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Le goût sucré salé de Mike Leigh

Life is Sweet, l’un des premiers longs-métrages de Mike Leigh, s’est ajouté à la collection Typiquement British (composée d’autres films de Leigh mais aussi de Ken Loach et de Tony Richardson entre autres) de l’éditeur Doriane Films. En bonus, 3 courts-métrages du même réalisateur sont à découvrir. Tous concourent à faire explorer la veine tragi-comique que le réalisateur anglais a empruntée tout au long de sa filmographie. « Doux Amer » serait l’expression la plus judicieuse – même si galvaudée – pour qualifier son cinéma qui transforme les gens « ordinaires » de la classe moyenne et de la classe ouvrière en héros de cinéma.

Life is Sweet

Life is Sweet est sorti en 1990. Il est le troisième long-métrage du réalisateur et préfigure déjà l’essence du cinéma de Mike Leigh : des anti-héros du quotidien qui se révèlent plus complexes au fur et à mesure, des situations familières toujours sur le point de dégénérer, des joutes verbales qui virent de la blague à l’injure, un ton comique qui flirte à chaque instant avec le tragique. Pour tout scénario, celui de Life is Sweet est une sorte de moment de vie dans le quotidien d’une famille ouvrière au bord de la crise de nerfs. Wendy (Alison Steadman), la maman, serveuse énergique survole les effusions de sa tribu à coups d’éclats de rire stridents ; Andy (Jim Broadbent), le père, cuisinier de cantine rêve d’un ailleurs qui a l’apparence d’un food truck déglingué ; Natalie et Nicola (Claire Skinner et Jane Horrocks), leurs deux jumelles adultes cohabitent en totale contradiction, l’une s’accomplit dans une carrière de plombière, l’autre se détruit dans une névrose faite d’anorexie et de sexualité compliquée ; autour d’eux, gravite une constellation de personnages secondaires (parmi lesquels on retrouve des habitués de Mike Leigh, Timothy Spall en tête) qui traînent leur spleen et leurs rêves abîmés, aussi abîmé que peut l’être un projet de restaurant français qui s’appelle « The Regret Rien » en hommage à Edith Piaf et dont l’ouverture donne lieu à une longue scène de malaise…

Voici pour le format long. Le court, lui, n’est pas en reste avec 3 courts-métrages datant respectivement de 1988, 1992 et 2012. Si le premier, The Short and Curlies et le dernier A Running Jump sont dans la lignée des tragi-comédies de Leigh, dont le précité Life is Sweet, celui du milieu, A Sense of History, tranche par sa loufoquerie assumée.

The Short and Curlies

The Short and Curlies (1988) se regarde comme une tranche de vie, en réalité plutôt comme plusieurs tranches de vie : l’une d’une coiffeuse bavarde et da sa fille asociale, l’autre d’une pharmacienne obsédée par ses coupes de cheveux et d’un amoureux qui a la fâcheuse manie de plaisanter sur tout et tout le temps.

A Sense of History est une fantaisie macabre où le 23ème comte de sa lignée raconte, avec une naturelle arrogance, dans un décor de château – qui ressemble à s’y méprendre à celui de la série Downtown Abbey – les horreurs parfois sanglantes qu’il a commises tout au long de sa vie pour préserver son rang et son domaine. Mike Leigh filme l’un de ses comédiens fétiches, Jim Broadbent, dans le style du vrai-faux documentaire.

A Running Jump, lui, présente une forme plus classique. Il répond d’une commande passée par BBC Films et Film 4 pour célébrer la tenue des Jeux Olympiques de 2012 à Londres. Rythmée par une musique trépidante, Mike Leigh rend hommage au quartier de l’East End de Londres et orchestre le chassé-croisé d’une famille montée sur ressorts entre la mère coach sportive, le père revendeur de voitures, les deux jumelles surveillantes de piscine et le grand-père taximan bavard. Ce noyau évolue à une cadence frénétique dans une action qui s’apparente à une course contre la montre. La caméra, la musique, les comédiens ne prennent aucune pose, aucune respiration, tous sont dans un mouvement de vie perpétuel.

A Running Jump

Cette compilation, vous l’aurez compris, emprunte des formes éclectiques mais on ne peut s’empêcher de ressentir, en la regardant, une tonalité dominée par l’ironie. Mike Leigh représente l’ordinaire, la banalité avec une palette de couleurs vives. Plongée dans l’intimité étriquée des gens dans ce qu’elle a aussi d’obscène et violent, Life is Sweet et The Short and Curlies flirtent sans cesse avec les limites de la violence, la violence des jugements parentaux, la violence d’une amitié qui dérape, la violence d’une adolescence mal vécue. Les personnages rient, mais c’est un rire qui masque la douleur de l’échec d’un projet, l’incapacité de faire face à la souffrance de son enfant… Dans un jeu de va-et-vient incessant, la noirceur est contrebalancée par l’outrance et la comédie et ainsi de suite. Il n’y a pas de place pour le glamour. Pour appuyer cette nuance « entre gris clair et gris foncé » de la vie, ces deux mêmes films s‘appuient sur des comédiens qui jouent pleinement la satire et le grand-guignolesque. Aidé par l’humour amer, ils contribuent avec leur jeu plein d’effets et de surenchère à créer une distance qui évite l’apitoiement et la sensiblerie. Avec une hyper expressivité corporelle, les acteurs livrent une performance d’abord physique pour mieux laisser échapper ensuite une émotion naissante. Le spectateur devra d’abord apprivoiser la gestuelle presque pantomime, les mimiques cartoonesques, les cris de rage, les éclats de rires afin d’atteindre le cœur et les sentiments de ce qui se joue chez chacun de ces personnages. Mike Leigh construit des films qui se dévoilent et ce n’est pas une contradiction s’il a la tendance à laisser les séquences s’éterniser ; celles-ci peuvent alors vaciller, basculer de la banalité vers le glauque ou inversement de la violence vers la sensibilité. Ainsi, dans Life is Sweet, l’ouverture du restaurant d’un ami de la famille qui démarre tout en cocasserie dévie vers une agression envers la mère de famille venue prêter main forte ou encore le témoignage de désespoir adolescent d’une des jumelles se termine en échange mère-fille touchant.

A Sense of History

La compilation réunie sur ce DVD permet aussi de voir Mike Leigh s’essayer à des formes libres de comédie. A Sense of History utilise le ton du vrai-faux documentaire, ne s’embarrasse d’aucune contrainte de réalisme narratif et offre à l’acteur Jim Broadbent l’occasion de s’amuser avec un personnage affreusement cynique. La folie n’empêche pas le point de vue. Si Mike Leigh a plutôt tendance à regarder les situations sans les juger quand celles-ci mettent en scène sa galerie de personnages « ordinaires », il est nettement plus acerbe avec le personnage de noble lâche et meurtrier de A Sense of History. Il est impossible de ne pas y voir une critique de l’establishment anglais et une révolte contre l’inégalité des richesses.

