Tous les articles par Katia Bayer

Emmanuelle Bercot : « A l’école, je suis partie directement dans une direction qui me correspondait »

Le Festival Musique et Cinéma de Marseille a accueilli ces derniers jours la comédienne et réalisatrice Emmanuelle Bercot et son compositeur Eric Neveux. Tous deux présentaient le très émouvant De son vivant (hors compétition, Cannes 2021) pour lequel Benoît Magimel a reçu dernièrement un César du meilleur acteur.

Emmanuelle Bercot a fait plusieurs courts alors qu’elle était étudiante à la Fémis. Son tout premier court, Les Vacances, a reçu le Prix du Jury à Cannes en 97 et son film de fin d’études La Puce a obtenu 2 ans plus tard le 2ème Prix de la Cinéfondation, la section cannoise réservée aux films d’écoles. Eric Neveux, de son côté, est également passé par le court et a collaboré notamment avec Édouard Deluc et Myriam Boyer. Entretien croisé autour de l’apprentissage, du dialogue, du vinyle et du temps de composition.

© Leïla Macaire

Format Court : Quand vous étiez à la Fémis, Emmanuelle, vous avez fait trois courts, il y en a même un qui a été pris à la Cinéfondation. Comment perceviez ce format-là à l’époque ?

Emmanuelle Bercot : C’était un peu particulier parce que j’étais obligée de faire des courts-métrages et que j’étais encadrée pour les faire. Je n’ai ni dû me battre ni convaincre des gens pour trouver de l’argent. Ça faisait partie de la scolarité. Après je vous avoue que je pensais que mes premiers courts-métrages n’allaient être vus que par mes profs et mes parents. Je ne venais pas du tout de ce monde-là. Je n’avais aucune notion qu’il y avait autant de festivals et je ne savais même pas qu’à l’intérieur de l’école, quelqu’un s’occupait de proposer les courts des étudiants en festival. Je me souviens très bien qu’on m’a appelée pour me dire que mon film était sélectionné à Cannes mais je n’ai même pas été contente, tellement je n’ai pas compris ce que ça voulait dire. C’est après, une fois qu’il a fallu tout mettre en branle pour être présent à Cannes et tout le reste, que je me suis dit qu’il y avait un truc qui pouvait se passer pour les courts-métrages qui était énorme. Le fait que mon court-métrage était à Cannes et qu’il ait eu un prix, ça a complètement tout changé pour moi. Dès le moment où vous avez un prix, les producteurs ne regardent même pas votre court-métrage, ils vous appellent directement ! Ça m’a ouvert absolument toutes les portes. En débarquant complètement dans ce métier, je l’ignorais et après, avec ce court métrage, j’ai fait à peu près tous les festivals qui existent et j’ai vu qu’il y avait un vrai monde du court-métrage. De loin, on peut penser que c’est un peu le parent pauvre, qu’il faut se démerder un peu tout seul mais il y a énormément de lieux qui mettent en valeur le court-métrage et qui te font découvrir des cinéastes. C’est ça pour moi le rapport au court-métrage.

Est-ce que vous aviez les moyens d’expérimenter ce que vous vouliez ?

E.B. : Bien sûr, c’est une école d’état. Il y a énormément de moyens dans cette école. Je ne sais plus le coût de la scolarité par étudiant mais on a des moyens de dingue. C’est très dur d’y rentrer aussi (rires), il y a une grosse sélection. Comme tous les concours, c’est injuste mais quand on y est, on a énormément de moyens.

En terme d’écriture, est-ce qu’il y avait un truc que vous vouliez particulièrement faire sur ce film vu que vous aviez des moyens à disposition ?

E.B. : Je n’ai pas raisonné comme ça. J’ai écrit un truc que j’avais envie de raconter, sans penser à expérimenter en fait. De toute façon, quand on fait un premier court-métrage, on expérimente ce que c’est que de faire un tournage car on ne sait pas ce que c’est en fait. Pour moi, c’était ça l’expérience. Je ne me suis pas dit : « Je vais faire un truc hyper radical parce que là je peux le faire et que je ne pourrai pas après ». Je n’ai pas du tout raisonné comme ça. C’est un court-métrage qui s’apparente au film social, c’est un type de film qui m’a toujours énormément plu, je suis partie directement dans une direction qui me correspondait, je n’ai pas eu le sentiment d’expérimenter autre chose que ce que c’est que de faire du cinéma.

Vous travaillez en famille, avec vos comédiens, votre équipe technique. Est-ce que c’est quelque chose qui a démarré quand vous étiez à l’école ?

E.B. : Tous les gens qui étaient sur Les Vacances, mon premier court-métrage, sont des gens avec qui je travaille encore aujourd’hui.

« Les Vacances »

Votre monteur, Julien Leloup commence le montage au début du tournage et vous envoie à vous, Eric Neveux, des séquences pour que vous puissiez commencer à composer. Est-ce que c’était une idée de vous, Emmanuelle ? Est-ce vous qui avez instauré cette façon de faire ?

E.B. : Pour moi, la façon de faire, c’est de commencer à monter pendant le tournage. Ce n’est pas obligatoire. Je le fais parce qu’on travaille ensemble depuis 25 ans avec Julien, il me connaît tellement que j’ai confiance dans ce qu’il va faire en mon absence. Je ne pense pas que je le ferais avec un autre monteur. Je fais ça de plus en plus car on gagne quand même deux mois de post-production. Comme je leur fais à tous les deux extrêmement confiance, ça me parait normal qu’ils avancent sans moi parce que pendant le tournage, je ne suis absolument pas disponible pour penser à autre chose. Je trouve ça chouette qu’ils puissent démarrer tous les deux sans moi.

Est-ce que votre monteur vous montre des séquences montées pendant le tournage ?

E.B. : Non, je ne regarde même pas les rushes. La seule chose, c’est que mon monteur me fait très régulièrement des retours par mail, des critiques, peu de compliments, pour essayer de redresser la barre avant qu’il ne soit trop tard.

Des critiques, à quel niveau par exemple ?

E.B. : Sur la mise en scène, les focales, le choix des plans, ceux qui manquent, beaucoup sur les acteurs, sur tout ce sur quoi on peut encore agir pendant le tournage.

Eric Neveux : Pour la musique, le fait de faire ça permet de gagner un temps précieux. Il y a plein de cas où on fait des films en 2-3 mois parce la collaboration n’est pas aussi organisée que ça, parce que tout à coup, le montage est fini et qu’il faut faire la musique. Ça arrive assez souvent et là sur De son vivant, l’idée, comme il y avait un enjeu un peu particulier sur la musique, c’était de trouver un ton spécifique sur ce film. Il y avait un réflexe de se dire qu’on allait commencer dès que possible. Julien, le monteur, m’a même demandé à partir de quand j’étais en mesure de recevoir le contenu. Je lui ai dit : « Dès que tu peux, dès que tu trouves un assemblage ». Je suis très partant pour recevoir des choses, pour commencer à travailler.

Vous dites que sur chaque projet, il y a un enjeu. Quelle était la particularité de celui-ci ?

E.N. : Je ne sais plus si on se l’est vraiment dit mais il fallait trouver un ton pour traiter ce principe de mélo, un principe qui soit le bon. Pour ça, on a besoin de temps. Quand on a du temps, on l’utilise pour chercher. Parfois, travailler dans l’urgence sur la fin, ça peut être très intéressant. Là c’était typiquement un film sur lequel j’étais content de ne pas recevoir des images et d’avoir juste deux semaines pour proposer mon travail. Pour De son vivant, c’était vraiment une bonne chose de prendre le temps, de ne pas être obligé de fournir ou de produire. C’est ce qui a caractérisé la façon de travailler sur le film, ce qui ne nous a pas empêchés d’avoir des rushes à la fin car si même tu as travaillé très tôt, à la fin, il va y avoir des choses que l’on met plus de temps à trouver et que l’on doit faire un peu plus dans l’urgence. Ce sont des dynamiques qui se suivent et qui sont d’ailleurs intéressantes toutes les deux.

(…) Le moment de tension, c’est quand on cherche le ton. Après, quand on a l’impression d’avoir trouvé une couleur et une sorte de grammaire musicale qui peut durer 30 minutes ou 1h10, ça représente du boulot, mais ce n’est plus la même pression. Avoir du temps pour chercher ce ton, c’est vraiment très précieux.

Eric, vous avez fait des courts à vos débuts, est-ce que vous avez encore envie de faire de la musique pour ce type de films ?

E.N.: J’ai fait des courts au début pour apprendre mon métier. C’était passionnant. En revanche, à quelques exceptions près, je trouve que c’est bien de ne plus en faire après parce que c’est utile de laisser les projets aux gens qui ont besoin de démarrer justement. Quand on m’appelle pour des courts, je dis en général non parce qu’il y a plein de gens qui sont comme moi il y a dix ans. Un court, c’est un film. Pour un musicien, c’est le même enjeu, les mêmes problématiques, donc j’ai plutôt tendance à ne pas accepter.

Est-ce que le court-métrage est une forme que vous, Emmanuelle, vous suivez encore un peu ?

E.B. : Je ne vais pas vous mentir, je n’aime pas ça. Parfois, des jeunes réalisateurs m’envoient leurs courts-métrages donc par gentillesse et politesse, je les regarde et je leur fais un retour, mais c’est vraiment le seul contexte dans lequel je vois des courts-métrages. Même quand j’en faisais, je n’aimais pas trop ça. Je trouve ça extrêmement difficile, cette durée. Il y a pourtant des courts fantastiques, ceux de Ozon par exemple, des films exceptionnels qui sont bien mieux que certains longs-métrages mais sur la masse de courts, c’est un format dans lequel je ne suis pas bien. Après, j’ai beaucoup de curiosité. Si tout le monde parle d’un court-métrage, je vais aller le regarder. Souvent quand on me propose des rôles d’actrice dans un premier long-métrage, je regarde les courts-métrages qu’on m’envoie. Là ça m’intéresse énormément parce que c’est la seule boussole que j’ai pour savoir un peu à qui j’ai à faire. Et je me détermine beaucoup sur les courts-métrages.

« La puce »

Par rapport à cette position d’actrice, est-ce vous avez envie de faire confiance aux jeunes réalisateurs ?

E.B. : On a hyper envie, c’est sûr, c’est génial. Mais sans avoir rien vu, c’est compliqué.

Quand vous travaillez, qu’est-ce qui détermine une belle écriture ?

E.B. : Les dialogues. Sur la construction, c’est normal, on a tous été médiocre. Au début, c’est tellement compliqué l’écriture de scénario. Les premiers scénarios sont plein d’erreurs. Et même aujourd’hui, au bout de 25 ans de métier, mes scénarios sont toujours plein d’erreurs de construction. En revanche les dialogues, ça, ça ne trompe pas. Si ça sent l’écriture, si ça sent le papier comme on dit… Le dialogue, pour moi, on a le sens ou on ne l’a pas. C’est vraiment le baromètre.

Donc à l’écriture, vous allez savoir selon le dialogue si ça peut être bon ou pas ?

E.B. : Le meilleur acteur du monde, s’il dit un mauvais dialogue, il est « à chier », il n’y a rien à faire. Souvent, quand il y a un truc qui ne marche pas, ce n’est pas l’acteur, c’est que le truc est mal écrit. Moi ça m’arrive de  réécrire quelque chose parce que l’acteur n’arrive pas à le jouer. C’est pas de sa faute, c’est de la mienne. C’est comme quand vous voyez un premier court-métrage et que les acteurs ne sont pas bons. Ça ne donne pas très envie d’y aller.

Eric, vous avez lancé votre propre label. Pourquoi ?

