Tous les articles par Katia Bayer

# Annecy 2017

Le Festival d’Annecy a lieu en ce moment. Retrouvez ces jours-ci nos sujets dédiés à la manifestation sympa et incontournable en termes d’animation internationale de qualité.

Le film de la semaine : « Le clitoris » de Lori-Malépart Traversy

– La critique de « Nothing Happens de Michal et Uri Kranot »

Annecy 2017, le palmarès

Le film de la semaine : « Metube 2 : August sings Carmina Burana » de Daniel Moshel

Annecy, notre sélection de films en ligne

Annecy 2017, les courts en compétition

Annecy, notre sélection de films en ligne

Le Festival d’Annecy est en cours depuis lundi. Pour ceux qui ne peuvent s’y rendre ou qui souhaitent prolonger leurs séances, voici notre sélection de 11 courts-métrages internationaux retenus en compétition officielle et disponibles en ligne. Bonne séance !

Wednesday with Goddard de Nicolas MÉNARD (Royaume-Uni)

1960 :: Movie :: Still de Stuart POUND (Royaume-Uni)

Casse-Croûte de Burcu SANKUR, Geoffrey GODET (France)

Dead Reckoning de Paul WENNINGER, Susan YOUNG (Autriche)

Double King de Felix COLGRAVE (Australie)

Mr. Night Has a Day Off de Ignas MEILUNAS (Lituanie)

O poeta das coisas horríveis de Guy CHARNAUX (Brésil)

Ossa de Dario IMBROGNO (Italie)

Roger Ballen’s Theatre of Apparitions de Emma CALDER, Ged HANEY (Afrique du Sud, Royaume-Uni)

Strange Fish de Steven SUBOTNICK (États-Unis)

The Ultimate Guide to Inspiration de Daniela URIBE, Francisco MARQUEZ (Espagne, Venezuela)

Kijé de Joanna Lorho, toujours disponible en DVD

Alors que le joli Festival d’Annecy a commencé il y a deux jours, nous revenons sur Kijé, le très beau court-métrage de Joanna Lorho, Prix Format Court à Angers en 2015. Ce premier film professionnel est une animation poétique, quasi lunaire traversée par la maturité grandissante de son auteure qui s’est aussi essayée au clip, à l’illustration et à la BD (allez voir son site, ses mots et ses « objets finis »).

Au moment de sa découverte à Angers, le film nous avait séduits par sa maîtrise, son aspect étrange, fantomatique, son trait proche de l’esquisse et sa grande douceur. Après l’avoir diffusé aux Ursulines et consacré un focus à sa réalisatrice, nous avions évoqué son édition DVD sur Format Court. Le film sorti tout seul, comme un grand grâce à Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche, était – et reste – un objet rare, accompagné d’un livret d’une soixantaine de pages. Celui-ci retrace la genèse du projet avec des images (recherches, storyboard, décors, animations…) et des extraits du journal de bord de la réalisatrice (disponibles sur son site web).

Chose étonnante, Kijé a mis presque 10 ans à se concrétiser, entre l’idée et son point final. Joanna Lorho y a tout fait : l’animation, le scénario, la musique, … Après avoir tourné dans quelques festivals, le film rejoindra peut-être un jour la Toile. En attendant, il ne se livre, pudique, que par teaser.

Si vous aimez l’animation indépendante, l’étrange, le doux et  le personnel, contactez-nous. En collaboration avec la production, nous vous proposons le DVD et son livret, co-édité par Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche, au tarif de 9 € (+ frais d’envoi).

Articles associés : la critique du film, « Kijé » de Joanna Lorho en DVD, l’interview de Joanna Lorho

Adhérez à Format Court !

Quelques jours après notre dernière projection le jeudi 8/6 au Studio des Ursulines, nous mettons en place de nouveaux projets avec l’envie toujours très présente de valoriser le court-métrage, de professionnaliser Format Court & de croquer des Carambar avec vous.

Vous souhaitez nous soutenir et nous aider à étendre nos actions en faveur du court métrage ? N’hésitez plus, rejoignez le Cercle de nos Mécènes !

Pour adhérer à l’association Format Court et bénéficier de nombreux privilèges (comme assister à des soirées privées, rencontrer des professionnels, remporter des DVD et découvrir des films en avant-première), nous vous invitons à télécharger et remplir notre bulletin d’adhésion accompagné de votre règlement à l’ordre de Format Court, 269 rue des Pyrénées, 75020 Paris.

Vous pouvez également régler votre adhésion par virement bancaire (RIB téléchargeable ici) en précisant bien l’objet « Adhésion Format Court 2017 » et en nous envoyant impérativement votre bulletin d’adhésion rempli.

Merci par avance !

En cas de question, n’hésitez pas à nous contacter. Nous nous ferons un plaisir de vous répondre.

L’équipe de Format Court

La Ville s’endormait de Thibault Le Goff et Owen Morandeau

Fiction, 17′, 2015, France, Association Equinok Films

« Un film qui sert à rien », « De la provoc’ pour provoquer », « Difficile d’associer le mot culture et le court métrage La Ville s’endormait ». Voici un aperçu des titres honorifiques que s’est attribué La Ville s’endormait, premier court métrage du duo Owen Morandeau et Thibault Le Goff. C’est que le film a du goût et de l’odeur, celui de rouge à lèvre bon marché et celle de la bière séchée. La Ville s’endormait, c’est aussi un décor, Saint-Brieuc. La préfecture des Côtes d’Armor dont sont originaires les réalisateurs/comédiens révèle ici une population noctambule et marginale repoussée dans d’obscurs troquets, dans des coins, dans des fourrés. Rappelant l’écrivain Charles Bukowski, Morandeau et Le Goff empoignent des éléments scabreux et sordides pour en extirper un suc, un nectar particulier. Les amateurs de fromages bien faits et de pâtés chauffés au soleil s’y retrouveront, si ça sent, c’est qu’c’est bon. Et même beau.

Synopsis : « Ma belle, je te croyais déjà morte. Je te l’aurais payé moi, ton calva. Je t’offrirai tous les calvas du monde. Je distillerai mon propre calva, et il portera ton nom, ma belle… »

La Ville s’endormait a été notamment remarqué dans le cadre du Festival du film de l’Ouest, avec une mention spéciale de la Presse. Le Festival, qui fait honneur au cinéma émergent de Bretagne, fêtera sa 8ème édition du jeudi 8 au dimanche 11 juin 2017 à Betton (près de Rennes) et d’autres lieux d’Ille-et-Vilaine.

Léo Dazin, membre du Comité de sélection du Festival et Président d’Equinok Films

Retour à Genoa City de Benoit Grimalt

Benoît retrouve sa grand-mère et son frère Tonton Thomas pour qu’ils lui racontent la série phare qu’elle suit depuis 1989, date de sa sortie officielle en France. Celle-ci – la plus ancienne encore en activité du monde télévisuel (sa première diffusion a eu lieu en 1973 aux États-Unis) – est Les Feux de l’amour.

Mémé et son frère tonton Thomas ne se rappellent plus très bien des plus des 3.000 heures de la vie trépidante de Victor Newman, Jack Abbott et consorts. “Alors Mémé, tu me racontes Les Feux de l’amour ?”

Par ces mots, Benoît Grimalt raconte, lui, une vie familiale, une histoire à travers une série TV qui a marqué plusieurs générations. L’histoire de la vie de sa grand-mère et de son tonton.

