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Jacky Goldberg : « L’écriture du texte s’est faite avec une belle part d’improvisation que j’ai adorée ! Je revendique cette prise de risque, c’est la façon de travailler qui m’excite le plus »

Sélectionné en compétition nationale au Festival international de Clermont-Ferrand, « In Loving Memory » est le quatrième court métrage d’un homme de cinéma touche-à-tout qui aime travailler dans l’urgence et l’improvisation.

Jacky, est-ce que tu peux m’expliquer comment est née l’idée du film, quel en a été son point de départ ?

C’est un peu long…. Le point de départ a eu lieu il y a quatre ans. J’ai trouvé un stock d’images Super 8 dans un marché aux puces que j’ai acheté. Je ne sais pas vraiment comment ces images sont arrivées entre les mains de ce brocanteur, mais j’avais une vingtaine de bobines d’une demi-heure chacune, montées, étiquetées très précisément (vacances 61, vacances 62, …). Il s’agissait de films de vacances d’une famille allant de 1960 à 1975, mais je ne pouvais pas les voir. J’ai cherché pendant quatre ans du matériel de visionnage mais le problème est que ce matériel abîmait les bobines, rayait les pellicules. Je sentais que j’allais en faire quelque chose un jour mais il fallait pour cela que j’attende de pouvoir les numériser, ce qui impliquait de trouver un budget… Donc j’ai fantasmé ces images de vacances, j’imaginais ce qu’elles pouvaient être, j’avais en tête des films naïfs, mais je ne m’attendais pas à ce que le vidéaste ai un tel sens de l’image.

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Quel a été finalement le déclencheur pour faire naître le film ?

J’avais cette matière. Il y a un an, les responsables du G.R.E.C, qui avaient produit mon précédent film, « Far from Manhattan», m’ont contacté ainsi que six autres jeunes cinéastes dont ils avaient produit les films récemment. Ils nous ont présenté un projet de commande de film collectif de France 2, qui représentait une heure et demie d’antenne. A partir de là, entre cinéastes, on a discuté mais on n’a pas réussi à trouver de thème commun, donc l’idée a été que chacun fasse son film et que les ponts se trouveraient naturellement a postériori.

A la base du film, il y a donc eu cette commande d’un film qui devait faire huit minutes et qui était produit avec 8.000 euros, ce qui représente la moitié du budget habituel d’un film du G.R.E.C. Avec ce budget, il fallait trouver une façon de faire un film pas cher. Je savais que je n’aurais pas assez pour un tournage complet, donc j’ai utilisé l’argent pour numériser les pellicules Super 8, payer la monteuse, la musique et les effets spéciaux.

Par ailleurs, un ami de La Fémis, m’a fait dans le même temps une autre commande, pour un exercice de fin d’études. Il m’a demandé de faire un film de science-fiction en Super 8, dans l’esprit de la fin de « Far from Manhattan », alors, je suis reparti avec Cassandre (Ortiz, comédienne de « Far from Manhattan » et « In Loving Memory ») et j’ai fait appel à un ami qui fabrique des armures. Au final, il y a donc un autre film qui existe avec les mêmes images que pour « In Loving Memory ».

Et puis, il existe une troisième source pour le film. J’avais vu un clip de Kanye West qui utilise la technique du datamoshing (technique qui consiste à recréer volontairement des erreurs de compression vidéo à des fins artistiques). Cette chose me fascinait, je l’avais repérée comme tout le monde à la télévision mais surtout sur les DIVx. Le datamoshing créée des images monstrueuses, notamment dans les films pornos. Ces images s’entremêlent et créent des trucs incroyables. En revanche, je ne savais pas qu’on pouvait recréer cet effet, et quand j’ai compris je l’ai utilisé. J’avais donc ces trois éléments, et j’ai simplement dit au G.R.E.C que je n’avais pas d’idée de film mais qu’en revanche, j’avais des images en Super 8, que j’adorais un clip de Kanye West, que j’avais fait des images de Cassandre en armure, et qu’avec cela, on pouvait sûrement faire un film. Ils m’ont totalement fait confiance.

Quand as-tu écrit le scénario ?

A ce moment là, je n’avais pas encore de scénario. Quand j’ai commencé à écrire mon scénario, ou du moins à réfléchir à ce que je voulais raconter, j’ai voulu parler de la mémoire et de la filiation. J’ai perdu mon père cette année et je pense que cela a en quelque sorte conditionné le film, même si je ne parle pas de cela. Le film n’aurait pas existé de cette façon-là dans d’autres circonstances.

Comment as-tu abordé le travail autour des images en Super 8 ?

Le Super 8, c’est magnifique, mais ça comporte un problème. C’est trop beau, trop facilement mélancolique ou poétique, trop facilement kitsch en fait. Avec ces images, je savais que je prenais le risque de tomber dans ces travers kitsch, ce que je voulais éviter. C’est pour ça que j’ai choisi de détourner les images par le biais de la science-fiction. J’ai imaginer un futur où on pourrait, via la technologie, nous amputer de notre mémoire, un peu dans l’esprit de Philip K. Dick. J’ai voulu montrer la face cachée de ces images presque publicitaires. Il s’agissait presque de faire un film contre ces images trop belles, à l’aspect factice. Le datamoshing était le moyen parfait de figurer leur déstructuration.

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Existe-t-il une résonance entre ton film précédent « Far from Manhattan » et « In Loving Memory »?

« Far from Manhattan » était vraiment une ouverture sur le monde de la femme qui, à la fin du film, sort dans la rue dans son armure et finit par l’ouvrir pour symboliquement sortir de sa bulle. Là, j’avais envie de continuer avec la même actrice qui m’inspire et de traiter ce que les anglo-saxons appellent l’ « empowerment » féminin, ce moment où les femmes prennent les armes. C’est une chose qui me fascine depuis que je suis gamin. A l’époque, j’adorais les dessins animés japonais, comme « Cat’s eyes, où d’un coup une femme revêtait une armure et devenait surpuissante.

Pourquoi avoir choisi une voix-off en anglais ?

J’ai essayé au départ de faire une version française avec Cassandre car elle parle aussi français, mais ça n’allait pas. Son accent français ne collait pas, ça m’intéressait moins, donc je ne l’ai pas faite car je n’avais pas non plus envie de prendre une autre actrice. Le film est en anglais pour une raison très simple, c’est que je voulais le faire avec Cassandre. A la limite, le titre aurait pu être en français mais il n’y a pas d’équivalent en français de l’expression « in loving Memory ». Au départ, le film avait un autre titre mais à cette époque, j’étais en train de lire la biographie de Don Simpson, qui est un producteur cocaïnomane et accro au sex, qui a produit « Top gun » et tous les films d’action des années quatre-vingt. Ce type était un vrai connard et le livre commence par « In loving memory Don Simpson »…

Tu as évoqué l’autre film de La Fémis fait à partir des images Super 8 et monté par cet ami étudiant, a-t-il également monté « In Loving Memory »?
Non, car il fallait vraiment garder une distance entre les deux films. Très tôt on s’est dit tous les deux qu’il fallait qu’on arrête de se parler de nos films respectifs. Chaque film a fait son propre chemin.

Est-ce que tout était très écrit ? Notamment le texte de la voix-off ?

Non, je n’aime pas trop écrire en avance. En fait, j’ai écrit l’histoire avant même de voir les images en Super 8, en espérant que cela fonctionne – ce qui aurait pu ne pas être le cas – et une fois que l’histoire a été écrite, je suis allé en salle de montage voir les images. Elles correspondaient à mes attentes, étaient classées par thématique. J’avais douze heures de rushes qu’il a fallu classer. L’écriture du texte s’est faite avec une belle part d’improvisation que j’ai adorée ! Je revendique cette prise de risque, c’est la façon de travailler qui m’excite le plus. Quant à la musique, elle s’est faite en « live », je travaillais avec la monteuse et envoyais en direct des choses au compositeur qui me faisait des retours. Travailler avec moi, c’est très stressant… Tout se fait dans l’urgence.

