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Il Barbiere Complottista de Valerio Ferrara

Le premier prix de la Cinef a été attribué  ce jeudi 26  au court-métrage italien Il Barbiere Complottista (A Conspiracy Man) de Valerio Ferrara, ce dernier empochant la belle somme de 15.000 €.  Le cinéaste prometteur récemment diplômé de la prestigieuse école Centro Sperimentale Di Cinematografia (Rome), s’est démarqué avec une comédie de 19 minutes sur un gourou des théories du complot, soudainement arrêté un soir, par la police.

Antonio, un barbier marié avec un enfant, rapporte dans son précieux blog tout ses doutes et ses convictions sur la « réelle » vérité que cache le gouvernement. Il est la risée de son entourage, jusqu’à ce qu’un soir, des policiers interviennent chez lui pour l’emmener au poste et le placer en garde à vue…

Sans évoquer aucune théorie de complot déjà existante, le sujet du film de Valerio Ferrara vibre pourtant avec l’actualité. Lorsqu’on est plongé dans l’univers de cet homme qui doute de tout et n’accorde aucune confiance au gouvernement, on ne peut s’empêcher de penser aux théories du vaccin et du confinement liés à l’épidémie du Covid qui ont fait fureur ces deux dernières années. Le réalisateur préfère cependant inventer de toute pièces dans sa narration des complots comme la défaillance des lampadaires par exemple. Cela lui permet de garder une audience impartiale et créer de l’empathie avec le protagoniste chez le spectateur.

On s’attache effectivement à Antonio, héros ordinaire du quotidien, passionné par ces sujets complotistes. Il est brillamment interprété par Lucio Patanè, nous renvoyant l’image d’un homme au bon fond, victime de sa paranoïa. Valerio Ferrara parvient à nous faire éclater de rire à travers des répliques cinglantes et absurdes. Une tâche qui n’est pas aisée pour un cinéaste, tout jeune de surcroît.

Le rythme rapide du film participe à l’aspect humoristique. Le réalisateur joue avec diverses registres en n’hésitant pas à les exagérer à la manière d’une parodie. Il créé parfois du suspense, frisant avec le registre du thriller et Giallo : la scène d’introduction par exemple, en caméra subjective qui s’approche doucement d’Antonio ou la noirceur du plan et la lumière de l’écran clignotante sur le visage de ce dernier, créent une esthétique familière des films italiens des années 70. Cela offre un réel dynamisme au court-métrage. Valerio Ferrara ose notamment les plongées, contre-plongées provoquant une immersion totale dans le monde complotiste du protagoniste.

Cette familiarité qui évoque les films italiens de l’époque de Dario Argento est aussi provoquée par le décor et l’univers mis en place par le cinéaste. Le vieux papier peint comme la lumière très jaune donnent le sentiment que le film ne se situe pas au 21ème siècle. Et c’est particulièrement le métier d’Antonio (barbier) qui peut rappeler de vieilles comédies (Le Dictateur, Le Barbier de Séville, Beaumarchais). L’élément essentiel qui trahit la date de la diégèse du film, c’est la présence de l’ordinateur, réceptacle de la précieuse « vérité » du protagoniste sur le fonctionnement du système.

Sur un sujet contemporain et anxiogène, Valerio Ferrara renverse la tendance en nous faisant rire et en créant un univers bien à lui, inspiré de l’esthétique des années 70-80 !

Laure Dion

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Laura Wandel : “Il faut que je sente un point de vue”

Laura Wandel est une habituée du Festival de Cannes. Son premier court-métrage, Les Corps étrangers, a été sélectionné au festival en 2014 et son premier long, Un Monde, était à Un Certain Regard en 2021. Aujourd’hui, elle travaille sur son deuxième film, développé au sein de la Résidence du Festival de Cannes. Elle est aussi jurée pour la Cinef et pour les courts-métrages de la sélection officielle.

© Alice Khol

Format Court : Ton court-métrage, un film d’école, a été sélectionné à l’officielle. Comment avais-tu appréhendé cette sélection ?

Laura Wandel : Je n’ai presque pas eu le temps de m’en rendre compte ! Je l’ai appris après tout le monde parce que j’étais en train de faire un film en Haïti. Je me souviens très bien, je vois un numéro français qui m’appelle et je ne décroche pas. Le lendemain, on est en route et je vois une vingtaine de SMS de félicitations sur mon portable et c’est là que j’ai compris. J’avais oublié, j’étais dans autre chose. Je suis partie à Cannes très vite après.

Comment c’était de se retrouver ici, avec un court-métrage, en compétition ?

L. W. : Ce que je retiens surtout, ce sont les belles rencontres que j’ai faites, et particulièrement avec les organisateurs du festival. Je ne pensais pas qu’ils allaient être si bienveillants, tellement gentils. C’était une rencontre incroyable. C’est un plaisir d’être ici, ils font tout pour qu’on se sente bien. Ce festival peut faire peur mais pas du tout. Les gens sont humains, très à l’écoute.

Tu fais partie des sélectionnés de la Résidence du Festival de Cannes, ce qui te permet de travailler sur ton nouveau projet. Comment est-ce l’expérience de résidence, l’accompagnement dans l’écriture ?

L. W. : Je reste très libre. On peut demander à avoir des consultants, à rencontrer des réalisateurs. Ce qui me nourrit surtout, c’est de pouvoir rencontrer des réalisateurs du monde entier et de ne pas être toute seule face à l’écriture. On n’écrit pas ensemble mais on vit tous dans cet appartement, on mange, on regarde des films ensemble et surtout on échange.

Tu as déjà été tentée par la co-réalisation ?

L. W. : C’est autre chose. Là, ce qui est enrichissant c’est qu’on échange sur les films qu’on écrit ou qu’on voit. Être à Paris aussi, c’est très nourrissant ! La vie culturelle, le théâtre, le cinéma, les expositions : tout ça participe à l’écriture.

Dans ton jury, vous évaluez les films d’école et les films de la sélection officielle. C’est encore une expérience différente. Quel regard portes-tu sur les films que tu vois ?

