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Locarno 2019, compte-rendu

Alors que Venise bat encore son plein, Format Court revient sur la 72ème édition de Locarno qui vient d’avoir lieu du 7 au 17 août 2019. Locarno, situé dans le Tessin en Suisse italienne, est connu pour son Lac Majeur, ses montagnes magnifiques, ses projections en plein air sur l’écran géant de la Piazza Grande (la grand place, au coeur de la ville, qui peut accueillir jusqu’à 8.000 spectateurs), ses différents directeurs artistiques, son goût pour le cinéma d’auteur et son attention accordée à la relève.

Si Locarno s’est fait repérer dans le circuit très fermé des festivals, c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour son ancienneté : le festival a 72 ans tout comme Cannes alors que Venise n’en a que 4 de plus au compteur. Ensuite, le festival a pu compter sur plusieurs sélectionneurs qui lui ont donné différentes impulsions depuis sa première édition et bon nombre de cinéastes internationaux majeurs ont été programmés à Locarno. Enfin, les dotations des prix sont très importantes, le festival étant extrêmement bien soutenu par ses sponsors. Le festival est également bien repéré dans la région, attirant bon nombre de spectateurs locaux et de touristes, et ses Léopards, les prix emblématiques du festival, sont aussi convoités que les ours berlinois ou les lions vénitiens.

À l’époque, nous avions rencontré Alessandro Marcionni, le sélectionneur en chef des Pardi di Domani, la section réservée aux jeunes cinéastes faisant des courts et des moyens-métrages et n’ayant pas encore réalisé de longs. Les Pardi ont comme particularité d’inclure en leur sein deux compétitions : la suisse (la nationale) et l’internationale.

De nombreux  jeunes auteurs intéressants ont été retenus par les différents sélectionneurs de Locarno tout au long de ces dernières années : Miki Polonski (Israël), Pablo Muñoz Gomes et Emmanuel Marre (Belgique), Karim Moussaoui (Algérie), Osman Cerfon et Lola Quivoron (France), Carlo Sironi (Italie), Camilo Restrepo (Colombie), Martin Edralin (Canada), Morgan Knibbe (Pays-Bas), Gabriel Gauchet (Royaume-Uni), Jan Czarlewski et Robert-Jan Lacombe (Suisse), … La plupart d’entre eux ont été soutenus par Format Court tant au point de vue éditorial qu’à celui de nos programmations.

Avec l’arrivée de la nouvelle directrice artistique Lili Hinstin venue du Festival de Belfort, de nombreux changements ont eu lieu en interne. Charlotte Corchète, également de Belfort, est devenue la nouvelle responsable du comité des Pardi di Domani. Avec Tizian Büchi, Liz Harkman et Stefan Ivančić, elle a sélectionné les courts cette année. Son interview mené avec Giacomo Hug, responsable de la coordination des Pardi di Domani, est à retrouver sur notre site internet. En attendant, on vous en dit plus sur les courts en compétition cette année au festival.

40 films en compétition ont été départagés par le jury court, composé d’Alice Diop (réalisatrice césarisée pour Vers la tendresse), Mike Plante (responsable des courts à Sundance, interview également à venir) et Bi Gan (réalisateur chinois). Les Pardi di Domani comptait cette année 29 films en compétition internationale et 11 en compétition suisse.

De notre côté, plusieurs films flirtant avec le réel se sont distingués d’un lot plutôt morne. Notre territoire de Mathieu Volpe (Belgique) retient notre plus grand intérêt tant par sa forme que par son fond. À l’âge adulte et après des études de cinéma à l’IAD à Louvain-la-Neuve, le réalisateur revient dans le sud de l’Italie où il passait, enfant, ses vacances. Des immigrés clandestins habitent désormais dans la région où il a vécu. Il décide de les suivre, de les prendre en photo. Le résultat est un film pudique, construit sur base d’images et de clichés en noir et blanc, soutenu par la voix-off du réalisateur. Le texte du film est aussi juste dans son écriture que dans son propos : Mathieu Volpe parle de rues sans noms, d’individus fantômes, d’effort, d’épuisement, d’exploitation d’homme à homme, de regards qui se détournent ou qui se méfient. Documentaire nécessaire, « Notre territoire » s’impose comme un film à part. Il rend une humanité à ces hommes et femmes que le regard évite, nomme les visages rencontrés, tutoie les individus avec bienveillance, respect et humour, rend pluriel le territoire de son enfance.

Autre documentaire pudique, un documentaire à nouveau, Vader (Père) de Isabel Lamberti, s’intéresse à la relation entre un père et son fils, le temps d’un weekend à la côte hollandaise. Le père, Jacinto, n’a pas vu son fils, Shakur, depuis près de 6 ans car il n’a pas pu s’en occuper. Après une si longue séparation, tous deux ne vont passer que quelques heures ensemble. Parties de bowling, shopping, restos, jeux de plage, … : père et fils réapprennent à vivre à deux pendant un temps limité, à partager des choses, entre timidité et gestes du quotidien. Le film est entrecoupé de conversations téléphoniques avec la compagne du père au cours desquelles il parle de la redécouverte de son fils et du temps passé ensemble. Tour à tour, la caméra se pose sur le père et le fils. Il y a ce qu’on fait, il y a aussi ce qu’on n’arrive pas à se dire. Ni le film ni la réalisatrice n’expliquent cet éloignement entre les êtres, mais ce n’est pas ce qui compte : il reste des images fortes, des êtres juste heureux d’être à nouveau ensemble et cette question épineuse à l’écran comme dans la vie : comment insérer correctement un drap dans une housse de couette ?

Du côté de la fiction, Pyar pyar nyo yaung maing ta-lei-lei est un joli film birman de Aung Phyoe. Une mère et son fils sont contraints de quitter leur logement pour des raisons économiques, en 1988. Le déménagement se fait sous l’œil et avec l’aide d’un jeune homme voisin qui s’est pris d’intérêt pour eux. Là aussi, la pudeur est de mise, entre échanges de mots feutrés, regards évités, silences lourds de sens On retient une image, celle d’un dictionnaire d’anglais échangé entre les deux adultes, d’un balcon à l’autre, en guise d’adieu, devant le regard d’un jeune enfant, découvrant la complexité de la vie.

Côté animation, deux courts, réalisés par des femmes, nous intéressent : Carne de Camila Kater (Brésil, Espagne) et Umbilical de Danski Tang (Etats-Unis), primé du Pardino d’argent 2019. Ces films flirtent tous deux avec le style documentaire puisqu’ils livrent des témoignages personnels, forts. Leurs animations sont tout aussi intéressantes car multiformes.

