Los asesinos – Rodrigo Dimate – Colombie
Tierra escarlata – Jesus Reyes – Colombie
Intervention – Yong-Wan Kim –  Corée du Sud
The Night of the Witness – Park Buem – Corée du Sud
Noodle Fish – Jin-man Kim – Corée du Sud
Camionero – Sebastián Miló – Cuba
Kendo Monogatari – Fabián Suárez – Cuba, Guatemala
Miniyamba – Luc Perez – Danemark, France
Markeb waraq – Helmy Nouh – Egypte
Anacos – Xacio Baño – Espagne
Elefante – Pablo Larcuen – Espagne
Voice Over – Martin Rosete – Espagne
Kolmnurga Afäär – Andres Tenusaar – Estonie
Best If Used By – Aemilia Scott – Etats-Unis
Hotel Pennsylvania – Marc Wilkinson – Etats-Unis
Mobile Homes – Vladimir de Fontenay – Etats-Unis, France
Penny Dreadful – Shane Atkinson – Etats-Unis
Una furtiva lagrima – Carlo Vogele – Etats-Unis
Treffit – Jenni Toivoniemi – Finlande
Mademoiselle Kiki et les Montparnos – Amélie Harrault – France
Living Still Life (La résurrection des natures mortes) – Bertrand Mandico – France
45 Degrees – Georgis Grigorakis – Grèce
After the Class – Fereshteh Parnian Zad – Iran
Koorsoo – Omid Abdollahi – Iran
Foxes – Lorcan Finnegan – Irlande
Ástarsaga – Asa Hjorleifsdottir – Islande, Etats-Unis
Welcome and… Our Condolences – Leon Prudovsky – Israël
La danza del piccolo ragno – Collectif – Italie
La terra – Daniele Suraci – Italie
Zinì e Amì – Pierluca Di Pasquale – Italie
Girl of Wall – Yuji Harada – Japon
Mou Ikkai – Atsuko Hirayanagi – Japon, Singapour
Orange – Masaya Matsui –  Japon, Philippines
Fishing Without Nets – Cutter Hodierne –  Kenya
Wahabtoka Al Muta’h – Farah Shaer – Liban
Le zébu de Dadilahy Luck – Ambinintsoa Razanajaona – Madagascar
Guang – Shio Chuan Quek – Malaisie
Para armar un helicóptero – Izabel Acevedo – Méxique
Ana – Natalia Saufert – Moldavie
Prematur – Gunhild Enger – Norvège
Ellen Is Leaving – Michelle Savill – Nouvelle-Zélande
Man in pak – Anna Van Der Heide – Pays-Bas
Sevilla – Bram Schouw – Pays-Bas
Swieto Zmarlych – Aleksandra Terpinska – Pologne
Betoniera – Liviu Sandulescu –  Roumanie
Achele – Clara Kraft Isono – Royaume-Uni, Inde
The Curse de Fyzal Boulifa – Royaume-Uni, Maroc
Flytopia – Karni Arieli, Saul Freed – Royaume-Uni, Hongrie
On this Island – Matthew Knott – Royaume-Uni
The Voorman Problem – Mark Gillis – Royaume-Uni
Walking the Dogs – Jeremy Brock – Royaume-Uni
Dozhd Idyot – Anna Shepilova – Russie
Qurban – Anar Abbasov – Russie, Azerbaïdjan
A Society – Jens Assur – Suède
L’amour bègue – Jan Czarlewski – Suisse
La nuit de l’ours – Fred Guillaume, Sam Guillaume – Suisse
Os vivos tamben choram – Basil da Cunha – Suisse, Portugal
Kong Peh Tshat – Shang-Sing Guo – Taiwan
Never Die ? – Supalerk Ningsanond – Thailande
Sessiz/Be Deng – L. Rezan Yesilbas – Turquie
Pobachennya – Evgen Matvienko – Ukraine

K comme Kali le petit vampire

Fiche technique

Synopsis : Un garçon pas comme les autres rêve de trouver sa place dans le monde. Kali va devoir affronter ses propres démons, traverser ses peurs pour enfin trouver le chemin de la lumière. Telle la lune passe par ses phases, il disparaîtra. Ou peut-être juste passera à une autre phase du cycle.