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Ton film est sélectionné en compétition nationale, aurais-tu préféré une sélection labo ?

Je peux remercier le festival de Clermont qui a sélectionné trois de mes quatre films. Le seul qu’ils n’ont pas pris est finalement le plus expérimental. Ce n’était pas évident de sélectionner « L’enclave » qui est un film fragile, fauché et qui ne ressemble pas trop aux films sélectionnés en général. Quoi qu’il en soit, mes trois autres films ont été sélectionnés en compétition nationale même s’ils portent à chaque fois un peu d’expérimental en eux. Cela me fait plaisir d’être en national, je trouve que cela propose une ouverture sur l’expérimental au public.

As-tu des projets de long-métrage?

Je commence à écrire un long métrage, je ne me censure pas, il est expérimental et sera sûrement très dur à faire passer. J’espère le produire avec ma propre structure. Je viens d’autre part de produire un documentaire qui va bientôt sortir en salle.

Comment s’organise ta vie de critique avec celle de cinéaste et avec celle de programmateur d’un ciné-club sur la comédie US (cf. au Studio des Ursulines) ?

Pour ce qui est de la comédie, j’en programme, j’en critique mais je n’en fais pas car j’aime trop ce genre et que je ne suis pas sûr de pouvoir faire de bonne comédie. C’est un genre très difficile. Je n’ai pas de modèle pour faire une bonne comédie française même si j’aimerais un jour écrire une comédie sentimentale. Et puis, je pense qu’on ne fait pas forcément les films qu’on veut mais les films qu’on peut. Pour l’instant, je ne me pose pas la question d’un genre quand je réalise. Tous mes films se sont faits au fil de l’inspiration. Si demain, je suis inspiré pour faire une comédie, et bien j’en ferai une.

En ce qui concerne la façon de concilier critique et cinéma, c’est une vaste question. J’ai commencé à faire des films en même temps que j’ai commencé à écrire pour les Inrocks, en 2007. Je pense qu’il y aura un moment où j’arrêterai d’être réalisateur, producteur et critique. Le jour où je passerai au long, j’arrêterai probablement la critique. Pour l’instant, j’évite d’écrire sur le court métrage français car je suis trop impliqué dedans.
En tous cas, je pense que la critique est une bonne école pour la réalisation car cela apporte un regard sur la mise en scène, chose indispensable pour la création cinématographique. La critique m’apporte beaucoup en terme de réflexion et aussi de plaisir autour du cinéma.

Propos recueillis par Fanny Barrot

Articles associés : la critique de « In Loving Memory » , la critique de « L’Enclave »

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« In Loving Memory » est présenté en compétition nationale au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (Programme F6)

Night Fishing de Park Chan-wook et Park Chan-kyong

Ayant fait couler beaucoup d’encre à sa sortie, de par la renommée d’un de ses auteurs, Park Chan-wook, réalisateur sud-coréen très prisé en France pour ses longs métrages hallucinés (« JSA », « Sympathy For Mr Vengeance », « Old Boy », « Lady Vengeance », « Je Suis un Cyborg », « Thirst »), mais aussi de par sa confection technique unique, le film ayant été entièrement shooté à l’Iphone 4, « Night Fishing » (« Paranmanjang » en version originale) se pose en véritable ovni de la sélection clermontoise de cette année, après son passage triomphant à Berlin l’année dernière, où il remporta l’Ours d’Or et le Grand Prix du Jury du meilleur court métrage.

Le film de 33 minutes débute sur la prestation live d’un groupe de musique barré, jouant en pleine nature une mélodie mêlant allègrement rock et musique traditionnelle asiatique. Cette introduction furieuse et enlevée fait penser à une version moderne d’un “choeur antique” qui chanterait les louanges d’une histoire à venir, à savoir un pêcheur, cherchant la quiétude de son loisir, et se retrouvant face à son destin tragique lors d’une insouciante virée nocturne dans les marais.

Par une habile figure de style, sous la forme du “point de vue” d’un chapeau d’un des membres du “choeur” qui virevolte dans les airs, nous croisons la route de ce fameux pêcheur solitaire, qui s’enfonce dans des étendues d’eau et de verdure pour trouver un havre de paix pour s’adonner à sa passion. Une fois l’endroit choisi, le pêcheur installe lignes de pêche et hâmeçons, puis patiente entre ses différentes touches, écoutant un poste de radio, sur lequel se succèdent chants traditionnels prémonitoires et bulletins d’informations météo annonçant de grosses pluies mortelles.

La nuit vient et l’homme, une lampe frontale vissée sur la tête, se remet à son poste. L’une des lignes de pêche les plus éloignées émet un tintement de cloche et il se précipite pour la sortir de l’eau. C’est alors qu’il s’emmêle dans les différents fils et tombe à la renverse. Il a pêché le corps inanimé d’une femme. S’ensuit un ballet grotesque où, dans la panique la plus totale, l’homme essaye de se défaire de l’étreinte de ce corps embarrassant qui reprend vie petit à petit. Alors que l’homme s’évanouit à son tour, la femme, ayant retrouvé tous ses esprits, va s’occuper de lui.

A partir de ce moment-là, le film acquiert une dimension très fantastique, qu’il possédait par touches auparavant, mais qui n’était pas aussi marquée. En effet, ce personnage de femme se révèle être une sorte d’esprit funeste qui connaît beaucoup de choses sur la vie de notre protagoniste et se retrouve là dans un but précis : faire prendre conscience au pêcheur qu’il n’appartient plus au monde des vivants, que cette ballade nocturne lui a été fatale et qu’il s’est noyé dans la rivière à cause des pluies torrentielles. Nous apprenons que l’homme a une petite fille qu’il élève seul et qu’il regrette de ne plus être à ses côtés.

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Commence alors le dernier acte du film. Nous quittons cet entre-monde, sorte de purgatoire marécageux, et nous nous retrouvons lors d’un rite funéraire, au cours duquel le personnage de la femme s’adonne au chamanisme et communique via un bac d’eau avec les marais où se trouve coincé l’esprit du pêcheur. Elle le ramène avec elle (en elle) dans le monde des vivants. Le but avoué, étant qu’il revoie une dernière fois ses proches et surtout sa fille, qu’il accepte sa condition d’homme noyé et qu’il rejoigne enfin le monde des morts.

Le film finit sur un rituel visuellement impressionnant au cours duquel la chamane coupe en deux un grand drap blanc tendu sur plusieurs mètres en chantant la mort du pêcheur, chant qui se trouve être un des morceaux que l’homme écoutait sur sa radio précédemment. La chamane édicte les dernières volontés du pêcheur, puis finit de découper le drap et laisse son esprit s’envoler.

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« Night Fishing » est une expérience cinématographique unique. Co-réalisé à deux mains par Park Chan-wook et son frère Park Chan-kyong, le film fait appel à toute l’imagerie du drame fantastique coréen, avec son obsession pour l’élément aquatique, véhicule privilégié entre le monde des vivants et des morts, ses personnages hystériques et hauts en couleur, en proie aux excès mélodramatiques les plus extrêmes, son humour morbide empreint de douleur et son utilisation très minutieuse du symbole et de la métaphore.

Seulement, les deux frères ont opté pour une structure imprévisible, qui fonctionne en paliers, dans laquelle le spectateur doit partir à la “pêche” aux détails et aux signaux, disposés tout au long du récit, pendant les chansons, à travers les spots radios, dans les décors, les accessoires et l’utilisation inversée des costumes lors d’une scène clé. Cet effort accompli, le spectateur est envoûté par la poésie douce-amère, toute en rupture de tons, qui se dégage de cette histoire.

A la fois oeuvre d’urgence, à la technique légère (tournage à l’Iphone), et film exigeant sur le fond et la forme, « Night Fishing » impressionne par le talent des deux frères à installer une ambiance, à fasciner par une imagerie hautement iconographique et à faire réfléchir sur la profondeur thématique du récit, pour lequel beaucoup de clés historiques et mythologiques, purement orientales, nous font défaut. Mais cela n’est point problématique, tellement la poésie l’emporte au final.

