Tous les articles par Katia Bayer

Festival BD6Né, le 1er palmarès

Organisée par Collectif Prod, la 1ère édition du Festival BD6Né s’est déroulée du 31 mai au 2 juin 2013 au Nouveau Latina à Paris et au Cinéma Les Lumières à Nanterre. À travers ses projections de courts métrages et documentaires, ses conférences, ses combats de dessinateurs et son exposition, le festival BD6Né a souhaité mettre en lumière les apports de la BD dans le Cinéma et toute la richesse des échanges entre ces deux Arts. Découvrez le palmarès de cette première édition établi par Florent Ruppert, Jérôme Mulot, Chloé Mazlo, Rurik Sallé et Katia Bayer.

Prix du meilleur court métrage « Le Python » de Julien David (France)

Mention spéciale à « Rêverie » de Valentin Gagarin, Shujun Wong et Robert Wincierz (Allemagne)

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Cliquer sur l'image pour visionner le trailer du film

Prix du meilleur scénario « Time Club » de Karine Huguenin et Léo Guillaume

Mention Spéciale à Jennifer Plouznikoff pour « Théti-Chéri n’existe pas »

Sarah Hirtt & Jean-Jacques Rausin, de la cinéphilie à la profession

Parmi les 18 films d’étudiants mis de côté cette année par Dimitra Karya, directrice de la sélection de la Cinéfondation, figurait un film belge de l’INSAS traitant avec humour de la fratrie et de ses (dés)illusions. « En attendant le dégel » (c’est son nom) a obtenu à Cannes le deuxième prix de la Cinéfondation des mains de Jane Campion et de son jury (Maji-da Abdi, Nicoletta Braschi, Nandita Das et Semih Kaplanoğlu). Au lendemain de la remise des prix, Sarah Hirtt, la réalisatrice et Jean-Jacques Rausin, l’un des trois comédiens du film, reviennent sur leurs parcours, leurs envies et leur lien au court.

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Jean-Jacques, qu’est-ce qui t’a donné envie d’étudier à l’IAD ? Et toi, Sarah, à l’INSAS ?

Jean-Jacques : On m’en a beaucoup parlé comme d’une école qui prépare des acteurs, où on peut travailler l’art dramatique, le théâtre mais également le cinéma, puis qu’elle est fréquentée aussi par des futurs techniciens et réalisateurs. On m’a dit également que c’était une école très polyvalente, où il y avait aussi bien des cours d’escrime que de danse. À ce niveau-là, ça m’a permis d’être un peu plus souple, de libérer mon corps, de me dépasser, de me détente. Ça m’a vraiment beaucoup servi par la suite. Je ne voulais pas faire une école sans cinéma. Étudier à l’IAD m’a permis de rencontrer le milieu cinématographique et d’avoir des expériences face caméra.

Sarah : Les conservatoires sont plus orientés vers le théâtre. Moi je voulais avant tout faire du cinéma, j’avais entendu des échos positifs comme négatifs sur l’INSAS et sur l’IAD, donc j’ai voulu passer les deux concours, j’ai été prise aux deux. Mais à l’IAD, j’ai eu un entretien avec une personne qui a été d’une méchanceté gratuite, ridicule et qui m’a mise dans une situation très désagréable, sans aucune raison, alors qu’à l’INSAS tout c’est très bien passé, à l’entretien on m’a posé des questions très intéressantes, qui m’ont fait réfléchir.

Quel type de questions ?

Sarah : D’où venait mon désir de faire du cinéma ? Pourquoi voulais-je en faire ? Quel regard j’avais envie de poser sur le monde ? Quand je suis arrivé à l’INSAS, j’avais une certaine vision du cinéma, qui a complètement changé en y sortant. Ça m’a vraiment plus ouvert l’esprit.

Jean-Jacques : Pour ma part, après mes études de communication à Liège, j’avais tenté le concours de réalisation de l’INSAS, mais je me suis fait refouler. A l’origine j’avais envie d’être réalisateur. Mais je pense qu’on peut y arriver par d’autres chemins que celui de l’école. J’ai découvert la direction d’acteurs avec mes études et maintenant, j’aimerais à mon tour diriger des acteurs avec ce que j’ai appris.

Alors, d’où te vient ton désir de réaliser et de raconter des histoires ?

Sarah : Ce qui me plait, c’est créer des personnages, leur donner vie, c’est ce qui me porte. A la base, j’avais une passion pour le cinéma comme spectatrice. Quand j’étais ado et qu’on a commencé à me demander ce que je voulais faire de ma vie, je me suis dit que ce qui me plaisait le plus au monde était de regarder des films et je me suis demandé ce que ça pouvait être de voir de l’autre coté de la caméra. J’ai commencé à faire des stages, en faisant le premier à l’Académie d’été de Neufchâteau (Belgique), je me suis dit que c’était vraiment là que je voulais être. Pendant quelques jours, on a reçu des bases pour l’écriture de scénario, on proposait chacun des idées, on co-écrivait des histoires en groupe, et on montait des, petits projets. C’était à petite échelle mais on a essayé de travailler de la manière la plus professionnelle possible.

Et pour toi, Jean-Jacques, comment parler de ton envie de jouer ?

Au début, j’étais très cinéphile, ma culture théâtrale était complètement nulle. Pendant mes études de communication, j’avais des cours de cinéma qui me donnaient envie de me tourner vers la réalisation. Parallèlement à cela, je faisais du théâtre amateur et je me suis rendu compte que j’étais plus à l’aise sur la scène, devant la caméra que derrière, parce que je m’éclatais bien plus.

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Sarah, qu’est-ce qui t’a incité à travailler avec Jean-Jacques ?

Sarah : Je l’ai rencontré sur le tournage d’un film La tête la première (réalisé par de Amélie van Elmbt) sur lequel j’étais directrice de production. Jean-Jacques y avait un petit rôle. Je suis allée plusieurs fois le chercher à Liège et on papotait pendant le voyage. Je lui ai parlé de mon film, il m’a dit de ne pas hésiter à l’appeler. J’étais certaine qu’il était parfait pour le rôle. Finalement, j’ai pu caster les trois acteurs ensemble et d’emblée, il y avait une très belle énergie entre eux. Ils fonctionnaient très bien. Même physiquement, c’était cohérent.

Jean-Jacques : On s’était vraiment éclaté, pendant le casting chez Sarah. On s’est même trop amusé, d’ailleurs, en sortant, on s’est dit qu’on n’aurait jamais les rôles ! Je suis pote avec les deux autres acteurs donc quand on s’est retrouvé, on a fait les cons ! Finalement, ça a été, on a été pris !

Jean-Jacques, tu as joué dans de nombreux courts belges (« La Version du loup » d’Ann Sirot et Raphaël Balboni, « La Balançoire » de Christophe Hermans, sans compter les films de Xavier Séron). J’ai l’impression que tu as un lien puissant au court métrage. Y a-t-il un intérêt pour toi à y jouer ?

Jean-Jacques : L’intérêt de travailler dans les courts métrages, avec plein de réalisateurs, c’est de pouvoir être en contact avec plusieurs univers et registres différents. C’est super ! J’ai un agent depuis peu de temps sur Paris qui me propose des castings de longs-métrages, des trucs plus importants. Moi, je suis en Belgique et via l’IAD, j’ai rencontré bon nombre de réalisateurs avec qui je suis devenu très proche. Il y a un coté très familial dans nos rapports. Certains d’entre eux qui travaillaient autour du court se tournent vers le long. En octobre prochain, par exemple avec Xavier Seron qui m’a dirigé sur son premier court « Je me tue à le dire » et après sur « Rien d’insoluble » et « Mauvaise lune » (co-écrit avec Méryl Fortunat-Rossi), on tourne son premier long métrage. On a eu une sorte de coup de foudre à l’époque. Là, il m’offre mon premier rôle dans un long. Je trouve ça encore plus beau quand on grandit ensemble.

« En attendant le dégel » est un road-movie. Qu’est-ce qui t’a intéressée, Sarah, dans l’idée de filmer le voyage ?

Sarah : Au départ, j’avais imaginé un trajet où les personnages arrivaient à destination. Mais je me suis rendu compte que c’était une idée de long-métrage, alors j’ai tourné l’essentiel du film autour de l’idée de l’attente.