Carne (La chair) de Camila Kater livre différentes histoires de femmes qui évoquent leurs différences à un moment de leur vie, leur rapport à leurs corps et leurs revendications face au regard d’autrui. Le film s’ouvre avec le témoignage d’une femme qui évoque son enfance. Elle parle de sa mère qui, ne supportant pas le poids de sa fille, cachait la nourriture dans les placards, en lui disant qu’elle aurait voulu une fille qu’elle aurait pu habiller. L’enfant, devenu femme répond : « Je ne suis pas une poupée, ni en taille ni en personnalité ». D’autres témoignages se succèdent, avec à chaque fois un autre tabou : une femme parle de menstruation, une autre du fait d’être noire et transsexuelle, une troisième de la ménopause, une dernière de la transformation de son corps avec l’âge. À chaque témoignage, la technique change. Carne se remplit d’éclats de vaisselles, de têtes de poupées, de peinture sur pellicule, de dessins, de matière argile, éléments épars d’un premier film ambitieux.

Umbilical de Danski Tang s’intéresse aussi à la femme mais à travers un autre point de vue. La réalisatrice livre un témoignage personnel à travers la conversation qu’elle entretient avec sa mère. Chacune parle de ses expériences en tant que femme en Chine. La mère parle sans détour de son mari violent et d’une société rejetant les femmes seules, qui osent divorcer et élever leurs enfants, les jugeant «  trop ambitieuses ». La fille évoque son enfance et la découverte de son homosexualité à l’internat où l’ont placée ses parents.

Le film, un brin trop court, a comme intérêt de confronter deux points de vue de personnes proches, ayant expérimenté une société figée (en Chine) et la liberté ailleurs (la réalisatrice vit à Los Angeles). Reste un sujet fort sur la violence conjugale et l’identité sexuelle servi par un dessin absolument génial, entre visages en forme de trou noir et oreilles à l’écoute, couleurs fortes, regards et silences marqués, le tout agrémenté d’un son très bien mixé.

On termine avec l’humour, chose difficile en court. Deux films, repérés à Locarno, sortent clairement du lot. En premier, Dossier of the Dossier, un film thaïlandais décalé de Sorayos Prapapan. Le réalisateur y va au culot et traite avec légèreté des dilemmes de tout court-métragiste qui se respecte : comment présenter au mieux un dossier de court-métrage, quelle photo y glisser, comment trouver un producteur et des financements, comment espérer payer une équipe, pourquoi revenir encore et toujours au low-budget ?

Ces questions sont l’objet de ce film, Dossier of the Dossier, en référence au dossier de présentation du film. Le réalisateur marque quelques bons points : ils se moque gentiment des codes du cinéma d’auteur en faisant un film en noir et blanc, il caricature les producteurs (ici, un personnage drogué commande un expresso avec de la glace sans le boire ni le payer) et les références écrasantes (à quoi peut bien ressembler Wong Kar-wai sans ses lunettes noires ?). Le résultat aurait pu être prétentieux, mais là, ça marche. Peut-être parce que grâce aux films qui dépassent leurs frontières, la situation du court en Thaïlande apparaît aussi risible et difficile que par chez nous.

Dernier film épinglé : Nachts sind alle Katzen grau (La nuit, tous les chats sont gris) de Lasse Linder, un court retenu en compétition suisse au festival. À nouveau, c’est un documentaire qui retient notre attention. Le film résolument absurde s’intéresse à Christian, un homme mature vêtu le plus clair de son temps en survêtement, vouant une passion sans limites à ses deux chats, Marmelade et Katjuscha qu’il élève, chérit, soigne, caresse, emmène partout avec lui. Son amour est tel qu’il les fait même se reproduire. En effet, désireux de devenir père, il favorise l’accouplement d’un de ses chats avec un mâle trié sur le volet, et assiste, ému, à la nouvelle portée. Le film, bien étrange, dans lequel évoluent des félins hypnotisants, ne raconte pas grand chose mais se nourrit de beaux plans (dont celui des matous se prélassant sur un canapé, enveloppés d’une musique de boîte de nuit) et montre l’amour infini d’un homme solitaire pour qui ses chats s’apparentent à des divinités qui influent tout son quotidien. Une curiosité à part à Locarno.

Katia Bayer

Venise 2019, les courts en compétition

La 76ème édition de Venise (28 août-7 septembre) montrera dans les prochains jours les premiers longs-métrages de Jessica Palud et Carlo Sironi (dont nous avions montré les courts, Marlon pour la première, Valparaiso pour le second). Du côté des courts, 15 films ont été retenus cette année : 13 en compétition (dont les nouveaux films de Clémence Poésy et de Chloé Robichaud) et 2 en hors-compétition.

Films en compétition

Supereroi senza superpoteri de Beatrice Baldacci (Italie)
Kingdom Come de Sean Robert Dunn (Royaume-Uni)
Give Up The Ghost de Zain Duraie (Jordanie, Suède, Allemagne)
Nach zwei Stunden waren zehn Minuten vergangen de Steffen Goldkamp (Allemagne)
The Diver de Jamie Helmer, Michael Leonard (France, Australie)
Roqaia de Diana Saqeb Jamal (Afghanistan, Bangladesh)
Morae (Sabbia) de Kyungrae Kim (Corée du sud)
Sh_t Happens de Michaela Mihályi, David Štumpf (République tchèque, Slovaquie, France)
Le Coup des larmes de Clémence Poésy (France)
Delphine de Chloé Robichaud (Canada)
Darling de Saim Sadiq (Pakistan, Etats-Unis)
Cães que ladram aos pássaros de Leonor Teles (Portugal)
Fiebre austral de Thomas Woodroffe (Chili)

Hors compétition

Condor de Kevin Jerome Everson (Etats-Unis)
GUO4 de Peter Strickland (Hongrie)

3 reprises du Festival Format Court à Bruxelles & Paris !

Bonne info. Notre premier Festival Format Court ayant eu lieu du 3 au 7 avril dernier bénéficiera de plusieurs reprises tout au long de l’année, ici et ailleurs.

3 rendez-vous sont déjà prévus dans les prochains jours : le premier, le jeudi 29 août à Bruxelles au Cinéma Aventure dans le cadre du festival Les shorts d’été (28-30 août) organisé par l’association Short Screens, le deuxième, le dimanche 1er septembre à Paris à Poisson lune, la nouvelle terrasse éphémère du Palais de la Porte Dorée, le troisième, le lundi 16 septembre toujours à Paris, sur le rooftop du Point Ephémère dans le cadre des séances au top. Des sélections de films programmés lors de la première édition de notre festival y seront projetées, en présence de membres de Format Court et d’équipes de films. Soyez des nôtres !

