Tous les articles par Katia Bayer

La Semaine de la Critique lance un nouveau programme NEXT STEP

La Semaine de la Critique lance Next Step, un nouveau programme conçu pour les 10 réalisateurs de courts métrages sélectionnés lors de sa 53e édition afin de les soutenir dans le passage au long métrage.

semaine de la critique-next

Conçu en collaboration du TorinoFilmLab et le soutien du CNC, de la CCAS et du Moulin d’Andé-CÉCI, ce programme consiste en un atelier de 5 jours qui aura lieu à Paris à l’automne 2014. L’objectif affiché de ce dispositif inédit est d’accompagner les 10 réalisateurs découverts par la Semaine de la Critique dans la génèse du projet de premier long métrage qu’ils souhaitent réaliser. Lors de cet atelier, les 10 cinéastes auront l’occasion de discuter de leur projet avec des experts et tuteurs internationaux afin d’être conseillés sur leur choix de premier long métrage, de confronter leur idée de scénario à la réalité du marché et de définir la stratégie de développement adaptée à leur projet. A l’issue de cet atelier de pré-écriture, le Moulin d’Andé-CÉCI proposera une résidence d’écriture de 1 mois à l’un des 10 cinéastes.

Sélectionnés chaque année parmi plus de 1 700 courts métrages soumis à la Semaine de la Critique, les 10 jeunes réalisateurs bénéficieront ainsi d’un soutien au delà de l’exposition de leur film à Cannes. La Semaine de la Critique réaffirme son positionnement de découverte de nouveaux talents en proposant aux jeunes cinéastes de sa sélection un accompagnement personnalisé dont l’originalité consiste à placer le cinéaste et la mise-en-scène au cœur de la réflexion du développement d’un premier long métrage.

Depuis plus de 50 ans, la section parallèle du festival de Cannes consacrée à l’émergence de nouveaux auteurs réserve une place et une attention particulière au format court qui lui a permis de révéler des cinéastes comme Andrea Arnold, François Ozon, Gaspar Noé ou plus récemment Justin Kurzel (sélectionné ensuite 2011 avec son long métrage Snowtown), Juliana Rojas (sélectionné ensuite à Un certain Regard avec Travailler fatigue en 2011) ou Claire Burger et Marie Amachoukeli (dont le premier long métrage Party Girl a ouvert Un Certain Regard lors de cette édition 2014).

Tarkovsky’s House de Christos Palamidis

Expérimental, 4’33 », 2008, Grèce

Synopsis : Court métrage dédié au grand réalisateur russe Andrei Tarkovsky. Un travelling à travers un espace virtuel, où toutes les images sont issues des films de Tarkovsky.

Ce film-hommage digne de Tarkovsky lui-même, construit une nouvelle narration à partir d’images récupérées de la courte mais puissante filmographie du grand maître. Bien loin du pastiche, le film revisite son univers singulier, à la lisière du psychologique et du mystique, et le transpose à une autre réalité.

Adi Chesson

Skunk d’Annie Silverstein

« Skunk » est un court métrage de fin d’études écrit et réalisé par Annie Silverstein de l’université d’Austin au Texas, présenté à la Cinéfondation, section compétitive du festival de Cannes qui regroupe des films issus de différentes écoles de cinéma à travers le monde. Le film introduit Leila, adolescente dont les principales interactions dans sa banlieue du Texas semblent se passer avec ses chiens. Après que l’un d’entre eux ait tué un putois (« skunk » en anglais), Leila, qui se dirige vers la rivière pour le laver, rencontre Marco.

Lorsque les choses dégénèrent et que Marco vole le chien de Leila pour le soumettre à des combats, cette dernière doit s’affirmer afin de défendre ce qui compte le plus pour elle. La narration explore des thèmes tels que les relations de pouvoirs, la sexualité et l’isolation. Les interprètes du film explorent ces questions avec justesse, n’ayant pourtant aucune expérience en tant qu’acteurs. Annie Silverstein, elle-même novice dans le monde du cinéma avant d’intégrer l’université d’Austin, a déclaré s’être appuyée sur ses expériences en tant qu’éducatrice auprès d’adolescents de milieu défavorisés. La performance de ses acteurs, elle l’a voulue spontanée, naturelle, reflétant une démarche proche du cinéma documentaire.