E.N. : C’est plus une maison de production qu’un label. C’est ce qui me permet de sortir des choses comme le vinyle de la musique de De son vivant ou des albums en digital. Ce n’est pas un label à proprement parlé avec du développement d’artistes.

Les manières de consommer ont changé. Avant, on allait acheter le CD de la bande originale d’un film. Aujourd’hui, les gens ont plus recours au vinyle.

E.N. : Le retour du vinyle, c’est vraiment intéressant. Ce qui se passe en ce moment est énorme. À la Fnac par exemple, le rayon vinyle à explosé en taille, ça me ravit. Les vinyles sont des beaux objets et ça se vend. Les usines n’arrivent pas à en fournir depuis quelques mois. Ça s’explique par diverses raisons mais aussi parce qu’il y a des gros artistes qui sortent en vinyle et qui engorgent des usines entières. En ce moment, c’est complètement dingue. Je pense qu’il y a un rapport à l’objet par opposition avec le streaming où c’est pratique, où on fonctionne plus en playlist. Je suis très content parce que faire des vinyles, ce n’est pas très rentable mais c’est super, ça crée des occasions, on retrouve ce rapport à l’objet.

Comment percevez-vous du coup le fait que les films sortent en DVD ? Est-ce que ça reste un enjeu pour vous, Emmanuelle, de sortir vos films en DVD ?

E.B. : Je pense être assez représentative des personnes lambda. J’achetais énormément de DVD, je n’en ai pas acheté depuis à peu près dix ans, je ne sors plus un DVD de ma bibliothèque et je pense que je ne suis pas la seule. Je me demande pourquoi on continue à sortir des DVD. En plus, moi, je n’ajoute plus de bonus dessus. Je ne mets plus de making of parce que ça coûte de l’argent qu’on m’enlève sur le film donc je n’en veux pas, mais pour moi l’intérêt du DVD, c’est le fait que l’on avait des documents (bonus), j’adorais ça. Personne ne les regarde aujourd’hui alors je ne vais pas me fatiguer. Ça va peut-être revenir comme le vinyle… Je ne me renseigne jamais sur les ventes de DVD de mes films et puis personne ne m’en informe. J’ai l’impression que personne ne s’en soucie alors que sur les sorties des films, vous êtes bien au courant du nombre des entrées. Le reste, par contre…

Propos recueillis par Katia Bayer et Damien Carlet. Retranscription : Damien Carlet

The Penelopes : « On aime bien les gens qui ont une certaine fragilité »

Invité au Festival Musique et Cinéma à Marseille, le groupe français The Penelopes, exilé à Londres, s’est fait connaître par sa musique électronique et ses collaborations avec les actrices Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen et Asia Argento. En parallèle à leur groupe, les deux amis d’enfance Axel Basquiat et Vincent Tremel, s’intéressent au cinéma, court comme long.

Vous avez signé la musique de plusieurs courts-métrages, quel rapport entretenez-vous avec ce format ?

Axel Basquiat : Nous on aime bien cette forme. Même si on a un groupe de musique, que l’on a une carrière, on aime bien rester ouvert d’esprit et rencontrer des gens créatifs, des jeunes gens. Le futur du cinéma. C’est un moyen de ne pas être conservateur, de ne pas traîner seulement dans ta chapelle avec des gens avec qui tu as déjà collaborés.

Vincent Tremel : J’aime bien le format court. Ça m’intéresse que l’on puisse développer une idée en 10-15 minutes. On a fait un court pour Canal +, Eden de Olivier Perrier, qui est un film de 12 minutes. C’est efficace et j’aime bien ça.

Comment appréhendez-vous le travail avec les réalisateurs ? Faites-vous des propositions en amont, à la lecture du scénario ou attendez-vous de recevoir les images des films ?

A.B. : La règle, c’est qu’il y a pas de règles. C’est pour ça que l’on aime bien composer pour des films. Tu peux travailler avec un réalisateur ou arriver à la fin du dispositif où tu fais la musique quand tout est terminé. Mais nous, on a un tropisme quand même pour proposer quelque chose avant le tournage. Souvent, dans nos projets qui ont assez bien marché et qui se sont retrouvés dans des festivals importants (Cannes ou Sundance), on avait bossé sur les séquences en amont. C’est le cas du film Acide de Just Philippot, dont la musique de la scène d’ouverture avait été créée un an avant le tournage. Le réalisateur disposait de la musique dès le départ.

V.T. : On aime bien sonder un peu le réalisateur avant, connaître ses goûts musicaux personnels. Même si ce n’est pas vraiment ce qu’il veut pour le film, parfois il aime entendre des petits rappels de sa culture musicale. On aime bien parler avec lui et voir ce qu’il veut entendre. Plus c’est en amont, mieux c’est.

A.B. : On aime bien envoyer du matériel sonore qui n’est pas forcément utilisé mais qui peut rassurer le réalisateur. Même si ça nous demande du travail, on aime bien mettre les gens en confiance, surtout quand il s’agit d’un premier court.

Vous avez été amené à chanter avec des comédiennes (Asia Argento, Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen). Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’idée de faire chanter des actrices ? Est-ce qu’à l’inverse, l’écriture de scénario voire la réalisation, vous a déjà intéressés ?

V.T. : Alors, la réalisation ne nous a jamais intéressés.

A.B. : On a des idées mais on est trop occupé avec le groupe. Ça demande déjà beaucoup d’énergie. Pourquoi on bosse avec des actrices ? En premier, on travaille avec des actrices qui ont des  tempéraments, qui ont des idées fortes.

V.T. : Des femmes qui ont des voix particulières aussi. : celle de Asia, celle de Isabelle avec son célèbre trémolo que l’on connaît des chansons de Gainsbourg et celle de Virginie qui est très grave. Ce sont des voix totalement différentes mais très facilement identifiables pour l’auditeur. Tu sais par exemple que c’est Virginie Ledoyen qui chante sur le morceau quand tu l’entends.

A.B. : Et puis, ce sont de belles rencontres. On aime bien la fragilité, on adore collaborer avec des gens qui n’ont pas forcément un entraînement classique à la musique. Moi par exemple, j’adore Leonard Cohen, plein de gens disent qu’il ne sait pas chanter mais moi je trouve qu’il chante super bien. J’aime bien les gens qui ont de la personnalité, qui ont une certaine fragilité.

Vous avez emménagé à Londres il y a 7 ans. Comment percevez-vous la scène musicale et l’univers cinématographique sur place ?

V.T. : En musique, c’est hyper riche. Ils ont une culture musicale très importante. Les musiciens solistes sont d’un niveau fou. Il y a énormément de groupes, c’est ultra compétitif. En cinéma par contre, ils sont quand même moins lotis qu’en France parce que c’est plus libéral, parce qu’il y a n’a pas de subventions. Il n’y a pas tous ces systèmes d’accompagnement. Autant sur la musique ils sont très bien lotis – c’est pour ça aussi que l’on y est – autant sur le cinéma, il y a moins d’opportunités pour les jeune réalisateurs.

Propos recueillis par Damien Carlet

Fragile de Emma Benestan

Il y a quelques mois, est sorti en DVD Fragile, le premier long-métrage de Emma Benestan, un premier film sensible, léger, drôle et touchant, sorti en salles en août 2021 grâce à Haut et Court. Avant ce long, la réalisatrice a fait 5 incursions en court avec notamment Belle gueule en 2015 et L’Amour du risque en 2017, tous les deux présentés en bonus sur ce DVD, édité par Blaq Out, dont nous vous offrons 3 exemplaires. En parallèle, le film est projeté à plusieurs reprises cette semaine lors du Festival Musique et Cinéma de Marseille lors de séances pour les scolaires et les familles.

Az, interprété par Yasin Houicha, travaille chez un ostréiculteur à Sète. Il fréquente Jess, une comédienne jouant dans une série policière tournée dans la région (interprétée par Tiphaine Daviot, vu entre autres dans le cesarisé Les bigorneaux de Alice Vial). Az décide de demander Jess en mariage et se met en tête de cacher la bague dans une huître qui serait ouverte devant elle au restaurant, mais tout ne se passe pas comme prévu. C’est justement le moment que choisit Jess pour annoncer à Az qu’elle a besoin d’air et qu’elle voudrait une pause. La peine de coeur que va essuyer Az va être rendu plus vivable par sa bande de potes. Ceux-ci vont essayer de le réconforter, de l’aider à sortir de sa déprime (parmi eux Bilel Chigrani, vu dans Le Chant d’Ahmed de Foued Mansour et Raphaël Quenard que l’on a retrouvé dans le récemment cesarisé Les Mauvais garçons de Elie Girard). De son côté, le personnage de Lila, interprété par Oulaya Amamra, va se montrer autrement présente. Fidèle collaboratrice de la réalisatrice, la comédienne était était déjà le personnage principal de son court métrage Belle gueule en 2015.

En se faisant passer pour sa nouvelle petite amie pour rendre Jess jalouse ou encore en apprenant à Az à danser (ce qui donne d’ailleurs lieu à quelques scènes décalées et drôles), Lila lui permet de sortir la tête de l’eau. Une ambiguïté surgit entre les deux êtres qui finissent par flirter l’un avec l’autre. Ce premier long-métrage fait la part belle à un ton léger et enlevé. Il nous transporte dans une atmosphère de printemps ou d’été au bord de la Méditerranée (comme dans Belle gueule où Oulaya Amamra vendait des beignets et des chichis sur une plage). Malgré la peine de coeur que vit Az, la réalisatrice nous emmène dans le registre de la comédie grâce notamment aux personnages secondaires qui offrent un ton plus léger au film. Comme dans cette séquence magistrale où après s’être fait refouler par le physionomiste d’une soirée organisée par le producteur de la série dans laquelle joue Jess, la bande d’amis réussit à s’introduire malgré tout dans la fête et vient bousculer les codes et les rouages de cette soirée privée par des joutes verbales, d’esprit, portées par une verve digne du 18ème siècle.

On retrouve dans ce film la question de la séduction, de l’amour et des rapports hommes/femmes, thèmes qui semblent chers à Emma Benestan. Elle avait déjà questionné ces thèmes dans le court-métrage L’Amour du risque où une « coach » en séduction venait en aide à des garçons en demande de conseils de drague et de séduction. Fragile, lui, s’intéresse plus particulièrement au personnage de Az, un jeune homme sensible ayant peu confiance en lui et ayant besoin de se faire aider. Pour le coup, ce sont les femmes qui seront ses meilleurs guides : sa mère, ses soeurs et sa nouvelle complice, Lila, qui cherchent à le rassurer et l’accompagner. Fragile interroge aussi la notion d’« être un homme », car c’est souvent par cet adjectif de « fragile » qu’est désigné Az, le héros. En éffet, il peut être maladroit, sensible et pas toujours sur de lui. Mais cela ne l’empêche pas de séduire, de pouvoir aimer et de tomber amoureux. Porté par des comédiens de talent, le film réussit à nous emporter par son ton loufoque et son énergie solaire. Grâce à ce premier long métrage, Emma Benestan continue avec la légèreté qui caractérise désormais son cinéma, à raconter des histoires et à interroger des thèmes importants, contemporains et universels et ainsi à tracer un sillon déjà bien entamé dans ses courts-métrages.