Benoît Grimalt, né en 1975, est tout d’abord photographe et un ancien des Gobelins. Il a été photographe pour le Festival de Cannes, est passé par le dessin et est également réalisateur. Véritable touche-à-tout, il est revenu cette année au Festival, non en tant que photographe mais en tant que réalisateur, pour présenter Retour à Genoa City, ce touchant moyen-métrage documentaire, parlant du passé et du présent avec comme entremetteur, la série Les Feux de l’amour. Le film, produit par la société de production entre2prises, a reçu le prix Illy du court-métrage. Une histoire qui raconte les origines italiennes de la famille du réalisateur puis du déménagement tour à tour en Algérie puis à Nice. Une famille pieds-noirs qui, au détour des péripéties de la vie, est venue “s’oublier” devant Les Feux de l’amour.

C’est une journée chez mémé et tonton Thomas, comme beaucoup d’autres, à Nice, sa vie méditerranéenne et sa chaleur. Frère et sœur n’ont pas une vie bien trépidante. Derrière leur rideau, protégés du soleil, ils attendent, ou bien ils oublient. Ils regardent Les Feux de l’amour depuis (trop) longtemps.

Pour les téléspectateurs non avertis de la série américaine, le réalisateur nous explique (fort heureusement) les détails et circonstances relativement ubuesques de cette série, qui auront tissé des liens incompréhensibles et absurdes tout au long des 40 ans de diffusion. 12 mariages, 10 comas, trois acteurs pour jouer le même personnage : à croire que les conventions scénaristiques sont passées de vie à trépas, entre quatre planches, six pieds sous terre.

Cette série, c’est comme un “troc”, raconte Benoît Grimalt dans son film en voix off, comme si la vie dans cet appartement n’existait plus et que les vies de Victor Newman et Jack Abbott remplaçaient celle de Tonton Thomas et de Mémé. Au début du film, la vie familiale de cette femme nous est inconnue, et l’on a envie d’en savoir plus. Confortés par leur petit intérieur, Mémé et tonton Thomas sont résignés, ils ne veulent pas forcément parler et répondre aux questions de Benoît Grimalt, pris par le feuilleton ou par la timidité de s’épandre, bien conscients qu’une caméra, portée par le petit-fils, les filment.

C’est au fur et à mesure que la série laisse place à une vraie histoire. Leur histoire. Celle d’Italiens émigrés en Algérie française à cause de la misère, puis ayant fui vers la France après la guerre d’indépendance d’Algérie en 1962. Une vie qui paraît être une “succession de rebondissements” pourrait-on dire, seulement au fil des années ces péripéties ne se passent dorénavant plus qu’au travers du petit écran, sur lequel ils se retrouvent tous les deux, tous les jours à 13h50, sur TF1, rendez-vous incontournable pour ces deux retraités. Peu à peu, les 3527 épisodes et leurs acteurs laissent place aux bien plus nombreux visages et aspects de la vie de Mémé et Tonton Thomas.

La nostalgie de l’Algérie, les photos anciennes, les personnages de leur passé, les amis, oncles et tantes, cousins et neveux. Lentement, les vies se mélangent, celle de Mémé et Tonton Thomas ou du cousin Blaise s’entrelacent avec celle de Victor, Brooke, Nicky, Sharon ou Jack. Les rôles s’inversent, eux aussi font partie intégrante de la série. Eux aussi, après tout, ont eu une vie pleine de rebondissements, celle d’une famille qui a vécu les guerres, la misère, la croissance et le plein emploi, puis le chômage et les nouvelles technologies. Rien à envier à Victor Newman et ses comparses. Puis les années passent, Mémé n’est plus là et la mélancolie s’invite dans l’appartement qui laisse passer encore de timides rayons de soleil au travers de rideaux qui auront bien camouflé les deux retraités de la vie extérieure. Une lassitude qui nous touche, exprimée par Tonton Thomas, puis les jours passent, les épisodes aussi.

Enfin, un regard vers le large, vers Capelle, Alger ou Naples. Nous sommes sur la baie de Nice. Victor Newman, personnage emblématique de la série, regarde avec le réalisateur/petit-fils, la mer. Vers une vie passé ? Une vie qui n’a pas été vécue ? Une vie peuplée de nostalgie que le cinéaste emprunte également, lorsqu’il documente certains passages par l’emploi de ses anciens films VHS tournés il y a 25 ans.

Derrière ce documentaire, on ne peut s’empêcher de ressentir une tristesse. Les Feux de l’amour ? Un feuilleton qui ne fonctionne que par la manipulation des esprits, l’accaparement des regards, l’enchaînement de drames, de morts, de comas et de pleurs. Le spectateur y est constamment en attente. Mémé et Tonton Thomas n’y coupent pas, ils sont là, assis, ils ne bougent pas. Ils attendent. Et les scènes de famille coupées, tournées en VHS il y a 25 ans, nous feraient presque croire qu’ils attendaient déjà.

Dans Les Feux de l’amour, pour le réalisateur, “l’histoire disparaît” au profit des émotions pour fidéliser le spectateur “et il ne reste que des visages” en gros plan. Benoît Grimalt prend à contre-pied ce code télévisuel et filme, malgré ces mêmes gros plans sur les visages de ces aïeux, les vies et les histoires de sa famille. Il tourne la caméra vers les spectateurs et montre que le visage des fidèles de la série à changé, que leurs spectateurs ont vieilli avec eux et emportent le souvenir d’une vie passé qui était trépidante et pleine de vie dont il ne restera, au final, que des cartons et des espaces vides. Tonton Thomas et Mémé nous touchent, nous rappellent nos grands-parents, nos mémés, nos pépés et nos tontons et leurs séries TV symboles d’un souvenir immatériel qui nous reste à jamais.

Clément Beraud

Consulter la fiche technique du film

Pour information, Retour à Genoa City sera projeté ce jeudi 8 juin au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) à l’occasion du Best of Cannes, en présence du producteur du film Damien Froidevaux

R comme Retour à Genoa City

Fiche technique

Synopsis : Mémé et son frère Tonton Thomas regardent le même feuilleton, tous les jours à la même heure, depuis 1989. Vingt ans après mon départ de Nice, je reviens les voir pour qu’ils me racontent les 3527 épisodes que j’ai manqués.

Genre : Documentaire

Durée : 29′

Pays : France

Année : 2017

Réalisation : Benoît Grimalt

Image : Benoît Grimalt, Damien Froidevaux

Son : Benoît Grimalt

Montage : Damien Froidevaux

Musique : Arnaud Gransac

Production : entre2prises

Article associé : la critique du film

Best of Cannes – Soirée Format Court – Jeudi 8 juin, 20h

Après plus de 5 ans de programmation, nos séances Format Court organisées tous les mois au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) font une pause méritée pour nous permettre de nous lancer dans un tout nouveau projet (surprise !).

Notre dernière projection Format Court aura donc lieu jeudi prochain, le 8 juin 2017 à 20h précises au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Nous espérons vous voir nombreux pour cette ultime séance – consacrée au dernier Festival de Cannes – et clôturer avec nous ces 5 années de films, de partages et de rencontres.

Pour l’occasion, un pot offert ponctuera cette soirée particulière, au cours de laquelle seront projetés quatre films français et étrangers sélectionnés cette année à Cannes.