Le film parle de désunion entre les personnages, d’une difficulté à communiquer…

Sarah : Je trouve intéressant de travailler autour de la fratrie, parce que lorsqu’on ne choisit pas ses frères et sœurs. On partage une intimité, des histoires familiales, un passé avec de bonnes comme de mauvaises choses. Quand l’enfance est terminée, on prend des chemins différents et là aussi, ça peut être délicat. J’ai essayé d’opposer les deux frères, dans leurs modes de vie, leurs valeurs, leurs caractères, mais aussi des moments de vie : Victor se fait quitter par sa femme tandis que Valéry va être papa.

Jean-Jacques : J’aime bien les rapports entre les trois personnages. On a l’impression que Victor avance plus dans la vie : il a sa société, sa maison, il a l’air plus embourgeoisé alors que son frère est plus cool, plus bordélique, alors, qu’en fait c’est l’inverse : Victor n’est nulle part, il doit tout recommencer à zéro. En terme de relations, Victor aussi est nulle part : il est en froid avec sa famille et il s’entend moins bien que son frère avec sa sœur.

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Sarah, les as-tu laissés improviser?

Sarah : On a essayé de trouver ensemble une justesse. J’ai réécrit certaines choses, parce qu’on s’est rendu compte que certaines choses ne passaient pas pendant les répétitions. On a fait un peu d’improvisation et la fin du film a été réécrite pendant le tournage. La scène de l’harmonica y a été rajoutée : il a vraiment gelé à cause du froid ! Le fou rire général, lui, est naturel. Je me suis dit qu’il fallait vraiment qu’on garde tout ça.

Vers quoi as-tu envie d’aller maintenant que le film est terminé ?

Sarah : Sur ce film, je me suis demandé ce que j’avais envie de réaliser et ce qui me plaisait en tant que spectatrice. Je suis partie sur le registre de la tragi-comédie. Même si ça fait assez présomptueux, je trouve qu’il manque des comédies vraiment intelligentes. Depuis le film, j’ai un long-métrage en développement chez Artémis Film, j’écris un autre court et je participe à un atelier d’écriture de série télévisée. Pour le moment, je suis vraiment dans un processus d’écriture.

Jean-Jacques, tu as des idées d’écriture, toi aussi ?

Jean-Jacques : Je ne sais pas vraiment, plein de choses me passent par la tête. En faisant quelques courts métrages, j’ai pu observer les réalisateurs qui montaient leurs projets et ça donne envie de s’y mettre aussi. Je craignais de ne pas être assez fort pour porter un projet tout seul, mais je me suis rendu compte que pour un court, tout le monde s’y mettait et prêtait main forte en cas de besoin. C’est un plus de pouvoir se faire aider par des gens vraiment compétents et chouettes.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Carine Lebrun

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Article associé : la critique du film

Pour information, « En attendant le dégel » sera projeté le jeudi 13 juin, à la Cinémathèque française, lors de la reprise du palmarès de la Cinéfondation 2013

En attendant le dégel de Sarah Hirtt

Deuxième prix de la 16ème édition de la Cinéfondation présidée par Jane Campion, « En attendant le dégel » est le film de fin d’études de la jeune cinéaste Sarah Hirtt, ancienne étudiante à l’INSAS, en Belgique.

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Son court métrage d’une vingtaine de minutes nous montre les retrouvailles tendues d’une fratrie au cours d’un déménagement. En effet Victor, qui vient de se séparer d’Odile, reçoit l’aide de sa sœur Vincianne et de son frère Valéry pour ranger ses affaires et ainsi fermer une page de vie. Un nouveau chapitre s’apprête à s’ouvrir lorsque les personnages prennent la route vers une direction inconnue des spectateurs, que même les trois héros doivent finalement ignorer. Car en fait, il n’y a pas de destination finale à ce road-movie à travers la forêt wallonne. Ou plutôt, il n’y a pas de destination finale physique, le GPS étant lui-même incapable d’indiquer une quelconque direction et leur véhicule se révélant très capricieux mécaniquement parlant. Le seul aboutissement de ce voyage se fera autour de l’attente et de l’évolution de la relation entre ces membres d’une même famille, plus au moins chaotique.

Tout les oppose. Victor, joué par Jean-Jacques Rausin, semble être le bourgeois ayant réussi dans la vie, bien sous tous rapports, mais qui finalement, le bras dans le plâtre, connaît l’échec d’une relation. Il entretient des rapports tendus avec son frère Valéry (François Neycken), qui s’apprête quant à lui à vivre un heureux évènement en devenant père. Claire Beugnies interprète leur sœur, Vincianne, qui fait tampon entre les deux hommes, semblant toutefois être plus proche du futur parent que du tout jeune célibataire.

La trame dramatique de « En attendant le dégel » repose entièrement sur ces trois personnages, que la réalisatrice sublime grâce à ses plans rapprochés, captant au plus près les émotions de chacun. Dispensé de toute superficialité, le scénario (qui lui, ne cale pas) emmène la fratrie sur la route semée d’obstacles des retrouvailles. Les silences et situations cocasses nous montrent, finalement bien davantage que des paroles maladroites, que les rapports fraternels, eux, ne meurent jamais.

Carine Lebrun

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Article associé : l’interview de Sarah Hirtt et Jean-Jacques Rausin

Pour information, « En attendant le dégel » sera projeté le jeudi 13 juin, à la Cinémathèque française, lors de la reprise du palmarès de la Cinéfondation 2013

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Fiche technique

Synopsis : Une fratrie désunie se retrouve lors d’un déménagement. Les jeunes gens prennent la route sans se douter que des embuches vont parsemer leur voyage…

Genre : Fiction

Durée : 19’50 »

Pays : Belgique

Année : 2013

Réalisation : Sarah Hirtt

Scénario : Sarah Hirtt

Images : Leonidas Arvanitis

Décors : Olivia Sprumont

Musique : Salsky Jr Le Skeleton Band

Montage : Anna Brunstein

Son : Paul Gautier, Frédéric Safin, Anton Vodenitcharov

Interprétation : Jean-Jacques Rausin, François Neycken, Claire Beugnies

Production : INSAS

Articles associés : la critique du film, l’interview de Sarah Hirtt et Jean-Jacques Rausin

Ophelia d’Annarita Zambrano

Deux garçons de 10 et 12 ans dévalent à toute allure à vélo la forêt des Landes. Il fait beau, chaud et malgré le comportement d’urgence de ces enfants, l’ambiance semble paisible, hors du temps. Voilà comment Annarita Zambrano décide d’ouvrir son film Ophelia, sélectionné en compétition officielle des courts métrages lors du 66e Festival de Cannes.

Beaucoup de suspense ou plus exactement d’attente, dans cette scène d’ouverture, où l’on avance au même rythme que les deux héros, dans ce décor à la fois céleste et angoissant. Annarita Zambrano aime nous surprendre tout au long de ses films  : être là où on ne l’attend pas, en traitant certes toujours des thèmes qui lui sont chers – l’adolescence, les relations humaines, l’identité, la sexualité – mais avec un ton résolument différent à chaque film, une proposition nouvelle et un sens très développé du détail.

On notera à cet égard que son tout dernier film, L’Heure bleue, se situe également dans les Landes et met en scène des comédiens avec qui elle a déjà travaillé. Sur le ton de la comédie, elle évoque les questions de relations amoureuses et d’infidélité et propose un film à la croisée de ses courts métrages précédents mais avec un regard nouveau et des résolutions différentes.

Dans Ophelia, lorsque les deux garçons arrivent à destination, autrement dit, sur une plage éloignée, tout aussi déserte que la forêt, on apprend enfin le motif de leur course : observer, tels deux voyeurs, une jeune femme nue qui a pour habitude de venir bronzer là. Un instant tout de même, ils retombent en enfance en jouant à se bousculer dans le sable, profitant de ce moment de liberté.

Néanmoins, le suspense reprend : où est la fille en question ? La réalisatrice réussit à nous tenir en haleine puisque ni les deux héros ni le spectateur ne connaissent la réponse. Jusqu’au moment où les garçons retrouvent le corps sans vie de la jeune femme dont la poitrine, à moitié dénudée, est caressée par les vagues qui vont et viennent. Elle est d’un blanc quasi transparent qui appelle à la peur et la fascination, de sorte que les enfants en perdent la parole. Et eux qui ont traversé la forêt pour la voir nue, se mettent à la rhabiller avec précaution comme si le jeu était fini. Le culte a finalement dépassé le voyeurisme.