Genre : Animation

Durée : 9’20 »

Année : 2012

Pays : France, Portugal, Canada, Suisse

Réalisation : Regina Pessoa

Scénariste : Regina Pessoa

Voix : Fernando Lopes, Christopher Plummer, Hugolin Chevrette

Son : Fernando Rangel

Montage : Abi Feijo, Regina Pessoa

Montage son : Olivier Calvert

Décoratrice : Regina Pessoa

Musique : The Young Gods

Mixage : Serge Boivin, Shelley Craig

Production : Folimage Studio

Article associé : la critique du film

Kali le petit vampire de Regina Pessoa

Une couleur en plus pour une esthétique affinée

Déjà en 2005, la réalisatrice d’origine portugaise Regina Pessoa avait ouvert la voie de son art avec « Histoire tragique avec fin heureuse ». Elle revient aujourd’hui avec un autre court métrage tout aussi personnel, au ton délicat et angoissant, « Kali le petit vampire », présenté à Vendôme et bientôt à Bruz et à Clermont-Ferrand.

Il est assez aisé de voir les similitudes qui existent entre les deux courts métrages de Regina Pessoa : l’utilisation exclusive de la voix-off par le personnage principal, le noir et blanc, le jeu sur les ombres et la lumière, le caractère distant au monde et aux autres du protagoniste central, un trait de crayon fin et précis… pour ne citer que les éléments les plus évidents. En deux films, la réalisatrice passe maître dans l’art de décrire une solitude douloureuse qui ne saurait être une fatalité. Ses personnages, par le biais de la voix off, proposent une mise à distance d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Un monde en noir et blanc, onirique et mystérieux, qui va à l’essentiel de par son minimalisme pictural; un monde violent et antipathique, peuplé d’êtres malveillants, d’objets animés et de chimères; un monde dans lequel les personnages de Regina Pessoa ont malgré tout décidé de (sur)vivre.

Au-delà des similitudes, il y a les différences. Et heureusement, me direz-vous, que l’on n’aborde pas une deuxième œuvre comme la première. En gardant une signature esthétique et narrative qui lui est propre, la réalisatrice affine ses choix pour « Kali le petit vampire ». La maîtrise du trait permet l’audace de la couleur en plus. Kali, en bon vampire qu’il est, ne peut exister dans un monde en noir et blanc : il y aura donc du rouge. Utilisé avec parcimonie, cette teinte chaude, à la fois synonyme de réconfort et violence, sera aussi bien le sang des hommes que les cœurs d’un jeu de carte. Loin d’apaiser les souffrances en colorant joyeusement le noir et blanc, le rouge accentue les problématiques liées à ce film. Il est autant question des peurs ancestrales (enfantines pour la plupart) que de la difficulté à se projeter dans un monde dirigé par les adultes. Kali n’est pas seulement un vampire, il est aussi un enfant qui se rêve comme les autres. Sa différence n’est qu’une métaphore habile qui cache la montagne des angoisses enfantines et des complexes adolescents. Kali est tous les gamins mal dans leur peau, tous les enfants terrifiés par la solitude, tous les êtres en marge. La fin de l’histoire se veut cependant heureuse, car, comme tous les contes qui débutent par « Once Upon a Time », Kali finira par trouver sa propre lumière (sa voix?), lui que tout(s) condamnai(en)t à l’obscurité.

Géraldine Pioud

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Clermont-Ferrand, découvrez la sélection nationale du Festival

Les sélections officielles du prochain Festival de Clermont-Ferrand (1-9 février 2013) sont en ligne. Voici d’ores et déjà les 63 titres de la compétition nationale.

