Youri Orekhoff : « Un film s’inscrit dans un parcours »

Youri Orekhoff a réalisé Balaclava. Avec ce film disponible sur Court-Circuit, il a remporté ex-aequo (avec Ka Me Kalu de Flonja Kodheli) le Grand Prix au festival Le Court en dit long en juin 2022, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Encore étudiant à La Cambre, une école d’animation à Bruxelles, il revient sur son parcours et son goût pour les univers stylés, faits de faux ongles, de kitsch, d’improvisation et de croquis. 

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Format Court : Qu’est-ce qui t’a amené à l’animation et au choix de La Cambre ?

Youri Orekhoff : Je voulais faire du cinéma, mais je ne me voyais pas aller dans une école de cinéma à 17 ans. Comme je dessinais tout le temps, j’ai pensé qu’une école d’animation mélangerait les deux choses que j’aimais bien : les films et les dessins. Il y a un milliard de manières d’aborder l’animation et de techniques à découvrir, je me suis dit que ça allait d’office m’amuser. On m’avait parlé de la Cambre, j’avais un aperçu de l’école grâce à des amis qui y étaient. J’avais aussi envie d’aller à Bruxelles, j’avais l’impression que c’était l’école qui allait me correspondre le mieux.

J’ai pu avoir accès à des films de l’école. J’aimais bien ce que produisait La Cambre. Pour moi ça me semblait évident d’y être, je n’ai pas vraiment fait de choix, c’est vraiment l’école que j’avais en tête. J’ai passé l’examen une première fois et je n’ai pas été pris, ce qui a été une bonne chose car je sentais que je n’étais pas mature. Cette année-là, j’étais à l’université, j’apprenais l’anglais et le russe. En revenant à La Cambre, j’étais sûr de ce que je voulais, j’ai eu le temps de voir ce que l’école avait à proposer, je savais ce qui m’intéresserait. Quand je suis arrivé, j’étais super content.

Ça veut dire quoi « balaclava » ?

Y.O : Cela désigne les cagoules qui cachent une grande partie du visage, c’est censé protéger du froid à l’origine mais on associe ça beaucoup aux cambrioleurs.

Comment as-tu abordé ce projet ?

Y.O : Il n’y avait pas de processus clair et défini dans ma manière de travailler, j’ai beaucoup improvisé. C’était mon film de troisième année. On a le droit d’être 100% libre, cela m’a permis de me laisser aller un peu n’importe comment. Au début, j’ai fait beaucoup de croquis qui allaient dans tous les sens. Ensuite, j’ai gardé ce qui me plaisait. Je faisais des dessins au marqueur sur du papier noir parce que j’aimais bien la manière dont ressortaient les couleurs.

En terme d’animation, j’ai opté pour de la 2D sur ordinateur, j’ai passé du temps à chercher une technique rapide, efficace et qui me plaisait. Ce n’est pas vraiment de l’image par image, c’est plutôt des dessins que je fais sur ordinateur et qu’ensuite, je déforme en fonction des intonation des voix de mes personnages. Non seulement ça va vite, ça correspond à la contrainte de temps de l’école, mais en plus, c’est dynamique. Cette technique participe à rendre les personnages très expressifs, très vivants.

Tu parles de liberté à l’école. Quand tu as présenté ton projet, comment a-t-il été réceptionné ?

Y.O : Par rapport à l’envoi en festival, ce qui est très positif, c’est qu’on nous encourage à terminer un film, et on nous explique toutes les étapes. Ça permet de connaître les erreurs, se planter et apprendre. On nous dit dès le début : « Vous êtes là pour vous tromper, pour faire un maximum d’erreurs pour ne plus les refaire après », c’est quelque que chose que j’adore. Dès la deuxième année, on peut envoyer son court en festival et on voit déjà comment ça marche. Ça nous aide beaucoup. Sans ça, on serait perdu. Très tôt, on est confronté à la façon dont on fait un film et dont on se débrouille avec après.