Programmation

Najpiękniejsze fajerwerki ever (Les plus beaux feux d’artifice) de Aleksandra Terpińska. Fiction, 30′, 2017, Pologne, Munk Studio, Kino Polska. Prix Canal+ à la Semaine de la Critique 2017

Synopsis : Dans un monde contemporain, dans une ville européenne, trois amis, alors qu’ils font face à un conflit militaire, doivent revoir leurs plans pour le futur.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Paul est là de Valentina Maurel. Fiction, 25′, 2016, Belgique, Atelier de réalisation de l’INSAS. 1er Prix à la Cinéfondation 2017

Synopsis : Paul est là. Comme un retour en arrière, comme un fantôme qui sonne à la porte. Jeanne doit l’héberger, le laisser s’installer quelques jours. Il est là,mais ni Jeanne ni lui ne savent très bien pourquoi.

Retour à Genoa City de Benoît Grimalt. Documentaire,  29′, 2017, France, entre2prises. Prix Illy du court-métrage, Quinzaine des Réalisateurs 2017. En présence du producteur Damien Froidevaux

Synopsis : Alors Mémé, tu me racontes « les Feux de l’amour » ? Mémé ne se souvient plus trop. 5808 heures passées devant l’histoire d’une famille américaine. Il faudrait tourner la caméra vers les spectateurs pour montrer aux personnages de la série que leurs spectateurs ont vieilli avec eux.

Article associé : la critique du film

Kamen u ruci (A Handful of Stones) by Stefan Ivancić. Fiction, 15′, 2017, Serbie. Programmé à l’ACID. En présence de Vladimir Perisic (concepteur du programme « Acid Trip #1 »)

Synopsis : Ivica, un jeune garçon de 11 ans, erre avec ses amis dans les terrains vagues d’une ville industrielle. Amer et inquiet, il est sur le point d’apprendre la séparation de ses parents.

En pratique

Projection : 20h précises, accueil : 19h30
– Durée de la séance : 99′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Entrée : 6,50 €
RSVP : soireesformatcourt@gmail.com

A Gentle night de Qiu Yang

Après The World et Under the sun, le réalisateur chinois Qiu Yang réalise avec A Gentle night son troisième court-métrage, mais aussi un clip avec l’artiste Wet et des photographies visibles sur son site internet (http://www.whosqiuyang.com/). A Gentle night, son dernier film, qui vient de remporter la Palme d’or au festival de Cannes, approfondit les visions et les émotions troublantes de ses précédentes réalisations, en radicalisant encore d’un pas ses processus narratifs. Le résumé est simple : un couple a perdu sa fille, et la mère part à sa recherche tandis que son mari va se coucher.

Le drame originel qui structure les films de Qiu Yang surgit toujours dans les abysses d’une nuit atone et rouge, dont nous pouvons apercevoir tous les contours puisque l’élément déclencheur passe en hors-champ, nous sommes simplement mis face à ses brutales conséquences. Une accusation dans Under the sun, une disparition dans A Gentle night. La narration se résume à ce type d’évènement, qui devient comme un foyer sismique ébranlant tout le reste du déroulement.

Si Qiu Yang élabore cette construction, c’est d’abord par un refus radical du sensationnalisme. Pas d’enquêtes effrénées ni de courses-poursuites dans A Gentle night, juste une femme qui cherche dans une semi-errance sa fille disparue après une déposition à la police. Le réalisateur joue de ce contraste entre le calme désintéressé du policier, et plus tard d’autres personnages, par rapport à l’urgence sourde qui anime la mère. Le refus du spectaculaire n’est pas gratuit, il traduit un état des choses et de l’humanité.

Ainsi le drame est inscrit dans un cercle de banalités. Par exemple, dans la phrase que prononce le mari dans la voiture en rentrant du commissariat : «J’ai perdu mon briquet. Chaque fois que tu ranges, je ne retrouve plus mes affaires ». On devine l’expression interdite de la mère, ici filmée de dos, puisque ce décalage est arrivé peu de temps auparavant, lorsque le policier dit au couple de rentrer tranquillement chez eux. Une autre phrase, prononcée cette fois pendant le générique d’ouverture, résume le conflit. Le mari dit à sa femme en arrivant au commissariat: « Je parlerai, ne m’interromps pas ». La disparition de la fille ne change pas les êtres, ne rapproche pas le couple, et le mari reste profondément lui-même, avec sa légère supériorité auto-proclamée, et son indifférence, certes moins douloureuse que celle du policier, mais néanmoins intolérable pour la mère.

C’est là l’originalité profonde du cinéma de Qiu Yang : il n’y a rien qui ne change jamais, ni les êtres, ni la ville. La persistance du réel après que tout soit détruit pour la mère qui a perdu sa fille, voilà le motif qui irrigue chaque image: son désespoir intérieur n’a aucune prise sur la permanence du monde.

Ce pourrait être un constat trop théorique si le dispositif filmique du film ne collait pas exactement à ces émotions. Les personnages sont filmés dans des plans longs, fixes ou en légers travellings avant ou panoramiques. Ces trois figures composent chaque film, et Qiu Yang possède une véritable unité stylistique qui relient ses productions.

Dans A Gentle night, chaque cadrage ouvre une large part à l’environnement autour du personnage de la mère. Un peu comme dans les photos qu’on peut voir sur son site déjà cité, dans lesquelles l’individu est très souvent compris dans un espace plus large qui semble le dépasser. C’est ce qui lie la dimension esthétique à la dimension sociale, car les individus existent d’abord dans leur milieu. À chaque plan de A Gentle night, la caméra dévoile la spatialité d’un endroit : dans l’urgence contenue de sa recherche, la mère se heurte aux lieux calmes, déserts, fantomatiques du milieu de la nuit. La douceur des décors renvoie au titre du film, et à ce contraste toujours amer entre la perte qui laisse un vide profond et l’existence irrémédiable du monde.

Toujours sur son site, Qiu Yang cite Bresson qui disait : « Fais apparaître ce qui sans toi ne serait peut-être jamais vu ». Pour le réalisateur chinois, cette espèce d’impératif éthique formulé dans les Notes sur le cinématographe passe artistiquement par un élargissement des perspectives, une ouverture sur ce qui entoure les personnages.

A gentle night est enfin une expérience de la durée : 14 plans pour 15 minutes de film, ce qui fait une moyenne d’une minute par plan en comptant le générique de début et de fin. C’est la temporalité d’un effondrement dans le désespoir. L’espoir, même minime, est contenu dans les quelques bruits de pas pendant le générique d’ouverture, des parents qui vont rencontrer un commissaire qui pourrait peut-être les aider. Mais la chute arrive rapidement lorsque le policier les renvoie chez eux, et l’espérance s’évapore petit à petit dans le temps long des plans pour laisser apparaître la totale nudité du réel.

Ainsi, le dernier plan, où la mère apparaît derrière un rideau transparent entre deux murs noirs, ancre définitivement l’attente, l’écrasement d’une mère brisée par l’impuissance, et la stérilité polie des administrations qui, de la police à la morgue, ne peuvent rien pour combler l’urgence indéterminée d’une mère qui vient de perdre sa fille. Plus d’espoir possible, simplement un espace-temps qui subsiste et une douleur qui dure.

