Sombra Dolorosa de Guy Maddin

Petit conte macabre fait de bric et de broc, mis en scène avec beaucoup d’humour noir, dans le sillage du long métrage « The Saddest Music In The World », « Sombra Dolorosa » est un savant mélange de genres que l’on doit au cinéaste canadien le plus fou de sa génération, Guy Maddin.

« Sombra Dolorosa » raconte l’histoire d’une mère de famille mexicaine, la veuve Paramo, qui doit affronter El Muerto (le mangeur d’âmes) au cours d’un combat de catch, pour sauver sa fille Dolores du suicide, car cette dernière est inconsolable après la mort de son père, Don Paramo. La mère va redoubler d’ingéniosité pour terrasser son adversaire avant que le soleil ne disparaisse au cours d’une éclipse totale, et ainsi profiter des vertus régénératrices d’El Muerto qui va littéralement avaler le corps du père pour lui permettre de se réincarner. Le fantôme du père élira alors domicile dans la mule de son futur « gendre », qui venait tout juste de porter secours à la belle Dolores.

Utilisant, tout en les détournant, les grandes figures de style du cinéma muet et primitif (intertitres, jeu hystérique, décors peints et effets spéciaux artisanaux, etc), et les confrontant au visuel tout en couleur des combats de catch et des fêtes mortuaires mexicaines (multiples symboles de mort dans les arrières-plans, chants funestes du public, cérémonie traditionnelle liée à la notion de résurrection), Guy Maddin arrive à créer un mélange rocambolesque qui fonctionne à plusieurs niveaux narratifs et esthétiques.

Tout en rupture de tons et avec un rythme très soutenu, le film alterne à la fois des séquences de pur délire, où l’absurdité et le surréalisme sont de mise, comme le combat entre une veuve toute de noir vêtue et « La Mort » personnifiée en catcheur de Lucha libre ; et des moments tragiques avec un suspense haletant, comme la scène où, pendant l’éclipse de soleil, El Muerto « avale » le corps du père, dans une ambiance pesante et lugubre.
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L’humour particulier du cinéaste lui permet de lier tous ces éléments a priori disparates et de trouver une cohérence générale au film. L’exemple type de cet équilibre étant la scène de préparation mortuaire du corps du père, pendant laquelle plusieurs mains de vieilles femmes viennent attendrir la chair, qui sera ingurgitée plus tard, à coups de rouleaux à patisserie.

La grande force de Guy Maddin est d’arriver à utiliser un dispositif formel et visuel très marqué et d’y imprimer ses propres obsessions sur la cellule familiale éclatée. En effet, la mort du père, ainsi que son absence qui pèse sur ceux qui restent et les empêche de continuer à vivre, est une thématique centrale de l’oeuvre du cinéaste canadien dont le premier court se nomme « The Dead Father ». Dans « Sombra Dolorosa », c’est la fille, Dolores, qui éprouve ce sentiment, au point de vouloir rejoindre son père dans la mort. Elle retrouve dans la mule de son sauveur le fantôme de son géniteur défunt et finit par quitter sa mère pour lui. Avec cette fin énigmatique, est-ce que le cinéaste cherche à montrer l’éclosion d’une jeune fille sortant du nid familial et continuant sa vie avec un homme qui remplace feu son père ? Ou alors, est-ce juste un pied de nez, un ultime recours au second degré, à une certaine malice d’un auteur plutôt insaisissable ?

Fruit inimitable du savoir-faire d’alchimiste de Guy Maddin, « Sombra Dolorosa » est une oeuvre unique, en dehors des époques, la partition déjantée et improvisée d’un cinéma mexicain pop et primitif, empreint de tragédie et de drôlerie poétique.

Julien Savès

Consultez la fiche technique du film.

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