Un monde de Laura Wandel

En mai 2021, le premier long-métrage de Laura Wandel Un monde, était sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard du Festival de Cannes où il a remporté le prix de la presse, Fipresci. Si juste et percutant sur le thème du harcèlement en milieu scolaire, le film est sorti en DVD chez M6 Vidéo. Nous vous en offrons plusieurs exemplaires permettant un (re)visionnage plus que pertinent sur ce phénomène trop courant dans les écoles. Un monde constitue une véritable immersion dans la vie scolaire à travers le point de vue d’une petite fille en classe de CP qui assiste au harcèlement de son grand frère.

Nora fait sa rentrée en primaire. L’adaptation dans un nouvel établissement est difficile pour la jeune enfant qui tente de trouver refuge auprès de son frère, Abel, lors la cours de récréation. Ce dernier est cependant déjà occupé, avec des camarades, à tourmenter d’autres enfants. Alors que le garçon tente d’éloigner sa sœur de la scène violente, celle-ci devient une cible facile pour les oppresseurs. Abel s’oppose à ces derniers pour défendre sa sœur et devient alors la victime d’un harcèlement à la fois physique et moral. Il demande à Nora de ne pas en parler, de peur de voir sa situation empirer.

La réalisatrice belge parvient brillamment à nous immerger dans l’univers scolaire avec une dimension extrêmement réaliste. Sans jamais quitter l’enceinte de l’école, la caméra suit Nora à travers de longs plans-séquences tournés en caméra portée. Avec très peu de ruptures, on a le sentiment de (re)vivre avec elle l’adaptation en communauté. Le cadre du plan est généralement à la hauteur de Nora. Les adultes, dont les visages ne rentrent pas dans le cadre à moins qu’ils ne se baissent à hauteur de l’enfant, ne sont alors plus que des corps dont les voix résonnent, aveugles face au harcèlement et déconnectés de la réalité. Ils n’appartiennent pas au « monde » de Nora et des autres enfants, contrairement à nous, spectateurs, qui sommes plongés dedans. Les détails de la vie quotidienne scolaire sont frappant de réalisme, on ressent à nouveau l’angoisse de marcher en équilibre sur une poutre en cours de gymnastique, on redécouvre la fierté d’apprendre à faire ses lacets, et on se remémore ces moment passés dans la piscine à battre des pieds dans l’eau.

C’est à travers ce cadre très réaliste, centré uniquement sur les enfants, que Laura Wandel filme le processus du harcèlement de Abel. Elle montre la naissance même du harcèlement de ce dernier, lorsqu’il défend sa sœur et se retrouve alors décrédibiliser de sa position dominante, puis la manière dont le rejet et la violence subie peut l’amener à devenir lui-même agressif. La réalisatrice révèle ainsi un cycle de violence qui semble inarrêtable.

La violence du harcèlement paraît d’autant plus cruel alors qu’on y assiste à travers le point de vue de la petite sœur de la victime. Celle-ci découvre à peine la vie en communauté et se retrouve confrontée à des responsabilités et dilemmes : en parler à leur père au risque de voir la situation empirer ? Comment réagir tandis que, touchée par la mauvaise réputation de son frère, elle commence elle-même à subir le rejet de ses amies  ? Nora traversera différentes phases à travers la peur, la haine et la compassion. A travers l’exploration des problématiques liées à harcèlement, Laura Wandel évoque également un âge où l’on se construit, passant par la découverte de soi et des autres.

Laura Wandel ne choisit pas la facilité en prenant des enfants comme sujet. Premièrement, on sait à quel point il peut être difficile de diriger des enfants. Pourtant, elle le fait avec brio, la mise en scène fonctionne parfaitement, et les jeunes acteurs, Maya Wanderberque et Gunter Duret, dégagent une grande intensité de jeu. Ensuite, il n’est pas aisé de réaliser un drame à travers uniquement le point de vue d’enfants, cela n’empêche pas la réalisatrice de créer des portraits de personnages complexes et subtils évoluant au fil du film.

Jurée à la Cinef cette année, Laura Wandel avait déjà mis un pied à Cannes en 2014 avec son court-métrage Les corps étrangers, sélectionné en compétition officielle. Elle avait présenté le récit d’un photographe de guerre amputé de sa jambe, confronté au regard des autres, dont le kiné l’aidera à s’adapter à nouveau à son corps dans une piscine où il poursuivra sa rééducation.

On retrouve le cinéma emprunt de réalisme de la réalisatrice, qui utilisait déjà des procédés filmiques tels que les longs plans-séquences ou des gros plans centrés sur le protagoniste et laissant très peu de place au décor. Tout comme dans Un monde, la réalisatrice n’utilise aucune musique, préférant se reposer uniquement sur les bruits d’ambiance. Dans le long-métrage, les chahuts des élèves résonnaient terriblement, renforçant encore l’immersion dans l’univers scolaire. Ici, le court-métrage est bien plus calme avec parfois même quelques longueurs dans le rythme.

Dans les deux films, la piscine semble être un espace ou le.a protagoniste se dépense, peut-être extériorise sa frustration, et trouve refuge sous l’eau, pour que tout devienne justement silencieux.

Laura Wandel explorait déjà la question du regard de l’autre sur soi, en 2014. Un regard qui se rapporte à la pitié ou la surprise dans Les corps étrangers, avec la difficulté de se confronter au regard des autres. Dans Un monde, Abel fait aussi l’expérience difficile d’être confronté au regard des autres enfants, en particulier à celui de sa sœur. Le garçon garde d’ailleurs les yeux rivés sur le sol, évitant les regards, dès lors que son harcèlement commence.

A travers des sujets différents, Laura Wandel parvient d’un court à un premier long à analyser les rapports humains avec énormément de justesse et pertinence. Son acuité et son regard sur le monde permettent à ses films de porter des réflexions sociales profondes. Une raison pour suivre avec attention l’actualité de son prochain long-métrage.

Laure Dion

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