Conversation avec Sameh Alaa, Palme d’or du court-métrage 2020

Sameh Alaa est un jeune cinéaste égyptien. À Bruxelles, il vit, écrit et imagine des films, courts comme longs. Il a réalisé un film sur l’absence et le courage qui nous a tapé dans l’oeil, à la rédaction : I am afraid to forget your face. Celui-ci faisait partie de la compétition officielle de Cannes 2020 où il a remporté la Palme d’or du court-métrage lors de la dernière édition du festival. À l’occasion de cet entretien, il évoque entre autres sa formation à Prague et à Paris, son intérêt pour le partage d’émotions, son expérience de l’auto-production et l’encouragement offert par le prix cannois.

Pour information, Format Court organise jeudi 4 mars 2021 dès 19h sur Beem une rencontre en anglais entre Samah Alaa et Vasilis Kekatos, Palme d’or du court 2019 pour son film The Distance between us and the sky. À l’occasion de notre nouveau cycle intitulé « Dialogues », les deux films seront projetés en ligne (seulement en France pour une question de droits). Une rencontre sera également organisée entre les deux cinéastes, leur chef opérateur commun, Giorgos Valsamis, ainsi que Zoé Klein, membre du comité de sélection de Cannes. 

Format Court : Tu as étudié à la FAMU et à l’EICAR. On parle rarement du cinéma égyptien, pourtant il y a une école au Caire…

Sameh Alaa : Oui, nous avons une école de cinéma en Egypte. Ils prennent très peu d’étudiants, peut-être huit par an, et souvent, ce sont des étudiants qui ont de la famille dans le cinéma. C’est difficile de rentrer dans cette école et je n’ai même pas essayé. J’ai pris différents cours et j’ai travaillé comme assistant-réalisateur, mais je voulais continuer à étudier. La République tchèque était la solution idéale. C’est moins cher, ce sont de très bonnes études et le pays a développé une très forte histoire liée au cinéma. Ces trois choses m’ont plu. Des amis sont allés dans cette école et j’ai pu leur demander comme c’était. Je ne savais pas que j’allais continuer mes études mais à la fin de l’année, je me suis dit qu’il fallait que je travaille plus, que c’était juste le début. Paris était parfait comme second choix, comme ville de cinéma. J’étais très heureux d’aller étudier là-bas.

Qu’est-ce que tu as appris à la FAMU ?

S.A. : Ça dépend des professeurs. Les étudiants viennent de différents endroits. Tu discutes avec eux pendant dix minutes et ils te parlent d’un film dont tu n’entendras plus jamais parler ! Grâce à ça, tu gagnes en profondeur et tu comprends mieux ce que tu apprends. C’est très important de partager et d’apprécier le savoir.

Comment les jeunes cinéastes égyptiens font-ils pour montrer leurs films ? Y a-t-il beaucoup de festivals ? Est-ce difficile de faire des films sur place ?

S.A. : Je crois que c’est beaucoup plus simple de faire des films aujourd’hui, avec un téléphone ou avec différents logiciels de montage que n’importe qui peut utiliser. Tu peux tout faire par toi-même. Le seul problème pourrait venir de toi. Tu peux vouloir des choses trop spécifiques. Par exemple, tu veux faire un film de science-fiction mais il ne t’arrive que des complications ou alors, tu veux faire un film avec une esthétique particulière, comme moi. Tu as besoin d’argent. Il m’a fallu deux ou trois ans pour faire l’un de mes courts-métrages, pour rassembler l’argent et pour pouvoir le faire. Ce n’est pas si dur de faire des films, mais il faut prendre en compte les limites. Si tu aimes vraiment faire du cinéma, tu en feras parce que tu ne peux pas t’arrêter.

Parfois, surtout pour les jeunes, c’est difficile de s’accrocher. Il faut vraiment avoir confiance en soi pour pouvoir continuer.

S.A. : Oui, et c’est pourquoi je dis à tout le monde : « Ce n’est facile mais il faut oser ». Si tu échoues ou que personne ne voit ton film, ce n’est pas grave, fais-en un autre. Mais si tu fais juste un film pour être dans tel festival ou pour avoir du succès, tu n’y arriveras pas. Ça fonctionne dans l’autre sens. Il faut être passionné et continuer à faire des films.

Ton film, Le Steak de tante Margaux, réalisé à l’EICAR est très différent…

S.A. : J’avais trop de limites créatives à l’école et je ne pourrais pas dire qu’il me représente. D’abord, il est basé sur une histoire qui n’est pas la mienne. Deuxièmement, j’avais des règles de tournage, des indications spécifiques de temps. Je ne pouvais pas filmer un adolescent, et c’était mon obsession à ce moment-là. Je ne pouvais pas non plus filmer la nuit. Il y avait beaucoup de règles.