Finalement, il est le plus sage et le plus consensuel – et c’est assez logique – quand on lui passe commande (A Running Jump réalisé pour célébrer la tenue des Jeux Olympiques à Londres). Quoique… Au lieu de célébrer le sport dans ce qu’il a d’héroïque et de spectaculaire, Mike Leigh s’attache à mettre en images l’énergie explosive d’une famille « middle class » de la banlieue londonienne. Ici, il n’étire pas les scènes, au contraire, il les découpe et les fait se succéder, s’entrecouper dans une symphonie effrénée. Bref, il y a là quelque chose de furieusement politique à célébrer la vitalité sportive d’une famille dynamique, sympathique, chaotique, foireuse alors que le pays se prépare à succomber au culte des corps et de l’effort dans ce qu’il a de plus télégénique.

Secrets and Lies, Vera Drake, Mr. Turner sont les films les plus célèbres de Mike Leigh. Le DVD ici présent est l’occasion de découvrir une sorte de Face B des succès, avec l’expérimentation qui va avec tout en retrouvant le ton personnel qui lui est propre, vous savez, ce fameux et galvaudé « doux amer »…

Ludovic Delbecq

Life is Sweet de Mike Leigh. DVD & bonus courts-métrages. Edition Doriane Films

Art For Lawyers de Rory Waudby-Tolley, en ligne !

Nous vous l’annoncions fin juin : Rory Waudby-Tolley, le réalisateur britannique du film d’animation Mr Madila Or The Colour of Nothing, primé par Format Court au 28ème Festival d’Angers en janvier 2016, a réalisé un nouveau court-métrage : Art For Lawyers.

Ce documentaire animé réalisé dans une résidence d’artistes, en collaboration avec les employés de Pinsent Masons, un cabinet d’avocats de la City, est l’aboutissement d’une série de conversations et d’ateliers, ainsi que le réceptacle de dessins réalisés par les membres du personnel lors de leurs déjeuners l’année dernière. On y repère le trait faussement naïf du réalisateur, son goût pour les couleurs fortes, son intérêt pour le documentaire animé et son sens de l’humour mordant. Après vous avoir présenté le trailer, nous vous offrons l’opportunité de découvrir ci-dessous le film dans son intégralité.

The Baby de Ali Asgari

Dans les jours à venir, le réalisateur iranien Ali Asgari présentera à Venise Disappearance son premier long-métrage, proche dans le thème et le traitement de son premier court-métrage, Bishtar Az Do Saat sélectionné à Cannes en 2013. Avec ses autres courts, notamment Il silenzio, également présent à Cannes l’an passé, il se constitue une filmographie qui nous intéresse beaucoup à Format Court, en collaboration avec Farnoosh Samadi, sa compagne, scénariste et réalisatrice, qui le suit pas à pas, de film en film (et qui vient de réaliser le très beau Negah, présenté cet été à Locarno).

The Baby de Ali Asgari. Fiction, 15’30 », Iran, Italie, Taat Films

Synopsis : Narges et son amie n’ont que quelques heures devant elles pour trouver quelqu’un pour s’occuper de son bébé pendant quelques jours.

Pour accompagner le passage au long-métrage d’Ali Asgari, assisté par Farnoosh Samadi, nous vous proposons de voir et revoir l’une de leur première collaboration, l’intense The Baby, déjà repéré par les sélectionneurs de Venise en 2014. Le film a rejoint la Toile il y a quelques jours.

Tradition, modernité, intimité, tabou, féminité, simplicité, pudeur et final magnifique sont au cœur de ce film nocturne, fort et puissant, réussissant comme tous les courts d’Asgari à s’approprier au mieux un cadre et une durée bien déterminés (15 minutes) et à confronter avec intelligence regard social et destin individuel.

Katia Bayer

Festival CourtsCourts, le palmarès 2017

Du jeudi 27 juillet 2017 au samedi 29 juillet 2017, a eu lieu le 8ème festival CourtsCourts, organisé par la fan de courts, Michèle van Panhuys-Sigler. Voici le palmarès de cette nouvelle édition, avec en bonus, un film en ligne, Jeu de société de Stéphanie Aubin et Arnaud Baumann.

Malon d’or du jury : Noyade interdite de Mélanie Laleu, fiction, France, 2016, 17 mn

Malon d’argent du jury : Jeu de société de Stéphanie Aubin et Arnaud Baumann, expérimental, France , 2016, 4mn

Malon d’or du public : Le grand bain de Valérie Leroy, fiction, France, 2016, 16 mn

Malon d’argent du public : Panthéon discount de Stéphan Castang, fiction, France, 2016, 14mn 45

Prix des Pichon : Jubilé, de Marion Duvert, Marie El Kadiri, Agathe Marmion, Charlotte Piogé, Coralie Soudetanimation, France, 7 mn25

Tarfala de Johannes Östergård

Dans les grandes solitudes glacées du nord, là où le blanc immaculé et froid rencontre rarement la chaleur humaine, un homme seul, lutte contre les éléments (et des vents poussant parfois jusqu’à 290km/h). Il travaille comme gardien de quelques refuges près des grandes montagnes suédoises : Kebnekaise.

Epuré et authentique, Tarfala, le court-métrage de Johannes Östergård, était programmé le week-end passé lors de la carte blanche Format Court au Savonlinna International Nature Film Festival (SINFF). Le film, produit en Allemagne à l’Université TV & Film de Munich, a fait découvrir au public finlandais la vie de Lars Häger, un Suédois qui a choisi de passer plusieurs mois de l’année dans les froideurs de la Laponie suédoise.

Aborder une culture du calme et du silence, c’est ce que le jeune réalisateur Johannes Östergård, parvient à faire en touchant à la fois à certaines questions de société – si particulières aux sociétés du nord de l’Europe – et à des questions plus personnelles et psychologiques.

Nous sommes en hiver et dans la vallée de Tarfala, aux confins des montagnes suédoises, tout gèle. Lars vient ouvrir le refuge. Son seul compagnon est un vent violent, crissant et s’infiltrant dans chaque recoin des planches de bois de la petite cabane qui l’abrite. C’est lui qui se charge des quelques touristes qui vont s’aventurer dans le coin durant la saison. Jour après jour, heure après heure, il déneige et déblaie les neiges accumulées depuis plusieurs mois. Vérifie le répondeur du téléphone compulsivement, seul contact avec le monde extérieur, où Lars a enregistré un message de bienvenue.

Quand enfin, des touristes arrivent, Lars accueille des skieurs et randonneurs des neiges, venus se confronter aux « grandes glaciations ». Entre chaleur, rires et bonne ambiance, la vie au refuge contraste avec celle qu’il a quitté volontairement quelques semaines auparavant. Quand les touristes s’en vont, la solitude reprend sa place. Et ainsi va là vie de Lars Hager dans le refuge.

Au-delà de l’histoire de ce refuge et de cet homme, c’est la corrélation entre les deux qui se pose ici. À l’heure où les hommes se rapprochent physiquement – par les migrations vers les villes – où moralement – par l’avènement des internets et des réseaux sociaux – certaines âmes trouvent le besoin de s’échapper dans des lieux encore vierges de toute civilisation. Cet homme que l’on suit dans ce film trouve le besoin irrémédiable de se cacher dans ce refuge loin de tout. Il lui faut souffler d’une vie citadine qui l’étouffe. Tel un esprit en jachère, face caméra, il se confie, il raconte. Il parle de son besoin de s’éloigner, de respirer un air pur et de profiter des solitudes. Mais aussi du sens de nos vies dans une société de plus en plus globalisée, d’une normalisation des comportements, comme « avoir une Volvo et une famille », des difficultés à vivre à contre-courant des schémas sociétaux.

