Le 18ème Festival international du film étudiant de Tel Aviv aura lieu du 9 au 16 juin prochain. Pour la première fois, Format Court y attribuera un prix au sein de la compétition israélienne. Le Jury Format Court (composé de Katia Bayer, Marie Bergeret et Agathe Demanneville) récompensera l’un des 22 films d’écoles sélectionnés, issus de 20 écoles israéliennes.
À l’issue du festival, un dossier spécial sera consacré au film primé. Celui-ci sera diffusé lors d’une prochaine séance Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Le réalisateur/la réalisatrice bénéficiera également d’un DCP (relatif au film primé ou au prochain dans un délai de deux ans) crée et doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition
– The Egg de Nadav Direktor
– Andy’s birthright de Noam Ellis, Ori Rom
– Blue In Green deLeigh Heiman Pruzanski
– Santé de Sabrine Khoury
– Funjoya de Omri Laron, Adam Weingrod
– InSight de Elad Ayzen, Gil Leron, Shahar Madmon
– Winds Junction de Rotem Murat
– Anna de Or Sinai
– Guilty de Gal El-ad
– Out of Reach de Efrat Rasner
– Blessed de Prague Benbenisty
– The Principle of Grace de Maya Kessel
– Scapegoat de Shulamit Tager, Gal Haklay
– In other words de Tal Kantor
– Within thy Walls de Omer Sharon, Daniella Schnitzer
– No One Should Be Here de Tsur Avigad
– With Full Belief de Matan Gradshtein
– Inside Shells de Tomer Shushan
– Feya de Liron Shnaider
– Last Round de Ziv Mamon
– Cold Water de Tehila Peter Dansker
– Between Two Deaths de Amir Fakhereldin
Originaire de Nara où elle a créé un festival de cinéma, la réalisatrice Naomi Kawase (« Suzaku », « Shara », « La Forêt de Mogari », « Hanezu l’esprit des montagnes », « Still the Water », « Les Délices de Tokyo ») vient de présider le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages en sélection officielle au 69ème Festival de Cannes. Entretien autour du Japon, de Nara plus précisément, du numérique, de l’expérience du court et du regard sur le monde.
Vous avez commencé avec des films expérimentaux et avez fait des allers-retours entre les formats courts et longs, et travaillé autour de la famille, l’âge adulte. Quel est votre intérêt pour le court-métrage ?
Vous pouvez définir les courts à travers la longueur mais aussi les thématiques. J’ai toujours choisi des sujets qui me touchaient vraiment, qui étaient très personnels comme la famille. Le court comporte en soi une idée de recherche. C’est ce qui m’a permis de faire mon premier long-métrage « Suzaku ». Ici, à Cannes, à la Cinéfondation, les réalisateurs de courts-métrages sélectionnés vont très probablement être amenés à faire un long-métrage. Ils sont dans la recherche, ils ont prouvé qu’ils peuvent bien raconter une histoire dans un délai court.
Nara se trouve dans la campagne japonaise, c’est une ville qui ne joue aucun rôle économique. On parle toujours de Tokyo aux nouvelles, pourtant, il y a des choses précieuses à trouver dans cet endroit. Je veux que les habitants de Nara soient fiers de leur propre ville. Se focaliser sur leur ville, la filmer, leur permet de réaliser à quel point elle est magnifique. Les gens pensent que ce n’est pas un bon endroit, mais ce n’est pas vrai du tout !
Est-ce que ça marche ? Les gens se sentent-ils différemment grâce à votre festival ?
Au Japon, il n’y a presque que des Japonais, peu d’étrangers y vivent. C’est une île, quand on est au Japon, on est à l’écart. Comme beaucoup de gens viennent du monde entier pour le festival et que les films sont projetés au centre de Nara, le dialogue et la rencontre peuvent se faire. C’est une expérience qui inspire beaucoup de gens, les habitants de Nara y compris.
Cannes est international et accueille des auteurs du monde entier. Quel regard portez-vous sur les jeunes auteurs de votre pays ?
Le niveau est très bas car ils ne sont pas inspirés. Certains sont partis à l’étranger, dans des écoles de cinéma, mais c’est très rare qu’ils restent sur place et quand c’est le cas, les films ne sont malheureusement pas très bons.
Les réalisateurs sélectionnés à la Cinéfondation ont étudié le cinéma. Vous êtes sortie d’une école de photographie. Y voyez-vous une différence ?
En fait, mon école [l’École des Arts Visuels d’Ōsaka] était considérée comme une école de photographie, mais j’étais dans le département cinéma. L’une des nos premières tâches, en classe, a été de recueillir des images dynamiques avec une caméra fixe, sauf qu’on ne pouvait pas changer de position ni zoomer. Il fallait regarder le monde à travers un point de vue fixe.
Avez-vous gardé cette idée ?
Oui. Pour arriver à regarder vraiment le monde aujourd’hui, il faut pouvoir le regarder complètement, entièrement. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, on regarde les choses brièvement, comme lorsqu’on est sur son portable. Un proverbe japonais dit que quand on regarde une chose minutieusement, on peut tout comprendre. Mais actuellement, l’humanité se développe dans l’autre direction.
Pensez-vous que c’est votre job d’aller dans la bonne direction ?
