Focus sur quelques nommés aux César 2021 du court métrage

Format Court vous propose de donner son sentiment sur 7 des 24 court-métrages sélectionnés pour l’édition 2021 des César. Les notions d’amour et de conviction se révèlent comme les deux principaux fils conducteurs de ces films. Un sentiment puissant d’un côté, une idée solidement ancrée de l’autre – tous deux justifiant les motivations et les actes des personnages.

Un Adieu de Mathilde Profit aborde ce sentiment d’amour sous l’angle de la relation père-fille. Une histoire très touchante d’un père qui doit se résoudre à l’idée de voir sa fille quitter le nid familial pour commencer des études à Paris. Pour repousser l’échéance de cet adieu inévitable, le père accompagne sa fille à Paris en voiture, l’aide à emménager et va jusqu’à dormir sur le plancher dans la minuscule studette de 9m2 de sa fille pour y passer la nuit avant de repartir le lendemain. Durant ces 24 h ensemble, le père et la fille communiquent très peu finalement et le plus souvent sur des sujets terre à terre. En s’attardant sur les timides échanges de regards, les silences et les non-dits, le film nous laisse deviner très vite que leurs liens si étroits à une époque ont fini par se distendre. Les tentatives du père de rattraper le temps perdu se heurtent au triste constat qu’il n’a plus de sujet de conversation avec sa fille qui semble elle aussi ne plus vraiment connaître son père. Tous les deux évoluent désormais dans des mondes différents. La qualité du jeu de ce duo père-fille ne nous laisse cependant aucun doute sur la force du sentiment, toujours présent qui les lie. La réalisatrice Mathilde Profit nous livre ici un récit plein de justesse et de sensibilité.

Reprenant cette thématique d’adieu dans la relation parent-enfant, Homesick, de Koya Kamura nous offre un véritable crève-cœur. Le film nous transporte à Fukushima, deux ans après la catastrophe. Murai, un ancien habitant de la ville, réside dans un campement de fortune à l’extérieur de la zone contaminée. Equipé de sa combinaison anti-radiation, il retourne régulièrement dans la zone pour ramener à d’autres déplacés des objets qui leur appartenaient. Mais il y retourne avant tout pour passer du temps avec l’esprit ou la vision de son fils disparu, apparaissant en chair et en os, toujours vêtu d’un t-shirt de basket sans manches. Une disparition que Murai n’a jamais acceptée. C’est précisément autour de ce déni que se concentre le récit de Homesick, mettant en scène ce père de famille accroché à son passé et incapable de faire le deuil de sa femme et de son enfant. Jouant avec son fils au baseball, parlant de son fils au présent, racontant ses journées à sa femme à travers des messages vocaux, Murai répète le même rituel. Alors qu’au début du film, le spectateur pourrait encore être amené à douter de la mort de la famille de Murai, celle-ci devient évidente avec cet effet de répétition des schémas. Malgré cette évidence, Koya Kamura réalise un coup de maître en parvenant à susciter une émotion très forte dans une scène cathartique où le fils, qui n’est qu’une vision de son père, le délivre de sa souffrance en lui demandant de le laisser enfin partir. Fort de sa narration lente et posée, accompagnée de cadres poétiques, Homesick ne vous laissera pas insensible.

Cet attachement à la famille est un sentiment central dans le film de Marie Le Floc’h. Je serai parmi les amandiers parle de la cellule familiale perçue comme quelque chose de sacré, qu’il faudrait préserver à tout prix. C’est le combat de Maysan, une immigrée syrienne installée en France, dont le monde s’effondre lorsque son mari Iyad décide de divorcer. Le film n’amène pas ce sujet frontalement. Il laisse intelligemment le spectateur observer la distance froide adoptée par Iyad envers Maysan. Une distance à peine voilée lors de la fête d’anniversaire de leur fille Nour où tous les deux ne semblent désormais s’adresser qu’à elle, le père évitant même le regard de la mère. Nour apparaît ainsi très vite comme le seul élément reliant Iyad à Maysan. Mais lorsque la famille obtient le statut de réfugié, sécurisant ainsi sa vie en France, et surtout celle de Nour, Iyad prend cette nouvelle comme une occasion idéale pour enfin quitter Maysan. Un vrai point de départ du film qui voit Maysan désespérément s’accrocher à toute possibilité pour retenir Iyad, allant même jusqu’à envisager le sabotage de la procédure d’attribution du statut – la seule issue qui pourrait repousser l’échéance. Masa Zaher incarne ici Maysan et sa performance porte le film. Elle nous fait véritablement ressentir les émotions qui traversent son personnage entre son amour pour Iyad et Nour, et la souffrance qui en découle. Une performance renforcée par les choix de cadrage qui mettent Maysan au centre de l’attention de la caméra. Le seul reproche que l’on pourrait faire au film est sa durée. Le film se termine en effet là où l’on s’y attend le moins. Alors qu’on était impatient de connaître la suite, le film nous laisse sur notre faim.