L. W. : Le plus bienveillant possible parce que j’ai été à l’école, je sais ce que c’est de découvrir ce que c’est de faire un film. J’essaye de détecter des pattes, des prises de risques mais toujours avec indulgence.

Pour les films de l’officiel, j’arrive avec un regard neutre. J’aime bien ne rien lire et voir ce que je comprends du film sans rien savoir avant. Je ne peux pas faire l’impasse sur une chose : il faut que je sente un point de vue, voire une prémisse de point de vue.

Quand tu as écrit Un Monde, à quel moment as-tu senti que tu avais trouvé ton point de vue ?  A l’écriture ?

L. W. : Dès le départ, je sentais que ça devait partir du point de vue d’un enfant. Je suis beaucoup allée observer dans les écoles. C’est ma manière de travailler, j’ai besoin de m’immerger dans le réel, d’interviewer des gens, d’aller observer dans les lieux. Tout le travail avec les enfants a beaucoup nourri l’écriture.

Qu’est-ce que tu as appris avec ton court-métrage ?

L. W. : J’ai trouvé une manière de m’exprimer et aussi, j’ai rencontré une partie de ma famille de cinéma, des professionnels avec qui je continue de travailler.

Propos recueillis par Katia Bayer et Anne-Sophie Bertrand. Retranscription : Agathe Arnaud

Félix Moati. Un film, un rapport au monde

Révélé dans les années 2010 en tant qu’acteur, Félix Moati s’est tourné vers la réalisation avec un premier court Après Suzanne (qui était en compétition officielle à Cannes en 2016) et un premier long-métrage Deux fils, sorti deux ans plus tard. Il fait partie du jury de courts-métrages et de la Cinef de cette édition cannoise 2022.

© Victor Moati

Est-ce que tu visionnes les courts-métrages de La Cinef et ceux de la compétition officielle différemment ?

Félix Moati : Les films de La Cinef sont présentés par des jeunes réalisateurs·rices. C’est impossible de ne pas prendre en compte que ce sont des films d’école, donc produits à un stade encore embryonnaire de leur carrière par rapport aux réalisateurs qu’on évalue pour l’officielle. Un film, ça se contextualise forcément et à la Cinef, l’âge est un paramètre important. Dans la compétition officielle, les réalisateurs ont déjà plus d’expérience, ils ont fait plusieurs films. Par exemple, Bi Gan s’était déjà fait beaucoup remarquer en 2018 avec son film Un grand voyage vers la nuit (Un Certain Regard 2018), il revient cette année avec le court A short story.

Ton court Après Suzanne avait été sélectionné à l’officielle en 2016. Qu’avais-tu ressenti à ce moment-là ?

F.M. : J’étais hyper fier, c’était vraiment de la fierté. Il y avait évidemment de l’appréhension et du trac, c’est évident. J’avais beaucoup de curiosité pour les autres films aussi. Il y avait un film suédois, dont je ne me rappelle plus du titre, qui était extraordinaire. Bon après, je ne cache pas que ça pouvait être un peu tendu parfois entre nous, il y avait une sorte de compétition. C’est dommage d’ailleurs, nous n’avons pas gardé contact…

Ta filmographie compte de nombreux courts-métrages, qu’as-tu appris en tant qu’acteur et réalisateur à travers les courts, notamment ceux des autres ?

F.M. : Je pense que j’ai plus appris en tant que réalisateur. C’est une économie qui est très petite, très légère, des équipes de personnes qui commencent. L’énergie est différente. Dans la fabrication, il y a une dimension plus artisanale donc c’est très instructif. Je recommande à tous ceux et celles qui veulent faire de la mise en scène soit de réaliser de nombreux courts-métrages soit de garder cet esprit artisanal.

« Après Suzanne »

Mais toi, tu es passé assez vite au long-métrage ?

F.M. : Oui. En fait, mon long-métrage était déjà écrit quand j’ai présenté mon court. Après, j’ai mis deux ans à le réaliser car j’étais déjà engagé sur plusieurs rôles. J’aurais pu le faire plus rapidement.

Est-ce que les jeunes auteurs te contactent pour que tu joues dans leur courts ? Est-ce c’est quelque chose qui t’intéresse ?

F.M. : C’est toujours une question de temps. Et malheureusement, je l’ai de moins en moins, ce temps. Et en plus, comme je suis devenu père, dès que j’ai un peu de temps libre, je reste en famille pour voir grandir mon fils. Mais c’est vrai que cette année, j’ai reçu beaucoup de propositions pour des courts-métrages, ce qui est toujours flatteur. J’aime bien l’idée que ces jeunes soient sensibles à mon travail et qu’ils pensent à moi pour des rôles.

Qu’est-ce qui avait déterminé le projet du court Après Suzanne ?

F.M. : J’avais surtout envie de raconter une histoire courte. Par ailleurs, c’est vrai qu’il faut aussi respecter certaines étapes pour accéder au long-métrage. Il y a beaucoup de pression, beaucoup d’enjeux financiers. J’ai préféré réaliser Après Suzanne avec des amis, des professionnels et des techniciens que j’ai rencontrés sur des tournages,  mais finalement avec très peu d’argent. Je m’étais fait recaler de Canal +, du CNC, de la région. On a dû tourner avec un budget de 3.000€. Et ma carrière d’acteur ne m’a pas spécialement aidé, je pense même que ça a pu me desservir car on pensait que je n’avais pas besoin de financements pour le film. Et puis, je crois que personne n’était vraiment emballé par le scénario. C’est bizarre d’ailleurs car quand j’ai été nommé à l’officielle à Cannes et aux César, certaines personnes sont revenues me voir.

Pour revenir à ton rôle de juré à Cannes justement, quelles sont les qualités que tu associes à la forme courte ?

