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Onder ons de Guido Hendrikx

« Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! » (« M, Le Maudit », Fritz Lang, 1931)

Présenté ces jours-ci à IndieLisboa en compétition internationale, lauréat du Prix Format Court et du Prix VEVAM (prix du Meilleur film néerlandais) au Festival Go Short qui s’est déroulé à Nijmigen du 8 au 12 avril dernier, « Onder ons » a séduit le jury de Format Court pour son sujet tabou traité avec autant de sobriété et de pudeur que de sensibilité. Le film sera projeté le jeudi 14 mai 2015, à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence du réalisateur dans le cadre de la séance spéciale Prix Format Court.

Également programmé en début d’année à Clermont-Ferrand dans la section Labo, le film de Guido Hendrikx, ancien étudiant de la Nederlandse Filmacademie, nous confronte à des témoignages de pédophiles qui dévoilent leurs désirs les plus intimes. En partant du conflit qui existe entre la morale et l’instinct naturel, le réalisateur s’est intéressé à ce sujet tabou en donnant la parole à trois personnes qui, dans l’anonymat le plus complet, expliquent leurs difficultés à gérer leur attirance sexuelle.

Le mérite du film d’Hendrikx est bien d’avoir tenté de faire comprendre le phénomène de la pédophilie en lui offrant une voix au travers de récits tantôt fragiles, tantôt choquants mais toujours criants de sincérité. Petit à petit, au fur et à mesure du film, le spectateur se glisse dans la peau des pédophiles pour être amené à ressentir leur souffrance et leur mal-être.

Le cinéaste opte pour une mise en scène métaphorique où l’image illustre les témoignages recueillis. La forme est dès lors au service du contenu et, plus qu’entendues, les paroles deviennent alors tangibles et permettent de donner naissance à une réelle empathie et à une meilleure compréhension du sujet. Le film tourné dans un noir et blanc significatif se compose de ralentis stylistiques et de nombreux travellings qui figent la réalité dans une horizontalité terrienne mettant en évidence la difficulté du pédophile de s’élever et de se libérer de ses pulsions sexuelles qui l’empêchent de vivre normalement.

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Dans ses choix de plans et de montage, le réalisateur utilise le motif de la frontière de façon récurrente ; souvent, le regard est gêné par une ligne (fenêtre, barrière) qui traverse le plan, coupant l’image en différentes parties, explorant habilement cette zone grise, cette sorte de no man’s land qui sépare la raison de l’instinct, la normalité de la déviance, le bien du mal…

Film d’école d’une grande maturité, « Onder ons » pose un regard intelligent et sans jugement sur l’une des déviances sexuelles les plus brûlantes de la société moderne.

Marie Bergeret

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Articles associés : le reportage sur les films précédents de Guido Hendrickx, l’interview du réalisateur

O comme Onder ons

Fiche technique

Synopsis : Trois pédophiles complexés et onsrtuits nous livrent un récit impitoyable de leurs expériences. Comment assumer une orientation sexuelle jugée morbide par toute la société y compris par soi-même?

Genre : Documentaire

Durée : 24’

Pays : Pays-Bas

Année : 2014

Réalisation : Guido Hendrikx

Scénario : Guido Hendrikx

Images : Emo Weemhoff

Son : Ella van der Woude

Production : Nederlandse Filmacademie

Article associé : la critique du film

Retour sur la 11ème Fête de l’anim’ de Lille

Pour la onzième fois, le cinéma d’animation était à la fête à Lille. La manifestation, qui se déroulait sur trois jours, du 27 au 29 mars, n’est pas un festival et c’est bien là son intérêt majeur. Nous n’y allons pas pour voir la production récente de courts ou longs-métrages, soigneusement sélectionnés par quelques programmateurs, pour les enchaîner sur plusieurs jours avant une remise de prix. La Fête de l’anim’ est placée sous le signe des rencontres, avec une programmation hétéroclite, pensée avant tout pour inciter les spectateurs à entrer dans les salles et découvrir des films qu’ils ne verront pas forcément ailleurs. En somme, une manière différente de découvrir les choses.

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Et quand on voit la foule envahir les salles lilloises (Le Majestic et l’Hybride), tourquennoises (Le Fresnoy, Les Ecrans et l’Imaginarium) et roubaisiennes (Le Duplexe), on constate que cela fonctionne. La technique : inviter des grands noms de l’animation présenter et parler de leur œuvre. Cette année, on a donc eu droit à l’incontournable Michel Ocelot venu dévoiler ses 6 longs, mais aussi à des masterclass d’auteurs peut-être moins connus mais tout aussi, voire encore plus intéressants. Et si le premier rencontrait le succès, les autres n’étaient pas à la traîne. Pour voir ainsi s’exprimer le Belge Raoul Servais, palmé en 1979 pour « Harpya » et qui vient de finir un film à plus de 87 ans, le Canado-hollandais Co Hoedeman, 74 ans, oscarisé pour « Le Château de sable » en 1977 ou la Tchèque Michaela Pavlátová, Ours d’or à Berlin pour « Repete », Grand Prix d’Annecy en 2012 pour « Tram » et nominée aux oscars pour « Řeči, řeči, řeči », les salles étaient toutes aussi combles.

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Les cinéastes viennent également montrer leurs œuvres et on apprécie la variété des publics qu’ils touchent. Autant Hoedeman avec son ourson « Ludovic  » parvient à faire des films pour les moins de 3 ans, autant les courts plus expérimentaux ou osés de Pavlatova s’adressaient clairement à une audience plus adulte et avec des envies cinématographiques plus pointues. Pendant ce temps, Servais, lui, parlait tant aux plus jeunes qu’aux plus âgés avec ses métaphores antimilitaristes et ses œuvres surréalistes inspirées par André Delvaux.

Parallèlement, la programmation entremêlait des longs-métrages variés comme « Shaun le mouton » présenté en avant-première ou « Dragon 2 » pour les films plus commerciaux mais aussi « L’Arte de la felicita  » ou « Le Garçon et le monde » pour les plus novateurs. Le court métrage était loin d’être en reste avec les nouveautés venues des Films du Nord. La société d’Arnaud Demuynck a offert une jolie sélection de 9 films en 55 minutes. Les histoires n’étaient pas toutes intéressantes avec une énième parodie de fable de La Fontaine ou la sempiternelle histoire de la petite fille qui veut jouer à des jeux de “garçon”. Des propositions jolies mais un peu ressassées. Cependant, les techniques graphiques étaient variées et avaient l’avantage de proposer un éventail de recherches plastiques que le grand public voit peu en salles habituellement. Idem pour le panorama Japanimation qui allait bien au-delà des sempiternelles animations pour montrer des films bien plus expérimentaux, issus de réalisateurs déjà professionnels ou sortant tout juste de l’université et qui ont pu en déconcerter quelques uns.

« The Mechanism of spring » d’Atsushi Wada ou « It’s time for supper » de Saki Muramoto par exemple ont pu faire preuve d’une épure tant dans leurs formes et leur mouvements que dans leur récit, basé sur l’absurde et la répétition. L’abstraction et l’expérimental étaient également de rigueur avec le psychédélique et virevoltant Poker de « Mirai Mizu » et les rêveries devant un miroir du « Crazy for it » de Yutaro Kubo.

Le reste de la Fête, outre les soirées musicales et animées, était tourné autour des étudiants et des plus jeunes. Des ateliers étaient offerts afin de découvrir le cinéma d’animation et ses multiples facettes d’une part. De l’autre, on proposait des challenges créatifs avec un marathon de l’anim’ et des graphiks battles. Et surtout, on avait droit à un tour d’Europe des courts métrages de fin d’études avec plusieurs regards sur la France, l’Allemagne et le Benelux, l’Europe de l’Est, la Scandinavie et le Royaume-Uni. Ne manquait que les pays du sud !

Nicolas Thys

P’tit rappel. Séance spéciale Prix Format Court, ce jeudi 14 mai aux Ursulines !

Notre avant-dernière séance de l’année organisée ce jeudi 14 mai dès 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) est consacrée à 4 Prix Format Court, attribués aux festivals d’Angers, de Brive, de Nijmegen (Go Short) et de Lisbonne (IndieLisboa), en présence de nos invités, les réalisateurs Héloïse Pelloquet (« Comme une grande ») et Guido Hendrikx (« Onder ons »). En prélude à la séance, nous vous invitons à venir découvrir une exposition de dessins et croquis préparatoires autour du film « Kijé » de Joanna Lorho, primé au dernier festival Premiers Plans.