D’une certaine manière, Mars Colony évoque aussi une histoire d’amour qui finit mal. Le réalisateur Noël Fuzellier, aborde concrètement la question de la détresse provoquée par l’absence d’amour. Dans un futur proche où la colonisation d’autres planètes du système solaire est sérieusement envisagée, Logan, 16 ans, est un adolescent tourmenté. Orphelin de sa mère, battu par son père, il évacue sa frustration par un comportement violent à l’école. Les seules choses qui donnent pour lui un sens à son existence sont la protection de son frère cadet et… l’idée de participer à la colonisation de Mars. Un soir, il reçoit la visite d’un homme de l’âge de son père qui assure venir du futur et être Logan, dans sa version plus âgée. Il confie au jeune Logan une mission qui pourrait changer le destin de l’humanité. Derrière ses apparences d’un film de science-fiction, Mars Colony se concentre sur un thème très universel de la quête de sens chez un adolescent issu d’une famille dysfonctionnelle et monoparentale. La visite d’un Logan de 40 ans de plus ne semble pour Noël Fuzellier qu’un moyen pour démontrer que la définition d’un objectif vertueux et la motivation pour y parvenir finissent par canaliser les émotions et mieux ancrer l’individu dans la société. Ainsi, pour réaliser la mission, Logan devient subitement plus poli et respectueux de ses camarades. Quand cette mission ne se révèle être qu’un piège tendu par des élèves martyrisés jadis par Logan, le film prend le pari audacieux de présenter cette expérience comme salutaire pour le personnage principal alors qu’une issue plus sombre était tout autant envisageable. Assez classique dans sa mise en scène, Mars Colony réussit à travers son écriture et un jeu d’acteurs solide, à embarquer le spectateur dans son récit ménageant avec brio un effet d’ultime surprise.

En continuant dans le registre de l’amour au cinéma, Invisível Herói de Cristèle Alves Meira nous propose une histoire tout à fait originale. Navigant entre fiction et documentaire, le film suit les péripéties de Duarte, un aveugle d’une soixantaine d’années, qui parcourt Lisbonne à la recherche de son ami Leandro pour lui transmettre une chanson qu’il a écrite spécialement pour lui. Sauf que personne ne semble avoir vu ni entendu parler de Leandro. Le film, tel un documentaire d’enquête, relate les rencontres successives de ce personnage inoffensif et attachant qui se mue en journaliste-enquêteur. L’éventuel ressenti de Duarte sur les difficultés de ne pas trouver son ami semble relégué au second plan face aux situations souvent comiques générées souvent par Duarte abordant de parfaits inconnus, que ce soit à la plage, dans la rue ou sur un chantier. Duarte n’a pas l’air très préoccupé non plus par les maigres avancées de sa recherche. Derrière son éternel sourire et sa bonne humeur, on commence à déceler une certaine malice, suggérant que la recherche de Leandro serait peut-être seulement un jeu. Le dénouement de l’histoire, qui confirme cette intuition, laisse perplexe. Leandro se révèle être Luz, l’amoureuse secrète de Duarte, qu’il fréquente régulièrement dans la même boîte de nuit. Malgré un épilogue charmant de ces retrouvailles amoureuses, emprunt d’émotion et de poésie, on arrive difficilement, en tant que spectateur, à saisir la raison d’avoir été si joyeusement mené en bateau dès le début par Duarte.