563715_510650862325526_420653912_n

Dans « Skunk », Leila est une outsider isolée, effleurée par cette possibilité avortée de s’intégrer à un groupe de jeunes de son âge, et confrontée à la violence des rapports de force qui s’y jouent. À part une courte apparition de la mère de la jeune fille, les adultes sont absents du film et les échanges sont réduits à quelques mots, à des regards, des caresses, des moqueries puis des insultes. Ces éléments permettent de mieux montrer les relations en place dans cette petite ville où les personnages oscillent entre séduction et rejet. Le film dresse le portrait d’une adolescence complexe où la recherche d’une identité génère des attitudes parfois cruelles.

« Skunk » est filmé en décor naturel avec des personnages dénués de romantisme et d’artifices, sublimés par l’utilisation habile de la lumière naturelle qui éclaire le visage tantôt angélique tantôt impassible de son héroïne. La singularité du film tient à cette esthétique naturaliste ainsi qu’à cette identité provinciale que l’on retrouve dans les films situés dans les villes périphériques de classes moyennes. Ces éléments s’inscrivent dans un dynamisme cinématographique du Sud américain, avec en son cœur Austin, Texas : son festival (Austin Film Festival), qui met à l’honneur les scénaristes et la qualité de l’écriture, ses studios, et les producteurs des films de Jeff Nichols et de Terence Malick.

skunk2

On retrouve par exemple dans « Skunk » l’univers du magnifique « Shotgun Stories » de Jeff Nichols, où la désolation du lieu et la violence des personnages trouvent un contre-pied dans la beauté simple d’une vérité exposée avec un réalisme cru. La caméra, quant à elle, est bancale, suivant les personnages dans leurs déplacements tantôt hésitants tantôt francs et nerveux, souvent au plus proche d’eux, comme pour mieux capturer leurs émotions.

« Skunk » évoque les difficultés de l’adolescence mais aussi l’isolation propre à un certain milieu rural, et n’est pas sans rappeler un autre court métrage américain, « Going South » de Jefferson Moneo, qui avait été présenté dans la même section compétitive lors du festival de Cannes 2013, et dans lequel une jeune femme élevée dans un ranch des grandes plaines poursuivait ses rêves d’ailleurs. À suivre de près, ces étudiants s’inscrivent avec brio dans la lignée de grands réalisateurs du cinéma indépendant américain et de ses histoires douces-amères d’une nation délaissée, qui dépeint un environnement parfois austère où la nature et les grands espaces écrasent et absorbent les hommes.

Agathe Demanneville

Consultez la fiche technique du film

Pour information, « Skunk » est projeté dans le programme 1 de la Cinéfondation, le mercredi 21 mai à 11h, à la Salle Buñuel

S comme Skunk

Fiche technique

Synopsis : Élevée par une mère célibataire dans une région rurale isolée du Texas, c’est avec les chiens qu’elle a recueillis que Leila, 14 ans, communique le mieux. Quand un dresseur de chiens de combat en herbe lui vole son pit-bull bien-aimé, Leila n’a d’autre choix que de se défendre, au prix de son innocence.

Genre : Fiction

Durée : 16’

Pays : Etats-Unis

Année : 2014

Réalisation : Annie Silverstein

Scénario : Annie Silverstein

Image : Nathan Duncan

Montage : Josh Melrod

Musique : William Ryan Fritch

Interprétation : Jenivieve Nugent, Kiowa Tucker, Heather Kafka, Sam Stinson

Production : Monique Walton

Ecole : Columbia University (Etats-Unis)

Article associé : la critique du film

Guy Moquet de Demis Herenger

Difficile de ne pas remarquer le formidable « Guy Moquet » parmi les pâles courts sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs cette année. Avec cette histoire d’amour, de fierté et de jugement entre des jeunes Noirs de banlieue, Demis Herenger se singularise et nous offre un pur moment de cinéma.

guy-moquet4 La rumeur se propage vite dans la cité. Guy Moquet alias Guimo alias Guim’s souhaite emballer Ticky devant tout le quartier. Seulement, la technique, ça compte et tout le monde ne désire pas voir cette idée se concrétiser.

Peut-on aimer librement quand on vit en banlieue ? A-t-on le droit d’y avoir des rêves et de se construire ses propres films ? Est-ce aisé de faire exister son individualité au sein du groupe ?

Demis Herenger soulève ces questions avec son film tourné à Grenoble dans un quartier mixte, La Villeneuve. Sur ce projet, il convie romantisme, cinéma, spontanéité des comédiens (non professionnels) et intelligence du scénario.

guy-moquet1

Le pote qui n’embrasse pas avec la langue, les copines qui se projettent dans cette histoire, le quartier qui se réveille, les opinions formulées par chacun… : le film fait mouche à chaque plan. « Guy Moquet » dure 32 minutes et une fois de plus, le format du moyen métrage fait ses preuves pour installer et développer un univers, une histoire et des personnages.