Au fur et à mesure du film, la solitude de Lars se fait ressentir. Après tout, il a déjà enduré une séparation pour assouvir son besoin chronique de venir se réfugier dans les montagnes.

Le réalisateur capte avec intelligence les mots lourds de sens qui résonnent dans ce refuge. On assiste, en l’exemple de Lars, au parfait paradoxe de l’humain du 21ème siècle, submergé par une pression sociale, s’échappant comme il le peut d’un environnement qui lui est hostile. Mais se retrouve dans une volonté persistante et inconsciente du manque de présence humaine. A tel point que Lars, l’homme à l’air tacite, accueille avec une surabondance quelque peu gênante les premières présences humaines qui arriveront sur le refuge par hélicoptère.

Lars concède qu’il apprécie la quiétude et le calme de la cabane, arguant durement sur une vie en collectivité qui a trop d’emprise sur nos existences.

Néanmoins, une mélancolie latente se fait sentir, et Lars, peut paraître comme un adolescent en crise existentielle, quelque fois touchant, quelquefois l’esprit ailleurs, qui cherche sa place dans une société entonnoir, formatée selon lui.

Le réalisateur démontre bien que ces montagnes blanches dissimulent un thème plus sombre. Celui des sociétés vides d’émotions, en désaccord avec l’affectif, et qui génèrent des hommes et femmes perdus, oppressés ou tristes.

Östergård apporte, alors, un complément aux paroles de cet homme solitaire dans son refuge par nombre de cadrages fixes sur la pureté des montagnes et la beauté des sommets enneigés. Plans larges du sexagénaire skiant et perçant le blanc immaculé des pentes désertes, s’opposent aux plans serrés où le spectateur se retrouve dans la chaleur du foyer, celle qui nous rassure.

Ce court esthétise parfaitement une alliance du social et du contemplatif abordé en douceur par Johannes Östergård. On reste pourtant sur notre faim face à un réalisateur qui aborde un thème intéressant, mais restant relativement en surface, n’impliquant pas plus son sujet dans une immersion vers le social et le sociétal.

Clément Beraud

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T comme Tarfala

Fiche technique

Synopsis : Lars est un vieu suédois, qui a choisi de passer ses hivers dans la solitude en tant que gardien de quelques refuges au pied de la plus haute montagne suédoise : Kebnekaise. Le film explore à la fois l’intime et le monde extérieur de son séjour dans le refuge, et questionne le bonheur d’être avec ou sans ses amis et les êtres aimés.

Genre : Documentaire

Durée : 27′

Pays : Finlande

Année : 2016

Réalisateur : Johannes Östergård

Scénario : Johannes Östergård

Son : Emil Soininen

Montage : Kenneth Klaile

Musique : Viljam Nybacka

Production : University of Television and Film Munich

Article associé : la critique du film

Les courts primés à Locarno

Il y a plus d’une semaine, le Festival de Locarno dévoilait ses lauréats. Voici le palmarès des courts, moins repéré que celui des longs-métrages.

Pardi di domani, compétition internationale

Padrinho d’oro pour le meilleur court-métrage international : António e Catarina de Cristina Haneș, Portugal

Pardino d’argento : Shmama de Miki Polonski, Israël

Nomination pour les European Film Awards : Jeunes Hommes à la fenêtre de Loukianos Moshonas, France

Prix Medien Patent Verwaltung AG : Kapitalistis de Pablo Muñoz Gomez, Belgique

Mention Spéciale : Armageddon 2 de Corey Hughes, Cuba

Pardi di domani, compétition nationale

Pardino d’oro pour le meilleur court metrage suisse : Rewind Forward de Justin Stoneham, Suisse

Pardino d’argento : 59 Secondes de Mauro Carraro, Suisse, France

Best Swiss Newcomer Award : Les Intranquilles de Magdalena Froger, Suisse

Carte blanche Format Court en Finlande !

Cet été, Format Court présentera pour la première fois une carte blanche au festival SINFF (Savonlinna International Nature Film Festival), ayant lieu du 18 au 20 août prochain, à Savonlinna, dans l’est de la Finlande.

Pour la huitième année consécutive, le festival international du film sur la nature s’engage dans la défense de l’environnement et programme des regards différents sur la nature et son rapport à l’humain. Il propose ainsi une sélection de plus 30 films courts et longs-métrages ainsi que des concerts, des rencontres avec des réalisateurs/producteurs, des ateliers artistiques pour les enfants, des expositions photographiques, ou encore une projection en plein air au bord du lac Saimaa.

Les 5 courts-métrages internationaux de la carte blanche Format Court seront diffusés le 20 août prochain dans le cadre du festival, en présence de Clément Beraud, notre collaborateur et programmateur et de Jérémy Van der Haegen, réalisateur du film Les Hauts pays.

Cette  carte blanche est dédiée à la mémoire d’Agathe Demanneville, notre collaboratrice, disparue fin juillet 2017.

Programmation

Darznieks (The gardener) de Madara Dišlere. Fiction, 20′, Lettonie, 2016, Tasse Film, Prix Format Court à Brest 2016

Synopsis : Un jardin fait le bonheur et l’épanouissement d’un vieux jardinier. Le jardin ne lui appartient plus mais il se sent toujours comme chez lui. Il communique avec le jardin qui lui répond, lui offrant un refuge et une riche récolte.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Les Hauts pays (The high grounds) de Jérémy Van der Haegen, fiction, 30′, Belgique, 2016, Neon Rouge Production, After Hours. En présence du réalisateur

Synopsis : Jeune diplômé, Emil Petrescu quitte la Roumanie pour se rendre dans la campagne belge pour reprendre le cabinet d’un médecin retraité. Il s’installe près d’un ancien bassin minier, une région en profonde mutation des suites de l’effondrement de l’industrie du charbon et de la crise de l’agriculture. Au milieu de l’hiver, une météorite se désintègre dans le ciel. Témoin de cet évènement un vieil homme en devient mutique. Le jeune médecin est appelé à son chevet.

Beauty de Rino Stefano Tagliafierro. Animation, expérimental, 9’49″, 2014, Italie, Rino Stefano Tagliafierro

Synopsis : Invitation au voyage, exploration des émotions, travail sur la perception, « Beauty » est un film de ressenti, un court animé extrêmement original et troublant sur l’art et la vie.

Articles associés : la critique du filml’interview du réalisateur

Tarfala de Johannes Östergard, Documentaire, 27′, 2015, Finlande, University of Television and Film Munich

Synopsis : Lars est un vieu suédois, qui a choisi de passer ses hivers dans la solitude en tant que gardien de quelques refuges au pied de la plus haute montagne suédoise : Kebnekaise. Le film explore à la fois l’intime et le monde extérieur de son séjour dans le refuge, et questionne le bonheur d’être avec ou sans ses amis et les êtres aimés.