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En pratique

– Programmation : ici !
– Jeudi 14 mai 2015, à 20h30.
– Accueil : 20h- Durée : 99′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas

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Kijé de Joanna Lorho

Pour réaliser son premier film professionnel, récompensé du Prix Format Court au dernier festival d’Angers, Joanna Lorho a pris son temps. Quasiment dix ans se sont écoulés depuis que l’idée de « Kijé » a germé dans l’esprit de sa créatrice. La première projection du film a eu lieu l’année de ses 30 ans. Une décennie pour accoucher d’un film d’animation poétique, quasi lunaire traversé par la maturité grandissante de son auteur, projeté ce jeudi soir au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) dans le cadre de notre séance Spéciale Prix Format Court.

Cette petite épopée est racontée par le menu sur le blog de la réalisatrice (http://joannalorho.com). Rares sont les réalisateurs à livrer ainsi leurs secrets de fabrication, leurs frustrations ou leur découragement. Joanna Lorho a tenu de 2006 à 2015 ce carnet de tournage et de croquis, témoin des avancées du projet et de ses difficultés à naître.

Le titre du film « Kijé » est emprunté au lieutenant du même nom mis en musique par Prokovief en 1933. Dans l’impossibilité d’obtenir les droits musicaux, Joanna Lorho décide alors de composer elle-même la musique de son film mais de garder la structure musicale et narrative de l’œuvre de Prokovief. L’essai est une vraie réussite pour celle qui a étudié la musique classique jusqu’à ses 18 ans.

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Dans l’œuvre de Prokovief, Kijé est un personnage fantôme, un lieutenant qui n’existe pas. Chez Joanna Lorho, son personnage erre lui aussi, perdu dans une ville déserte. « Kijé » ne se raconte pas vraiment, il se voit et s’entend. Le film est un voyage nocturne dans la grisaille urbaine qui laisse peu à peu place à la nature et à ses habitants magiques. On pourrait penser aux décors de « Metropolis » de Fritz Lang ou même aux paysages urbains de Hopper voire aux plans fantasmagoriques de HR Giger. La cinéaste brasse les influences conscientes ou non pour en faire sa propre matière filmique et dessinée. Son film avance ainsi de façon très libre où différentes techniques d’animation se frottent, s’entrechoquent et viennent former un objet hybride et artisanal.

Contrairement à son sujet, « Kijé » n’est pas un film fantôme, sa chair, son trait sont bien palpables. La force et la beauté du travail de fourmi de Joanna Lorho donnent à ce premier film l’allure d’un grand.

Amaury Augé

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Articles associés : « Kijé » de Joanna Lorho en DVD, l’interview de Joanna Lorho

La bonne info : « Kijé » est disponible à la vente. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.

K comme Kijé

Fiche technique

Synopsis : Au crépuscule, alors que la ville se fige et sombre dans le silence, un homme se retrouve malgré lui pris dans une célébration étrange. Il passe la nuit au cœur d’une foule faite de personnages aussi curieux qu’énigmatiques, qui disparaîtront avant l’aurore.

Genre : Animation

Durée : 10′

Pays : Belgique

Année : 2014

Réalisation : Joanna Lorho

Scénario : Joanna Lorho

Animation : Joanna Lorho

Montage : Joanna Lorho

Musique : Joanna Lorho

Son : Marc Le Flour

Production : Graphoui, Zorobabel

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Wouter Jansen : Go Short & Some Shorts, audace & enthousiasme, programmation & distribution

Wouter Jansen est programmateur au festival Go Short, à Nijmegen (Pays-Bas) où nous avons remis pour la première fois un Prix Format Court le mois passé à « Onder Ons » de Guido Hendrikx projeté ce jeudi soir aux Ursulines. Il y a 2 ans, il a monté une petite boîte de distribution, Some Shorts, et constitué un catalogue de films néerlandais. Lors de notre passage au festival, il nous a livrés sa perception du court-métrage, du rapport au public, du travail de programmateur mais aussi de distributeur.

wouter

Tu suis Go Short depuis sa première édition. As-tu senti une évolution dans le court-métrage ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans le court et quels films souhaites-tu programmer au festival ?

On voyage de plus en plus, on voit de plus en plus de courts. La première année, on a reçu 800 films. Cette année, on en a eu 3000. Avec le temps, on identifie davantage ce qu’est le court-métrage et on en a une vision de plus en plus globale. Parfois, tu as l’impression d’avoir déjà vu un film, parfois, tu te dis que tu as déjà programmé le même film il y a 3 ans.

Concernant les films qu’on désire programmer au festival, la priorité va toujours à ceux que le public devrait voir. Si le film a déjà tourné et qu’il est bon, on le prend quand même. On est plusieurs à faire partie du comité de sélection, on a des définitions très différentes de ce format, chacun a des opinions différentes et je pense que ça se reflète dans le programme et que cela crée un équilibre. Pour ma part, je m’intéresse aux films  audacieux, au style visuellement très marqué.

Comment vous positionnez-vous en termes d’identité ?

On n’est pas vraiment dans l’expérimental ou dans l’accessibilité comme Brest. Je pense qu’on est entre les deux, qu’on va vers des films pas forcément faciles qui n’offrent pas une narration classique, à l’image par exemple de « Onno the oblivious » de Viktor Van der Valk.

Parallèlement à ton activité de programmateur, tu distribues des films néerlandais en festival.  Pourquoi t’es-tu lancé dans cette activité et as-tu décidé de suivre certains réalisateurs ?

J’ai commencé cette activité car en me rendant dans certains festivals, je n’y voyais pas certains films néerlandais que j’aimais beaucoup. Ces films n’y étaient jamais sélectionnés et je constatais qu’ils pouvaient vraiment bien s’insérer dans certaines programmations. Je sentais que les auteurs ne les soumettaient pas aux programmateurs et que je pouvais les aider si j’aimais vraiment les films.

Tout le monde connaît Clermont-Ferrand et les festivals de type A, mais personne ne sait que Uppsala (Suède), Tampere (Finlande) ou Brest sont de bons festivals parce qu’ils n’en ont jamais entendu  parler. La plupart des producteurs qui produisent des courts-métrages ont en tête les longs-métrages. Ils laissent les courts prendre de la poussière sur une étagère ou pensent déjà aux prochains court mais ne se sentent pas forcément préoccupés par leur visibilité, quelque soit l’endroit. J’ai commence à discuter avec des réalisateurs de la Nederlandse Filmacademie (Amsterdam) qui souhaitaient que leurs films soient visibles, j’ai noué des relations avec certains d’entre eux comme avec Mees Peijnenburg (« Cowboys janken ook ») qui a commence à la Berlinale. Certains films ont remporté un grand succès comme « Reizigers in de Nacht » de Ena Sendijarevic que vous avez aussi diffusé. La grande différence entre ce travail et celui de programmateur, c’est que je fonctionne par goût, par enthousiasme, par égoïsme aussi. Je fais tout sur mon temps libre, j’ai donc vraiment besoin de me sentir connecté au film. Si le film est sélectionné, ça accroît mon enthousiasme ! Comme j’aime le style visuel, les projets audacieux, je vais vers ce type de films pour Some Shorts.

Y a-t-il d’autres initiatives que la tienne en Hollande ? À la Nederlandse Filmacademie, n’y a-t-il pas un service qui s’occupe de la diffusion et des festivals ?

Quelqu’un s’en occupe mais a d’autres tâches à gérer et le fait surtout dans les festivals d’écoles comme celui Tel Aviv et l’aspect « sélection » n’est pas toujours prioritaire. Les films sont envoyés mais pas forcément réservés pour certains festivals comme Berlin, par exemple. Je suis effectivement certains réalisateurs de cette école car certains d’entre eux ont parlé de moi à leurs amis mais je les suis aussi après l’école comme c’est le cas de Mees. J’espère que je pourrai continuer à aider les réalisateurs en dehors de l’école. Sinon, à l’extérieur, il y a une Agence qui s’occupe plutôt des films d’animation comme « A Single Life », liés au festival d’animation KLIK!

Quel est l’état de la production des courts néerlandais ? À l’école, les réalisateurs ont la liberté et les moyens. Que leur arrive-t-il après ?

Ils n’ont pas beaucoup de possibilités à part en passant par des fonds d’aide spéciaux. Ceux qui font des courts sont jeunes car ils ont très peu de guichets vers lesquels se tourner. Par la suite, ils essayent de faire des longs ou de se tourner vers la télévision car le financement est très difficile en Hollande. Je ne sais pas si c’est parce que les jeunes réalisateurs expérimentent plus que je travaille avec eux, mais j’ai l’impression que la jeune génération se tourne plus vers le radicalisme.

En sept ans , as-tu l’impression que le public s’est sensibilisé au court ?