Programmation

Jeudi 29 août, 19h30 : 1ère Carte blanche – Festival Format Court / Festival Les shorts d’été / Cinéma Aventure, 15, Rue des Fripiers, 1000 Bruxelles, Belgique / PAF : 6 €

Programmation

« Vihta » de François Biery

La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel, France, 2018, Prix du Meilleur Court Métrage Français 2018 du Syndicat Français de la Critique
Nea de Adrian Limoni, Belgique, 2018, en présence du réalisateur
Vihta de François Bierry, France, Belgique, 2018, Prix Spécial du jury au Festival de Clermont-Ferrand 2018, en présence du réalisateur et de Jean-Benoît Ugeux (comédien)
Les petites mains de Rémi Allier, France, Belgique, 2017, César du meilleur court-métrage 2019
Pépé le Morse de Lucrèce Andreae, France, 2017, César du meilleur court-métrage d’animation 2018

Event Facebook : https://www.facebook.com/events/661955700946397/

Dimanche 1er septembre, 22h / 2ème Carte blanche – Festival Format Court / Projection en plein air / Guinguette Poisson Lune/ Palais de la Porte Dorée / 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris / En entrée libre

« Vilaine fille » de Ayse Kartal

Mon héros de Sylvain Desclous, France, 2014, nommé au César du Meilleur Court Métrage 2016
Flame de Sami van Ingen, Finlande, 2018, primé au festival de Tampere 2018
Vilaine fille de Ayse Kartal, France, 2016, César du meilleur court-métrage d’animation 2019, en présence de Liyan Fan, distributrice (Les Valseurs)
J’attends Daniel pour peindre de Nathalie Donnini, France, 2001, sélectionné au Festival de Brest, en présence de la réalisatrice

Lundi 16 septembre, 21h / 3ème Carte blanche – Festival Format Court / Projection en plein air / Rooftop du Point Ephémère, 200 Quai de Valmy, 75010 Paris / PAF : 5 €

Programmation

« Icare » de Nicolas Boucard

Le Phénomène Paul Emile Raoul de Fred Perrot et Audrey Najar, France, 2007
Icare de Nicolas Boucard, France, Belgique, 2018, nommé aux Oscar 2018
Swatted de Ismaël Joffroy Chandoutis, France, 2018, Prix spécial du Jury au Festival de Clermont-Ferrand 2019, en présence du réalisateur
Le Plombier de Xavier Séron, Méryl Fortunat-Rossi, Belgique, France, 2016, Meilleur Court Métrage de Fiction aux Magritte 2017

Event : https://pointephemere.org/event/LES-SEANCES-AU-TOP-x-FORMAT-COURT-Hkw9asFXr

Locarno 2019, le palmarès court

Le 72ème Festival de Locarno s’est achevé ce samedi 17 août 2019. Voici les films primés par le jury des Pardi di domani, composé cette année d’Alice Diop (cinéaste, France), Mike Plante (programmateur des courts à Sundance, Etats-Unis) et Bi Gan (cinéaste, Chine).

Compétition internationale

Pardino d’or : Siyah Güneş(Black Sun) de Arda Çiltepe (Turquie, Allemagne)

Pardino d’argent : Umbilical de Danski Tang (États-Unis)

Prix de la meilleure réalisation : Otpusk (Leave of Absence) de Anton Sazonov (Russie)

Prix Medien Patent Verwaltung AG Prize : White Afro de Akosua Adoma Owusu (Ghana/États-Unis)

Compétition nationale (suisse)

Pardino d’or : Mama Rosa de Dejan Barac (Suisse)

Pardino d’argent : Tempête silencieuse de Anaïs Moog (Suisse)

Prix du nouveau talent suisse : Terminal de Kim Allamand (Suisse)

Locarno, jour 5 : Kwa Heri Mandima de Robert-Jan Lacombe

Les Pardi di Domani du Festival de Locarno couvrent deux compétitions : l’une, internationale, l’autre, nationale, suisse. Cette année, 11 films figurent dans ce deuxième programme. À Format Court, nous avons par le passé déjà repéré plusieurs courts suisses ayant concouru à Locarno. C’est le cas de Kwa Heri Mandima (Good Bye Mandima) de Robert-Jan Lacombe, un film ayant remporté le Pardino d’or du meilleur court métrage suisse à Locarno en 2010 que nous vous proposons de (re)découvrir aujourd’hui.

Le film, produit par l’ECAL (l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne), s’ouvre sur une photographique panoramique montrant le départ de la famille du réalisateur en Europe. Les Lacombe quittent le Zaïre devant une foule d’amis et de proches de leur village venus leur dire adieu.

Démarre un monologue, ponctué de silences. Le réalisateur parle à l’enfant de la photo, resté sur place, il le tutoie. Il évoque avec intelligence et émotion l’éloignement, le déracinement et les souvenirs, il scrute les détails, zoome les visages de ses amis (Watumu, Angi et Amosi) qu’il a quittés, la foule compacte assistant au départ de l’avion. Il parle aussi de ses identités plurielles, avant et après son départ.

Les images d’archives, les photos de famille, la voix off du réalisateur offrent une matière incroyable à ce film tout simple, terriblement personnel, émouvant et efficace dont les dernières secondes (images VHS, nouveaux silences, révélations) viennent confirmer une grande maîtrise de la mise en scène. Primé à Locarno en 2010 et projeté lors de nos séances Format Court en présence du réalisateur en 2015, le film conserve toute son acuité plusieurs années après sa découverte.

Si ce court vous interpelle, cliquez sur la vidéo ci-dessus :  Retour a Mandima documente le voyage du réalisateur en sens inverse, son retour au Zaïre, sur les traces de son enfance. Le film, nourri également d’images d’archives, réalisé en 2011, fut le film de fin d’études de Robert-Jan Lacombe à l’ECAL.

Katia Bayer

Retrouvez également ces deux films sur notre nouvelle chaîne Vimeo

Locarno, jour 4. The Mass of Men de Gabriel Gauchet

Pour ce quatrième jour de festival, notre choix de critique et de film en ligne se porte sur The Mass of Men, élu Pardino d’or à Locarno en 2014. Cette fiction ultra réaliste sur l’extrême solitude d’un homme dans une agence d’emploi, réalisée par Gabriel Gauchet, est issue de la NFTS (National Film and Television School), l’une des meilleures écoles de cinéma au Royaume-Uni. Le film a été projeté lors de nos séances Format Court à l’occasion d’une carte blanche consacrée au Festival de Grenoble où le film avait remporté le Grand prix, le Prix du jury presse et une Mention spéciale du jury jeune.

