Pour sa 24ème édition, la Sélection Cinéfondation du Festival de Cannes a invité cette année 17 réalisateurs : 8 femmes et 9 hommes. 13 fictions et 4 animations ont été choisies parmi les 1 835 courts métrages présentés par des écoles de cinéma du monde entier. Le jury attribuera les Prix de la Cinéfondation lors d’une cérémonie précédant la projection des films primés le jeudi 15 juillet en salle Buñuel.
Films d’écoles sélectionnés
Billy Boy de Sacha Amaral – Universidad Nacional de las Artes – Argentine
Prin oraș circulă scurte povești de dragoste de Carina-Gabriela Dasoveanu – UNATC « I. L. CARAGIALE » – Roumanie
L’Enfant salamandre de Théo Degen – INSAS – Belgique
Bestie wokół nas de Natalia Durszewicz – The Polish National Film School in Łódź – Pologne
Oyogeruneko de Huang Menglu – Musashino Art University – Japon
Other Half de Lina Kalcheva – NFTS – Royaume-Uni
Habikur de Mya Kaplan – The Steve Tisch School of Film & Television, Tel Aviv University – Israël
Bill and Joe Go Duck Hunting d’Auden Lincoln-Vogel – University of Iowa – Etats-Unis
Frida d’Aleksandra Odić – DFFB – Allemagne
Rudé Boty d’Anna Podskalská – FAMU – République Tchèque
La caída del vencejo de Gonzalo Quincoces – ESCAC – Espagne
Cantareira de Rodrigo Ribeyro – Academia Internacional de Cinema – Brésil
Fonica M-120 de Rudolf Olivér – SZFE – Hongrie
Frie Mænd d’Óskar Kristinn Vignisson – Den Danske Filmskole – Danemark
King Max d’Adèle Vincenti-Crasson – La Fémis – France
Saint Android de Lukas von Berg – Filmakademie Baden-Württemberg – Allemagne
Cicada de Yoon Daewoen – Korea National University of Arts – Corée du Sud
Voici les 10 films sélectionnés en compétition officielle à Cannes. L’un d’entre eux se verra attribué la Palme d’or du court métrage.
Le Jury des courts métrages et du concours des films d’écoles de la Cinéfondation est composé de Kaouther Ben Hania (réalisatrice, scénariste tunisienne), Tuva Novotny (réalisatrice, scénariste, actrice suédoise), Alice Winocour (réalisatrice, scénariste française), Sameh Alaa (réalisateur, producteur, scénariste égyptien, lauréat de la Palme d’or du court 2020), Carlos Muguiro (cinéaste, universitaire espagnol) et Nicolas Pariser (réalisateur, scénariste français).
La Compétition des courts métrages 2021 est composée de 10 films issus des pays suivants : Brésil, Danemark, Chine, France, Hong Kong, Iran, Portugal, et pour la première fois en sélection officielle le Kosovo et la Macédoine. Ces films présentés le 16 juillet 2021, concourent pour la Palme d’or du court métrage qui sera décernée lors de la Cérémonie de clôture du 74e Festival de Cannes, le samedi 17 juillet 2021.
Marija APCEVSKA – SEVEREN POL (PÔLE NORD) – 15’ – Macédoine
Samir KARAHODA – PA VEND (DÉPLACÉ) – 15’ – Kosovo
Casper KJELDSEN – DET ER I JORDEN – 14’ – Danemark
Mohammadreza MAYGHANI – ORTHODONTICS – 14’ – Iran
Adrian MOYSE DULLIN – HAUT LES COEURS – 15’ – France
Diogo SALGADO – NOITE TURVA (À TRAVERS LA BRUME) – 14’ – Portugal
Carlos SEGUNDO – SIDERAL – 15’ – Brésil, France
TANG Yi – ALL THE CROWS IN THE WORLD – 14’ – Hong Kong
Jasmin TENUCCI – CÉU DE AGOSTO (LE CIEL DU MOIS D’AOÛT) – 15’ – Brésil, États-Unis
Ce mercredi 9 juin 2021, est sorti en salles The Last Hillbilly, programmé à l’ACID Cannes 2020, produit par Films de force majeure et distribué par New Story. Ce documentaire, fait à quatre mains, est le premier long des réalisateurs Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe qui viennent tous deux du court-métrage.
Dans une Amérique délaissée, des hommes vivent là, à l’écart de tout, marginalisés et méchamment surnommés “hillbillies”. A contrario des préjugés, le film montre un “personnage” nuancé qui s’amuse des poncifs qu’on lui plaque sur le dos et un Kentucky onirique bercé par la conscience politique et poétique d’un péquenaud des collines. Dans ce vaste territoire, vide mais habité, se joue et se rejoue, à l’infini, les cérémonies de la vie et de la mort pour lutter contre l’ennui et l’abandon.
Ces personnages à l’identité troublée mais droits dans leurs bottes, on les connaît déjà dans l’œuvre de Diane Sara Bouzgarrou. Ses courts-métrages font souvent des portraits forts d’hommes ou de femmes brisés mais jamais vaincus. Dans le court-métrage Je ne me souviens de rien (Cinéma du réel, Etat généraux du film documentaire,…), elle se livrait sans censure dans sa lutte avec la maladie.
Quant à Thomas Jenkoe, il s’attache à analyser la fracture entre les hommes et leur territoire social et politique, des questionnements qu’il a pu évoquer dans son documentaire Souvenirs de la Géhenne (Cinéma du réel, Festival du cinéma de Brive, Côté Court, Rotterdam). Leur sensibilité cinématographique trouvent chez Brian Ritchie, le dernier des péquenauds du far west, une résonance forte et fait de The Last Hillbilly un film novateur et audacieux qui remue nos émotions et convictions à voir dès ce 9 juin en salles.
Bonne info, en plus : les deux cinéastes participent à notre After Short consacré aux premiers longs-métrages le jeudi 17 juin prochain organisé de 19h à 21h sur Zoom !
Après l’annonce de la composition des courts de la Semaine de la Critique 2021, voici celle de la Quinzaine des Réalisateurs. Côté longs, on est ravi de voir (re)venir à Cannes Jonas Carpignano, Yassine Qnia, Anaïs Volpé, Vincent Cardona, Rachel Lang, Jean-Gabriel Périot et Ely Dagher.
Courts en compétition
Anxious Body de Yoriko Mizushiri
El Espacio sideral (The Sidereal Space) de Sebastián Schjaer
Simone est partie (Simone Is Gone) de Mathilde Chavanne
Sycorax de Lois Patiño et Matías Piñeiro
The Parents’ Room (La Chambre des parents) de Diego Marcon
The Vandal d’Eddie Alcazar
The Windshield Wiper d’Alberto Mielgo
Train Again de Peter Tscherkassky
When Night Meets Dawn (Quand la Nuit rencontre l’Aube) d’Andreea Cristina Borțun
Zou, c’est parti. La sélection des courts de la 60ème édition de la Semaine de la Critique 2021 est connue. Voici les films retenus par les critiques et diffusés en juillet à Cannes. La bonne info du jour : de nombreux réalisateurs présentant leurs longs viennent du court. Citons entre autres Clémence Meyer, Vincent Le Port, Charline Bourgeois-Tacquet, Samuel Theis, Simón Mesa Soto, Omar El Zohairy et Emmanuel Marre, Prix Format Court à Brive 2017.
Compétition Courts Métrages
Brutalia, jours de labeur (Brutalia, Days of Labour) – Manolis Mavris (Grèce/Belgique)
Duo Li (Lili, toute seule/Lili Alone) – Zou Jing (Chine/Hong-Kong/Singapour)
Fang ke (An Invitation) – Hao Zhao et Yeung Tung (Chine)
Inherent – Nicolai G.H Johansen (Danemark)
Interfon 15 (Intercom 15) – Andrei Epure (Roumanie)
Ma Shelo Nishbar (If It Ain’t Broke) – Elinor Nechemya (Israël)
Noir-soleil – Marie Larrivé (France)
Safe – Ian Barling (États-Unis)
Soldat noir – Jimmy Laporal-Trésor (France)
Über Wasser (Hors de l’eau / On Solid Ground) – Jela Hasler (Suisse)
Retrouvez en ligne la sélection de la Semaine de la Critique dans son entièreté
À l’occasion de la réouverture des salles de cinéma, Format Court vous invite à la reprise de ses After Short. Notre nouveau rendez-vous, organisé en partenariat avec l’ESRA, aura lieu sur Zoom le jeudi 17 juin de 19h à 21h.
La rencontre est consacrée cette fois aux premiers longs-métrages de réalisateurs dont la plupart sont issus du court-métrage.
Cette soirée, ouverte à tous et en accès payant (sauf pour les étudiants et les anciens de l’ESRA), se déroulera en présence de certaines équipes de longs-métrages actuellement ou prochainement à l’affiche.
À l’occasion de cette soirée, il sera question de longs mais aussi de courts, d’écriture, de doutes, d’étiquettes, de temps, de production, d’accompagnement, de rencontre avec le public, de festivals, …
N’hésitez pas à consulter notre événement Facebook spécialement dédié à cette soirée : nous partagerons comme d’habitude les liens des courts disponibles sur le Net ainsi que les bios et photos de nos intervenants.
Pour participer à cet événement, il vous suffit de vous rendre sur Eventbrite (PAF : 3 €). Un lien vous sera communiqué après règlement afin d’assister à la rencontre qui aura lieu en direct sur Zoom.