Oui. Par exemple, avant, on écrivait tout à la main. Les mots prennent un autre sens à l’écrit, dépendent de l’écriture, …. . Maintenant, on délaisse la pellicule pour le digital, je pense que cela influence aussi le résultat final. Vous savez, les jeunes auteurs n’ont expérimenté que le numérique, ils ont commencé avec ce cinéma-là. C’est important de s’en rendre compte. Ils ne voient pas forcément la signification de regarder le monde dans son entièreté.
Les films de la Cinéfondation comme de la compétition officielle proviennent de contrées et de formations très différentes. Que recherchez-vous dans ces films ? La simplicité, par exemple ?
La simplicité, c’est la seule chose que je sais et que je peux faire (rires) ! Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres réalisateurs, mais la simplicité m’a aidée tout au long de mon travail.
On ne vous connait pas vraiment pour vos premiers films, plutôt pour vos longs. Qu’avez-vous appris avec le format court ?
Au début, quand vous faites du court, vous n’avez pas d’argent, même pour engager une équipe. Vous devez tenir la caméra et faire tout, tout seul. C’est un moment important, vous vous faites votre propre expérience, vous êtes vus, vous recevez en retour les réactions du public. Tout cela donne la force de poursuivre.
L’apprentissage passe aussi par les erreurs, non ?
Oui ! J’aime bien tenter des nouvelles choses. Évidemment, cela peut comporter des erreurs. J’essaye, je me trompe, j’essaye, je me trompe (rires!). Ce n’est jamais parfait !
Le 24ème festival Le Court en dit long, dont Format Court est partenaire à nouveau cette année, aura lieu du 30 mai au 4 juin prochain. Ce festival compétitif de courts métrages produits ou coproduits en Belgique francophone diffuse pendant plusieurs jours, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, 40 courts métrages belges francophones ou franco-belges en compétition, répartis en huit programmes thématiques.
Samedi 4 avril, la remise des prix sera précédée à 17h30 d’un film collectif (59′) « Avant terme » co-réalisé par Matthieu Donck et Xavier Seron, Antoine Russbach et Emmanuel Marre et Banu Akseki, et sera suivie à 19h30 de l’avant-première de « Parasol », le premier long-métrage de Valéry Rosier.
Bonne nouvelle : Format Court vous propose de gagner 5 pass pour assister à l’intégralité du festival. Intéressé(e)s ? Contactez-nous !
« En mai, fais ce qu’il te plaît », dit le dicton. Prenant la parole aux images, Short Screens vous a concocté une programmation de courts métrages traversés par un souffle d’émancipation et de liberté. Parce que vivre sa vie comme on l’entend et tracer sa route en marge des conventions, même pour un instant, est un délice auquel on aspire tous.
Rendez-vous le jeudi 26 mai à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€
La Femme côtelette de Mariette Auvray, France, 2013, Fiction, 20’
Mme Alexandre est une vieille dame bourgeoise et ancienne femme côtelette. Elle reçoit ses amies dans son appartement haussmannien pour des ateliers d’hébreu, et loge un jeune homme bricoleur dans la chambre de son mari. Portrait d’une émancipation.
Coffee & Allah de Sima Urale, Nouvelle-Zélande, 2007, Fiction, 14’
L’amour d’une femme musulmane pour le café, l’islam et le badminton.
Le Sommeil des Amazones de Bérangère McNeese, Belgique, 2015, Fiction, 25’
Camille a eu une aventure avec son prof de français. Exclue de sa communauté, elle s’enfuit et rencontre Lena, qui la prend sous son aile. Chez elle, elles sont déjà quatre. Elles forment une tribu, une famille, un groupe si serré que tout est partagé. Le reste du monde est leur terrain de jeu, leur adversaire. Elles se rebellent parfois juste pour la rébellion, mènent des batailles juste pour être en guerre. Car être en guerre, ça évite de devoir penser à la reconstruction.
Modern Love: A Kiss Diferred de Moth Collective, Etats-Unis, 2015, Documentaire animé, 3’46’’
La vie et les amours d’une ado de 12 ans, perturbées par la guerre en Ex-Yougoslavie.
Dulce Dolor de Moisés Aisemberg, Mexique, 2014, Fiction, 13’
Une Piñata rencontre l’amour de sa vie en même temps que la raison de son existence.
Après avoir réalisé « Birdboy » et « Sangre de Unicornio », le réalisateur et illustrateur espagnol Alberto Vázquez revient avec un nouveau court, influencé par l’univers du conte, du fantastique et de la gravure, « Decorado », présenté à la dernière Quinzaine des Réalisateurs et au prochain festival d’Annecy.
Arnold, un ourson tout mignon, Maria, sa souris de copine, Ronald Duck, un comédien sur le retour, un copain fantôme, des poissons sexy à souhait, un monstre harpiste, un champignon parlant, un hibou géant, … : la dernière création d’Alberto Vázquez possède un sacré lot de curiosités.
Son film très court (7 minutes) fonctionne comme un tout entrecoupé d’un refrain (« Decorado », le décor) enchanteur ou flippant (c’est selon). L’histoire est celle d’Arnold, un petit ourson anxieux ne sachant jamais vraiment si il évolue dans le rêve ou la réalité, si ce qui l’entoure est un décor crée de toutes pièces ou sa propre vie.