Article associé : la critique du film

Totems de Paul Jadoul. Animation, 8′, 2016, Belgique, France, Les films du Nord

Synopsis : Un bûcheron travaille dans la forêt quand un arbre s’écrase sur lui et l’immobilise. La détresse réveille alors l’animal caché en lui…

F comme Le Film de l’été

Fiche technique

Synopis : C’est un film d’autoroute, de touristes en transhumance, de tables de pique-nique en béton, de files d’attente pour les WC, de melons tièdes et de Carwash. C’est le film d’un homme qui veut partir et d’un petit garçon qui le retient. C’est le film de l’été.

Genre : Fiction

Durée : 30′

Pays : Belgique, France

Année : 2016

Réalisation : Emmanuel Marre

Scénario : Emmanuel Marre

Image : Olivier Boonjing

Montage : Nicolas Rumpl

Son : Vincent Villa

Interprétation : Jean-Benoît Ugeux, Balthazar Monfé, Vincent Minne, Aurore Fattier

Production : Kidam, Michigan Films

Article associé : la critique du film

Le Film de l’été d’Emmanuel Marre

Un homme dépressif de 37 ans (Philipe), un garçon de neuf ans (Balthazar) et une voiture. Voici le combo de ce film itinérant réalisé par Emmanuel Marre, récompensé cette année du Prix Jean Vigo du court métrage et du Grand prix national au Festival de Clermont-Ferrand.

Issu d’un cursus littéraire effectué à Paris et diplômé de l’école de cinéma (l’IAD) de Bruxelles, Emmanuel Marre a également remporté le Prix Format Court en avril dernier lors du festival de moyens-métrages de Brive avec son film, Le Film de l’été. Le réalisateur met en scène l’histoire de Philippe, le personnage principal, qui profite de la voiture d’Aurélien et de son fils Balthazar pour se rendre à un rendez-vous professionnel dans la ville de Lyon. Sur l’autoroute en direction du sud, l’air estival, la lumière éclatante et l’esprit de vacances ne suffisent pas à dissiper sa dépression et sa solitude. Mais lorsque Philippe veut partir, Balthazar le retient. Commence alors une amitié inattendue.

Le film tout en entier fait résonner l’idée de voyage et plus encore de transhumance. Il nous offre des images lumineuses et se fait le témoin du vagabondage de Philippe. Cette transhumance est d’abord géographique. Partant du nord, Aurélien et Balthazar vont retrouver la mère du jeune garçon dans le sud. À cet itinéraire vient se confronter celui de Philippe dont la destination finale semble bien moins définie que pour Aurélien et Balthazar.

À ce moment, le film n’expose plus simplement un voyage géographique mais un trajet psychologique durant lequel Emmanuel Marre s’attèle à sonder le cœur des hommes et tout particulièrement celui de Philippe. Ce trajet psychologique se dévoile à travers un va-et-vient habile entre les lieux extérieurs et intérieurs du film, une limite ténue qui dirige le regard du spectateur et le prépare à une vérité cachée bien plus sombre : la dépression de Philippe. Et il est vrai qu’à voir Philippe se confier à Balthazar sous la chaleur harassante du bord de route ou encore se laisser bercer par le mouvement circulaire du tourniquet d’une aire de repos déserte, on ne pourrait que difficilement imaginer la profondeur de son mal-être. Et pourtant, lorsque nous surprenons Philippe en train de vomir dans sa chambre d’hôtel, nous comprenons que le suicide n’est jamais très loin de ses pensées.

Cet aller-retour entre ce qui parait et ce qui « est » réellement est traduit par un fort contraste entre l’image graveleuse et scintillante que le soleil sublime, et les nombreux plans où le hors-champ – aussi synonyme du vide et du silence – s’incarne tel un véritable personnage du film.

Le Film de l’été, c’est le voyage dans l’intériorité d’un personnage torturé qui vit une dépression à l’insu de tous, une douleur sourde et dissimulée comme certains de ces moments du film où le son se substitue à l’image et inversement. Le réalisateur signe sa singularité en proposant un chemin exutoire à la pathologie d’un homme. Ce chemin : l’amitié particulière entre Balthazar et Philippe.

Emmanuel Marre réussit ainsi, avec un genre marginal (road movie) à faire voyager son spectateur autant que ses personnages dans une réalité sombre, sans jamais s’attarder sur l’aspect pathétique généralement associé aux individus souffrant de tels maux. Il réalise par la force des choses un film touchant, un film profond.

Marie Winnele Veyret

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Notre hommage à notre collaboratrice, Agathe Demanneville

Agathe,

J’espère que tu excuseras ce mode personnel. Mes souvenirs sont flous, mais je pense t’avoir dit, comme aux autres rédacteurs de Format Court, qu’il valait mieux éviter le “je” dans tes papiers. Je vais laisser de côté ce conseil.

La première fois que je t’ai rencontrée, tu m’as fait penser à un gentil lutin curieux, malicieux, sorti des bois. J’ai senti quelque chose de particulier en toi, de simple, de discret, de naturel et de profond à la fois. À l’extérieur, une jeune personne posée, douce, simple, le sourire toujours en coin.

C’était il y a 7 ans déjà, je ne le réalise que maintenant. Le temps passe si vite.

Agathe, j’apprends que tu es partie en balade avec ton lutin, ta gentillesse, ta curiosité, ton sourire et ta discrétion. Pas pour un nouveau voyage en Amérique du Sud avec Samuel, pas parce que le court ne te parle plus, mais pour toujours et en solitaire.

Quand on s’est rencontré en 2011 au festival Court Métrange, à Rennes, tu m’as parlé de ton intérêt pour le cinéma, je t’ai proposé d’écrire pour le site. Tu as accepté et m’as envoyé un premier papier (Le Vivier de Silvia Guillet). Très rapidement, tu en as rédigé d’autres, révélant une grande intelligence d’esprit, une écriture très stimulante et un très beau regard sur le cinéma d’auteur.

En peu de temps, tu as trouvé ta place dans l’équipe. Ta personnalité, ta signature, ton sens de l’analyse et du détail, tes goûts éclectiques (l’animation, l’expérimental, les films anglais, ceux de l’est, les courts-métrages d’écoles, …), tes entretiens avec des réalisateurs aussi différents que Bertrand Mandico, Ainslie Henderson, Dan Sachar, Paul Wenninger, Simon Ellis, Chabname Zariab, Kordian Kądziela et Madara Dišlere, ont contribué à la diversité et à la qualité du site.

Pendant ces 7 années, tu as écrit avec beaucoup de goût, de talent, d’intelligence, de sensibilité. Ta plume s’interrompt le 30 mai 2017 avec la critique d’un film brésilien, Nada, réalisé par Gabriel Martins. C’était un véritable plaisir de te lire et de te relire. Désolée si je me répète et si j’utilise encore ce petit “je”. J’encourage tout le monde à parcourir et reparcourir tes textes qui font partie de toi et qui te ressemblent.