12 équipes ont confirmé leur présence :
– Charlène Favier, réalisatrice de Slalom (Cannes 2020)
– Julien Naveau, producteur de Vers la bataille de Aurélien Vernhes-Lermusiaux
– Michele Pennetta, réalisateur de Il Mio Corpo (ACID 2020)
– Peter Dourountzis, Guillaume Dreyfus et Sébastien Haguenauer, réalisateur et producteurs de Vaurien (Cannes 2020)
– Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, réalisateurs de The Last Hillbilly (ACID 2020)
– Just Philippot, réalisateur de La Nuée (Semaine de la Critique 2020)
– Marion Desseigne, scénariste de La Terre des hommes de Naël Marandin (Semaine de la Critique 2020)
– Fanny Liatard, Jérémy Trouilh et Benjamin Charbit, réalisateurs et scénariste de Gagarine (Cannes 2020)
– Yacine Badday, scénariste de Sous le ciel d’Alice de Chloé Mazlo (Semaine de la Critique 2020)
– Yassine Qnia, réalisateur de De bas étage (Quinzaine des Réalisateurs, 2021)
– Mamadou Dia, réalisateur de Le Père de Nafi (Prix du meilleur premier long métrage et Léopard d’or de la section Cinéastes du présent, Festival de Locarno 2019)
– Anna Cazenave-Cambet et Kristy Baboul, réalisatrice et chef opérateur de De l’or pour les chiens (Semaine de la Critique 2020)
Vous avez entre 18 et 25 ans et vous êtes passionné de cinéma (et surtout de courts-métrages !) ? Devenez membre du Jury Jeunes de la 3ème édition du Festival Format Court (23-28 novembre 2021) ! Vous aurez l’occasion d’y découvrir notre festival, de visionner les films de notre compétition et de décerner un prix à l’un d’entre eux, en salle, au Studio des Ursulines, lors de la cérémonie de clôture le 28 novembre prochain.
Pour postuler, envoyez-nous une critique d’un court-métrage de votre choix (une page maximum) et une petite biographie (2/3 lignes maximum) dans laquelle vous nous ferez part de votre désir de participer à notre festival. Vos candidatures peuvent nous parvenir à l’adresse suivante : juryjeunesformatcourt@gmail.com.
Nous attendons vos critiques de jeunes cinéphiles et sommes impatients de vous voir (pour de vrai en salle !) pendant le Festival.
Aujourd’hui, l’équipe de Format Court est heureuse ! Heureuse d’avoir traversé cette année houleuse en continuant à défendre et à mettre en avant les auteurs du court-métrage coûte que coûte, heureuse d’avoir pu organiser la deuxième édition de son festival qui, si elle s’est déroulée en ligne, a tout de même été l’occasion de nombreuses rencontres et de découvertes autour d’une première compétition de films et de séances rétrospectives, heureuse également d’avoir fédéré autour de cette édition 2020 un jury de professionnels du cinéma et de la presse ainsi que de nombreux partenaires, heureuse aussi de pouvoir vous annoncer que notre palmarès sera diffusé à la rentrée en salle, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) !
Mais si tout particulièrement aujourd’hui notre équipe se réjouit, c’est que nous sommes fiers de vous annoncer la 3ème EDITION DU FESTIVAL FORMAT COURT ! Dès à présent, c’est à vous de jouer en nous envoyant vos pépites qui peut-être feront partie de cette nouvelle aventure qui se tiendra au cinéma Le Studio des Ursulines du 23 au 28 novembre 2021 (un festival physique, nous voulons y croire dur comme fer !).
Amis du court, notre appel à films pour la nouvelle compétition officielle du Festival est lancé ! Vous avez réalisé ou produit un film de fiction, documentaire ou expérimental de 30 minutes maximum(hors film d’école) ? De ce lundi 10 mai au mardi 20 juillet 2021 minuit, rendez-vous sur notre site via le lien ci-dessous pour voir si votre film est éligible et pour postuler. Nous vous souhaitons nombreux et sommes impatients à l’idée de découvrir vos œuvres !
Pour postuler :
– Prendre connaissance du règlement téléchargeable sur le site de Format Court
– Compléter le formulaire (sur Google Form) jusqu’au 20 juilletminuit avec un lien de visionnage en ligne ainsi que son mot de passe éventuel
Les décisions du comité de sélection seront consultables sur le site de Format Court, relayées par ses différents réseaux sociaux, et communiqués aux réalisateur.ices ou producteur.ices par e-mail au plus tard le 15 septembre 2021.
À très vite !
L’équipe de Format Court
Merci à tous pour vos participations : l’appel à films est clos depuis ce 20 juillet, minuit !!!
Cette nuit, les Oscars ont attribué leurs prix. Sur les 15 titres retenus en fiction, animation et documentaire, 3 films ont été distingués par l’Académie. Voici lesquels.
Colette est une ancienne résistante, d’une force brute et touchante. Avec une jeune étudiante en histoire, elle retourne dans le camp où son frère a été assassiné par les nazis. Leur périple douloureux mais salutaire est accompagné par la caméra d’Anthony Giacchino. Son film, honnêtement titré Colette, a reçu cette nuit l’Oscar du meilleur court-métrage documentaire. Le film est disponible ci-dessous.
À ses côtés, deux productions américaines repartent eux aussi avec un Oscar. Celui du meilleur court-métrage d’animation a été remis au film de Will MacCormack et Michael Govier, If Anything happens I love you, qui traite aussi de deuil. Deux parents font face à la perte de leur enfant, tué dans une fusillade à l’école. Le court-métrage est disponible sur Netflix.
Dans Two Distant Strangers, Carter James, citoyen lambda noir interprété par le rappeur Joey Bada$$, se balade dans la rue avant de mourir violemment, étouffé par un policier blanc (Andrew Howard). Une boucle temporelle se met en place autour d’eux… Réalisé par Travon Free et Martin Desmond Roe, le film vient de remporter l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction et est lui aussi disponible sur Netflix.
Parmi les courts-métrages sélectionnés aux Oscars 2021, un film français se démarque par son audace esthétique et narrative, Genius Loci. Son réalisateur, Adrien Merigeau revient d’Irlande où il a travaillé avec Tomm Moore sur Le Secret de Kells (2009) et sur Le Chant de la mer (2014). Son dernier film, Genius Loci, a remporté le Prix Format Court à notre festival de novembre, le Prix Audi à la Berlinale et une Mention spéciale au Festival de Clermont-Ferrand en 2020 et déborde de couleurs et d’idées.
Dans une effervescence bigarrée, l’aventure de Reine entraîne le spectateur dans un périple plein de poésie et de surprises. En pleine confusion, la jeune fille quitte l’appartement de sa sœur, s’enfuit dans la nuit noire, erre dans les rues de la ville où, partout, le chaos la poursuit et l’assaille. Comme un mauvais esprit, il va prendre possession d’elle. Le fantastique ne cesse de faire intrusion dans ce périple urbain comme dans l’image. Formes, lignes et couleurs envahissent les décors, les personnages et les objets dans de folles expériences kaléidoscopiques et restituent ainsi la confusion existentielle que traverse Reine. Proche de l’expressionnisme et du cubisme – Adrien Merigeau confie s’être inspiré de Paul Klee, Gustav Klimt ou encore Pablo Picasso – le film déconstruit les codes traditionnels de représentation. Dans un mouvement constant de transformation, les objets et les êtres se délitent peu à peu. Ils sont comme abandonnés et dépouillés de leur première fonction, tous habités par le même esprit. Prise dans le flot des métamorphoses, Reine est en quête d’identité et nous embarque dans cette aventure où même les images se transforment. Parfois, les dessins ne sont que de simples esquisses imaginaires qui font irruption dans le vagabondage de Reine. L’image peut aussi prendre l’allure de croquis chinés sur un carnet. À d’autres moments, comme surpris au détour d’une image, le film éblouit par d’immenses tableaux flamboyant de couleurs.
Dans ce joli désordre des images, se cache une vraie cohérence. Pour mieux la saisir, il faut comprendre comment le film s’est élaboré. L’originalité du film est liée à l’expérience collective qui lui a permis de voir le jour. Adrien Merigeau a beaucoup compté sur l’aide de ses collaborateurs – parmi eux, le dessinateur de bandes dessinées Brecht Evens, à l’origine de nombreux décors du film. Genius Loci est une œuvre d’une grande liberté où différents auteurs ont pu s’exprimer pleinement, comme Céline Devaux, réalisatrice du Repas Dominical (César du meilleur court-métrage d’animation en 2016) qui a entièrement mis en images une séquence. Alan Holly, son ami et collaborateur avec qui il avait réalisé en 2009 son premier film, Old Fangs, a pu apporter lui aussi ses propres idées, dessins sous forme de croquis assemblés les uns par dessus les autres dans une apparente confusion des événements. Enfin et surtout, la famille d’Adrien Merigeau, Lê Quan Ninh et Théo Merigeau, ont, quant à eux, participé à la réalisation du film en écrivant la partition musicale. Faite de distorsions, d’accords à la fois dérangeants et mélodieux, la musique fait corps avec les images. Elle propose un travail d’écoute des sons de la ville inédit. Réarrangés, ils forment une mélodie étrange, douce ou violente. “La musique, ça peut être des sons tout simplement” propose une amie de Reine après un concert inopiné d’orgue dans une église déserte. Genius Loci est un film fantastique, chamarré dans lequel la magie se cache dans du papier et de l’encre, tout simplement.
D’ici quelques jours, les Oscars se déploieront dans une formule particulière, en mode mi-physique, mi-virtuel. 15 courts-métrages sont nominés. Du côté du cinéma d’animation, un film français, Genius Loci réalisé par Adrien Merigeau figure parmi les 5 titres retenus dans la catégorie animée. Le film, ayant débuté sa carrière à la Berlinale en 2020, a obtenu le Prix Format Court et l’un des prix d’interprétation (pour Nadia Moussa) à notre deuxième Festival Format Court en novembre dernier.
Nous avons profité de l’actualité pour interroger longuement par Zoom Adrien Merigeau au sujet de son parcours, son passage par l’EMCA d’Angoulême, son premier film Old Fangs (co-réalisé il y a 10 ans avec Alan Holly), ses collaborations autour de Genius Loci et son goût pour le court-métrage. Sans oublier son affection pour les carnets de croquis, l’intuitivité et la bande dessinée.
Format Court : Pourquoi as-tu choisi l’EMCA comme formation ?