Sans presque se concerter, ils vont prendre la décision d’amener la jeune femme dans un lieu où elle ne pourra pas se faire emporter par la mer. S’en suivent de longues scènes où ils traînent ce corps inerte à travers le sable et les branches. Le moment paraît même infini tant on a l’impression que les garçons ne lâcheront le corps qu’une fois arrivés à l’épuisement extrême. Une fois perdus dans la forêt, ils laissent enfin tomber la jeune fille et se mettent à lui construire avec soin, une cabane, sorte de sépulture. Un trouble entre les deux enfant vient interrompre leur tâche : le plus âgé, au blond électrique qui lui donne des allures d’ange moderne, effleure la jeune fille et tente de l’embrasser. Son geste provoque l’emportement de son camarade, comparable à de la jalousie, mais l’altération est brève. Puis, ils repartent une fois leur mission accomplie.

Annarita Zambrano dépeint ici un récit à la fois intemporel et universel. D’où viennent les héros de cette histoire ? Où vont-ils ensuite ? Qui sont-ils réellement ? Là n’est pas la question finalement. La réalisatrice préfère proposer une peinture impressionniste reprenant les codes propres à ce courant artistique, dont l’utilisation de la nature est un élément essentiel. L’intérêt porte donc plus volontiers sur le caractère emblématique de cette histoire. Et le cinéma a cela de plus que la peinture : il offre la possibilité d’intégrer du son et du mouvement, détails dont la réalisatrice ne se prive pas, exerçant un travail méticuleux sur les bruits et remous du cadre naturel (la mer, la forêt, etc).

Métaphoriquement, Annarita Zambrano nous donne sa version personnelle du mythe d’Ophélie, personnage de la tragédie d’Hamlet de Shakespeare qui appelle au symbole du souvenir, de la femme victime et de la mort. De la même manière, les deux enfants qui partent à la recherche d’Ophelia rappellent les personnages de Rosencratz et Guildenstern, des voyeurs qui espionnaient Hamlet. Ceci étant, la réalisatrice reprend plus volontiers le poème que Rimbaud avait créé autour du même mythe d’Ophélie plutôt que la vision de Shakespeare, même si sa proposition est moins lugubre que celle du poète. En effet, on retrouve dans ce court métrage les mêmes allégories liées à l’eau, la pâleur, de nudité, la liberté, etc.

Avec cette « œuvre d’art » cinématographique, Annarita Zambrano n’a pas remporté la Palme d’or du court métrage, mais son film devrait passer outre les frontières et les époques. Le parcours de la réalisatrice démontre qu’elle n’a finalement plus grand-chose à prouver si ce n’est de revenir prochainement au cinéma avec son premier longmétrage.

Camille Monin

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Article associé : l’interview d’Annarita Zambrano

O comme Ophelia

Fiche technique

Synopsis : La forêt, les dunes, l’océan. Thomas et Simon, douze et neuf ans, pédalent vite. Ils savent qu’elle vient bronzer ici tous les jours, nue, sur la plage. Loin de tout le monde.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : France

Année : 2013

Réalisation : Annarita Zambrano

Scénario : Annarita Zambrano

Image : Maura Morales Bergmann

Montage : Annalisa Schillaci

Son : Virgile Van Ginneken

Décors : Alexandre Quiroz-Martinet

Interprétation : Léo Castell, Django Desplain, Audrey Bastien

Production : Sensito Films

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Annarita Zambrano

«  L’Aurore boréale  » par Keren Ben Raphaël, Rémi Bertrand, Ana et Hippolyte Girardot, Delphine et Élise Benroubi

Au dernier Festival de Cannes, avant la présentation de la Collection Canal + à la Semaine de la Critique, Format Court a eu l’opportunité de rencontrer l’équipe au complet – ou presque – du film « L’Aurore boréale » de Keren Ben Raphaël écrit pour Ana et Hippolyte Girardot et produit par Palikao Films.

Le film raconte l’histoire d’un père sur-protecteur qui va réveiller sa fille en pleine nuit pour aller contempler une aurore boréale. Un peu plus tard, assis dans la voiture au milieu de la forêt, père et fille se retrouvent dans une position légèrement ambiguë en cherchant une paire de lunettes, malheureusement, juste au moment où débarquent deux agents de police. Même si le film porte en lui de nombreux clichés et d’éléments déjà vus, le propos et la mise en scène se révèlent efficaces, ainsi que les comédiens suffisamment bons (mention spéciale au duo comique de flics interprétés par Marc Citti et Jonathan Cohen) pour faire rire le spectateur aux éclats et le toucher ensuite par l’intimité qui transparaît entre père et fille.

Nous avons profité à Cannes de cette rencontre avec la famille Girardot, la réalisatrice Keren Ben Rafaël, la productrice Delphine Benroubi et les scénaristes Élise Benroubi et Rémi Bertrand pour les faire parler de cet exercice de style aux allures de réelle aventure familiale. Ambiance conviviale garantie.

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De gauche à droite : Rémi Bertrand, Hippolyte et Ana Girardot, Keren Ben Raphaël, Delphine et Élise Benroubi

Ana, Hippolyte, pourriez-vous nous raconter, cette aventure, depuis l’invitation à participer au Jeu des sept familles de la part de Canal + jusqu’au choix de collaborer avec Keren Ben Rafaël ?

Ana : On a reçu en même temps la proposition de Canal de participer à ce jeu des sept familles, puis on s’est appelé dans l’heure pour en parler. On a tout de suite été d’accord pour le faire. C’était une expérience qui nous plaisait beaucoup et qui était moins compliquée que si on avait accepté de faire un long-métrage ensemble  puisque avant ça, nous n’avions jamais travaillé tous les deux ensemble. (Se tournant vers son père) Non ?

Hippolyte : Objectivement, oui (rires) !

Vous avez reçu beaucoup de scénarios  ?

Ana : 40.

Hippolyte : Oui, 40. Qu’on a tous lu.

Et vous connaissiez déjà le travail de Keren auparavant  ?

Ana et Hippolyte : Non.

Hippolyte : Mais après, elle nous a montré son film précédent qui s’appelle « I’m Your Man » (ndlr : avec Vincent Macaigne, en compétition au Festival de Clermont-Ferrand en 2012) et qui est très bien. Très belle performance d’acteur.

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Comment avez-vous procédé au choix du scénario ? Le principe de la Collection Canal veut que chaque personnalité qui se prête au jeu, émette des envies, des attentes concernant ce que vont écrire les « candidats » pour eux. Avez-vous lu de nombreux projets correspondant à ce que vous attendiez ?

Ana : En réalité, ce qu’on a reçu ne correspondait pas vraiment à nos attentes, ou tout du moins, à ce qu’on avait réellement envie de faire. On a reçu beaucoup de scénarios où on était père et fille, alors que ce n’était pas ce qu’on voulait à la base. Celui de Keren, c’est le premier qui a fait tilt chez tous les deux, donc on s’est dit que c’était celui-là qu’il fallait choisir. Ensuite, on a rencontré toute la fine équipe et on a vraiment trouvé qu’elle comprenait notre humour. Inversement, on comprenait aussi leur humour et leur univers. Qui plus est, elles se sont présentées à trois filles (ndlr : Keren Ben Rafaël, la réalisatrice, Delphine Benroubi, la productrice et Élise Benroubi, une des deux scénaristes) et j’étais ravie de ne travailler qu’avec des filles  (rires) !

Hippolyte : Ce qui est intéressant en fait c’est que l’idée qu’on avait c’était de ne justement pas interpréter des rôles père-fille, et les scénarios qu’on a reçu dans ce sens, n’était en réalité pas très pertinent. Par conséquent, à un moment donné, on s’est dit qu’on allait être obligé de passer par cette case. On n’arrivait pas échapper à ce truc là. Après, on s’est dit qu’on allait se diriger vers des choses qui nous faisaient plutôt rire et vers des histoires éloignées de nous. En fait, dans le scénario écrit par Élise et Rémi, on ressent quelque chose de très personnel, c’est un peu autobiographique, avec quelque chose de très censé et de très juste pour moi. Donc, ça valait vraiment le coup de travailler là-dessus avec eux.