Damien Carlet

S comme Sideral

Fiche technique

Synopsis : À Natal, dans le nord du Brésil, le premier lancement historique d’une fusée brésilienne est sur le point d’avoir lieu. Un couple vit avec ses deux enfants près du centre spatial, lui est mécanicien, elle, femme de ménage, mais elle rêve d’autres horizons…

Pays : Brésil, France

Durée : 15′

Année : 2021

Réalisation : Carlos Segundo

Scénario : Carlos Segundo

Image : Carlos Segundo, Julio Schwantz

Montage : Carlos Segundo, Jérôme Bréau

Son : Miguel Sampaio, Antoine bertucci & Vincent Arnardi

Musique : Jérôme Rossi

Interprétation : Priscilla Vilela, Enio Cavalcante, Fernanda Cunha, Matheus Brito, George Holanda, Mateus Cardoso, Robson Medeiros.

Production : Les Valseurs, Casa da praia, O Sopro do Tempo

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Sideral de Carlos Segundo

Prix du scénario et Mention spéciale du Jury Jeunes au Festival Format Court 2021, Sideral est programmé ce jeudi 7 avril 2022 aux Ursulines dans le cadre de la reprise de notre palmarès. Le film, présenté par Carlos Segundo, réalisateur, scénariste, co-monteur et co-chef opérateur du film, faisait partie de la sélection officielle des courts à Cannes en 2021.

Le premier plan de Sideral représente la maison des protagonistes du film, devant laquelle brûle un petit feu. La maison est d’apparence modeste, bâtie par des ajouts progressifs de matériaux. Une seule image suffit à situer la classe sociale des personnages du film. Le cadre est fixe, comme la plupart de ceux qui composent le film. L’image est en noir et blanc. Et pourtant, une flamme allumée devant la maison se meut dans la nuit et rompt la fixité. Ce premier plan donne la tonalité d’un film qui libère ses personnages de toute tentative d’enfermement, dans leur vie comme dans le cadre.

Les relations entre les membres de la famille sont rapidement posées dans un cadre naturaliste. Le premier soir, le père est absent. On apprend plus tard qu’il était avec une autre femme, plus jeune que la sienne. Il ne s’occupe pas de ses enfants et passe son temps à réparer des voitures au garage où il travaille. La mère travaille comme femme de ménage la journée, elle s’occupe de la maison et des enfants le soir. L’emprisonnement des personnages dans la répétition quotidienne des mêmes gestes est particulièrement souligné par la fixité des plans, pour la plupart d’entre eux, et le choix du cadre 4/3 tout au long du film. Les objets qui composent l’arrière-plan sont pour la plupart usés et anciens : ils sont des marqueurs sociaux, vétustes parce que la famille n’a pas les moyens de les changer.

La famille vit enfermée dans une quotidienneté qu’un événement vient bouleverser : le lancement de la première fusée brésilienne, à proximité de la maison. Le petit garçon est fasciné par les fusées, il en a une réplique dans sa chambre et demande à sa mère de filmer celle qui va décoller, car elle fait partie de l’équipe de nettoyage qui s’occupe de la fusée avant son lancement. Or l’événement qui rompt la quotidienneté souligne précisément la fracture sociale. La conquête spatiale reste hors-champ : elle apparaît dans le film à travers la télévision ou la radio. Le décollage de la fusée rappelle d’autres événements qui ont fait rêver les enfants brésiliens tout en leur étant éloignés voire inaccessibles, comme la Coupe du monde de football de 2014 ou les Jeux Olympiques de Rio de 2016.

L’intrigue de Sideral se situe dans la région brésilienne historique pauvre du Nordeste. C’est dans cette région que se trouvent les deux bases de lancement de l’Agence spatiale brésilienne. La première se trouve à Natal, elle est active jusqu’au début des années 1990. La seconde est la base d’Alcântara, d’où les fusées partent aujourd’hui. En s’intéressant au lancement de la première fusée brésilienne et en situant le récit près de Natal plutôt qu’à Alcântara, Carlos Segundo ancre son film dans un temps passé, peut-être du côté d’un événement mémoriel.

Si la fusée est tenue à distance de la plupart personnages, celui de la mère franchit la frontière qui sépare la réalité du rêve. Agacée par le rôle qui lui est assigné, elle rêve de s’en aller. À travers le choix qu’elle fait à la fin du film, elle signe un refus de sa condition par la recherche d’un échappatoire. Le désir d’ailleurs de la mère, c’est bien la flamme qui brûle dans le premier plan du film. C’est là le rôle de la fiction : libérer les personnages du poids de la réalité. Les longs silences qui marquent l’incompréhension des autres personnages face à ce choix apportent à la conclusion du film une tonalité comique qui complète la dimension naturaliste. Le rêve, nourri de l’imaginaire de la conquête des étoiles, libère le personnage de la quotidienneté. La fiction s’émancipe du réel, elle rompt l’enfermement des personnages dans leur condition sociale. Elle est la flamme qui brûle dans la nuit.

Paul Lhiabastres

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview du réalisateur

Le Festival Music & Cinema s’invite à Marseille ❤️

Marseille accueille d’ici quelques jours le Festival Music & Cinema, organisé anciennement à Aubagne. Du 4 au 9 avril, projections, concerts et rencontres autour de la musique de film sont au programme. Sont attendus de nombreux musiciens et réalisateurs accompagnés de leurs compositeurs. Le Festival accueille également le premier Marché européen de la composition musicale pour l’image avec plus de 200 professionnels et une centaine de compositeurs.

10 premiers longs-métrages sont programmés : Ma famille afghane de Michaela Pavlátová (qui avait réalisé en son temps – il y a 10 ans – le fameux court Tram, soutenu sur notre site), Le Cœur Noir des Forêts de Serge Mirzabekiantz (dont on avait beaucoup aimé le court One) ou encore Clara Sola de Nathalie Alvarez Mésen (Quinzaine des Réalisateurs 2021).

Côté courts-métrages, le festival accueille en compétition pas moins de 63 films répartis en 11 programmes, représentés pour bon nombre d’entre eux par leurs réalisateurs et compositeurs. Parmi ceux-ci : Les Criminels de Serhat Karaaslan, Partir un jour de Amélie Bonnin, Titan de Valery Carnoy ou encore Dans le silence d’une mer abyssale de Juliette Klinke (dont on avait diffusé Les Dauphines, le film de fin d’études de la réalisatrice).

De nombreux pros sont attendus sur place, notamment Dominique Blanc, Emmanuelle Bercot, Tony Gatlif, la chanteuse Imany, le groupe The Penelopes, … Format Court sera également présent pendant tout le festival et vous proposera news, films en ligne, reportages et interviews. En attendant, voici le programme de la manifestation.

Oscars du court 2022, les lauréats

La 94ème cérémonie des Oscars a eu lieu cette nuit. Sur les 15 titres retenus en fiction, animation et documentaire, 3 films ont été distingués par l’Académie. Voici lesquels, en ligne en bonus !

Oscar du Meilleur court-métrage d’animation 2022 : The Windshield Wiper de Alberto Mielgo (USA, Espagne)

Oscar du Meilleur court-métrage de fiction 2022 : The Long Goodbye de Aneil Karia (Royaume-Uni,Pays-Bas)

Oscar du Meilleur court-métrage documentaire 2022 : The Queen of Basketball de Ben Proudfoot (USA)

Elie Girard : « J’ai besoin que mes histoires soient imprégnées du monde réel »

Elie Girard a remporté le César du court-métrage de fiction avec Les Mauvais Garçons. Il réunit à l’écran Raphaël Quenard et Aurélien Gabrielli qui interprètent deux amis d’enfance aux personnalités différentes et contrastées, amenés à repenser leur relation à la trentaine passée. Nous avons échangé avec le réalisateur de ce long court-métrage (40 minutes) que nous avions par ailleurs eu le plaisir d’accueillir à l’un de nos After Short César en décembre dernier, en compagnie de son producteur Lionel Massol (Films Grand Huit).

Les Mauvais Garçons est sorti en salles en janvier 2022, dans le cadre de la programmation Tous les garçons et les filles, et est encore visible dans quelques salles. Sont présentés ensemble le moyen-métrage d’Elie Girard et le court de Charline Bourgeois-Tacquet, Pauline Asservie, avec Anaïs Demoustier et Sigrid Bouaziz.

Format Court : Comment s’est passé cet après-César ?

Elie Girard : Et bien… Ça fait extrêmement plaisir de recevoir autant de messages de soutien de tes proches, de personnes que tu n’as pas vues depuis super longtemps, ou simplement de gens qui ont vu le film ou la cérémonie et qui souhaitent t’encourager. Ça donne vraiment beaucoup d’énergie. J’ai vraiment essayé de répondre à tout le monde, et puis… J’ai perdu mon téléphone ! Je suis donc passé de la joie et la fête à un silence soudain. J’en ai profité pour prendre quelques jours de vacances, ce qui était sans doute également souhaitable, car la diffusion du film nous a demandé beaucoup de travail. Maintenant, je me concentre sur le futur.

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

E.G. : J’ai toujours eu envie de réaliser des films mais j’ai tourné un petit bout de temps autour du pot. Très tôt, j’ai fait des films autoproduits et j’écrivais aussi des scénarios que je ne faisais pas forcément lire. Du coup, j’ai fait mes études dans ce sens : la fac, un BTS audiovisuel puis l’école Lumière. Et à partir de là, comme je ne me sentais pas encore spécialement légitime comme réalisateur, j’ai commencé à travailler dans des équipes images : assistant caméra, chef opérateur, surtout sur des courts-métrages.

J’ai énormément appris en tant que chef opérateur. Ça m’a permis de voir plusieurs plateaux dans l’année, différentes manières de travailler avec des comédiens et d’en rencontrer aussi. Ça a renforcé ma formation. Puis en 2015-2016, j’ai fait l’atelier scénarios à La Fémis qui permet d’écrire un long-métrage en un an. J’ai parachevé tout ce que j’avais envie de voir avant de me lancer sur mes propres films. En parallèle, je faisais aussi des clips et du documentaire musical. J’ai planté des graines un peu partout jusqu’à ce que Pauline Seigland (Films Grand Huit) vienne me voir. Elle connaissait un peu mon parcours, et moi, je me sentais en confiance. Au cours de nos discussions, je lui ai présenté Les Mauvais Garçons, une fiction que j’avais initialement écrite pour France Culture et on a commencé à travailler ensemble.

C’est plutôt rare les films qui abordent l’amitié masculine. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?

E.G. : C’est drôle car je n’ai pas choisi cette thématique en pensant qu’elle était peu explorée à l’écran. J’aurais bien aimé, mais ce n’était pas aussi conscient de ma part. En sortant de la formation à la Fémis, France Culture m’avait proposé d’écrire pour une série qui s’appelait “Les vies modernes”, c’était quelque chose d’assez contemporain et naturaliste. Afin d’être sûr de ce que je racontais, j’ai choisi une thématique que je connaissais bien et qui me touchait. J’avais un peu plus de 30 ans et je venais de traverser ces états. Je me sentais légitime d’en parler, c’était peut-être un besoin aussi. Cette connaissance m’a permis de faire les choses assez vite et de m’approcher au plus près d’une forme de réalité.

C’est important pour toi, cette “réalité” ?

E.G. : D’un côté, je crois énormément à la fiction et à son pouvoir cathartique, empathique et émotionnel. De l’autre, en tant que spectateur et auteur, j’ai besoin que ce soit fortement rattaché au réel. Je cherche un sens et une légitimité du propos. J’ai besoin que mes histoires soient imprégnées du monde réel, de données concrètes.

Comment s’est imposé le choix du moyen-métrage ?

E.G. : Ce n’est pas une volonté de départ. Si on avait dû choisir, on l’aurait fait plus court car c’est plus facile à diffuser et même à produire. Les chaînes n’ont pas beaucoup d’endroits pour montrer un moyen métrage. La fiction que j’avais écrite pour la radio durait au total 70 minutes. Au moment de l’écriture, j’ai coupé beaucoup de personnages. Au départ, il y avait cinq garçons. Dans le film, ils ne sont plus que deux, donc ça densifie beaucoup les choses et permet de se focaliser sur cette relation.