The Mass of Men s’ouvre sur une scène de meurtre filmée en vidéo-surveillance et se poursuit avec des plans de Richard, un chômeur de 55 ans, arrivant en retard de quelques minutes à son rendez-vous avec sa conseillère de Pôle Emploi. S’ensuit un dialogue de sourds et une libération de la parole et des actes totalement imprévue.

Entre violence verbale et physique, discours réactionnaire et nécessité de survie, The Mass of Men ne parle pas, comme son titre l’indique, d’un seul homme fragilisé, mais d’une masse anonyme d’êtres rejetés, faibles et opprimés.

Le film de Gauchet surprend, choque, laisse pantois. Il pourrait être rangé du côté de ces fameux films dits sociaux, mais ce serait réduire sa portée que de proposer un tel énoncé. Par l’hyperréalisme de son récit, il parle autant d’une situation extrême que d’intransigeance et de déshumanisation de l’aide sociale. Déroutant et percutant, The Mass of Men est bel et bien un grand film, malheureusement toujours d’actualité.

Katia Bayer

Retrouvez également ce film sur notre nouvelle chaîne Vimeo

Bon à savoir : deux autres films de Gabriel Gauchet, Efecto Domino et Z1 (sélectionné à Locarno en 2013) sont visibles sur la Toile. Retrouvez également notre interview du réalisateur à l’époque de la diffusion de The Mass of Men.

Locarno, jour 3. Hole de Martin Edralin

Hier, nous vous présentions Cutaway de Kazik Radwanski, un court-métrage canadien poignant et magnifique sélectionné à Locarno en 2014. Aujourd’hui, nous vous proposons un autre titre issu du même pays, Hole de Martin Edralin, un film percutant et maîtrisé, sélectionné au festival la même année.

Film fort, film dur, Hole a cumulé les sélections et prix. Il a notamment remporté le Premio Film und Video Untertitelung à Locarno en 2014 et le Grand Prix de la compétition internationale à Clermont-Ferrand en 2015. Réalisé par Martin Edralin, Hole entre de plein pied dans la vie de Billy, un handicapé homosexuel travaillant en journée dans un magasin et essayant de vivre sa sexualité et d’assumer ses désirs comme tout autre individu, sans réellement y parvenir.

Esseulé, Billy a un ami, son aide-soignant Craig, à qui il parle de ses sorties nocturnes au cinéma. Sauf qu’une fois les lumières éteintes, Billy se retrouve en réalité dans une cabine où sont diffusés des films pornos en continu et où des “glory holes” sont monnaie courante. Seulement, à la longue, Billy souhaite davantage. Recevoir et non plus donner, assouvir ses propres désirs. Pour cela, il a besoin de l’aide de Craig.

Émouvant et âpre à la fois, Hole traite sans détour d’un combat et d’un tabou : comment vivre son homosexualité et assouvir ses désirs quand on est handicapé ?

Le résultat est une chronique brillante sur le quotidien d’un homme (Billy, interprété par l’acteur Ken Harrower) et sa solitude criante, mais aussi sur des gestes tendres de solidarité, d’amitié, d’amour et de désir suspendus dans la belle ville de Toronto.

Katia Bayer

Locarno, jour 2. Cutaway de Kazik Radwanski

Entamé ce vendredi 9 août, notre focus consacré à Locarno se poursuit ces jours-ci avec la diffusion de films précédemment sélectionnés et pour certains primés au festival. Après le documentaire Rewind Forward de Justin Stoneham (récompensé du Pardino d’or du meilleur court-métrage suisse en 2017) présenté hier, nous vous invitons à découvrir le film expérimental Cutaway réalisé par Kazik Radwanski, sélectionné à Locarno en 2014.

Kazik Radwanski, réalisateur originaire de Toronto, est un habitué de Locarno. Ses deux premiers longs-métrages (Tower et How Heavy This Hammer) et deux de ses courts (Cutaway et Scaffold) y ont été diffusés. De son côté, son troisième long (Anne at 13,000 ft) sera présenté à la rentrée au Festival de Toronto.

Cutaway fait partie de ces coups de poing cinématographiques que les sélectionneurs ont le talent de repérer et conserver dans leurs programmations. Nous avions découvert ce court au Festival du nouveau cinéma à Montréal il y a 5 ans, en 2014, et l’avions programmé lors d’une séances spéciale consacrée au festival un an plus tard. Le film avait par la suite pris le chemin de Clermont-Ferrand et de bien d’autres festivals.

Formellement passionnant, Cutaway propose en une durée restreinte (7 minutes) une succession de gros plans et de gestes d’un jeune homme travaillant comme ouvrier, dont seules les mains sont filmées. Dédié au père du réalisateur décédé en 2013, le film est construit autour de plans de coupe (d’où son titre) liés au quotidien et à la solitude de l’homme représenté. L’émotion naît peu à peu, le spectateur étant amené à observer ces moments simples, au travail, à la maison, à la pharmacie, au café, dans les transports, chez le gynécologue et à tendre l’oreille alors que les mots et les sons viennent à manquer au même titre que les repères visuels habituels.

Le film est un fragment de vie très particulier dans le quotidien de cet homme, entre blessures, hésitations, gestes mécaniques, objets manipulés, incertitude et perte. Véritable expérience de cinéma, Cutaway est un film important qui réussit à provoquer l’empathie alors qu’il ne repose sur aucun dialogue et visage. Son montage, sa durée, sa simplicité formelle et son climax en font un film poignant et magnifique au plus près de l’intime.

Katia Bayer

Retrouvez également ce film sur notre nouvelle chaîne Vimeo

Locarno, jour 1. Rewind Forward de Justin Stoneham

Le 72ème Festival de Locarno a commencé ce mercredi 7 août 2019. Il a lieu jusqu’au 17 août. Format Court couvre le festival pour la première fois et vous propose au jour le jour une sélection de courts-métrages anciennement programmés au festival, visibles en ligne, sélectionnés voire primés lors de précédentes éditions. Certains films ont été chroniqués en leurs temps sur notre site, d’autres ont été récemment découverts en vue de notre focus consacré au festival. C’est le cas de Rewind Forward de Justin Stoneham, un documentaire poignant ayant reçu le Pardino d’or du meilleur court-métrage suisse en 2017.

