Mathieu Berthon : « Mes films sont en quelque sorte du cinéma coup de poing que je continue toujours à faire, car même maintenant j’ai encore des difficultés à m’insérer dans une méthode de tournage plus classique, le sujet même de mes films ne me permettant pas de faire les choses dans les règles »

Auteur d’une poignée de courts-métrages grindhouse à l’humour ravageur et à l’imagerie furieuse, mais aussi du moyen-métrage « Le Réserviste », hommage vibrant aux actioners eighties déviants, Mathieu Berthon a répondu à nos questions lors de son passage à Court Métrange pour présenter le film « Feed To Kill », sélectionné en hors-compétition. Découvrez un réalisateur passionné qui, faute de ne rentrer dans aucune case, s’est créé la sienne et l’investit avec acharnement.

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Quel est ton parcours dans le milieu du cinéma ?

Mon premier rapport au cinéma s’est fait quand j’étais tout jeune. J’ai eu la chance d’avoir des parents cinéphiles, donc j’ai vu pas mal de films quand j’étais enfant. J’ai un rapport assez particulier au cinéma d’horreur car j’ai vu « Robocop » à sept ans et demi, mon père ayant eu la bonne idée de louer la cassette sans se soucier de l’interdiction. Ce film m’a bien traumatisé au début, j’en faisais même des cauchemars, à cause de sa grande violence graphique. Pendant longtemps, j’ai fait un rejet de tout ce qui était imagerie d’horreur, parce que cela me ramenait à plein de choses que j’avais vécues pendant cette projection. Finalement cela s’est transformé en quelque chose de positif et « Robocop » est devenu, l’un de mes films préférés.

Plus tard, au collège, dans le cadre d’un exercice d’arts plastiques, on devait faire un détournement de pub sur papier. Étant très mauvais au dessin, j’ai proposé à mon professeur de tourner un film plutôt. Celui-ci était très enthousiaste du résultat, je me suis donc dit qu’il y avait quelque chose à creuser dans ce sens. J’ai récupéré la caméra VHS de mon père et je me suis mis à tourner plein de choses dans tous les sens. A la base, je voulais devenir maquilleur, donc je tournais des courts métrages pour mettre en valeur les maquillages, sans vraiment raconter d’histoires. Plus tard, j’ai décidé de me consacrer plus à la réalisation, mais je garde toujours une sensibilité accrue pour le maquillage.

Ensuite, j’ai passé un BTS de montage, tout en faisant à côté des courts métrages de genre. Mon école n’aidait pas du tout les étudiants à tourner, ils avaient une politique de restriction du matériel, donc je ne filmais qu’avec des moyens réduits que je trouvais à l’extérieur. Cela m’a appris à me débrouiller par moi-même, à bricoler à partir de rien en somme. Je faisais partie d’un petit cercle de gens qui faisaient des courts métrages sur Lyon et j’ai eu la chance pour mon premier vrai court de participer à un concours qui portait sur le thème de la voiture. Nous devions faire un film en une semaine. Le film était tourné dans un garage automobile et reprenait beaucoup de thématiques sur Big Brother. Je voulais parler de la condition d’ouvrier, de l’abrutissement par le travail, alors j’ai demandé à mon grand-père de jouer dedans, car il avait travaillé plus jeune à l’usine. Il avait même perdu des doigts en travaillant, cela m’intéressait énormément d’un point de vue visuel et émotionnel. Ce court métrage qui s’appelle Une Pause a bien tourné en festival et cela m’a ouvert plusieurs portes. J’ai commencé à faire de la décoration sur des films de genre et j’ai pu découvrir ce qu’était un tournage professionnel. Je me suis créé un bon carnet d’adresses et j’ai pu continuer à tourner mes projets, sans réel budget, mais avec beaucoup d’énergie.

Comment présenterais-tu ton travail à des gens qui ne te connaîtraient pas ?

Curieusement, au tout début, j’ai commencé par tourner des courts métrages très dramatiques. À l’époque j’étais dans une période un peu noire et j’avais besoin de traiter de sujets sérieux. Ensuite, je me suis concentré sur des choses plus légères qui se tournaient plus rapidement. J’ai toujours été attiré par un effort artistique conséquent au niveau du rendu visuel d’un film, ce que les Américains appellent la « production value ». J’ai réalisé de nombreux films qui mettent en valeur les maquillages, les décors, les costumes, mais aussi les cascades et les effets pyrotechniques. C’est un peu avec cet état d’esprit que je me suis lancé dans Le Réserviste, je souhaitais travailler avec tous ces décorateurs, maquilleurs, cascadeurs rencontrés au fil des tournages, et écrire une histoire qui pourrait magnifier leur travail. À la base, c’était un petit projet sous forme d’un hommage aux séries B d’action d’autrefois, mais finalement, plus les gens voulaient travailler sur le film, plus le projet grandissait. Je pensais faire un faux trailer au départ et je me suis retrouvé embarqué dans un moyen-métrage de 38 minutes que j’ai entièrement financé de ma poche. Les délais de post-production ont été conséquents car les gens qui travaillaient sur les FX étaient bénévoles et s’en occupaient sur leur temps libre. Comme tous mes films, ce fut un tournage de type guérilla dans lequel tous les gens sont bénévoles et où l’on ne demande pas d’autorisations de tournage, non par choix, mais par nécessité. C’est une sorte de cinéma coup de poing que je continue toujours à faire, car même maintenant j’ai encore des difficultés à m’insérer dans une méthode de tournage plus classique, le sujet même de mes films ne me permettant pas de faire les choses dans les règles. En effet, c’est plutôt difficile d’obtenir une autorisation de tournage quand le dossier que tu envoies concerne une histoire de ninjas !