Pourtant, notamment parce que je tenais à conserver la progression sur neuf mois avec des ellipses, on a rapidement senti que la durée du film serait plus longue qu’un court-métrage classique. Ça ne nous arrangeait pas vraiment (rires) ! Notamment pour trouver des financements, et ensuite pour la diffusion en festivals… Mais, avec Pauline Seigland et Lionel Massol, on a choisi de l’assumer, pariant que cette durée finirait par être une force. On s’est même posé la question d’allonger le film. Je ne sais pas vraiment l’expliquer, mais finalement ça ne marchait pas, surtout en termes d’action. Le récit est assez ténu. Je craignais qu’en rajoutant 10-15 minutes, on fasse naître l’ennui. Je ne voulais pas que le film s’étire ou soit contemplatif, donc finalement on a gardé les 40 minutes.

Comment as-tu choisi les acteurs ?

E.G : Pour cette histoire d’amitié, il y avait deux approches possibles : soit prendre deux comédiens aux vibrations similaires, voire étant déjà amis, soit à l’inverse chercher un contraste entre eux.

J’ai choisi cette deuxième option, car Les Mauvais Garçons est le récit d’une amitié en danger, qui se réinvente au fur et à mesure du film. C’était intéressant de partir d’un point de départ fragile, moins évident.

Aurélien et Raphaël sont totalement opposés physiquement, dans leur caractère et même leur manière de parler… Tout semble les séparer. Ça convient parfaitement à l’histoire du film. Tout au long du film, les deux personnages tentent de recoller les morceaux, et la distance qui les sépare rend le propos plus dynamique. Comme dans tout bon film de duo finalement.

Cependant, les personnages étaient tellement aux antipodes qu’il y avait toujours un risque que les spectateurs ne croient pas à cette amitié. C’était quitte ou double. Il fallait travailler les moindres détails du scénario pour rendre ce duo totalement crédible.

Qu’as-tu appris avec ce premier film ?

E.G. : J’ai appris à me faire confiance en tant que réalisateur. Et j’ai aussi appris à faire confiance aux comédiens, être ouvert à leurs suggestions. Ce n’est pas du tout un film improvisé, et nous avons énormément répété pour faire rentrer le film dans les dialogues prévus. Je craignais à chaque instant de perdre le fil de l’histoire, qui était déjà ténue, en faisant des digressions et improvisations.

Cependant, j’ai fait confiance aux acteurs à de nombreux endroits. Sur le plateau, ils sont vraiment les seuls à pouvoir se connecter aux personnages et à les faire vivre de manière juste, à proposer différentes manières d’incarner. C’est beaucoup le cas de Raphaël, et parfois ça tombe à côté et parfois ça rend les choses extraordinaires. Il y a une scène où Raphaël marche à côté d’Aurélien qui lui parle de sa déprime. Et à ce moment il s’arrêtait, il marchait lentement, il lui attrapait le bras… Il modulait la rythmique de la déambulation pour lui donner du sens. Cette manière de construire la scène dans des détails physiques apporte beaucoup d’expressivité.

La deuxième chose que je retiens, c’est qu’en étant le plus sincère possible, le sens profond du film parvient à se frayer un chemin jusqu’au cœur des spectateurs. Je n’en étais pas totalement conscient avant, car je n’avais pas encore fait tout ce chemin de l’écriture à la réception auprès des spectateurs.

Aujourd’hui, je me dis qu’à chaque fois que je crains un peu de faire lire une idée, un scénario – c’est parfois que je n’ai pas assez bossé – mais ça peut aussi être le signe que je suis sur la bonne voie. En tant qu’auteur, je dois me forcer à me dévoiler. Ce n’est pas quelque chose de facile ni confortable, mais je crois que c’est la condition sine qua non pour toucher vraiment les gens.

Peux-tu nous parler de tes nouveaux projets ?

E.G.: Depuis Les Mauvais Garçons, j’ai co-écrit et co-réalisé une série avec Camille Rosset, qui s’appelle Platonique et qui va sortir sur OCS au printemps. C’est l’histoire de deux amis qui décident de se séparer de leurs conjoints respectifs et de se mettre en colocation. Une semaine sur deux, ils explorent donc leurs célibats retrouvés ; et la semaine suivante, ayant la garde des enfants, ils essaient de reconstituer une famille de circonstance. C’est une histoire d’amitié aussi, et de duo donc, et j’ai adoré travailler avec Camille sur ce projet. C’est vraiment précieux de ne pas être seul.

Là on commence à développer plusieurs projets avec Films Grand Huit, un premier long métrage notamment. Mais après je n’exclus rien, ni d’histoire ni de format. J’aimerais beaucoup refaire de la série, surtout à la réalisation. Du théâtre aussi pourquoi pas ? Un podcast. Les Mauvais Garçons a confirmé mon goût pour le dialogue qui pourrait se développer ailleurs que dans la forme cinématographique !

Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand

Article associé : notre reportage sur les César 2022

Tout s’est bien passé de François Ozon

Adaptation du livre au titre éponyme d’Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé, l’avant-dernier film de François Ozon (Cannes 2021) est sorti récemment en DVD chez Diaphana avec en bonus des interviews exclusives du réalisateur, des acteurs et un court-métrage documentaire sur l’artiste plasticienne Claude de Soria, l’épouse du personnage central, André Bernheim.

De quoi parle Tout s’est bien passé ?

Grand débat de société, le droit à mourir dans la dignité est un sujet aussi tabou que « banal » et quotidien. Ce film biographique débute lors de l’accident vasculaire cérébral d’André Bernheim (André Dussollier). Présenté comme un homme charismatique et épicurien, ce dernier se retrouve alors diminué et demande à sa fille Emmanuèle (Sophie Marceau) de l’aider « à en finir ».

Le film retrace le récit des neuf mois qui ont suivi cette demande, dans lesquels les souvenirs et les histoires de famille reviennent à la surface. Pourtant, les deux sœurs Emmanuèle et Pascale (Géraldine Pailhas) restent unies, impliquées dans la seule mission qui a alors de l’importance : assister leur père dans sa décision.

Qu’en a-t-on pensé ?

Ce dernier film de François Ozon ne tombe que très rarement dans le pathos, le discours ne se veut pas plus militant. Le réalisateur ne prend pas de position franche. Il fait intervenir de nombreuses perceptions qui laissent la liberté à tout un chacun de se forger sa propre idée, et surtout sa propre volonté sur ce droit. L’élément central du film reste et demeure le personnage principal et son goût de la vie, mais ne cherche aucunement à influencer une idéologie commune.

Dans les interviews qu’Emmanuèle Bernheim a donné à la sortie de son livre, elle évoque le « dernier projet commun » qu’elle a accompli avec son père. Une forme de résilience, surtout d’amour inconditionnel, d’accepter et d’orchestrer cette étape fatale. François Ozon arrive à retranscrire ce lien indéfectible grâce à une chronologie rythmée du récit et à la performance des trois acteurs principaux.

François Ozon célèbre ainsi la vie avec des personnages aux émotions et caractères pluriels. De vielles histoires, de vieilles rancœurs et de vieux amours remontent à la surface, ponctuent le film et le rend digeste ; l’art et la musique en toile de fond. Ces multiples péripéties sonnent comme des sursauts d’espoir, des accroches qui retiennent le personnage à sa vie et en même temps la commémore. Elles permettent également de questionner nos propres motivations, et de réévaluer notre rapport à la vie.

Qu’est-ce qui a retenu notre attention dans l’édition DVD ?

Dans les bonus, on peut apprécier les interviews (filmées à Cannes en 2021) des trois acteurs et de François Ozon sur leur relation avec l’histoire d’Emmanuèle Bernheim et la difficulté d’être justes lorsqu’on aborde ce sujet délicat.

Un grand coup de cœur également pour le court-métrage documentaire sur la sculptrice Claude de Soria, l’épouse de André Bernheim, interprétée discrètement à l’écran par Charlotte Rampling. La relation entre l’artiste et le collectionneur est volontairement anémiée de Tout s’est bien passé. Absente dans les derniers moments de la vie de son mari, cette femme lui a pourtant permis d’une certaine manière d’avoir accès à celle qu’il a vécu : elle l’a initié à l’art contemporain, l’a incité à acquérir des oeuvres et lui a permis de se familiariser et d’intégrer ce milieu confidentiel. On découvre alors son parcours, l’évolution de sa pratique artistique et les diverses expositions qu’elle a présentées. Ce film documentaire permet de compléter le portrait de cette famille atypique, dont l’influence sur le domaine des arts reste encore aujourd’hui conséquente.

Anne-Sophie Bertrand

Tout s’est bien passé de François Ozon, édition Diaphana. Film et entretiens, scènes coupées, essais lumières et costumes, projets d’affiches, documentaire : « Claude De Soria, sculpteur » de Michelle Porte

Reprise du 3e Festival Format Court, le jeudi 7 avril 2022 !

Après une troisième édition parrainée par Swann Arlaud en novembre dernier, le Festival Format Court vous invite en salle pour une sélection de son palmarès. Cette séance unique, organisée avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International, aura lieu le jeudi 7 avril prochain à 20h au Studio des Ursulines (Paris, 5) en présence d’équipes de films primés et de membres de jurys. Un pot aura lieu après la séance au bar Les Ursulines, à deux pas de la salle. Soyez au rendez-vous !

Programmation

Nuits sans sommeil de Jérémy Van Der Haegen, 30′, 2020, Belgique, France, Néon Rouge Production, Tact Production.  Grand prix, Festival Format Court 2021. En présence du réalisateur

Synopsis : Nuits sans sommeil est le portrait d’une enfance au quotidien. Un village, une famille, un petit garçon qui aime porter des robes, le retour du loup et la vie de chaque jour, ordinaire et banale, sont la matière d’un récit qui raconte les désirs enfouis.

Le Départ de Saïd Hamich, 24′, 2020, France, Maroc, Barney Production, Mont Fleuri Production. Prix d’interprétation (Ayman Rachdane) et Mention spéciale à l’ensemble des acteurs et actrices du film, Festival Format Court 2021. En présence du réalisateur

Synopsis : Maroc, 2004. Cet été-là, Adil, onze ans, passe ses journées à jouer avec sa bande de copains et à attendre les derniers Jeux Olympiques de son idole, le coureur Hicham El Guerrouj. L’arrivée de son père et de son grand frère, venus de France pour quelques jours, va le marquer à jamais.

Maalbeek de Ismaël Joffroy Chandoutis, 16′, 2020, France, Belgique, Films Grand Huit, Films à Vif. Prix de la presse, Festival Format Court 2021, César du meilleur court-métrage documentaire 2022

Synopsis : Rescapée mais amnésique de l’attentat à la station de métro Maalbeek le 22 mars 2016 à Bruxelles, Sabine cherche l’image manquante d’un événement surmédiatisé et dont elle n’a aucun souvenir.

Hold Me Tight de Léo Robert-Tourneur, 6′, 2021, Belgique, France,  Vivi Film, La Clairière Ouest. Prix de la création sonore, Festival Format Court 2021.

Synopsis : Au cœur d’une forêt sombre, deux silhouettes se rencontrent, s’attirent et se repoussent lors d’une parade nuptiale explosive. Hold Me Tight est une romance amère et flamboyante.