Ana : En effet, on l’a adoré et on l’a mis de côté très vite. Pourtant, on a réfléchi : c’était un tournage de nuit…

Hippolyte : … En hiver…

Ana : … En T-shirt alors qu’on était au mois de novembre. Du coup, il nous plaisait, mais pour ces raisons, on l’avait écarté. Puis on est revenu dessus parce qu’on l’appréciait finalement bien plus que les autres.

Hippolyte : Moi, ce qui m’intéressait, c’était d’interpréter le rôle d’une mère juive. Je n’avais jamais joué ce rôle et je trouvais que c’était un must dans les archétypes du cinéma. Dans la littérature aussi, la mère juive représente quelqu’un de très emblématique. Alors, je ne suis pas encore au point et je pense qu’il me manque encore des éléments, mais j’y travaille (rires) !

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Élise et Rémi, lorsque vous avez entamé l’écriture du scénario, vous connaissiez déjà Keren et vous aviez pensé à elle comme réalisatrice  ?

Rémi : On a commencé par l’écriture tous les deux. Ensuite, c’est notre « jolie production » qui a orienté le scénario vers Keren qui a lu le script déjà écrit.

Élise : En fait, j’étais à l’école avec Keren (ndlr : La Fémis). J’étais en scénario, elle en réalisation, par conséquent, on avait déjà écrit un court-métrage ensemble. Si bien qu’on peut dire que la rencontre n’était pas forcée ! (rires)

Vous aviez déjà écrit ensemble tous les deux ?

Rémi : Oui, on écrit beaucoup ensemble. Là, l’écriture s’est faite rapidement, mais c’était le jeu.

Delphine : Pour résumer toutes ces collaborations, Élise et moi, nous sommes sœurs et nous avons rencontré Keren à La Fémis. D’un autre côté, Élise et Rémi ont écrit plusieurs choses ensemble, dont leur long-métrage, actuellement en développement. Et depuis ce court, Élise et Keren travaillent ensemble sur un long-métrage également. On avait donc déjà tous travaillé ensemble, plus ou moins, et là, on a réuni la famille !

Keren : Oui, c’est comme une famille. D’ailleurs, c’était amusant de penser que pour participer à cette collection autour de la famille, on a réuni Élise et Delphine qui sont sœurs, Hippolyte et Ana, père et fille, et moi, je tourne avec mon mari qui est chef opérateur.

Élise : Et Rémi, c’est un peu « l’adopté » du groupe (rires) ! Plus sérieusement, il est vrai que dès l’annonce du sujet par Canal +, ça nous a interpellés. Ça faisait un bout de temps qu’on souhaitait participer à la Collection, mais sans jamais se lancer ou prendre le temps de le tenter. Puis, lorsque nous avons appris qu’il fallait travailler sur le thème de la famille, ça nous a tous intéressés et motivés.

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Combien de jours a duré le tournage ?

Delphine : Trois nuits, en Haute-Normandie puisqu’il s’agit du seul film à avoir été aidé par la région. Celle-ci s’engage à aider un des sept films de la Collection. Après, tout s’est fait très vite puisqu’on a tourné aux alentours du 10 décembre et qu’il fallait avoir livré le film pour janvier 2013. De toutes manières, Keren est une réalisatrice très efficace ; c’est une fonceuse qui sait ce qu’elle veut.

Keren : En même temps, ça a été le résultat de l’émulsion de toute l’équipe réunie sur ce projet. Tout le monde se connaissait déjà, puisqu’on sort presque tous de La Fémis. Par conséquent, ça a été vite, mais ça a d’autant plus enrichi nos relations de travail.

Et Canal + est intervenu dans le processus du film ?

Delphine : Non, pas du tout puisqu’en fait, ils aimaient le film, donc ils nous ont laissé le feu vert.

Cette année, il semble que pour la première fois, la chaîne ait fait un réel effort sur la musique en imposant la présence d’un compositeur sur ses projets.

Delphine : Oui, c’est exact. Pour notre film, c’est Thomas Krameyer qui a fait la musique et qui avait déjà travaillé avec Keren auparavant.

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Keren : Oui, comme avec les autres membres de l’équipe, tout a été assez évident au niveau de la collaboration professionnelle et de la recherche de mélodies. Ce qui était intéressant pour moi, ici, et que je n’avais jamais fait avant, c’est que Thomas avait écrit la musique en amont du tournage. En réalité, nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour répéter avec les comédiens avant le tournage, donc bénéficier de la musique en amont a permis de donner un certain ton, une ambiance au film avant qu’il n’existe. Évidemment, Thomas a changé certains détails après, au moment du montage, mais j’avais le principal avant le tournage.

Delphine : Au niveau du son, les ingénieurs du son avaient aussi travaillé en amont du tournage, sur le bruit de l’horloge qu’on voit et qu’on entend au début du film. D’ailleurs, on en avait beaucoup parlé avec Hippolyte avant de la manière dont le père rythmerait son comportement. C’est celui de l’horloge qui s’est imposé.

Keren : Ça a été une manière de gagner du temps puisqu’on n’en avait pas beaucoup au moment du tournage. Commencer à travailler sur certains détails en amont, sur des éléments qui se pensent généralement après, nous a permis de déterminer le caractère du film et de mieux prévoir les imprévus.

Propos recueillis par Camille Monin

Article associé : La Collection Canal 2013  : une histoire de famille  !

La Collection Canal 2013  : une histoire de famille  !

Pour ce cru 2012/ 2013, la Collection a réuni sept familles du cinéma, de la télévision et de la chanson pour se prêter au jeu du « court-métrage écrit pour… ». Le concept de la Collection Canal, rappelons-le, consiste à proposer un scénario de court-métrage n’excédant pas une douzaine de minutes, en binôme réalisateur/producteur (désormais, accompagné d’un compositeur), écrit à l’attention d’une des personnalités qui accepte de se plier à cet exercice. Chacune des personnalités choisit le scénario qui lui correspond parmi la cinquantaine qui lui est destinée. Puis, Canal + pré-achète et diffuse les sept films ainsi écrits, choisis et réalisés.

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Cette année, nous avons donc eu l’occasion de découvrir les films suivants : « L’Aurore boréale » de Keren Ben Raphaël avec Ana et Hippolyte Girardot produit par Palikao Films, « Zygomatiques » de Stephen Cafiero avec Simon et Alexandre Astier produit par Partizan Films, « L’homme à la tête de kraft » de Thierry Dupety et Sandra Joubeaud avec Emma et Antoine De Caunes produit par Tobago Films, « Welcome in China » d’Olivier Ayache Vidal avec Arié et Gad Elmaleh produit par Karé Productions, « Putain de lune » de Lou Bohringer avec Romane et Richard Bohringer produit par Bizibi Productions, « Tout doit disparaître » de Thibault Durand avec Alexandre et Joséphine De la Baume produit par Polaris Film et « Un chien de ma chienne » de Fabien Gorgeart avec Élodie, Clothilde et Annelise Hesme produit par Petit Film.

Dans chacun des sept films, l’humour est un ingrédient bien présent. De la même manière, les réalisateurs n’ont pas forcément pris en compte le lien de parenté des personnalités pour le respecter à l’écran, mais tous se sont amusés à mettre celles-ci dans des situations à la fois insolites et touchantes.

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Ainsi, on a pu voir Arié Elmaleh faire du karaoké en Chine, Emma et Antoine De Caunes échanger leurs voix, Romane Bohringer mettre le feu à la voiture de son fiancé, les chanteurs de Sing Tank retomber en enfance en « tirant » sur leurs peluches et autres souvenirs, les frères Astier se forcer à être maussades, les sœurs Hesme accoucher une chienne dans une sorte de western des temps modernes et Hippolyte Girardot se muer en mère juive/ père poule.

Après une première projection à Clermont-Ferrand et une diffusion sur Canal + le 21 février dernier, les sept films de cette collection ont été présentés lors du dernier Festival de Cannes, à la Semaine de la Critique, par Brigitte Pardo et Pascale Faure, les responsables des programmes courts sur Canal +. Format Court a eu l’opportunité d’y rencontrer l’équipe au complet – ou presque – du film « L’Aurore boréale ».