Pour la réception et le développement, au début de l’année, on a une réunion où on parle de nos idées de films. La mienne était très floue, je pensais juste à une soirée pyjama avec des cambrioleuses et je n’avais pas l’intention de faire une narration pour de vrai, c’était plus un film d’ambiance dans ma tête. Ensuite, on a des rendez-vous ponctuels à partir de janvier où toutes les deux semaines, on explique l’avancée du projet, les professeurs essayent d’être très objectifs, de nous guider pour voir si ce qu’on leur présente correspond à ce qu’on leur a annoncé. Je me rappelle que mon chef d’atelier disait qu’il ne comprenait rien à mon idée mais que c’était ça qui rendait agréable le film.

Comme il y a beaucoup de références à la pop culture, que le langage est celui que j’observe autour de moi, je savais qu’en ayant un accompagnement de professeurs plus âgés, ils allaient peut-être ne pas remarquer toutes les références mais ce qui était bien, c’est qu’ils me faisaient confiance. Parfois, je sentais que c’était un peu à côté de la plaque quand on parlait du film mais ça ne me dérangeait pas, c’était le but.

Tes deux personnages féminins sont très caractéristiques dans leur apparence et leur manière de parler. Quelles ont été tes inspirations ?

Y.O : Mes personnages, c’est une sorte de synthèse ou de pot-pourri de codes contemporains. Il n’y a pas une inspiration précise, c’est en grande partie lié aux chanteuses, aux rappeuses de ces dernières années que j’ai vues. La mode se mélange à la musique, les clips sont très travaillés, le kitsch est glorifié avec ces paillettes, ces longs ongles. Ce sont des choses qui m’ont marqué, que j’ai aimé et qui en même temps qui étaient hyper présentes dans mon imaginaire. Mon envie à la base était juste de dessiner ces personnages parce que j’adore leur style et en même temps ma tête était remplie de ces images très américanisées. Ce qui m’intéressait, c’est que mes personnages ont l’air de pas avoir le choix d’être habillé comme ça. Elles sont très simples mais elles sont ultra sapés, c’est quelque chose que j’observe autour de moi.

Est-ce qu’il y a une conception morale ou politique derrière le vandalisme que tu montres ? Qu’est-ce que t’avais envie de représenter à travers cette jeunesse ?

Y.O : Ce n’est pas le cambriolage qui a un sens, c’est plutôt le fait de montrer deux amies qui font une connerie sans savoir pourquoi et qui parlent toutes les deux de ce qu’elles ressentent en le faisant. Elles cherchent de l’excitation, mais inconsciemment, elles veulent attirer de l’attention.

La musique de ton film est sympa. Comment l’as-tu inclue dans Balaclava ?

Y.O : Elle a été créée par le groupe Juicy, un duo féminin bruxellois. Je suis super content qu’elles aient accepté que j’utilise leur musique pour mon film. Ce que j’adore, c’est travailler avec des gens dont la présence fait sens avec mes projets. Juicy est composé de deux supers amies qui ont un côté un peu énervé et revendicateur et elles sont bruxelloises. Il y a un côté circuit court que j’aime bien !

Comment perçois-tu la suite à de ton parcours ?

Y.O : Si je continue en Master, c’est que je sais que c’est très précieux d’avoir accès à un atelier dans lequel tu es 100% libre. Il y a plein de pressions qui font partie du monde professionnel et qui sont un peu mises de côté quand tu es à l’école.  Je ne pense pas que j’aurai cette liberté après ou en tout cas pas de manière aussi élargie. Ça laisse l’esprit beaucoup plus léger et c’est quelque chose dont je vais profiter. En même temps, j’ai un peu la pression car je me dis qu’il ne faut pas que je me plante (rires) ! Ensuite, maintenant que je participe à des festivals et que je fais voyager mon film, je sais que je ne pourrai plus faire un autre en le considérant uniquement comme un truc rigolo que je fais dans ma chambre. Je sais maintenant qu’un film s’inscrit dans un parcours, j’ai découvert comment vit un film, maintenant ça va me rester en mémoire.

Propos recueillis par Katia Bayer et Laure Dion. Retranscription : Laure Dion

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