Julien Savès

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N comme Night Fishing

Fiche technique

Synopsis : Au fin fond de la forêt, à travers un épais brouillard, un homme marche, un panier de pêcheur à la main. Il arrive au bord d’une rivière. L’homme prépare tranquillement son matériel de pêche et lance ses hameçons. Quelques heures plus tard, la nuit tombe peu à peu sur les berges tranquilles. L’homme n’a pas attrapé grand-chose mais reste assis à attendre. C’est alors qu’une de ses cannes à pêche plie sous le poids d’une prise qui semble très lourde…

Genre : Fiction, Expérimental

Durée : 33’

Pays : Corée du Sud

Année : 2011

Réalisation : Park Chan-Wook, Park Chan-Kyong

Scénario : Park Chan-Wook, Park Chan-Kyong

Lumières : Choi Jong-Ha

Cadre : Ju Sung-Lim

Montage : Kim Woo-Il

Son : Kim Suk-Won, Cho Min-Ho

Décors : Jo Hwa-Seong

Musique : Jang Young-Gyu

Interprétation : Oh Kwang-Rok, Lee Jung-Hyun

Production : Moho Film

Article associé : la critique du film

D comme Drux Flux

Fiche technique

Synopsis : Entre figuration et abstraction, le film mise sur un montage dynamique pour illustrer l’écrasement de l’homme moderne par le rouleau compresseur de la performance. S’inspirant de « L’homme unidimensionnel » du philosophe Herbert Marcuse, le cinéaste déconstruit les paysages industriels et met en cause la suprématie de la technique au dépend de l’humanité.

Genre : Animation

Durée : 4’40 »

Pays : Canada

Année : 2008

Réalisation : Theodore Ushev

Musique : Alexander Mossolov

Montage Son : Olivier Calvert

Production : Office National du Film du Canada

Article associé : l’interview de Theodore Ushev

Y comme Yannick Nézet-Séguin : sans entracte

Fiche technique

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Synopsis : D’un naturel pourtant optimiste, Yannick Nézet-Séguin est porté vers la musique sombre et les thèmes de la mort et de la souffrance. Sur le plan du dévouement, de la sensibilité musicale et du charisme, la réputation du jeune chef d’orchestre n’est plus à faire.

Réalisation : Theodore Ushev

Genre : Documentaire, Expérimental

Durée : 6’

Pays : Canada

Année : 2010

Production : Office National du Film du Canada

Article associé : l’interview de Theodore Ushev

Theodore Ushev : « Le court métrage est le passé, le présent et l’avenir du cinéma »

Récompensé l’année dernière à Clermont-Ferrand pour son film d’animation « Les Journaux de Lipsett », Théodore Ushev revêt, cette année, l’habit de juré de la compétition internationale. Rendez-vous pris avec l’artiste polymorphe dans la chaleur moite de la salle de presse du festival. Endroit, semble-t-il idéal pour décrier le travail de Sylvain Chomet, évoquer les travaux psychanalytiques de Lacan, et faire l’apologie du court métrage. Rencontre.

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© I.Mathie

Vos premiers films sont très graphiques : quelles ont été vos influences cinématographiques et picturales du début ?

Mes premiers films sont des « films affiche ». Avant de passer à la réalisation, je ne connaissais pas les films de Man Ray ou de Fernand Léger. Je n’avais jamais entendu parler des films avant-gardistes. Je connaissais plutôt les peintures de cette époque, je me suis inspiré des mouvements cubiste et constructiviste. J’adore cette époque-là. L’affiche n’a pas le droit d’être ennuyeuse, un film non plus. Pour moi, la confection reste la même, qu’il s’agisse de dessin ou de film. Par ennuyeux, je n’entends pas lent car j’adore le cinéma de Tarkovski, ou de Béla Tarr, mais je pense à des films prétentieux ou artificiels. Je n’apprécie pas du tout le cinéma de Sylvain Chomet, par exemple, que je trouve sans âme. Pour moi, c’est de la bande dessinée animée, mais il n’y a pas de cinéma. Au début, j’ai aussi regardé beaucoup de films expérimentaux, comme ceux d’Oskar Fischinger.

Avez-vous conçu les « Journaux de Lipsett » en pensant à un film cathartique ? Quel a été le rôle de la psychanalyse dans sa conception ?

La dimension analytique est, en effet, très forte dans le film. Avant d’imaginer les images, j’ai beaucoup lu de livres de psychanalyse, j’ai demandé conseil à beaucoup d’amis qui étaient dans le métier et qui m’ont aidé dans la conception du film. J’ai également été inspiré par Jacques Lacan et spécialement par sa théorie du miroir. Celui-ci raconte que si un enfant vit une expérience troublante et traumatisante avant sa septième année, son être se brise, son développement est freiné. C’est justement ce qui s’est passé avec Arthur Lipsett : son miroir s’est cassé quand sa mère s’est suicidée. J’ai donc voulu montrer cette perte de lui-même au sein du dessin et par le biais d’un montage saccadé.

Le texte écrit par Chris Robinson est à l’origine du film. Comment avez-vous travaillé à partir de ses mots ?

Chris Robinson avait rédigé un texte très chaotique que j’ai du mettre en images. Le texte ne racontait aucune histoire mais s’apparentait à un ensemble de mots. J’avais déjà en tête chaque plan, car quand je commence un film, j’ai une idée extrêmement précise de ce qu’il va être, de son déroulement. Je n’ai pas du tout douté ou cherché, le texte m’a immédiatement inspiré et puis, j’avais déjà trouvé la musique et les sons pour l’accompagner. A partir de là, j’ai mis le chaos en images en utilisant plusieurs techniques comme le crayon, la peinture acrylique et le collage puis, j’ai traité tout cela numériquement.

A propos de musique, elle est omniprésente dans vos films. Est-ce toujours vous qui la choisissez et qui concevez l’univers sonore ?

Moi, je ne cherche jamais de musique, c’est elle qui me trouve. Je dessine toujours à partir d’une musique qui m’a marqué, dont je me souviens. La musique, c’est mon scénario, je crée à partir d’elle. Elle est toujours première et le son aussi. Je commence toujours par un montage audio, pour imaginer le rythme du film. Je me sens d’ailleurs plus proche des musiciens que des animateurs.

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Pourquoi avoir choisi la forme du documentaire animé pour le portrait du compositeur classique Yannick Nézet-Séguin dans le film qui lui est consacré (« Yannick Nézet-Séguin : Sans entracte » ) ?

Mon but était de montrer son mariage énergique avec la musique, alors je me suis demandé comment je pouvais illustrer sa vie de cette façon, cette manière de sentir la musique, de réagir face à elle. J’ai appelé sa mère et lui ai demandé de m’envoyer ses partitions. En parcourant les pages, j’ai trouvé ce que je voulais : tout était crayonné autour des notes de musique : des traits venaient illustrer les mouvements du morceau, j’avais devant les yeux une œuvre d’art expressionniste. Je me suis dit que son portrait se trouvait là. Je n’ai donc pas dessiné mais je me suis servi de ses propres dessins apposés sur les partitions et cela a donné l’animation du film. L’idée était de montrer l’image abstraite de la musique.

La notion de bricolage paraît déterminante dans votre œuvre. À la façon d’Arthur Lipsett, vous semblez aimer la forme du cadavre exquis.

On dira que c’est une approche post moderne, mais j’ai toujours essayé de chercher des sources différentes : je ramasse des phrases, des notes, des images, des sons, et les assemble pour créer l’émotion. Je reprendrai une phrase de Lipsett, extraite de ses cahiers qui dit que « le film est un oignon », avec plusieurs couches et un cœur. C’est exactement ça, petit à petit, si tu l’acceptes, tu entres dans un univers jusqu’à atteindre le centre névralgique de l’œuvre.

Pourriez-vous envisager un film en prise de vue réelle ?

Oui, bien sûr, j’ai ce projet en tête, peut-être avec des acteurs non professionnels, je n’aime pas quand les gens jouent. J’aime essayer, mon prochain film mettra d’ailleurs en scène des marionnettes. J’ai demandé de l’aide extérieure, comme ça je ne serai pas seul sur le projet.