L’intrigue du film est finalement assez simple : un gars cherche à impressionner une fille en public et à aller au bout de son rêve, celle-ci est tiraillée entre son attirance et sa réputation.

Seulement, « Guy Moquet » va plus loin. Il évite en premier lieu les clichés fréquents associés à la banlieue. Ensuite, il capte l’attention par la solide énergie qui s’en dégage et par l’interprétation sans failles de ses jeunes comédiens, à commencer par les deux personnages principaux, Teddy Lukunku (Guy Moquet) et Samrah Botsy (Ticky).

guy-moquet3

Face à l’humour, à la difficile expression de soi, à la question du jugement et au désir de cinéma (omniprésent dans ce film), « Guy Moquet » fait penser à deux films de qualité tournés en banlieue : « Fais croquer » de Yassine Qnia et « Bande de filles » de Céline Sciamma, proposé il y a quelques jours en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs.

Malgré ces rapprochements, « Guy Moquet » cultive ses propres qualités. Touchant, gracieux, drôle et spontané, il prend le temps de nous parler de soi, de la société du romantisme, de la liberté et du regard de l’autre. Justesse et poésie, un cocktail agréable à Cannes.

Katia Bayer

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Demis Herenger

G comme Guy Moquet

Fiche technique

guy-moquet2

Synopsis : Guy Moquet ou Guimo ou Guim’s a promis à Ticky de l’embrasser au crépuscule en plein milieu du quartier devant tout le monde. Peut-être pas si fou… mais peut-être pas si simple.

Genre : Fiction

Durée : 32’

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Demis Herenger

Scénario : Demis Herenger

Image : Julien Perrin, Renaud Hauray

Son : Samuel Ripault

Montage : Demis Herenger

Musique : Stéphane Damiano

Interprétation : Teddy Lukunku, Samrah Botsy, Eric Botsy

Production : Baldanders Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Demis Herenger

Bourse Auteur de film d’animation (30 000€) de la Fondation Jean-Luc Lagardère

VOUS ÊTES UN JEUNE AUTEUR DE 30 ANS AU PLUS, ayant déjà réalisé un film d’animation à titre professionnel ou dans le cadre de vos études, vous avez un projet de court-métrage ou souhaitez réaliser le pilote d’un long-métrage ou d’une série (que ce soit en 2D, 3D, en images de synthèse, avec des marionnettes…), votre projet est un film d’animation adapté à une diffusion pour la télévision ou le cinéma…

Postulez à la bourse Auteur de film d’animation de la Fondation Jean-Luc Lagardère. luc-lagarde2014-1

Attribuée par un jury prestigieux, cette bourse de 30 000 € permet chaque année à un jeune Auteur de moins de 30 ans de développer un projet de film d’animation, en France ou à l’étranger (court métrage, pilote d’un long métrage ou série).

Dépôt des candidatures avant le samedi 21 juin 2014

La Fondation accorde également des bourses dans les domaines suivants : Libraire, Écrivain, Auteur de documentaire, Producteur cinéma, Créateur numérique, Scénariste TV, Journaliste de presse écrite, Musicien, Photographe.

Modalités de candidature sur le site : www.fondation-jeanluclagardere.com

A comme Aïssa

Fiche technique

Synopsis : Aïssa est congolaise. Elle est en situation irrégulière sur le territoire français. Elle dit avoir moins de dix-huit ans, mais les autorités la croient majeure. Afin de déterminer si elle est expulsable, un médecin va examiner son anatomie.

Genre : Fiction

Durée : 8’

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Clément Tréhin-Lalanne

Scénario : Clément Tréhin-Lalanne

Image : Romain Le Bonniec

Montage : Mona-Lise Lanfant

Son : Gérard Mailleau

Interprétation : Manda Touré, Bernard Campan

Production : Takami Productions

Article associé : la critique du film

Aïssa de Clément Tréhin-Lalanne

Aïssa est une jeune fille congolaise en situation irrégulière. À partir de ce pitch du deuxième film de Clément Tréhin-Lalanne en compétition officielle au 67e Festival de Cannes, on imagine que l’on va encore avoir affaire à un énième film sur les sans-papiers. Pourtant, le point de vue du réalisateur est bien différent de ce que l’on a pu voir auparavant.