F.M. : Courte ou longue, pour moi, c’est la même chose. Je demande à un film de m’exposer un rapport au monde. Ce n’est pas une question de morale, mais vraiment d’éthique. C’est d’ailleurs ce qui m’a totalement séduit avec le film de Valerio Ferrara [qui a remporté le Premier Prix de la Cinef avec Il Barbiere Complottista]. Dans son film, on comprend où il veut aller dès les premiers plans, on capte l’articulation des personnages, leur façon de s’exprimer. C’est captivant. Le réalisateur a une vision. C’est ce qui est le plus compliqué, le plus tenu à avoir, particulièrement dans un court-métrage.

Propos recueillis par Katia Bayer en collaboration avec Anne-Sophie Bertrand.

Le Feu au lac de Pierre Menahem

Seul français en lice (avec Amartei Armar pour Tsutsue) dans la compétition officielle au Festival de Cannes 2022, Pierre Menahem signe avec Le Feu au lac un premier court-métrage d’une sensibilité à fleur de peau. Ici, les sens prennent le dessus sur les mots. Coup d’essai, coup de maître !

Caméra à l’épaule, on suit les gestes d’une vieille femme qui étend du linge, entourée de ses poules. Une lessive faite à la main probablement… Très vite, la finesse de l’habillage sonore interpelle et ce qui se dégage immédiatement, c’est le soin apporté aux affaires des autres et la fragilité du corps, dans tout ce qu’il peut avoir de lent, de saccadé et de répétitif, le tout ponctué par un souffle lourd.

En contrehaut, Félix déambule dans les alpages avec son bâton de berger parmi ses bêtes en train de paître. Tout est paisible, la montagne est belle et les sons viennent souligner la béatitude de la grande ruralité estivale où l’opulence de la nature seule suffit. Bruissement des feuilles, souffle du vent qui balaye les coteaux, tintements des cloches des vaches tarentaises qui se mêlent à celles du village en contrebas… Plan saisissant en plongée où la silhouette du personnage principal se découpe sur un fond de hameau où retentit les sept heures de la fin de journée. Le clocher témoigne subtilement que les deux personnages se trouvent dans un même espace-temps. Chacun d’un côté de la montage, chacun à sa besogne.

D’entrée, Pierre Menahem impose un regard assez objectif, comme s’il était en observation de ses propres personnages. Ce qui donne aux premiers instants du film des allures presque documentaires où il laisse le spectateur prendre contact progressivement avec la situation.

On apprécie chaque rituel, chaque geste rompu au quotidien sans se douter que chacun d’eux est peut-être exécuté ce soir pour la dernière fois.

Des marqueurs significatifs apparaissent, ceux de notre époque, dans ce qui semblait jusque-là intemporel. Dans la maison de cette femme, on pourrait reconnaitre la cuisine un peu négligée de nos anciens où une télé que personne ne regarde tourne en boucle, balançant des informations riches en « Pôle Emploi » et autres mauvaises nouvelles, des ustensiles de cuisine qui ont fait leur temps sur fond de vieille gazinière pleine d’allumettes brûlées. Dans la cadre serein de cette ferme en pleine nature, le sifflement croissant de la bouilloire révèle que quelqu’un s’en est allé. Ce n’est pas un oubli, c’est une absence.

Stoïque, Félix découvre le corps de sa mère. Le découpage elliptique des séquences laisse planer un choix entre la mort ou un repos momentané. Le doute reste permis. Chez Félix, on sent alors une éducation à la dure, peut-être même une enfance difficile, où le choc laisse place au mutisme. Ici, les sentiments ne filtrent pas.
Mais là où l’émotion se contient voire se retient jusqu’au bord de l’implosion, le son à nouveau prend le relais mais pour servir cette fois la fébrilité du fils, sur un fond strident de bouilloire et de flux d’informations continues. Qu’on le veuille ou non… World keeps turning !

Un objet déterminant vient infléchir la tension de cette situation : le smartphone. Occasion d’échappatoire immédiat pour Félix, un jeune homme vient de le contacter via une application de rencontres et lui propose un rendez-vous. Porte de sortie oblige !

On tire le rideau et on part ailleurs. Prise de distance géographique avec ce qu’on ne veut pas voir vers de nouveaux paysages, une nouvelle maison et surtout une nouvelle rencontre. L’histoire prend un nouveau tournant. L’arrivée des dialogues rend même la première partie du film lointaine, comme un souvenir.

Mais à l’image, il y a étonnement quelque chose qui dénote, et même déstabilise : un fermier avec un smartphone. Observation absurde apparement, mais dans ce cas, pour quelle raison offrir un cadre bucolique et affranchi des villes et de la nouvelle technologie pour y faire advenir de manière inopinée voire paradoxal, le symbole même de la mondialisation et de la modernité ? Qui plus est agrémenté des dernières applications de rencontres en vogue…

Quel discours tenir alors sur ces applications ? Que dire du fait qu’elles réussissent, par le biais des smartphones, à s’insinuer jusque dans les contrées les plus reculées d’un pays. Qu’elles viennent animer des zones qui sont autant de déserts sociaux et culturels, auprès de ces individu.e.s loin des villes, loin des yeux, loin du coeur.

On peut penser quelques instants à Petit Paysan d’Hubert Charuel, qui vient interroger la vie ordinaire de ces vachers empêtrés dans des problématiques que peu de gens entendent et observent. Ces éleveurs, souvent pris à la gorge, qui purgent un quotidien plus que difficile, quitte à changer leur fusil d’épaule, comme Félix, et à passer du fromage à la viande pour des raisons financières. Isolés, ces applications deviennent alors pour eux la seule solution afin de créer un peu de lien, briser une solitude, combler un vide ou même surmonter un deuil… Le seul moyen pour retrouver parfois un peu de tendresse et d’écoute.
Félix part alors retrouver ses désirs et ces étreintes qui lui manquent, décharger ces non-dits et cette peine qu’une parole, qu’un soupir ou rien qu’une larme pourrait enfin apaiser. Le temps d’une nuit, Félix part faire la paix avec la réalité et chercher la force qui lui manquait.

Avec un nombre plutôt restreint des lieux de tournage et une action se resserrant sur moins de 24h ; voilà une économie de moyen exemplaire qui n’altère en rien les qualités prometteuses de ce premier court-métrage. Rien d’étonnant, c’est un ancien producteur qui est aux commandes.