Tu aimais aller à la rencontre des gens, des auteurs, des films, toujours curieuse, toujours en recherche active d’émotions. On t’a connu à Rennes, mais tu n’as pas arrêté de te passionner et de te déplacer inlassablement, encore et toujours pour le cinéma : un stage de programmation à Angers, une collaboration active au festival À l’Est du Nouveau, dont tu nous parlais avec enthousiasme, ton arrivée à Toulouse et au festival Ciné 32, un tout nouveau projet exaltant pour toi. Tu courais les festivals aussi : Clermont-Ferrand, Brest, Bruz, Angers, Berlin, … Et tu adorais programmer aussi : ton regard avisé nous a bien aidés pour nos cartes blanches passées à Court Métrange et Brest et celle qui sera présentée d’ici quelques jours à Savonlinna, en Finlande, et qui, à la demande de Clément, t’est évidemment dédiée.

La dernière fois qu’on s’est vues, en février, à Berlin, tu désignais avec enthousiasme les films que tu avais aimés, des longs-métrages repérés, toutes sections confondues, pour À l’Est du Nouveau. Je ne te l’ai pas dit, mais j’ai admiré ton sens de l’organisation mis en oeuvre pour cumuler le plus de films possibles en le moins de temps possible, même à l’autre bout de la ville, même en changeant plusieurs fois de moyens de transport dans la même journée ! Moi, la paresseuse, j’étais bien ébahie par tant d’énergie !

Récemment, quand nous avons parlé de projets à venir pour le site, par échanges de mails, tu t’es excusée de ne pas pouvoir assister à la prochaine réunion (ah, cette satanée distance), mais ta troisième ligne et son point d’exclamation – « Concernant le festival Format Court 2018, j’en suis toujours !” – prend une résonance particulière aujourd’hui. Très chère Agathe, ce “toujours” va nous accompagner encore longtemps et sois-en sûre, si un jour ce projet émerge, nous serons fiers et émus d’avoir pu compter sur ton soutien et ton enthousiasme.

Je relis la biographie que tu m’as envoyée en mai 2013, qui allait paraître peu de temps après sur le site, accompagnée d’un mot subtil qui te ressemblait bien (« Après avoir fait de la résistance pendant presque 2 ans, je lâche les armes 😉 ») : “Once upon a time, au détour d’études anglophones et de séjours à l’étranger, Agathe Demanneville a découvert le cinéma américain, mais a vite compris qu’il n’y a pas que les États-Unis qui comptent ! De festival en festival, elle a développé une curiosité grandissante pour le format court, et un goût prononcé pour l’insolite et le poétique. Incapable de rester en place, passionnée de danse, elle aime le mouvement et les voyages, réels ou imaginaires, et part à la recherche d’images qui la transportent toujours un peu plus loin, partageant son temps entre les salles obscures, l’écriture et la programmation.”

Elle est jolie, ta bio, Agathe. Aujourd’hui, elle prend douloureusement sens. Je t’imagine, un sac en bandoulière, toujours en recherche d’insolite, de poétique, d’images et de voyages.

Agathe, ta belle personne et tes jolis mots vont me, vont nous manquer. Aujourd’hui, nous n’en avons pas suffisamment pour saluer tes qualités et déplorer ton départ.

Toute l’équipe se joint à moi pour exprimer sa peine et ses sincères condoléances à Samuel et à ta famille.

Nous t’aimons et te regrettons déjà.

Katia

Les courts présentés à la prochaine Mostra de Venise

Alors que le Festival de Locarno s’ouvre la semaine prochaine, celui de Venise (30 août-9 septembre) a annoncé aujourd’hui sa sélection lors de sa conférence de presse annuelle. Côté longs, on est ravi de retrouver en compétition Xavier Legrand avec Jusqu’à la garde (version longue de Avant que de tout perdre) et dans la section Orizzonti Ali Asgari avec Napadid shodan (Disappearance, version longue de Bishtar Az Do Saat).

Du côté des courts, voici les films retenus, en compétition et en hors compétition.

Bonne info : Céline Devaux (France), Adriano Valerio (Italie) et Yorgos Zois (Grèce) sont de la partie !

En compétition

Aria de Myrsini Aristidou (Chypre, 2017, 14’, Fiction)

Astrometal de Efthimis Kosemund Sanidis (Grèce, 2017, 16’, Fiction)

Awasarn Sound Man de Sorayos Minimal Prapapan (Thaïlande, 2017, 16’, Fiction)

By the pool de Laurynas Bareisa (Lituanie, 2017, 16’, Fiction)

Gros Chagrin de Céline Devaux (France, 2017, 15’, Fiction/Animation)

Himinn Opinn de Clyde Gates, Gabriel Sanson (Belgique, 2017, 19’, Fiction)

The Knife Salesman de Michael Leonard, Jamie Helmer (Australie, 2017, 11’, Fiction)

Lagi Senang Jaga Sekandang Lembu de Amanda Nell Eu (Malaisie, 2017, 18’, Fiction)

Meninas Formicida de João Paulo Miranda Maria (Brésil/France, 2017, 13’, Fiction)

Mon amour, mon ami de Adriano Valerio (Italie, 2017, 15’, Documentaire)

L’ombra della sposa de Alessandra Pescetta (Italie, 2017, 11’, Expérimental)

Tierra Mojada de Juan Sebastián Mesa (Colombie, 2017, 17’, Fiction)

Hors compétition

8h Hpeiros de Yorgos Zois (Grèce, 2017, 11’, Fiction)

Futuro Prossimo de Salvatore Mereu (Italie, 2017, 18’, Fiction)

5 bons films d’animation à voir en ligne !

En cette période juillettiste, Format Court vous propose de (re)voir et partager 5 bons courts-métrages d’animation, dont 3 films d’écoles, multiprimés et multivitaminés, en provenance du Royaume-Uni, d’Irlande, des Pays-Bas et d’Israël. Bonnes (re)découvertes à vous !

A Single Life de Job Roggeveen, Joris Oprins, Marieke Blaauw (Prod. : Job, Joris & Marieke, Pays-Bas, 2014)

The Bigger Picture de Daisy Jacobs (National Film and Television School, Royaume-Uni, 2014)

Edmond de Nina Gantz (National Film and Television School, Royaume-Uni, 2015)

Between Bears de Eran Hilleli (Bezalel Academy of Arts and Design, Israël, 2010)

Coda de Alan Holly (And Maps And Plans studio, Irlande, 2013)

Retour sur la Berlinale 2017

En cette période estivale un peu creuse, nous ressortons les vieux dossiers et les sujets en souffrance. Berlin 2017, par exemple. Le festival, calé en février entre Rotterdam et Clermont-Ferrand, accueille depuis une décennie une compétition de courts-métrages, Maike Mia Höhne, une réalisatrice allemande, en assure la composition avec son comité de sélection.

Avec seulement 23 courts et moyens-métrages (et un film hors compétition), la sélection était constituée cette année de 5 programmes diffusés quotidiennement, intégrant des mini Q&A avec les équipes entre chaque film. Les salles, pleines même à 22h, étaient composées de spectateurs de tous les âges, certains suivant toute la compétition, d’autres venant découvrir un programme au hasard.