Adrien Merigeau : J’étais assez jeune, j’avais 18 ou 19 ans et je ne connaissais pas grand-chose. Il me semblait y avoir deux options : les Gobelins, une école très technique que je croyais inaccessible pour moi à l’époque, et l’EMCA qui proposait une formation plus axée sur la réalisation de courts-métrages et sur l’exploration d’un style personnel et indépendant avec des techniques variées. Ce côté très indépendant dans l’éducation de l’animation m’a beaucoup appris. C’était aussi une école pas si chère à l’époque !
Qu’est-ce qui t’a incité étudier à l’animation ?
A. M : Adolescent, je faisais un peu de programmation sur Flash, je faisais des petits jeux vidéo. J’aimais beaucoup le côté interactif. Il n’y avait pas vraiment d’écoles de bande dessinée à l’époque. Aller à l’EMCA, c’était une manière de continuer des études dans le dessin et dans le mouvement. C’était naturel. Mais je n’avais pas cette vocation de l’animation ! C’est juste en commençant à faire quelques bricolages dans ma chambre, adolescent que j’ai commencé à aimer l’idée du mouvement, des personnages, du son et de l’interactivité. A l’EMCA, j’ai développé l’amour de l’animation. J’y ai découvert l’histoire et la force du cinéma d’animation et ses grands maîtres : Youri Norstein, Hayao Miyazaki, Katsuhiro Otomo, Koji Yamamura. Ces auteurs avaient des identités très fortes qui ont marqué le monde entier. Ils étaient nos héros parce qu’on espérait pouvoir s’exprimer avec autant de force qu’eux.
À l’EMCA, j’ai aussi beaucoup aimé l’apprentissage de Christian Arnau, le directeur artistique de Jean-François Laguionie. Il a travaillé à la direction artistique du Château des singes. Il a une patte d’aquarelle et d’encre incroyable mais aussi une philosophie sur le laisser-aller du dessin… Ca m’a beaucoup influencé ! Quand j’étais adolescent, j’avais l’impression d’avoir beaucoup de mal à finir mes images, d’être toujours dans le croquis. J’avais demandé à Christian ce qu’il en pensait et comment faire une image chiadée, une image finie. Il a pris une feuille blanche A4 et a fait juste un trait au marqueur, une simple ligne. Puis, il m’avait dit : « Voilà c’est une image terminée. Tu n’as pas besoin d’en faire plus pour que l’image soit valide, pour qu’elle se suffise à elle-même ». Cette manière de déconstruire le dessin m’a beaucoup touché.
Ca représente quoi le laisser-aller quand on fait un film où les images sont imbriquées avec d’autres et structurées dans une narration ?
A. M : C’est la grande question. Avec Christian qui a une formation de peintre, il faut être très rigoureux dans l’animation. Il faut imaginer aussi comment l’apprentissage se faisait à l’EMCA : on se mettait sous une caméra, avec des fusains et il fallait avoir les mains sales. Il fallait se lancer dans l’expérimentation, essayer et échouer. On arrivait comme ça à des résultats assez surprenants.
Pour moi, le laisser-aller est très lié à l’idée de collaboration. J’aime collaborer avec des gens qui ont une personnalité très forte dans leur style. Ils viennent se réapproprier des bouts du film qui seront complètement identifiables comme leur passage. Toutes ces parties cohabitent les unes avec les autres. Finalement, il ne faut pas trop s’accrocher à une idée d’uniformité, de cohérence. Il faut laisser une cohérence s’exprimer d’elle-même à travers le fait qu’on est tous amis, qu’on communique autour du même film. A travers ça, le film trouve une cohérence naturelle plutôt qu’à travers un style unique.
C’est ce qui s’est passé pour Genius Loci ?
A.M. : Oui. L’idée était de présenter à certaines personnes une partie du film et de les laisser complètement explorer cette partie. Les deux premières années, on a travaillé avec Céline Devaux, Brecht Evens, Alan Holly ou Chenghua Yang. Céline Devaux a fait toute une partie en noir et blanc. J’ai travaillé sur le storyboard en suivant ses conseils. Je lui ai naturellement proposé de travailler sur la partie où le personnage de Reine sort dans la rue pour la première fois. Céline est partie de façon très intuitive avec sa manière de travailler avec elle. Je ne lui ai donné aucune directive. Je voulais vraiment donner un “laisser-faire” à ceux qui m’ont aidé à faire le film au début. Ensuite, quand le film est devenu plus technique, dans le sens où il y avait des dialogues, on a travaillé avec des animateur.rices qui étaient plus compétents sur des questions techniques comme le posing, le layout, l’animation, les couleurs.
Concernant Brecht Evens, c’était un peu différent. Il a un peu été le premier collaborateur. L’idée à la base, c’était qu’il fasse les décors pour une séquence particulière. Mais, lui, il est foisonnant d’idées. Assez vite, on s’est retrouvé à rebondir sur le scénario et à chercher des astuces de mise en scène. On se retrouvait souvent au café pour discuter et faire des croquis. J’intégrais les idées comme je pouvais au film au fur et à mesure. Cette collaboration a duré six mois ! Brecht a fait une dizaine de décors. Ils sont très identifiables : ce sont des grandes images, très lumineuses, magnifiques. Elles ont donné un ton à la direction artistique du film. Brecht travaille par couches d’aquarelles, jamais avec l’ordinateur. Ça m’a beaucoup influencé pour la colorisation des personnages, ils sont tous colorisés à l’encre sur papier et sont intégrés au décor avec des systèmes de superposition et d’opacité de couches de couleurs. Brecht a fait un travail de collaboration plus étendu que prévu.
Quant à Alan Holly, nous sommes amis depuis 15 ans, on a travaillé ensemble sur Old Fangs (2009). Il a une approche magnifique de l’animation expérimentale, il a une intuition et un goût incroyable pour les mouvements, les formes, les lignes. Avec lui, on a travaillé sur la séquence où Reine perd le contrôle de ses visions mais essaye de faire semblant de garder le contrôle de la conversation. Il a travaillé avec un carnet de croquis, on avait des petites idées qu’on gribouillait sur des feuilles. Finalement, toute l’image à l’écran est devenue un assemblage de petits croquis, d’images dans les images.
Tu as parlé un peu de bande dessinée. Cet art d’influence-t-il ?
A. M : En France, et plus largement en Europe, la culture de la bande dessinée est très présente et très intéressante. Ce qui compte, c’est de développer son langage cinématographique personnel. J’adore Sammy Stein depuis quelques années, il fait des études de formes et de mouvement. De mon point de vue, c’est assez lié à l’animation parce que c’est de la décomposition de mouvement dans le temps. Il y a aussi Chenghua Yang, et Brecht évidemment !
Depuis l’EMCA, c’est plus le mouvement qui me fascine, même si la bande dessinée m’intéresse beaucoup dans l’ellipse qu’elle crée d’une case à l’autre. Avec l’animation, il y a un petit plus de magique : le mouvement des formes, et ce sentiment de la magie de l’image, le bourdonnement de la pellicule qui tourne, ce foisonnement des textures à l’écran. Il y a quelque chose d’hypnotique qu’on retrouve dans l’animation 2D, un certain mystère par rapport à la force des images quand elles bougent. Il y a quelque chose de presque spirituel… On ne sait pas trop d’où vient cette vie, l’âme des personnages, ce qui fait qu’ils s’animent.
L’animation prend sa source dans les contes de fées. Beaucoup de films d’animation font référence à la symbolique du conte, des loups, de la forêt, des serpents, des dragons, des rois, des reines… Aujourd’hui, tous ces symboles et ces codes-là sont souvent déconstruits et réutilisés d’une certaine manière, plus humaine, mais ils ont influencé l’évolution de l’animation au vingtième siècle. Pour Genius Loci, j’aimais bien l’idée de mélanger la symbolique du conte de fées, de l’animation un peu classique, avec des enjeux et des mises en scène très modernes, spontanées, immédiates. Cette référence aux contes et aux mythologies était très présente au Cartoon Saloon, en Irlande, où j’ai travaillé sur les films de Tomm Moore. Lui, son truc, c’est l’étude du symbolisme et de la mythologie celtique. L’une des choses qui m’a fasciné chez lui c’est qu’il se positionne comme un storyteller moderne, mais aussi comme celui de la tradition irlandaise. Il est celui qui apprend les histoires qu’on se raconte de bouche-à-oreille, puis qui les réutilise à la sauce moderne. Il les représente à une nouvelle génération pour faire perdurer la tradition, pour que ces histoires-là restent dans l’ère du temps.
Tu n’as pas fait d’autres courts-métrages entre Old Fangs et Genius Loci ?
A. M : On a fait Old Fangs en 2009 puis on a ouvert un petit studio en Irlande avec Alan pour faire nos courts-métrages, Alan a fait Coda et je ne pouvais pas participer à la réalisation parce que je faisais la direction artistique du Chant de la mer (2014). J’ai commencé Genius Loci en 2016, en revenant en France lorsque j’ai rencontré Amaury Ovise [Kazak Productions], mon producteur qui m’a proposé de faire un court-métrage en France. Le film m’a pris quatre ans. Tout prend tellement de temps dans l’animation. De plus, j’ai mis beaucoup de temps à revenir à l’esprit de réalisation après Le Chant de la mer où j’ai passé quatre ans à suivre Tomm Moore et ses intentions. J’étais alors complètement absorbé par la direction artistique, les détails, la lumière, le style de l’image et le traitement graphique du film. C’était difficile de me remettre à l’écriture et à la réalisation.
Qu’est-ce qui t’a influencé en travaillant avec Tomm Moore ? Avoir travaillé sur des longs-métrages t’a-t-il aidé à aborder plus sereinement l’aspect graphique du film ?