Dans la foulée de ses précédents courts, le réalisateur continue de représenter les passions humaines sous les traits d’animaux : « Birdboy » s’intéressait déjà à une souris et à un oiseau échouant à prendre son envol dans un monde déshumanisé et masqué tandis que « Sangre de Unicornio » suivait des frères ours chassant la licorne sur fond de rivalité Caïn/Abel.
Avec « Decorado », Alberto Vázquez se balade élégamment entre l’étrange et le cauchemardesque, le monde intérieur, les hommages à Munch, les petites voix intérieures et les rires préenregistrés, la frontière complexe entre l’artifice et la réalité.
« Decorado » est un film intriguant, hilarant, glaçant, noir. Même animé, le film dit beaucoup sur le ressenti, la solitude face au monde, le lien amoureux, la folie, l’envers du décor. Ces thèmes se retrouvent ailleurs, sur papier puisque Vazquez, n’ayant pas étudié l’animation, a réalisé bon nombre d’illustrations pour la presse (jetez un oeil à la page Editorial sur son site internet) et achevé plusieurs livres qu’il n’hésite pas à adapter (comme pour « Birdboy »).
Avec son univers pour le moins singulier, un attrait pour le mystère et l’iconique, un rendu poétique/sombre, un côté touche-à-tout, Alberto Vázquez nous intéresse. Ses films se ressemblent et diffèrent à chaque fois. On sent un artiste évoluer, avancer dans son travail et ses recherches, prendre des risques tant au niveau de la musique, des voix (espagnoles, ça change !) que de l’animation.
Si les premiers films se faisaient sans beaucoup d’argent, Alberto Vázquez peut désormais compter sur le soutien d’Autour de Minuit qui l’a accompagné pour « Decorado » et son premier long, « Psiconautas », co-réalisé avec Pedro Rivero, basé sur le roman graphique homonyme de Vazquez.
En juin, le film sera présenté dans la compétition officielle des longs-métrages à Annecy et on y retrouvera les personnages animaliers de « Birdboy » dans un monde désolé, dévasté. « Decorado » ne sera pas loin puisqu’il est programmé aussi, dans la compétition des courts. À la Quinzaine des Réalisateurs, ces jours-ci, ce dernier n’a peut-être pas remporté le prix illy du court métrage (le seul pour la forme courte dans cette section), mais il a représenté le film d’animation le plus original qu’on aura vu à Cannes, toutes catégories confondues.
Plus de mystère. La Palme d’or des courts métrages du Festival de Cannes a été attribuée hier soir à « Timecode », du réalisateur espagnol Juanjo Gimenez. Le film a été choisi par Naomi Kawaze et son jury parmi les 10 films sélectionnés cette année au festival. Une Mention spéciale du Jury a également été décernée au film brésilien « A moça que dançou com o diabo » (La jeune fille qui dansait avec le diable) de João Paulo Miranda Maria.
Palme d’or : Timecode de Juanjo Gimenez, Espagne
Synopsis : Luna et Diego sont gardiens de sécurité dans un parking. Diego fait le service de nuit, et Luna de jour.
Mention spéciale du Jury : A moça que dançou com o diabo (La jeune fille qui dansait avec le diable) de João Paulo Miranda Maria, Brésil
Synopsis : Une jeune fille d’une famille très religieuse cherche son propre paradis.
Même si la Quinzaine des Réalisateurs est une section non compétitive, certains de ses partenaires attribuent des prix lors de la cérémonie de clôture, ayant eu lieu hier soir à Cannes. Sur les différents prix remis, l’un est consacré au court métrage via la marque de café illy.
Palmarès
Prix illy du court métrage : Chasse royale de Lise Akoka & Romane Gueret (France)
Synopsis : Angélique, 13 ans, aînée d’une famille nombreuse, vit dans la banlieue de Valenciennes. Ce jour là, dans son collège, on lui propose de passer un casting.
Mention : Zvir (The Beast) de Miroslav Sikavica (Hongrie)
Synopsis : Un ouvrier de l’arrière-pays croate se dirige vers la côte pour démolir des habitations dans une station balnéaire. En chemin, il réalise que pour mener à bien sa contestable mission et conserver son autorité paternelle, il va devoir se débarrasser d’un « témoin » indésirable.
La 19ème édition de la Cinéfondation a dévoilé les quatre courts métrages que son jury a décidé de récompensé cette année. Pour rappel, le jury était présidé par Naomi Kawaze et était composé de Marie-Josée Croze, Jean-Marie Larrieu, Radu Muntean et Santiago Loza. La cérémonie de remise des prix s’est déroulée à la salle Buñuel et a été suivie par la diffusion des films primés dont voici le classement.
Premier Prix : « Anna » réalisé par Or Sinai (The Sam Spiegel Film & TV School, Israël)
Synopsis : Par une chaude journée d’été, pour la première fois depuis des années Anna se retrouve inopinément seule, sans son fils. La voilà donc partie pour une errance dans les rues de sa petite ville dans le désert, à la recherche d’un homme qui lui donnerait une caresse, même pour un bref instant.