Oui, avant, il y avait un super cinéma mais pas de festival à Nijmegen. C’est un avantage de ne pas être à Amsterdam ou Rotterdam car il y a trop de festivals là-bas. Ici,le public n’était pas en contact avec un festival et des courts, on leur a proposé les deux pour la première fois. Au début, les gens venaient plutôt à une seule séance comme si ils allaient au cinéma. Maintenant, ça a un peu changé. C’est quelque chose sur lequel on travaille dans l’année en programmant d’autres séances.

Quels types de films montres-tu ?

On essaye de distribuer des programmes de courts dans les cinémas du pays, parmi ceux qu’on sélectionne et qu’on aime vraiment. Les salles sont intéressées mais le problème, c’est que le public ne suit pas toujours. On essaye aussi pendant l’année de programmer des films inférieurs à 5 minutes devant des longs-métrages, dans 15 cinémas hollandais. Chaque mois, un film est précédé d’un court, ce qui est aussi une bonne manière de confronter les gens à ce qu’est un court et à des films difficiles d’accès. On ne se focalise pas que sur Nijmegen, mais sur les Pays-Bas en entier.

Qu’est-ce qui, selon toi, pourrait caractériser le court néerlandais  ?

Ce n’est pas évident de te dire ce qui est typiquement néerlandais. Les Hollandais sont très connus pour leurs documentaires pour enfants comme « Nieuw ». À côté de ça, c’est très divers. On a des comédies qui voyagent beaucoup comme « Suiker » et la Nederlandse Akademie propose chaque année des films très différents. Comme je le disais, les jeunes auteurs expérimentent beaucoup.

Suis-tu d’autres écoles que celle d’Amsterdam ?

Oui, ça arrive qu’on prenne d’autres films comme à l’école d’Utrecht, mais la Nederlandse Akademie  a vraiment beaucoup de budget. Les films qui y sont produits reçoivent au moins 20.000 euros et beaucoup d’autres écoles n’ont pas ce budget pour leurs films et ça se ressent dans la qualité. C’est une grande différence et les films bien produits peuvent concourir en festival dans des compétitions internationales.

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Cette année, à Go Short, vous avez consacré un focus à Yann Gonzalez et à Gunhild Enger (Prix Format Court à Brest 2012 pour « Prematur ») ayant tous deux des univers très différents. Qu’est-ce qui t’intéresse chez eux ?

Je pense que Gunhild est une réalisatrice de courts très intéressante et son style est très distinct. Yann a fait aussi beaucoup de courts et tous ses films me restent en mémoire. Ils ont tous les deux des styles visuels et personnels et on reconnait leur patte du premier coup d’œil. Ils travaillent sur des projets de longs; c’est le bon moment de leur consacrer un focus pour que les gens se rappellent par la suite les avoir vus chez nous.

Qu’est-ce qui te plait finalement dans le format du court-métrage ?

Quand j’ai commencé, je n’y connaissais rien en court-métrage. Je cherchais un stage, le festival commençait à peine. J’ai commencé à regarder des films, ça m’a de plus en plus intéressé. Même si tu vois beaucoup de films dont certains que tu n’aimes pas trop, à chaque fois que tu en revois un qui te plait, cela continue à te faire aimer le court. Ce qui est bien aussi avec le court, c’est que tu peux faire découvrir des films à un public qui ne s’y connait pas et transmettre ton enthousiasme.

Le court reste, c’est vrai, exclusif. Les films demeurent visibles dans les festivals. Cela participe à un événement, j’aime cette idée que le public soit enfermé pendant 90 minutes en ne sachant pas ce qu’il va voir. Ces films ne sont pas téléchargeables. Voir un court ou un programme de courts participe à cette idée de radicalité car les gens sont confrontés à des films et des auteurs qu’ils ne connaissent pas, à des films invisibles sur la Toile, mais ils font confiance aux programmateurs.

Est-ce qu’il n’y a pas quand même une contradiction propre au format ? Son manque de visibilité, de couverture presse ne l’empêche-t-il pas de toucher un plus large public ?

On a envie de transmettre à la presse locale comme nationale notre enthousiasme mais elle ne connait pas les réalisateurs que nous sélectionnons. On a surtout une couverture locale, il faut chaque fois chercher un angle susceptible d’intéresser les journalistes mais oui, c’est évidemment frustrant que les films n’arrivent pas à se vendre tous seuls. Cette année, la presse a surtout mis en lumière le programme consacré aux chats proposé par le festival du courts-métrages de Vienne ! C’est déjà ça, même si il y a vraiment un travail plus approfondi à mener pour que la presse s’intéresse davantage au court.

Propos recueillis par Katia Bayer

Le site de Go Short : www.goshort.nl

Le site de Some Shorts : http://someshorts.com/

Motu Maeva de Maureen Fazendeiro

Loin de se cantonner aux effets habituels du Super 8, « Motu Maeva », premier film de la réalisatrice Maureen Fazendeiro est un parcours à la fois libre et précis, entre passé et présent, dans la vie de son seul et unique personnage, Sonja André, une étonnante passagère du siècle. Conçu comme une « machine à voyager dans le temps sensible », avec ses allers-retours, ses passages thématiques et ses moments suspendus, ce moyen-métrage a été récompensé du Grand Prix Europe du Festival de Brive et a reçu le soutien du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques).

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« Motu Maeva » commence comme un film expérimental en Super 8 avec un lent travelling sur une nature sauvage : une rivière et une foret. L’image est en couleurs, les bordures sont floues, une énorme perforation l’accompagne tout du long, le son est inexistant.

Le temps et les lieux sont inconnus et semblent abolis. Un bruit survient, il est plus net que l’aspect « granuleux » caractéristique de l’image. Puis, le récit commence avec la voix de femme âgée. Sonja André explique comment « elle s’évadait par son esprit » alors que des massacres se déroulaient autour d’elle pendant la guerre. Puis enfin, on la voit à l’image au bout de ces 5 premières minutes où le film déploie son dispositif.

Le Super 8 est en ce moment au cinéma ce que le disque vinyle est à la musique : un retour un brin nostalgique à la matérialité analogique des contenus créatifs s’opposant à la virtualité du numérique. Souvent, le Super 8 se retrouve cantonné à l’évocation de souvenirs de famille, un peu fanés, un peu miraculeusement sauvés du dernier tri du grenier. Et des images de ce type, il y en a dans « Motu Maeva », mais leur usage est bien plus intéressant.

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La première force du film est de mêler ces images du passé avec celles du présent. Puisque le Super 8 est là en 2015 comme il l’était dans les années 1960, pourquoi ne pas lier les deux ? Voyager dans le temps et l’espace à la faveur d’une simple coupe de montage ? C’est cette proposition toute cinématographique que « Motu Maeva » nous offre.

Le récit en voix-off est la seconde force du film. Il oriente la reconstitution de ces souvenirs dont l’image vient entériner l’existence. Son inscription dans la structure du film, ni vraiment thématique ni vraiment chronologique, peut dérouter. Aussi, les enjeux de chaque souvenir, souvent liés aux valeurs plus larges de Sonja, forgées au fil de l’expérience d’une vie, forment la seule toile de fond cohérente au propos du film.

Cette structure libre permet au film d’aborder sans lourdeur et de manière subjective des sujets aussi denses que la spiritualité, l’éthique du mariage, le rapport à l’autre, à l’ailleurs et à la mère.

Il y a d’ailleurs une très belle scène dans le film, la seule où Sonja ne parle pas et où sa mère lui laisse une carte postale sonore. L’émotion est palpable derrière la voix émue de cette mère venant aux nouvelles d’une fille lointaine qui la décrit comme autoritaire. Le film est donc un subtil aller-retour entre paroles et images, formant un lien sensible entre souvenirs et sentiments.

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L’écriture est véritablement cinématographique car ces paroles et ces images ont toutes été capturées sur le vif, aujourd’hui comme dans le passé. Mais leur disposition méticuleuse leur permet d’entrer en résonance pour faire exister à nouveau ces souvenirs le temps du film.

Libre de la contrainte de lieu, de temps et même de structure narrative, « Motu Maeva » choisit malgré cela de reconstituer une journée, avec un début à l’aube et une fin la nuit. Une journée réduite à 40 minutes de film pour résumer toute une vie, voilà bien le véritable tour de force de ce beau premier film.

Georges Coste

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Article associé : l’interview de Maureen Fazendeiro

M comme Motu Maeva

Fiche technique

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Synopsis : Un portrait de Sonja, aventurière du XXème siècle, habitante d’une île qu’elle a elle-même façonnée : Motu Maeva.