32 Boulevard Magenta – Documentaire – Nadège Abadie
Atlantic Avenue – Fiction – Laure de Clermont Tonnerre
Avant que de tout perdre – Fiction – Xavier Legrand
Le Banquet de la concubine – Animation – Wei Hefang
Beausejour – Fiction – François Valla
Bigshot – Animation – Maurice Huvelin
Le Bouillon – Animation/fiction – Stéphanie Lagarde
Braise – Animation – Hugo Frassetto
Cadavre exquis – Fiction – Léa Mysius
Ce chemin devant moi – Fiction – Mohamed Bourokba
Ce n’est pas un film de cow-boys – Fiction – Benjamin Parent
Ceux qui passent – Fiction – Morgane Derriennic Long
La Chronophotographie – Expérimental – Mahmoud Chaab
Comme des lapins – Animation – Osman Cerfon
Cornée – Animation – Colin Laubry, Stéphane Blanquet, Arnaud Crillon, Valentin Gasarian, Ca Theuillon
Deux îles – Animation – Eric Lambé, Adrien Cellieres, Nicolas Debruyn, Florian Guillaume, Guillaume Franck, Sarah Heinrich, Lucile Martineau, Gilles Pirenne, Valery Vasteels
Edmond était un âne – Animation –  Franck Dion
En terrain connu – Documentaire – Nassim Amaouche
L’Etoile du matin – Fiction – David Kremer
Fatigués d’être beaux – Fiction – Anne-Laure Daffis, Léo Marchand
La Femme qui flottait – Fiction – Thibault Lang-Willar
Feux – Fiction – Thibaut Piotrowski
Fleuve Rouge, Song Hong – Animation – Stéphanie Lansaque, François Leroy
Guillaume le désespéré – Fiction – Bérenger Thouin
Helmut – Fiction – Eric Turpin, Rose Turpin
Hotel Cervantes – Fiction – Guillaume Orignac
J’ai toujours révé d’être un robot – Fiction – Ly Robert
J’aimerais que la Terre s’arrête pour descendre – Fiction – Nicolas Diego
Je suis une ville endormie – Fiction – Sébastien Betbeder
Kali le petit vampire – Animation – Regina Pessoa
Kingston Avenue – Fiction – Armel Hostiou
Königsberg – Fiction – Philipp Mayrhofer
Les Lézards – Fiction – Vincent Mariette
Lisboa orchestra – Documentaire/expérimental – Guillaume Delaperrière
Lisières – Fiction – Grégoire Colin
Le Livre des morts – Animation/expérimental – Alain Escalle
Lonely Bones – Animation – Rosto
La Maison d’Olga – Animation/expérimental –  Morgane Le Péchon
La Maison vide – Fiction – Mathieu Hippeau
Melle Kiki et les Montparnos – Animation – Amélie Harrault
Musique de chambre – Fiction – Julia Kowalski
Nieuwpoort en Juin – Fiction – Geoffrey Couanon
No Boy – Fiction – Nathan Nicholovitch
Nos jours, absolument, doivent-être illuminés – Documentaire – Jean-Gabriel Périot
Nostalgic Z – Fiction – Carl Bouteiller
Nous ne serons plus jamais seuls – Fiction – Yann Gonzalez
Patricia – Documentaire – Sabine Massenet
Peau de chien – Animation – Nicolas Jacquet
Pieds verts – Animation/documentaire – Elsa Duhamel
Pin Up – Fiction – François Gallou
Les Profondeurs – Fiction – Youssef Chebbi
La Ravaudeuse – Animation/fiction – Simon Filliot
La Résurection des natures mortes – Expérimental/fiction – Bertrand Mandico
Rodri – Fiction – Franco Lolli
Le Sens de l’orientation – Fiction – Fabien Gorgeart
Les Sept péchés capitaux – Animation – Antoine Roegiers
Solitudes – Fiction – Liova Jedlicki
Son Indochine – Animation – Bruno Collet
Souffre ! – Fiction – Pamela Varela
Swing absolu – Fiction – Francois Choquet
Tennis Elbow – Fiction – Vital Philippot
Tram – Animation – Michaela Pavlátová
Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine – Animation/fiction – Céline Devaux

Peau de chien de Nicolas Jacquet

La fin du monde a beau être annoncée pour le 21 décembre 2012, la vision apocalyptique de « Peau de chien » a été présentée avec quelques semaines d’avance au Festival du Film de Vendôme. Noir, glaçant et fascinant, le dernier film d’animation de Nicolas Jacquet est aussi sans conteste son plus réussi. Cerise sur le gâteau, il est disponible dans son intégralité.

Déjà vingt ans que Nicolas Jacquet réalise des courts métrages, son premier film « Sérénade » remonte à 1992. « Peau de chien »  est le dixième court d’une carrière menée à un rythme assez lent mais continu, le cinéaste travaillant en grande partie seul. Mêlant prises de vues réelles et papiers découpés, « Peau de chien » est aussi son film le plus narratif et le plus abouti à ce jour, faisant notamment l’usage de dialogues pour la première fois.

L’action du film se situe au cœur d’une petite ville de province où la crise fait rage. Les denrées alimentaires se font rares et ne sont vendues que sur présentation de papiers d’identité. Un chien affamé vole un chapelet de saucisses sur l’étal du boucher alors que les habitants attendent leur tour dans la rue. Poursuivi par l’artisan charcutier, couteau à la main et mine patibulaire, il est contraint d’abandonner son butin et se cache sous le corps d’un homme qui vient d’être assassiné. Dissimulé sous son manteau, il rejoint l’appartement du défunt où il se transforme petit à petit en humain.