Deuxième Prix : « In the hills » réalisé par Hamid Ahmadi (The London Film School, Royaume-Uni)
Synopsis : Shahram est un jeune immigré qui vit dans l’idyllique campagne anglaise des Cotswolds. Afin de réussir son intégration dans cette nouvelle société, il choisit une approche plutôt radicale.
Troisième Prix ex aequo :
– « A nyalintas nesze » réalisé par Nadja Andrasev (Moholy-Nagy University of Art and Design, Hongrie)
Synopsis : Une femme est observée chaque jour par le chat de sa voisine, au moment où elle s’occupe de ses plantes exotiques. Leur rituel pervers prend fin quand le chat disparaît. Au printemps suivant un étrange inconnu lui rend visite.
– « La culpa, probablemente » réalisé par Michael Labarca(Universidad de Los Andes, Venezuela)
Synopsis : Il fait nuit et il y a une panne électrique dans la ville. Une mère célibataire reçoit la visite de Cándido, son dernier partenaire et son plus récent échec dans la recherche d’une figure paternelle pour sa jeune fille. Il revient parce qu’il veut les protéger dans l’obscurité, probablement…
La 55ème édition de la Semaine de la Critique s’est clôturée hier soir. Voici les deux courts-métrages récompensés lors de cette édition 2016.
PRIX DÉCOUVERTE LEICA CINE DU COURT MÉTRAGE : « Prenjak » de Wregas Bhanuteja (Indonésie)
Synopsis : Diah emmène Jarwo dans un entrepôt pendant la pause de midi. Elle dit avoir besoin d’argent rapidement. Elle propose à Jarwo d’acheter une allumette pour 10 mille roupies. Avec cette allumette, il pourra regarder le sexe de Diah.
PRIX CANAL+ DU COURT MÉTRAGE : « L’enfance d’un chef » de Antoine de Bary (France)
Synopsis : Vincent a 20 ans, c’est un jeune comédien à succès à qui on vient d’offrir le premier rôle dans le film de l’année : le biopic sur la jeunesse de Charles de Gaulle. Au même moment, ses parents partent vivre à Orléans et le poussent à emménager seul. Le film suit ses premiers pas dans l’indépendance.
Synopsis : Fatma et sa mère sont réfugiés kurdes en Italie. Lors d’une consultation médicale, Fatma doit traduire ce que le médecin dit à sa mère, mais la jeune fille garde le silence.
Genre : Fiction
Durée : 15′
Année : 2016
Pays : Italie, France
Réalisation : Ali Asgari, Farnoosh Samadi Frooshani
Le Colombien Simón Mesa Soto, évoqué il y a quelques jours sur notre site, n’est pas le seul court-métragiste à revenir en compétiton officielle à Cannes cette année. L’auteur de « Leidi » (Palme d’Or il y a 2 ans) et de « Madre » (en lice cette année) se retrouve en effet dans la même catégorie qu’Ali Asgari, un auteur iranien que nous avions repéré il y a trois ans à Cannes avec le très beau « Bishtar Az Do Saat » (More than two hours). Depuis cette première sélection en 2013, Ali Asgari a réalisé un autre court-métrage remarqué, « The Baby » avant d’opter pour la co-réalisation avec sa compagne Farnoosh Samadi Frooshani avec qui il a signé « La Douleur » avant de tourner « Il Silenzio », retenu à l’officielle cette année.
Ali Asgari est un sans conteste un auteur à suivre. Mêlant simplicité, émotions, famille d’acteurs et véritable sens de la mise en scène, il arrive, de film en film, à toucher son spectateur. En solo, il a tourné deux films co-écrits avec Farnoosh Samadi Frooshani qui ont retenu l’attention des festivals. Dans « Bishtar Az Do Saat », ayant fait ses débuts à Cannes, deux jeunes gens tentaient, envers et contre tout, de lutter contre l’administration hospitalière (et en filigrane contre la société iranienne) après une première nuit passés ensemble.
Dans « The Baby », découvert à Venise, deux jeunes femmes cherchaient vainement une baby-sitter pour s’occuper d’un nourrisson devant resté caché aux yeux de tous. Dans « La Douleur » dans lequel Asgari s’est initié à la co-réalisation, un jeune homme atteint d’une rage de dents essaye tant bien que mal d’être reçu par un dentiste qui refuse obstinément de le prendre en consultation. Dans « Il silenzio », une mère et sa fille, réfugiées kurdes, se rendent à une consultation médicale. L’enfant se retrouve dans la délicate position de devoir traduire les mots du médecin à sa mère malade, mais reste murée dans le silence.
D’un court à l’autre, des constances apparaissent : l’envie de filmer l’hôpital, de tourner de temps à autre avec les mêmes comédiens, de s’intéresser à l’intime, au secret, au tabou (la perte de la virginité, une naissance hors mariage, la séropositivité, la maladie), de travailler dans un cadre et une durée déterminée (15 minutes), d’aborder la question de la responsabilité de l’individu face au système, de parier sur une mise en scène simple et pudique.