Camille Monin

Hu Wei. Rêve & réalité, désir & cinéma

En novembre dernier, nous avons découvert au Festival de Brest « Le Propriétaire », un film noir à l’esthétique très marquée. Son auteur, Hu Wei, actuellement étudiant au Fresnoy (comme Eduardo Williams, réalisateur de « Que je tombe tout le temps ? »), réapparaît dans nos fenêtres avec un nouveau film hybride dans lequel des familles tibétaines défilent devant l’objectif, sur fond d’arrières-plans diversifiés. « La Lampe au beurre de Yak » vient de commencer son parcours en festivals avec une sélection à la dernière Semaine de la Critique, à Cannes. Là où nous avons rencontré son auteur, Hu Wei et son producteur, Julien Féret (Ama Productions).

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Pourquoi avoir eu envie de travailler ensemble ?

Hu : Il y a cinq ans déjà, en 2008, j’ai fait une formation de documentaire pendant trois mois à l’université d’été de la Fémis. On s’est croisé à ce moment-là.

Julien : Un de mes amis, chef opérateur, intervenant là-bas, m’a proposé d’assister aux projections des travaux et m’a parlé d’un jeune réalisateur chinois qui avait fait un joli documentaire. Je suis allé à la projection, le film m’a plu et on s’est vu avec Hu quelques jours après. Il parlait moins bien le français que maintenant mais on a quand même passé une heure à parler de cinéma. Sa culture du cinéma en général, et du cinéma français en particulier, était très aiguisée. Il voyait tout, il m’a parlé de Bruno Dumont, de la « La Vie de Jésus ».

Hu repartait en Chine, son désir était de venir étudier le cinéma en France, ce qui m’a intéressé. Finalement, quelques temps plus tard, il m’a recontacté en me disant qu’il venait s’installer en France, parce qu’il rentrait aux Beaux-Arts à Paris. On a commencé à travailler tout de suite sur ce projet, ce court-métrage.

Hu, pourquoi t’es-tu dirigé vers les Beaux-Arts et non vers une école de cinéma « classique » ?

Hu : J’aime beaucoup étudier des choses différentes. Avant, à Pékin, j’ai fait des études cinématographiques pendant quatre ans, j’avais donc une base dans ce domaine. Là, je voulais découvrir une autre culture, une autre forme d’art. En allant aux Beaux-Arts, je voulais développer mon propre chemin entre cinéma et art plastique, comme le film « La Lampe au beurre de Yak », qui dialogue entre photo, image fixe et image en mouvement, ce qui est d’avantage un concept d’art plastique.

De quoi parlait le documentaire que tu as fait à la Fémis ?

Hu : « Sans toi » parle d’une femme chinoise sans-papiers vivant en France depuis sept ans avec son ami. Tous deux vendent des choses au marché pour vivre et pour nourrir le fils resté en Chine, étudiant à l’université.

Julien : Cette femme est au chômage en Chine et pour gagner de l’argent en France, elle fait tout de même les poubelles et elle vend des chaussures. C’est un joli film.

Dans « Le Propriétaire », ton film précédent, comme dans celui-ci, on peut se demander si les frontières entre réel et fiction ne sont pas poreuses et dans quel genre tu te situes exactement.

Hu : J’ai toujours trouvé très intéressant les films hybrides, entre deux genres.

Julien, qu’est-ce qui t’a intéressé dans le travail de Hu ?

Julien : J’avais vu ses films d’école dont un très joli court métrage évoquant poétiquement l’histoire d’un enfant et de son père. J’étais vraiment attiré parce qu’il faisait, son univers et en même temps, j’étais curieux devant son amour pour le cinéma et cette grosse envie de faire des films, notamment en France. De mon côté, cela me plaît de travailler avec des réalisateurs étrangers, parce que cela casse les barrières culturelles, les stéréotypes et les réflexes dans la façon de faire des films. J’aime l’idée d’une réunion de personnes venant d’horizons complètement différents. Avant de faire la connaissance de Hu, je ne connaissais rien de la Chine et il y a eu une vraie rencontre.

Depuis combien de temps portez-vous ce projet de court ?

Julien : Quand Hu est entré aux Beaux-Arts, en 2009, on avait le scénario. Fin 2010, on a eu l’aide du CNC puis Arte a pré-acheté le film, et nous sommes partis dans cette aventure qui nous amène ici aujourd’hui, à Cannes.

Qu’y avait-il dans votre note d’intention, que vouliez-vous raconter  ?

Hu : J’ai été très touché par deux séries de photos. Les premières, en noir et banc, datant des années 1960, ont été faites dans une petite ville en Chine. Elles représentent un vieux couple se prenant en photo tout en changeant le fond de l’image. Les deuxièmes montrent une femme photographiant des ruines en Pologne. Il y a des choses communes entre l’Orient et l’Occident.

À quoi est due, selon vous, cette pratique de changement de fond, d’arrière-plan ?

Hu : Pour moi, le fond de la photo, c’est le rêve. On ne peut pas se déplacer en France, avoir l’opportunité de voir la Tour Eiffel, mais ce n’est pas grave : on prend une fausse photo avec un faux fond, pour réaliser un rêve. Mon film dialogue entre la réalité et le rêve.

Julien : Quand j’ai lu le scénario au début, j’ai tout de suite été séduit par la simplicité de la chose, et c’est cela qui fonctionne, il y a un coté complètement universel qui marche pour tout le monde. On est tous dans la projection de quelque chose que l’on n’a pas, et souvent cela nous fait oublier les choses importantes que l’on a à coté de soi. Cela m’a séduit par ce coté très simple.

Mais pour que cela fonctionne, il fallait que les personnages soient authentiques. On a des arrières-plans, il y a du faux partout mais les personnages doivent être vrais. Il fallait donc vraiment trouver des vrais Tibétains. Nous avons tourné en Chine, dans une province limitrophe du Tibet, car tourner là-bas était impensable.

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Comment avez-vous expliqué le film aux figurants acceptant de se laisser prendre en photo ?

Julien : Les gens du film sont de vrais nomades. Ils n’ont pas conscience du tournage de film, de la caméra.

Hu : Néanmoins, à l’aide du scénario, le tournage était orienté. Pendant qu’on tournait, les gens étaient invités à se faire prendre en photo. Ils jouent ainsi le fait qu’on va les prendre en photo.

Qu’est-ce que le court métrage t’apporte, Hu, pour raconter tes histoires ?

Hu : Le changement. Ce que j’ai voulu exprimer, c’est le changement du monde. Quinze minutes pour un film, c’est suffisant. C’est direct, simple.

Julien : Ce qui est intéressant chez lui, c’est sa maitrise du timing.

Il n’y a pas de musique dans « Le Propriétaire » ni dans « La Lampe au beurre de Yak ». Tu te concentres juste sur l’image ?

Hu : Je n’aime pas trop la musique extra-diégétique. Par exemple, un portable qui sonne, je le filme, je peux l’accepter, mais je ne veux pas rajouter de musique. Je garde le réel.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Carine Lebrun

Consultez la fiche technique du film

Article associé : la critique du film

Pour information, « La Lampe au beurre de Yak »  sera projeté à la Soirée Format Court, le jeudi 10 octobre 2013, en présence de l’équipe

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Fiche technique

Synopsis : Un jeune photographe ambulant et son assistant proposent à des nomades tibétains de les prendre en photo devant différents fonds.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Chine, France

Année : 2013

Réalisation : Hu Wei

Scénario : Hu Wei

Image : Jean Legrand, Stéphane Degnieau

Montage : Hu Wei

Son : Liu Cheng – Hervé Guyader

Décors : Hu Wei

Interprètes : Genden Punstock

Production : Ama Productions

Articles associés : l’interview de Hu Wei et de  Julien Féret, la critique du film

Que je tombe tout le temps ? d’Eduardo Williams

Avec « Que je tombe tout le temps ? », sélectionné à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, Eduardo Williams signe un film dans la continuité de « Pude ver un puma », son précédent court métrage présenté l’an passé à la Cinéfondation. Sa touche très personnelle autant visuelle que narrative lui assure un bel avenir cinématographique.