En 2008, le réalisateur réalise son premier film, « Lucien » (produit par Fulldawa Productions) qui sera projeté, entre autres, au festival Paris Cinéma. Il choisit déjà un prénom pour seul titre et laisse planer un certain mystère sur le sujet du film. Lucien, environ huit ans, rentre de l’école légèrement angoissé à l’idée de demander une simple signature à sa mère. Lorsqu’on découvre le comportement de ladite mère, on comprend aisément le désarroi du jeune garçon.

Tout comme « Aïssa » (produit par Takami), le film est court. Il dure sept minutes qui ne passent pas pour autant rapidement, bien au contraire. La force des deux films est de créer une atmosphère particulièrement tendue sans pour autant qu’il y ait une réelle violence des actes. De la même manière, son regard sur ses personnages principaux, aussi bien Lucien qu’Aïssa, est suffisamment aiguisé pour que nous nous mettions à leur place, dans des situations inconfortables.

Il aura fallu cinq ans à Clément Tréhin-Lalanne pour passer de nouveau derrière la caméra et nous offrir « Aïssa », un film court à nouveau (huit minutes), mais très efficace pour ne pas dire tranchant. Le réalisateur dit avoir réagi à un article lu dans le quotidien Rue 89 à propos de deux jeunes Congolaises ayant été examinées minutieusement par un médecin à la demande d’un officier de police pour déterminer leur âge réel. Cet âge réel, c’est celui qui permettra de décider de leur destin : se verront-elles accorder un titre de séjour ou bien seront-elles expulsées ? La violence de la situation se retrouve exactement dans le court-métrage de Clément Tréhin-Lalanne. À la différence de nombreux films sur le thème des sans-papiers où l’on voit des immigrés traqués et des forces de l’ordre agressives, ici, point de brutalité, mais une situation qui glace, celle de la visite médicale avec l’analyse détaillée de l’ossature et de l’anatomie d’Aïssa.

Dès le générique d’ouverture, la police anticipe le destin d’Aïssa : un cas supplémentaire parmi tant d’autres, un dossier juridique à traiter de la manière la plus détachée, un simple numéro. Puis, on découvre la nuque de la jeune fille. La caméra ne la quittera d’ailleurs plus jusqu’à la dernière image du film. On apprend qu’Aïssa a 17 ans, qu’elle termine un CAP d’esthéticienne et qu’elle est en pleine santé. Mais alors qu’a-t-elle fait de mal pour se retrouver là ? La voix off du médecin enregistrée sur son dictaphone décrit avec impassibilité les différentes parties du corps d’Aïssa, montrées ici de la manière la plus crue. La jeune fille est mise à nue, est apeurée devant cet examen froid et clinique.

Le rôle de « bête curieuse » étudiée sous tous les angles est campé par l’incroyable Manda Touré. Sans un mot, elle transmet une immense pudeur associée à de la frayeur. Le diagnostic du médecin vient ensuite clore le film avec la plus grande froideur. S’ensuit un cut qui laisse la gorge sèche, sans musique et sans compassion aucune. Clément Tréhin-Lalanne a encore une fois réussi à nous mettre mal à l’aise.

Camille Monin

Consulter la fiche technique du film

Master Class Ciné-Guinguette

Info cannoise. Des Master class dédiées à l’univers du cinéma sont organisées pendant le festival, en partenariat avec WeLoveWords et le Short Film Corner, sur la plage Ciné-Guinguette, située en face du Grand Hôtel.

cannes-2014

Des intervenants de M6 Films, Memento Films, Watchever, Studio Canal ou encore Under The Milky Way parleront de leur métier, de leur vision du marché et discuteront autour de thématiques aussi diverses que la production, l’exploitation ou l’avenir du cinéma à l’heure de a distribution numérique.

cannes 2

Ouvertes à tous, elles s’adressent particulièrement à la « jeune » génération de producteurs et de réalisateurs qui souhaitent par exemple passer au long métrage ou qui veulent en savoir plus sur ces sujets.

L’accès est gratuit. Tous les participants bénéficient d’un badge « Ciné Guinguette – Short Film Corner » qui permet d’accéder à la plage pendant tout le festival et de bénéficier de réductions sur les consommations.

C comme La Contre-allée

Fiche technique

Synopsis : Suzanne se prostitue depuis 15 ans. Elle a son bout de trottoir, ses habitués, sa liberté. Un jour, de jeunes prostituées africaines s’installent en périphérie. Suzanne est menacée.