Issu du milieu de la production (Still Moving), Pierre Menahem fait donc ici ses premiers pas de réalisateur. Ainsi, celui qui accompagnait les auteurs et autrices a décidé de sauter le pas et de passer derrière la caméra. Il porte ici un film où les thématiques du deuil et de l’émancipation sexuelle s’entrecroisent, se répondent et même se permettent. L’un entrainant l’autre, de facto.

Dans le lac, esprit serein dans un corps qui se libère à son tour. On retrouve le souffle du début, mais un soupir cette fois. Nu, l’enfant retourne à l’eau. Après la perte de la mère, il faut renaître.

Augustin Passard

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L comme Le Feu Au Lac

Fiche technique

Synopsis : Un hameau de haute montagne, l’été, Felix descend de l’alpage où il surveille ses vaches et découvre le corps de sa mère inanimée. Sous le choc, il prend la fuite. Il conduit plusieurs kilomètres dans la vallée pour se rendre chez le jeune homme qui vient de le contacter sur une application.

Genre : fiction

Pays : France

Durée : 15′

Année 2022

Réalisation : Pierre Menahem

Scénario, dialogues : Pierre Menahem

Images : Aurélien Py

Décors : Cécile Leclercq

Montage : Marylou Vergez

Son : Valentine Gelin

Interprétation : Hervé Lassïnce, Pierre Moure, Isabelle Rama

Production : Barberousse Films

Article associé : la critique du film

W comme The Water Murmurs

Fiche technique

Synopsis : Lorsqu’un astéroïde frappe la terre, etraînant des éruptions volcaniques sous-marines, les habitants d’une petite ville riveraine commencent à fuir vers l’intérieur des terres. Avant de partir, Nian décide de dire aurevoir à son amie d’enfance. Ses souvenirs de la ville commencent à devenir de plus en plus clair dans son esprit au cours de ce voyage.

Genre : fiction

Année : 2022

Durée : 15′

Pays : Chine

Réalisation : Jianying Chen

Scénario, dialogues : Xiaozi Muhua

Image : Bing Xi

Décors : Yi Wang

Montage : Junlin Du

Son : Yanming Feng

Interprétations : Taiwen Zhang, Rongxi Li, Annabel Yao

Production : Entertainment T.H

Article associé : la critique du film

La Cinef, le palmarès

Le Jury des courts métrages et de La Cinef, présidé par Yousry Nasrallah et composé de Monia Chokri, Félix Moati, Jean-Claude Raspiengeas et Laura Wandel, a décerné les prix de La Cinef aujourd’hui lors d’une cérémonie en salle Buñuel, suivie de la projection des films primés. La sélection comptait 16 films d’étudiants en cinéma, choisis parmi 1 528 candidats en provenance de 378 écoles dans le monde.

Premier Prix : Il Barbiere Complottista (A Conspiracy Man) de Valerio Ferrara (Centro Sperimentale di Cinematografia, Italie)

Deuxième prix : Di er (Somewhere)  de Li Jiahe (Hebei University of Science and Technology School of Film and Television, Chine)

Troisièmes prix ex-aequo : Glorious Revolution de Masha Novikova (London Film School, Royaume-Uni) et Les Humains sont cons quand ils s’empilent de Laurène Fernandez (La CinéFabrique, France).

Nauha de Pratham Khurana

Fraîchement diplômé de l’Institut de cinéma et d’arts créatifs « Whistling Wood Internationals » de Mumbaï, le jeune réalisateur indien Pratham Khurana fait partie de la sélection de la Cinef cette année grâce à son quatrième film Nauha. Il signe un touchant court-métrage qui nous laisse le temps d’être imprégné par la relation du protagoniste et de l’homme âgé dont il s’occupe.

Kishan, un jeune homme d’une vingtaine d’années, prend soin d’un vieil homme en mauvaise santé, Babuji. Le protagoniste s’occupe patiemment de Babuji, l’aide à se laver, le nourrit et dort dans la même chambre que lui lorsque ce dernier a peur d’un potentiel intrus dans la maison.

Pratham Khurana nous offre dans son film, une expérience sensorielle : le rythme plutôt lent des plans créé une suspension du temps et nous permet une véritable immersion dans l’univers de Kishan. A travers l’écoulement du temps, on ressent l’impact que prend Babuji dans la vie du jeune homme. Les caprices à répétition du vieil homme au moment de la toilette par exemple, créent cet effet d’attente et de frustration simultanément chez Kishan et le spectateur. Le lien et la proximité qui unit les deux hommes est cependant révélé par cette durée et lenteur des plan-séquences épurés. Le réalisateur parvient avec brio à nous faire ressentir dans le temps, le dilemme du jeune personnage partagé entre son désir de liberté et son attachement au vieil homme.

Pratham Khurana prend le parti pris d’une certaine distance dans sa manière de filmer avec des plans fixes et larges, sans pratiquement aucun mouvements de caméra, ou alors quelques zooms et très légers panoramiques. Les plans sont très épurés avec des espaces vides, avec très peu de musiques et dialogues. Le réalisateur contrebalance cette distance avec la présence d’inserts sur des contacts physiques dans son film. De la tendresse est montrée avec quelques gros plans sur une main qui en caresse une autre, ou bien avec la main de Kishan qui recoiffe affectueusement les cheveux du vieil homme. Lorsque le protagoniste discute avec ses amis près du feu de camp, instant de pause pour Kishan durant son travail, on ressent la chaleur qui se dégage de l’image grâce au son du crépitement et de la lumière ondoyante qui se reflète sur le visage des jeunes personnages.

Le jeune réalisateur indien filme cette relation avec un travail minutieux sur la couleur, ce qui donne une magnifique photographie. Lors de la première partie du court-métrage, la teinte de l’image est plutôt jaune tirant vers le beige, lorsque les deux personnages sont proches, la scène où Kishan caresse les cheveux du vieil homme par exemple, les couleurs paraissent plus chaudes et chaleureuses que jamais. Après la mort de Babuji, la couleur devient blanche presque verdâtre laissant une sensation de vide et dégoût, ce changement brutal retranscrit avec simplicité et efficacité le deuil que vit le protagoniste.