Le catalogue indique une volonté de diffuser des films « nous présentant des réalités alternées, des changements de perception, (…) créés en dehors des conditions normales de production, loin du courant de la propagande capitaliste » (rien que ça !). Ce mot d’ordre, ce manifeste rédigé par Maike Mia Höhne, la sélectionneuse en chef, a de quoi surprendre. Au final, les films sont-ils aussi surprenants et radicaux qu’énoncés ? Ont-il réellement changé notre vision ? Et bien, pas tant que ça.

Fuera de temporada de Sabrina Campos, inaugurant le premier programme, est un film argentin relativement classique dans lequel deux ex-petits amis se retrouvent après un temps de séparation. Il est désormais en couple, elle est célibataire. Hormis quelques jolis plans de corps dans l’eau et une tension passable (se remettront-ils ensemble, seront-ils surpris par la nouvelle girlfriend ?), on attend vainement que quelque chose se passe dans ce film, ce qui n’arrive jamais. On se reporte alors avec espoir au deuxième titre de ce même programme, Keep that dream burning de Rainer Kohlberger, un film germano-autrichien qui s’intéresse sur le papier aux algorithmes et au bruit, et qui se transforme en expérience résolument effrayante, parcourue par des sons extrêmement forts et une image agitée déconseillée aux spectateurs épileptiques. Trash. Chaos. Oreilles et yeux bouchés. Next.

Dans le deuxième programme, Miss Holocaust de Michalina Musielak (Pologne, Allemagne) est un documentaire fort gênant sur un concours de beauté pour le moins bizarre, couronnant annuellement des survivantes de la Shoah. Le film présente un groupe de femmes âgées s’adonnant aux rituels propres aux concours : défilés, répétitions, discours, … L’enjeu (la mémoire) qui pourrait en découler n’est pas vraiment là. On sent plutôt une caméra intrusive, inélégante et une recherche absolue d’émotion. La réalisatrice essaye de nous montrer ces femmes autrement, c’est-à-dire dans la vie, c’est un fait. Ca ne nous empêche pas de nous sentir néanmoins mal à l’aise en plein Berlin devant l’image de ces femmes juives âgées, rescapées de la barbarie nazie, qu’on nous montre dans des situations parfois trop appuyées. À part représenter la solitude, la maladie et la vieillesse, le film ne défend pas réellement un point de vue (la base du film documentaire) et se veut bien trop démonstratif par endroits.

Pour sa part, Le film de l’été d’Emmanuel Marre, clôturant ce deuxième programme, arrive à point nommé. Primé quelques heures avant Berlin du Grand Prix national à Clermont-Ferrand, le film « mélancomique » est notre coup de cœur n°1. Ce road-movie tourné dans l’urgence, le temps d’un été, à six, sans vraies aides financières (hormis L’Aide au film court et la confiance de deux maisons de production française et belge, Kidam et Michigan Films) est un film-expérience et un vrai moment de cinéma.

Un homme, Jean-Benoît Ugeux (souvent présent dans les courts et longs-métrages belges), voyage avec un ami et le fils de celui-ci. Une nouvelle amitié se développe entre l’adulte et l’enfant, avec pudeur et humour. Avec ses couleurs vives, ses cicatrices, ses genoux écorchés, ses danses improbables au car wash et les trous innocents dans ses chapeaux de paille, Le film de l’été, coup de cœur n°1 de Berlin, fait partie de ces découvertes positives qu’on fait trop rarement en festival. Primé par Format Court à Brive en avril dernier avant d’être récompensé du Prix Jean Vigo du court-métrages au mois de juin, le film a toutes les chances d’être en lice aux Cesar, si les sélectionneurs des courts et les votants de l’Académie ne se laissent pas séduire par d’autres films bien plus faibles, comme c’est malheureusement le cas chaque année.

The boy from H2 de Helen Yanovsky, issu du programme 4, est un documentaire qui suit un jeune garçon palestinien âgé de 12 ans, vivant dans le secteur H2 d’Hébron, la ville la plus importante de Cisjordanie. La caméra filme l’enfant en prise avec des soldats israéliens, allant chercher de l’eau et parlant avec doute de son avenir. Helen Yanovsky, la réalisatrice, montre une réalité filmée à hauteur d’enfant (les difficultés, rêves et espoirs de celui-ci) et termine joliment son film avec une image très visuelle du garçon cherchant à se cacher, à s’isoler de tous en se réfugiant dans l’unique endroit qu’il a trouvé à l’abri des regards : dans une poubelle.

Si le film fonctionne et touche le spectateur, on repère cependant rapidement un problème : la présence d’un stand d’Amnesty International à l’extérieur de la salle, invitant les spectateurs à signer une pétition sur le sort des enfants en Palestine (entendez, contre l’occupation des soldats israéliens). Les bénévoles du stand n’ont fait le déplacement que le soir de la première du film, mais curieusement absents les 10 autres jours du festival, pour accompagner les quatre autres programmes des courts en sélection. En pré-séance, lors de la présentation de l’équipe, la programmatrice en chef, Maike Mia Hahne, insiste par ailleurs lourdement sur la présence d’Amnesty et use de son bon pouvoir en conviant la salle pleine à signer ladite pétition. Le problème ne vient évidemment pas de la programmation et de la diffusion d’un tel film – bon au demeurant -, mais de la manière dont il est présenté et utilisé à des fins personnelles et politiques qui ne semblent pas pour autant gêner l’équipe concernée. Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à une telle confusion entre l’artistique et le politique et entre la responsabilité et la subjectivité, et c’est bien dommage de retrouver un tel cas de figure dans un festival aussi important que Berlin.

On termine avec une note plus positive, la découverte du tout dernier film de la sélection berlinoise, issu du cinquième programme, Os Humores Artificiais, un formidable moyen-métrage portugais réalisé par Gabriel Abrantes. Celui-ci a déjà réalisé de nombreux courts et moyens-métrages; deux d’entre eux ont déjà été montrés à la Berlinale. Cette année, le cinéaste livre un film vibrant, joyeux et lumineux, une comédie romantique, tournée en petit comité, comme le film d’Emmanuel Marre. Os Humores Artificiais parle des sentiments croissants d’Andy Coughmann, un robot de São Paulo, programmé pour faire du stand up, à l’égard de Jo, une jeune fille simple appartenant à une tribu d’Amazonie. Gabriel Abrantes signe ici un film sur l’intelligence artificielle, notre dépendance à la technologie, la superficialité de notre société, le retour à la simplicité et aux sensations vraies, directes. Il arrive à créer de l’empathie pour cette sympathique tête robotique humanisée par la parole, l’humour, la candeur et les grands yeux sombres, et à obtenir un rendu drôle, émouvant, servi par un bon scénario, de la musique, des poules, une gentille comédienne et une atmosphère toute simple. Face à cette histoire d’amour atypique où les belles âmes et la spontanéité comptent plus que les lignes de codes préprogrammés et la vanité sociétale, on retrouve quelque chose qu’on avait un peu perdu à Berlin : le sourire et l’émerveillement. Après Le film de l’été, Os Humores Artificiais, nommé pour les European Film Awards 2017, est bel et bien notre deuxième coup de cœur du festival.