Pourquoi ? Vous sentez-vous parfois trop proche de vos œuvres ?

Oui, je suis très impliqué émotionnellement dans mes films, parfois même trop. Au moment de la conception des « Journaux de Lipsett », j’étais au bord du suicide, je vivais dans la tête d’un bipolaire et je devenais fou. Mes amis ont eu très peur. Comme les comédiens qui ont adopté la méthode de Stanislavski, j’étais totalement impliqué dans mon rôle de réalisateur. Je ne dormais pas, je ne mangeais pas, je ne sortais plus pendant des semaines.

Que pensez-vous de cette mode du documentaire animé ?

J’adore ce genre car il mêle réalisme et imaginaire. Je trouve ça très excitant, j’ai adoré « Persepolis » et « Valse avec Bachir ». « Drux Flux » peut être considéré comme un docu animé car toutes les images ont été tournées dans une usine allemande de métal qui est fermée depuis le 19ème siècle. Je commence toujours par des photos, des images réelles et je les déconstruis par l’animation, donc on peut dire que mes films sont des documentaires animés.

Vos films circulent un peu partout sur internet, et beaucoup d’entre eux ont été réutilisés notamment pour des clips musicaux. Comment voyez-vous cela ?

Tous mes films ont été utilisés par des musiciens car j’accorde les droits et j’accepte que mes films soient diffusés sur internet. Il y a 5 ou 6 remix de « Drux flux » (par Wax Tailor, Public Symphony, notamment). Je laisse cette liberté car tous les mouvements artistiques intéressants sont nés de la circulation des œuvres, car on s’inspire toujours des œuvres des autres. Je n’ai aucun problème avec cela, au contraire !

Cette liberté s’accorde-t-elle selon vous avec le format du court métrage ?

C’est sûr qu’internet a permis la prolifération de films plus courts, que le court représente une forme de liberté. Le court métrage est le passé, le présent et l’avenir du cinéma. Les premiers films étaient des courts métrages. Selon moi, ce n’était pas seulement une question de technique mais déjà un choix artistique, une position esthétique. Maintenant, il existe des marchands du cinéma qui imposent une durée type : ils estiment que pour avaler un paquet de pop-corn et boire un coca, il faut laisser au spectateur 1h30 de film. Les cinéastes suivent cette voie. Pourtant, c’est à eux de décider de la durée de leur histoire : pour certains il faut sept heures pour d’autres dix minutes. Au théâtre, par exemple, il n’y a pas cette limitation. Pou moi, le format court est intéressant pour plusieurs raisons : tout d’abord, il n’impose pas de grand budget et « avec moins d’argent, il y a plus d’art », ça a toujours été comme ça. Et puis, aucune étape de production n’empêche sa création.

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Cette année, vous êtes juré de la compétition internationale au festival de Clermont, que pouvez-vous nous dire des films que vous voyez en festivals ?

D’une manière générale, les courts métrages, notamment dans le domaine de l’animation, sont bien faits, les moyens sont là et la réalisation est souvent virtuose. Néanmoins, je suis frappé par l’aspect scolaire de certains d’entre eux. Souvent les réalisateurs semblent absents de leurs propres films : il n’y a pas de chaleur. On dirait qu’ils réalisent pour le métier. Pour moi, on privilégie encore trop les films d’écoles.

Donc, vous n’avez pas de projet de long-métrage ?

Pour l’instant, ça ne me tente pas, je n’ai pas la force de chercher de producteur. Parfois, je ressens de la tristesse pour mes amis qui réalisent des films car ils ne sont diffusés que dans quelques salles et celles-ci sont presque vides. Il n’y pas de satisfaction d’artiste, c’est pour ça que je préfère diffuser sur internet, pour que les gens voient mon travail. Bien sûr, rien ne vaut une diffusion sur grand écran mais si celle-ci n’est pas possible, je préfère diffuser mes films sur You Tube.

Propos recueillis par Dounia Georgeon

Article associé : la critique des « Journaux de Lipsett »

Consulter les fiches techniques des « Journaux de Lipsett », de « Yannick Nézet-Séguin : sans entracte », de « Drux flux »

Choros de Michael Langan et Terah Maher

Un film de danse sélectionné au festival de Clermont-Ferrand, un fait suffisamment rare pour être souligné. Avec « Choros », Micheal Langan, dont le film de fin d’études « Doxology » avait déjà été montré en compétition Labo en 2009,  propose une suite à « Pas de deux », de Norman Mac Laren, une des premières oeuvres mêlant expérimentation visuelle et chorégraphie, réalisée en 1968.

Tera Maher, à la fois danseuse et co-réalisatrice, exécute des mouvements simples, lents et amples dans un décor dépouillé. Ce qui importe, ce qui occupe l’espace, c’est la démultiplication de cette danseuse. Un « chorus » de femmes jaillit de son mouvement grâce à la technique de la chronophotographie, mise au point au 19ème siècle par Etienne Jules Marey et Eadweard Muybridge, Déjà utilisée par Mac Laren dans son « Pas de deux », la chronophotographie permet de créer un véritable écho visuel.

La danseuse est une, puis plusieurs. Sa silhouette se multiplie en un « pas de trente deux », quand l’une débute son mouvement, l’autre l’achève. Les mouvements, simples et fluides, sont minutieusement travaillés pour mettre en valeur le procédé technique saisissant. Cette persistance rétinienne nous permet de suivre le fil du mouvement, démonstration que la danse se situe bien dans cet entre-deux, lien entre deux postures.

Expérience visuelle avec une trame narrative sous-jacente, Choros veut se doter d’une épaisseur pour dépasser l’anecdotique « effet ». Nous suivons cette danseuse-héroïne, dénuée d’intentions claires mais elle-même identifiable. Là ou Mac Laren, limité par la technique devait tourner dans une « boîte noire », « Choros » évolue entre deux espaces. Le premier est sombre et confiné, le second est l’espace mental d’une prairie verdoyante et lumineuse, au centre duquel la Choréa, littéralement « danse en cœur », apparaît. La danseuse parvient à se détacher de ses doubles, jusqu’à former une large ronde de clones d’elle-même, assemblés dans un mouvement unique. Une trame narrative donc, simple et épurée à l’extrême : vie, mort et renaissance d’une danseuse, unique protagoniste. Si cela fonctionne, c’est grâce à l’effet visuel de multiplication, procédé technique d’animation mettant l’expression du corps en relief.

La musique de Steve Reich renforce encore davantage une impression de linéarité et d’apaisement. La danse, comme un mantra, hypnotise. Au delà d’une signification psychologisante sur l’identité et le double, cet effet de démultiplication est bien plutôt une recherche visuelle, unissant la danse et la virtuosité de techniques d’animation, une volonté de créer un ballet qui nous entraîne ailleurs. Micheal Langan explore les possibilités d’expression du corps humain, allié aux effets cinématographiques. Comme « Pas de deux » à son époque, « Choros » veut contribuer à l’innovation cinématographique et marquer une nouvelle étape. Cette expérience visuelle et narrative envoûtante ouvre la voie à d’autres tentatives de faire vivre autrement le corps à l’écran.

Pauline Gardavaud

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Article associé : l’interview des réalisateurs

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Fiche technique

Genre : Animation, Expérimental

Durée : 12’44’’

Pays : États-Unis

Année : 2011

Synopsis : Une danseuse donne vie à une ribambelle de figures féminines dans ce « pas de trente-deux » surréaliste.