Le film retrace l’histoire du réalisateur et évoque sa relation complexe à sa mère. Celle-ci a eu un AVC quand il avait 4 ans. Elle est devenue handicapée, paralysée et incapable de parler. Bien après le décès de son père, Justin Stoneham découvre des enregistrements VHS de son enfance et des images de sa mère avant et après l’accident. Avant, la caméra la filme en pleine possession de ses moyens, belle, tendre, amoureuse, féminine et drôle; ce sont des images dont il se souvient à peine, ayant été très jeune au moment de l’accident qui a bouleversé la vie de chaque membre de la famille Stoneham. Après, la caméra filme la mère diminuée, assistée, perdue, mais aussi souriante par moments, sous le regard bienveillant de son mari et celui attristé, embarrassé de ses enfants et parents.

Après la découverte de ces images bouleversantes mais aussi après 12 ans d’absence et d’éloignement, le réalisateur décide de retrouver sa mère qui vit dans un centre spécialisé.

Son film montre ces retrouvailles. Justin Stoneham n’est plus cinéaste, il redevient l’enfant, celui qui a cherché longtemps à retrouver sa mère et qui n’a pas reconnu la femme revenue à la maison après plusieurs mois de coma, celui qui pousse timidement la porte de la chambre où elle réside désormais.

Il se raconte sans détours, revient sur son enfance, son quotidien entre souffrance, honte, culpabilité et forme de deuil vis-à-vis de sa mère, présente mais absente en même temps. En pointillé, surgit aussi le besoin de se protéger, de s’éloigner d’un passé trop lourd et de se construire seul.

En face, surgit une femme qui a vieilli, mais qui a gardé un brin de malice aperçu dans les premières images, celles avant l’accident. Une femme qui a souffert mais qui ne juge pas l’éloignement de son fils. La pudeur est de mise dans ce film qui retrace un parcours, celui d’un passé enterré vers un présent et un avenir assumé.

Du point de vue formel, les images d’archives (le passé avec et sans nuages) et celles des retrouvailles (la relation renouée entre une mère et son enfant) s’harmonisent entre voix-off et dialogues timides avec comme objectif un rapprochement, un lien, une vérité entre deux êtres qui n’auraient pas dû être séparés. Ces images disent beaucoup par les regards, les mots et les non-dits de chacun.

Le film est un témoignage poignant, déchirant sur la relation d’un fils à sa mère, sur la façon dont un proche appréhende et finalement accepte le handicap de sa mère et sur l’amour et le pardon réciproques. Une formidable leçon de vie, un documentaire nécessaire rendu possible par une histoire terriblement difficile et personnelle, primée il y a 2 ans à Locarno, découvert avec bonheur et émotion sur le Net.

Katia Bayer

Focus Festival de Locarno 2019

Après Cannes et avant Venise, le festival de Locarno, 72 ans d’âge, célèbre le cinéma d’auteur pendant une dizaine de jours au mois d’août. La petite ville suisse italienne propose bon nombre de films, répartis en plusieurs sections. Le programme « Pardi di domani », lui, est consacré aux courts et moyens métrages de jeunes auteurs indépendants ou d’étudiants d’écoles de cinéma n’ayant pas encore réalisé leur premier long métrage. Cette section comporte deux compétitions distinctes : l’une limitée aux productions suisses (la compétition nationale), l’autre propulsant les films des quatre coins du monde (la compétition internationale).

Après avoir consacré plusieurs sujets par le passé à des films, des auteurs et des sélectionneurs passés par Locarno, Format Court se rend pour la première fois au festival. Découvrez dans les prochains jours nos sujets liés à cette 72ème édition ainsi que la diffusion d’anciens films sélectionnés/primés sur nos réseaux et notre nouvelle chaîne Vimeo.

Notre entretien avec Charlotte Corchète (responsable du comité des Pardi di Domani ) et Giacomo Hug (responsable de la coordination du même comité)

les Pardi di Domani et le Festival de Locarno

Locarno 2019, notre compte-rendu

Locarno 2019, le palmarès

Films et critiques en ligne / Courts précédemment sélectionnés à Locarno

– Locarno, jour 5 : Kwa Heri Mandima de Rob-Jan Lacombe (Suisse)

– Locarno, jour 4. The Mass of Men de Gabriel Gauchet (Royaume-Uni)

– Locarno, jour 3. Hole de Martin Edralin (Canada)

– Locarno, jour 2. Cutaway de Kazik Radwanski (Canada)

– Locarno, jour 1. Rewind Forward de Justin Stoneham (Suisse)

Pardi di domani : la sélection 2019

Les Contes merveilleux de Méliès en couleur

À l’heure du digital où tout file et se perd dans les méandres des bandes passantes et de la 5G bientôt naissante, raconter et faire découvrir n’est plus seulement une passion, c’est aussi une nécessité. Car l’histoire du Cinéma n’est-elle pas également un témoin de l’Histoire ? Montrer des films d’antan est un acte plus qu’évocateur de nos sociétés de l’époque car ce sont ses dernières traces. Traces d’un temps passé qu’il nous est important de comprendre aujourd’hui.

La fin du 19ème siècle a vu naître beaucoup de nouvelles inventions. Les nouvelles techniques photographiques et cinématographiques allaient bon train et participaient à l’effervescence artistique qui battait son plein dans la vie culturelle parisienne et Méliès en fut l’un des acteurs, avant que la première guerre mondiale ne vienne y mettre une pause radicale (dans la production de Méliès également).

Il y a Méliès l’inventeur, Méliès le comédien, Méliès le prestidigitateur ou encore Méliès le metteur en scène avec ses fabuleux décors. Ce sont toutes ces facettes que l’on peut retrouver dans le DVD/Blu-ray édité par Lobster Films il y a quelques mois intitulé Les Contes merveilleux de Méliès . On peut y retrouver, plus de 80 ans après sa disparition, en version colorisée et bonimentée (ou non) les plus beaux contes visuels de Méliès, l’un des inventeurs et pionniers du cinéma de science-fiction.

Méliès utilisa les films celluloïd (aussi appelés “films flamme” car ils pouvaient s’enflammer très facilement) et leurs histoires fut à l’égale des récits cinématographiques : de véritables aventures. Tant dans le scénario que dans sa production. Georges Méliès était aussi un grand conteur et inventeur de nouvelles histoires qui sont rentrées au fur et à mesure du temps dans notre imaginaire collectif.