Genre : Documentaire expérimental

Durée : 42’10

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Maureen Fazendeiro

Avec : Sonja André, Michel André

Son : Jules Valeur, Miguel Martins

Image : Maureen Fazendeiro, Isabel Paglai

Montage : Catherine Libert

Production: Le G.R.E.C

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Carte blanche Format Court à Lille !

Vendredi 15 mai 2015, dès 20h30, Format Court s’exportera à Lille pour une carte blanche offerte par L’hybride, un super lieu alternatif fan de courts. Conçue par Katia Bayer et Nadia Le Bihen-Demmou, cette séance spéciale réunit des films singuliers, français et étrangers, animés et fictionnels, chroniqués sur le site, découverts et primés en festivals, issus de l’imaginaire des jeunes cinéastes de demain. En présence de Katia Bayer, Rédactrice en chef Format Court et de Martin Razy, réalisateur de « Sans les gants ».

Programmation

Quelqu’un d’extraordinaire de Monia Chokri / Canada / 2013 / Fiction / 29 min / Metafilms

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Sarah, 30 ans, belle et intelligente, a tout pour réussir. Mais son anxiété et sa peur de ne pas être exceptionnelle la poussent à l’inertie. Un matin de janvier, après un énorme blackout, elle se réveille dans une maison de banlieue inconnue. De cet incident naîtra l’envie de se reconstruire. Pour y arriver, elle devra détruire tout ce qui l’entoure, en commençant par ses copines.

Fuga de Juan Antonio Espigares / Espagne / 2012 / Animation / 15 min / Kike Mesa / Ándale Films / Prix Format Court au Festival Court Métrange 2013

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Sara vient d’arriver au conservatoire de Sainte-Cécile et découvre qu’il y a plusieurs façons d’interpréter le prisme à travers lequel elle perçoit sa réalité et son talent.

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Sans les gants de Martin Razy / France / 2014 / Fiction / 18 min 32 / Pharos Productions

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Dylan est un jeune boxeur prometteur. Il apprend coup sur coup que Samia, la fille dont il est amoureux, trouve qu’il « fait gamin », et qu’il ne peut pas participer au championnat dont il rêve car trop jeune… Dylan décide de grandir.

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A Living Soul de Henry Moore Selder / Suède / 2014 / Fiction / 30 min / B-Reel Feature Film / Prix Format Court au Festival Court Métrange 2014

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Un cerveau humain maintenu en vie artificiellement se réveille dans un laboratoire. Après un simple retour à la conscience, Ypsilon se met à forger une personnalité…

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En pratique

Projection vendredi 15 mai, 20h30

L’hybride, 18 rue Gosselet, Lille

Durée du programme : 1h33

Info en ligne : http://www.lhybride.org/programme/item/856-format-court-regards-pluriels-sur-un-format-singulier.html

Take what you can carry de Matt Porterfield

Les espaces, ceux que nous habitions, ceux que nous pensons habiter, comme les villes, les campagnes, les couloirs, les jardins, ces espaces multipliés ou morcelés, quotidiens ou exceptionnels, sont le centre et les fondations de « Take what you can carry », nouveau film de Matt Porterfield, qui vient d’être sélectionné dans cette nouvelle édition du festival international IndieLisboa. Avec déjà une belle carrière derrière lui, reconnu comme l’une des nouvelles têtes du cinéma indépendant américain, Porterfield fait un retour au court après trois longs-métrages applaudis par la critique : « Hamilton » (2006), « Putty Hill » (2008) et le plus récent « I used to be darker » (Sundance – Berlinale 2013).

« Take what you can carry », premier film du cinéaste à être tourné en dehors de Baltimore, sa ville natale, nous installe cette fois à Berlin pour suivre Lilly, jeune américaine qui parcourt des différents endroits d’une ville qui ne sera guère montrée, mais dont l’esprit restera toujours latent. Le film est principalement une composition de trois grandes parties : l’arrivée de Lilly chez son petit ami où elle va et vient à sa guise ; une performance de danse avec la troupe Gob Squad où les participants expriment différents et d’intimes états de leurs esprits à travers la danse et le mouvement de leurs corps, et son arrivée à un nouvel appartement qu’elle gardera pendant quelques jours. Dans chacun de ces lieux, des divers traits de sa personnalité vont apparaître et permettre de voir la complexité d’un personnage construit avec très peu de dialogues, mais qui pourtant parle énormément avec son corps.

Take what you can carry Matt Porterfield

Inspiré des magnifiques réflexions de Georges Perec dans Espèces d’espaces, Porterfield s’intéresse à certaines questions posées : « L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête ». Ces problèmes sont mis en scène à travers un binôme établi entre le jeu de Hannah Gross qui interprète Lilly et les longs plans fixes qui imposent un beau ton de lassitude au film. La comédienne aura donc la tâche, assez bien réussie d’ailleurs, de transmettre un état d’anesthésie constant, comme si elle vivait un dimanche éternel, toujours à l’extérieur d’elle-même, mais dans l’idée de démarquer son propre espace, de conquérir son territoire pour en trouver sa demeure. Comme contrepoint, le travail de Jenny-Lou Ziegel, chef-opératrice, nous enferme dans chaque séquence avec un plan fixe sans échappatoire qui permet de voir attentivement où se trouve le personnage, ce qu’il y a autour de lui, les couleurs des objets, la lumière qui rentre dans le cadre, et d’entendre la respiration, la musique, le bruit extérieur, la ville en permanence cachée. Le spectateur est obligé d’habiter le même espace que Lilly en tout moment, même s’il lui arrive de sortir du cadre et que l’on reste dans une pièce qui semble vide, inhabitable, qui n’appartient à personne. C’est uniquement durant la scène de danse avec le Gob Squad, filmée toujours dans un long et unique plan d’une énorme salle blanche que le personnage arrive à s’approprier l’espace, qu’il est capable de traduire ses émotions en mouvement pur quand ses mots deviennent actions. Quand Lilly bouge, elle se retrouve finalement à l’aise dans cette ville, libre de réagir ou non, et pour une seule fois, elle laisse tomber son regard paresseux et d’abandon qui nous accompagnera jusqu’à la fin. C’est là, dans cette seule pièce vide qu’elle parvient à conquérir un espace où elle n’est pas étrangère, qu’elle se retrouve uniquement là où il n’y a rien.

TakeWhatYouCanCarry

Lilly ne parle presque pas. Ce qu’elle dit, et ce que les autres lui disent ne sont que des répliques banales, une simple ébauche de la fonction phatique du langage. L’intérêt du film va donc au-delà de tout aspect scénaristique, il est un essai muet sur la conquête de soi, d’un territoire, d’un milieu. Les relations interpersonnelles de la première et dernière partie sont uniquement accessoires, outils pour montrer un parcours qui reste inachevé, une envie qui ne se matérialise pas, que même Lilly n’arrive pas à saisir. Il faut donc de la patience, de la bonne patience qui implique de regarder un plan fixe de dix minutes et de rendre compte du parti pris du réalisateur. Il faut attendre, mais cette attente ne débouchera pas forcement sur la satisfaction d’un récit bien clos et formulé.

Cela peut s’entrevoir d’une certaine façon dès le début avec le titre. « Take what you can carry », que l’on peut traduire grossièrement par « Prends ce que tu peux prendre », implique un petit paradoxe. Pour prendre ce que l’on peut prendre, il faut nécessairement connaître ses limites, c’est-à-dire qu’il faut dans un premier temps prendre plus de ce que l’on peut prendre. Ce titre est une invitation à faire le contraire, à tester jusqu’où il est possible d’arriver. Ça deviendra plus clair dans la première partie quand Lilly essaie de mettre tous ses vêtements dans une toute petite valise. Il faut de la patience pour la voir fourrer son petit sac de toutes ses affaires d’été, et surtout pour se rendre compte qu’elle tentera toujours de prendre plus qu’elle ne peut.

TakeWhatYouCanCarry1

« Take what you can carry » est le constat d’une quête dépourvue de la parole. Des grimaces, des regards et occasionnellement des mots écrits dans une lettre devront suffire à faire comprendre la fragilité de l’espace et l’élan vital de ceux qui le cherchent.

Julián Medrano Hoyos

Consulter la fiche technique du film

T comme Take what you can carry

Fiche technique

Synopsis : Étude de personnages et méditation sur la communication, la création et l’espace physique, Take What You Can Carry est le portrait d’une jeune femme vue à travers les intérieurs qu’elle occupe et les gens qu’elle fréquente. Américaine installée à l’étranger, Lilly espère façonner un espace intime pour elle-même tout en étant en phase avec le monde autour d’elle. Lorsqu’elle reçoit une lettre de chez elle, cela lui permet de trouver ce qu’il faut pour fusionner son moi éphémère avec la personne qu’elle a toujours su qu’elle était.