Réalisation : Terah Maher, Michael Langan

Image : Michael Langan

Musique pré-existante : Steve Reich

Montage : Terah Maher, Michael Langan

Interprétation : Terah Maher

Production : Langan Films

Articles associés : la critique du film, l’interview des réalisateurs

Critique croisée : Le Ciel en bataille de Rachid B. et Méditerranées d’Olivier Py

Seuls deux documentaires étaient cette année en lice au festival de Clermont-Ferrand dans la compétition nationale. Les deux films peuvent être appréhendés ensemble, mis en parallèle tant ils se font parfois écho. Heureux hasard de la programmation ? Cette année, l’attention portée aux films autour de la Méditerranée, du Maghreb et de l’identité arabe semble s’être accrue à en juger la programmation internationale (« Demain, Alger ? »/Algérie, « Al Hesab »/Egypte, « Vivre »/Tunisie, …). Les événements de l’année passée ont sans doute contribué à cette effervescence. En tout cas, si les deux documentaires, « Le Ciel en Bataille » de Rachid B. et « Méditerranées » d’Olivier Py n’évoquent aucunement le Printemps arabe, l’identité, qu’elle soit pied noir ou maghrébine se trouve au centre de leurs réflexions.

La vie en sépia

De prime abord, les deux documentaires semblent partager une esthétique commune : ils puisent la matière filmique dans les archives familiales. Leur format Super 8 et les photos noir et blanc placent tout de suite le spectateur dans un climat de nostalgie : les deux réalisateurs confrontent leur histoire intime (l’infiniment petit) à la Grande Histoire (l’infiniment grand). C’est surtout le cas pour Olivier Py qui se sert des images de ses parents pour mieux décrire l’absurdité de la guerre d’Algérie, qui se passe hors cadre. La forme du film autobiographique unit donc les deux œuvres. Le récit à la première personne est empreint d’un certain lyrisme dans « Le Ciel en Bataille » , tandis que la voix d’Olivier Py se fait plus distanciée, plus critique dans « Méditerranées ». D’une façon quelque peu convenue, il joue sur les mots « mer » et « mère », insistant sur leur fécondité, leur inconstance, leur rôle de trait d’union entre deux continents et deux identités. Le moment clé du film réside peut-être dans cette confrontation entre les images tournées par les parents et celles prises en charge par l’œil du réalisateur lui-même (alors adolescent), qui filme, selon ses dires, « la fin d’un amour » conjugal. Spectateur du film, il devient également le témoin passif d’un passé douloureux.

La douleur en héritage

Rachid B. filme, lui aussi, la mer et parle de ses parents. Dans les deux cas, les films ne sont pas là pour sceller un pacte de réconciliation avec le cercle familial. Au contraire, ils posent tous deux la question d’une faille transmise inconsciemment aux enfants, alors héritiers d’une dérive identitaire (Rachid B. évoque son homosexualité et son rapport aux religions catholique et musulmane, dans lesquelles, semble-t-il, il tente de trouver une justification morale). La métaphore de la mer purificatrice, qui absout, dans le cas du « Ciel en Bataille », est très présente dans l’écriture des deux réalisateurs. A la voix d’Olivier Py qui dit que « la mer lave les plaies et les taches du monde », répond ce long plan d’ouverture (presque une minute) du « Ciel en Bataille », dans lequel une main flotte dans le ciel et s’avance vers les vagues. Chacun à sa manière s’interroge sur ce qui fonde son identité : Olivier Py fait part de ses origines pied noir, Rachid B. évoque ses difficultés à assumer ce qu’il est devant ses parents. Il raconte brièvement une de ses entrevues avec un imam qui l’éloigne un peu plus de la vérité (le religieux pointe – sans surprise – l’immoralité de l’homosexualité). Il invente également un dialogue imaginaire qu’il aurait pu avoir avec son père, mourant au moment du film.

Dans les deux cas, il semblerait que la voix-off ait une vocation cathartique : le fait de « formuler », de « raconter » dans le cas de Rachid B. est une compensation, un exutoire. Il prend le parti de ne pas montrer ses parents, de ne pas les faire parler, tandis que le film ne cesse de tourner autour du silence pesant installé entre ses proches et lui. Aux images assez dures et au son agressif, répondent des séquences organiques montrant la forêt et les arbres. Cette immersion inattendue dans la nature a pour effet de transformer le film en conte.

Les coulisses de l’Histoire

Le film de Py est construit autour du hors cadre. D’une manière très démonstrative, il montre que la vraie histoire (la guerre d’Algérie), le vrai nœud du film se trouve ailleurs, loin des images heureuses de ses parents, décrits comme insouciants et extérieurs aux remous de l’histoire. La voix-off signale à propos de la mère : « elle voit tout ça mais elle ne le donne pas à la caméra ». Py utilise une bonne vieille astuce du cinéma qui consiste à exposer sans montrer, à cacher la clé, la vérité. La guerre est en coulisses, et le réalisateur décide de prendre le contrepied des films faits sur le sujet. Les archives n’évoquent aucunement la violence et les massacres mais un envers du décor presque indécent tant il paraît lumineux.

Une phrase de Py pourrait également résumer la démarche de Rachid B. : « Est-ce que notre histoire à tous n’est pas de chercher nos origines ? ». La question est évidemment intéressante et centrale à l’heure du refroidissement gouvernemental sur la question de l’immigration (la faute à…Guéant), mais faut-il toujours évoquer cette problématique par le biais d’un récit autobiographique ? Rien n’est moins sûr tant cette vision du cinéma paraît éculée…

Dounia Georgeon

Consulter les fiches techniques de « Le Ciel en Bataille » et « Méditerranées »

M comme Méditerranées

Fiche technique

Synopsis : Exhumés après 25 ans, des films 8 millimètres donnent lieu à une méditation sur le destin d’une famille et d’une génération. L’histoire d’un couple, d’une famille, se confond avec l’Histoire de l’Algérie et de la France des années 1960.

Genre : Documentaire

Durée : 32′

Pays : France

Année : 2011

Réalisation : Olivier Py

Scénario :
 Olivier Py

Son
 : Jean-Noël Yven `

Musique pré-existante 
: Giuseppe Verdi, Richard Wagner

Montage 
: Lise Beaulieu

Voix 
: Olivier Py

Texte 
: Olivier Py

Production : Sombrero Productions

Article associé : la critique du film

C comme Le Ciel en bataille

Fiche technique

Synopsis : Je n’ai jamais pu partager ma vie avec mon père. Jusqu’à son dernier jour, le secret et le silence nous auront gardés à une distance infranchissable l’un de l’autre.

Genre : Documentaire

Durée : 42′

Pays : France, Suisse

Année : 2010

Réalisation : Rachid B.

Scénario :Rachid B., Florent Mangeot

Image : Arthur Forjonel, Rachid B.

Son : Fabien Bourdier

Musique : Fabien Bourdier

Montage : Florent Mangeot

Voix : Rachid B.

Texte : Rachid B.

Mixage Son : Laure Arto-Toulot

Production : Nord-Ouest Documentaires

Article associé : la critique du film

Anima 2012 : la programmation

Anima, le Festival international du film d’animation de Bruxelles se déroulera à Flagey du 17 au 26 février 2012.

Pour sa compétition internationale, Anima s’efforce de sélectionner les meilleurs courts métrages d’animation et flaire pour vous les dernières tendances mondiales. Pour ce faire, Anima privilégie l’audace artistique, les approches non conventionnelles et les films qui explorent et exploitent à fond tous les moyens expressifs de l’animation. Pas moins de 8 programmes ont été nécessaires pour rendre compte de cette diversité. Parmi ceux-ci, on compte davantage de films d’étudiants que les autres années, répartis en trois programmes distincts. Quatre autres programmes seront consacrés aux productions de professionnels de l’animation, ainsi qu’un dernier programme spécialement conçu pour les enfants.

Découvrez la programmation sur le site du Festival !

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Carte blanche à l’INSAS

Fondé à Bruxelles en 1962, l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle avait pour but initial de briser les frontières entre la théorie et la pratique, de favoriser les collaborations entre les créateurs et les techniciens, de former des professionnels des métiers du cinéma. 50 ans plus tard, le Festival clermontois lui a accordé une carte blanche composée de 10 films. L’occasion pour certains de voir ou de revoir des courts métrages qui ont fait la renommée d’une certaine « belgitude » grâce à des personnalités tels que Jaco Van Dormael, Rémy Belvaux ou encore Olivier Smolders.