« Que je tombe tout le temps ? » parle du quotidien d’un groupe de jeunes hommes qui vivent ensemble dans un monde aux contours réalistes mais constitué d’étrangetés qui le décale dans un ailleurs difficile à situer.

Ici, les garçons vivent dans une grotte, ils sont raisonnablement préoccupés par la nourriture, le travail et l’argent, mais ils ne se posent pas de questions concrètes quant à leur lieu d’habitation pour le moins incongru. Dans cet espace, les autres, ceux qui sont extérieurs au groupe, semblent également extérieurs aux préoccupations des garçons. Ensemble dans leur grotte-repère, ils discourent. Peut-être ont ils un but commun, ou est-ce seulement pour ne pas être seuls qu’ils partagent leurs vies ?

Si objectif commun il y a, il faut regarder du côté de la quête énoncée en ouverture par l’un des protagonistes. Il recherche activement une mystérieuse graine dans un marché. Celle-ci semble être le pivot de la narration. À plusieurs occurrences, on comprend que la graine détermine quelque chose d’important dans la vie des garçons, qui ne sera jamais clairement énoncé.

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« Que je tombe tout le temps ? » est un film d’école, Eduardo Williams a effet intégré en 2012 l’école du Fresnoy, et par la même occasion, découvert les paysages du Nord de la France, bien loin de son Argentine natale. Dans son film d’ailleurs, il joue avec brio avec des décors qui sont juxtaposés à l’image et pourtant forts éloignés dans la réalité (la France et l’Afrique).

Le spectateur n’a jamais la possibilité de s’accrocher à quelque référence connue, qu’elle soit visuelle ou sonore, sans que celle-ci soit balayée à la séquence suivante. Ici, on parle français, créole, anglais et espagnol, les personnages déambulent sans transition dans les rues d’une ville du Nord puis dans la jungle. Tous ces éléments nous sont présentés ex nihilo. Chacun y trouvera, ou pas, au détour d’une phrase prononcée ou d’un décor incroyablement cinématographique, une piste de compréhension, une ouverture sur une réflexion plus ou moins onirique ou métaphysique, au choix.

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Eduardo Williams semble ici exceller dans la manipulation du réel pour le transcender vers un univers singulier. Il brouille les pistes, s’affranchit des codes visuels et narratifs usuels pour proposer son propre discours. La brutalité du montage très cut et la froideur des images tournées caméra à l’épaule participent à une expérience de spectateur assez aride mais maîtrisée par un réalisateur inspiré.

Fanny Barrot

Consultez la fiche technique du film

Article associé : l’interview d’Eduardo Williams et d’Amaury Ovise, le co-producteur du film

Q comme Que je tombe tout le temps ?

Fiche technique

Synopsis : À la recherche d’une graine, un jeune homme sort du souterrain où il passe du temps avec ses amis. Il débute avec eux un long voyage digestif.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Année : 2013

Réalisation : Eduardo Williams

Pays : France

Scénario : Eduardo Williams

Image : Julien Guillery

Son : Gautier Lanedolis, Simon Apostolou

Montage : Eduardo Williams

Interprétation : Nahuel Perez Biscayart, Rachid Youcef, Nicole Payen, Omar Bensmail, Mohamed Lamine-Fofana

Production : Le Fresnoy, Kazak Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Festival international du court métrage de Louvain, appel à films

La 19ème édition du Festival international du court métrage de Louvain (Belgique) se tiendra du 30 novembre au 7 décembre 2013. Le festival lance un appel à candidatures pour ses compétitions européenne et flamande ainsi que pour ses programmes internationaux non compétitifs.

Concours européen : conditions d’entrée

– Durée : max. 40 min
– Terminés après le 1er janvier 2012
– Production majoritairement européenne
– Date limite d’inscription : 1 août 2013 (il est fortement conseillé de soumettre vos films avant la date limite officielle)

Concours flamand : conditions d’entrée

– Durée : max. 40 min
– Terminés après le 1er octobre 2012
– Production majoritaire flamande
– Date limite d’inscription : 27 Septembre 2013 (il est fortement conseillé de soumettre vos films avant la date limite officielle)

Compilations internationales non compétitives

– Le Labo (expérimental et/ou non-narratif et vidéo)
– Courts métrages pour les enfants et courts métrages d’animation
– Seule condition d’entrée : durée max. : 40 min
– Date limite d’inscription : 1 août 2013 (il est fortement conseillé de soumettre vos films avant la date limite officielle)

Application

Enregistrez de préférence vos films sur la plateforme Reelport.

1) Inscrivez votre film sur le site de Reelport.
2) Sélectionnez « Festival international du court métrage de Louvain » dans la liste « Submit your films »
3) Assurez-vous que votre film est enregistré dans les bonnes catégories
4) Envoyez votre film et vérifier votre boîte aux lettres. Votre enregistrement n’est complet qu’après avoir reçu un courriel de confirmation de Reelport.

Bien que le festival conseille vivement le recours à Reelport, l’envoi d’un DVD (uniquement avec sous-titres anglais !) directement au festival est également encore possible. Par conséquent, remplissez le formulaire en ligne d’accès au festival, et envoyer un DVD à : Fonk Vzw / International Film Festival du Court Leuven / Maarten Alexander / Zwartzustersstraat 14/3000 Leuven / Belgique.

Important : indiquez sur le paquet la mention : « Copie de prévisualisation Festival – aucune valeur commerciale ». La valeur du contenu du colis doit être déclarée inférieure à 20 Euros.

Infos supplémentaires : www.shortfilmfestival.org, info@shortfilmfestival.org

The Opportunist de David Lassiter

Le loup dans la bergerie

Court métrage américain sélectionné à la 52ème Semaine de la Critique, « The Opportunist » est une captivante virée nocturne orchestrée par un séduisant et dangereux sociopathe en mal de sensations fortes.

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Nick Clifford incarne ici un jeune homme charmeur, calculateur et menaçant qui réussit avec beaucoup d’habilité à se faufiler n’importe où, s’appropriant au passage un objet personnel ou un secret inavouable. À l’image des prédateurs du monde animal, il choisit avec beaucoup de minutie ses proies pour se jeter sur celles-ci lorsqu’elles sont les plus vulnérables. Mué par un instinct qui semble infaillible, il sait déceler immédiatement chez les personnes qui l’entourent les points faibles et les utiliser contre elles. Toujours sur la brèche, il se joue des conventions sociales, harcelant avec le sourire celles et ceux qu’il croise. Bon orateur, il a le bon mot au bon moment, notamment lorsqu’un petit groupe tente de se moquer de lui ; en guise de réponse, il s’approche doucement d’eux, détournant l’attention avec une anecdote à propos des loups en meute. Tout en jaugeant son auditoire, il s’abat sur sa victime avec une fureur à peine contenue, comme un rapace sur sa proie.

Costume impeccable, réparties cinglantes, regard d’acier : difficile de ne pas penser à Patrick Bateman – célèbre personnage du roman « American Psycho » créé par Brett Easton Ellis. Moins connu en Europe mais tout aussi reconnu outre-Atlantique, la subversive et éphémère série américaine « PROFIT » (1996 & 1997 – 8 épisodes) et son héros charismatique et machiavélique semblent aussi être une source d’inspiration non négligeable pour la création du personnage de « The Opportunist ». Ces trois manipulateurs partagent d’ailleurs le goût pour la transgression et l’impunité de leurs actes.

Naviguant en eaux troubles entre une totale maîtrise de soi et le frisson de se faire découvrir , la seule présence de Nick Clifford à l’écran permet d’insuffler une énergie sombre et pure qui contamine tout le film. Impassible, il utilise le moindre indice trouvé aux alentours pour fomenter ses stratagèmes, faisant du spectateur son témoin et le complice de ses intrusions dans l’intimité des personnes croisant son chemin.

Pour filmer les agissements de son personnage, David Lassiter choisit une lumière glacée, des cadres serrés et des décors fermés, soulignant ainsi à l’image la personnalité menaçante de l’opportuniste. Le réalisateur fait le choix d’une mise en scène sobre et sans fioritures, s’effaçant derrière son personnage pour mieux révéler son intensité. Film froid et efficace, « The Opportunist » doit beaucoup à l’interprétation remarquable de son acteur principal, Nick Clifford.