Sideral de Carlos Segundo, 15′, 2021, France, Brésil, Les Valseurs, Casa da Praia Filmes. Prix du scénario et Mention spéciale du Jury Jeunes, Festival Format Court 2021. En présence du réalisateur

Synopsis : À Natal, dans le Nordeste, le Brésil s’apprête à lancer sa première fusée dans l’espace. Un couple vit avec deux enfants près du centre spatial, elle y est femme de ménage, lui mécanicien, mais elle rêve d’autres horizons.

En pratique 

* Durée de la séance : 91′

* Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

* Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

* Plein tarif : 8, 50€, réduit : 6,80 €. Achat sur place ou en ligne (billetterie Ursulines).

* Évènement Facebook

Ismaël Joffroy Chandoutis : « La priorité, ce n’est pas la diffusion mais la création »

Le César du meilleur court-métrage documentaire lui a été remis le 25 février dernier. Son film Maalbeek, ayant trait à l’attentat à la bombe de la station de métro éponyme à Bruxelles, le 22 mars 2016, avait été sélectionné à la Semaine de la Critique il y a deux ans. Entre Cannes et les César, il y a eu de nombreux festivals et prix dont celui de la presse décerné à notre Festival Format Court organisé fin novembre. Après deux courts (Ondes noires et Swatted) et avant son premier long, le cinéaste et artiste Ismaël Joffroy Chandoutis évoque dans cet entretien réalisé avant la cérémonie des César la frontière des genres, l’importance des limites et l’école de la débrouille.

© Bérengère Gimenez

Format Court : Tu as fait trois courts et là, ton projet, c’est d’avancer vers le premier long. Comment t’y prépares-tu ?

Ismaël Joffroy Chandoutis : Avec le premier long, je suis en train de trouver une méthode de travail qui me correspond. J’essaye de mettre en place les paramètres qui définissent le terrain de jeu, quelque part entre une approche conceptuelle – qui constitue les règles fixes – et l’approche narrative et plastique qui constitue le « play » et que je veux aborder de manière plus expérimentale et improvisée. Il me semble essentiel d’effectuer une circulation des approches, pour ne jamais être à court d’idées mais aussi pour ne pas hiérarchiser les étapes. On est donc très seul au départ, le temps que les idées se cristallisent. Seulement après, on peut commencer à ouvrir son projet et le laisser grandir dans les mains de l’équipe. Mais ce ne sera pas une grande équipe comme on le voit traditionnellement.

La manière dont je travaille l’animation, sachant que je n’ai jamais fait d’école, est très personnelle. Ce qui fait qu’au départ, je vais devoir donner le ton pour pour qu’on se synchronise tous, y compris avec les partenaires à trouver aussi. Tout ça prend du temps.

Il va falloir maîtriser chaque étape et avoir une marge de manœuvre qui nous permette de nous réajuster à chaque pallier. On réfléchit très souvent selon le modèle de pensée antique occidental, avec un objectif qu’on détermine dès le départ et ensuite on se fixe des paliers. Puis, on avance sans tout remettre en question. Dans l’approche orientale – les lectures que je fais en ce moment et qui m’aident beaucoup – ce n’est pas du tout ça, l’objectif. On accepte que le travail soit mouvant et beaucoup plus mobile, plus incertain. On réajuste donc à chaque pallier, quitte à repartir de zéro. Mais on ne repart jamais de zéro. C’est une peur qui n’est qu’illusion.

Comment tes intuitions et tes envies se confrontent-elles aux producteurs ? Vous devez quand même trouver un terrain d’entente pour mettre en place un projet commun.

I.J.C : La recherche de fonds, c’est surtout de la traduction d’idées abstraites en fonction des contextes. Des idées qui peuvent être impossibles à imaginer pour des gens qui ne sont pas forcément aussi proches de moi et de mes producteurs pour comprendre le projet. À partir de là, il y a tout un travail de l’ordre de la langue et de la traduction à faire. Godard en parle depuis très longtemps. Tout ça passe par le sacro-saint scénario depuis des décennies, un objet qui n’a plus de sens aujourd’hui. On pense qu’il peut en avoir un par étape, mais même pour des délais financiers, son sens est limité. D’autant qu’avec une approche documentaire, il est souvent demandé des trailers. En fait, c’est compliqué de pouvoir proposer un trailer quand on n’a pas encore de matière en tête, surtout quand, comme moi, on travaille dans l’animation. Mes films sont à la frontière des genres, et on retrouve, c’est vrai, une forte tendance vers l’animation.

Comment travailles-tu ?

I.J.C : Dans ma manière de créer des mondes, je suis assez seul ou avec très peu de gens au départ, j’accepte cette lenteur, c’est la seule manière de garder une marge de réajustement tout en expérimentant.

On crée une méthode de travail qui nous est personnelle. On a beaucoup en tête ce mythe de l’artiste qui regarde par la fenêtre pour trouver l’inspiration. Là-dessus, le cinéma a des méthodes que je qualifierais comme un peu ancestrales. Récemment, j’ai rencontré beaucoup de créatifs dans le milieu du jeu vidéo et ça m’a énormément inspiré. À tout moment, on peut arriver à un rendu final du jeu, avoir des retours et ensuite revenir à l’étape première de la narration. Le cinéma, en tout cas à Hollywood, est en train d’aller de plus en plus dans cette direction. On filme en temps réel de l’animation avec des décors affichés en 3D temps réel. Il y a des tournages qui se font exclusivement en virtuel, sans qu’on puisse en distinguer parfois l’artifice. Oui, j’ai envie de dire que mes films sont fortement inspirés de cette méthode qui bouleverse l’ordre établi. J’en suis plus que convaincu et j’ai pu déjà l’expérimenter sur mes précédents projets. C’est aussi une libération pour les acteurs qui arrêteront de faire des cauchemars à base de fonds vert !

Maalbeek a été catégorisé aux César en tant que documentaire alors qu’il est une balade entre les genres. Pourtant, tu qualifies ton film de geste documentaire…

I.J.C : Ce film est né d’un geste documentaire et je l’ai d’abord pensé en prise de vue réelle. Mais après, je l’ai imaginé avec de l’animation. Et imaginer, c’est convoquer la fiction. Donc on aura beau tout déconstruire, puisque c’est la tendance actuelle, cela n’empêche pas que la catégorisation du monde a une limite. Fort heureusement, il y a encore une place à ce qui échappe, à l’incertain, au renouveau, à l’idiome.

Personnellement, je suis très content d’ouvrir le bal avec la nomination de Maalbeek en documentaire et j’en suis d’autant plus content parce que je me sens en marge de cette catégorie.

Ce qu’il faut retenir, c’est que dans tous les cas, on est tous là, autour du même objet. C’est un moment dans une salle, avec des images et des sons projetés et diffusés. Et ça, c’est ce qui nous réunit tous.

© Bérengère Gimenez

Comment-vois tu le cinéma et la création de manière générale ?

I.J.C : Je souffre énormément d’une déformation professionnelle. J’arrive de moins en moins à rentrer dans les films car je me mets sur un mode analytique. Mes sources d’inspiration artistiques, ce sont surtout des expositions de peintures, de photos et d’installations d’art contemporain. Ça m’inspire plus et je trouve que c’est beaucoup plus libre. Enfin, c’est très souvent plus libre dans le geste, moins contraint. Il m’arrive aussi de regarder des séries, jamais en entier. Ce que j’apprécie dans les séries, c’est qu’il y a plus de diversité de sujets. Je trouve que ça répond plus à l’immédiateté de l’actualité. Et je reviens aussi de plus en plus à la littérature. Mais je dirais que le médium qui m’influence le plus, c’est probablement la musique, mais je n’en suis pas conscient.

Est-ce que le passage par deux écoles belges (Sint-Lukas et l’INSAS) et l’apprentissage de la débrouille ont pu influencer ta manière de faire des films ?

I.J.C : Oui. J’ai toujours appris à faire des films avec peu de choses, pas de financement, pas de matériel. À partir de ce conditionnement-là, j’ai été obligé de penser probablement les choses autrement que ce qui m’a été enseigné en France. Ça ne veut pas dire qu’il y a une méthode qui est meilleure qu’une autre. Quelque part, je pense que ce qui me permet d’aller là où je veux, c’est aussi que je me fabrique très souvent mes outils. Il m’est arrivé de fabriquer des bouts de code pour générer de l’animation ou de jouer avec des caméras. J’aime aller à l’encontre de ce pour quoi les outils, logiciel ou matériel, ont été faits. C’est vraiment quelque chose qui m’influence depuis que je suis enfant. Pour moi, c’est vraiment un moteur créatif que de créer des flux de travail, de « hacker » des logiciels et du matériel. Quand je parle de « hacker » un logiciel, l’idée, c’est de le dériver de sa fonction initiale. Si l’outil ne te satisfait pas, il faut que tu que tu le retravailles, que tu le conçoives. Il faut que j’en ai la maîtrise de bout en bout. Pour ça, il faut expérimenter et comprendre les limites des objets, celles des personnes avec qui on travaille ainsi que ses propres limites. Les limites de temps, de sujet, de représentation, c’est mon fil conducteur pour un film. Pour y arriver, c’est des mois de doute.

Mon approche créative ne tourne pas qu’autour du cinéma. Je fais aussi des expositions, je travaille l’image fixe et j’ai de plus en plus envie d’explorer la performance théâtrale, la musique, les installations artistiques et toutes ces choses, qui ne s’opposent pas au cinéma mais qui ne font que le nourrir.

© Bérengère Gimenez

À quel moment sais-tu que tu as terminé un film ?

I.J.C : Quand je n’ai pas de regrets, quand je suis content et je sais que je suis allé jusqu’au bout. J’entends souvent qu’on pourrait toujours aller plus loin, et ça m’énerve. Pour moi, c’est quelque chose qui est complètement faux parce que je sais exactement quand mes films doivent s’arrêter. Je le sens dans mes tripes et ce n’est pas quelque chose d’intellectuel. Le moment où je ressens la fin, c’est souvent un moment que je ressens physiologiquement. Il y a un moment où on s’arrête, et cette décision-là appartient à l’auteur.

Je suis toujours très content de revoir mes films, ça me permet de me rappeler ce qui a marché, de retrouver des raisons, des contraintes. Je ferai tout pour que la liberté et l’expérimentation que j’ai eues dans le court se retrouve dans le long métrage. Ma priorité, c’est de maintenir vivante la flamme de ce processus créatif, plus que le résultat.

Il y a des films que j’aime bien regarder en ce moment. Par exemple, les films de Wang Bing, où la démesure temporelle de neuf heures constitue une vraie expérience. J’aime bien le cinéma de Dupieux aussi. Ou encore les clips engagés du groupe russe IC3PEAK. Ce sont des objets hors normes. C’est ça qui me plaît. Ce que je sens, c’est que leur priorité première, ce n’est pas la diffusion, c’est d’abord la création. J’ai l’espoir que, si on va jusqu’au bout de ses idées tout en accueillant les retours des gens, on arrivera à créer quelque chose d’inédit qui sera accepté comme tel. C’est ce que tout le monde recherche, mais c’est ce dont tout le monde a peur.

Propos recueillis par Katia Bayer. Mise en forme : Agathe Arnaud

Article associé : la critique du film

Histoire d’en savoir plus sur les courts des César 2022

Animation, documentaire et fiction. Retrouvez nos interviews, reportages & news sur les talents repérés aux César du court 2022. Avec dessins et films en ligne, en mode surprise, dans certains articles. Chic.