Pratham Khurana parvient à émouvoir malgré la sobriété de sa mise en scène. La relation est très forte entre les deux personnages, à travers leur impuissance qu’elles soient d’ordre physique, financier ou bien sentimental. Le réalisateur prouve que la filiation n’est pas nécessaire pour construire un lien puissant entre une personne âgée et un jeune homme. Il parvient parfaitement, à travers un film très touchant et subtil, à nous faire ressentir l’expérience du deuil et du vide laissé après le départ d’un être aimé.

Laure Dion

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N comme Nauha

Fiche technique

Synopsis : Nauha (faire le deuil) est le passage de l’âge adulte d’un jeune homme de 22 ans (Kishan) à travers son expérience de prendre soin d’un homme de 75 ans sur le point de mourir (Babuji).

Genre : fiction

Durée : 26′

Pays : Inde

Année : 2022

Réalisation : Pratham Khurana

Scénario, dialogues : Pratham Khurana, Lavina Kubhchandani

Image : Nikhil Pires

Décors :Sunil Thale

Animation : Karan Taley

Son : Gunavardhan Balu

Musique : Mantra Patel

Montage : Nikhil Vaishnav, Apoorv Kholi

Interprétation : Uday Chandra, Azhar Khan, Sashi Ranjan, Aayush Kumar, Upadhyay

Production : Whistling Wood Internationals, Akash Nayak

Article associé : la critique du film

M comme Maria Schneider, 1983

Synopsis : En 1983, Maria Schneider donne une interview pour l’émission de télévision Cinéma Cinémas. La conversation prend une tournure inattendue lorsque l’actrice conteste les pratiques de l’industrie cinématographique et qu’on lui demande de parler du film controversé Le Dernier Tango à Paris (1972).

Durée : 24′

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Elisabeth Subrin

Interprétation : Aïssa Maïga, Manal Issa, Isabel Sandoval

Son : Nassim El Mounabbih, Lucien Richardson, Abigail Savage

Montage : Jenn Ruff

Image : Pascale Marin

Production : 5 à 7 Films

Article associé : la critique du film

Maria Schneider, 1983 de Elisabeth Subrin

Répétitions, variations et sensations

Cinéaste, plasticienne, théoricienne universitaire, blogueuse, Elisabeth Subrin utilise tous les supports pour mener à bien sa lutte militante.

Grande féministe et fervante du court-métrage expérimental, la réalisatrice de Brooklyn voue son travail à dénoncer le machisme et ses répercussions sur les femmes. Le sort réservé aux actrices – dans leur carrière comme dans leur vie privée – est le reflet du misogynisme ambiant dans notre société patriarcale et la réalisatrice aborde ce sujet dans son dernier long-métrage A woman, a part comme dans son blog “Who care about actress ?” – et surtout dans son dernier court-métrage, César du Meilleur court-métrage documentaire 2023, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs 2022.

En retravaillant la matière d’une interview menée dans les années 80 avec l’actrice Maria Schneider, elle mêle invention formelle et activisme féministe. Dans un entretien donné pour le journal télévisé “Cinéma Cinémas” en 1983, onze ans après la sortie du film traumatique Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci où Marlon Brandon, son équipier de plateau, simule une scène de viol sans prévenir l’actrice, la jeune actrice s’exprime sur le métier d’actrice. Le film la poursuivra toute sa carrière pour la violence de cette scène, créant un trouble inconsolable. Elisabeth Subrin se saisit de ce destin de femme brisée par le fonctionnement machiste du cinéma français. Dans son court-métrage, sobrement appelé comme l’entretien de l’époque Maria Schneider, 1983, trois actrices jouent tour à tour les réponses de la jeune femme. Elles évoquent le métier d’actrice, la domination masculine du milieu cinématographique, leur refus de parler du Dernier Tango. Vient enfin la terrible question de la journaliste – “Tu n’es pas capable de faire la part entre la force du film et ce que tu as vécu toi ?” – à laquelle la force de vie et l’amour de jouer de Maria Schneider répond avec ferveur.

Mana Issa, Aïssa Maïga, Isabel Sandoval revêtent chacune à leur tour le rôle de Maria Schneider. Elles endossent son costume éclatant, ses boucles, son rouge à lèvre, sa montre devant un miroir d’une brasserie parisienne ; elles portent aussi ses fêlures d’actrice. Répétée par trois fois, la scène prend en épaisseur. A chaque interprétation apparaissent les gestes, les intonations, les regards de Maria Schneider et donnent ainsi plus d’intensité au film. Comme son reflet dans le miroir, la jeune femme se dédouble : elle est personnage d’un court-métrage, icône féministe mais surtout rôle interprété par des actrices.

Le film, d’une nécessité triste aujourd’hui – parce que les mots des années 80 résonnent aux années 2020 – est d’une terrible efficacité : par ce dédoublement, il nous fait ressentir que les actrices sont toujours concernées par la mainmise des hommes – blancs et cisgenres – sur le cinéma. Le propos théorique d’un tel dispositif est évidemment passionnant, il est surtout là à double tranchant. Dans la bouche d’actrices contemporaines, la complainte de Maria Schneider effraye sur la situation du cinéma d’aujourd’hui. Bien sûr, les actrices jouent un rôle et pourrait-on dire “rien n’est vrai” dans ce qu’elles racontent puisqu’elles récitent. Pourtant, le film détourne ce simple axiome sur le jeu d’acteur.ice : en récitant, en imitant geste pour geste, les comédiennes s’approprient le texte. Il devient le leur et on est à peine surpris que Maria Schneider soit une femme noire ou une femme transgenre. Un mot change et le discours devient celui de Mana Issa, Aïssa Maïga ou Isabel Sandoval. Les mots ne sont pas les seules preuves de cette appropriation. Une pause plus ou moins longue dans le discours, un regard qui s’échappe, un rire plus ou moins doux, ainsi mis à plat et répétés, les gestes des actrices sont rendus plus visibles et arrivent à notre sensibilité avec authenticité. Qu’est-ce que le jeu d’acteur.ice ? Qu’est-ce qui vient d’elles ? Qu’est-ce qui appartient à Maria Schneider dans leur interprétation ? C’est la magie du cinéma que le texte récité devienne parole de vérité. En changeant un petit mot, en s’appropriant son texte comme ses gestes, les actrices et la réalisatrice lui rendent hommage. Parce que Maria Schneider est un martyr du cinéma, trop méconnu et qui a mené sa vie courageusement, le film fait de ses spectateur.ice.s les témoins de sa fragilité comme de sa force.