A. M : J’ai appris des choses sur Le Chant de la mer mais vraiment spécifiques à la direction artistique et au long-métrage. Pour Genius Loci, j’ai essayé de faire l’inverse de ce que j’aurais fait au Cartoon Saloon. Je voulais faire des croquis spontanés et minimalistes. Il y a beaucoup de plans où il n’y a pas de décor, seulement des fonds blancs. C’était dynamique aussi de passer du très minimaliste au très foisonnant des images faites par Brecht. Mon inspiration vient des carnets de croquis que je faisais quand j’étais en Irlande, au Cartoon Saloon. Mon travail personnel se résumait à mes carnets de croquis, toute mon énergie créative était là-dedans. Et j’avais très peu d’énergie pour penser, pour élaborer, pour écrire. Je restais créatif en dessinant les personnes autour de moi, les amis et les situations, dans mon carnet. Genius Loci est né de l’intention de parler de mes amis en Irlande dans un format court. Le projet est né d’un endroit totalement différent du Chant de la mer. J’étais quand même complètement influencé par l’expression du dessin et de la symbolique : utiliser la symbolique et la mythologie pour raconter une histoire, les mélanger à des thèmes plus modernes et avoir une structure narrative très limpide, moderne. J’ai appris ça dans le Cartoon Saloon. Mais dans le traitement de l’image, j’ai vraiment travaillé en réaction du Chant de la mer.
L’idée du film t’est venue en Irlande mais tu l’as fait à Paris.
A. M : Oui, il a un peu changé depuis ! Le film se passe en banlieue parisienne. J’avais un atelier à Aubervilliers et ça m’a beaucoup influencé pour l’endroit où se passait le film. Au début, l’idée c’était de faire des portraits des personnes qui m’entouraient en Irlande. On s’est vite éloigné de ça.
Comment s’est passé l’étape du scénario ?
A. M : Ça n’a pas été une étape facile. Je voulais qu’il y ait une grande part d’intuitivité dans mon film, alors c’était un peu gênant de devoir écrire sur le mouvement des formes, la destruction des images et sur cette perception un peu méditative du mouvement de la ville. On a fait une vingtaine de versions de scénario. Au début, le film était trop narratif. C’est en essayant de garder l’essentiel des actions qu’on a pu trouver un bon socle pour qu’il puisse soutenir des parties plus libres, plus abstraites. L’écriture du scénario est un exercice obligatoire en France pour avoir des financements. Il y a tellement de comités de lecture qu’il faut convaincre. Tout passe par le texte. À l’époque, ça m’a beaucoup embêté. Avec le recul, je me suis rendu compte que c’était vraiment ça qu’il fallait faire parce qu’on avait beaucoup de retours. À force d’écrire différentes versions, je me rendais compte de ce qui avait de l’impact ou pas. Finalement, ça a été bénéfique de se forcer à exprimer en mots ce qu’il allait se passer à l’écran. Tous les passages figuratifs, pas assez narratifs, qui étaient superflus et qui ne servaient pas vraiment le film, ont assez naturellement disparu. Je pense quand même que là où le film fonctionne, ce n’est pas du tout au niveau du scénario.
Le film n’était pas du tout formaté comme il fallait. C’était assez incompréhensible sur papier en fait, on a eu des retours négatifs d’ailleurs, comme quoi il ne faut pas faire un film qui est juste « beau ». Jusqu’à la dernière minute, le film s’est écrit. Les mots de Reine quand elle se promène en ville la première fois ont été écrits et enregistrés deux mois avant la projection du film. Le film évoluait en même temps que les dialogues et la mise en scène. En animant, en discutant avec tout le monde, les choses ont pris sens au fur et à mesure.
Tu as l’impression d’avoir appris avec cette expérience du court-métrage ?
A. M : Oui, et ça m’a vraiment motivé à continuer. Au début, j’ai eu beaucoup de mal à savoir ce que je voulais faire avec ce film ; et surtout ce que je ne voulais pas faire. Comme c’est un film un peu expérimental, tout était possible. Je n’avais pas de base narrative très définie, seulement des intentions que je voulais exprimer. On s’est peut-être lancés trop tôt dans la recherche de financements et la fabrication des dossiers, on était impatient de lancer le film, mais ça m’a forcé à prendre des décisions.
J’ai surtout appris qu’un film, ce n’est pas si important. Ce qui compte, c’est de développer son langage cinématographique personnel. Quand on fait des films, il y a un langage universel auquel on peut faire référence. C’est un langage que tout le monde comprend et qui a été établi depuis le début du cinéma. Il y a aussi le langage personnel qu’on développe au fur et à mesure de notre parcours de créateur et d’auteur. C’est très important de considérer un film comme une étape dans l’élaboration du langage personnel, de ce qu’on veut et de comment on veut l’exprimer. Les premiers films vont être beaucoup fait avec le langage universel et peu avec notre propre langage, parce qu’il est encore sommaire, brut, pas très élaboré. Au fur et à mesure de la fabrication de films, on apprend à s’exprimer d’une manière plus subtile avec un langage plus élaboré et unique. Ce qui était important pour moi c’était de découvrir qu’il fallait absolument continuer à faire des films pour que cette trajectoire soit intéressante, celle de fabriquer mon propre langage cinématographique. Avec les courts-métrages, c’est très spontané. On a la chance de pouvoir s’exprimer de manière assez expérimentale. Il faut vraiment en profiter pour développer son intuition personnelle. Pour moi, c’est ça qui est intéressant. Je n’ai pas vraiment d’histoires à raconter, je suis juste un petit mec blanc. Ce qui fait plus sens, c’est d’essayer de raffiner le langage et la manière de s’exprimer avec le dessin animé.
Tu as d’autres envies de courts-métrages, d’autres projets ?
A. M : Je suis en train de faire un petit court-métrage en ce moment pour une chaîne américaine, FX Networks. Ils ont une série de courts expérimentaux d’animation, Cake. Ils m’ont demandé de faire un court de cinq minutes maximum, ça va me prendre un an. C’est génial de pouvoir continuer sur cette lancée de Genius Loci et de pouvoir développer ce langage-là, déconstruit, celui des croquis. Une productrice Manon Messiant (Iliade Productions) m’a proposé une collaboration pour un film strictement expérimental. Dans le court, il me reste encore plein de choses à expérimenter. C’est radicalement différent des longs, du type d’énergie que ça prend, les énormes équipes qu’il faut constituer, sur plusieurs pays, voire continents. Il faut penser au public, c’est un travail plus commercial parce que c’est un travail très cher. J’aimerais bien continuer un peu dans le court-métrage pour rester sur cette recherche graphique. Enfin, le réseau de soutien dans le court-métrage est solide, c’est quand même un petit monde mais il y a énormément de festivals, les gens se connaissent, ça va très vite. Et puis, j’aimerais beaucoup faire un long-métrage plus tard quand même !
Ça apporte quoi la visibilité des Oscar ?
A. M : Par exemple, mes parents [Lê Quan Ninh et Martine Altenburger] se sont retrouvés dans le journal ! Ils ont fait la musique du film, ils font de la musique contemporaine, expérimentale et je sens que je suis dans la lignée de leur travail. On a fait une petite émission pour France 3 Limousin. Ce genre de visibilité est très touchant. Être en contact avec l’équipe du film avec ce genre de bonne nouvelle, c’est génial aussi. Et puis, l’international, c’est une visibilité unique. C’est comme une espèce de baguette magique, fascinante et mystérieuse qui apporte une attention incroyable au film. Il y avait beaucoup de films présélectionnés dans la liste, et je suis très étonné que mon petit film indépendant se retrouve sur une plateforme aussi immense et américaine.
Propos recueillis par Katia Bayer et Agathe Arnaud, avec la complicité de Karine Demmou. Mise en forme : Agathe Arnaud
Pathé a récemment édité un DVD du dernier court-métrage d’Almodóvar, adaptation de La Voix humaine de Jean Cocteau. Format Court vous en a proposé plusieurs exemplaires (*concours terminé).
Depuis longtemps, une pièce de Jean Cocteau obsédait Almodóvar. Il l’avait déjà adaptée en 1988, très librement, dans Femmes au bord de la crise de nerf, film qui lance sa carrière internationale. Le téléphone sonne, un homme appelle, il veut récupérer ses valises. Il quitte avec désinvolture celle qui l’attend enfermée dans l’appartement, celle qui répond au téléphone, celle qui l’aime. Ce simple nœud narratif hante l’œuvre d’Almodóvar qui a souvent dépeint des portraits tragiques et/ou burlesques de femmes seules. De la première adaptation le réalisateur garde quelques détails du décor, un tableau, des plantes sur la terrasse, et beaucoup de fougue. Mais au lieu d’une belle brune aux accents hispaniques, il préfère une blonde britannique. Et pas n’importe laquelle ! Tilda Swinton porte les couleurs d’Almodóvar avec merveille.
Avec cette nouvelle adaptation de La Voix Humaine, le joli duo, de feu et de glace, que forment le réalisateur espagnol et l’actrice anglaise livre un court-métrage d’une énergie rare. La prestation époustouflante de l’actrice ne laisse aucun répit au spectateur. Entre deux âges, d’une grande « pâleur », entre « folie et mélancolie » comme décrit fictivement dans le film, Tilda Swinton semble enfin trouver un rôle à sa carrure. L’intensité de son jeu tient d’une véritable performance. Seule actrice du film – quoique fidèlement accompagnée par un autre personnage, le chien – elle délivre le monologue déchirant d’une femme délaissée. Si le texte original est une lamentation tragique où la femme reste un triste objet jeté par l’homme aimé, Almodóvar choisit de rendre à cette femme sa dignité. Elle est maintenant celle qui se libère du joug d’un amour vain, celle qui détruit ce qui l’a détruite.