Nos interviews :

Elie Girard, réalisateur de Les Mauvais Garçons, César du Meilleur court-métrage

Ismaël Joffroy Chandoutis, réalisateur de Maalbeek, César du Meilleur court-métrage documentaire

Marine Laclotte, réalisatrice de Folie douce, folie dure, César du Meilleur court-métrage d’animation

Paul Mas, réalisateur de Précieux, en lice pour le César du Meilleur court-métrage d’animation

Jimmy Laporal-Trésor, réalisateur de Soldat noir, en lice pour le César du Meilleur court-métrage de fiction

– Saïd Hamich, réalisateur de Le Départ, en lice pour le César du Meilleur court-métrage de fiction

Nos reportages :

– Les écritures documentaires aux César du court 2022

– Entre fiction et animation, 5 coups de coeur courts avant les César 2022

– Focus sur 5 courts de fiction présélectionnés aux César 2022

Nos actus :

– Les courts primés aux César 2022

– César 2022, quels sont les courts nommés ?

Marine Laclotte : « Le dessin en mouvement, c’est mon moyen d’expression »

Ce vendredi-là, Marine Laclotte repartait de la cérémonie des César avec un trophée pour son court-métrage Folie douce, folie dure. Ce documentaire animé raconte le quotidien d’un hôpital psychiatrique avec douceur et justesse. On en ressort ému et avec le sentiment fort de mieux comprendre ceux qui, d’habitude, nous font peur. Le regard tendre que Marine Laclotte leur porte dresse un portrait sincère. Pourtant, seules les prises de son sont réelles !

Format Court : Est-ce que tu peux me décrire en quelques mots ton parcours avant ce film ainsi que tes envies de cinéma ?

Marine Laclotte : Lorsque je suis sortie de l’école (EMCA, Angoulême), j’ai été sélectionné par Tant Mieux Prod et France Télévision pour réaliser un court métrage pour la saison 02 de la collection « En sortant de l’école », qui produit chaque année 13 films de courts métrages rendant hommage à un.e poète.sse. français.e.

Cette belle expérience m’a permis de rencontrer beaucoup de professionnels de l’animation, dont Christian Pfohl de Lardux Films, qui a produit Folie douce, folie dure. C’est en 2015 que j’ai commencé à écrire ce film, après avoir livré mon court-métrage Papier Buvard, basé sur le poème du même nom de Robert Desnos.

J’ai mis 4 ans à fabriquer Folie douce, folie dure, entre la première aide à l’écriture et la livraison du film. Mais cette fabrication a été entrecoupée d’autres expériences en tant que technicienne sur de beaux projets qui m’ont nourrie. J’ai même eu le plaisir de porter la casquette de superviseuse artistique et technique sur la saison 6 d’« En sortant de l’école », 4 ans après y avoir participé moi-même en tant que réalisatrice. J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours, j’ai rencontré les bonnes personnes et elles m’ont fait confiance très vite.

Mes envies de cinéma sont liées à mon envie de raconter des histoires ! Et ce plaisir-là, je l’ai en moi depuis ma petite enfance ! J’ai commencé le théâtre à trois ans et j’ai arrêté lorsque notre troupe s’est décousue, à 18 ans, puisque nous nous envolions tous, après le baccalauréat vers des études différentes, à Lille pour moi, à ce moment-là…en DMA Cinéma d’animation à l’ESAAT. Puis, j’ai rencontré la forme de « documentaire animé » grâce à un atelier organisé par l’EMCA, lorsque j’étais en deuxième année. Il nous a été proposé de faire un court métrage en collaboration avec un étudiant du CREADOC (Master de documentaire). À ce moment-là, j’ai réalisé Ginette, un court-métrage de 4 minutes, avec Benoît Allard. Il avait au préalable réalisé un documentaire sonore qui interrogeait différentes femmes sur leur place dans le milieu paysan. Ginette, l’une d’entre elles, m’a beaucoup touchée. J’ai ressenti toutes ses émotions simplement grâce au son, à sa voix, à sa façon de parler…

J’ai fabriqué l’image animée sur un nouveau montage que Benoît avait remanié pour les besoins du film. J’ai adoré travailler comme ça, à partir d’enregistrements réels. J’ai senti très vite l’intérêt de l’animation pour transposer une émotion en image, pour faire revivre un souvenir, ainsi que les jeux de mises en scène que me permettait ce format. Je m’étais libérée des codes classiques de mise en scène pour inventer un langage graphique qui interagissait avec la voix qui témoigne. La combinaison du dessin en mouvement et du son documentaire était alors très forte, à mon sens. Je me suis dit à ce moment-là que je recommencerais dès que possible à travailler ainsi, en m’offrant cette fois la chance d’aller à la rencontre des personnes dont parle le film.
Comment as-tu trouvé le sujet de Folie douce, folie dure ? D’où vient ton envie de filmer ce lieu et ces personnes ?

M. L. : Ce sujet était évident pour moi. Mon film de fin d’étude Franck Krabbi abordait déjà la douce folie, à travers le portrait d’un homme obsessionnel et isolé dans son monde poétique et décalé.

J’ai grandi à Cadillac, en Gironde. Cette ville abrite un grand hôpital psychiatrique dans lequel ma mère travaille comme assistante sociale. Depuis l’enfance, elle me raconte les personnes qu’elle accompagne, avec un discours attendri. A Cadillac, des personnes un peu étranges ou différentes se promènent dans les rues et, la plupart du temps, les passants s’en écartent. Mais, en quête de lien social et souvent tout sourire, ces personnes venaient discuter avec ma mère qui échangeait avec eux très naturellement. Je me suis vite rendue compte qu’il n’y avait pas de danger. Ce film, c’était aussi un prétexte pour aller moi-même à la rencontre de ces personnes. J’avais le sentiment que je ferais de belles rencontres !

Comment se sont passées les rencontres avec les gens de l’hôpital ?

M.L. : Je suis allée à la rencontre de plusieurs institutions et de plusieurs cadres de santé en leur sein, pour cibler les unités de soins qui m’intéressaient.
Globalement, le projet était très bien accueilli, notamment parce qu’il s’agissait d’un documentaire animé et que le dessin allait protéger les personnes de leur propre image et décaler un peu le regard.
Ensuite, les équipes soignantes ont été très accueillantes. J’ai compris rapidement que cela leur faisait aussi du bien qu’un film se propose de poser un regard valorisant sur leurs métiers.
Les personnes en soins ont été plutôt très contentes de voir de nouveaux visages, surtout que nous étions « neutres ». Nous n’étions pas là pour porter un regard médical sur elles. Nous avons pu assez vite faire partie du paysage quotidien sans que cela ne soit perturbant, je crois, et faire connaissance.

Tu n’apparais pas du tout dans le film. Tu t’effaces pour faire le portrait du lieu et des personnes qui l’habitent. Pourquoi ce choix ?

M.L. : C’est vrai. Je ne souhaitais pas mettre en scène ma rencontre avec ces personnes, mais plutôt les éclairer, eux : raconter leur quotidien, partager leur sensibilité, leur rire…à travers le film. Ces personnes m’ont touchées… et me touchent encore. C’est ça que j’ai souhaité partager avec le public.

Comment s’est passée la concrétisation du film : le tournage, l’écriture, puis le dessin et la réalisation ? La recherche de financements impose souvent de travailler selon un schéma classique d’étapes de réalisation. Comment cela s’est-il passé pour toi ?

M.L. : En effet, c’est toute la difficulté de ce format. On a besoin de tourner pour pouvoir écrire et c’est une étape qui coûte ! Mais c’est déjà ce que connaît le monde du documentaire, j’imagine. Il y a une phrase que j’aime bien qui dit : «  En fiction, le scénario fait le récit ; en documentaire le vécu fait le scénario. ». C’est une façon de travailler que j’ai découvert grâce à ce film et dans laquelle je me retrouve, mais c’est sûr que pour obtenir des financements, ça ne simplifie pas la tâche.

Pour le tournage, j’avais reçu une aide à l’écriture de la région Poitou-Charentes, mais pas celle du CNC. Je pense que mon dossier, rédigé avant le tournage, devait laisser trop de flou sur ce que contiendrait le film. Pour couvrir les dépenses du tournage, j’ai alors réalisé une campagne de crowdfunding. La campagne a bien marché, mais j’ai trouvé cette démarche très difficile. Pour que ça décolle, il faut activer son premier cercle qui est forcément celui de la famille et des ami.e.s. En vrai, c’est un peu culpabilisant de demander de l’argent à ces personnes-là. Puis petit à petit, un grand nombre d’associations et/ou de familles de personnes ayant des troubles mentaux, des soignants ou autres personnes sensibles au sujet, ont participé à la campagne en accompagnant leurs dons de messages très touchants et encourageant ma démarche. À ce moment-là, j’ai pris un peu peur. Je n’avais encore rien fait et énormément de personnes croyaient déjà au projet. J’ai réalisé que c’était quand même une sacrée responsabilité de faire ce film.

Par la suite et une fois que nous avions la matière sonore, le film a été assez bien financé. Au niveau des chaînes TV, nous n’avons pas réussi à signer de pré-achat, surtout à cause du format qui ne rentrait ni dans la case de court métrage d’animation (qui ne finance que de la fiction pour certaines chaînes), ni dans celle du documentaire, puisque c’était de l’animation. Le film était un peu hors catégorie…Mais j’ose imaginer que les choses ont évolué et que les chaînes décloisonnent un peu leurs cases !

Avais-tu d’autres supports sur lesquels t’appuyer pour dessiner comme des photos, des textes ? Ou est-ce que le dessin s’est inventé tout seul en partant seulement du son ?

M.L. : Lors du tournage, je n’ai capté que du son. Pas de photos, pas de vidéos, et très peu de dessins car je n’avais pas le temps de faire des croquis ! Finalement, ces choix ont servi le film, je pense. Une fois que nous avons monté la bande-son du film avec le merveilleux monteur de documentaires Claude Clorennec, j’ai fabriqué l’animatique directement sur le son. Toutes mes émotions étaient intactes, ravivées par nos prises de sons, très immersives. Tout me revenait en mémoire, les visages, les lieux, les gestes…Ma mémoire évacuait le superflu pour ne reconstruire que l’essentiel. C’est ce qui a guidé ma mise en scène.

Tu as fait le choix – audacieux – de partir du son comme seul matériel de réel enregistré et d’ajouter “par-dessus” des images dessinées. Pourquoi avoir choisi le format du documentaire animé ?

M.L. : J’ai choisi ce format avant tout parce que c’est ce que j’aime faire. Le dessin en mouvement, c’est mon moyen d’expression, mon langage cinématographique. Mais pour ce film, le dessin était d’autant plus justifié qu’il m’a permis de mettre en images des sensations ressenties. Ces représentations graphiques nous permettent d’entrer en empathie plus facilement que l’image filmée, sans filtre. C’est la magie de l’animation !

Ton dessin est un peu caricatural, il est très inventif et s’éloigne souvent d’une représentation classique du réel. Est-ce que tu considères pour autant ton film comme un documentaire “naturaliste”, qui se rapproche au mieux de la réalité ?

M.L. : Un film propose forcément un regard subjectif. Ici, c’est mon regard sur ces personnes. J’ai essayé d’être juste et de ne pas dénaturer ou porter préjudice à leur image. D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de mal à me lâcher sur le style de dessin, sur les design des personnages. Je dessinais des personnes qui existent et j’avais cette responsabilité-là, de ne pas les caricaturer justement. Mais sans parler du « style graphique », je crois que ce qui confère au film une certaine « justesse », ce sont les gestes, les regards, les expressions des corps, des visages, les sensations…que j’ai observés attentivement pendant le tournage et que j’ai pris grand soin de mettre en scène dans le film.