Tout de même, j’avais envie de faire ce que j’avais imaginé, alors je considérais ce film comme un exercice. Comment filmer, comment diriger les acteurs ? L’école nous répétait aussi tout le temps que c’était un exercice et qu’on apprenait quelque chose de nouveau. C’est ma réalisation et beaucoup de choix m’appartiennent mais le film ne me représente pas.

Pourquoi est-ce important de raconter de vraies histoires ? Le cinéma peut nous permettre d’inventer ce qu’on veut mais ton travail est direct, honnête, simple.

S.A. : Je me souviens que pour Fifteen, mon film précédent, il y avait beaucoup de choses qui m’affectaient et je voulais refléter ces émotions, les partager. J’aime beaucoup partager. Sans cette notion, le film serait ennuyant. Parfois, un cinéaste parle à tes émotions et tu te sens moins seul. Je trouve ça beau. C’est ce qu’apportent les grands films. Quand j’ai vu Bleu de Kieślowski, je me suis senti énormément concerné, même si le film se passe en France. J’aime cette impression. Fifteen se concentre beaucoup sur les émotions, les histoires des personnages. J’ai discuté avec de nombreuses personnes du sujet comme si nous nous connaissions. Les frontières étaient abolies…

Le cinéma a un pouvoir. On discute tout le temps mais on ne parle pas vraiment, on ne dit pas ce qu’on ressent à l’intérieur. La beauté du cinéma, c’est le fait de faire la lumière sur des coins sombres et d’exprimer ce qu’il y a l’intérieur. C’est comme un rêve : tu te réveilles et tu trouves quelque chose à l’intérieur de toi.

Comment écris-tu tes films ? À quoi ressemble cette étape ?

S.A. : C’est un procédé très long. Je ne suis pas ce genre d’auteur qui dit : « Je me lève à 8h du matin et j’écris jusqu’à 17 heures, et je le ferai jusqu’à mes 70 ans ». Je ne sais pas faire ça. Je crois que j’écris plus visuellement, comme on fait des bandes-dessinées. J’ai un fil conducteur dans la tête qui est souvent assez simple. Et puis, petit à petit, je commence à réunir des scènes. Des moments qui me viennent quand j’écris et plus souvent quand je n’écris pas (rires) ! La plupart du temps, c’est quand je fais quelque chose d’autre, comme cuisiner.

J’allais dire « cuisiner »… La nourriture, c’est important ?

S.A. : Oui, je peux plus parler de cuisine que de cinéma ! Je crois que le fait de cuisiner ressemble beaucoup à la façon de faire des films. Tu manges quelque chose qui est un mélange de beaucoup de choses, comme par magie. Tu ne peux pas connaître exactement le goût de ceci ou de cela mais tu peux connaitre le goût de l’ensemble.

La question de l’auto-production m’intéresse beaucoup. Tes films ont été faits sans beaucoup d’argent…

S.A. : Je crois sincèrement qu’il n’y a pas de recettes. Il faut utiliser sa propre recette. N’écoute jamais quelqu’un qui te dirait en tant que cinéaste : « Ca, c’est la façon de faire ». Il n’y a pas de façon de faire. Il faut choisir la sienne.

L’auto-production, ça veut dire, concrètement, que l’équipe ne sera pas vraiment payée le temps du tournage.  Les gens ont d’habitude de travailler puis d’être payés. Je le comprends, c’est important. Je dis à mon équipe : « Faire ce court-métrage, c’est comme partir en voyage. Quand il rapportera de l’argent, je le partagerai avec vous ». La personne qui te rejoint  travaille surtout parce qu’elle croit au projet. C’est important d’avoir avec soi ce genre de personnes. Les plus créatifs ont travaillé avec moi sur mes précédents films. Nous n’avions pas d’expériences incroyables mais nous avons appris ensemble. La seule chose qui compte, c’est d’y croire. Nous aimons tous le cinéma.

Tu as été admis à la Résidence de la Cinéfondation pour préparer ton premier long. Sur quoi travailles-tu ?

S.A. : Je travaille sur deux ou trois choses à la fois, des courts et des longs. J’aime bien essayer de nouveaux formats, trouver des nouveaux défis. Et j’aimerais commencer à travailler sur les histoires que j’écris depuis longtemps. J’ai beaucoup d’histoires à raconter qui sont sur mes étagères…

Vas-tu tourner encore là où tu as grandi, en Égypte ? Ou serais-tu intéressé à l’idée de tourner ici, à Bruxelles ou à Paris ?