Nombre de ses films ont été perdus ou oubliés puis retrouvés et redécouverts. Certains aux quatre coins du monde par Serge Bromberg et Eric Lange, fondateurs de Lobster Films qu’ils ont créé en 1985 et dont l’unique objectif est de “restaurer les films et partager la découverte et la passion du cinéma”.

Avec un catalogue aujourd’hui bien fourni de grandes légendes tel que Buster Keaton, Abel Gance, Max Linder, Georges Méliès ou encore Laurel et Hardy et bien d’autres, le travail fourni par Lobster Films est immense et participe grandement à la découverte du cinéma d´époque. La société compte pas moins de 50 000 films restaurés depuis une trentaine d’années et plusieurs activités comme la restauration mais aussi la diffusion et la production et des partenariats riches et variés. Ils proposent la magie du siècle dernier dans de magnifiques séances ciné-concert (appelées “Retour de flamme” clin d’œil à ces films celluloïd cités plus haut) qui leur a valu de nombreux prix en festivals et qui sont à voir absolument, ne serait-ce que pour les talents de pianiste et de conteur de Serge Bromberg. Lobster Films propose aussi des coffrets DVD qui nous font découvrir l’immensité et la qualité de leur catalogue et notamment Les Contes merveilleux de Méliès que nous avons entre les mains et que nous vous présentons aujourd’hui.

Ce coffret DVD de Georges Méliès avec des versions bonimentées, narrées comme à l’époque de la diffusion des films, pourra permettre à quiconque de montrer, remontrer ou même démontrer (pour les plus indécis) le cinéma tel qu’il était il y a plus de 100 ans aux jeunes regards curieux et innocents. On peut visionner tous ces fabuleux courts-métrages à la suite ou bien un par un, que ce soient les versions narrées ou non, en Blu-ray ou en DVD.

Lorsque l’on explore le coffret, on découvre 13 films de Méliès sur une période allant de 1899 à 1909, dix ans de magie, dix ans de films fabuleux, contant et racontant des légendes, des histoires de sorcières, de savants fous ou de princes et princesses. Le tout en couleur car peint à la main déjà à l’époque.

Celui qui nous vient tout de suite en mémoire et que l’on aime redécouvrir à chaque fois est Le Voyage dans la lune (1902, 16”). Le plus emblématique, le plus symbolique aussi. Le film a été redécouvert il y a une quinzaine d’années et réalisé 67 ans avant l’envoi du premier homme sur la lune. Méliès visionnaire ? Peut-être.

Notre inconscient collectif retient encore aujourd’hui cette image de l’obus heurtant la face humaine de notre satellite. Image d’un film racontant l’histoire fantaisiste de scientifiques se mettant dans la tête d’aller découvrir la lune et ses habitants. La version narrée du DVD est fantastique et nous aide à comprendre certains détails qui pourraient passer inaperçus lors d’une projection accompagnée au “simple” piano. Elle nous aide aussi à nous laisser guider et regarder le film avec la plus grande des naïvetés et c’est un régal d’émerveillement.

Mais c’est Les Quat’cents farces du diable (1906) qui vole la vedette de ces courts-métrages d’époque. Le film est moins connu mais à voir absolument. Un savant du nom de William Crackford signe malencontreusement un pacte avec le diable et se retrouve embarqué dans une aventure abracadabrantesque. Avec des décors plus fabuleux les uns que les autres, Méliès signe l’un de ces chefs d’œuvre, un fabuleux tour de passe-passe visuel, enchaînant tours de magie, enchantements et autres illusions à l’aide de fondus enchaînés, de surimpressions, de décors en trompe-l’œil et d’arrêts caméra. La narration est fluide, les effets techniques, précurseurs à l’époque, sont impressionnants et les péripéties sont présentes à chaque instant. Ces effets, on les trouve dans presque tous les films de Méliès comme Les Aventures de Robinson Crusoé (1902) ou Le Voyage à travers l’impossible (1904) et son fameux soleil englobant un train un peu particulier.

On peut découvrir d’autres films moins connus mais qui ont tous la qualité de nous faire voyager dans les mondes extraordinaires et inconnus de Méliès tels que Le Locataire diabolique (1909) ou La Danse du feu (1899), ce dernier étant l’un de ces tout premiers films, naissant seulement 4 ans après la première projection cinéma au monde par les frères Lumière, il s’inscrit dans les premiers films de fiction du 19ème siècle (avec ceux d’Alice Guy-Blaché, première réalisatrice de l’histoire du cinéma que l’on oublie trop souvent).

Plus de 80 ans après sa mort, celui qui inspira tous les plus grands réalisateurs (Spielberg, Gavras, Jeunet, Gondry ou encore Chaplin) et qui est considéré comme le précurseur du film de science-fiction, a influencé et influencera le cinéma contemporain pour de nombreuses années à venir du fait de son style et ses efforts de mise en scène.

Pour beaucoup, au 19ème siècle le cinéma n’était qu’une attraction pour les foires et peu y apportèrent d’intérêt. Malgré tout, l’histoire a retenu Méliès et aujourd’hui ses films retrouvés en constituent une œuvre majeure. Non seulement par le fait que nombres de ses films sont restés longtemps oubliés ou perdus mais surtout par leur magie, leurs extraordinaires histoires et le travail incroyable de création et de réalisation de décors qui a été mis en place à l’époque. On ne peut que recommander de ce fait ce DVD. Bon visionnage.

Clément Beraud

Les Contes merveilleux de Méliès en couleur : édition Lobster Films. Exemplaires disponibles ici

Braquer Poitiers de Claude Schmitz

Claude Schmitz, réalisateur belge de Le Mali (en Afrique), et de Rien sauf l’été, propose une nouvelle fois un court-métrage où la chaleur et les acteurs prennent le temps de se découvrir dans une latence contemplative. Avec Braquer Poitiers, Claude Schmitz a déjà été récompensé de nombreuses fois, entre le Prix Jean Vigo, le Prix Ciné du Festival de Brive ou le Prix Égalité et Diversité au Festival de Clermont-Ferrand.

Braquer Poitiers est une fable moderne : un escroc belge envoie deux de ses hommes de main, Francis et Thomas, l’un métalleux bedonnant, l’autre vieil adolescent mou et vapotteur, pour « s’occuper » de Wilfried, gérant de Carwash. Les deux loubards doivent le séquestrer pendant un mois, chez lui, dans sa grande demeure Poitevine pour lui soutirer la monnaie laissée dans ses appareils. Cette séquestration est consentie et Wilfried les accueille, presque heureux d’avoir de la compagnie. Alors que la prise d’otage a commencé, Francis et Thomas sont rejoints par deux jeunes femmes à l’accent chantant.