Agathe Arnaud

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Spring Roll Dream de Mai Vu

Présenté en troisième séance de La Cinef, lanimation en stop motion de Mai Vu Spring Roll Dream est aussi intéressante dans le fond que dans la forme. Ce film aborde dune manière drôle et tendre les problèmes dacculturation, de transmission et dhéritage culturel. 

La réalisatrice nen est pas à son coup dessai. Actuellement étudiante à la NFTS (National Film and Television School) de Londres, où elle a réalisé ce film, elle a travaillé pendant 5 ans sur des séries vietnamiennes pour enfants, également réalisées en stop-motion. Elle serait dailleurs reconnue comme lune des meilleures artistes de cette technique au Vietnam. Elle a également signé de très très courts formats personnels, de moins dune minute, accessibles en ligne, qui attestent déjà de sa maîtrise technique, et dune narration aussi fantastique et burlesque, que lon retrouve dans ce nouveau film de 9 minutes. 

Dans Spring Roll Dream, la nourriture file toute lallégorie des différences, des incompréhensions et des craintes au sein dun groupe familial réunissant trois générations. Une femme dorigine vietnamienne sest installée à San Francisco où elle vit maintenant avec son petit garçon. Elle reçoit son père qui vit toujours au Vietnam et qui vient passer quelques jours avec eux. Tout juste débarqué de laéroport, le grand-père se met en cuisine pour préparer des rouleaux de printemps épicés. Un poulet cru est également stocké dans le frigo. Salade, crevette, poulet frais… des aliments qui ont l’air bien plus alléchants et sains que les Mac&Cheese industriels prévus pour le dîner. Mais la mère semble faire un déni total de la nourriture traditionnelle de son pays dorigine qui apparemment ne peut pas franchir la porte de son foyer californien. Tout comme elle privilégie langlais au vietnamien pour répondre à son père. Cest finalement lenfant qui curieux et avide de découvertes arrivera à réconcilier ses aînés.

Par une approche utopiste, éléments surnaturels (comme les pattes de poulets qui courent partout dans la maison), mêlés à des rêves et des flash-back sur lenfance de la mère, Mai Vu montre à la fois la difficulté de sintégrer à une culture secondaire tout en conservant une attache profonde à sa culture primaire. La nourriture est le parfait référentiel pour démontrer la violence de lacculturation, et le fait que cela complique souvent les interactions entre deux générations. Cependant, les scènes nous arrachent souvent quelques sourires, et cest cela quon aime bien dans son film : cest léger tout en parlant dun sujet qui ne l’est pas.

Anne-Sophie Bertrand

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S comme Spring Roll Dream

Fiche technique

Synopsis : Le pèrex de Linh lui rend visite en Amérique. Son entêtement à préparer un plat traditionnel vietnamien pour la famille, donne au dîner un tout autre sens : Linh doit se confronter à son passé et sa culture.

Genre : Animation

Année : 2022

Durée : 9′

Pays : Royaume-Uni

Réalisation : Mai Vu

Scénario, dialogue : Chloe White

Image : Martyna Jakimowska

Décors : Nathalie Carraro

Son : Carlos San Juan Juanchi

Musique : Sam Rapley

Montage : Mira Thu

Interprétation : Bai Binh Bui, Elyse Dinh, Jarlan Bogolubov

Production : National Film And Television School

Article associé : la critique du film

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Les courts primés à la Semaine de la Critique 2022

Premier palmarès cannois. Le Jury (Kaouther Ben Hania, Ariane Labed, Benedikt Erlingsson, María Zamora et Huh Moon yung) et les partenaires de la Semaine de la Critique  ont annoncé ce mercredi 25 mai les films primés dans la section parallèle de Cannes.

Côté courts, le Prix Découverte Leitz Cine du court métrage a été attribué au film d’animation portugais The Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France).

Le Prix Canal+ du court métrage




, quant à lui, a été attribué à On Xerxes’ Thron de Evi Kalogiropoulou (Grèce).

A Format Court, on a eu une bonne intuition puisque les deux films ont fait l’objet de critiques sur notre site.

P comme Potemkinistii

Fiche technique

Synopsis : En 1905, les marins du cuirassé Potemkine obtiennent l’asile politique en Roumanie – un acte de défi contre la Russie. En 2021, un sculpteur veut créer une œuvre d’art inspirée de cet événement.

Genre : Fiction

Pays : Roumanie

Durée : 18′

Année : 2022

Réalisation : Radu Jude

Scénario : Radu Jude

Image : Marius Panduru

Montage : Catalin Cristutiu

Son : Titi Fleancu

Interprétation : Alexandru Dabija et Cristina Draghici

Production : Micro Film

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Potemkinistii de Radu Jude

Radu Jude accompagne aujourd’hui la première mondiale de son dernier court métrage, The Potemkinists (Potemkinistii), à la Quinzaine des Réalisateurs. Le cinéaste roumain n’était pas revenu au Festival de Cannes depuis 2014, alors que son dernier long métrage, Bad Luck Banging or Loony Porn, a été sélectionné en compétition à la Berlinale en 2021 – où il a reçu l’Ours d’or – et que son court métrage Plastic Semiotic a été présenté en hors compétition à la Mostra de Venise, toujours en 2021.

The Potemkinists est entièrement construit autour d’un fascinant dialogue entre un homme et une femme, une conversation entre un sculpteur et une représentante du Ministère de la culture, un débat entre l’art et la politique. La très forte caractérisation des personnages fait d’eux des types sociaux, porteurs d’idées différentes qui cohabitent dans la société roumaine, à l’instar des personnages de la longue dernière séquence de Bad Luck Banging or Loony Porn.