Propos recueillis par Agathe Arnaud

Paul Mas : « J’aime bien les zones grises morales »

Précieux est le premier film professionnel de Paul Mas. Filmé en stop-motion, ce court-métrage d’animation qui concourait pour les César 2022 nous fait entrer dans la dure réalité de la cour de récréation. Là où les moqueries, les jugements et la conformation sociale commencent à naître. Nous avons rencontré le jeune cinéaste. Il revient sur son parcours et ses deux premiers films qui laissent entrevoir une carrière prometteuse. 

Format Court : Être nommé aux César à 25 ans, pour son premier film, c’est un très bon début. Qu’as-tu ressenti à l’annonce de la nomination ?

Paul Mas : C’est la première fois que je suis sélectionné dans une compétition plus institutionnelle, plus suivie également par le grand public. Ce n’est pas du tout le même registre que les festivals d’animation dans lesquels j’ai pu précédemment présenter mes films. Le milieu de l’animation est bien spécifique et un peu niche. Ça fait à la fois très plaisir d’être légitimé par une telle instance que celle des César, et en même temps c’est totalement différent de ce dont j’ai l’habitude.

Connaissais-tu déjà le travail des réalisateurs en lice avec toi ?

P.M. : Pas tous. J’ai fait la même école, l’EMCA, que Marine Laclotte, la réalisatrice de Folie douce, folie dure (ayant reçu depuis notre entretien le César du meilleur court d’animation 2022). Elle était en troisième année, et moi en première. Elle avait réalisé le film FrancK Krabi, sur un type avec des crabes. Il y avait une collaboration entre les première et troisième années, et on pouvait aller donner un coup de main aux réalisateurs. Et en vrai, on voulait tous travailler avec Marine parce que le projet était génial. Du coup, c’est hyper marrant de se recroiser maintenant.

Justement en parlant d’école, peux-tu dresser ton parcours en quelques mots ?

P.M. : L’animation en stop motion, c’est quelque chose que je pratique depuis un long moment. C’était vraiment une baffe que j’ai prise quand j’étais ado, vers 13-14 ans. J’ai regardé le making of de L‘Étrange Noël de Monsieur Jack (de Henry Selick) et j’ai été totalement fasciné par la manière de faire le film. Des personnages sortaient de moules en plâtre, et je trouvais ça totalement fou. Du coup, j’ai commencé à en faire moi-même en regardant des tutoriels sur Internet, et je me suis installé un petit atelier dans ma cave. D’ailleurs c’est drôle parce que je n’ai jamais trop changé de lieu : j’y ai réalisé mon premier court-métrage pour le bac et je continue à y travailler aujourd’hui.

J’ai commencé en faisant des marionnettes, j’expérimentais les techniques, je dessinais un peu aussi. Mais c’est vrai qu’en arrivant à l’EMCA, j’ai rapidement confirmé mon choix de la stop motion. Tout le monde dessinait incroyablement bien, et je n’avais aucune envie de me mettre en compétition avec les autres étudiants. Et comme assez peu de personnes faisaient de la stop motion, je me suis dit que c’était pour moi. C’est une technique tellement riche et exigeante que je m’aperçois que j’en suis vraiment qu’au début de mon apprentissage, et que j’ai encore un milliard de choses à apprendre. Je pense qu’une vie, ce n’est même pas suffisant, mais de toute manière je ne me vois pas faire autre chose.

D’ailleurs en sortant de l’EMCA, j’étais content d’avoir terminé mon film de fin d’étude Children, mais je ne me voyais pas forcément en réaliser d’autres. Je voulais surtout travailler en tant que technicien. Du coup, j’ai fait des stages notamment sur La Mort Père et Fils (de Denis Walgenwitz et Winshluss), un film produit chez Je Suis Bien Content. Puis après, j’ai essayé de faire de la stop motion pour d’autres réalisateurs, mais ce n’était pas évident. Du coup, j’ai entamé le travail sur Précieux. Faire un nouveau film à ce moment-là, c’était surtout l’opportunité d’avoir un job. J’ai commencé et puis finalement, j’ai eu d’autres opportunités après.

Dans tes deux films, tu traites de l’enfance et surtout de l’univers terrible de la cour de récréation. Pourquoi ?

P.M. : Ce n’est pas tant l’enfance et l’école que la différence, l’altérité, et le comportement de l’individu face au groupe. Mais j’aime situer mes films à cette période car l’enfance, c’est le moment où on l’apprend pour la première fois. Et finalement, l’apprentissage du rapport et de la conformation au groupe est assez brutal à cet âge. Après on grandit, on intègre ces principes, qu’ils soient bons ou mauvais. On fait avec.

Mais Précieux est loin d’être un film pour enfants. Pendant l’écriture, plus je me remémorais mon expérience personnelle et plus j’interrogeais les personnes autour de moi, plus je réalisais la violence et la dureté des situations que tout un chacun a pu vivre au moins une fois durant son enfance, à plus ou moins grand degré. Ce n’est vraiment pas drôle du tout. Je pense que ces conversations ont servi à nourrir le ton du film. Finalement, les adultes sont plus touchés quand ces rapports de force concernent des enfants, ça leur va droit au cœur. Mais finalement, est-ce réellement moins dur après ?

Dans ton précédent film Children (2016), la fin est violente et radicale. On en vient à la mort. Finalement, tu t’es adouci dans Précieux, pourquoi ?

P.M. : Avec un peu de recul, je trouve que mon film de fin d’études est vraiment sombre. J’ai l’impression que sur les premiers films, tous les réalisateurs ont une tendance à augmenter le curseur de dureté. Ça s’inscrit certainement dans une peur de ne pas être légitime. Pour Précieux, je ne trouve pas que la fin soit si horrible. C’est révoltant, mais c’est aussi la vie.

Dans Children, je joue beaucoup sur les questions de moralité. Je n’ai pas envie de provoquer ça, parce que je n’ai pas envie de prendre le spectateur en otage. Mais l’idée, c’est effectivement de prendre un petit biais sur les choses, de laisser entrevoir un autre angle. Je montre des réalités plurielles. J’aime bien les zones grises morales.

Est-ce plus facile d’aborder ces sujets par le biais de l’animation ?

P.M. : Je ne crois pas que l’animation en tant que médium permette d’aborder certains sujets plus facilement que d’autres.

Une seule fois pendant la réalisation, je me suis fait la réflexion que l’animation était plus pratique. Mais ça ne concernait pas le sujet en lui-même, uniquement le jeu des acteurs : les cabines de la piscine. Dans cette scène du film un petit garçon et une petite fille se retrouvent seuls dans une cabine. Le petit garçon est en serviette et fait une crise d’angoisse car il a oublié son maillot. La petite fille essaie de le consoler, et ce moment-là, la serviette du petit garçon tombe et il se retrouve nu.

Honnêtement, j’aurais été incapable de demander ça à deux jeunes enfants en live. Ça aurait été hyper gênant pour moi, certainement traumatisant pour eux. En réalité, dans Précieux, le live aurait rendu le rapport aux comédiens très compliqué. Ici, je trouve que l’animation est plus accommodante.

As-tu déjà d’autres projets en tête ou te laisses-tu un peu de temps ?

P.M. : En ce moment je travaille sur un Short Cut, un court-métrage d’une minute, pour Arte sur les oiseaux d’Hitchcock. Après Précieux, pendant le confinement, j’en ai profité pour renforcer un peu mon atelier. Comme tout le monde à cette période, j’ai regardé beaucoup de films. Je me suis d’ailleurs rendu compte que les films vers lesquels je me tournais naturellement étaient des films fantastiques et assez grand public, avec des codes bien particuliers. Du coup, j’ai commencé à travailler sur un nouveau projet qui mélange stop-motion, science-fiction, comédie… C’est génial parce que j’apprends de nouvelles manières de faire des histoires, de nouveaux codes et c’est super excitant ! J’espère qu’on trouvera les financements pour produire le film.

Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand

B comme Bestia

Fiche technique

Synopsis : 1975. Ingrid travaille pour l’agence de renseignements chilienne. Sa relation avec son chien, son corps, ses peurs et ses frustrations révèle la fracture brutale de son esprit et du pays tout entier.

Genre : Animation

Durée : 15′

Pays : Chili

Année : 2021

Réalisation : Hugo Covarrubias

Scénario : Martín Erazo, Hugo Covarrubias

Animation : Hugo Covarrubias

Image : Hugo Covarrubias

Musique : Ángela Acuña

Montage : Hugo Covarrubias

Production : Trebol 3, Maleza Estudio

Article associé : la critique du film

Bestia de Hugo Covarrubias

Prix du meilleur court-métrage d’animation à Clermont-Ferrand en 2022, en lice pour les Oscars 2022, Bestia de Hugo Covarrubias, a rencontré de nombreux succès dans les festivals de courts-métrages à l’international depuis sa sortie en 2021. Le film était également en compétition lors de la troisième édition du Festival Format Court en novembre dernier lors duquel il a reçu la mention spéciale du Jury Presse.

Qui est la Bestia ?

Glaçant. Le premier mot qui vient pour décrire ce court d’animation de 15 minutes qui révèle un personnage que le public connait peu : Ingrid Olderöck. Cette fille d’immigrés allemands affiliés au nazisme, née au Chili et agente de la police secrète du pays pendant la dictature de Augusto Pinochet, plus connue sous l’alias « La mujer de los perros », a commis de multiples actes de barbarie envers les opposants du régime chilien de l’époque. Morte en 2001, elle n’a jamais été juridiquement reconnue coupable de ses crimes. Hugo Covarrubias a choisi de mettre en lumière son histoire et de l’exposer au plus grand nombre car une partie de la population chilienne et internationale reste dans le déni et l’ignorance des événements cruels qui se sont déroulés à cette époque dans le pays.

Pour la réalisation de ce film, Hugo Covarrubias s’est appuyé sur le livre de Nancy Gùzman “Ingrid Olderöck the Woman with the Dogs” paru en 2014. Si Bestia n’est pas uxfne adaptation à proprement parlé de cet ouvrage, le court-métrage se sert des diverses informations, interviews et témoignages portés à la connaissance de Nancy Gùzman pour décortiquer le personnage complexe qu’était la tortionnaire, et corroborer l’histoire narrée dans Bestia.

Le récit d’une vie ordinaire et sordide

Les premières scènes de Bestia semblent banales. Le bruit d’un avion, le plan fixe sur un plateau repas, une femme fumant ses cigarettes au-dessus des nuages nous ramenant avant les années 2000. Rien d’anormal ou plutôt rien de plus ordinaire. Oui, mais c’est finalement sur un visage que se rabat l’image : coupe carrée, visage disgracieux fait de porcelaine vernie semi-fissurée et troué à la tempe… Quelle est l’histoire de cette femme dont le profil atypique nous interroge ?

 

C’est dans ce destin que Hugo Covarrubias nous embarque, dans la dualité de ce personnage. Un quotidien qui semble tout aussi paisible que routinier. Réveil, petit dej, boulot, dodo. Mais peu à peu la bestia se révèle plus sombre, plus torturée et de moins en moins « humaine ». La lumière se fait sur sa vie où s’accumulent ordre, secrets et violences. De plus en plus visibles, les actions d’Ingrid mènent de l’indifférence, à la peur et au dégout.

Image sans voix : entre rêves et paranoïa

Tout l’histoire de Bestia se construit sans voix. On observe contentieusement, les moindres détails qui pourraient nous ramener à une histoire que nous connaissons. Avec une subtilité remarquable, Hugo Covarrubias fait naître une atmosphère anxiogène par la colorisation et le rythme des plans, l’alternance des scènes avec une présence musicale brutale et dérangeante (signée par Ángela Acuña), et d’autres totalement vierges de son. Grâce à ces enchaînements, on entre dans la psyché de Ingrid Olderöck, sans la comprendre et surtout sans vouloir le faire, entre colère, hallucination, paranoïa et perversion.