Genre : Fiction

Durée : 28’50’’

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Cécile Ducrocq

Scénario : Cécile Ducrocq

Image : Martin Rit

Montage : Damien Maestraggi

Son : Francis Bernard

Décors : Jean-François Sturm

Musique : Sébastien Pouderoux

Interprétation : Laure Calamy

Production : Année Zéro Production

Articles associés : la critique du film, l’interview de Laure Calamy

La Contre-allée de Cécile Ducrocq

La Contre-allée, quatrième film écrit et réalisé par Cécile Ducrocq, est sélectionné à la 53e Semaine de la Critique et il y a des chances pour qu’il fasse parler de lui sur la Croisette cette année. En effet, rares sont les films qui ont traité de la prostitution sous cet angle.

la-contre-allee3

On a connu Cécile Ducrocq avec des films au ton plus doux, même s’ils traitaient déjà des désillusions face aux hommes. Petite contrariété d’abord, au niveau de l’amour, dans Tout le monde dit je t’aime où deux amies de 16 ans se demandent si le fait de dire « je t’aime » trop tôt, ne dévalorisait pas ce sentiment.

Désenchantement ensuite, face aux garçons dans Fille modèle où Marion, après avoir passé en cachette un concours de mannequins, se rendait compte bien malgré elle, que les garçons ne la voyaient plus comme une petite fille. Déception encore, cette fois face au père, dans Le pays qui n’existe pas où Jeanne, en week-end à Disneyland avec ses parents, découvrait que son père trompait sa mère.

Plusieurs désillusions qui permettent finalement de passer de l’enfance à l’âge adulte et que maîtrise parfaitement la réalisatrice en cernant avec finesse et justesse ces petits moments de la vie. Elle suit ses personnages avec une immense intimité et réussit ainsi à nous toucher avec des scènes du quotidien. Elle possède cette patte féminine, qui mêle la fragilité à la dureté sans concession.

Avec La Contre-allée, Cécile Ducrocq passe la vitesse supérieure quant aux désillusions face aux hommes. En effet, il n’est plus question d’adolescentes de bonnes familles, mais de Suzanne, une femme d’une quarantaine d’années, prostituée de son état. Interprétée par la talentueuse Laure Calamy (vue dans Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne), cette femme a choisi sa condition et mène ses activités de manière professionnelle. Attentionnée avec ses clients, elle tient sa comptabilité sur un petit carnet et son appartement est accueillant. La caméra suit les gestes maitrisés et organisés de Suzanne à la manière d’un documentaire sur une profession pas glauque pour un sou. Si bien que le film pose la question toujours aussi délicate : lorsqu’elle est volontaire, la prostitution est-elle un métier comme un autre ? C’est en tout cas ce que semble dire la réalisatrice et c’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité de son point de vue en comparaison avec tous les films déjà faits autour de la prostitution, où les femmes subissent bien souvent cette condition ou bien sont montrées avec tous les clichés vulgaires qu’on leur attribue.

la-contre-allee1

Qui dit métier comme les autres sous-entend qu’il est confronté aux mêmes problèmes que les autres : la crise. Suzanne souffre du départ de ses clients pour une concurrence meilleur marché, celle illégale organisée par des étrangers, avec des femmes plus jeunes, plus exotiques qui exercent dans des camionnettes en périphérie de la ville. La contre-allée, c’est la contrefaçon, la différence entre une pute et une prostituée et ce qui fait de l’ombre aux activités conformes. Un beau jour, Suzanne ne supporte plus cette menace qui fait fuir ses habitués alors qu’elle fait bien son travail depuis 20 ans. Pour ce faire, elle demande de l’aide à deux clients du bistrot où elle se rend souvent pendant ses pauses. Les deux hommes se montrent sympathiques avec Suzanne et surtout compréhensifs de sa situation. Pour retrouver la sérénité dans ses activités, Suzanne leur fait confiance. Mais une prostituée est-elle une femme comme une autre ?

LCA_6

Cécile Ducrocq signe avec « La Contre-allée », un film extrêmement fort sur une profession encore taboue, sur la condition de la femme et finalement, sur les désillusions de ceux qui pensent bien faire. Comme dans le film de Manuel Schapira, « Les Meutes », là aussi il est difficile de déterminer les gentils et les méchants.

Laure Calamy y est incroyable d’authenticité, jouant à merveille toutes les facettes de cette prostituée, à la fois mère, fantasme sexuel, copine de bistrot et femme d’entreprise, déterminée mais fragile, émouvante à souhait. On est très loin de « Pretty Woman » avec ce film qui ne laisse pas indemne qui prend aux tripes. Cécile Ducrocq arrive à cerner ce moment de retournement si bref dans l’existence qui fait que rien ne sera plus jamais comme avant.