En sortant du registre de l’amour voué pour quelqu’un, Massacre, de Maïté Sonnet, parle, lui, de l’amour pour un territoire. Deux soeurs adolescentes voient leur vie basculer lorsqu’elles apprennent qu’elles doivent déménager de l’île où elles ont grandi pour s’installer sur le continent. Le coupable de cette situation est tout trouvé. Ce sont les touristes. À cause d’eux, la vie sur l’île est devenue trop chère pour les parents des deux jeunes filles. L’aînée vit cette situation comme un vrai drame et finit par entraîner sa sœur dans un plan maléfique visant les touristes. Le long travelling d’introduction montrant des algues échouées sur la plage et en leur sein, le cadavre d’un oiseau pris au piège, tout cela sur fond d’une musique angoissante, donne immédiatement le ton du film. Comme dans un film moderne d’épouvante, on retrouve au début les fameux plans en vidéo amateur réalisés par des protagonistes joyeux ne se doutant encore absolument pas de la suite morbide des événement. Cette fin sombre, le film la prépare méthodiquement, par touches successives, en opposant d’abord la position sociale précaire de la famille des jeunes filles à celle d’une famille de touristes aisés disposant d’une maison de vacances sur l’île. Leur maison est nettoyée régulièrement par la mère des deux sœurs, qui est femme de ménage. Le constat de cette situation alimente la haine de la sœur aînée. Une haine que l’on ressent monter de manière de plus en plus forte à travers notamment des plans qui s’attardent longuement sur le regard noir de la jeune fille. Une haine qui trouve son exutoire dans des actes de plus en plus radicaux. Dirigée dans un premier temps sur les plantes de la maison des touristes massacrées au jet d’eau ou sur un carreau de vitre brisé de la même manière, la colère de la jeune fille se reporte sur les touristes eux-mêmes, observés avec défiance du regard à leur arrivée en ferry ou profitant de leur maison de vacances. Le motif des algues toxiques, létales pour l’homme et parsemant les plages de l’île revient aussi régulièrement, donnant une indication claire sur ce que l’on devine devenir plus tard l’arme du crime. La réalisatrice Maïté Sonnet construit intelligemment son récit dans lequel tous les éléments sont réunis pour amener ses héroïnes principales à un passage à l’acte qui apparaît irrémédiable pour elles. Seul bémol, la composition de certains cadres renvoie de manière trop évidente à des œuvres de peinture, enlevant ainsi par moments au film son réalisme. Un choix artistique qui permet toutefois une interprétation différente de la fin du film, où ledit « massacre » est mis en scène de manière presque poétique et onirique, comme s’il était issu uniquement de l’imaginaire des jeunes filles.

L’aventure atomique de Loïc Barché semble aussi opérer dans un registre onirique et irréel montrant des soldats en combinaison anti-radiation errant au beau milieu d’un désert à perte de vue, tels des astronautes sur la surface de la lune. L’aventure atomique est l’histoire de sept soldats chargés d’effectuer des prélèvements à la suite d’une explosion nucléaire sur un site d’essais de l’armée française en Algérie. Alors que leur mission se déroule sans encombre, le groupe, isolé dans le désert, loin de son véhicule, est pris au piège par le changement de direction du nuage nucléaire. Loïc Barché fait le choix de reposer le film sur le conflit entre le scientifique du groupe, passionné par l’énergie atomique et son potentiel pour l’avenir de l’humanité, et le capitaine, un militaire expérimenté qui semble de plus en plus en décalage par rapport à ses jeunes soldats parlant de nouvelles technologies mais n’ayant aucun recul sur les dangers potentiels de celles-ci. L’un des atouts du film réside dans le choix du désert comme théâtre de cette opposition entre l’humanité et les dangers inhérents au progrès de la science. Un désert tantôt majestueux par son étendue et l’homogénéité de son paysage, tantôt menaçant à l’égard des personnages qui se retrouvent laissés à sa merci. Ce décor d’une symbolique ambivalente, accompagné d’une musique d’anticipation, transforme ce film en un huit-clos saisissant, laissant monter graduellement un effet de menace conjuguée et impitoyable de la nature et de la bombe, invention mortifère de l’homme. Le récit se trouve malheureusement quelque peu éclipsé par le personnage du scientifique, très caricaturé, qui est prêt à tout pour finir sa mission, même au détriment de la santé et de la vie de ses collègues. Le sacrifice ultime du capitaine interroge également. Alors qu’il fait creuser des fosses pour mettre chaque soldat, et supposément soi-même, à l’abri en se recouvrant de sable, sa décision d’ôter sa combinaison et disparaître dans le nuage radioactif n’apparaît pas justifiée. Enfin, le manque total de réaction des soldats face à la disparition du capitaine, une fois le danger écarté, apparaît étonnant. Cette fin étrange déconcerte et enlève à la qualité globale du film.

Piotr Czarzasty

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2 thoughts on “Focus sur quelques nommés aux César 2021 du court métrage”

  1. Je vote pour Homesick de Koya Kamura sans hésitation. Profondeur des émotions, délicatesse de leur expression, ancrage dans la réalité de la catastrophe et de ses conséquences, le courage des réfugiés qui tentent de garder la distance avec la douleur par un humour léger, poésie permanente, soutenue par le rythme lent et une musique tendre , des passages poignants malgré leur minimalisme….Je vote pour Homesick

  2. je ne suis pas d’accord avec la critique négative de « L’aventure atomique ». Ce film est extraordinairement prenant et original.

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