Thibaud Fabre

Consulter la fiche technique

G comme A Gentle night

Fiche technique

Synopsis : Dans une ville chinoise sans nom, une mère dont la fille a disparu, refuse d’avancer doucement dans la nuit douce.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Chine

Année : 2017

Réalisation : Qiu Yang

Scénario : Qiu Yang

Image : Constanze Schmitt

Son: Zhu Mei, Livia Ruzic, Mikko Quizon

Montage : Carlo Francisco Manatad

Interprétation: Li Shuxian

Production : Wild Grass Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Qiu Yang

L’autre Palme d’or

Plus de mystère. La Palme d’or des courts métrages du 70ème Festival de Cannes a été attribuée ce soir à Xiao cheng er que (Une nuit douce) du réalisateur chinois Qiu Yang. Le film a été distingué par Cristian Mungiu et son Jury parmi les 9 films en compétition.

En pleine écriture de son premier long-métrage à la Résidence de Cannes, Qiu Yang a réalisé en 2015 Sous le soleil (Ri Guang Zhi Xia), en sélection à la Cinéfondation l’an passé et ayant fait l’objet d’une critique sur notre site web.

En parallèle à Xiao cheng er que, le Jury cannois a également décerné une Mention spéciale au court métrage Katto (Le plafond) du réalisateur finlandais Teppo Airaksinen.

Quinzaine des Réalisateurs, Prix Illy du court métrage 2017

Pour mémo : la Quinzaine des Réalisateurs est une section non compétitive, mais certains de ses partenaires attribuent des prix lors de la cérémonie de clôture, qui a eu lieu hier soir. Sur les différents prix remis, l’un est consacré au court métrage via la marque de café Illy.

Le jury 2017 a distingué cette année Benoit Grimalt pour son court-métrage Retour à Genoa City produit par entre2prises.

Synopsis : Mémé et son frère Tonton Thomas regardent le même feuilleton américain, tous les jours à la même heure, depuis 1989. Vingt ans après mon départ de Nice, je reviens les voir pour qu’ils me racontent les 3527 épisodes que j’ai manqués.

Pour info, Benoît Grimalt, par ailleurs photographe et dessinateur, a également réalisé Not all fuels are the Same produit également par entre2prises, visible ci-dessous.

 

Semaine de la Critique, le palmarès côté courts

Et hop ! Premier palmarès à être rendu à Cannes, celui de la 56ème Semaine de la Critique, décerné hier soir. Du côté des courts, deux films ont été primés par le Jury et les partenaires.

Le Jury de la Semaine a récompensé du Prix Découverte Leica Cine du court métrage le film espagnol Los Desheredados (Les Déshérités) de Laura Ferrés.

Synopsis : Los Desheredados dresse le portrait du père de la réalisatrice, Monsieur Ferrés, confronté à la perte de son entreprise familiale. Le manque d’argent le pousse à faire le chauffeur pour des enterrements de vies de garçons. Alors que des clients détruisent sa voiture, il refuse de perdre sa dignité.

Le Jury Canal+ a choisi de son côté le film polonais Najpiękniejsze fajerwerki ever de Aleksandra Terpińska, évoqué ces derniers jours sur notre site.

Synopsis : Dans un monde contemporain, dans une ville européenne, trois amis, alors qu’ils font face à un conflit militaire, doivent revoir leurs plans pour le futur.

Queer Cannes

À qui seront remis les prix de la Queer Palm cette année ? Verdict prévu ce samedi. En attendant, faisons état des enjeux LGBT++s au 70e Festival de Cannes. Ceux-ci sont de taille, malgré la discrétion des images — et des plumes — qui se risquent à en témoigner. Outre les longs-métrages (dont le splendide film de Robin Campillo, 120 battements par minute, en compétition officielle), figurent des œuvres courtes, relativement délaissées par l’attention générale. Aussi ne bouderons-nous pas notre plaisir de parler de ces films à l’esthétique souvent plus libre, qui développent des poétiques singulières et prometteuses. Où en est-on des aspirations politiques relatives à l’inclusion de formes d’amour qualifiées à tort de “minoritaires” ? En quoi l’excès, arbitrairement et volontairement attribué à des rapprochements souvent disjoints d’une norme encore excluante, se voit-il repris, nourri, interrogé, voire universalisé par les films ? Telles sont les deux questions qui nous serviront de phares aiguillant nos analyses dans cette eau (souvent glacée) que constitue la programmation cannoise, d’où émergent des îlots de chaleur inattendue et communicative.

Mauvais Lapin

Rêveries gays (et tristes)

Rien ne sert de tout dire, il faut rêver à point. Ce ne sont pas les deux courts métrages montrés en séances spéciales à Semaine de la Critique, Mauvais Lapin (Coelho Mau) de Carlos Conceição et Les Îles de Yann Gonzalez, qui viendront contredire cette équation. L’un et l’autre ont en effet pour point commun de développer un onirisme gay, foisonnant et sylvestre. Adoptant un genre fantasque et ouvert sur une mythologie millénaire, Mauvais Lapin campe dans un château isolé au Portugal, situé en bordure de forêt. Il relate l’histoire intemporelle d’une jeune fille affaiblie par une maladie pulmonaire (Julia Palha) qui s’apprête à connaître ses premiers émois sexuels. Mais cette trame générale dissimule surtout la réalité d’une passion masculine, nourrie par le frère de la protagoniste (João Arrais) envers l’amant de sa mère. Le personnage du frère, récalcitrant aux ordres d’une marâtre insatiable, apparaît affublé d’un bonnet de lapin. La défloration hétérosexuelle finale, fruit d’un don du frère à la sœur, est l’aboutissement d’une quête homoérotique évidente. Les corps masculins y sont constamment exaltés dans une atmosphère en clair-obscur punk. Le film est également sous-tendu par le fantasme sexuel attribué au personnage français (Matthieu Charneau) qui est décrit comme la figure libidinale corvéable à merci — passant du lit de la mère irascible à celui de la divine et pitoyable pucelle, sous le regard envieux du frère. Le désir ainsi légué par solidarité, observé par procuration, qu’on qualifierait d’inaccompli plutôt qu’inassouvi, laisse moins planer une frustration qu’une forme de détresse, confinant à une douce tristesse.

Le caractère légendaire de ce Mauvais Lapin l’inscrit dans une époque intemporelle (même si la présence d’une moto et de billets de banque fait jaillir par moments une attache au présent), à l’inverse des Îles de Yann Gonzalez dont l’aspect mythologique revêt directement un caractère plus politique. Comme souvent chez ce cinéaste, c’est à partir d’une convention spatiale que les désirs jaillissent et c’est dans le déplacement de ces désirs — leur « communication » — qu’il faut comprendre la densité politique mise en jeu. On se souvient évidemment que son premier long-métrage, Les Rencontres d’après minuit (2013), avait lieu dans un espace unique, exclu du monde, lieu où les fornications étaient un prétexte à une réflexion sur ce qui forme la source du plaisir et l’identité. Les Îles ont d’emblée quelque chose de plus atomisé, figurant un archipel où se distinguent régimes de vérité (rêve/réalité), environnements dont les seuils résistent à toute mathématique (scène de théâtre/place et parc publics/chambre d’adolescente), et sphères d’appréhension (visuelle/sonore).