Qu’en est-il de la jeune génération ? Entre réalisme et imaginaire, elle papillonne, entre documentaire et fiction, elle virevolte. Mais force est de constater que l’humour noir, l’autodérision et le surréalisme d’il y a 20 ans ont laissé la place à une mélancolie douce-amère. Illustration en 6 films.

Réalisme prosaïque

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Avec ses airs « stripteasiens », le film d’études d’Eve Duchemin « Ghislain et Liliane : couple avec pigeons » dépasse le voyeurisme de la célèbre émission pour creuser ses sillons plus authentiquement, au creux de l’être, entre la vie et la mort, à la lisière de ceux qui restent et de ceux qui partent. Un documentaire certes, une réalité naturellement, celle d’un couple qui se retrouve à l’automne de sa vie. Ghislain, colombophile féru, se voit obligé d’abandonner sa passion pour des raisons de santé. Seulement les pigeons, c’est sa vie. Liliane le sait, même si elle aurait sans doute apprécié un peu plus de petites attentions à certains moments, une sortie par-ci, un cadeau par-là. La réalisatrice communique avec le couple sans jamais se mettre en scène mais les regards de Ghislain, les paroles de Liliane, les confessions de chacun (très peu filmés ensemble), leurs états d’âme en somme, c’est à elle qu’ils sont adressés. Le spectateur devient alors le confident, le témoin tacite de ses échanges teintés de réflexions existentielles.

De considérations métaphysiques il en est maladroitement question dans la fiction de Laurent Golia « Casse-noisettes », qui n’a rien du ballet russe si ce n’est la thématique de la difficulté de grandir. Mûrir c’est peut-être aussi être capable de s’engager dans une relation de couple et prendre conscience de ses responsabilités. Or, le protagoniste bisexuel du film, passe son temps à rompre, à s’en aller au moment où les choses commencent à être sérieuses. Un soir, alors qu’il se rend chez un potentiel partenaire sexuel, après avoir passé un bon moment, son hôte se tord de douleur. C’est une torsion testiculaire, anecdote qui donne son titre au film. Notre héros reste perplexe face à l’idée de s’occuper de lui : personne ne peut accompagner « le rendez-vous galant » à l’hôpital ni lui apporter du linge propre puisque sa famille vit à l’étranger. Derrière le choix du libre détachement du héros, ses fondations humaines demeurent. Et notre personnage se retrouve ainsi, pour un temps qu’il abrège bien vite, responsable de quelqu’un qu’il ne connaît pas du tout. Mettant superficiellement en évidence les failles de l’homme moderne, bizarrement, le film de Laurent Golia porte bien son nom.

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Montréal, au cœur de l’hiver 2007, Roger est un barbier discret et patient qui met ses talents de coiffeur au service des plus démunis : des sans-abris. Avec « Le Barbier », Julie Decarpentries réalise un documentaire inspiré. « Le Grand Roger », comme on aime le surnommer, exerce son métier, simplement, avec minutie et précision tout en parlant avec ses clients qui laissent transparaître des histoires individuelles dures et parfois tragiques. Pour montrer l’homme à l’ouvrage, la caméra de la réalisatrice reste fixe et garde une taille de plan qui suggère le tableau, le portrait. Le plan se rapproche lorsque la confession est intime, lorsque le coiffeur s’applique. Aussi assiste-t-on à une gestuelle professionnelle d’une longue expérience qui telle une caresse bienveillante rend un peu de dignité à ces marginaux « vagabonds ». Il y a quelque chose dans « Le Barbier » qui échappe à l’image et qui porte le réalisme prosaïque au-delà de la triviale banalité.

Imaginaire poétique

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Celui qui n’a jamais rêvé de troquer son âge pour un autre peut jeter la première pierre à Pascale Brischoux, l’auteure du romanesque « Une longueur d’avance ». Si dans la majorité des cas, on préfère rajeunir, la réalisatrice s’est penchée sur l’exception en se demandant ce qui pouvait amener certains à vouloir vieillir, surtout quand il s’agit de jeunes filles. L’amour évidemment ! Ainsi, une jeune femme efface les années qui la séparent de son compagnon plus âgé. En allant vendre ses jeunes années dans un bureau énigmatique, elle offre une preuve incontestable que l’amour n’a pas d’emprise sur le temps. Et à son retour à la maison, la bouche de son amant garde le silence pour écouter le cœur de sa promise et entendre les battements qui l’ont poussée à agir. Filmé dans des couleurs pâles et sobres pour souligner le vermeil des sentiments, le film possède en son for intérieur des nuances qui font un moment penser à « La Plage d’Ostende » de Jacqueline Harpman.

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« Three Inches of Memory » de Camille Fontenier et « Tao m’a dit » de Léo Médard ont tous deux profiter d’un programme d’échanges entre l’Insas, Sint-Lukas (Bruxelles) et la Beijing Academy. Réalisés à un an d’intervalle (2009 et 2010), les films sont des lettres filmées adressées au reste du monde, des cartes postales vidéos envoyées d’une ville magnétique, Pékin et d’un pays fascinant, la Chine. Quand le regard féminin de Fontenier se penche sur la quête de la tradition des petits pieds, Médard s’engouffre quant à lui sur les chemins de la philosophie en tentant de retrouver les traces du Tao.

L’un et l’autre ressentent le besoin et l’envie de creuser les mythes d’une culture millénaire en partant d’authentiques stéréotypes (les petits pieds ou le Taoïsme) tout en rencontrant le chaos de l’Orient moderne, celui de l’agitation urbaine et du flux continu. Si « Three Inches of Memory » a tout d’un conte, « Tao m’a dit » se rapproche du monologue métaphysique. Les deux lettres filmées hypnotisent parce qu’elles rendent comptent du pouvoir poétique des images et qu’elles mêlent imaginaire et réalité dans une errance solitaire et abstraite. A la recherche de fantômes ancestraux, les étudiants semblent avoir trouvé dans les visages anonymes d’aujourd’hui, un témoignage de la permanence des choses.

Marie Bergeret

Cinéma du Réel : édition 2012

cinema-du-reelDepuis sa création il y a 34 ans, Cinéma du Réel s’est imposé comme le festival de référence du cinéma documentaire en France. À l’écoute de la diversité des écritures, des formes et des idées, il rassemble aujourd’hui un public large, fidèle, attentif et curieux.

Du 22 mars au 3 avril 2012, retrouvez les 11 courts métrages en compétition internationale cette année :

Los animales de Paola Buontempo (Argentine, 8’, 2011) *PM*
Automne de Dmitri Makhomet (France, 26’, 2012) *PM*
Dochters (Daughters) de Marta Jurkiewicz (Pays-Bas, 23’, 2011) *PI*
Dusty Night de Ali Hazara (Afghanistan, 20’, 2011) *PM*
Earth de Victor Asliuk (Biélorussie, 33’, 2012) *PM*
Four Months After de Yuki Kawamura (France – Japon, 12’, 2011) *PM*
Henry Hudson and His Son de Federico Vladimir Strate Pezdirc (RU – Espagne, 20’, 2011) *PM*
Kako sam zapalio Simona Bolivara (The Fuse: Or How I Burnt Simon Bolivar) d’ Igor Drljaca (Bosnie Herzégovine – Canada, 9’, 2011) *PI*
Mekkege karai jol (Way to Mecca) de Asel Zhuraeva (Kirghizistan, 19’, 2011) *PI*
River Rites de Ben Russell (Etats-Unis – Surinam, 11’, 2011) *PF*
Snow City de/by Tan Pin Pin (Singapour / Singapore, 15’, 2011) *PI*

*PM* : Première mondiale
*PI * : Première internationale
*PF* : Première française

www.cinemadureel.org

Les 3 coups de cœur de Pointdoc

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Dans la catégorie « Première création », « Itchombi » de Gentille M.Assih a su séduire le jury et « Au prix du gaz » de Karel Pairemaure a su toucher le public.

Quant à la catégorie « Film jamais diffusé », « (3) promesses » de Sébastien Balanger remporte à la fois les suffrages du jury et du public.