On ne pouvait pas faire un film plus almodóvarien que ce dernier court-métrage qui a eu la chance de sortir en salles en Espagne après une première à la Mostra de Venise ! On retrouve les vives couleurs primaires, le rouge, le bleu, le vert, fidèles de la palette du réalisateur. Ceux qui connaissent sa filmographie reconnaîtront les airs familiers d’Alberto Iglesias, thèmes musicaux qui nous rappellent d’autres drames féminins qu’Almodóvar nous a contés jadis. Ils reconnaîtront surtout dans Tilda Swinton le personnage féminin comme le réalisateur l’a toujours montrée : seule, impétueuse, intense et habillée de tenues extravagantes et chics (Almodóvar ne s’est pas abstenu de quelques partenariats avec les grandes marques modernes). Enfin, les tiroirs sont remplis de petites pilules, médicaments porte-bonheur dont ses personnages aiment abuser…
Le décor est familier aussi, rempli de couleurs et de détails qui font exister immédiatement l’univers particulier du réalisateur. Il ressemble étrangement à celui de son dernier film, Douleur et Gloire, et rappelle évidemment la construction scénique de celui de Femmes au bord de la crise de nerfs. À un détail près : Almodóvar ajoute un effet de mise en scène à La Voix humaine. Alors que Tilda Swinton sort de son appartement, elle quitte le plateau et erre dans un studio de tournage. L’appartement n’est qu’une reconstruction artificielle. Apparaît alors un nouveau décor qui tient lieu d’espace mental pour la détresse du personnage. Tilda Swinton y déambule enfermée dans un hangar vide et sombre. Parce que La Voix humaine raconte une relation amoureuse sans issue, Almodóvar déplace son personnage dans un espace clos. Autre subtilité de mise en scène : le film joue tout du long sur l’ambiguïté de la conversation téléphonique. La trouvaille est originellement de Cocteau qui écrit uniquement un long monologue (il use aussi de l’ingéniosité scénique du téléphone dans Le Bel indifférent adapté par Jacques Demy dans un court-métrage qui rivalise en couleurs avec celui d’Almodóvar). Au cinéma, l’impasse de la conversation téléphonique est rendue par une dérangeante absence de champs contre-champs. L’autre est absent et même son absence est invisible. Le téléphone loin, posé sur le comptoir de la cuisine, deux earpods vissés aux oreilles, Tilda Swinton parle dans le vide. Peut-être invente-t-elle cette conversation par désespoir, peut-être y-a-t-il une voix qui lui répond. Le spectateur ne se pose pas la question bien longtemps. Ce qui compte seulement, c’est elle, son désespoir, son amour et son courage.
Dès les premières images jusqu’au générique, on retient sa respiration, on a peur de cligner des yeux : on ne veut pas en rater une miette. Et quand c’est fini, on en demande plus. Heureusement le DVD édité par Pathé assouvit les pulsions scopiques. En bonus, 45 minutes de conversation entre Almodóvar et Tilda Swinton animée par Mark Kermode complètent le visionnage du film. Une petite originalité fait sourire : la conversation se déroule en zoom. Les nouvelles technologies qui semblaient éloigner les êtres dans le film ici les rapprochent. Le plus important reste ce que l’on apprend dans cette grande conversation : la promesse que fait Almodóvar à Tilda Swinton qu’ils travailleront ensemble dans le futur… Vivement !
La Voix humaine de Pedro Almodóvar, disponible en DVD et VOD depuis le 19 mars 2021. Film & bonus (conversation avec Pedro Almodóvar et Tilda Swinton). Edition Pathé Films
Le dernier court-métrage de Virgil Vernier, Kindertotenlieder, a remporté le Prix Jean Vigo du court-métrage 2022 et était en compétition au Cinéma du réel en mars 2021. À cette occasion, Format Court s’est entretenu avec le réalisateur des deux longs-métrages Mercuriales (2014) et Sophia Antipolis (2018) et de nombreux courts-métrages, parmi lesquels Pandore (2010), Orléans (2012) ou, Sapphyre Cristal (2019). Dans son dernier film, il aborde avec sensibilité les émeutes de 2005 à Clichy-Sous-Bois en détournant les images des journaux télévisés de TF1. Avec lui, nous avons discuté de son film, de télévision et surtout de beauté.
Format Court : Comment voyez-vous votre film, comme un documentaire, un film expérimental, un film de fiction ?
Virgil Vernier : Je ne veux pas catégoriser les choses. J’aimerais bien que mes films soient mes films. J’emprunte à tous les genres pour faire quelque chose qui est mon langage, ma manière de voir. Un film peut contenir tous les types d’approches, de l’ethnologie à la science-fiction. Tout peut faire le même film.
Kindertotenkieder est une demande de la Mairie de Clichy. Quelle a été la genèse du film ?
V.V. : Le romancier Éric Reinhardt est venu me voir, il m’a expliqué que la Mairie de Clichy l’avait missionné pour proposer à des artistes, des metteurs en scènes ou des cinéastes de créer autour de la ville de Clichy. Quand il m’en a parlé, ça a fait tilt dans ma tête. Clichy est tout de suite associée pour moi à ces émeutes de 2005 qui m’avaient beaucoup marqué, celles filmées par la télévision. Je lui ai tout de suite annoncé mon projet : faire quelque chose à partir des images de TF1. Mais il fallait déjà obtenir les droits pour les utiliser. Éric Reinhardt s’est battu car ça coûte très cher d’utiliser des archives… et il a réussi à les avoir gratuitement. Sans ça, le film aurait été trop cher et on n’aurait pas pu le faire.
Qu’est-ce que vous vouliez construire avec les images des JT de TF1 ? Aviez-vous une idée précise avant de vous attaquer aux images ?
V.V. : Je pensais que j’allais faire des images seulement muettes et faire un film très visuel. Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de micros-trottoirs, de témoignages. Quand j’ai reçu les archives de TF1 – parce qu’un jour la chaîne nous a enfin envoyé tous ses rushes – je me suis rendu compte que j’adorais retrouver ces témoignages des gens de la ville, entendre comment ils s’exprimaient… J’adore comment les gens parlent. Une fois qu’ils sont débarrassés du commentaire du journaliste, ils sont captivants. Ils ne sont plus instrumentalisés par la chaîne où la moindre parole humaine est abreuvée de commentaires qui classent les gens en « pour » ou « contre ». Ils peuvent exister dans leur complexité, même dans un micro-trottoir.
Le film fait beaucoup ressortir la voix des habitants. On ressent leur détresse et leur solitude dans ce qu’ils ont traversé pendant les émeutes.
V.V. : On ressent plein de choses. On ressent aussi le fait que les gens ne sont pas juste catégorisables dans un cliché ou dans un archétype. Je ne connais pas très bien le journalisme mais quelques amis journalistes m’ont raconté les rédactions. On leur dit : « Tiens, ramène moi cinq mecs qui sont contre les émeutes et cinq qui sont pour ». Lorsque les gens sont réduits à des quotas, ils n’existent pas beaucoup en dehors de cette parole de « quota ». Quand on les débarrasse de ce poids-là, on peut commencer à comprendre comment ils sont et voir leur humanité stricte. Et ça c’est intéressant.
Votre film ne semble pas prendre parti, ni contre les émeutes, ni contre la police. Dans quelle mesure votre démarche était-elle politique ? Était-elle revendicatrice, et si oui, de quelles revendications ?
V.V. : La revendication de cinéma ! Le cinéma, c’est le moment où il y a un trouble, où on ne sait pas comment comprendre les choses. C’est tragique de voir les gens les uns contre les autres mais on ne va pas pour autant prétendre que l’un ou l’autre ait raison. On peut même donner à voir des opinions qui ne sont pas les nôtres. Moi, je n’aime pas du tout les états répressifs, les mesures coercitives, celles qu’on vit actuellement ou celles de 2005, comme le couvre-feu. Malgré tout, j’ai eu envie de laisser s’exprimer ces gens-là. Comme dans Sophia Antipolis où j’ai eu envie de filmer ce que c’était qu’une milice. Même si mon point de vue est clair là-dessus, parce qu’on voit bien ce que je valorise comme rapport humain et ce sur quoi j’ai une sorte d’ironie. Malgré tout, j’avais envie d’épouser les points de vue des gens de la milice et d’essayer de comprendre pourquoi ils en arrivent à avoir tant envie de sécurité, tant besoin de cette société d’hypervigilance.
Comment s’est passé le montage de Kindertotenlieder ?
V.V. : Je travaille avec une monteuse, Charlotte Cherici, avec qui j’ai fait Sophia Antipolis. On est très proche parce qu’elle en a le même type d’humour, le même regard sur les gens, sur les choses. En regardant pour la première fois tous les rushes, on a décidé de tout classer. J’adore faire des listes. On avait rangé toutes les images de munitions dans un dossier sur l’ordinateur, toutes celles qui concernaient les voitures brûlées, puis les voitures en train de brûler, puis les bus ! Tous nos dossiers sur le logiciel de montage étaient des listes. On voulait mettre en valeur dans le montage à quel point certaines figures sont très filmées et enregistrées par TF1, comme étant les motifs de fascination de la chaîne. On ne voulait pas de narration chronologique des événements mais plutôt mettre en avant des thèmes et des figures qui étaient très marquants dans ces émeutes de 2005. Entre deux repères chronologiques au début et à la fin du film (à savoir le point de départ des émeutes, la mort de ces deux jeunes ; et à la fin, le couvre-feu qui est le symbole du côté répressif et sécuritaire de la réponse Sarkozy), on a laissé se développer des motifs, des figures qui étaient récurrentes.
Vous êtes souvent en dehors des codes communs de ce qu’est une image parfaite. C’est quoi pour vous une image réussie ? Est-ce que c’est une belle image ?
V.V. : La question de la beauté est tellement complexe. Même si je n’ai pas envie de m’arrêter au simple constat qu’il y a toujours une forme de beauté ! Il y a des formes de beauté inattendues qu’on peut aller traquer dans des endroits inattendus. Même des vilaines images de journalistes de TF1 des années 2000 peuvent avoir une forme de beauté. Lorsqu’elles sont débarrassées de leurs commentaires soit sécuritaires, soit dramatiques. Une voiture qui brûle, comme toute forme de ruines, c’est quelque chose que j’aime. J’aime beaucoup filmer des choses qui sont mises à mal, qui sont dans un état décadent, dans un état de santé qui n’est pas celui dans lequel elles devraient être. C’est pour ça que c’est toujours plus beau de voir quelque chose s’écrouler que quelque chose en pleine mesure de sa force. Moi j’aime bien aller chercher des choses sales, granuleuses, cachées, des images qui sont d’habitude mises au rebut, de côté. Je vais les chercher parce qu’elles sont signifiantes du fait justement qu’elles ont été mises de côté ! Elles ont une beauté cachée.