Le film s’ouvre sur des images qu’on croirait issues d’une campagne publicitaire : fleurs aux teintes rehaussées, lumière accentuée par la surexposition et couleurs de carte postale. Mais ce qu’on entend détonne avec ce qu’on voit : sur ces images de fleurs, un homme raconte l’histoire des marin du cuirassé Potemkine. Après leur révolte, les marins du cuirassé ont demandé l’asile politique au roi de Roumanie, qui choisit de leur accorder en signe de défiance vis-à-vis du tsar.

Les deux personnages entament une ascension au sommet d’une colline où se dresse un immense monument en forme d’aile déployée. Ici encore le paysage de publicité est perturbé par la présence de l’imposante sculpture grise. Celle-ci est la métaphore de la mémoire du communisme : un encombrant bloc de béton au milieu de la verte clarté du paysage. Ce monument, le sculpteur voudrait le remplacer par un hommage aux marins de Potemkine, en prévision du 120e anniversaire de l’arrivée de ces derniers en Roumanie, en 2025. Il veut bâtir une immense statue qui s’inspire de la séquence des escaliers d’Odessa du film que le cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein a consacré à la révolte du cuirassé Potemkine.

À travers la statuaire et l’architecture, Radu Jude poursuit son travail autour du rôle des œuvres d’art dans la construction de la mémoire historique. Dans Peu importe si l’histoire nous considère comme des barbares, il s’intéressait à la reconstitution d’un événement historique et de la valeur de celle-ci dans la société contemporaine. Dans The Potemkinists, il offre une perspective roumaine au débat sur les statues qui anime le monde entier. La représentante du Ministère ne veut pas que la sculpture soit vue comme un éloge du communisme et comme un affront aux prisonniers politiques du régime de Ceausescu. Le sculpteur répond qu’il faut retenir du communisme la valeur universelle, l’idéalisme des marins qui s’opposaient à la violence du régime tsariste. Il explique qu’on ne doit pas construire des statues en hommage aux dirigeants communistes mais qu’on peut construire des statues en hommage aux artistes et aux idées qu’ils portaient – et qui ont eux aussi souffert du stalinisme. Par le dialogue entre ses personnages, Radu Jude questionne ce qu’il faut retenir de l’histoire : les idées ou bien les faits ? Mais est-il possible de retenir les idéaux sans considérer leurs conséquences ? Le cinéma de Jude est un cinéma de questions : la confrontation de personnages sûrs de ce qu’ils pensent ne peut nous amener qu’à interroger nos certitudes.

Une phrase du sculpteur donne une résonance particulière à son projet, et au film. Le personnage explique vouloir faire de l’apologie de l’accueil des marins un « poing dans la gueule de la Russie », « à l’heure où tout le monde s*** la b*** de Poutine » ajoute-t-il. Il fait alors référence à l’arrestation de Roman Protassevitch, journaliste biélorusse et opposant au régime de Loukachenko, allié de Poutine. Le 23 mai 2021, celui-ci a été arrêté par les autorités biélorusses après le détournement, sur ordre du gouvernement, de l’avion dans lequel il se trouvait. C’est pourquoi la date de tournage du film – juin 2021 – est précisée aux côtés du titre. Ce détail ancre le film dans une actualité brûlante et confère à l’œuvre de Radu Jude une force de protestation. Le film trouve une résonance d’autant plus forte depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier.

Il y a un fantôme dans le film de Radu Jude : celui de Sergueï Eisenstein, le réalisateur du Cuirassé Potemkine, l’un des grands maîtres de l’histoire du cinéma. Le personnage du sculpteur explique que l’épisode de l’asile accordé par le roi de Roumanie n’apparaît pas dans le film et qu’Eisenstein a fait le choix de la propagande en mettant l’accent sur le combat des marins et sur leur révolution manquée. Radu Jude ne fait pas simplement référence au film d’Eisenstein, il en réutilise des images à plusieurs reprises. Il s’amuse à en réemployer les images les plus iconiques, à l’instar de la séquence des escaliers d’Odessa. De la même manière qu’il retravaille l’histoire de son pays – dont l’écriture a été entravée par des années de dictature – il façonne une histoire du cinéma. Si Radu Jude se montre critique sur l’usage de l’image à des fins idéologiques, il rend hommage au film du réalisateur soviétique. Loin de désavouer les images d’Eisenstein, il les fragmente, il les déleste du poids de la propagande pour en souligner la beauté et la force.

Si toute image est porteuse d’une idée, le rôle que se donne le cinéaste n’est jamais de la contester mais de la faire cohabiter et dialoguer avec d’autres, qu’importent le grotesque ou le ridicule qu’elles portent, puisqu’elles ont aussi des idéaux et des valeurs. C’est là que réside le cinéma politique de Radu Jude.

Paul Lhiabastres

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Les Humains sont cons quand ils s’empilent de Laurène Fernandez

Sélectionné à la Cinef (ex-Cinéfondation), Laurène Fernandez signe son premier court-métrage Les Humains sont cons quand ils s’empilent. Son film est produit par la CinéFabrique, une école basée à Lyon, dont un ancien court Mano a Mano, réalisé par Louise Courvoisier, avait remporté le premier prix de la Cinéfondation en 2019. Datant de 2022, Les Humains sont cons quand ils s’empilent est une animation simple et efficace, de quatre minutes seulement. Elle offre un aperçu du quotidien exaspérant des habitants d’un immeuble, forcés de subir le vacarme de leurs voisins.

A travers de véridiques témoignages et des voix d’origine, la cinéaste tourne en dérision les absurdes conséquences de la vie en communauté. Entre les passages incessants de l’aspirateur, les tapages redondants du marteau-piqueur ou encore les rires hystériques, voici les inconvénients d’un édifice aux murs de papier. La réalisation originale et amusante immerge le spectateur dans des querelles de voisinages anodines. Qui n’a jamais été dérangé par l’intrusion sonore de ses voisins de palier ?