Trois autres films ont également attiré l’attention des membres du jury et suscité des mentions spéciales : « Au prix du gaz » de Karel Pairemaure, « Dans l’ombre » de Bart S. Vermeer et « Vu le candidat » de Seb Coupy et Bertrand Larrieux.

Les trois films « primés » seront diffusés sur grand écran lors de la soirée de clôture du festival le vendredi 16 mars à la salle Jean Dame à Paris (sur réservation, nombre de places limité).

Le site : festivalpointdoc.fr

Marc Boyer : « Le court métrage est peut-être le dernier espace de liberté d’expression visuelle où l’on peut aborder tous les thèmes sans limite et sans la contrainte économique des sponsors »

Lardux Films a 20 ans. À cette occasion, le 34éme Festival du court métrage de Clermont-Ferrand a ouvert un programme spécial de rétrospective retraçant en quelques œuvres l’esprit d’une maison de production particulière. Format Court s’est joint à la fête pour lui souhaiter un bon anniversaire et rencontrer Marc Boyer, producteur et co-fondateur de Lardux.

Format Court : Comment est né Lardux Films ?

Marc Boyer : En 1992, nous avons fondé Lardux avec Christian Pfohl et Isabelle Chesneau. À la fin des années 80, Christian et moi avions réalisé une série de court en pixilation pour Canal + qui mettait en scène un peintre dans son atelier qui n’arrivait pas réaliser des toiles, son nom était Lardux. À l’époque, tout le monde nous appelait les Lardux et donc nous avons naturellement gardé le nom pour la boite de production. Les premières années, nous avons surtout fonctionné avec nos propres réalisations, puis nous avons commencé à produire certains de nos amis qui avaient travaillé sur la série « Lardux ». En 1995, nous avons intégré ces gens au sein de la structure, et Lardux est devenu une sorte de collectif de production jusqu’en 2003 où nous avons fait en partie faillite. C’était très compliqué de fonctionner en collectif, et il a fallu remonter la boite en partant de zéro avec les trois fondateurs. Nous nous connaissons très bien et depuis longtemps, et aujourd’hui nous avons un fonctionnement très libre avec beaucoup de confiance entre nous.

Lardux, c’est combien de films ?

M.B. : En 20 ans, on a produit plus de 70 courts et moyens métrages, quatre longs, cinq séries, mais aussi quelques installations multimédia pour des musées. Pour la diffusion hors festivals et salles, on a fait le choix de mettre la plupart des films en ligne sur le site lardux.com. Quand on voyait ce que rapportaient les courts métrages en VOD, ça nous a paru une aberration.

Comment choisissez vous de travailler avec un artiste ?

M.B. : Uniquement par copinage et corruption ! (rires) Non, on a l’habitude de travailler avec certains réalisateurs depuis des années, parfois 10 ou 15 ans. De temps en temps, on en rencontre de nouveaux, surtout pendant les festivals. C’est important les rencontres, le contact humain. S’il y a des affinités et un bon scénario en plus, alors on peut envisager de faire quelque chose. Mais nous ne courons pas après les nouveaux réalisateurs en permanence, nous préférons être fidèle avec les gens avec qui on a l’habitude de travailler pour continuer à développer un vrai travail artistique de fond sur plusieurs œuvres.

Vous produisez assez peu de fictions, pourquoi ?

M.B. : Au début, on en produisait pas mal, mais finalement, on a abandonné à un moment où nous avons perdu pas mal d’argent. L’animation, c’est ce que nous faisons depuis toujours et c’est aussi ce qui nous a permis de nous relancer. Concrètement, nous n’avons jamais perdu d’argent avec l’animation. Aujourd’hui on fait surtout de l’animation, de l’expérimental, et aussi beaucoup de documentaires.

Vous produisez souvent des films avec des univers très forts. Quelle est votre ligne éditoriale ?

M.B. : Nous avons commencé avec des films assez burlesques et absurdes, et c’est une idée que nous avons toujours gardée. Nous avons aussi toujours aimé des films à l’écriture assez poétique, comme ceux de Chris Marker. D’ailleurs notre première structure à l’époque où nous étions étudiants s’appelait « 24 poètes seconde ». C’était une association qui nous permettait de gérer notre matériel, de payer des fournisseurs où des laboratoires. Pendant longtemps, c’est resté le partenaire de nos films puisque l’association louait le matériel à Lardux. Et puis avec le temps, on s’est mis à produire des films plus militants, surtout des documentaires avec un travail de recherche de fond sur des sujets plus politiques, économiques ou sociaux. Il y a aussi les films de Pierre Merejkowsky qui a réalisé des fictions sur la perte du militantisme et sur la nature de l’être humain posant plein de questions fondamentales. Il y a ceux de Stéphane Elmadjian qui sont des films de montage très fort comme Je m’appelle où on est entre le poétique et le film militant. Et puis, il y a une autre branche qui s’est développé et qui est peut être plus personnelle pour moi autour de la danse contemporaine avec le réalisateur scénographe Gilles Delmas. Il y a une identité très forte de Lardux dans tous les films que nous produisons, des univers originaux et forts qui sortent des sentiers battus. C’est un peu notre philosophie générale. Ce n’est écrit nulle part mais ça nous met toujours d’accord naturellement.

« A propos d’Eric P. »

Vous fêtez vos 20 ans à Clermont-Ferrand. Quel est votre rapport avec le festival ?

M.B. : Cette année nous n’avons pas de films en compétition mais une rétrospective, un film dans la carte blanche Kazak et un autre programme que nous sortons en salle avec Le jardinier qui voulait être roi. Nous sommes très attaché au court métrage qui est peut-être le dernier espace de liberté d’expression visuelle où l’on peut aborder tous les thèmes sans limite et sans la contrainte économique des sponsors. C’est aussi agréable de se ressourcer à Clermont, de faire des nouvelles rencontres, de conseiller des jeunes qui sont dans les écoles. Nous venons içi depuis longtemps, et nous connaissons bien Clermont. En 2002, nous sommes venu avec Merejkowsky pour son film A propos d’Eric P. Pierre a alors réalisé un film critique sur le festival où il disait que les gens sont toujours vendus. A un moment il est monté sur scène pour haranguer la foule sur des questions politiques et il a filmé tout ça en direct. C’est un film très drôle sur le festival qui s’appelle Vous vous levez et ils applaudissent, même si je pense qu’il a un peu agacé ici.

Lardux Films a-t-il changé en 20 ans ?

M.B. : Nous sommes plus vieux et plus fatigués mais je crois que nous faisons mieux les choses, plus efficacement. Par contre, on encaisse beaucoup moins facilement les soirées de fête du festival.

Que préparez-vous pour cette année ?

M.B. : Nous avons trois films d’animation en fabrication : un de 25 minutes de Anne-Laure Daffis et Léo Marchand avec qui nous avons déjà réalisé quatre films, un septième film en 3D de Jérôme Boulbès, et un film avec des auteurs avec qui nous débutons Benoît Guillaume et Barbara Melville. Et puis, nous avons des documentaires, une série pour le web d’Arte, un film sur Akram Kahan, un autre sur Sankara… J’en oublie mais c’est un chantier permanent.

Propos recueillis par Xavier Gourdet

Opowieści z chłodni (Récits de chambre froide) de Grzegorz Jaroszuk

Regarde la neige tomber

C’est comme si on s’asseyait dans un café autour d’une table en bois dépolie, présidée d’une lampe tout droit sortie d’un salon d’antiquaire. C’est comme si, là, on décidait de poser la plume pour quelques instants et qu’on confiait sa pensée aux souvenirs et à la puissance émotionnelle qu’ils contiennent. On visualiserait sans doute une envolée en noir et blanc de pigeons sur la place centrale d’une grande ville, leurs ailes pourfendant le ciel et contrecarrant le vent glacial de l’hiver. On demeurerait pensif, pour le plaisir, au cours de cette échappée mentale où un paysage polaire par la vision intérieure se dessinerait et réchaufferait le cœur. Puis les mains, elles, se frotteraient jusqu’à trouver l’énergie sanguine suffisante à l’écriture. À ce moment précis, la chaleur inspiratrice de l’intérieur se mêlerait, sans évidence mais inévitablement, avec l’inertie de l’extrême froideur du dehors.