Camille Monin

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Laure Calamy

Pour information, La Contre-allée sera projeté le jeudi 18/2 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de Laure Calamy et Cécile Ducrocq

En Août de Jenna Hasse

À l’origine, la Suissesse Jenna Hasse est comédienne et sait comment diriger les acteurs. Dans son premier film, « En Août » en sélection à la Quinzaine des Réalisateurs, l’interprétation de David Lemoine dans le rôle du père et de Clarisse Moussa dans celui de sa petite fille, est excellente. Certes, dans ce film, tout paraît un peu trop beau et idyllique : le décor des montagnes suisses à couper le souffle, la jolie maison familiale avec le chant des oiseaux autour, le cabriolet, le père ayant des allures de flambeur et la fillette à la bouille craquante. La situation n’en est pas moins crédible et poignante.

f-003[1]

Ce matin d’août, la petite Margaux se réveille et découvre par la fenêtre que son père remplit sa voiture de tout un tas de cartons, tandis que sa mère dort encore. Pas besoin d’en dire plus, la fillette comprend que son père quitte la maison. Sa tristesse passe d’abord par de la colère envers son père et si elle l’observe avec fascination lorsqu’il se rase, elle refuse pourtant qu’il s’occupe d’elle et le repousse violemment. S’ensuit la peur de le perdre avec une scène où Margaux rattrape son père in extremis avec un regard suppliant et celui-ci lui propose alors une dernière virée en voiture avec lui en la plaçant sur ses genoux, les mains sur le volant. Moment d’une douceur extrême, ici au son d’une bossa nova, où la complicité entre le père et l’enfant passe par le jeu et la protection. Ils en profitent d’autant plus qu’ils sont tous les deux conscients chacun de leur côté, que ce sera un de leurs derniers moments de bonheur passés ensemble.

f-004[2]

En rentrant à la maison, le petit ange blond retient ses larmes de voir partir son papa et finira par se réfugier dans les bras de sa mère. À l’évidence, cette ballade entre père et fille aurait pu être anodine, mais elle restera gravée à jamais dans la tête de l’enfant dont la vie ne sera plus jamais la même. La force de Jenna Hasse avec ce film d’à peine 9 minutes, réalisé sans trop de moyens est d’avoir su cerner ce dernier moment d’intimité avec un ton si juste, si sensible que l’on aimerait précisément qu’il ne s’arrête jamais.

Camille Monin

Consulter la fiche technique du film

E comme En août

Fiche technique

f-003[1]

Synopsis : Margaux, six ans, se réveille tôt en ce matin d’août. Elle s’approche de la fenêtre et voit son père ranger des objets et des cartons dans la voiture. Sa mère dort encore. Cette matinée d’été s’annonce particulière pour la petite fille qui s’apprête à vivre un moment important de sa vie.

Genre : Fiction

Durée : 9’

Pays : Suisse

Année : 2014

Réalisation : Jenna Hasse

Scénario : Jenna Hasse

Image : Roland Edzard

Montage : Thomas Marchand

Son : Étienne Rallu, Valentin Sampietro, Benjamin Viau

Décors : Elena Hasse

Musique : Danca da Solidao (Paulinho da violax)

Interprétation : David Lemoine, Clarisse Moussa, Jenna Hasse

Production : Galão com Açúcar

Article associé : la critique du film

Short Screens #38 : À table!

Au menu, ce mois-ci, Short Screens a choisi huit petits mets exquis aux saveurs sucrées-salées. La ‘bouffe’ sous différentes formes, de la poésie du marché matinal à l’absurdité de la consommation, d’un repas gargantuesque à la délectation du thé en Angleterre. Une 38ème programmation qui invite à une aventure culinaire et qui promet de titiller vos papilles gustatives. Gourmets et gourmands, amateurs de bons courts, venez consommer cette séance sans modération !

Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court
Jeudi 29 mai à 19h30 au Cinema Aventure, Bruxelles. PAF 6€

LES VENTRES de Philippe Grammaticopoulos
France/ 2009/ animation/ 17′

les ventres
Dans une société industrialisée où les hommes ne consomment plus que des aliments transgéniques, les assiettes révèlent bien des surprises.