Julien Beaunay

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O comme The Opportunist

Fiche technique

Synopsis : Une nuit dans la vie d’un métamorphe social obsédé par l’invasion dans la vie des autres.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : États-Unis

Année : 2013

Réalisatation : David Lassiter

Scénario : David Lassiter

Image : Mike Fuchs

Montage : Chris Amos

Son : Ugo Degroguard

Décors : Galen Forrest

Interprètes : Nick Clifford, Riccardo LeBron, Devan Liljedahl, Ben Schreen, Charlie Smith

Production : Bureau of Ships

Article associé : la critique du film

5ème édition du Festival Millenium, à Bruxelles du 31 mai au 9 juin

Depuis sa création, le Festival Millenium poursuit sa vocation en proposant des documentaires qui interpellent et qui nous font découvrir l’autre et sa complexité ainsi que la beauté de la différence.

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Initié pour mettre à l’honneur des films dont les thèmes sont liés aux objectifs du Millénaire pour le développement, le festival est devenu un rendez-vous incontournable de la scène documentaire bruxelloise. La programmation de cette 5ème édition s’articulera autour du thème « Tout à vendre ».

Retrouvez le programme sur le site du Festival : FestivalMillenium.org

Ali Asgari : « Le cinéma iranien s’inspire de la vie »

Si cette année, à Cannes, Asghar Farhadi a défendu son « Passé » en compétition officielle, du côté des courts, trois auteurs iraniens se sont fait repérer, que ce soit du côté de la Cinéfondation ou de la compétition officielle des courts. Dans la section réservée aux films d’écoles, Anahita Ghazvinizadeh a remporté le Premier Prix pour son piquant « Needle » et Navid Danesh nous a intéressés pour ses plans d’amour mobile. À l’officielle, Ali Asgari, le réalisateur de « Bishtar Az Do Saat » (« Plus de deux heures ») a développé, pour sa part, une histoire de transgression vécue dans une société traversée par les tabous. Dans son film, tiré d’une histoire vraie, deux jeunes gens se heurtent aux difficultés et au manque d’empathie de la part des autres, suite à la perte de la virginité de la jeune femme. Rencontre.

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Comment as-tu commencé dans le milieu ?

Je suis assistant réalisateur sur des films indépendants depuis 2005. J’ai beaucoup observé, j’ai fait plus de pratique que de théorie. J’étudie actuellement le cinéma à Rome, mais les écoles n’apprennent pas à faire des films. Pour la direction d’acteurs, ce n’est pas suffisant.

En étudiant, j’apprends à savoir ce qui est important dans l’histoire du cinéma, à connaître les différents styles. Juste avant d’aller à Rome, j’étais dans une autre école de cinéma en Italie où j’avais la possibilité de faire un film, mais je n’étais pas préparé mentalement pour ça. Je fais un film quand je suis prêt à 100%. Pour « More than two Hours », c’était le cas.

Pourquoi as-tu choisi de raconter cette histoire ?

Un des co-scénaristes du film m’a raconté une histoire vraie, arrivée en Iran à une de ses amies. Dès le début, j’étais très touché par cette histoire. J’ai écrit le film en trois semaines.

Est-ce que le projet a été facile à concrétiser ?

Pour faire un film en Iran, il faut normalement avoir l’autorisation du gouvernement. Il faut leur envoyer le scénario et attendre la réponse. Je ne l’ai pas fait. Le gouvernement a des idées préconçues sur certains sujets, et si je dépassais la ligne, ce n’était pas bon. Je fais attention à ne pas la franchir et à raconter mon histoire. Tourner des films en Iran est plutôt économique. Tout le monde a la possibilité de faire des films. Le mien n’a pas coûté beaucoup d’argent. Je l’ai tourné en petite équipe, pendant trois nuits. Le plus difficile a été de trouver deux hôpitaux différents; on avait juste un permis de la police pour tourner de nuit. On s’est débrouillé en filmant dans un seul et même lieu.

Comment vois-tu le cinéma iranien ?

Il s’inspire de la vie. Les réalisateurs iraniens sont très influencés par la société dans laquelle ils vivent. Ils font beaucoup de films sociaux sur le lieu d’où ils viennent. Ils ressentent le fait qu’ils ont le devoir de parler de leurs problèmes, mais ils exagèrent parfois leurs propos car ils ne savent pas toujours comment raconter les choses.

Comment as-tu voulu travailler pour ce film ?

Certaines personnes pensant que ce film parle de virginité. C’est un symbole, le film parle de choses plus importantes. En fait, je voulais raconter une histoire d’une façon cinématographique, sans être dans l’exagération mais en étant bel et bien dans la simplicité. Les acteurs n’en font pas trop, ils ne pleurent pas, ils ne se battent pas. L’histoire comporte suffisamment de tension, si on en fait trop, si on en rajoute, les spectateurs auront peut-être l’impression d’être trompés. Je ne voulais pas non plus trop d’effets de caméra. J’ai travaillé avec des acteurs non professionnels. Le visage de la comédienne était très parlant, et elle avait l’air simple. Elle vient d’une famille traditionnelle. Ça tombe bien, le film parle du poids de la famille dans la société, de ce qu’elle peut faire pour ses enfants. Tout, de toute façon, part de la famille. Les jeunes se battent pour leurs droits, ils veulent être plus libres. Il y a 15 ans, quand une fille voulait vivre seule, ça posait problème. Maintenant, c’est différent.

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Pourquoi as-tu choisi d’étudier en Italie si finalement, tu es aussi libre dans ton pays d’origine ?

Je voulais expérimenter un autre pays, j’avais beaucoup d’expériences en Iran, mais je voulais connaître l’Europe. Pour être réalisateur, il faut voyager, connaître le monde. En étudiant, c’est une façon de le faire, d’être connecté à l’extérieur d’Iran. Mais à l’université, en Italie, je n’ai malheureusement rien appris sur le cinéma. J’ai vécu 28 ans en Iran, j’y ai fait tous mes films et je veux continuer à filmer là-bas.

Ta sélection à Cannes représente-t-elle un espoir pour les jeunes réalisateurs iraniens ?

Beaucoup d’entre eux veulent voir mon film. Je ne pense pas qu’il soit politique mais social. Ils ont le droit de le voir. Un film iranien sélectionné à Cannes, cela n’arrive pas tous les jours. Je pense l’envoyer au festival du court métrage de Téhéran. Mais comme l’histoire est un peu sensible, je ne pense pas qu’il sera accepté.

As-tu de nouveaux projets ?

J’ai une nouvelle histoire de court métrage en tête. Le court m’intéresse, il son propre monde et sa propre construction de scénario. On a 10 ou 15 minutes pour raconter une histoire, pour toucher les gens. Je pense que le court doit être expressif, innovant, dynamique. Je veux en faire d’autres car je m’amuse plus avec ce format. Matériellement, je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent pour tourner. Les restrictions en Iran ne représentent pas de vraies difficultés. Après toutes ces années, les gens ont réussi à raconter bon nombre d’histoires sans dépasser la fameuse ligne rouge.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consultez la fiche technique du film

Article associé : la critique du film

B comme Bishtar Az Do Saat (Plus de deux heures)

Fiche technique

Synopsis : 3 heures du matin. Un garçon et une fille errent dans la ville. Ils cherchent un hôpital pour soigner la jeune fille mais cela s’avère plus compliqué qu’ils ne pensent.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Iran

Année : 2013

Réalisation : Ali Asgari

Scénario : Ali Asgari, Farnoosh Samadi Frooshani

Images : Amir Aliweisi

Montage
 : Images

Son : Vahid Moghadasi

Acteurs : Shahrzad Ghasemi,
Roshanak Haghighatdoost, Safoora Kazempoor, Taha Mohammadi

Production
: Khaneye 8 Film Production

Articles associés : l’interview d’Ali Asgari, la critique du film

Omoi Sasaki : « Ce court métrage est complètement différent des autres films que j’ai pu réaliser. J’ai souhaité travailler dans un esprit de tradition visuelle du Japon »

Omoi Sasaki, réalisateur de « Inseki + Impotence », et Yuko Nobe, en charge de la promotion internationale des courts métrages japonais, nous ont parlé du film sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. Omoi Sasaki nous livre quelques clés, à saisir à la volée, sur son incroyable court métrage qui parle de la société japonaise actuelle et qui rend hommage au cinéma de science-fiction nippon.