Les Îles

Le cinéaste pose d’emblée avec adresse la question de l’attrait du laid, et Bertrand Mandico doit être dûment félicité pour avoir créé une créature aussi repoussante qu’attrayante, à la façon de Carlo Rambaldi pour le film Possession d’Andrzej Żuławski — créer un monstre avec lequel on fait l’amour. La deuxième question, c’est celle de l’écriture du désir (le plaisir reste hors-champ ou bord-cadre) : suppose-t-elle la réécriture d’une mémoire trouble (la réclusion dans les parcs, où chaque tronc cache un amant possible, remplaçant le droit à l’amour domestique), figurée ici sur un mode mythologique ? Peut-il s’enregistrer et s’écouter sur une bande magnétique ? Ce sont des réactions en chaîne auxquelles le spectateur participe, et rapidement une évidence nous assaille : c’est moins de la nature de nos désirs qu’il s’agit (elle se définit indiscutablement en fonction de chaque personnage) qu’un partage stimulant de sensualités, impulsant des désirs sans cesse renouvelés à travers les projections du regard et les évocations sonores. De cette coulée étonnante, notre imaginaire curieux est fait. Et Yann Gonzalez parvient à nous placer devant un artisanat de la lubricité, pavé d’arbres et de phallus turgescents. Si on connaissait déjà les boîtes à musique, on pourrait dire que le film forme une boîte « de nuit » d’un nouveau genre. Ou mieux : une boule de neige dont chaque flocon en plastique annoncerait un avenir de passion douce-amère.

Mais derrière le mécanisme libidinal dessiné par le film (les acteurs du désir deviennent le modèle du plaisir d’un couple, ce dernier devenant le modèle du plaisir d’autres personnages, etc., etc.), se trame clairement un enjeu politique : l’inclusion du plaisir homosexuel en tant qu’elle résulte d’un changement de perspective. Cela demande explication. En effet, le film trace une trajectoire qui débute auprès d’un couple hétérosexuel faisant l’amour sur une scène de théâtre, bientôt rejoint par le « monstre », puis nous suivons un couple ayant assisté à la pièce (composé d’un homme et d’une femme transexuelle), ce couple décide de faire l’amour dans un parc, où ils sont vus par une dizaine d’hédonistes échaudés parmi lesquels jaillit une jeune femme-reporter qui se sert d’un magnétophone-enregistreur à cassette pour capter les paroles et les soupirs, laquelle ensuite réécoute dans sa chambre les sons comme support à un plaisir solitaire. Plus qu’une inclusion, c’est à une propagation infinie du désir dont nous sommes témoins. Une façon peut-être de désamorcer des siècles de pathologisation de l’homosexualité ? Et de retourner par l’imag(inair)e l’argument de “contamination” dont les homosexuels seraient les pourfendeurs démoniaques (idée renforcée au moment de l’épidémie du SIDA) ? Supputons.

Il semblerait bien que le film, toutefois, illustre point par point la théorie de l’inversion de la question homosexuelle, développée par Éric Fassin à la fin des années 1990 : ce n’est plus depuis la norme que l’homosexualité est perçue (en tant que « marge »), mais bien depuis la minorité elle-même que l’homosexualité se définit désormais et peut éclabousser les schémas normatifs imposés. La fin du film indique une nouvelle étape du processus : l’homosexualité serait-elle devenue un/le modèle, à défaut de ne jamais devenir la norme ?

(Heureuse) Tragédie lesbienne

Les plus beaux feux d’artifice

De la simultanéité entre (homo)sexualité et contexte politique oppressant, il en est question dans le court métrage polonais Les plus beaux feux d’artifice (Najpiękniejsze fajerwerki ever, Semaine de la Critique) d’Aleksandra Terpińska, récompensé hier soir du Prix Canal + du court-métrage. Inscrit dans un contexte à la fois réaliste (dans la Varsovie contemporaine) et fantasque (la ville est à feu et à sang, soumise à des conflits militaires), la jeune cinéaste décide de traiter ensemble deux réalités qui ne se conjuguent que par défaut : la réalité vitale du plaisir et de la communion, d’un côté, et de l’autre, la réalité arbitraire d’une mort annoncée. Plus précisément, le film suit trois personnages : Ju (jouée par la fascinante Justyna Wasilewska), Anna (Malwina Buss) et Jan (Piotr Polak). Ils sont décidés à s’adonner aux plaisirs jusqu’au bout. Si le film rend compte des ultimes moments de ce trio, représentant des proies à une délirante situation de guerre ininterrompue dont on ne connaîtra ni les opposants ni le sens, c’est plutôt sur les relations humaines et amoureuses qu’il se concentre. Il commence d’ailleurs dans un lit, où se prélassent Ju et Anna. Elles ont visiblement passé la nuit ensemble. Elles jouent, s’embrassent, s’aiment. L’idée selon laquelle faire l’amour avec une fille pour une fille, ce n’est pas vraiment être infidèle à son copain, advient dans le dialogue comme un argument usuel. Comme une sorte d’hypocrisie quotidienne (en temps de guerre) ou d’auto-homophobie banalisée que la cinéaste Aleksandra Terpińska restitue avec un naturel déroutant. La cinéaste s’intéresse ici moins à la sexualité en tant que telle qu’à l’intimité qui surgit à tout moment, maintenant entre les personnages une solidarité indéfectible, malgré l’environnement martial et malgré ce que la norme officiellement définit.

La première séquence fait écho à la dernière, durant laquelle Ju trouve Anna dans les bras de Jan : la situation s’est inversée, et la boucle est bouclée. Ou plutôt : la fluidité du désir a poursuivi son inter-minable cheminement. Les trois personnages se savent désirés les uns des autres, et de ce fait, ils semblent promis à l’infidélité. Car rien ne leur permet, en revanche, d’imaginer de faire l’amour tous les trois. Étrange schéma alla polacca : l’amour correspond au chiffre 2, la solidarité, elle, se confondra avec le chiffre 3. Ce sera donc à trois qu’ils attendront la fin. Le choix de conditions “plaisantes” pour mourir semble prévaloir sur tout le reste. La tragédie (en partie lesbienne) doit être vécue de façon heureuse, mais aussi comme un passage détaché d’un contexte culturel. L’amour, sous la forme qu’on veut, est-il devenir la condition même d’une mort migrante, correspondant aux immigrés que nous sommes tous devenus ? Étrange question, oui. À ce moment-là, on ne peut s’empêcher de réfléchir à l’équation inextricable propre au monde contemporain dont les trois termes principaux seraient : sexualité, immigration et terrorisme.

Transition au creux du corps

C’est depuis les Balkans, que l’on considère peut-être à tort comme l’une des régions les plus défavorables en Europe à l’égard des populations LGBT++s, que nous viennent deux courts métrages bouleversants : le serbe Transition (Tranzicija, Acid Trip #1) de Milica Tomović et le croate Les Cerises (Trešnje, Quinzaine des Réalisateurs, Compétition CM) de Dubravka Turić.