« Il silenzio », montré ces jours-ci à Cannes, touche juste, directement, comme les films précédents. Sans fioritures, le film va à l’essentiel. Le personnage de la jeune Fatma est désarmant, cherchant sans cesse à reculer le moment fatidique où elle devra surmonter sa peur et révéler à sa mère la précieuse information qu’elle détient. Ce moment de silence qui s’éternise, les yeux grands ouverts de sa comédienne (touchante Fatma Alakuş), son plan et sa musique de fin, fort en émotions, laissent présager au film une Palme bien méritée, tant le reste de la sélection officielle se révèle bien décevant (hormis « La Laine sur le dos » de Lotfi Achour) et le désir de cinéma puissant chez ce duo de cinéastes n’ayant pas fini de d’explorer la question de l’intime et de la simplicité.
Le Festival International de Courts Métrages d’Aix-en-Provence (Festival Tous Courts) a lancé son appel à films (courts). Deux compétitions (internationale et expérimentale) se tiendront durant sa 34ème édition entre le 28 novembre et le 3 décembre prochain. Les films doivent avoir été achevés après le 1er janvier 2015 et leur durée ne doit pas excéder 30 minutes. Hormis cela, tous les genres et toutes les formes sont permis.
Le Festival Tous Courts est également l’occasion pour les jeunes scénaristes de mettre en avant leur travail. L’Atelier Jeunes Auteurs accueillera en résidence 11 scénaristes durant le Festival. Ceux-ci seront coachés par une équipe de script-doctors afin d’améliorer leur projet de film et augmenter ses chances de trouver un producteur. Il doit s’agir d’un premier ou deuxième projet de court métrage.
Deux ans après avoir reçu la Palme d’or du court-métrage pour « Leidi », Simón Mesa Soto concourt de nouveau dans la même sélection au festival de Cannes 2016, avec son court-métrage « Madre ».
Réalisateur colombien ayant étudié le cinéma à Londres, il retourne filmer dans son pays natal. Il s’intéresse avant tout aux jeunes adolescentes de Medellin, mégalopole colombienne, deuxième ville la plus peuplée du pays. Il réalise des portraits de femmes-enfants dont les conditions de vie les ont emmenées à grandir plus vite et à adopter des comportements de femmes avant l’âge. A l’instar de « Leidi » qui suivait une très jeune mère à la recherche du père de son enfant, « Madre » dévoile un court instant de la vie d’Andrea, adolescente de 16 ans. Le film se déroule sur une journée, celle où la vie d’Andrea bascule en entrant dans le monde glaçant de la pornographie.
La jeune fille est emprisonnée dans des cadres très serrés qui n’hésitent pas à lui couper un morceau du front, la laissant sans air et sans espace face à une décision irrévocable prise sans autre motivation que celle de l’argent. Pour autant, la caméra, si elle n’est pas fixe, est stable et fluide, ne créant ainsi pas de mouvement anxiogène. En effet, Andrea ne manifeste aucune angoisse, elle ne parait pas regretter son choix et appréhender l’acte qu’elle devra commettre avec calme et sérénité. Elle semble agir après mûre réflexion, pouvant alors répondre de manière assurée aux questions que lui pose son futur agent lors du casting passé, quitte à mentir avec aplomb sur son âge par exemple.
Cependant, l’hostilité du monde dans lequel elle s’intègre est suggérée avec quelques plans plus larges dévoilant l’arrière-plan ou quelques interactions sonores avec l’hors-champs. Ils laissent apercevoir les regards méprisants que les autres filles lui portent ou entendre la voix du directeur de casting posant les strictes conditions de son futur travail si elle l’accepte. Andrea, très justement interprétée par Yurani Anduquia Cortés, est pudique. En public, elle ne laisse transparaitre aucune émotion, ni dans sa voix, ni sur son visage. Seule une larme discrète coule le long de sa joue à la fin de cette journée éprouvante quand elle se retrouve enfin seule, libérant ainsi la lourde pression difficile à retenir par une femme qui n’est en fait encore qu’une enfant.
Le film prend part dans un projet commun international « Break the Silence », regroupant trois autres réalisateurs primés à Cannes, Frida Kempff, Anahita Ghazvinizadeh et Sonejuhi Sinha, sur le thème de l’exploitation sexuelle infantile. En réponse à la commande, Simón Mesa Soto signe un film tout en retenue et suggestion, offrant aux jeunes femmes de son pays toute la considération qu’elles méritent.
Comment la réalisatrice d’origine bosniaque Ena Sendijarevic a-t-elle perdu l’accent sur la dernière lettre de son nom ? C’est à cette question que semble faire écho son troisième film intitulé « Import » (après « Travellers into the Night » en 2103 et « Fernweh » en 2014). Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, le court-métrage se glisse dans un sillon contemporain alliant le style expérimental à la fable politique, lequel s’est ouvert admirablement ces dernières années notamment par Valéry Rosier avec ses pesants « Dimanches » (2011) et par Vladilen Vierny avec son fuyant « Exil » (2013). C’est donc d’abord dans la déliaison que le film travaille, dans les axes protéiformes que prend l’histoire d’une famille de réfugiés bosniaques arrivée au Pays-Bas au début des années 1990, rêvant d’inclusion quand la réalité offrait souvent des visages de haine et de rejet. Mais la réalisatrice troque toute tragédie du regard contre une mélancolie ironique de la vision. Et fond le pathétique dans la chaleur d’une image autobiographique qui, contre les tentatives d’exclusion, intègre et interroge.