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L'équipe du film

Pourquoi avez-vous décidé de traiter conjointement de météorite (Inseki) et d’impuissance (Impotence) ?

Comme vous le savez, il y a eu un grave accident dans une centrale nucléaire au Japon, à Fukushima il y a deux ans. Pourtant, on vit toujours dans le pays comme si rien de grave, de dangereux s’était produit et pourtant, les traces sont bien présentes. La météorite est en quelque sorte le symbole de cela, elle est au dessus de la tête des habitants et pourtant, elle ne les effraie pas plus que cela.

En ce qui concerne l’impuissance de l’homme, du personnage masculin principal, il s’agit également d’un symbole, plus individuel, qui se rapporte aux Japonais qui subissent aujourd’hui de nombreux problèmes politiques et sociaux. L’impuissance agit comme le symbole de ces frustrations. Dans la société japonaise, on pense communément que les hommes perdent leur confiance physique et mentale à cause de ces problèmes sociétaux.

L’histoire du film fonctionne autour de trois personnages principaux  : une femme, son compagnon et un pizzaiolo qui sera son amant pour un soir. Comment avez-vous travaillé les caractères de ces antihéros ?

Le couple représente les Japonais qui supportent mal la situation actuelle du pays. La femme est un personnage qui vit et qui aime l’idée de faire l’amour, elle souhaite avoir un enfant mais elle a aussi beaucoup de peine car son compagnon ne peut pas la satisfaire à cause de son impuissance. Au contraire, le jeune homme, le pizzaïolo, est sexuellement très vigoureux mais finalement il a aussi des problèmes car il ne vit pas l’amour autrement que par l’acte physique.

Comment avez-vous choisi le couple de comédiens ?

Je connais bien l’acteur principal du film car je suis également comédien et nous avions déjà travaillé ensemble. J’ai aussi choisi de travailler avec lui car je savais que dans la vie « réelle », il était très heureux avec sa femme ! C’est un vrai rôle de composition pour lui. Pour le rôle féminin, j’ai suivi les recommandations de mon conseiller artistique sur le film. Si dans le film, elle apparaît comme une femme disons très « normale », en fait au Japon, c’est une star de la chanson.

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Quelles sont vos références cinématographiques ?

Ce court métrage est complètement différent des autres films que j’ai pu réaliser. J’ai souhaité travailler dans un esprit de tradition. J’ai essayé de jouer avec des effets spéciaux «à la japonaise». C’est vraiment ce que j’ai cherché à retranscrire visuellement dans le film.

Pouvez-vous revenir sur votre démarche en termes de travail sonore ?

Pour ce film, j’ai choisi un groupe qui est connu pour sa recherche sur des sons nouveaux. On a essayé de composer un son un peu différent de celui qu’on peut entendre habituellement dans les films de science-fiction.

Yuko, comment sont produits les courts-métrages au Japon ?

Tous les courts métrages produits sont des films indépendants. Le format court n’est pas très connu au Japon. Les producteurs produisent plutôt des longs métrages mais les cinéastes indépendants n’ont pas beaucoup d’argent pour réaliser leurs films, ils font plus facilement des courts métrages.

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Omoi et Yuko, comment avez-vous vécu votre expérience au festival de Cannes ?

Omoi : Je suis très content que le film soit présenté ici en compétition officielle, qu’il ait pu être vu par de nombreux professionnels et je suis également content pour les comédiens.

Yuko : Pour moi c’est évidemment très fort. Le film est en partie produit par les pouvoirs publics. Le ministère de l’industrie a créé un fonds pour les cinéastes japonais, c’est une aide un peu différente de celle que peut apporter le ministère de la culture du pays car il promeut l’industrie du cinéma au Japon. Cette aide économique a débuté il y a trois ans, seize projets en ont bénéficié et deux sont allés à Cannes, donc c’est déjà une belle récompense.

Quels sont vos projets à tous les deux ?

Omoi : Je vais commencer à travailler avec de jeunes comédiens sur un prochain court métrage qui se déroulera dans la vie quotidienne mais je chercherai également à revenir sur les questions sociales dans mon travail.

Yuko : Et moi, je vais continuer à promouvoir le travail des cinéastes japonais !

Propos recueillis par Fanny Barrot

Consultez la fiche technique du film

Pour information, « Inseki + Impotence » sera projeté à Paris, ce soir à 20h30 au Cinéma du Panthéon lors de la reprise des courts métrages en compétition au Festival de Cannes 2013

Pátio d’Aly Muritiba

Entre les murs

Débutée avec le très remarqué « A Fábrica » (2011), la trilogie réalisée par le brésilien Aly Muritiba autour de l’univers carcéral se poursuit avec l’atypique « Pátio », sélectionné à la dernière Semaine de la Critique. Rares sont les cinéastes à porter un regard aussi radical et humain sur cet hors-espace, sur ce non-lieu en retrait de la société et pourtant au cœur de son ordre institutionnel. Ce regard si direct dévoile les comportements des détenus en en figurant les écarts, c’est-à-dire en portant un éclairage sur les micro-libertés développées par des êtres habituellement contraints à une surveillance stricte. Ces écarts peuvent être de plusieurs natures : physiques et verbales, séculaires et religieuses. Aly Muritiba a de quoi dépeindre les détails de ces existences dirigées : il fut surveillant de prison. Se détachant de la fiction qu’il avait choisi pour le premier opus de sa trilogie, « Pátio » ouvre la voie documentaire dans son plus simple élément; un cadre (presque) unique sur une cour de prison investie par des hommes en quête de souffles.

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La simplicité de la forme ne signifie pas une pauvreté de point de vue. Dans « Pátio », le spectateur est d’emblée jeté, même projeté, dans la cour de prison. Néanmoins, point d’identification possible; le spectateur se sait à l’extérieur. Le réalisateur assume cette distance à travers deux filtres. Premièrement, on voit la cour de prison par l’intermédiaire d’une grille imposante (créant une dislocation de l’image) et, deuxièmement, le montage rompt perpétuellement l’illusion d’une temporalité continue. On fait face à un monde qui ne nous appartient pas et qui, pourtant, existe et nous donne à penser autant sur la condition d’être détenu que celle d’être libre.

Ce que montre Aly Muritiba est un quotidien délocalisé. En effet, les actes habituellement banals sont réalisés dans un lieu où rien ne doit officiellement dépasser. Or, ça dépasse, ça transcende vers le ciel, ça évolue au rythme des sentiments, puisqu’on a affaire à des hommes. Par exemple, le film débute sur les détenus réunis en cercle qui proclament le “Notre Père”; par cet acte, il transforme la cour de prison en lieu de culte. Aussi les détenus jouent-ils les rituels sociaux en tant qu’ombres orangées de la société extérieure. Cette cour est aussi le lieu de performances sportives (football, arts martiaux), d’événements musicaux, de stationnements et de va-et-vient. Le cinéaste n’hésite pas à pointer avec ironie le comportement des prisonniers, comme dans le plan où tous les détenus sont acculés dans la seule et minuscule partie ensoleillée de la cour. Bref, la cour de prison est non seulement un lieu d’échanges individuels, de rituels collectifs et, malgré tout, de subtiles libertés.

« Pátio » ne se contente pas de montrer un lieu mais de laisser entendre les paroles des détenus, disjointes elles aussi. On a ainsi accès à des paroles déconcertantes liées aux causes de leur présence (raison de leur incarcération, circonstances de leur arrestation, période de détention), mais aussi les sentiments qui les animent (absence de leurs enfants, manque de nouvelles de leurs familles). Il s’agit de laisser poindre des paroles sans complaisance sur ce que signifie d’être enfermé et de rêver à un ailleurs. Cet ailleurs, il sera atteint par l’un d’eux, à la toute fin du film. En effet, Aly Muritiba établit un écart avec ce qu’on croyait le seu(i)l plan du film. Il montre un détenu, passant de porte en porte, de frontière en frontière, de solitude en solitude, pour atteindre hors du cadre la liberté désirée par tous ceux qui restent. Dehors, une nouvelle vie commence autant que son espace d’investissement. Cette fois, la zone de déplacement ne se limitera pas à quatre murs.

Mathieu Lericq

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