Article associé : la critique du film

NEXT FLOOR de Denis Villeneuve
Canada/ 2008/ fiction/ 12′

next floor
Au cours d’un opulent et luxueux banquet, onze convives, servis sans retenue par des valets et des serviteurs attentionnés, participent à un étrange rituel aux allures de carnage gastronomique. Dans cet univers absurde et grotesque, une succession d’événements viendra secouer la procession de cette symphonie d’abondance.

Article associe : la critique du film

FOR ALL THE TEA IN ENGLAND de Kerry McLeod
Royaume-Uni/ 2007/ documentaire/ 13′

for all the tea in england
Un aperçu des diverses manières dont les Britanniques savourent leur breuvage préféré – et ce n’est pas toujours aussi simple qu’un sachet de thé et du lait. La réputation du thé comme étant typiquement British n’est plus à prouver. Pourtant, avec quasi toutes les nations aujourd’hui représentées dans la Grande-Bretagne, dans quelle mesure est-ce que cette image reste valable?

MELTDOWN de Dave Green
Royaume-Uni/ 2009/ animation/ 6′

meltdown
C’est l’histoire d’une bande d’aliments coincés dans le réfrigérateur luttant pour leur survie. Comédie, drame, film d’horreur ou film d’action?

TRIPE AND ONIONS de Marton Szirmai
Hongrie/ 2006/ fiction/ 7′

tripes and onions
Un homme s’arrête à un étal au bord de la route pour manger un plat traditionnel. Dans un moment d’inattention, un autre homme commence à manger son plat…

LA NATURE DES CHOSES d’Audrey Espinasse
France/ 2011/ documentaire/ 15′

nature des choses (01)
Des agneaux, du feu, des hommes : la célébration des fêtes de Pâques à travers l’élaboration d’un repas dans un monastère bénédictin.

TABA: EL JUEGO EN LA MESA de Pep Gatell & Eloi Colom
Espagne/ 2013/ documentaire/ 9′

taba el juego en la mesa
Taba sont des pièces qu’on utilisait pour les jeux de société, les ancêtres des dés. Le restaurant Mugaritz propose une pause ludique aux convives. Pendant le service, ceux-ci peuvent participer à un jeu où seul le gagnant a le droit de déguster un plat étoile. C’est une taba géante qui sert de support à ce plat.

THE MARKET d’Ana Husman
Croatie/ 2006/ expérimental/ 9′

the market
Sur un marché plein de lumière et de couleurs, les fruits et les légumes gorgés de soleil offrent une image d’abondance et de richesse. Les clients soutiennent l’agriculture biologique et utilisent tous leurs sens pour vérifier si les produits sont locaux ou importés. Du marché en été en passant par la conservation et la stérilisation des denrées pour l’hiver, ce film explore la consommation alimentaire locale.

La présence des écoles françaises à la Cinéfondation 2014

Cette année, la Cinéfondation a choisi 16 titres parmi 1631 films présentés par les écoles de cinéma du monde entier. Sur ces 16 films en compétition, trois nous parviennent d’écoles françaises dont il n’est plus la peine de faire la réputation tant elles sont représentées dans la grande majorité des plus grands festivals. Il s’agit de La fémis, Supinfocom Arles et Le Fresnoy. Ces écoles, toutes trois de qualité, proposent un enseignement très différent avec comme but commun celui de s’atteler à la fabrication d’un film. Si bien que rien qu’avec la sélection de ces trois films français, on obtient un « pot pourri » de films résolument singuliers, une diversité tant sur le fond que sur la forme. Petit état des lieux de ces trois films français jugés dans les prochains jours par le Jury de la Cinéfondation présidé cette année par Abbas Kiarostami.

Home sweet home de Pierre Clenet, Alejandro Diaz, Romain Mazevet, Stéphane Paccolat (Supinfocom Arles)

Réalisé par d’anciens étudiants de Supinfocom Arles oeuvrant depuis aux quatre coins de la planète dans différents studios d’animation, « Home sweet home » est un film d’animation de dix minutes racontant l’histoire d’une maison – un joli pavillon en bois, à vendre – qui se déracine et part à l’aventure. Sur son trajet à travers les Etats-Unis, ladite maison va se lier d’amitié avec d’autres maisons et rencontrer quelques péripéties jusqu’à arriver à un lieu qui ressemble au bout du monde, un peu à la « Into the wild ».