Tentative de synchronicité sociale
Le réalisme propre à « Import » déplace la forme classique du film de montage. Il est d’abord porté par des situations, dont la disparité est la proie à une conjugaison méticuleuse. Dans un salon aménagé de manière rudimentaire, un homme joue une valse sur un orgue électronique. Dans la salle de classe d’une école primaire, on voit des élèves qui font un exercice de mathématiques. Dans le couloir d’un hôpital, on voit un homme expliquer à de jeunes femmes comment utiliser correctement les produits ménagers. Puis, s’enchaînent de cette manière des situations similaires, intrigantes autant dans leur perspective burlesque que dans leur multiplicité tronquée. En fait, à l’image, il y a moins d’actions que de transports (au sens sentimental du terme) : familiarité, haine, solidarité, peur, étonnement, etc. À travers eux, la ligne narrative, doucement, se dessine. On comprend que ces situations nous ramènent à l’exposition (pas si) énigmatique (que cela) d’une famille dont la particularité est de ne pas être (encore) chez elle. Le rhizome cachait un arbre généalogique et la dernière image du film nous en donne la preuve : la désunion du film se transforme finalement, sur le canapé du salon, en réunion de tous les protagonistes d’une seule et même famille. « Import » développe donc un réalisme par attraction.
À la recherche des visages
Si la méthode est peu banale, elle n’en est pas moins maîtrisée et émouvante. En effet, le film capte ce qui fait, à partir de chaque visage et surtout dans l’articulation des faces grimaçantes, liens et ruptures. Exemple de lien : un voisin vient offrir un vélo au père de la famille. Exemple de rupture : les deux sœurs sont insultées par leurs camarades de classe, sous des accusations à connotation xénophobe du genre : « Rentre dans ton pays ». La rectitude des cadres et la limpidité du sens appellent directement à des questionnements d’ordre politique : d’où provient le réflexe d’exclusion? Que signifie quotidiennement, dans une situation de migration contrainte, l’idée de liberté et d’exil? Le film soulève dans ses coupes franches l’idée qu’il y aurait des écarts et que face à eux, deux réactions sont possibles : le rejet en bloc, le partage avec l’autre. Mais il dit également que, loin des postures de “bonne conscience”, la question est davantage celle d’une position qui prend en compte la différence, sa propre différence.
Se reconnaître
L’impression finale rendue par « Import » est celle d’une tentative de reconnaissance de la réalisatrice à l’égard de sa propre histoire, elle-même bosniaque arrivée en Hollande à l’âge de sept ans. Or, rien de plus tiraillé qu’un tel processus, mais rien également du plus humain. L’image devient ainsi le refuge où la réalité de la guerre des Balkans (1991-1995) surgit d’un coup sur l’écran de télévision (le père étant en quête de brancher son antenne), et où le présent de l’image s’avère être l’expérience passée de la réalisatrice. Le film ne sépare pas mais semble embrasser, à l’image d’une mémoire individuelle que le cinéma propose, des sentiments désormais objectivés. Mais, comme une contre-mise en abîme, la reconnaissance du passé ne compare pas la guerre de là-bas avec la paix d’ici, mais ne confond pas non plus les combats absurdes d’anciens frères yougoslaves avec la difficile intégration sociale; l’image ne fait qu’exposer ce qui, dans cette situation extrême de vie, se lie malgré tout. Le film fait ressortir l’humanité de ces tentatives et de ces tourments.
Finalement, si la mère dans le film fait repartir le cœur d’un patient à l’hôpital, c’est au prix d’une obstination nécessaire. La question pointée par le film est donc moins celle d’un quelconque devoir moral que la construction d’une reconnaissance de soi et d’autre, autrement dit d’une démarche éthique. Et c’est justement dans l’espoir d’une contamination d’une telle démarche qu’un jour, la réalisatrice pourrait réclamer la récupération de l’accent sur la dernière lettre de son nom.
Pour information, « Import » sera projeté ce jeudi 10 novembre 2016 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) lors de la séance Format Court, spéciale Pays-Bas, en présence de la réalisatrice
Synopsis : En 1994, une jeune famille de réfugiés bosniaques se retrouve dans un petit village des Pays-Bas après l’obtention de leur permis de séjour. Les situations absurdes surviennent alors qu’ils essaient de faire de ce nouveau monde leur maison.
Genre : Fiction
Durée : 17’
Pays : Pays-Bas
Année : 2016
Réalisation : Ena Sendijarević
Scénario : Ena Sendijarević
Image : Emo Weemhoff
Son : Vincent Sinceretti, Taco Drijfhout
Montage : Lot Rossmark
Musique : Ella van der Woude, Juho Nurmela
Interprétation : Alena Dzebo, Aya Crnić, Esma Hrusto, Mario Knezović
Le festival Vision du réel met en avant le cinéma documentaire à Nyon, en Suisse, depuis 1969. Luciano Barisone, son directeur depuis 2010 s’efforce de maintenir le festival dans sa continuité, suivant un axe qui lui est cher. Pour Format Court, il est revenu sur son lien au documentaire et sa passion pour LE cinéma.
Pouvez-vous me parler de Visions du réel, de sa spécificité et de son lien au documentaire ?