Transition

Dans Transition, Milica Tomović nous raconte le départ d’une jeune femme prénommée Jana. Celle-ci a décidé de partir étudier aux États-Unis. Elle dit adieu une à une aux personnes qui la chérissent : sa petite amie, son meilleur ami, etc. Mais rapidement la cause officielle du départ se craquelle comme un tissu de glaise au soleil : Jana part en fait aux États-Unis pour changer de sexe, pour devenir un homme. Elle n’a partagé ce secret qu’avec sa tombe de sœur. Sur le plan narratif, le film est relativement simple. C’est son traitement qui en fait une œuvre immanquable : l’image capte ce qu’il reste des relations bientôt déchirées, caresse les corps et leurs déplacements minimes, s’introduit dans les excès confondus avec des manquements. C’est à partir de gestes microscopiques que se dessine un désarroi macroscopique. Subtilement, quoique centré sur la protagoniste, le film cesse de questionner les sentiments de celle qui part pour s’intéresser à ceux qui, autour d’elle, vont rester. De la question : « Comment dire au revoir quand on s’en va ? », on passe à un autre, plus troublante : « Comment quitter quelqu’un qui part ? ». La problématique est d’autant plus prégnante que dans le cas présent, il s’agit de faire indirectement le deuil non pas de la personne, de sa présence physique, mais de l’apparence dont elle décide — le départ n’étant qu’un moyen — de se défaire. Pourquoi ? Pour être elle/lui-même. Justement.

Cette transition en forme de prise de conscience, on la retrouve sous une autre forme dans Les Cerises de Dubravka Turić. Le film retrace, en effet, la trajectoire d’une famille dont l’homophobie latente ou affichée produit une situation des plus terribles : la perte d’un enfant. Elle est d’autant plus insupportable que le point de vue duquel nous suivons l’histoire est celui d’un petit garçon de huit ans (dont le frère aîné est homosexuel) et que le nœud de l’intrigue (la fugue du frère et la découverte de sa dépouille) se fera hors-champ. Ici rien n’est bord-cadre : derrière la belle clarté du récit que nous raconte le petit garçon, et les situations par lesquelles on traverse, il y a un gouffre d’ignorance et de violence. La mise en scène épouse donc cette radicalité arbitraire. Ce que nous verrons à travers les yeux du plus jeune frère est le fruit d’un secret, c’est la partie visible d’une réalité que les autres membres de la famille semblent avoir décidé, sans même l’évoquer vraiment, de nier.

Les Cerises

Or, cette négation, contre les tentatives de signification du jeune frère à l’égard de son aîné (trouvant dans son regard deux intermédiaires : un tatouage et une paire de chaussures rouges), atteint donc la vie même de l’homosexuel. Le constat est sans appel, mais sans raison valable non plus : l’aîné a entrepris de fuguer avec son petit ami, et on les a retrouvé morts. Dubravka Turić évite à tout prix d’en faire ainsi une tragédie, pour ne garder présente que l’acuité d’un petit garçon à travers lequel surgit le pathétique du rejet familial. Film sur l’aveuglement, il se termine d’ailleurs sur des larmes qui jaillissent au moment même où le jeune frère, en rentrant de l’enterrement, bouche de ses mains la vue du père conduisant la voiture. On pleure alors d’un regret étrange : n’avoir pas su voir. Œuvre abordant l’homophobie latente, Les Cerises est sans doute le film le plus émouvant de cette quinzaine cannoise. Nous aurons bien du mal à oublier le cerisier, près du lieu où se voyaient les amoureux et signe de la connivence entre le cadet et son aîné, et sur lequel le jeune protagoniste a pendu désormais deux paires de chaussures. Pour rien au monde, le vent ne les emportera.

Pour conclure ce rapide (et incomplet) état des lieux des enjeux relatifs aux populations LGBT++s dans les courts-métrages montrés au Festival de Cannes cette année, il faut dire deux choses. D’un côté, les films donnent le signal que le combat social et politique est loin d’être terminé en ce qui concerne la possibilité d’une union homosexuelle. La réalité ne contredit pas cette position, et la situation actuelle en Tchétchénie en offre l’exemple manifeste. Les films traitent en particulier de cette période normalisante et rebelle qu’est l’adolescence, pendant laquelle l’abnégation tragique l’emporte toujours sur le renoncement pathétique. D’un autre côté, ces films répondent finalement moins à l’idée d’“hypothèse répressive” (dont Michel Foucault lui-même questionne la pertinence) qu’à l’idée précieuse d’“inventivité relationnelle” (à distinguer de la “fluidité” chère à Zygmunt Bauman), visant non seulement à trouver constamment des formes nouvelles d’amour tout en valorisant un rapport flexible avec les mots et les identités que chacun se choisit (face au pouvoir) pour se définir. C’est d’ailleurs dans cette brèche que le cinéma aurait raison de continuer de chercher, participant ainsi à l’intégration dans l’imaginaire de sociabilités queer comme un cadre investi, mythique et sans cesse singularisé. Ces films en sont des preuves tangibles et stimulantes.

Mathieu Lericq

My Josephine de Barry Jenkins

Fiction, 9′, 2003, États-Unis, Florida State University

Synopsis : Aux Etats-Unis, Aadid travaille de nuit dans une laverie. Suite aux événements du 11 septembre, le nettoyage des drapeaux américains est gratuit. Aadid est amoureux de sa collègue Adela, qu’il considère, en fin connaisseur de Napoléon qu’il est, comme « sa Joséphine ».

Membre du Jury de la Cinéfondation et des Courts Métrages de la 70e édition du Festival de Cannes, Barry Jenkins, oscarisé cette année pour Moonlight, a réalisé plusieurs courts-métrages dont certains sont des commandes. La plupart d’entre eux se trouvent sur le net (on vous laisse les découvrir).

À la veille de la remise des prix des films d’écoles à la Cinéfondation, nous vous invitons à découvrir My Josephine, le premier court-métrage de Barry Jenkins qu’il a réalisé il y a plus de 10 ans, alors qu’il était encore étudiant à la l’université d’État de Floride. Ce film de jeunesse, qu’il décrit comme « son préféré » sur sa page Vimeo, a été écrit peu après le 11 septembre. Il sera réalisé en 2003.

Dans une laverie, une jeune homme, Aadid, tombe amoureux de sa collègue Adela. Elle est à ses yeux le véritable amour, la « Joséphine » de Napoléon. Ensemble, ils nettoient gratuitement des drapeaux américains après les attentats de septembre 2001 au nom de l’effort patriotique, ce qui ne représente pas trop de travail car « ce qui ne touche jamais le sol ne devrait pas être sale ».

À l’époque du film, Barry Jenkins expérimente les tournages et fait la connaissance de son futur chef opérateur James Laxton qui l’accompagnera sur ses projets futurs dont bien sûr Moonlight. Le sens de la narration, la sensibilité et l’esthétique de ce court se retrouveront d’ailleurs dans son dernier long-métrage. Dans cette toute première chronique, on aime tout particulièrement les ralentis, les flous, les mains dans l’eau et les plans de machine à laver, accompagnés par une B.O. sympa et éclairée.

Katia Bayer

Crème de menthe de Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné

Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné, cinéastes québécois, reviennent à la Quinzaine des Réalisateurs avec leur dernière production, Crème de menthe, deux ans après la sélection de leur court métrage Bleu Tonnerre.