Genre : Fiction

Durée : 30’

Année : 2015

Pays : États-Unis, Allemagne

Réalisation : Matt Porterfield

Scénario : Matt Porterfield

Image : Jenny-Lou Ziegel

Montage : Amanda Larson

Son : Gene Park, Danny Meltzer

Interprétation: Hannah Gross, Jean-Christophe Folly, Angela Shanelec

Production : Zsuzsanna Kiràly

Article associé : la critique du film

Palmarès du festival IndieLisboa 2015

Le Festival IndieLisboa, l’une des plateformes incontournables du cinéma indépendant, s’est achevé ce weekend à Lisbonne. Voici les différents courts-métrages primés.

Palmarès

Grand Prix du court métrage : End of Summer, Jóhann Jóhansson (Islande, Danemark)

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Mention spéciale Animation : Of a Forest, Katarzyna Melnyk (Pologne)

Mention spéciale Documentaire, Mention spéciale Amnesty International : Shipwreck, Morgan Knibbe (Pays-Bas, Italie)

Mention spéciale Fiction : Guy MoquetDemis Herenger (France)

Prix du meilleur cour métrage portugais : Fora da vida/On the Side, Filipa Reis, João Miller Guerra (Portugal)

Prix Nouveau Talent FNAC, des Ecoles Culturgest : The Mesh and the Circle de Francisco Queimadela, Mariana Caló (Portugal)

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Prix du meilleur film (Brand New Section) : The Girl from Berlin, Bruno de Freitas Leal (Portugal)

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Prix Format Court (Silvestre Shorts) : The Mad Half Hour, Leonardo Brzezicki (Danemark, Argentine)

Prix Árvore da Vida du Meilleur film portugais, Mention spéciale : Beyond Marão, José Manuel Fernandes (Portugal)

Prix Árvore da Vida IndieJunior: Historia de un oso, Gabriel Osorio (Chili)

Prix du public : In Waking Hours de Katrien Vanagt, Sarah Vanagt (Belgique)

Prix du public IndieJunior : Lune et le loup, Patrick Delage, Toma Leroux (France)

Erik Schmitt, Prix Format Court au Festival de Brest

Il y a quelques mois, Erik Schmitt est apparu dans notre panier de découvertes avec son avant-dernier film, « Nashorn im Galopp », sélectionné dans bon nombre de festivals dont Berlin en premier (exclusivité oblige) et Brest où nous l’avons gratifié de notre Prix Format Court. Le film, repéré parmi 40 films européens sélectionnés, avait séduit notre équipe par sa créativité, sa poésie, son rythme, son émotion et son humour (rien que ça !).

En mars passé, lors de notre séance Spéciale Brest, le film avait été projeté aux Ursulines en présence de son auteur et en compagnie de plusieurs autres courts européens.

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Erik Schmitt travaille actuellement sur un projet de long-métrage mais ne perd pas le court de vue, un format dans lequel il a fait ses armes sans passer par la case école. Cela tombe bien, dans le cadre de notre prix, nous lui offrons un DCP pour un prochain court grâce à notre partenariat avec le laboratoire numérique Média Solution.

En attendant d’avoir des news de l’Allemagne, nous vous invitons à découvrir le focus consacré au réalisateur revenant sur son parcours, sa façon de travailler, ses envies et sa filmographie colorée, poétique et ludique. Bonne lecture !

Erik Schmitt : la créativité à portée de main, le street art et l’expérimentation par le court

Le reportage « Une plongée dans l’imaginaire d’Erik Schmitt »

La critique de « Nashorn im Galopp »

Erik Schmitt : la créativité à portée de main, le street art et l’expérimentation par le court

Erik Schmitt, le réalisateur de « Nashorn im Galopp », Prix Format Court à Brest cette année, était à Paris au mois de mars pour présenter son film au Studio des Ursulines lors de notre séance consacrée au festival. Il est revenu sur son parcours, ses difficultés (le passage au long-métrage, l’envie de brasser plusieurs genres, son décalage avec ses confrères allemands) et ses goûts (le visuel, le créatif, le sens de l’émotion). Pour en savoir plus sur cet auteur, ne cliquez pas et restez sur cette page.

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Tu as monté ta propre boîte de production, Kamerapferd, avec ton ami Stephan Müller. Comment avez-vous eu envie de travailler ensemble, de monter votre propre structure et de produire vos propres films ?

Erik Schmitt : Kamerapferd, c’est le cheval de la caméra. Ce n’est pas vraiment une boîte de production, c’est plus un nom qui nous lie et qui permet de reconnaître nos films. On a fait une série de courts métrages qui ont tous bien marchés et qu’on a associés à ce nom. En Allemagne, le nom il a bien pris. Il y a plus de gens qui connaissent Kamerapferd que mon propre nom ! Aujourd’hui, on se pose la question de laisser tomber ce nom-là, chacun étant sur son projet de long-métrage et en contact avec des productions plus importantes.

Quels ont été tes premiers pas dans le ciné ?

Je suis sorti de l’université, je n’ai pas étudié le cinéma. J’ai fait beaucoup de choses créatives et de la communication. Après j’ai travaillé pour une boîte de publicité et puis, j’ai fait des petites vidéos. J’ai appris à faire du montage, à comprendre la caméra. Je me suis retrouvé à faire un long-métrage documentaire (« Solartaxi: Around the World with the Sun  ») en suivant un type qui faisait un tour du monde pendant un mois en Inde. J’ai fait ce film sans vraiment avoir une idée précise de ce que je faisais, mais ça a marché et je l’ai vendu. Pendant ce voyage, le mécano m’a parlé de Stephan en me disant qu’il faisait des trucs comme moi, c’est comme ça que j’ai fait sa connaissance et qu’on a commencé à travailler sur des petites pubs pour les Télécoms allemands. Là, j’ai réalisé que c’était la première fois de ma vie que je rencontrais quelqu’un qui pensait comme moi. Quand je proposais des idées à mes copains, ils me disaient toujours que j’étais fou !

Dans tes films, tu joues sur plusieurs tableaux : le burlesque, la poésie, le sombre aussi. Dans les propositions allemandes en court comme en long, on a l’impression que les auteurs sont dans la retenue, l’austérité. D’une certaine manière, ton film aurait pu ne pas être réalisé en Allemagne. Tu en es conscient ?

Oui, j’aime bien mélanger les genres et c’est vrai que je ne me retrouve pas vraiment dans le court métrage allemand. En général, je ne me sens pas forcément connecté aux films allemands et j’ai du mal à trouver des modèles parmi mes pairs. En France, j’ai l’impression qu’on n’a pas peur de jouer avec ce que tu viens de décrire de mon travail. Je trouve ça très intéressant de pouvoir être drôle, léger mais aussi sombre et émotionnel. Pour le moment, en préparant mon long, cette idée de sombre m’intéresse d’ailleurs beaucoup, je me demande comment y accéder et comment l’exprimer. Dans le cinéma français, même les films commerciaux comme «  Monsieur Claude » ou « Intouchables » qui s’adressent au grand public peuvent être innovants et toucher les émotions des spectateurs. Dans le cinéma allemand, ça ne se fait pas. Je ne sais pas pourquoi on a peur de ça en Allemagne .

En même temps, certains films d’auteur synonymes de gros succès commerciaux, ont touché les gens, des films comme « Barbara » ou « La Vie des autres »…

Oui, mais ce sont des films qui datent et puis, ce sont toujours les mêmes sujets : les nazis, la Stasi, la guerre…

Comment es-tu considéré dans le milieu du cinéma dans ton pays ?

Dans le court métrage allemand, j’ai l’impression que je suis plutôt le mec qui fait des trucs un peu fous. J’ai l’impression d’être un peu le seul dans cette catégorie, peut-être avec Stephan qui est malgré tout un peu diffèrent de moi et je trouve ça un peu dommage.

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Est-ce que le mot fou, ça te discrédite ?

Non pas du tout, c’est juste un aspect de mon travail. Malgré tout, je suis content que tu remarques d’autres choses dans mon travail, notamment ce côté sombre. Ce qui était intéressant sur « Nashorn im Galopp », ce n’était pas juste de faire des images. Je voulais essayer de faire quelque chose qui marche sur plusieurs niveaux. Pour moi, c’était important que le film soit visuellement intéressant mais aussi émotionnel. Mon film suivant, « Forever Over » s’est fait rapidement. « Nashorn im Galopp » venait d’avoir sa première à la Berlinale et je voulais tenter des choses pour mon long-métrage, notamment en écrivant des dialogues un peu plus classiques. À la base, je ne voulais faire que deux scènes non connectées et puis, je me suis dit que je pouvais en faire un film. Après, en quelques jours, j’ai essayé de connecter le tout. Le film marche un peu mais je sens que je n’ai pas assez réfléchi à ce que je voulais vraiment exprimer du coté émotionnel. Le film a un aspect spontané mais quelques idées n’ont pas suffi à aboutir au film comme je le souhaite.