De cette même sensation thermique contradictoire procède le court métrage « Récits de chambre froide » (Opowieści z chłodni) écrit et réalisé par Grzegorz Jaroszuk. En compétition au Festival de Clermont-Ferrand, le film relate la naissance des sentiments chez deux individus complètement paumés, employés dans un supermarché où les réfrigérateurs ne servent pas seulement à garder les aliments au frais. Décrivant des situations grotesques, le cinéaste éclaire la dépression ambiante du monde du travail, animé d’une conscience épatante des cadrages et d’une ironie jubilatoire. Entre frissons de la dépression et douceurs du désir.

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Flocons de mise en scène

Le premier ressort de l’ironie dans Récits de chambre froide vient des situations dans lesquelles sont plongés les deux personnages principaux, joués avec justesse par Justyna Wasilewska et Piotr Żurawski. Le film ressemble d’abord à une fable; deux individus reçoivent, pour la troisième fois consécutive, le titre de “pires employés du mois”. Leur patron, typique sexagénaire flanqué derrière son large bureau, les invite dans son office, use alors de son autorité pour leur permettre de trouver un “but” — entendez par là, une raison de vivre – à la suite de quoi, pour répondre à cette requête existentielle, les deux mal-aimés décident de s’inscrire à l’émission de divertissement télévisuel intitulée “L’individu le plus malheureux”. Le schéma scénaristique, dont les lignes ne manquent pas d’audace pour un film d’école, se fonde donc sur des situations cocasses, tant la dépression qui anime la fille et le garçon est décrite volontairement à grosses touches, dénonçant cruellement le pouvoir excessif des grands sur les faibles.

Les deux protagonistes ont des tares qui les dépassent, sources de leur mal-être mais également sources inévitables de comique pour le spectateur : lui est un garçon si commun qu’on le prend toujours pour un autre. Elle est une fille complexée, capable de rester huit heures de suite à regarder la neige tomber et obligée de s’occuper d’un chat alcoolique. Grzegorz Jaroszuk ose donc dans l’écriture partir de caractères d’antihéros, plutôt irréalistes, pour mieux traiter de l’absurdité du présent.

La mise en scène, loin de contrevenir à cette dimension irréaliste, semble au contraire la rendre encore plus palpable. Jaroszuk use d’une scénographie “froide”, au sens d’une quantité restreinte de plans très composés, souvent fixes et distanciés des personnages. Les acteurs sont souvent perdus dans un univers qui les dépasse et cette manière d’aborder les personnages souligne cette sensation. Le son est également à l’épreuve de la mélancolie des personnages tant il joue le rôle de commandement extérieur et actif. Il s’agit souvent de son off, parole quasi-divine du directeur du supermarché, parlant à ses employés comme une ombre omnipotente (à noter également l’importance du téléphone portable).

Par conséquent, le grotesque vient alors du décalage qui se trouve entre le désespoir ambiant et les solutions trouvées pour le réduire, entre fausse puissance et vraie servitude, entre la mise en scène d’une froideur extrême et l’humanité qui en émerge. Ces décalages sont progressivement remplacés par une autre dimension — assurément moins jubilatoire que la première, davantage présente dans la deuxième moitié du film, à savoir la romance.

Cristaux de romance

Nombreux sont les films venus de Pologne où quelques dimensions romantiques se confondent avec le tragique; la romance est dans ce pays une peau culturelle inattaquable. « Récits de chambre froide » ne fait pas exception à la règle car, derrière la tragédie sociale de ses deux protagonistes, le film se tourne quelque peu vers le romantisme — à la surprise du spectateur, ivre d’humour noir. Comme pour clore une tragédie trop caricaturale mais irrésistible, le cinéaste rend sensible une jolie et lente émergence des sentiments, d’abord traitée sur un ton glacial jusqu’au ralenti final qui survient comme une libération pour les personnages. De la fable tragi-comique surgit l’inattendue histoire d’amour.

En effet, la complicité du duo d’acteurs est mise en évidence très tôt, déjà lorsque les deux personnages prétendent face à leur patron ne posséder ni l’un ni l’autre de téléphones portables; les regards échangés par les deux individus trahissent une proximité naissante. Le garçon n’hésite pas, par la suite, à formuler des avances à la fille, en proposant par exemple de sauver son chat de l’alcoolisme et finit en disant : « Non, en fait, je ne connais aucun moyen de le réhabiliter ». La maladresse de la démarche fait naître le rire mais témoigne également d’une tentative d’accepter le jeu social tout en le dénonçant finalement. L’extrême sincérité des personnages, ce rapport plein envers la réalité, pointe par rebours ce qui fait habituellement partie du rituel de séduction, à savoir le jeu et la conscience de soi. Ici, rien de tout ça, les quelques tentatives du garçon sont d’emblée trop évidentes et marquées par un déficit de confiance. Des traits comiques évidemment irrésistibles.

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Néanmoins, le rebondissement de la fin — qu’on peut qualifier de chute puisqu’il s’agit tout de même d’une comédie — figure le rapprochement réel des deux personnages, leur lancée dans une trajectoire commune. La séquence finale est la suivante: la fille s’était enfermée dans la chambre froide du supermarché, désireuse de coupler la mort de son chat avec la sienne propre. À l’extérieur de la chambre froide, les employés sont rassemblés. Son compagnon de déprime est menacé d’être frappé par un autre employé (bien que ceci fût une stratégie de ce dernier pour la faire sortir). C’est alors qu’elle sort fièrement de sa prison de glace et fuit avec le garçon. À ce moment précis, les autres employés du supermarché, complètement stoïques, jouent les rôles à la fois de chœur tragique et de témoins désarmés du renversement de situation; les êtres fragiles ont acquis leur liberté, certes juvénile mais véritable, et font la nique à ceux qui possèdent comme à ceux qui acceptent.

L’amour, ou bien simplement son éveil, intervient comme libérateur. Cette idée, qui pourrait paraître a priori pathétique, acquiert ici une force étrange et permet à la glace de fondre. Quoique un peu incohérente par rapport au reste du film, l’image des faibles bravant le reste du monde permet d’espérer que le cinéma peut encore pointer les absurdités du monde et réchauffer les cœurs.

Mathieu Lericq

Consultez la fiche technique du film

O comme Opowieści z chłodni (Récits de chambre froide)

Fiche technique

Synopsis : L’histoire grotesque d’une jeune fille et un garçon qui travaillent dans le même supermarché. Élus “pires employés du mois”, ils doivent trouver un but à leur existence et, en seulement deux jours, commencer une vie meilleure et plus significative. À l’aide d’une émission de divertissement populaire.

Genre : Fiction

Durée : 26′

Pays : Pologne

Année : 2011

Réalisation : Grzegorz Jaroszuk

Scénario : Grzegorz Jaroszuk

Image : Marcin Władyniak

Montage : Barbara Fronc

Son : Nicolas de la Vega

Décors : Magda Sabina Samborska

Musique : Michał Marecki

Interprétation : Justyna Wasilewska, Piotr Żurawski, Andrzej Walden, Piotr Trojan, Urszula Gryczewska, Michał Jarmicki, Michał Rzecznik, Bogusław Suszka, Dorota Kiełkowicz, Barbara Dembińska, Paweł Maksym, Zbigniew Błażejewski et Grzegorz Dębowski.

Production : PWSFTViT

Article associé : la critique du film

Festival « Une Nuit Trop Courte » : appel à films

Entièrement organisé par des étudiants de Grenoble Ecole de Management, « Une Nuit Trop Courte » est un festival international de court métrage étudiant, dont la 9ème édition a lieu cette année les 1er, 2 et 3 mars 2012 à Grenoble. Le Festival remet chaque année un prix du jury, mais aussi un prix du public d’une valeur de 1000 euros. Avis aux jeunes réalisateurs! Envoyez vos court métrages avant le 15 février 2012.

Le site du festival : unenuittropcourte.com