La beauté, c’est sans doute le mot le plus indéfinissable, le moins scientifique qui soit. Je peux aller dans des musées (du moins à une époque, je pouvais y aller) et voir des œuvres célébrées pour leur beauté et que je trouve d’une grande laideur. De la même manière, je peux voir des choses qui ne sont pas censées être belles et, personnellement, y trouver une grande beauté. Sur une étiquette de céréale par exemple ! Le capitalisme produit parfois sans le savoir des images plus belles que les artistes reconnus. Ce que je veux dire par là c’est que la beauté n’est pas plastique, ce n’est pas comme les critères objectifs d’harmonie, de couleurs. C’est un je-ne-sais-quoi mystérieux, la beauté.
C’est quelque chose que vous avez appris dans vos études de philosophie et aux Beaux-Arts avec Christian Boltanski ou c’est quelque chose que vous avez appris ailleurs et après en faisant des films ?
V.V. : Plutôt la deuxième réponse ! En philosophie, c’est très intéressant parce que tous les penseurs les plus importants ont essayé de comprendre ce que c’était l’Art et ce qui faisait qu’on pouvait dire d’une œuvre d’art qu’elle était belle. C’est très beau, c’est très intéressant mais ça ne nous dira jamais pourquoi telle chose est belle. Ça tentera de l’approcher. Heureusement aucun critère définitif ne peut déterminer si une œuvre doit rentrer à Beaubourg ou pas, si telle œuvre a une valeur sur le marché ou pas et, surtout, si on a une émotion face à une image. On a une émotion quand l’image contient un mystère fascinant qui nous intrigue et qui nous crée un plaisir mystique.
Et puis, c’est plus fort que moi, j’ai une attirance pour les images qu’on pourrait dire révolutionnaires : la Révolution française, la Commune de Paris, toutes ces choses-là… En voyant les images que TF1 a produites dans un but idéologique particulier, on aurait pu les détourner dans le contraire de ce qu’elles étaient censées dire. On pouvait faire un poème à la gloire des révoltés, des insurgés, des émeutiers alors qu’au départ, on voulait faire une critique.
Les émeutes apparaissent peu dans le film, on voit surtout ce qu’il en reste…
V.V. : Il y a quand même quelques images de gens qui jettent des cocktails Molotov ou des pierres, de gens qui crient. Je n’ai pas non plus évacué ces images mais je ne voulais pas leur donner une place plus grande. Ce n’est pas un film sur les émeutiers, c’est un film sur la manière dont TF1 a raconté ces émeutes. Ce qui est intéressant dans le film c’est surtout comment, avec ces images, j’ai tenté de raconter les mêmes événements mais différemment. C’est vrai que j’adore les images des flics, des impacts de balle, toutes les munitions qui ont été retrouvées, puis filmées et recouvertes par une voix off… Mais les montrer à l’état brut, débarrassés de tous commentaires sensationnalistes, c’est beau. Ça raconte autre chose.
Vos films sont souvent à la frontière du genre entre fiction et documentaire, toujours avec la volonté de raconter le réel.
V.V. : Oui, mais ce sont des mots tellement vagues. Avec ces mots, on peut tout dire et son contraire. Je cherche un état où les choses sont à la fois sublimes et dérisoires, triviales et mythologiques. J’essaye de traquer ces endroits où, derrière des choses tout à fait simples, se cache de l’épique, des symboles de notre époque. Il peut se trouver n’importe où : dans des images banales de JT comme on en voit tous les soirs, comme dans des choses plus étranges que je tente d’aller chercher moi-même, avec ma caméra. Dans des endroits qui sont familiers mais qui sont aussi étrangers.
Synopsis : À partir des archives du journal télévisé, retour sur les émeutes de 2005 en France, survenues suite à la mort de deux jeunes poursuivis par la police.
Après la cérémonie des César de ce vendredi, les Oscar viennent d’annoncer leurs nominations. Parmi les dix films présélectionnés ne sont retenus que cinq d’entre eux dans chaque catégorie. Parmi eux, Genius Loci d’Adrien Merigeau qui avait reçu le Prix Format Court à notre dernier festival.
Fiction
Feeling Through de Doug Roland (USA)
The Letter Room de Elvira Lind (USA)
The Present de Farah Nabulsi (Palestine)
Two Distant Strangers de Travon Free (USA)
White Eye de Tomer Shushan (Israël)
Documentaire
Colette de Anthony Giacchino (France, Allemagne, USA)
A Concerto Is a Conversation de Ben Proudfoot & Kris Bowers (USA)
Do Not Split de Anders Sømme Hammer (USA)
Hunger Ward de Skye Fitzgerald (USA)
A Love Song for Latasha de Sophia Nahli Allison (USA)
Animation
Genius Loci de Adrien Merigeau (France)
If Anything Happens I Love You de Michael Govier et Will McCormack (USA)
Opera de Erick Oh (Corée du Sud, USA)
Yes-People de Gísli Darri Halldórsson (Islande)
Mon terrier de Madeline Sharafian (USA)
Après Pile Poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller et La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel, primés l’an passé, voici les deux nouveaux courts primés ce vendredi soir lors de la – pitoyable – cérémonie des César.
Qu’importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui (Envie de Tempête Productions), César du Meilleur Court-Métrage 2021
Nommé au César du meilleur court-métrage 2021, Un Adieu de Mathilde Profit, est le premier film de cette réalisatrice issue de La Fémis. Une œuvre touchante et personnelle, à travers laquelle, Mathilde Profit a tenu à rendre hommage à son père décédé. Format Court est allé à sa rencontre.
Format Court : Un Adieu est votre premier film en tant que réalisatrice et vous décrochez déjà une nomination aux César. Comment avez-vous accueilli cette reconnaissance de vos pairs ?
Mathilde Profit : Je suis très fière que le film ait plu à mes collègues (rires) ! Parce que ce sont un peu mes collègues de cinéma, les gens de l’Académie. C’est déjà une forme de reconnaissance d’être parmi ces cinq films, en fait. C’est immense, surtout pour un premier film. Pour moi, c’est déjà un encouragement énorme.
Le père conduit sa fille à Paris pour l’aider à emménager en vue de ses études. Votre film raconte l’histoire émouvante de cette tristesse inéluctable que connaissent souvent les parents lorsqu’ils voient leurs enfants quitter le cocon familial pour entreprendre des études loin de la maison. Un Adieu rappelle aussi que ce moment n’est jamais non plus évident pour les enfants malgré leur fort désir d’indépendance. Ce film fait-il écho à votre propre expérience avec vos parents ?
M.P. : Oui et non. Oui dans le sens où, comme beaucoup de personnes, j’ai quitté ma famille pour aller faire mes études. Le point d’ancrage autobiographique se trouve également sur les études artistiques que poursuit l’héroïne principale. Comme dans le cas de la jeune fille, ma famille vient également plutôt d’un milieu agricole et ouvrier. Mes aînés n’ont pas fait d’études. C’est de cela qu’on trouve une petite trace dans le film. En tout cas, on sent que c’est une fille qui va faire des études supérieures dans une famille dont le père n’a pas eu le même parcours. Sinon, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Toute ma famille m’a accompagnée. J’avais tellement d’affaires qu’il n’y avait plus de place pour moi dans la voiture et j’ai dû prendre le train pendant que mes parents et ma sœur faisaient le trajet en voiture. J’étais partie faire mes études à Nantes alors que j’étais née en banlieue parisienne, donc ça n’a rien à avoir. Ce n’est pas la même histoire personnelle.
On remarque que le père et la fille sont assez mal à l’aise dans ce tête-à-tête, quelque peu provoqué par les circonstances. Le père tente maladroitement de communiquer. Peu bavarde, sa fille ne lui facilite pas les choses en restant distante. Ils n’arrivent pas vraiment à avoir de sujet de conversation, même si l’on ressent l’affection qu’ils portent l’un pour l’autre.
M.P. : Ce sont des dialogues un peu à contretemps, des figures conflictuelles. Ce sont d’ailleurs souvent des duos conflictuels parent-enfant dans ces âges-là, vers 18 ans. Il se trouve que là, il n’y a pas de conflit entre les deux personnages. C’est plutôt le non-dit et une sorte de distance qui caractérise leurs rapports. Il s’agit en même temps, d’une relation entre personnes qui ne peuvent pas communiquer. Mais de toute façon, personne ne peut communiquer. Nos enfants, au bout d’un moment, on ne les comprend pas. On a l’impression que plus ils grandissent, moins on les connaît. Et puis à l’inverse, eux, ils ont l’impression que les parents sont les personnes qu’ils aiment le plus au monde et plus ils grandissent, plus ils ont envie de les fuir. Du coup, je trouve que les personnages du film ne s’en sortent pas si mal, parce qu’ils ne s’engueulent pas au moins. J’ai l’impression plutôt de voir des gens qui sortent de leur zone de confort. Elle, elle prend des risques. Elle dit qu’elle a peur. Elle prend le risque dans le sens où elle nomme des choses que peut-être elle ne nomme jamais d’habitude. Il y a bien une tentative de communication. Après, ça ne donne pas forcément de fusion, parce que ce n’est pas possible, en fait. Mais il y a quelque chose qui se passe entre eux. Ils se donnent quelque chose quand même.
À un moment, le père partage une confidence importante avec sa fille. Quelque chose qu’il ne lui avait jamais révélé auparavant. On a l’impression que tous les deux se redécouvrent à travers ce déménagement.