Peux-tu nous dire un mot sur ton nouveau projet ?

Je suis en train de tourner le quatrième volet d’une franchise créée par le collectif de cinéma montréalais RKSS : Ninja Eliminator. Le concept de cette franchise est de réaliser de fausses bandes annonces de films de ninjas, et pour le numéro 4, je me suis lancé dans un spin-off de la saga, basé en France, avec un ninja français. Le collectif m’avait demandé de réaliser une petite séquence à Paris pour le troisième volet, et comme je me suis pris au jeu de tourner cette petite scène, j’ai eu envie d’aller plus loin et de développer le personnage de flic parisien créé pour cet épisode. J’ai donc demandé à RKSS s’ils étaient d‘accord et puis je me suis lancé dans l’aventure du numéro 4. Pour ce nouvel épisode, le personnage possède toute une panoplie typiquement française, au niveau des costumes et des postiches qu’il porte, mais aussi des accessoires qu’il utilise. Nous avons essayé de filmer dans des lieux qui font « carte postale » (Champs de Mars, Parc Floral, etc.). Nous avons même tourné une scène sur une aile de Concorde stationnant à l’arrêt à Orly, sans autorisation, avec la gendarmerie qui faisait sa ronde et qui se demandait ce que l’on pouvait bien filmer sur cette aile d’avion, habillés en ninjas !

Un mot sur ton court métrage « Feed To Kill », sélectionné en hors-compétition à Court Métrange cette année ?

« Feed To Kill »est une fausse bande annonce que l’on a tournée en 4-5 jours à Lyon, avec un budget avoisinant les 300 euros en tout. Avec ce court, nous voulions tester plusieurs choses à l’image, notamment une séquence d’action avec une torche humaine. C’est une oeuvre extrême, qui renferme son lot de scènes radicales et sanglantes et qui fait appel à un humour bien scatologique, donc il est très difficile de diffuser le film dans des programmations classiques. Il a plus sa place dans des Festivals comme SPASM à Montréal, le Bloody Week-End, Courts Mais Trash et, bien entendu, Court Métrange.

Cette forme du « faux trailer » est quelque chose que tu as beaucoup pratiqué. Pour quelle raison ?

Cela me permet de tourner de nombreuses petites séquences visuellement très intéressantes sans trop me soucier de l’aspect narratif. Je peux rapidement expérimenter différentes ambiances et me concentrer sur les scènes clés du film sans m’encombrer des lourdeurs d’exposition et de développement propres à la narration. Je trouve un plaisir également à tourner dans plusieurs lieux différents et à mettre en scène certaines envies visuelles comme par exemple « la torche humaine ». Ce format me convient parfaitement car nous nous amusons en tournant ces faux trailers et cela rejoint ma vision d’un tournage qui doit rester avant tout quelque chose de familial et convivial et ne pas devenir compliqué ou conflictuel.

Comment te situes-tu au niveau du film de genre en France, et plus spécialement du court métrage ?

J’essaye à travers mes films de faire des choses que l’on n’a pas forcément l’habitude de voir dans le circuit du genre français, des films qui empruntent des éléments autant au cinéma trash qu’à la comédie. Je tente de proposer une alternative en quelque sorte à un cinéma que je trouve beaucoup trop sérieux. Je déplore qu’en France, la comédie horrifique ne trouve pas sa place comme elle a pu le faire à Montréal, avec des collectifs comme RKSS par exemple. De plus, mes films utilisent souvent un humour assez vulgaire, et j’ai parfois l’impression d’être un peu snobé par le circuit du genre qui considère cela comme appartenant à la farce, donc peu digne d’intérêt, ce qui est vraiment dommage.

En France, nous possédons une culture de la comédie très developpée, seulement il y a peu de personnes qui poussent leurs idées vraiment à fond. Beaucoup de films restent politiquement corrects malgré leurs pitchs de départ très prometteurs. J’aimerais évoluer vers un univers moins radical et référentiel, toujours ancré dans la pop culture, mais qui devienne plus accessible, tout en gardant une originalité, une approche différente et qui ne se limite pas à cause de tel ou tel élément qui risque d’heurter le public.

Propos recueillis par Julien Savès

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