Sur un plateau, comment travailles-tu avec tes comédiens ? Leur permets-tu d’être spontanés ?

J’ai une relation particulière avec mes comédiens. C’est en utilisant ce lien que j’essaye de trouver le moyen le plus intéressant de travailler avec eux. La plupart d’entre eux reviennent dans mes films. Marleen Lohse, par exemple, aime bien avoir un texte de base qu’elle change un peu et sur lequel on travaille ensemble. Folke Renken a joué dans plusieurs de mes films. Je ne lui donne qu’un cadre et il improvise. Si je lui propose une scène, il ne pourra pas la jouer parce que ce n’est pas vraiment un acteur, c’est quelqu’un d’intuitif.

Dans tes films, on sent effectivement que vous vous connaissez tous bien…

C’est ce qui me manque un peu justement dans le travail qu’on faisait avec Stephan. On se voyait le matin, on essayait des trucs, on avait toujours des publicités à faire pour gagner notre vie, mais il restait toujours un peu de temps pour expérimenter.  Un de mes courts, « Telekommando », a commencé comme ça. Cela fait un an que j’ai commencé à écrire mon long-métrage et c’est difficile. À un moment, j’étais frustré parce que ça n’avançait pas. On est sorti, on a décidé de faire un film et sur une idée de base, on a fait ce petit court en une journée. Ça m’a fait du bien, j’ai décompressé.

Pourquoi est-ce difficile, le long ?

Parce que c’est nouveau et que je n’ai jamais fait ça. J’ai besoin de comprendre la structure d’un long-métrage, je n’ai pas juste envie de me plonger dans l’aspect visuel, je veux vraiment raconter quelque chose d’émotionnel. L’idée, ce n’est pas de prendre 2-3 semaines et peu d’argent pour tourner. J’ai besoin de savoir où je vais, ce que je fais, pour un projet plus grand. C’est pour cela que ça dure longtemps, mais ça avance donc c’est intéressant.

À travers tes films, on peut penser à Gondry tant tu accordes un soin particulier aux effets visuels. Sauf que sans beaucoup de moyens, tu joues avec les échelles de plan, réalises des petites animations et restes dans la simplicité, l’artisanat.

Ces dernière années, ça m’a beaucoup intéressé de trouver des moyens à notre portée. Avec les effets spéciaux, on peut vraiment tout faire. Si tu lis Harry Potter et que tu y découvres un dragon, ce n’est pas un problème de le transposer au cinéma, c’est juste une question d’argent. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des illusions que tout le monde peut faire de ses mains et de trouver le chemin pour exprimer ce que je ressens. Pour moi, la créativité vient du cœur, elle est devant nous et ne se créée pas de toute pièces avec la technologie moderne.

Dans ton dernier film, tu as quand même créé une lune. Pas si simple…

Oui, on l’a imprimée mais tout le monde peut en fabriquer une. La créativité démocratique, c’est possible…

Excuse-moi, mais un type déguisé en lapin rose vient de passer…

C’est marrant, j’ai justement un lapin rose dans mon long métrage !

Nashorn im Galopp

Dans « Nashorn im Galopp », tu t’intéresses de près au street art. Qu’est-ce qui te plaît dans l’expression urbaine ?

Le principe de raconter des choses en peu de temps et de s’adapter aux aspérités et à la taille du réceptacle où le graffiti s’affichera. L’espace n’est pas une page blanche. Le street art est l’art de communication en ville. Des messages permanents apparaissent, ça permet de lutter un peu contre la solitude et l’animosité de la ville. Le street art est un nouveau langage et les pages d’un livre qu’on écrit tous ensemble. Devant un bon graffiti, notre façon de voir le monde se met à changer. La ville est triste et grise mais grâce aux graffitis, l’œil est toujours à l’affut de la petite touche d’émotion imprévisible.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Arnbjörn Rustov

Articles associés : la critique de « Nashorn im Galopp », le reportage Une plongée dans l’imaginaire d’Erik Schmitt

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki, Prix Format Court au Festival IndieLisboa !

La 12ème édition du festival de cinéma indépendant IndieLisboa s’est achevée hier soir à Lisbonne. La cérémonie de clôture a consacré plusieurs films internationaux. Pour la première fois, notre équipe a attribué un Prix Format Court au sein de la toute nouvelle section « Silvestre », regroupant des films à part et inattendus réalisés par de jeunes auteurs comme des cinéastes établis.

Le jury Format Court (Katia Bayer, Marie Bergeret, Paola Casamarta, Adi Chesson, Lola L’Hermite, Zoé Libault) a choisi de récompenser, parmi les 33 films sélectionnés,  « The Mad Half Hour » de Leonardo Brzezicki, un film à la croisée des genres, marqué par son sens de l’absurde, l’invitation à la mélancolie et l’interrogation sur l’amour et le sens de la vie.

« The Mad Half Hour » de Leonardo Brzezicki (Fiction, 22’, Danemark, Argentine, 2015, Rewind My Future Films).

Syn. : « The Mad Half Hour » raconte l’histoire d’un tourment intérieur : les doutes existentiels d’un jeune couple à Buenos Aires.

Le court-métrage primé bénéficiera d’un dossier spécial en ligne, sera programmé lors de la prochaine séance Format Court organisée jeudi 14 mai à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur bénéficiera également d’un DCP pour un prochain court doté par le laboratoire numérique Média Solution.

Brive 2015, compte­-rendu

Les douzième Rencontres du moyen-­métrage de Brive se sont achevées le 19 avril dernier, après cinq jours de festival placés sous le signe du renouveau. Une transition s’est effectuée avec le changement de main au poste de Délégué général du festival, dévolu par le passé à Sébastien Bailly et assumé aujourd’hui par Elsa Charbit. Les fondamentaux n’ont pas bougé et la diversité de la programmation reposant sur la cohabitation des films de la compétition européenne avec différents programmes parallèles (rétrospectives, séances pour enfants…) est toujours d’actualité. Le passage de relais révèle cependant une ambition certaine d’ouverture de la part de la nouvelle équipe, un souci de conserver l’éclectisme de la ligne éditoriale tout en élargissant son champ d’exploration. Il suffit de constater la place importante accordée aux films documentaires dans la compétition européenne de cette année et la singularité de leurs propositions formelles déterminante pour leur sélection. Il en va de même pour les moyens­-métrages de fiction où sont représentés pêle­mêle la plupart des tendances de la jeune production française. Autant de propositions qui ont fait que cette année à Brive, la terre a penché de plusieurs côtés.

Mon beauf

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Pour commencer avec la compétition européenne, évoquons d’abord quelques films qui glissaient sur une mauvaise pente. « Ton cœur au hasard » de Aude-­Léa Rapin (lauréat du Prix Ciné +) et « Nocturnes » de Matthieu Bareyre donnent tous deux la sensation désagréable de privilégier la singularité de leurs dispositifs narratifs et formels à la construction d’un rapport bienveillant avec leurs protagonistes respectifs. Le premier est une fiction, dont le principe narratif repose sur la mise bout à bout de trois blocs de séquences centrées autour d’un jeune homme confronté à différentes figures féminines. Trois scènes étirées chacune en longueur où ce rustre bégayant s’échine à créer un contact avec celles qui croisent son chemin. L’ambition de nous faire partager le calvaire de ce personnage pour communiquer ses intentions et ses sentiments contamine la mise en scène dont chacun des aspects enfoncent le clou d’un volontarisme forcené. La caméra portée en permanence qui resserre son cadre sur les visages des interprètes, l’image numérique rugueuse et agressive (notamment dans la première scène filmée de nuit) et le montage qui étire chaque séquence en ne nous épargnant aucun bégaiements sont autant de partis pris qui contribuent à créer un sentiment d’épuisement. Épuisement de tout, du langage, des corps, qui s’agitent tristement et ne se rejoignent que pour des étreintes brèves et désenchantées (le pilonnage de la caissière dans la camionnette constituant sans doute le pinacle de l’horreur). Le misérabilisme dans lequel s’enfonce le personnage principal, rendu inapte à tout (il galère durant toute une séquence pour enfiler un costume) finit de nous décourager face à l’entreprise du film, et nous fait regretter cette boutade des frères Dardenne que nombre de cinéastes semblent avoir pris au pied de la lettre : «Nous ce qu’on fait, c’est mettre la caméra dans le trou du cul du réel.» Cette fois, rien de très bon n’en est sorti.