La chaleur, l’été, l’ennui. Ce qui débute comme un film noir de gangster se meut peu à peu en une représentation quasi documentaire de l’ennui. Braquer Poitiers prend son temps, comme le dit leur patron, « il faut tenir un mois ». Le braquage, argument fictionnel, n’est qu’un point de départ qui permet la rencontre entre ces personnages. Unique prétexte narratif, il permet aux 58 minutes de film de s’étirer, comme un long regard fixé sur les différents protagonistes et leur relations.

La caméra est braquée sur les acteurs en continu ce qui leur permet d’improviser en toute liberté. Des couples se forment, Wilfried initie les braqueurs et quelques jeunes aux joies du jardinages, les couples vont se promener dans Poitiers. Les longues séquences laissent le temps aux personnages de se développer. Les plans fixes nous permettent de nous installer paisiblement, à table avec eux, comme un participant, écoutant Francis chanter du Brel en plan séquence. Petit à petit, nous entrons dans une transe morne, aspirés par leur rythme de vie lascif.

Ce regard braqué sur ces personnages a été à la genèse du projet de Claude Schmitz. Rien n’était écrit et c’est la rencontre avec Wilfried qui l’a initié. Wilfried ne joue pas, les Carwashs sont bien les siens et c’est dans son monde que le film prend place. Claude Schmitz nous apprend ici à regarder le réel, à observer ce qui s’y passe, dans ce cadre bucolique, nos personnages se laissent bercer par la chaleur et, sous la pression de l’ennui, les langues se délient.

L’argent influence toutes les interactions entre les personnages et veut se faire passer pour une excuse narrative. Pourtant, une réflexion sur sa valeur se met en place. Claude Schmitz nous présente des êtres oisifs qui aiment l’argent facile et pour qui, même compter les pièces relève du calvaire. Seul Wilfried semble donner une valeur réelle à l’argent qu’il combine avec la notion de travail. Les loubards semblent avoir trouvé leur compte dans cette entente à l’amiable : ils prennent l’argent de Wilfried tant que celui-ci peut s’occuper de son jardin. Les deux filles quant à elles y voient « un drôle de concept » qui met en exergue l’un des thèmes sous-jacent du court, la liberté et le pouvoir.

Braquer Poitiers est une fable rohmérienne, caustique, mêlant comique de situation et mélancolie sans jamais tomber dans la caricature. Pourtant, le grotesque est proche, ce film nous présente de « vrais gens », perdus entre l’univers de Groland et des films de Bruno Dumont. Comme chez Rohmer, ce sont les personnages qui portent le film, ici archétypaux, ils viennent tous en duo (les deux belges, les deux cagoles, les deux jeunes), sauf Wilfried qui semble se suffire à lui-même.

Wilfried fascine le spectateur, le regard mélancolique et la verve libre, il parle comme d’autres aimeraient penser. Au départ presque mutique, Wilfried dévoile une personnalité et un sens unique de la dialectique qui vont rapidement faire de lui le personnage principal du film. Il va doucement renverser la situation. Alors que c’est Wilfried qui est séquestré, ce sont les deux loubards qui vont se faire happer dans son monde, assignés à résidence dans un domaine, métonymie, de leur hôte.

Claude Schmitz nous propose de prendre une pause et le temps de regarder la vie dans sa vraie nature, rocambolesque sans scénario, romantique et intrigante sans fil narratif pré-médité. Ce documenteur ou docu-fiction n’est autre qu’une percée dans le cinéma d’un réalisateur qui maîtrise le montage et qui a la capacité de regarder les gens, sans jamais les mépriser.

Elsa Levy

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B comme Braquer Poitiers

Fiche technique

Genre : Fiction

Durée : 59’50’’

Pays : France

Année : 2018

Synopsis : Davantage pieds nickelés que bandits, Francis et Thomas prennent en otage Wilfrid, propriétaire d’un service de Carwash, source de quelques poignées d’euros quotidiennes. Syndrome de Stockholm à l’œuvre chez Wilfrid, mais à sa manière très personnelle, le voilà prendre aussitôt goût à la situation, qu’il se plait même à théoriser amplement, tandis que l’incertitude gagne les deux compères rejoints par leurs amies venues du Sud.

Réalisation : Claude Schmitz

Scénario : Claude Schmitz

Image : Florian Berruti

Son : Audrey Lardière

Montage : Marie Beaune

Musique : Thomas Turine

Interprétation : Wilfrid Ameuille, Francis Soetens, Thomas Depas, Lucie Guien, Hélène Bressiant, Marc Barbé, Olivier Zanotti, Bilal Ay

Production : Les Films de l’autre cougar, Le Fresnoy

Article associé : la critique du film

Stacy Martin : « Les erreurs dans le cinéma sont les plus beaux moments »

Actrice repérée, ayant débuté devant la caméra de Lars von Trier dans Nymphomaniac, Stacy Martin a travaillé avec des cinéastes aussi différents que Joann Sfar, Nicolas Saada, Brady Corbet, Michel Hazanavicius, Mikhael Hers, Marie Monge ou encore Benoît Jacquot.

Membre du jury des courts en compétition officielle et de la Cinéfondation cette année à Cannes, elle évoque la proximité entre la forme courte et le premier long-métrage, la restriction, la fraicheur et la liberté du court et son lien à ce festival ayant marqué son enfance.

Interview : Katia Bayer
Image, montage : Gaspard Richard-Wright
Son : David Khalfa

Negative Space de Ru Kuwahata et Max Porter, en ligne !

Films en ligne, la suite. Aujourd’hui, on vous propose de voir, revoir, rerevoir le formidable court animé Negative Space, réalisé par le duo Ru Kuwahata et Max Porter.

Le film, produit par Ikki Films, a eu un parcours sans faute jusqu’à figurer au dernier tour des courts nommés aux Oscars 2018. Sujets traités : l’espace, la transmission, le vide. Depuis quelques jours, le film est en ligne, le voici, le voilà.

Bonne info, le court-métrage rejoint notre vidéothèque en ligne et notre nouvelle chaîne Vimeo.

Retrouvez également la critique du film parue sur notre site.

Saison estivale. 4 films courts animés @ voir en ligne

Un mois après la fin du Festival d’Annecy, Format Court vous propose de découvrir 4 films d’animation allemand, français, suisse et hongrois, tous disponibles sur la Toile. Bonne séance @ vous !