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Le corps chez ce cinéaste est un élément omniprésent. Ici, déformé, monstrueux, nu et animal il fascine. Sa transformation inquiétante vient autant rappeler le fantastique de Cronenberg dans « La Mouche » que le conte inquiétant de Nicolas Gogol, « Le nez » – où un homme découvre que son nez a disparu et le croise dans Saint-Pétersbourg, vêtu d’un uniforme de conseiller d’État. La technique du papier découpé vient accentuer les mouvements désynchronisés du visage et du corps donnant aux personnages, tous très travaillés, une allure inquiétante. La ville quasi désertique, grise et brumeuse semble être aux mains de voyous, commerçants ou tenanciers de bar sans scrupules et animés par le goût de la délation.

Récit d’une grande noirceur sur la capacité d’une société du « chacun pour soi » à passer rapidement du côté de la violence, « Peau de chien » n’est certes pas un film optimiste mais il dégage paradoxalement une poésie propre à son auteur.

Amaury Augé

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Article associé : l’interview de Nicolas Jacquet

Footing de Damien Gault

Le pitch de « Footing », le premier film de Damien Gault, présenté à Vendôme, est simplissime : Marco, parisien en visite chez ses parents à la campagne, accompagne son père pour un footing matinal. Pourtant, le film dépasse très rapidement son cadre de départ et met en scène avec subtilité la relation au père, les affres de la famille et ses non-dits. Une réussite.

« Footing » commence dans le noir. On entend Marco, la trentaine, qui dit à son père : « Mais je vais ressembler à une grenouille là-dedans ». La combinaison moulante dans laquelle il apparaît sur le pas de la porte n’est en effet pas du meilleur effet. Son père, ancien gendarme à la retraite, qui sautille déjà dans la rue, est un peu l’antithèse de son fils. Boule à zéro, carré, le visage dur et la voix grave, il lui assure qu’il a déjà fait un marathon dans cette tenue.

Les voilà donc partis dans le brouillard pour sept kilomètres à moins que ce ne soit huit. La discussion commence par des banalités sur la couleur des volets histoire de meubler le vide, un exercice que ces deux-là semblent maîtriser à merveille.

À la sortie du village les deux joggers croisent un ancien ami de Marco que ce dernier ne salue pas à la surprise de son père. Pas d’explications si ce n’est un « ça fait longtemps qu’on ne se parle plus avec Baptiste, une histoire à la con… ». Le père de Marco ne cherche pas plus loin, comme par peur d’apprendre une nouvelle désagréable. C’est d’ailleurs ce que son fils lui reproche quelques foulées plus loin, comme par provocation : « Tu me demandes pas comment ça se passe avec Frank ? » Le père s’exécutant du bout des lèvres, la réponse ne se fait pas attendre : « Bah, c’est fini depuis un mois ». Visiblement mal à l’aise avec la vie amoureuse de son fils, le père de Marco bifurque à nouveau. Le poids des non-dits est au cœur de ce et tout au long du parcours, chacun se répond à demi-mot comme par autocensure.

La dynamique est toutefois plus subtile qu’il n’y paraît, le père de Marco étant à l’évidence maladroit mais bien intentionné et Marco, derrière ses piques sarcastiques, plus fragile que l’image de garçon indépendant qu’il souhaite renvoyer à son père.

Toute la réussite du film tient à la finesse de l’écriture des dialogues entre les deux personnages, à l’importance des silences et au fragile balancement entre les deux.

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Manuel Vallade – déjà vu chez Sébastien Betbeder (« La vie Lointaine », « Yoshido »…), Christelle Lheureux (« La Maladie blanche ») et Nicolas Engel (« Les Voiliers du Luxembourg ») – apporte beaucoup à son personnage du fils de passage, celui qui, malgré un regard critique sur une vie qu’il a fuie, finit par accepter ses parents et leurs habitudes et tenter un rapprochement longtemps attendu.

Le film tient en cela à la fois de l’universel et du cas particulier. Chacun pourra se reconnaître dans l’illustration de cette relation problématique au père à qui l’on tente de plaire tout en revendiquant sa différence, ou dans la description du père lui-même, qui semble constamment marcher sur des œufs face à un fils qu’il tente de comprendre. Plus course de fond que promenade de santé, « Footing » est un film dont la petite foulée est trompeuse.

Amaury Augé

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