De chair triste et d’épuisement, il est aussi question dans le documentaire de Matthieu Bareyre qui a choisi de poser sa caméra dans l’hippodrome de Vincennes durant les courses nocturnes. À l’intérieur de ce lieu désertique, une poignée de parieurs se réunissent pour suivre les courses sur les écrans, galvanisés par ces jeux d’argent aussi bien que par le spectacle monté en direct par la régie vidéo. Cette fois encore, l’altérité que constitue la présence de ces bourrins alcoolisés ne semble envisagée que comme élément composite d’un discours pré­existant, réduisant de ce fait la démarche documentaire à de la prospection zoologique. En disséquant la mécanique de ces événements par la multiplication des angles d’observation (le champ de course, la régie vidéo, les salles occupées par les parieurs), Bareyre livre une observation froide et morne d’un spectacle qui tourne à vide où la question principale qui est posée est littéralement : “qui monte qui ?” On constate que les parieurs font monter les enchères, que les régisseurs qui montent le spectacle en direct font monter la pression et excitent les parieurs, etc. Encore une fois, la tautologie de la mise en scène surligne les intentions de l’auteur et condamne les protagonistes à faire tourner la machine sans avoir leur mot à dire. À noter que ces deux films s’achèvent sur la même faute de goût qui trahit l’ambition des cinéastes de transformer in fine leurs personnages infréquentables en héros : «Ton cœur au hasard» voit son protagoniste rouler vers l’horizon accompagné de cœurs féminins grandiloquents, tandis que le générique de «Nocturnes» défile et fait apparaître en larges lettres seulement les prénoms des parieurs. Tentatives douteuses et maladroites de leur rendre gloire, a posteriori. Mais de quelle gloire s’agit­-il, on ne le sait pas.

Le monde caressant

De l’autre côté du spectre, il était possible pour certains films non seulement de laisser vivre leurs personnages, mais également d’accueillir des fantômes en les laissant rejoindre le monde vivant. C’est le cas notamment de deux films réalisés par des habitués du festival de Brive : Christelle Lheureux (« La Maladie blanche », « Madeleine et les deux apaches ») venue présenter son nouvel opus « La terre penche », de même que le couple de cinéastes portugais Joao Pedro Rodrigues et Joao Gerra Da Mata (dont nous avions découvert le sublime « Mahjong » en compétition l’année dernière) de retour avec leur documentaire « IEC Long ». Là encore, une fiction d’un côté et un documentaire de l’autre qui affichent le même souci de rendre poreux les genres et les régimes d’images pour élargir leur cadre et permettre à leurs récits de se déployer avec plus de liberté et de fantaisie.

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Lheureux reconduit les motifs usités de ses précédentes réalisations pour définir le point de départ de son dernier opus. À nouveau, la vacance de personnages pris dans une parenthèse estivale devient le prétexte à l’exploration de champs inconnus où les jeux d’apparitions et de disparitions dessinent les contours d’une réalité mouvante, prête à pencher dans plusieurs directions. Ici, l’on suit le retour de Thomas dans sa ville natale, au gré de ses retrouvailles avec les lieux et les figures de son passé. Sa rencontre avec Lætitia, agente immobilière, va aiguiller son chemin vers une remise en perspective tranquille de ses aspirations. Ce postulat de départ pourrait ne faire de « La terre penche » qu’une énième bluette de bord de mer sympathique (la tendance « Un monde sans femme ») si Lheureux ne mettait un point d’honneur à faire glisser régulièrement son récit vers l’onirisme, en créant des trouées desquelles surgissent des éléments dissonants. Il peut s’agir d’interventions d’éléments très prosaïques de la réalité (un gigantesque troupeau de moutons bloquant la circulation) ou bien de ruptures franches avec la continuité du récit qui voient Lætitia rencontrer les fantômes de soldats chinois et dialoguer avec eux lors de ses décrochages narcoleptiques. Le film déploie ainsi langoureusement son récit et offre un écrin lumineux à ses personnages de doux rêveurs sans exclure pour autant la dimension inquiétante de ses digressions narratives, par exemple lorsque l’obsession de Thomas pour retrouver un ancien ami croisé lors de son arrivée l’éloigne de Lætitia et le conduit à traverser de nuit un immense et inquiétant chantier. Les contours de ce monde caressant gagnent alors en aspérité et un vertige nous saisit face au sentiment rendu finalement palpable par le récit : celui que, dans un monde en perpétuel mouvement, les instants de flottements sont en même temps précieux et dangereux, car dans leur béance peuvent aussi bien se perdre que se rencontrer ceux que la marche du progrès laisse sur le bord du chemin.

IECLONG

De leur côté, Rodrigues et Da Mata investissent dans « IEC Long » les ruines d’une fabrique de feux d’artifices de Macao et transforment les sifflements et les explosions des pétards utilisés lors de rituels contemporains en écho des voix des enfants employés par le passé dans cette fabrique, et dont les accidents répétés coûtèrent la vie à nombre d’entre eux. Comme dans leur précédent opus « Mahjong », les cinéastes portugais déploient un arsenal de motifs minimaux pour cartographier le territoire qu’ils explorent et construisent progressivement leur mise en scène sur d’ingénieux glissements formels. D’un prologue prenant pour cadre une fête contemporaine où une foule en liesse fait exploser des feux d’artifices dans la nuit, l’on bascule au détour d’un fondu enchaîné dans un autre régime d’images et par la­-même dans une autre temporalité. Des gros plans d’enfants anonymes enregistrés sur une pellicule Super 8 se mêlent ainsi aux images documentaires de ces colliers de pétards scintillants dans la nuit, dont le bruit et la fumée finissent par agresser les estivants et permettent aux fantômes de prendre place dans le flux des images. Un récit se déplie ensuite minutieusement via le témoignage du dernier employé survivant de cette époque et présenté, selon ses propres mots, comme le «gardien» des ruines de cette ancienne fabrique condamnée à être transformée en attraction touristique. La mise en relation des images documentaires de ces ruines avec celles d’une maquette reconstituant la fabrique telle qu’elle s’est dressée par le passé permet aux cinéastes de jouer habilement avec les dimensions et de replacer notre regard à hauteur d’enfant. En assumant l’aspect ludique de leur mise en scène, Rodrigues et Da Mata rendent un bel hommage aux fantômes et leur offre dans les images qu’ils fabriquent un ultime refuge.

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Après s’être arrêté sur les plus belles propositions des «abonnés du festival», il est temps de tourner notre regard vers celles faites par de nouveaux arrivants et qui ont remporté la plupart des suffrages lors de cette nouvelle édition. Bien sûr, le film d’Héloïse Pelloquet « Comme une grande » qui a fait le grand schelem en repartant avec pas moins de trois prix (Grand Prix France, Prix du public et Prix Format Court) et qui fera l’objet d’un focus à part ainsi que d’une projection le 14/5 au Studio des Ursulines, se fait l’étendard d’un palmarès dominé par des récits dont les adolescents étaient les héros. L’autre vainqueur fut le très prisé « Lupino », documentaire de François Farellacci lauréat du Prix spécial Ciné + ainsi que du Prix du Jury Jeunes de la Corrèze.

En suivant un groupe d’adolescents corses cherchant à tromper leur ennui alors que commencent les vacances d’été, Farellacci dresse moins le portrait d’une génération saisie sur le vif qu’il ne s’approprie les signes d’un imaginaire usité, trouvant dans le désœuvrement de ces «kids» corses une matière inépuisable à l’intérieur de laquelle il n’a plus qu’à piocher pour construire son film. La narration de « Lupino » fonctionne par agencement de blocs, et sa manière d’aligner ses longues séquences livrées la plupart du temps dans leur pleine durée fait surgir à plusieurs reprises des fulgurances, des moments de grâce brillants justement par leur autonomie à l’intérieur du magma naturaliste dont ils émergent : lorsqu’un jeune homme se détache du groupe pendant une virée nocturne et se met à danser et chanter sur la chanson « Envole­-moi » de Goldman ou que l’un des adolescents raconte un épisode de la vie de sa bande en faisant défiler ses photos sur son écran d’Iphone.

Le film trouve sa force en même temps que sa limite dans cette façon de glisser allègrement d’une scène à une autre, d’un personnage au suivant sans souci d’articuler véritablement un récit à partir de cette matière forte et trop facilement aimable et malléable. Le prologue qui ouvre le film sur des images d’archives tournées en VHS semble corroborer ce sentiment d’éternel renouvellement d’un imaginaire adolescent, dont les principaux motifs ne changent pas d’une décennie sur l’autre (ennui, fêtes, alcool, violence dirigée contre personne…) mais qui trouveront toujours de jeunes corps pour les porter et offrir du «prêt à filmer».