Spoon de Markus Kempken (Allemagne, 2015)

Synopsis : Certains souvenirs d’enfance peuvent nous marquer à vie, comme le narrateur de cette histoire qui se souvient que sa mère le frappait avec une spatule en bois, étant petit.

Article associé : la critique du film

L’Ogre de Laurène Braibant (France, 2016)

Synopsis : Un géant complexé par sa taille se retient de manger terrifié à l’idée de révéler son caractère ogresque et ainsi compromettre sa place dans la société. Lors d’un banquet d’affaire, sa vraie nature sera mise à l’épreuve.

In a Nutshell de Fabio Friedli (Suisse, 2017)

Synopsis : De la graine à la guerre, de la chair à l’amour, de l’indifférence à la fin du monde. L’essai de comprendre le monde.

LOVE de Réka Bucsi (France, Hongrie, 2016)

Synopsis : Love nous décrit le sentiment amoureux en trois chapitres, à travers une étrange collision dans un système solaire inconnu du nôtre.

Erenik Beqiri. L’Albanie, le court, l’exil, l’exploration

Erenik Beqiri est un réalisateur albanais. Son court-métrage, « The Van », co-produit par oriGine films et Anima Pictures, faisait partie des 10 films retenus en compétition officielle à Cannes cette année. Radicalité, envies, migration et tremplin cannois : il revient sur son parcours et ses influences.

Interview : Katia Bayer
Image, montage : Gaspard Richard-Wright
Son : Maëva AndrieuxElsa Levy

Paris Courts Devant renaît !

En septembre 2018, nous avions publié un communiqué annonçant la fin du Festival Paris Courts Devant, après 13 éditions, pour raisons budgétaires. Ce texte était signé par Rémi Bernard, son Délégué Général.

cnouveau communiqué. Après une année entre parenthèses, conséquence d’une baisse brutale de ses financements, le Festival renaît et lance une nouvelle édition 2019.

Tout en conservant son ancrage dans le court métrage, Paris Courts Devant s’intéresse désormais à la suite de la carrière des jeunes cinéastes, notamment vers leur premier long métrage. Le Cinéma 7 Batignolles accueillera de ce fait la 14ème édition du festival du 6 au 10 novembre prochain.

Une compétition d’une vingtaine de courts métrages de l’année, et quatre premiers longs métrages (hors compétition) constitueront le corps de la programmation.

Retrouvez les contours de l’édition 2019, l’appel à films et à scénarios sur le site internet du festival : http://www.courtsdevant.com

Eran Kolirin : « Tout est intuition »

Après un passage par la télévision, Eran Kolirin a réalisé 3 longs-métrages : La Visite de la Fanfare (Coup de cœur du jury, Festival de Cannes 2007), L’échange (Venise 2011) et Au-delà des montagnes et des collines (Un Certain Regard 2016).

Cette année, il a été membre du jury des courts-métrages et de la Cinéfondation de Cannes 2019. Si il n’a jamais fait de courts, le format l’intéresse. Pour Format Court, il revient sur son parcours, sa vision des films en tant que juré, le cinéma israélien d’aujourd’hui et ce que Cannes lui a apporté dans sa carrière.

Interview : Katia Bayer
Image, montage : Gaspard Richard-Wright
Son : David Khalfa

Mano a Mano de Louise Courvoisier

Louise Courvoisier est une jeune réalisatrice sortant de la Cinéfabrique, une école de cinéma à Lyon pour les 18-25 ans. En ce 72ème festival de Cannes, Mano a Mano, un film de fin d’étude a gagné le premier prix de la Cinéfondation, une section à Cannes favorisant les talents sortant des écoles de cinéma du monde entier.

 

Mano a Mano nous emmène dans l’intimité d’Abby et Lucas, un jeune couple d’acrobates. C’est une histoire de corps qui se soutiennent, qui tombent et qui s’éloignent. Le monde du cirque est filmé caméra épaule à la manière d’un documentaire, on observe les artistes s’échauffer avant chaque spectacle. Souplesse et agilité sont montrées sans prétention. Les circassiens sont avant tout des ouvriers du corps, leurs outils principaux sont leurs muscles, leurs articulations et, pour les voltigeurs, la confiance en leur partenaire. Dès l’ouverture Abby et Lucas sont séparés, ils se retrouvent dans le même cadre seulement lorsqu’ils sont sur scène. Lucas force la main à Abby pour effectuer un saut qu’elle ne sent pas, il va jusqu’à mettre les spectateurs à contribution. Le saut est raté, Abby tombe.

S’ensuit alors la vie de caravane d’un couple qui ne fonctionne plus : l’un est allé trop vite, l’autre n’a pas suivi. Une confiance qui se désagrège mais une vie d’acrobates qui continue. Une vie itinérante rurale avec un spectacle tous les soirs, un nouveau lieu, des spectateurs à émouvoir encore et encore. Mano a Mano nous fait sortir de la ville pour rejoindre des lieux plus verts, avec des plaines, une forêt, sans oublier la faune qui règne dans ces espaces libres. Abby s’échauffe sur ce terrain naturel, elle s’éloigne de l’étroitesse de sa caravane et surtout de Lucas. Cet instant de liberté absolu s’inscrit toujours avec le corps entre sauts périlleux et course dans les bois, dans cette séquence où Abby se déploie de tout son long et joue comme un enfant dans la nature.

Le genre « fiction du réel » est très présent dans le film avec des plans filmés à la manière d’un documentaire et principalement dans le choix des acteurs. Acrobates dans la vie, Lucas Bernini et Abby Neuberger sont un binôme qui forme une compagnie de cirque itinérante, ils sont filmés pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils incarnent. Ils ne prétendent pas jouer aux circassiens, ils le sont. L’histoire d’amour qui se périme petit à petit ne tombe pas dans le « romantico-pathétique » et sublime les talents des deux jeunes artistes qui ressortent à l’image.

Le cirque souvent érigé pour son aspect spectaculaire retrouve son entité profonde dans le premier court-métrage de Louise Courvoisier. La jeune réalisatrice originaire du Jura nous offre un goût de liberté à travers Abby, jeune femme évoluant dans un couple qui ne se retrouve plus. Un tour de force qui nous donne envie de découvrir d’autres films de Louise Courvoisier que l’on retrouvera peut-être prochainement à Cannes grâce à son prix de la Cinéfondation lui offrant une visibilité au festival via la sélection de son premier long-métrage.

Maëva Andrieux

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