Vendeur de Sylvain Desclous

Il y a un an, Sylvain Desclous signait avec Vendeur son premier long-métrage, après une série de courts-métrages dont les deux derniers avaient été particulièrement remarqués : en 2012 pour Le Monde à l’envers, qui avait remporté, entre autres, le Prix Format Court en 2012 au Festival de Vendôme; et en 2014 pour Mon héros, en lice pour les Cesar.

Produit par Florence Borelly de Sésame Films, qui avait déjà produit ses deux derniers courts-métrages, et distribué par Bac Films, Vendeur raconte la relation conflictuelle de Serge, interprété par Gilbert Melki, avec son fils Gérard, joué par Pio Marmaï, sur fond de vente de cuisines.

Dans Vendeur, Sylvain Desclous continue d’explorer les thèmes qui traversent ses courts-métrages. En tout premier, la cellule familiale décousue, les membres d’une famille éclatée qui tentent de nouer une relation. Il y avait la mère et le fils dans Le Monde à l’envers et les deux frères dans Mon héros, c’est maintenant le duo père-fils qui est développé. À chaque fois, le réalisateur évite le piège de réconciliations trop simplistes pour une ambiguïté qui se révèle parfois douloureuse. Il faut néanmoins noter que cette ambiguïté fonctionne mieux dans les deux courts-métrages cités que dans Vendeur, qui obéit davantage à une trame narrative classique, peut-être plus prévisible par certains aspects.

L’autre thème décisif est l’observation du milieu professionnel des individus. Chaque personnage dans le cinéma de Desclous est d’abord caractérisé par la fonction qu’il exerce dans la société. Chacun doit jouer un rôle, endosser un costume, comme Yan (Guillaume Viry) dans Mon héros avec son costume de poulet. Mado (Myriam Boyer), caissière dans Le Monde à l’envers refuse de porter un costume qu’elle trouve ridicule. Les personnages sont donc caractérisés en ce qu’ils acceptent ou refusent de se mouler sur ce que la société souhaite obtenir d’eux, sur les moyens qu’ils vont, chacun de leur côté, trouver pour éviter de se laisser ronger par le travail.

Vendeur élargit en quelque sorte le champ d’investigation puisque les lieux de la vie professionnelle occupent une place importante. Le parallèle entre zones industrielles, commerciales et l’authenticité naturelle de la campagne, constitue une opposition centrale. Serge, personnage principal du long-métrage, est tiraillé entre la campagne et les zones où il travaille, Gérald entre les non-lieux de sa nouvelle vie professionnelle et la maison de son foyer familial. Chaque individu évolue dans un milieu qui le détermine. C’est ce que Sylvain Desclous explore dans toutes ses réalisations, puisque déjà dans Le Monde à l’envers, Mado quitte le supermarché terne pour l’environnement rural de la maison du fils (Vincent Macaigne).

Au cœur de ces thèmes, Vendeur fonctionne donc comme une variation, qui n’engage a priori aucune différence de format. On peut alors poser la question : pourquoi le passage du court au long-métrage ?

D’abord l’existence peut-être un peu plus concrète de personnages secondaires. Serge et Gérald sont autant déterminés par leur environnement que par les personnages qui gravitent autour d’eux. Le conflit familial implique alors d’autres enjeux, professionnels, économiques. Tout ceci noue une intrigue plus élaborée narrativement que celle des courts-métrages de Sylvain Desclous, avec des rebondissements. Pourtant, subsiste la sensation d’avoir perdu en route ce qui faisait le mystère de Mado ou de Thierry, mère et fils dans Le Monde à l’envers, qui se donnait davantage comme un fragment de vie. Vendeur laisse moins de place au non-dit, au hors-champ, au spectateur peut-être. La fin des courts-métrages était une porte grande ouverte, celle de Vendeur reste à peine entrebâillée. C’est probablement dû aux contraintes du long-métrage, qui impose une résolution plus claire que celle des courts-métrage, le spectateur ayant plus le temps de s’attacher aux personnages. A la fin d’un film comme Vendeur, il faut que les destins soient fixés, tandis que le court permet le flottement, l’indécision.

Néanmoins, ce constat n’enlève rien ni au travail méticuleux qu’opère Sylvain Desclous sur son sujet principal, la réalité sociale, ni à la singularité de ses héros qui en définitive, restent seuls. C’est que malgré leurs trajets filmiques de luttes et de réconciliations, subsiste une distance entre les êtres.

Thibaud Fabre

 

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