Il aura fallu 3 ans et demi à Hugo Covarrubias pour réaliser ce film et condensé dans cette animation de 15 minutes, qu’il a co-écrite avec Martín Erazo, la violence des agents de la dictature chilienne, et particulièrement celui de cette « femme aux chiens ». Ce film politique est à la fois bouleversant et écœurant. En tout cas, la motivation premier d’Hugo Covarrubias est respectée : il y a peu de chance que vous oubliez Ingrid Olderöck après avoir vu Bestia.

Anne-Sophie Bertrand

Consulter la fiche technique du film

Partir un jour de Amélie Bonnin

Et si votre passé vous retrouvait entre deux paquets de biscuits dans une innocente aile de supermarché ?

Partir un jour, César du meilleur court-métrage de fiction 2023,  est une histoire de souvenirs et d’oublis, de passé et de futur, de courage et de peur, d’amour et d’indifférence. Ce court-métrage, sélectionné entre autres au Festival de Namur, à Paris Courts Devant, à Villeurbanne, a remporté le prix de la critique, du public et d’interprétation au festival Off Courts de Trouville ainsi que le prix du public et celui de la meilleure musique originale à Clermont-Ferrand.

Dans ce film musical d’Amélie Bonnin, on retrouve Bastien Bouillon dans le rôle de Julien, François Rollin et Lorella Cravotta dans celui des parents, et Juliette Armanet, dans celui de Caroline, l’amour de jeunesse de Julien.

Amélie Bonnin parle de “film musical” car il est en effet parsemé de chansons sans vraiment être une comédie musicale à part entière. La réalisatrice se crée un genre pour son récit, qui lui permet de traduire une multitude de sentiments à la fois. Les dialogues et les chansons du film se marient très bien, ils sont même complémentaires, l’un ne pourrait exister sans l’autre.

Entre « Partir un jour », de Pénélope Marcelin, en passant par « L’Encre de tes yeux », de Francis Cabrel et « Bye Bye », de Ménélik, le voyage s’effectue entre les styles musicaux, les hauts et bas d’une relation, de l’amour, de la vie. Avec un rap léger qui traduit un jeune amour perdu, les paroles de Cabrel exprimant ce que seule la poésie peut, Amélie Bonnin réussit à passer d’une intensité à l’autre, avec une douceur qui se veut violente et vice-versa.

Julien revient à Cormolain, son village natal, pour aider ses parents à déménager. Un autre weekend banal pour cet écrivain, qui esquive les critiques sanglantes de son père et se raccroche aux paroles plates de sa mère. Mais la vie a ses tournants, et ils se trouvent souvent là où on ne les attend pas.

Julien retrouve en effet Caroline, son amour de jeunesse dans un supermarché, et après un après-midi d’hésitation, il se décide à passer quelques heures avec elle. Cette nuit, les deux âmes se retrouvent et recouvrent une part de leur jeunesse, évoquant leurs jours passés et leur futur.

À cette histoire d’amour se joint tout un débat sur les classes sociales modernes et le regard que l’on porte sur elles. D’un côté Gérard, le père de Julien, qui se définit comme un « bouseux de province » et de l’autre Caroline, l’amour oublié de Julien, qui travaille dans un supermarché.

Une simplicité environnante très rassurante se dégage de ce court-métrage, où l’on se rend compte qu’aucune vie n’est magique, ou plutôt banale. De plus, l’esthétique choisie par Bonnin renforce ce réalisme passionné : une majorité de plans filmés en caméra épaule, donnant une certaine intimité, sont accompagnés d’un son cru et matériel. Un format 4/3 présentant également des plans plus larges, laisse le spectateur découvrir des décors si ordinaires qu’ils semblent finalement magiques.

Un homme tiraillé entre ses racines et ses objectifs. Partir un jour. Voilà ce que Julien veut faire à tout prix. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait, et pourtant il revient là où tout a commencé. Partir n’est parfois pas assez, et certaines choses restent à jamais. Mais ce n’est peut-être pas plus mal. Il faut apprendre à vivre avec certaines choses, afin de consolider notre armure pour stopper une éventuelle dégradation. Partir, c’est à la fois une solution, une conséquence, une cause, fuir, oser, s’aventurer, oublier…Partir, c’est vivre.

Nino Bullich

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

P comme Partir un jour

Fiche technique

Synopsis : Julien revient à son village natal pour aider ses parents à déménager. Alors qu’il était partit il y a longtemps, il va retrouver chez lui des souvenirs qu’il croyait avoir laissé derrière.

Genre : Fiction

Durée : 25′

Pays : France

Année : 2021

Réalisation : Amélie Bonnin

Scénario : Amélie Bonnin et Dimitri Lucas

Image : David Cailley

Son : Alix Clément

Montage : Audrey Bauduin

Interprétation : Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Lorella Cravotta

Production : Topshot Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Les courts primés aux César 2022

Ce vendredi 25 février 2022, la 47ème cérémonie des César, pilotée par Antoine de Caunes, a primé 3 courts-métrages en fiction, animation et documentaire. Les 3 réalisateurs.trices récompensés avaient participé à nos différents After Short César organisés en partenariat avec l’ESRA.

Voici les films primés :

César du Meilleur court-métrage de fiction : Les Mauvais Garçons d’Elie Girard

César du Meilleur court-métrage d’animation : Folie douce, folie dure de Marine Laclotte

César du Meilleur court-métrage documentaire : Maalbeek de Ismaël Joffroy Chandoutis

Les écritures documentaires aux César du court 2022

La 47e Cérémonie des César, qui se tient ce vendredi, le 25 février, voit le retour d’une récompense qui n’avait pas été décernée depuis 1991 : le César du meilleur court-métrage documentaire. Ce César a été remis, de 1977 à 1991, à des cinéastes comme Agnès Varda, Chris Marker, Marceline Loridan et Joris Ivens, Georges Rouquier ou encore Raymond Depardon, à deux reprises.

Cette année, quatre films sont nommés dans cette catégorie. Leurs durées sont extrêmement différentes, de 8 à 59 minutes. Ce sont cependant surtout leurs formes qui témoignent d’une remarquable variété. Peut-être est-ce dû à la jeunesse du prix, sans doute davantage aux caractéristiques propres du cinéma documentaire, aux frontières difficilement définissable. Quoiqu’il en soit, les quatre films nommés dans la catégorie du César du meilleur court-métrage documentaire entretiennent un rapport au réel qui leur est propre. Chacun d’eux témoigne d’une manière particulière de faire du cinéma documentaire.

America de Giacomo Abbruzzese est une enquête sur une histoire familiale : le réalisateur se penche sur la vie de son grand-père, qui a quitté sa femme et ses enfants en Italie au milieu des années 1950 pour vivre aux États-Unis. Il revient en particulier sur les circonstances mystérieuses de la mort de celui-ci. Des quatre films en compétition, America est le seul dans lequel le réalisateur, moteur de l’enquête comme du film, se met en scène. Celui-ci est présent dans la voix off mais apparaît également à l’occasion de plusieurs discussions en vidéoconférence. Le cinéaste utilise également des archives : des photographies et des vidéos appartenant à sa famille pour donner vie au disparu, et des archives plus générales (essentiellement des vues de New York) qui constituent en quelque sorte un contrepoint des premières et dressent le portrait d’une société et d’une époque. Avec America, Giacomo Abbruzzese écrit une page de l’histoire de l’immigration italienne aux États-Unis et des conditions de vie des italo-américains des années 1950 aux années 1970. Giacomo Abbruzzese a déjà réalisé des documentaires (Fame) et des fictions (Stella Maris, I santi), America est le premier film dans lequel il se met en scène et s’intéresse à une histoire personnelle. Il vient de terminer le tournage de son premier long-métrage de fiction, Disco Boy.

La Fin des rois de Rémi Brachet est le documentaire de la sélection le plus proche du cinéma direct. En filmant des infirmières donnant naissance à des enfants, des employés municipaux aidant les habitants de logements insalubres, des footballeuses à l’entraînement et en plein match, Rémi Brachet réalise la chronique d’un lieu, Clichy-sous-Bois. Au montage, toutes ces séquences s’alternent en parallèle d’un fil narratif plus présent, qui suit un atelier de théâtre dans un lycée. Les lycéens et lycéennes travaillent sur une pièce autour de l’assassinat du roi Chilpéric 1er dans la forêt de Bondy, au VIe siècle. Les lycéennes écrivent des rôles féminins forts et redonnent aux femmes la place que l’histoire ne leur a pas donnée. Le titre est une métaphore : à l’hôpital, dans les logements, sur le terrain, au théâtre, les femmes prennent le pouvoir, quand elles ne règnent pas déjà. À toutes ces séquences filmées en cinéma direct s’ajoutent l’ouverture et la fin du film, des séquences de fiction, elles aussi sont le résultat d’un travail d’atelier, réalisé lors de la résidence CLÉA de Rémi Brachet aux Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois/Montfermeil. La Fin des rois est le troisième film de son réalisateur et son premier documentaire. Il est également scénariste (diplômé de la Fémis en scénario), assistant réalisateur et technicien effets spéciaux.

Les Antilopes de Maxime Martinot est à la frontière entre le documentaire et le cinéma expérimental. Le film est un montage entièrement réalisé à partir d’images trouvées sur internet. Il commence avec des images d’antilopes filmées en plongée, la voix off est une lecture d’un texte de Marguerite Duras sur un suicide collectif, d’antilopes précisément. Les plans sont longs, les mouvements amples et délicats. Puis la musique grince et le dispositif est dévoilé : toutes les images du film sont des prises de vues de drones. Lorsque les antilopes sont filmées, ne sont-elles pas également traquées, chassées ? Les Antilopes part du poétique pour s’inscrire dans le politique : Maxime Martinot termine son film par un plaidoyer contre la prolifération des drones dans l’indifférence générale. À la fois film essai (comme le précédent film du cinéaste, Histoire de la révolution) et found footage réemployant des archives internet, Les Antilopes est une critique de la violence des images volées et une fascinante expérience cinématographique.

Maalbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis, qui avait remporté le Prix de la Presse à notre Festival Format Court, commence par une image abstraite qui prend peu à peu la forme d’un métro. Cette image, c’est celle que recherche Sabine, rescapée de l’attentat à la station de métro Maalbeek, à Bruxelles, le 22 mars 2016. Dans le film, Sabine témoigne de sa recherche d’une image manquante, de son impossibilité à reconstituer sa mémoire à partir des images de l’événement. Ce témoignage s’accompagne d’images virtuelles animées qui s’approchent de la représentation mentale, presque onirique, d’un événement passé. La forme originale de Maalbeek, confrontation d’un témoignage et d’images numériques, est proche de celle de Swatted, le précédent film d’Ismaël Joffroy Chandoutis, dont les images proviennent d’un jeu vidéo. Nommé l’année dernière pour le César du meilleur court-métrage d’animation avec Swatted, Ismaël Joffroy Chandoutis navigue entre les catégories avec un cinéma aux frontières poreuses. Il travaille actuellement sur son premier long-métrage, Deep Fake, autour des identités numériques.

Qu’il soit construit autour d’une voix off ou uniquement en son direct, qu’il souligne la présence du cinéaste à l’image et au son, ou au contraire que celui-ci s’efface derrière le cadrage et le montage, qu’il soit composé uniquement d’images d’archives ou de prises de vues inédites, chaque film de la compétition pour le César du meilleur court-métrage documentaire témoigne d’une écriture qui lui est propre et offre un remarquable florilège du paysage documentaire contemporain. Verdict demain soir lors de la remise des prix…

Paul Lhiabastres