Le documentaire n’est pas en soi une spécificité. Je n’aime pas les distinctions. Le documentaire n’existe pas. Il n’existe que LE cinéma. Et si on veut parler du cinéma du réel, c’est une forme de cinéma.
La spécificité de Vision du réel – si cela en est une – mais que l’on affirme même dans notre règlement – se traduit en deux composantes : d’un côté le « réel », c’est-à-dire le monde physique mais aussi la perception que les êtres humains en ont. De l’autre côté, les « visions ». La vision est plus qu’un regard, c’est avoir un projet pour le monde. C’est capter, imaginer dans le présent, les traces d’une évolution dans le futur.
Mon précurseur (Jean Perret) tenait déjà cette ligne, mais c’est une idée que j’avais déjà en tête dans les festivals pour lesquels je travaillais. Le concept de « réel » est obscur et abstrait. Il faudrait comprendre comment le définir. La réalité, c’est ce qui nous entoure, ce que l’on peut capter avec nos sens. Au discours du réel est connecté l’idée de l’objectivité et l’idée de vérité. Je pense que ce sont deux choses qui n’existent pas. Ma vérité ne peut pas être la vôtre. Un film objectif se conçoit selon mon objectivité, il est donc forcément subjectif. Tout ce qui passe à travers les sens de l’homme ne peut être que subjectif. Tout ce concept d’objectivité et vérité, nous aimons donc le remettre en doute.
Dans la composition du festival, le mot vision est connecté avec l’acte de voir mais également au-delà ; on parle de quelque chose que l’on voit mais qui est construit pour autre chose.
Une idée du monde peut-être, encore une fois, subjective. Il ne peut y avoir que des visions du réel. Tout cela correspond à la ligne du festival. La pluralité des regards et des visions est fondamentale. Nous ne voulons pas nous définir dans une espèce de piège que l’on aurait construit nous-mêmes, où l’on dirait que nous nous intéressons qu’à une seule chose. La variété est ce qui compose la beauté du monde dans son sens positif et dans son sens négatif.
Lors des sélections, nous sommes sept à choisir les films, en plus une dizaine de consultants. Nous comptons donc sur une pluralité de regards et de conseils. Nous élaborons une trentaine de missions à l’étranger pour voir et découvrir toujours plus de variétés. La seule chose sur laquelle nous sommes d’accord, c’est que le film doit être du cinéma.
Lorsque je regarde les autres, j’obtiens des informations, mais je ne peux pas connaître l’humanité de chacun, et c’est cela qui est intéressant. Nous sommes un mystère, comme chaque film doit en avoir un. Il y a quelque chose qui nous échappe et c’est cela qui est important, d’où l’importance du hors-champ qui est toujours plus intéressant que le champ. Chaque film doit avoir un moment d’illumination, se doit d’être une porte d’entrée vers l’invisible. Si les films sont bons, ce sont des actes de générosité, ils doivent avoir un moment de grâce.
Courts et moyens métrages sont sélectionnés au festival. Qu’est-ce qui vous interpelle dans cette forme ?
La forme courte s’approche plus de la poésie, de l’aphorisme de la pensée fragmentaire. Je pense à des films qui, souvent, captent en l’espace de 10 ou 15 minutes, un moment donné, une situation. Ce qui est intéressant, ce n’est pas vraiment l’histoire, mais plutôt ce moment qu’un film arrive à capter, le ton et la respiration de cette histoire, ce qu’on peut appeler l’atmosphère d’un lieu ou d’une situation également. Cela est parfois plus intéressant que le récit.
Cette année, au festival, nous avons par exemple sélectionné un court métrage espagnol qui s’appelle « Notes from sometime, later maybe » de Roger Gómez et Dani Resines. Dans ce film, il n’y a pas d’histoire, les cinéastes tombent sur des archives de films d’un cinéma dans une ville aux États-Unis, tournées pendant la grande dépression des années 30. Dans ce film, les cinéastes captent un instant et le spectateur regarde un moment de douceur.
Dans une récente interview, vous avez dit prendre à cœur la découverte de jeunes réalisateurs. Le festival comporte une section « Premiers pas » mettant en avant de jeunes cinéastes encore à l’école. Allez-vous continuer à développer cet intérêt dans le futur ?
Nous avons déjà développé ce qu’on appelle le DocMarket qui est un espace permettant aux réalisateurs, techniciens, distributeurs producteurs, … de se rencontrer.
Nous essayons d’agir dans ce sens pour que les films puissent également attirer l’attention des professionnels du cinéma. Chez nous, les films peuvent être présentés à différentes personnes, même en n’étant pas terminés pour qu’ils puissent trouver plus facilement des soutiens.
Littéralement ce DocMarket existe pour pouvoir échanger, partager et recueillir des conseils ou soutiens via des rencontres, des apprentissages et des promotions de projets de films à différents moments de leur développement. Nous avons crée un programme riche en tables rondes, workshops, masterclass et autres conférences dans cette optique-là. Nous mettons également en place pour tous les professionnels une librairie média où ils peuvent regarder les films plusieurs mois après la fin du festival. Il est important de suivre et de voir la construction d’un film et nous aimons contribuer à son existence. C’est le projet même de ce festival.
Aujourd’hui, les documentaires accèdent difficilement à la télévision et les cinémas ne les programment pas ou peu. C’est pourquoi la diffusion dans un cadre évènementiel est très importante. Je suis de plus en plus convaincu que la vraie vie d’un film se fait à travers les festivals.