Katia Bayer

Locarno 2017, la sélection des courts !

La sélection du 70ème Festival de Locarno, organisé du 2 au 12 août prochain, a été dévoilée aujourd’hui. Voici les films et leurs auteurs retenus dans la section Pardi di domani (courts-métrages internationaux et suisses).

Compétition internationale

Agvarim shel Ella de Oren Adaf, Israël
António e Catarina de Cristina Haneș, Portugal
Armageddon 2 de Corey Hughes, Cuba
Boomerang de David Bouttin, France
British by the Grace of God de Sean Robert Dunn, Royaume-Uni, États-Unis, Émirats arabes unis
Crossing River de Han Yumeng, Chine
Das satanische Dickicht – DREI de Willy Hans, Allemagne
Douggy de Matvey Fiks, États-Unis, Russie
Edge of Alchemy de Stacey Steers, États-Unis
Fine di un amore de Alberto Tamburelli, Italie
Haine negre de Octav Chelaru, Roumanie
Harbour de Stefanie Kolk, Pays-Bas
Jeunes Hommes à la fenêtre de Loukianos Moshonas, France
Kapitalistis de Pablo Muñoz Gomez, Belgique
Loop de Matija Gluscevic, Serbie
Los perros de Amundsen de Rafael Ramírez, Cuba
Negah de Farnoosh Samadi, Iran
Nikog nema de Jelena Gavrilović, Serbie
Palenque de Sebastián Pinzón Silva, Colombie, États-Unis
Plus Ultra de Helena Girón , Samuel M. Delgado, Espagne
Shmama de Miki Polonski, Israël
Signature de Chikaura Kei, Japon
Silica de Pia Borg, Australie, Royaume-Uni
Song X de Mont Tesprateep, Thaïlande
Vypusk ’97 de Pavlo Ostrikov, Ukraine
Wasteland no. 1: Ardent, Verdant de Jodie Mack, États-Unis
Zhizn’ moego druga de Alexander Zolotukhin, Russie

Compétition suisse

59 Secondes de Mauro Carraro, Suisse, France
A Song from the Future de Tommaso Donati, Suisse
Kuckuck de Aline Höchli, Suisse
La Femme canon de David Toutevoix , Albertine Zullo, Suisse, France, Canada
Les Histoires vraies de Lucien Monot, Suisse
Les Intranquilles de Magdalena Froger, Suisse
Parades de Sarah Arnold France, Suisse
Resistance de Laurence Favre, Suisse
Rewind Forward de Justin Stoneham, Suisse
und alles fällt de Nadine Schwitter, Suisse
Villa Ventura de Roman Hüben, Suisse

Le clitoris de Lori-Malépart Traversy

Huit mois ont passé depuis que Lori-Malépart Traversy, jeune animatrice québécoise, a commencé à dessiner les premières esquisses du Clitoris jusqu’à son résultat final. Ce court-métrage d’animation documentaire était son travail de fin d’études à l’école de cinéma Mel Hoppenheim, un département de la Faculté des Beaux-Arts à l’Université Concordia de Montréal.

Animation, 3’18 », 2016, Mel Hoppenheim School of Cinema

Synopsis : Les femmes sont chanceuses, elles possèdent le seul organe du corps humain qui sert uniquement au plaisir : le clitoris ! Découvrez son anatomie ignorée et son histoire méconnue de façon drôle et instructive.

Le rencontre avec l’œuvre animée de la réalisatrice lettonne Signe Baumane, la lecture de “La Fabuleuse Histoire du Clitoris” (Jean-Claude Piquard, 2013) ainsi que quelques recherches sur Wikipédia à ce sujet et son savoir-faire ont conduit cette jeune artiste à réaliser ce bijou animé d’une grande valeur éducative et artistique qui a été largement promu et sélectionné dans les plus réputés festivals spécialisés, comme Annecy, Animamundi, Animafest, Dok Leipzig, Animac et Krok.

Dans ce court-métrage, dessiné à la main et avec une palette de couleurs légères, Lori-Malépart Traversy nous livre, avec humour, une description historico-scientifique des aventures et des malheurs du clitoris à travers les siècles, par le biais d’une voix-off, qui rend encore plus charmante sa proposition.

Longtemps considéré comme un hors-la-loi et même rejeté par Sigmund Freud – décrétant que tout plaisir est lié à la pénétration -, le clitoris accède enfin, grâce à ce film, à sa place d’honneur, entre beauté, suggestivité et plaisir autonome.

Adriana Navarro Álvarez

Festival BD6né, le 5ème palmarès

Organisé du 23 au 25 juin, le 5ème Festival BD6Né, entièrement consacré aux liens entre la BD et le Cinéma, a rendu son palmarès. Le voici.

GRAND PRIX : « The Absence of Eddy Table » de Rune Spaans

MENTION SPECIALE – « La Table » d’Eugène Boitsov

PRIX 7BD – « Sirocco » d’Avril Hug, Lauren Madec, Kevin Tarpinian, Thomas Lopez et Romain Garcia

PRIX DU PUBLIC – « I Want Pluto To Be A Planet Again » de Marie Amachoukeli et Vladimir Mavounia-Kouka

PRIX CHIMERES  (vote du public) : « Gorilla » de Tibo Pinsard

PRIX DU JEUNE PUBLIC – « Gokurosama » de Clémentine Frère, Aurore Gal, Yukiko Meignien, Anna Mertz, Robin Migliorelli et Romain Salvini

Diamond Island de Davy Chou

Davy Chou présentait il y a un an son premier long-métrage, Diamond Island, lauréat du Prix SACD à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2016. Très justement encensé par la presse, son film n’est pas passé inaperçu dans le milieu et est sorti récemment en DVD chez Doriane Films.

Le film doit son titre au nom de l’île éponyme, au large de Phnom Penh au Cambodge, où est située son histoire. Diamond Island est en pleine transition urbanistique, le pouvoir est donné aux promoteurs immobiliers qui sont en train d’y construire « le Cambodge du futur », une sorte de paradis capitaliste ultra moderne pour riches. Bora, 18 ans, quitte sa famille pour cette île où le travail d’ouvrier sur les chantiers de construction est florissant. Loin de ses repères, il se lie à un groupe de jeunes dans la même situation et découvre les joies et les travers de la vie d’adulte.

Le dernier court-métrage de Davy Chou (Cambodia 2099, chroniqué sur Format Court et à retrouver parmi les bonus du DVD) avait déjà pour décor Diamond Island et pour personnages deux jeunes rêveurs. Dans ce film, les deux amis se racontaient littéralement leurs rêves respectifs. L’un cauchemardait au passé, l’autre rêvait au futur. Le premier fuyait un monde de répression. Le second voyageait dans le futur vers un monde probablement meilleur. En attendant, ils étaient bloqués dans un présent qui ne semblait pas leur correspondre.

Diamond Island, comme Cambodia 2099, aborde deux sujets qui s’imbriquent l’un dans l’autre, créant alors un film au genre hybride, quelque part entre le drame social et le film d’apprentissage. Sur fond d’une certaine violence économique – témoignant de la situation de nombreux hommes séparés de leur famille pour aller travailler à la construction d’une ville destinée à la bourgeoisie cambodgienne – on nous montre des jeunes qui s’amusent, draguent, discutent,… grandissent tout simplement.