M.P. : Ils ont un nouveau rapport qui naît à ce moment-là. Elle devient une adulte qui part avec son parent, ce qui n’est pas du tout la même chose. Quand on part, lorsqu’on quitte le domicile familial, c’est comme si on pouvait ouvrir les dossiers secrets. On a la possibilité d’avoir les confidences des parents. J’ai écrit assez tard cette scène, juste avant de tourner, en fait. Parce que je me disais que le père, il faut quand même qu’il essaie de faire avec ce qu’il a. Qu’il lui donne quelque chose. Je trouvais assez beau l’idée que, peut-être, il a eu hyper peur que son couple se casse la gueule et, en même temps, c’est le regret de ne pas avoir vécu une autre vie, je n’en sais rien. C’était aussi, pour moi, lui donner une sorte de conscience de la fragilité des choses, de son existence, de son existence à elle. Dès fois, ça ne tient à pas grand chose qu’on fasse un enfant ou pas. C’est terrible de le dire à son enfant mais ça ne tient pas à grand chose.
Il y a aussi cette scène étrange où la fille semble déconcertée par le fait de voir son père dormir dans la même pièce, juste à côté d’elle. Elle l’observe comme si elle ne le connaissait pas.
M.P. : Dès fois je me dis que c’est le moment que j’ai le moins réussi dans le film. Peut-être le son de la respiration n’est pas assez fort. Pour moi, c’est une sorte d’expérience de la bizarrerie, l’étrangeté absolue qu’est le corps des parents. Comme il est abandonné, en train de dormir près d’elle, la fille est un peu mal à l’aise. Ça ne lui était jamais arrivé d’avoir autant d’intimité avec son père. Il y a un truc aussi sur la mort. Dans l’abandon du sommeil, il y a quand même un peu ça, une sorte de vision un peu terrible de fin de vie.
On dirait qu’il y a deux fins dans votre film. Le père et la fille se disent au revoir une première fois, puis se recroisent dans la rue. Lui en voiture, elle à pied. Pourquoi ces deux « au revoir » ?
M.P. : C’était comme leur donner une opportunité, à eux et aux spectateurs, de pouvoir se dire vraiment au revoir, c’est-à-dire le deuxième niveau du au revoir. La première fois ils se disent au revoir de manière très pragmatique et un peu triviale. Il y a un échange de billets, il lui demande si elle a ses clés. Et ils savent très bien qu’ils se disent au revoir de manière exceptionnelle et le cinéma leur donne l’opportunité de se donner autre chose, en fait. C’est pour ça que le film existe. Donner l’opportunité aux gens qui ne veulent pas vivre un drame, de le vivre quand même. Il y a une part de hasard dans ce second au revoir lorsqu’ils se recroisent dans la rue. J’ai toujours trouvé ça génial dans le scénario, qu’on puisse offrir le destin, le hasard, la magie du hasard aux gens, aux personnages.
À part quelques éléments autobiographiques, comment vous est venue l’idée du film ?
M.P. : C’est un peu une non-idée, puisqu’en fait c’est une histoire où il n’y a pas vraiment d’histoire, mais disons que c’est quelque chose qui m’a marquée, moi, ce départ-là dans ma vie, qui est resté assez longtemps. Et puis j’ai perdu mon père d’un cancer, de manière assez rapide et, à peu près en même temps, j’ai eu un enfant. Je crois qu’il y a eu un truc où, tout à coup, j’avais envie de trouver une manière un peu métaphorique et douce de parler du deuil.
Un Adieu a-t-il été pour vous un moyen de dire au revoir à votre père ?
M.P. : Dire au revoir à quelque chose de mon père qui n’a pas eu lieu ni à l’enterrement ni… Oui certainement, peut-être. En tout cas, c’était très présent. Je ne dis pas que l’idée est venue de là, mais le fait qu’il parte a été déclencheur du fait de me mettre à écrire et de faire des choses. Donc par là, on peut dire que c’est une manière de dire au revoir à quelque chose de lui quand il était vivant, à lui vivant. C’est un moyen de lui prolonger la vie, un peu. Je me suis posé la question de lui dédier le film.
C’est votre premier film. Un film très intime, personnel. Quel genre de cinéma souhaitez-vous réaliser à l’avenir ?
M.P. : C’est difficile de l’exprimer avec des mots. Je crois qu’il y a un certain rapport au temps, à l’émotion. Les personnages sont, à chaque fois, au centre de ce que j’ai envie de filmer. Il y a les relations avec les gens. Ça paraît débile de dire ça mais ce n’est pas le cas de tous les films. Je crois que c’est un cinéma de personnages et de rapport au territoire. Ça me touche vraiment beaucoup. C’est important pour moi. L’un et l’autre vont ensemble. Des films qui prennent le temps aussi d’aller observer les choses, des détails. J’aime bien les détails, des choses complexes et petites. Je trouve que c’est passionnant de chercher ça quand on fait de la mise en scène. D’essayer d’aller dans l’articulation très précise des émotions, des rapports entre les gens. Je me rends compte aussi que je déteste les péripéties et j’adore les secrets. Je pense qu’un secret, quand on arrive à en faire le tour, c’est très très émouvant.
À Format Court, on aime bien Agnès Patron, pas seulement parce qu’elle a réalisé L’heure de l’ours, un “Carnaval aux allures de fin du monde », récompensé du César du Meilleur Court-Métrage d’Animation 2021, mais aussi parce qu’elle a signé, raturé, modifié l’affiche de notre 2ème Festival Format Court à plusieurs reprises au gré des annonces gouvernementales. Dans ce long entretien réalisé sur Zoom, la diplômée des Arts-Décos raconte l’instinct, la désillusion de sa première année artistique, son déclic pour l’animation, mais également son fils, premier spectateur.
Format Court : Comment t’es-tu retrouvée dans une école d’art ?
Agnès Patron : A la base, au lycée, j’étais en arts plastiques, en option intensive. A la fin de ma terminale, j’avais hésité à continuer dans l’artistique et l’aspect littéraire m’intéressait aussi beaucoup. Ne sachant pas trop vers quoi aller, m’étant rendue aux journées portes ouvertes des écoles d’art et ayant un peu flippé en me disant que je n’avais pas le même niveau et que je n’arriverais pas à être aussi cool que ces gens-là, j’ai commencé des études de lettres.
Au bout de trois ans de licence d’histoire, je me suis dit : “Mais non, en fait, je n’ai pas grand chose à faire là”. Je ne sais pas quel a été le déclic mais j’ai décidé de raccrocher avec une filière artistique. Peut-être que je me suis dit que j’allais droit dans le mur si je continuais la recherche, en histoire. Je trouvais ça très agréable mais je ne voyais pas où j’allais aboutir. J’ai peut-être eu besoin de ce temps de maturation pour me dire que je pourrai y arriver moi aussi.
Pourquoi avoir choisi les Arts-Décos et comment t’es-tu intéressée à l’animation ?
A.P : Ca s’est fait de manière progressive. Après la licence d’histoire, j’ai suivi une prépa aux écoles d’art. J’ai fait l’Atelier de Sèvres pendant un an, ça m’a vachement dégrossi, je pense que j’arrivais avec pas mal de niaiseries au sujet des concours d’art, des codes, des manières d’aborder les écoles. J’avais une frayeur d’être prise nulle part car je quittais quand même mon cursus de troisième année. Du coup, j’ai passé tous les concours d’art qui existaient, même ceux des écoles d’architecture et j’ai quasiment tout eu. Les Arts-Décos ont vraiment été un choix. J’ai décidé d’y aller parce que c’était plus appliqué que les Beaux-Arts. J’avais besoin d’être cadrée, il y avait cette promesse aussi de grands ateliers où je pourrai faire du bois, du métal, explorer plein de trucs.
La première année a été extrêmement décevante, j’ai eu l’impression d’être retournée en maternelle. A mon époque, aux Arts-Décos, c’était la voie de garage des profs qui en avaient un peu marre d’enseigner. Du coup, on se retrouvait à goûter du vin et du fromage et à dessiner nos sensations, ce qui en soi peut paraître très cool mais qui est juste un gros prétexte à faire un apéro ! Moi, j’arrivais avec plein d’aspirations artistiques et d’envies d’apprentissage et je me retrouvais sur les quais de Seine à dessiner des marrons et des crottes de chien. C’était la loose totale mais malgré tout, il y a eu quelques ateliers géniaux dont l’atelier d’animation de Sébastien Laudenbach et Florence Miailhe. Ca a créé une étincelle, j’ai décidé que je ferais de l’anim’.
Qu’est-ce que tu as le sentiment d’avoir appris dans cette école ?
A.P : J’ai l’impression d’avoir appris une tonne de choses mais pas au niveau technique. J’ai surtout appris à acquérir une forme de liberté dans la manière dont j’aborde l’animation et tout un tas de choses. En section animation, on n’abordait pas la réalisation de manière très organisée et scolaire, en tout cas pas à mon époque. On dit souvent qu’aux Arts-Décos, notre défaut c’est qu’on fait de jolis films mais qu’on ne comprend rien. C’est un peu ça, on aborde les films sous le couvert de découvrir une technique, de patouiller dans différents matériaux, de tester des montages, de ne pas être trop dans un truc trop classique et attendu. Cette liberté, c’est quelque chose que j’ai découvert là-bas. Tu fais ce que tu veux. Tu as envie de prendre de la terre, d’animer du steak haché, tu essayes et tu verras bien. Ca ne marche pas, ce n’est pas grave. Ne sois pas timoré, c’est le moment où tu peux tester, après, tu vas galérer dans la vraie vie.
C’est comment d’animer du steak haché ?
A.P : Le steak haché puait, il avait fini par cuire sur la vitre, c’était l’horreur, on animait sur un banc-titre rétroéclairé, la lumière était chaude.. On n’a même pas eu envie de le manger !
Ecrire un premier film d’animation professionnel, ça s’est passé comment pour toi ?