Renée, la vingtaine, voyage à Saguenay (Québec) où elle a grandi, mais où elle n’était pas retournée depuis longtemps, pour assister aux funérailles de son père. Elle y apprend qu’elle n’a que six jours pour vider la maison du défunt et entame alors une semaine de travail acharné pour se débarrasser des tonnes de cassettes, vinyles, vêtements, objets en tous genres qui se sont entassés dans une maison où rien ne semble avoir été jeté depuis des années. Ce travail colossal en un laps de temps très court est cinématographiquement rythmé par un carton montrant chaque jour qui défile. Le spectateur, comme Renée, ressent le passage du temps comme un poids ; la tension est lourde face à cette maison qui paraît toujours aussi pleine et la date butoir qui approche. Cette sensation est renforcée par la quasi solitude de Renée dans ce huis clos étouffant, manquant d’espace et de lumière.

Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné travaillent ensemble depuis bientôt dix ans et se sont essayés avec brio à plusieurs genres et formats : documentaire, fiction, courts métrages, séries. Leur sensibilité pour le documentaire se retrouve dans leur façon de filmer Crème de menthe. La caméra est souple, elle se fait oublier dans les méandres de cette maison ultra chargée. La photographie est sobre, paraît naturelle, sans artifice.

Le film est porté par Charlotte Aubin, actrice confirmée, dont le personnage est traversé par plusieurs émotions tout au long du film. Au départ plutôt froide, elle semble supporter la mort de son père mieux que quiconque. Son sarcasme face à la situation montre une jeune femme emplie de colère envers son père et le monde. Cette tristesse qu’elle semble avoir emmagasinée en elle la rend tout de même attendrissante. En effet, progressivement, son visage s’adoucit, on la sent se rapprocher de la mémoire du disparu. Plus la maison se vide, plus les souvenirs et la tendresse s’emparent d’elle et sa colère semble se transformer en mélancolie. Jusqu’à la séquence finale où elle rend un dernier hommage touchant à son père ; qui donne son titre au film, Crème de menthe.

Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné, maintes fois reconnus en festival ou à la télévision tout au long de leur parcours, signent avec Crème de menthe un court métrage simple et fort. Se retrouveront dans le personnage de Renée ceux qui, comme elle, ont fait face à une maison pleine de souvenirs à vider après un décès.

Zoé Libault

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C comme Crème de menthe

Fiche technique

Synopsis : Suite au décès de son père, Renée revient au Saguenay pour les funérailles. Obligée de vider la maison du défunt, elle découvre un fouillis inouï. Son père était un collectionneur compulsif. Dans les six jours qui suivent, elle tentera de découvrir sa trace à elle au milieu de ce désordre.

Genre : Fiction

Durée : 21’

Pays : Canada

Année : 2017

Réalisation : Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné

Scénario : Philippe David Gagné & Jean-Marc E.Roy

Image : Olivier Gossot

Son : Christian Rivest

Décor : Serge Potvin

Montage : Philippe David Gagné, Jean-Marc E.Roy

Musique : Dragos, Mériol Lehmann, Érick d’Orion

Interprétation : Charlotte Aubin, Fred-Éric Salvail,Guillaume Ouellet, Macha Limonchik

Production : La Boite de pickup

Article associé : la critique du film

Vendeur de Sylvain Desclous

Il y a un an, Sylvain Desclous signait avec Vendeur son premier long-métrage, après une série de courts-métrages dont les deux derniers avaient été particulièrement remarqués : en 2012 pour Le Monde à l’envers, qui avait remporté, entre autres, le Prix Format Court en 2012 au Festival de Vendôme; et en 2014 pour Mon héros, en lice pour les Cesar.

Produit par Florence Borelly de Sésame Films, qui avait déjà produit ses deux derniers courts-métrages, et distribué par Bac Films, Vendeur raconte la relation conflictuelle de Serge, interprété par Gilbert Melki, avec son fils Gérard, joué par Pio Marmaï, sur fond de vente de cuisines.

Dans Vendeur, Sylvain Desclous continue d’explorer les thèmes qui traversent ses courts-métrages. En tout premier, la cellule familiale décousue, les membres d’une famille éclatée qui tentent de nouer une relation. Il y avait la mère et le fils dans Le Monde à l’envers et les deux frères dans Mon héros, c’est maintenant le duo père-fils qui est développé. À chaque fois, le réalisateur évite le piège de réconciliations trop simplistes pour une ambiguïté qui se révèle parfois douloureuse. Il faut néanmoins noter que cette ambiguïté fonctionne mieux dans les deux courts-métrages cités que dans Vendeur, qui obéit davantage à une trame narrative classique, peut-être plus prévisible par certains aspects.

L’autre thème décisif est l’observation du milieu professionnel des individus. Chaque personnage dans le cinéma de Desclous est d’abord caractérisé par la fonction qu’il exerce dans la société. Chacun doit jouer un rôle, endosser un costume, comme Yan (Guillaume Viry) dans Mon héros avec son costume de poulet. Mado (Myriam Boyer), caissière dans Le Monde à l’envers refuse de porter un costume qu’elle trouve ridicule. Les personnages sont donc caractérisés en ce qu’ils acceptent ou refusent de se mouler sur ce que la société souhaite obtenir d’eux, sur les moyens qu’ils vont, chacun de leur côté, trouver pour éviter de se laisser ronger par le travail.

Vendeur élargit en quelque sorte le champ d’investigation puisque les lieux de la vie professionnelle occupent une place importante. Le parallèle entre zones industrielles, commerciales et l’authenticité naturelle de la campagne, constitue une opposition centrale. Serge, personnage principal du long-métrage, est tiraillé entre la campagne et les zones où il travaille, Gérald entre les non-lieux de sa nouvelle vie professionnelle et la maison de son foyer familial. Chaque individu évolue dans un milieu qui le détermine. C’est ce que Sylvain Desclous explore dans toutes ses réalisations, puisque déjà dans Le Monde à l’envers, Mado quitte le supermarché terne pour l’environnement rural de la maison du fils (Vincent Macaigne).

Au cœur de ces thèmes, Vendeur fonctionne donc comme une variation, qui n’engage a priori aucune différence de format. On peut alors poser la question : pourquoi le passage du court au long-métrage ?

D’abord l’existence peut-être un peu plus concrète de personnages secondaires. Serge et Gérald sont autant déterminés par leur environnement que par les personnages qui gravitent autour d’eux. Le conflit familial implique alors d’autres enjeux, professionnels, économiques. Tout ceci noue une intrigue plus élaborée narrativement que celle des courts-métrages de Sylvain Desclous, avec des rebondissements. Pourtant, subsiste la sensation d’avoir perdu en route ce qui faisait le mystère de Mado ou de Thierry, mère et fils dans Le Monde à l’envers, qui se donnait davantage comme un fragment de vie. Vendeur laisse moins de place au non-dit, au hors-champ, au spectateur peut-être. La fin des courts-métrages était une porte grande ouverte, celle de Vendeur reste à peine entrebâillée. C’est probablement dû aux contraintes du long-métrage, qui impose une résolution plus claire que celle des courts-métrage, le spectateur ayant plus le temps de s’attacher aux personnages. A la fin d’un film comme Vendeur, il faut que les destins soient fixés, tandis que le court permet le flottement, l’indécision.

Néanmoins, ce constat n’enlève rien ni au travail méticuleux qu’opère Sylvain Desclous sur son sujet principal, la réalité sociale, ni à la singularité de ses héros qui en définitive, restent seuls. C’est que malgré leurs trajets filmiques de luttes et de réconciliations, subsiste une distance entre les êtres.