S.A. : Oui, bien sûr mais une fois que j’aurai une vue complète sur ces villes. Je suis en Europe depuis huit ou neuf ans et je suis toujours en train de découvrir des choses. Peut-être, dans le futur, je ferai quelque chose en Belgique ou en France, ou sur un continent complètement différent ! J’aimerais beaucoup ça. J’ai l’impression que nous partageons tous le même langage d’une certaine façon. Les gens peuvent regarder ton film, ne pas comprendre les dialogues mais tout de même l’apprécier. Je veux vraiment faire des films de cette manière, avec des émotions visuelles.

Que penses-tu d’Internet ? Tu as décidé par exemple de mettre Fifteen en ligne il y a quelques temps et tu l’as retiré momentanément, le temps que le temps soit diffusé en salle en Egypte.

S.A. : Je dois beaucoup à Internet, parce que j’y ai vu beaucoup de films. La plupart des mes connaissances, je les dois au net. Il ouvre sur le monde. En Égypte, nous avions des cinémas, des festivals, mais tu peux imaginer qu’en 2005 ou 2006, il n’y en avait pas beaucoup. Alors tu cherches, tu lis et tu prends le temps pour cela. J’ai décidé de partager Fifteen pour que les jeunes puissent le voir. Je ne veux pas qu’ils soient comme moi, à regarder une bande-annonce pendant six ou sept ans et à rêver à ce qu’il y a dans le film.

Comment s’est passée cette année, après le prix à Cannes ? As-tu pu assister à d’autres festivals ?

S.A. : J’ai réussi à aller à San Sébastián, à Cannes et au Caire. J’étais très heureux de ces trois endroits, je n’y étais jamais allé. Je suis allé au Caire juste comme spectateur, sans le film. Ces trois ou quatre mois ont été importants pour moi.

Parlons de Giorgos Valsamis, le directeur de la photographie de I am afraid to forget your face mais aussi de The Distance between us and the sky de Vasilis Kekatos (Palme d’or du court 2019). Quelle est ta connexion avec Vasilis ? Comment vous êtes-vous retrouvés à travailler avec le même chef op ?

S.A. : Dans l’histoire du cinéma, on trouve beaucoup d’amitiés, comme Jarmush et Kaurismäki, des amitiés que j’adore observer. Il y a quatre ans, j’ai rencontré Vasilis à un atelier, à Malte je crois. Directement, nous avons accroché sur les projets de chacun. J’ai beaucoup entendu parler de Giorgos par Vasilis. J’étais impressionné : c’est un intellectuel très calme, qui connait très bien le cinéma. J’ai rencontré beaucoup de directeurs de la photographie mais je n’en ai jamais rencontré qui regardaient vraiment des films, qui étaient amoureux du cinéma. Giorgos, quand il finit un court-métrage, il est calme. Quand il finit un long-métrage, il est calme. C’est un homme passionné et j’adore les gens passionnés ! Quand nous sommes ensemble tous les trois avec Vasilis, je peux avoir envie de faire un film grâce à l’énergie que nous avons !

Et faire un film ensemble, Vasilis et toi ?

S.A. : Comment, en co-réalisant ? Je ne sais pas. Je crois que ce serait problématique. Il bouge beaucoup la caméra, je ne la bouge pas autant.

C’est difficile de travailler sur un projet après une exposition comme celle de Cannes. J’ai vu que tu étais le premier réalisateur égyptien à avoir remporté la Palme. Comment tu as vécu tout ça ?

S.A. : C’est un prix spécial. Etre à un festival c’est bien mais ce n’est pas comme la première fois. Le premier festival où je suis allé, je sautais dans tous les sens. J’étais très content à Cannes mais c’était une étape. J’ai encore beaucoup d’histoires à raconter. Avoir de la reconnaissance, c’est important. Ça peut m’aider à raconter une autre histoire.

Pour être honnête, même si je ne gagne pas de prix, je continuerai. Rien ne m’arrêtera. Le cinéma ne me fait pas gagner de l’argent, à l’inverse d’un autre boulot. Le cinéma est un loisir et il le restera. Je crois que si on veut être riche ou célèbre, le cinéma n’est pas le meilleur endroit. Il y a beaucoup d’autres endroits où on peut atteindre ces buts, et bien plus simplement. Mais le cinéma est un monde magnifique et je veux juste continuer à faire des films.

Propos recueillis par Katia Bayer

Traduction et retranscription : Agathe Arnaud

Article associé : la critique du film

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