Diamond Island paraît être un décor de cinéma, tellement tout semble faux. Cette sensation d’artificialité est surement aussi accentuée par des images aux couleurs saturées, rappelant l’univers virtuel des jeux vidéos ou des vidéos promotionnelles (comme celle au début du film décrivant ce que sera Diamond Island : « un paradis de la modernité »). Davy Chou a choisi de faire beaucoup de plans larges qui rappellent sans cesse que l’histoire anodine de ces jeunes en post-adolescence prend place dans cette situation particulière. Leurs préoccupations, en apparence celles de tous les jeunes de leur âge – séduire, se divertir, rêver – sont forcément influencées par l’environnement économique dans lequel ils évoluent. Ils vivent dans une promesse qui, même si elle sera pas tenue un jour, ne leur est de toute façon pas destinée. Comme dans Cambodia 2099, ces jeunes vivent une période de transition dans laquelle ils sont transportés entre passé et futur, à l’image de ces chantiers encore en cours mais qui paraissent pourtant être déjà des ruines. Le pont qui sépare Phnom Penh de l’île de Diamond Island représente en quelque sorte ce passage du passé au futur.

Davy Chou, franco-cambodgien, apporte avec ces deux films un regard distancié sur le projet de Diamond Island. Il n’en fait certainement pas l’éloge, sans pour autant en faire une critique directe. Notre regard d’européen face à ce projet est forcément touché par l’innocence d’une jeunesse manipulée par ce qui nous semble être un mensonge évident mais qui, sans le recul que permet Davy Chou avec son film, ne l’est pas forcément.

Pour aller plus loin dans la réflexion sur le film, le DVD propose deux interviews données par Davy Chou, au moment de la présentation du film à Cannes et au Festival du Film Francophone de Namur, dans lesquelles il revient sur ses intentions et son processus de création, autant sur Diamond Island que sur Cambodia 2099. On y retrouve également deux vidéos suivant la sortie du film à Cannes et au Cambodge ainsi que les premiers castings des acteurs et les musiques du film pour prolonger l’expérience cinématographique.

Zoé Libault

Diamand Island de Davy Chou : film & bonus (court-métrage, interviews, castings, scènes musicales, …). Edition Doriane Films.

Nothing Happens de Michal et Uri Kranot

Dernier court-métrage du couple israélien Michal et Uri Kranot, doublement primé au dernier festival d’Annecy (Prix Festivals Connexion-Région Auvergne-Rhône-Alpes & Prix André Martin), Nothing Happens surprend déjà par son titre. En effet, les deux artistes résidant au Danemark se confrontent souvent à l’histoire, en premier lieu de leur pays d’origine, Israël, dans Le coeur d’Amos Klein (2008), puis du monde entier, dans How long not long (2016).

Annoncer que « rien n’arrive », c’est donc déjà marquer une différence,une singularité pour qui serait familier de leur univers. On quitte donc les soubresauts de l’histoire contemporaine pour le calme plat d’une plaine enneigée délimitée d’un côté par des arbres et de l’autre par un vague décor industriel. Un groupe d’homme et de femmes se réunit en ligne et regarde du côté des usines floues. Parallèlement, des corbeaux se regroupent sur un réseau de branches. Un élément déclenchera la dispersion des deux groupes.

La technique est similaire aux autres films du couple de réalisateurs : tout en peinture et en aquarelles. La texture des corps vivants est mouvante, tremblante presque, par rapport au décor environnant immobile, stable.

La construction narrative du film forme une boucle, ainsi le premier plan d’ensemble du paysage vide revient, identique, à la fin. Rien n’a changé dans la composition, pourtant, quelque chose s’est passé. Ce quelque chose pourrait se décomposer schématiquement en deux mouvements. D’abord, le vide se remplit de présences humaines et de corbeaux croassant dans le silence. Puis les oiseaux s’envolent au son d’un coup de feu venu d’on ne sait où, et les hommes et femmes s’en vont au son d’une musique jouée par deux d’entre eux. Apparition, disparition; présence, absence : voilà ce qui dessine les contours de la boucle narrative.

Au sein de cette boucle, le temps est traité par une dilatation qui contraste avec tous les autres films des réalisateurs (disponibles pour la plupart sur leur compte Vimeo), qui brassent des évènements historiques sur des temporalités longues. Ici, ce presque rien qui constitue la narration s’étend à toute la durée du film. Les personnages, rangés en ligne, attendent quelque chose qui n’arrive pas, ou qui n’existe peut-être même pas.

Le spectateur, dans ce dispositif, est pris, lui aussi, dans une attente. Pourtant il était prévenu : rien n’arrive dans ce court-métrage, dit le titre. Les hommes et femmes du film se rassemblent et regardent dans la même direction, comme les spectateurs de cinéma. Les regards se portent sur le vide d’un paysage, qui renvoie à l’écran de cinéma ou d’ordinateur.

L’ennui peut entraîner, selon les circonstances, une irritation ou une disponibilité, ce qui est le cas du court-métrage. Que ce soit du point de vue du spectateur, qui a loisir d’observer chaque image, visage, démarche, vêtement; que du point de vue des personnages, qui arrivent à créer quelque chose à partir de ce vide. La musique trouve ainsi sa source dans l’incomplétude fondamentale de la situation. Voilà ce qu’ils attendaient, ces hommes et femmes, et les voilà maintenant comblés, ils peuvent partir. C’est dans la sensibilité que se résout la situation, là où la technique visuelle des corps vivants évoquée plus haut complète le discours implicite.

Il semble que le fil rouge qui pourrait relier les différents projets de Michal et Uri Kranot soit  l’humanité vue du point de vue du multiple. Leur mode d’approche varie en fonction du court-métrage: ils se sont approchés des souffrances dans les pays du Proche-Orient, avec les deux premiers courts-métrages, puis ils ont étendu leur point de vue pour aller vers l’histoire mondiale. Ainsi, dans la filmographie des deux réalisateurs autant que dans n’importe quel contexte, le film apparaît comme une respiration sensorielle, musicale. Et si How long not long (2016) était un télescope vibrant, Nothing Happens est un microscope. Mais l’observation de la vie la plus banale n’empêche pas l’universalité d’effleurer à travers le thème de l’attente vague, d’où peut surgir quelque chose.

Thibaud Fabre

Consulter la fiche technique du film

N comme Nothing happens

Fiche technique

Synopsis : Expérience cinématique en réalité virtuelle qui pose la question du rôle du spectateur, en l’invitant à participer à un événement. Le projet explore un nouveau genre de narration et offre une autre façon de voir les choses. Il s’agit de vivre le présent.

Genre : Animation

Durée : 12′

Pays : Danemark, France

Année : 2017

Réalisation : Uri Kranot, Michal Kranot

Scénario : Uri Kranot, Michal Kranot

Musique : Uri Kranot

Production : Dansk Tegnefilm, Miyu Productions

Article associé : la critique du film