A very extraordinary sort of girl

La plus belle découverte du festival s’est cependant faite à l’occasion d’un des programmes parallèles à la compétition européenne. Si la programmation des rétrospectives a proposé son lot de trouvailles et de raretés (en présentant des courts-­métrages de Paul Verhoeven, Koji Wakamatsu ou encore plusieurs échantillons issus du Free Cinéma anglais), la vraie révélation fut celle d’une séance spéciale consacrée à la première réalisation de l’actrice Françoise Lebrun (membre cette année du jury officiel). Le film est un moyen­-métrage documentaire d’une cinquantaine de minutes intitulé « Crazy Quilt », en référence à un courant du milieu du textile reposant sur la confection de toiles sous forme de patchworks mélangeants différents tissus et motifs. Titre bien choisi, tant le film brille par sa manière d’agencer librement chaque pan de son récit au gré de l’inspiration et des voyages de son auteur sur les traces de son passé.

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Au travers de cet auto­portrait, Françoise Lebrun nous invite à remonter avec elle le fil de sa mémoire pour se rapprocher d’un moment précis de son adolescence où elle vécut durant plusieurs années en Angleterre, chez une correspondante avec qui elle n’a jamais cessé ses échanges épistolaires. L’organisation de leurs retrouvailles au début du film constitue le prétexte pour la réalisatrice à l’évocation de sa passion pour la culture britannique qu’elle découvrait alors, notamment pour ses plus grandes romancières et poétesses (Virginia Woolf, Emily Brontë, Jane Austen…). Cette passion pour ces illustres femmes de lettres s’accompagne d’une autre pour l’architecture anglaise et pour ses jardins, que Lebrun nous invite à arpenter avec elle à l’occasion de ses visites en Angleterre. Ainsi, le récit bourgeonne en permanence, chaque nouveau plan pouvant être l’occasion d’une greffe impertinente à même l’image (l’usage savant et ludique d’incrustations de photos à l’intérieur des plans), témoignant de l’imagination sans limites de la réalisatrice, prête à faire feu de tout bois pour tisser une magnifique toile sur le canevas des souvenirs. L’on ressort de « Crazy Quilt » ravi, comblé par ce sentiment d’avoir, le temps d’un film, habité les plus belles images que son auteur avait à offrir.

Marc-Antoine Vaugeois

Soirée Format Court, spéciale Prix Format Court : jeudi 14 mai !

À l’occasion de notre avant-dernière séance de l’année, jeudi 14 mai, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), notre programmation est consacrée à 4 Prix Format Court, attribués récemment mais aussi en début d’année.

Venez découvrir le temps d’une séance très européenne des premiers films et des films d’écoles primés par la rédaction aux festivals d’Angers, de Brive, de Nijmegen (Go Short) et de Lisbonne (IndieLisboa), en présence de nos invités, les réalisateurs Héloïse Pelloquet (« Comme une grande ») et Guido Hendrikx (« Onder ons »). La soirée fera également l’objet d’une exposition de dessins et croquis préparatoires autour du film « Kijé » de Joanna Lorho, primé à Angers.

Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas

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Programmation

Comme une grande d’Héloïse Pelloquet (Fiction, 43’, France, 2014, La Fémis). Prix Format Court, Prix du Public, Grand Prix France au Festival du moyen-­métrage de Brive 2015. En présence de la réalisatrice

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Synopsis : Un an de la vie d’Imane, au bord de l’océan. Un jour Imane sera grande. En attendant, il y le collège, les copines, les garçons, l’été, les vacanciers de passage, l’hiver, les projets, les rêves.

Onder ons de Guido Hendrikx (Documentaire, expérimental, 24′, 2015, Pays­‐Bas, Nederlandse Filmacademie). Prix Format Court et Prix du meilleur film néerlandais au Festival Go Short 2015 (Pays-Bas), sélectionné au festival de Clermont-Ferrand 2015. En présence du réalisateur

Synopsis : Trois pédophiles complexés et instruits nous livrent un récit impitoyable de leurs expériences. Comment assumer une orientation sexuelle jugée morbide par toute la société, y compris par soi-­même ?

Article associé : la critique du film

Kijé de Joanna Lorho (Animation, 10′, Belgique, 2014, Graphoui, Zorobabel). Prix Format Court au Festival d’Angers 2015 (France).

Synopsis : Au crépuscule, alors que la ville se fige et sombre dans le silence, un homme se retrouve malgré lui pris dans une célébration étrange. Il passe la nuit au coeur d’une foule faite de personnages aussi curieux qu’énigmatiques qui disparaîtra avant l’aurore.

Article associé : la critique du film

The Mad Half Hour de Leonardo Brzezicki (Fiction, 22’, Danemark, Argentine, 2015, Rewind My Future Films). Prix Format Court au Festival IndieLisboa 2015, sélectionné à la Berlinale 2015

Syn. : « The Mad Half Hour » raconte l’histoire d’un tourment intérieur : les doutes existentiels d’un jeune couple à Buenos Aires.

Article associé : la critique du film

En pratique

– Jeudi 14 mai 2015, à 20h30. Accueil : 20h
– Durée : 99′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
Entrée : 6,50 €
Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

No Wolf has a house de Hana Jušić

La compétition Sylvestre du festival IndieLisboa, actuellement en cours à Lisbonne, est destinée aux films libres qui ne suivent pas les chemins tracés et relèvent d’une forme originale. Le court-métrage croate « No wolf has a house » trouve bel et bien sa place dans cette compétition alternative.

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En une journée ensoleillée, le jeune trentenaire Tihomir fête son anniversaire chez ses parents. Ces derniers, bouchers, lui prépare un grand barbecue qui dure jusqu’au soir, bien que les invités ne soient pas bien nombreux. Seuls sa femme Sandra, ses parents, sa sœur, son beau-frère et leurs deux enfants sont de la fête. Sandra, rêveuse et mollassonne, dont l’extrême timidité pourrait s’apparenter à un léger handicap social, essaie de s’intégrer tant bien que mal dans cette famille peu ouverte qui fait preuve d’un grand manque de compréhension à son égard. Elle voudrait bien aider à la préparation du repas mais sa belle-mère ne lui accorde pas plus de confiance qu’à un jeune enfant. Elle aimerait prendre part aux discussions pendant le repas mais ses réflexions, certes étranges, ne sont que peu écoutées et certainement pas prises au sérieux par les membres de sa belle-famille.

Plus la journée avance dans cette ambiance peu clémente, plus Sandra se sent mal à l’aise. Son angoisse grandissant lui fait perdre la tête, elle n’arrive plus vraiment à distinguer le vrai du faux et commence à avoir des hallucinations effrayantes. Elle essaie pourtant de se concentrer pour faire disparaître ces images absurdes comme celle du mari de sa belle-sœur la contemplant en petit maillot de bain rose par exemple.

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La sensation de mal-être de Sandra est appuyée par de nombreux gros plans subjectifs insistant sur les comportements peu distingués de sa famille : la belle-sœur remet en place le bas de son maillot de bain sans aucune grâce, le beau-père ronge goulument les os de la viande, la belle-mère arrange les gâteaux qu’elle servira au dessert avec ses gros doigts sales… Cette manière de filmer très près des personnages renforce l’enfermement de Sandra dans sa bulle, ne lui laissant aucun échappatoire. Les scènes surréalistes du film et la froideur des images participent au malaise ambiant. Les images de « No wolf has a house » rappellent ainsi les films du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, « Canine » et « Alps » qui présentent également des personnages en marge des conventions sociales dans une ambiance toute aussi froide et cinglante.

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Dans ce court-métrage glaçant, Hana Jušić ne prend aucunement le parti de ménager son spectateur. Elle l’invite dans un monde amer où la tolérance envers autrui ne fait visiblement pas partie. La réalisatrice a commencé sa carrière en 2010 et a signé plusieurs courts depuis, avec comme point commun celui de filmer des relations humaines complexes.

Zoé Libault

Consultez la fiche technique du film

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Fiche technique

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Synopsis : Au cours de la fête d’anniversaire de son mari, Sandra, jeune femme souffrant d’une sensibilité extrême, doit s’intégrer au sein de sa belle-famille. L’inhospitalité glaçante de cette famille ne l’aidera pas à s’y sentir à l’aise.

Genre : Fiction

Durée : 24’

Pays : Croatie

Année : 2015

Réalisation : Hana Jušić

Scénario : Hana Jušić

Interprétation : Sanja Drakulic, Tibor Knezevic, …

Images : Jana Plećaš

Son : Martin Semencic

Production : Academy of Dramatic Arts Zagreb

Article associé : la critique du film