L’animation en stop motion des personnages de laine ajoute à la situation davantage d’ironie à leurs réactions et leurs expressions corporelles, face aux énièmes raffuts abrutissants, le tout accompagné d’une musique comique. Les décors simplifiés permettent une mise en situation du contexte rapide et percutante pour le spectateur, qui se retrouve à son tour plongé dans le HLM extrêmement bruyant. La drôlerie est poussée à son paroxysme lorsque les habitants entrent dans une folle fureur jusqu’à commettre un homicide avant d’en rire. Au climax de la fiction, la dernière phrase fait sens, en référence au titre osé : cette démence serait-elle donc le reflet de notre société ?

Dans ce très court-métrage, Laurène Fernandez met en scène avec humour et subtilité une situation banale et connue de tous, à travers une intrigue épurée. Le parti pris de la stop motion et l’originalité du sujet confèrent au film des qualités techniques et esthétiques. Peut-être un nouveau prix en vue du côté de la Cinef…

Mathilde Semont

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L comme les humains sont cons quand ils s’empilent

Fiche technique

Synopsis : Enfermés chacun dans leur appartements, des voisins racontent à la caméra des petits tracas de la vie en communauté. Petit à petit, quand tout s’empile, il y a de quoi devenir fou.

Genre : Fiction

Durée : 4′

Pays : France

Réalisation : Laurène Fernandez

Scénario : Loriane Arribas

Image : Margot Cavret

Décors : Kim Fino, Quentin Billet-Garin, Adèle Cardoner, Fanette Richet, Ophélie Adzic, Keywa Henri, Louis Pignol-Cattelat, Lucille Rochat, Coline Vernon

Animation : Marilou Renault-Carraro, Emma Lafarge, Iana Sanson, Milena Buisson,

Son : Augustin Bourget, Maëlle Page, Tiphaine Depret

Musique :

Montage : Loup Dufresne, Magali Todeschi

Production : CINEFABRIQUE, Agathe Chevrier

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On Xerxe’s Throne de Evi Kalogiropoulou

Sensualité réprimée à la Semaine de la Critique

Dans un chantier naval grec, les ouvriers travaillent sous la chaleur ardente du soleil méditerranéen. Dans ce décor qui semble coupé du monde, ils vaquent et n’ont d’autres vocations que celle de travailler aux bateaux, de grands yachts d’un blanc étincelant et d’un silence déserté. Une règle prime sur toutes les autres, l’interdiction de toucher les autres. Les corps ne cessent de se regarder et de s’approcher mais ne se touchent jamais.

Dans cet essai poético-politique, la réalisatrice grecque Evi Kalogiropoulou signe un film surprenant en compétition à la Semaine de la Critique cette année. On Xerxes’ Throne est rempli de rêves d’ailleurs, d’envies de sensations : les corps sont sublimés, perlant de sueur, lissés par le grain de l’image. Les décors sont magnifiés par des couleurs chaudes, des jeux d’ombre et une profondeur de champs saisissante. Dans ce décor dystopique, l’homme est réprimé par l’interdiction de toute sensualité.

Le court-métrage est un semblant de science-fiction qui ressemble pourtant à n’importe quel chantier naval. Mais les notions de temps et de lieux sont abolis ne laissant place qu’à un asservissement depuis longtemps oublié. Quelques drones survolent le lieu, seuls preuves d’un monde extérieur, et dominent la scène. Panopticon du monde moderne, ces petits engins volants portent leur regard inquisiteur sur les travailleurs. Surveillés et réprimés, privés de leur droit à toucher les autres, ils sont vidés de leur condition humaine et limités à leur seule valeur laborante. C’est par l’aliénation des corps que gagne le grand capital – sans doute, les textes de Foucault et Marx se lisent entre les lignes de ce court-métrage plein de sensualité. Les corps sont compartimentés, séparés, dissociés et l’aliénation des ouvriers depuis longtemps assimilée.

Les travailleurs errent dans les chantiers navals comme des âmes en peine. Certes, la règle est esquivée et les ouvriers trouvent des substituts au contact humain : ils contemplent, écoutent, remplacent le corps par des substrats artificiels mais toujours règne le pouvoir du contrôle des corps. L’élément perturbateur dans ce petit équilibre libéral saura défaire des hommes l’aliénation de leurs corps. Un couple arrive et leur beauté éveille le chantier. Comment ne pas penser à Beau travail de Claire Denis – le couple a la beauté sensuel de Sentain et le contremaître la fureur de Galoup ? C’est par la reconquête du toucher et de la tendresse que l’être humain peut se libérer de sa condition aliénée par le capital et c’est bien ce que propose le film de Evi Kalogiropoulou. Le souverain Xerxes, au loin, depuis son trône, observe ses navires mourir et, impuissant mais sauf, assiste à sa défaite.

Agathe Arnaud

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X comme on Xerxes’ Throne

Fiche technique

Synopsis : Un lieu de travail dystopique au chantier naval de Perama. L’interdiction du contact physique a transformé les interactions humaines en simulations d’un autre monde. La suppression du toucher a aliéné la communication des travailleurs, transformant le chantier naval en un paysage chargé d’aliénation et de sensualité réprimée au-delà des désirs hétéro-normatifs stéréotypés. Selon la légende locale, le roi perse Xerxès a assisté à la défaite écrasante de sa flotte depuis son trône dans l’actuelle Perama.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Grèce

Réalisation : Evi Kalogiropoulou

Scénario : Yorgos Teltzidis

Image : Evan Maragkoudakis

Montage : Yorgos Zafiris

Son : Leandros Ntounis, Dimitris Demoirakos

Décors : Evelina Darzenta, Anna Zotou

Musique : Kid Moxie

Interprétation : Yorgos Mazonakis, Angela Brousko, Myrto Kontoni, Xenia Dania, Lorenzo Sarjan, Kevin Zans Ansong, Jordan Genidogan, Vassilis Koutsogiannis

Production : Neda Film For Onassis Culture

Article associé : la critique du film