Thibaud Fabre

 

Les Enfants partent à l’aube de Manon Coubia

Lignages montagnards

De nombreux courts métrage sélectionnés à Cannes cette année racontent un départ ou une fuite, une trajectoire nécessaire vers l’étranger, une transition horizontale vers un ailleurs indéfini. Citons au hasard le pudique Ela – Esquisses d’un adieu (Ela – Szkice na Pożegnanie, Semaine de la Critique) du très jeune cinéaste allemand Oliver Adam Kusio, le troublant Transition de la serbe Milica Tomović (ACID), ou encore le bouleversant Les Cerises (Trešnje, Quinzaine des réalisateurs) de la croate Dubravka Turić. Mais la notion de départ n’implique pas forcément l’éloignement géographique, il indique plutôt un changement de vie, une émancipation possible qui supposerait une verticalité.

C’est sur cette pente, tantôt douce tantôt rugueuse, que glisse le dernier opus de la réalisatrice Manon Coubia : Les Enfants partent à l’aube. Originaire de Thonon-les-bains, la talentueuse cinéaste avait déjà convaincu la presse avec des premiers pas aux allures de sommet. Le film s’appelait L’Immense retour et il a été récompensé par le Léopard d’or à Locarno en 2016. Cette fois-ci, il s’agit de rendre compte d’une déchirure, dont le deuil semblait illusoirement avoir été consommé. Une mère (Aurélia Petit), habitant en hautes montagnes, reprend contact avec son fils (Yoann Zimmer). Ce jour-là le jeune homme devient, le temps d’une cérémonie officielle, membre d’une troupe d’élite de l’armée française. Une mère, ça ne se résout pas à laisser partir sa progéniture, ça redoute les dangers, même lorsque l’enfance est déjà loin. Difficile de faire du film le portrait à distance d’une quadragénaire tant l’impression rendue par les situations est celle d’être auprès d’elle, à ses côtés, proche d’un désespoir qui ne prend pas forme. Un film avec elle, criant de malaise enfoui sous la neige.

Je suis venu te dire que je m’en vais (à la guerre)

Un fils qui part constitue la tragédie maternelle par excellence, même lorsque la mère en question semble avoir volontairement choisi de se terrer seule dans une maison presque recluse, loin de tout. Cet indépassable et terrible état n’est que la première étape d’une longue série, faite de départs et de retours, de retrouvailles et de nouveaux adieux. Les Enfants partent à l’aube raconte l’un de ces événements : un matin enneigé, alors que la vieille voiture manque de tomber en panne, Macha quitte sa maison pour l’hôpital où elle travaille. Sur le chemin, ce n’est pas un chevreuil qui manque de s’étaler sous ses roues mais son fils de dix-sept ans. Commence alors un trajet automobile où les deux personnages font mine de refuser une familiarité dont, une fois investie, il serait trop dure de se défaire. La retenue est donc préférée à toute effusion sentimentale. À travers le détachement naît une tension étonnante, qui ne se résume pas à un tiraillement contrôlé, à un conflit psychologique. L’enjeu mêle émotion et éthique : pourquoi se revoir s’il s’agira bientôt de se quitter ? Pourquoi, sous les ors de la République, exposer une fierté en guise de porte-drapeau dissimulant la crainte d’une mort possible, sinon prévisible ?

Si la déchirure mère-enfant et l’éventualité détestable d’une mort prochaine constituent les deux premiers piliers de cette fiction résolument vallonnée, le troisième enjeu engage le récit vers l’objet d’un malaise d’un autre ordre : la relation amoureuse que son fils entretient avec une jeune fille de la région (Emmanuelle Gilles-Rousseau). Macha sait que rien objectivement la relie à cette fille, que leur rapport n’existe que par l’intermédiaire du fils. Mais dès lors, toutes deux partagent malgré elles plus que la connaissance et la relative proximité d’un homme : elles sont comme tenues par le secret d’un amour impossible. L’indifférence mutuelle qui marque dans un premier temps leur rapport, perçue avec acuité par la réalisatrice, ne laisse présager que d’un rapprochement à marche forcée. Macha semble résolue à ne partager qu’une chose : le silence.

Suivre des lignes et des courbes

Si la première partie du film dépeint une descente dans la vallée, la deuxième partie elle, dessine la remontée dans les hauteurs. Ce second mouvement, jouant du hasard et de la nécessité, conjugue les trajectoires des deux femmes. La mère propose à la fille, habituée à faire de l’auto-stop, de la raccompagner chez elle. À partir de là, quelque chose devient clair pour le spectateur : le film vise à articuler des lignes et des courbes, un tissage de relations, qui par défaut ne trouvent pas refuge dans les mots. D’ailleurs, les deux femmes continuent d’utiliser essentiellement le regard comme modalité d’échange. Et ce qui semblait vertical, simple, était en fait transversal, plus complexe : chacun des deux personnages fuit l’autre pour se sauver. Mais de quoi ? Si les conditions d’une rencontre ne sont pas réunies, l’épreuve de leur rapport n’est sous-tendu par aucune curiosité, aucune volonté, aucune bienveillance. La caméra caresse les visages, évite de juger ce qui se passe; c’est à partir de cette humanité perturbée qu’on voit jaillir un néant d’aigreur. Jusqu’à la rupture. La jeune fille sort de la voiture. À ce moment-là, la transversalité devient une modalité esthétique : le champ visuel blanchi par la couverture hivernale est traversé par une ligne en diagonale, qui n’est rien d’autre qu’un chemin en arrière-plan que suit la jeune fille pour fuir, laissant la mère seule et désemparée.

Rien, dans la mise en scène de ce court métrage, ne relève de solutions de facilité. Le souffle de vent et les soupirs font partie d’une partition parfaitement cohérente. La montagne, par exemple, ne fait pas l’objet d’une esthétisation gratuite, qui formerait le soubassement utile à la territorialisation du récit. La démarche de Manon Coubia confine même à l’exact opposé : il s’agit de raconter une histoire provenant de l’espace lui-même, pour révéler les tiraillements internes d’une femme, son sens de la responsabilité et ses frustrations. On assiste à la mue d’une mère, vivant dans un espace-temps où la froideur apparente recouvre une chaleur inattendue. Notons d’ailleurs l’extraordinaire performance réalisée par Aurélia Petit, parvenant du début à la fin du film à demeurer sur un fil ténu, celui qui relie un doux charisme à une intense fébrilité. Si le monde des festivals en offrait l’option, c’est à cette actrice trop méconnue qu’on remettrait volontiers un prix d’interprétation féminine.

Mathieu Lericq

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E comme Les Enfants partent à l’aube

Fiche technique

Synopsis : Dans le brouillard matinal d’une route enneigée, un choc sur la voiture de Macha : c’est Mo, son fils de 17 ans, avec qui elle a coupé les ponts. A travers les montagnes, le fils entraîne la mère pour un dernier voyage ensemble. Aujourd’hui, Mo rejoint les chasseurs alpins, troupe d’élite de l’armée française.

Genre : Fiction

Durée : 23’

Pays : France

Année : 2017

Réalisation : Manon Coubia

Scénario : Manon Coubia

Image : Aurélien Py

Montage : Thomas Marchand

Son : Vincent Nouaille, Rémi Chanaud

Décors : Charlotte Martin-Favier

Musique : Aline Huber

Interprétation : Aurélia Petit, Yoann Zimmer, Emmanuelle Gilles-Rousseau

Production : Offshore

Article associé : la critique du film