A.P : Les premiers dossiers qu’on a vraiment faits pour des Commissions, c’était autour de Chulyen, histoire de corbeau avec Cerise Lopez. Aux Arts-Décos, on ne t’apprend pas ça par exemple. Ton film de fin d’études, on te demande de faire ce qui te tient au corps et tu le fais. En sortant de l’école, on a voulu faire Chulyen, mais on ne savait pas ce que c’était de faire un dossier. La première aide qu’on a demandée, c’était une aide à l’écriture à Fontevraud. On a envoyé une espèce de portfolio de nos pauvres boulots d’étudiantes sorties d’école pour des sites internet, on n’avait rien compris ! Là, j’ai appris à faire un dossier. On avait un scénario qui partait tellement dans tous les sens que je ne peux pas dire que j’ai appris à écrire un scénario classique. J’ai appris à écrire des choses mais de manière assez chaotique, on nous l’a d’ailleurs pas mal reproché. (…) C’est un peu la limite du dossier : arriver à traduire en mots ton univers. Chulyen, c’était assez compliqué parce que c’était très visuel et très rythmique. Va traduire ça avec des mots, bon courage ! Après, il y a eu toute la recherche de financements pour le film et nos productrices d’Ikki Films ont vraiment fait ça à la force du poignet, elles ont réussi à nous lever des aides, elles n’ont rien lâché.
Pour L’heure de l’ours, c’était plus simple parce que j’avais déjà fait un dossier. Et puis, Johanna Krawczyk m’a beaucoup aidée en co-scénarisant, voire plus, le film. C’était beaucoup plus lisse et clair dans ma tête. C’était un projet personnel, je n’essayais pas de faire rentrer deux univers dans un document papier, c’était plus facile, fluide.
Quelle période sépare Chulyen et L’heure de l’ours ?
A.P :Chulyen est sorti en 2015. On l’a fabriqué en 2012-2013 et L’heure de l’ours est sorti en 2019, et on a dû le fabriquer en 2017-2018. L’écriture de L’heure de l’ours a chevauché un peu celle de Chulyen. J’avais l’idée de L’heure de l’ours au moment de la fabrication de Chulyen, et je l’avais un peu remis dans les mains de Joanna.
C’est important de dire qu’on a galéré au début parce qu’on n’a pas d’expérience. Comment t’es-tu retrouvée à travailler avec Ron Dyens de Sacrebleu ?
A.P : Il avait beaucoup aimé Chulyen. Je produisais L’heure de l’ours au départ avec Ikki Films à nouveau. C’était compliqué en terme d’organisation. J’ai décidé à la fin de l’écriture, pour la première mouture du scénario, que j’allais changer de prod. J’ai été voir Ron qui a lu cette mouture et qui m’a dit : “Trop cool, j’aime bien le projet mais Agnès, je connais tes autres films, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu as édulcoré, ce n’est pas tout à fait du Agnès Patron”. Il avait raison parce qu’avec Joanna, on avait tellement peur de ne pas avoir les aides à cause de l’expérience qu’on avait eue avec Chulyen qu’on a fait un truc super bordé et lisse. Ron nous a redonné confiance en nous disant : “Ca, vous ne vous en occupez pas, ça va être mon boulot de vous trouver les sous et vous écrivez. Vous faites ce que toi, Agnès, tu auras envie de réaliser”. Moi, je m’étais dit qu’on allait faire un dossier propre et qu’on changerait tout une fois qu’on aurait l’argent ! Ce n’était pas un très bon calcul, je dois dire ! Ron nous a donné bien confiance et on a eu une grosse phase de réécriture qui n’a pas duré très longtemps mais qui a été très productive, et on est arrivé à la version à peu près finale du film.
Qu’est-ce qui a été l’étincelle de ce projet, l’envie de prendre le temps de raconter cette histoire ?
A.P : Ca a été avant la naissance de mon fils, il y avait déjà cette histoire qui était en train de mûrir. Et après, il y a eu sa naissance, il a grandi, il a fait des colères terribles. Ca nourrissait le scénario énormément, mon imaginaire aussi. C’est marrant, mais c’est un film pour lequel je me suis dit : “Je ne veux pas mourir avant de l’avoir fini”. C’est complètement con, je ne suis pas vieille, mais il me tenait tellement au corps qu’il fallait que je le fasse. C’était un moment de ma vie où c’était hyper important que je sorte ce truc. J’ai été beaucoup plus instinctive qu’à d’autres moments de ma vie, il y avait une urgence de fabrication. J’avais envie de le faire, Ron menait des projets vite et bien, j’en avais parlé à Céline Devaux qui m’avait dit : “Tu peux y aller, il est vraiment cool, il aime faire des films”. Je voulais quelqu’un qui ait autant envie que moi de faire le film, qui soit pressé aussi de le faire tout en le finançant bien. Et Ron avait aussi cette espèce de capacité à avoir l’énergie de porter le truc financièrement. A partir de la réécriture, il l’a porté à fond et ça, c’était assez génial. Et je pense que ça correspondait à une forme d’urgence, non pas qu’il l’ait fait à la va-vite (l’anim’, ça prend du temps et on y a passé le temps qu’il fallait), mais il fallait que ça sorte et que ce soit dit à ce moment-là de ma vie. J’ai certains projets dans ma tête qui peuvent encore attendre dix ans, mais celui-là devait être dit.
Tu a montré le film à ton fils ? Qu’est-ce qu’il a compris ?
A.P. : En voyant l’ours s’effondrer, il m’a dit : “Oh, la mère, elle a voulu tuer la colère de l’enfant”. Simon était un peu le premier spectateur et sa réaction m’a fait plaisir.
Comment lui expliques-tu ton métier ?
A.P. : Ah. Maintenant, il a 6 ans alors il comprend assez bien, il commence même à comprendre comment on fabrique des films d’anim’. Ce qui n’a pas été facile, c’est que pour L’heure de l’ours, il a fallu que je parte tourner à Ciclic à Vendôme. La semaine, je n’étais pas là et le weekend, je rentrais. Ca a été dur pour lui. Avec le temps, il a eu une grosse réaction de rejet : il ne regarde aucun film d’animation, il trouve ça super chiant (rires) ! Il ne regarde que des documentaires.
Le film se balade sur Vimeo. Est-ce que c’est juste pour la campagne des César ?
A.P. : Non, je crois qu’on l’a sorti sur Vimeo parce qu’il avait fini le tour des festivals. Il en a quand même fait beaucoup. Il est sur Vimeo Staff Pick, Jeffrey Bowers qu’on avait rencontré à Cannes nous avait dit : “J’ai adoré ce film, c’est ma Palme d’Or, tu me fais signe quand vous le sortez”. Je pense qu’il va rester sur le Net.
Cannes, c’est vieux. Entre Cannes et les César, il y a du temps qui est passé. Cette année compliquée, cette visibilité liée au film, tu vois ça comment ?
A.P. : Il y a deux choses. J’ai eu de la chance parce que mon film est sorti bien avant la crise du Covid. J’ai eu le temps pendant quasi un an d’aller en festival, de mai 2019 à février 2020. Après, ce qu’on vit avec les fermetures de salles, les arrêts de spectacles, je n’ai pas de mots, je ne comprends pas. Dans le milieu où je vis, j’y adhère totalement, je suis atterrée par la situation de la culture en France en ce moment comme si on n’était que des moins que rien. Je trouve pas mal que les César puissent se faire, qu’ils aient quand même obtenu l’autorisation d’avoir lieu même si ça va être à huis clos. Je pense que ça va être assez drôle en fait, mais bon, tant mieux !
Après, le fait que le film ait eu un gros retentissement, que je n’aurais jamais pensé que Vimeo “staff pickerait” l’un de mes films, je prends. Ca donne de la visibilité au film, à mon boulot, ça m’apporte de nouvelles collaborations, de nouveaux projets, ça facilite peut-être les choses pour les projets d’après. Je prends ça assez sereinement. Je suis assez stressée par le les paillettes et grands raouts comme Cannes. Au demeurant au festival, il y a eu plein de trucs géniaux mais d’un coup, c’était très intense. Et ma boîte mail se remplissait d’un coup d’une tonne de mails super bizarres. J’ai fait le tri. Par exemple, le projet que je viens de finir m’a indirectement été amené par Cannes au moment où le festival devait avoir lieu. Il y a eu le We are one festival on a demandé à Ron si mon film pouvait rejoindre la programmation, il avait dit oui. Du coup, une réalisatrice et photographe australienne Olivia Martin-McGuire l’a vu et m’a dit qu’elle travaillait sur un documentaire. Quand elle a vu les images de L’heure de l’ours, elle a vu les parties de son docu. Elle m’a proposé qu’on bosse ensemble, j’aimais bien son projet. Elle fait partie des très bonnes choses qui me sont arrivées.
Ismaël Joffroy Chandoutis est un jeune réalisateur émergent dans le monde cinématographique expérimental. En effet, le réalisateur français, diplômé de l’INSAS et du Fresnoy, s’amuse avec les frontières des genres. En 2019, son court-métrage Swatted gagnait le prix spécial du jury en compétition Labo au festival de Clermont-Ferrand. Son film expérimente le net found footage et les textures de jeux vidéo. Il est depuis peu visible sur le DVD-Blu-Ray édité à l’occasion des 20 ans de la compétition Labo (notre chronique à ce sujet ici ).
Aujourd’hui, c’est de son dernier film, Maelbeek, dont il s’agit. Après avoir remporté deux prix au festival de Clermont-Ferrand (prix du public dans la compétition Labo et prix des effets visuels), le court-métrage vient d’être récompensé par le Syndicat de la Critique. Le prix du meilleur court-métrage français est décerné par un jury composé de membres du syndicat. Cette année, il était composé de Francis Gavelle, Juliette Goffart, Pascal Le Duff, Léo Ortuno et Nicolas Thys.
Le film a su leur plaire pour son audace esthétique et sa qualité scénaristique. Ismaël Joffroy Chandoutis y interroge les pouvoirs de la représentation. Alors que l’iconographie sur les attentats de 2016 dans le métro bruxellois ne manque pas, le réalisateur crée des images déformées pour représenter le drame. Il s’empare alors de la mémoire défaillante et traumatisée des victimes de l’attentat…