Le marché du cinéma reste dans une logique de société du spectacle, un film est souvent associé à une marchandise. Contrairement aux gros navets à l’américaine qui génèrent des budgets énormes, qui n’ont pas de profondeur et qui sont du chewing-gum pour l’esprit, les documentaires de création et le cinéma d’auteur ne bénéficient pas ou peu d’espace dans la distribution. Il faut donc continuer à communiquer et échanger pour rallonger la vie de ces films.
Visions du réel s’intéresse de près au cinéma suisse. Quels auteurs nationaux de courts ou moyens métrages vous ont particulièrement plu cette année ?
La production est en effet très bonne et je dois admettre que tous les films présentés au festivals sont des coups de cœur. Pour n’en citer que quelques uns, je retiendrais trois films, trois moyens-métrages. Les deux premiers sont deux co-productions, le troisième est un film suisse : « Half-life in Fukushima » de Mark Olexa et Francesca, « Appunti del passagio » de Raphael Cuomo et Maria Iorio et « Chiens des Champs » de Rachel Vulliens. Ces trois films ont en eux une poésie de l’instant, une beauté propre qui fait qu’ils ont toute leur place à Visions du Réel.
« Je ne pouvais dire si les émotions étaient un endroit dans mon corps ou un endroit dans la ville »
Réalisé sur une période de 50 ans, « Scrapbook », découvert au festival IndieLisboa dans la section « Silvestre », est un documentaire sur les résidents d’un asile pour autistes dans l’Ohio des années 60. Narré et commenté par l’une des patientes Donna Washington, le film rend compte des conditions de traitement et d’internement dans les années 60 aux États-Unis et permet à son sujet de revisiter son passé, tout en (re)construisant son identité par le biais du regard différé.
Réalisateur sensible à la question de la différence et de l’aliénation sociale, Mike Hoolboom se profile aujourd’hui comme un des documentaristes les plus novateurs issus du Canada, pays qui a également produit d’autres talents du genre comme Guy Maddin ou la jeune génération représentée par Félix Dufour-Laperrière ou Theodore Ushev. Sa carrière longue de trois décennies a fait de Hoolboom une figure emblématique du cinéma indépendant, sa réputation renforcée par de nombreux prix et reconnaissances partout dans le monde.
Sur la base d’images tournées par le vidéaste Jeffrey Paull dans le Broadview Developmental Center dans l’Ohio en 1966, Hoolboom revisite les coulisses de l’asile pour enfants autistes. L’exercice de Paull visait à donner aux patients la possibilité de participer activement à la prise de vues et au développement d’images filmées et ainsi de se (re)voir avec une certaine distance. Cette démarche retrouve toute sa pertinence un demi-siècle plus tard lorsque l’une d’entre eux, Donna Washington, accepte de visionner et de commenter les images de sa jeunesse à l’internat.
Son discours par moments décousu porte sur les sentiments, l’identité et la fragilité des patients face au regard franc de la caméra. Par le biais de la voix d’une actrice (qu’elle a jugée « plus vraie » pour le film), Donna évoque avec autant d’immédiateté les difficultés éprouvées par elle et ses confrères à ressentir, gérer et exprimer les émotions. En parlant parfois d’elle-même à la troisième personne, elle atteste de l’identification complexe et ambiguë entre les patients qui se fondent dans les visages les uns des autres pour ne pas se sentir seuls. C’est que le travail singulier de Jeffrey Paull est parvenu à briser la carapace autour de soi pour recomposer une identité à partir d’images filmées. Le film de Hoolboom, quant à lui, boucle la boucle un demi siècle plus tard en permettant un recul par rapport aux moments vécus.
Cette dilation du temps, que Donna évoque à plusieurs reprises en parcourant l’album filmé de sa jeunesse (son « scrapbook »), retrouve son écho dans une bande-son chargée composée par Stephan Mathieu. Celle-ci opère constamment un contrepoint angoissant entre son et image, avec ses bruitages opaques et mystérieux, et ses tons obstinés dissonants qui soulignent parfaitement le côté inquiétant de tels centres avant la généralisation des soins de santé communautaires.
De ce point de vue, « Scrapbook » appelle forcément à la fois une comparaison et une nuance à faire par rapport à « Titicut Follies » de Frederick Wiseman, réalisé à peine un an plus tard. La cinéréalité crue de ce documentaire hautement controversé sur les détenus aliénés criminels de l’hôpital psychiatrique de Bridgewater se situe beaucoup plus dans une démarche de dénonciation engagée de la maltraitance répandue dans ce genre d’institutions. Or, Hoolboom et Paull sont justement très éloignés de tout jugement ouvert. Leur objectif est de donner une voix et un regard proactifs à leur sujet, et c’est précisément ce qu’ils arrivent à faire en tandem à travers cinq décennies.
Synopsis : Broadview developmental Center, Ohio, un hôpital psychiatrique filmé en 1967 par Jeffrey Paull. Cinquante ans plus tard, Donna Washington, autiste et pensionnaire de cet hôpital à l’époque, raconte sa propre histoire à partir de photos et de bouts de films qui la mettent en scène.