À première vue, on pense voir un film tout droit sorti des studios Pixar, avec cette technique d’animation 3D si jolie, si arrondie de manière à humaniser n’importe quel objet. Certes, le rendu est très réussi et chaque détail semble travaillé, alliant humour et émotion. La musique de Valentin Lafort occupe une fonction importante dans ce film. Elle accompagne parfaitement ce voyage, mêlant banjo, guitare folk, guimbarde et accordéon, instruments assez typiques des westerns et des road trip nord-américains.

Comme de nombreux films d’animation, « Home sweet home » ne s’adresse pas uniquement aux enfants. Il reprend les codes du cinéma américain indépendant et traite du thème du départ, du voyage d’apprentissage ainsi que du détachement d’un certain conformisme capitaliste, d’une Amérique idéaliste.

Une vie radieuse de Méryll Hardt (Le Fresnoy)

Autre court sélectionné à la Cinéfondation, « Une vie radieuse », film ovni.Savant mélange de (science-)fiction, de documentaire et d’expérimental, « Une vie radieuse » est un petit bijou qui semble avoir nécessité un travail considérable au niveau de la recherche et de la mise en scène. On retrouve en effet Méryll Hardt à tous les postes : scénariste, réalisatrice, comédienne, musicienne, preneuse de son, monteuse. Autant dire que ce court-métrage possède largement sa patte.

En 1952, la Cité Radieuse reçoit ses premiers occupants dont la plupart espèrent beaucoup de cet idéal que propose Le Corbusier. Méryll Hardt imagine alors un couple qui fait l’expérience de s’y installer. Gilbert, le mari, semble bien s’accommoder à ce nouveau mode de vie, tandis que son épouse, femme au foyer d’une trentaine d’années, subit une dépression d’être confrontée à autant de rigidité, de stérilité. Pour elle, la vie est radieuse en surface, mais froide, lisse et impersonnelle comme le béton qui compose l’édifice de l’architecte visionnaire. A travers ce film, Méryll Hardt réussit non seulement à casser l’image de ce qui avait marqué un tournant dans la façon de vivre des Français au début des années 1950, mais également à faire réfléchir sur l’espace urbain d’aujourd’hui et de demain où l’individualité disparaît petit à petit.

L’utilisation de certaines images d’archives inscrit « Une vie radieuse » dans un propos architectural, insistant sur l’importance de la géométrie qui devait guider le quotidien des gens résidant à l’époque au « Corbusier ». D’autres images reconstituées à la mode des années 1950 font penser à une publicité pour le bon savoir-vivre que l’on était censé trouver au sein de la Cité Radieuse, avec un ton résolument pessimiste et satirique. Enfin, les images montrant des chorégraphies au son d’une musique concrète et au rythme du temps qui passe illustrent tout le côté finalement assez effrayant de la vie organisée, chronométrée, quasi déshumanisée promis dans cet espace.

Les Oiseaux-Tonnerre de Léa Mysius (La Fémis)

« Les Oiseaux-tonnerre » est le film de Léa Mysius . On y retrouve quelques similitudes avec son film précédent « Cadavre exquis », prouvant que la jeune réalisatrice possède d’ores et déjà son univers propre et ses thèmes de prédilection. Tout d’abord, la ressemblance entre les deux héroïnes. Dans « Cadavre exquis », une fillette d’une dizaine d’années, Maëlys, était arrogante et possédait ce fond mauvais qui la poussait parfois à agir de manière morbide. Dans « Les Oiseaux-tonnerre », Léonor est une adolescente vorace qui aime à chasser l’alouette pour la tuer à coup de bâton et asservir son entourage, particulièrement son frère. Toutes les deux sont insolentes et solitaires. Ensuite, il y a ce rapport au corps humain à limite du malsain pouvant à la fois être assimilé à de la bidoche ou à quelque chose de très sensuel, de sexuel. Enfin, la présence des éléments naturels qui ont une forte incidence sur les personnages créent une parfaite communion avec les protagonistes : l’eau, le feu, l’orage, les herbes, le sable, les marais, les animaux (oiseaux, chien), etc.

Si on se penche plus particulièrement sur « Les Oiseaux-Tonnerre », un film assez sombre, la réalisatrice emprunte les codes des films à suspense dignes d’Alfred Hitchcock. On pense bien sûr aux « Oiseaux » (1963) qui justement mêlait une nature déchaînée à une histoire d’amour et de haine. Il est vrai que Léa Mysius réussit à créer une ambiance tendue. On se demande sans cesse si les éléments naturels démontés influent sur les relations violentes et ambiguës entre les protagonistes ou bien si leurs agissements sont simplement dus à leur côté obscur, certains détails restant tout de même assez flous sur l’évolution des différentes liaisons entre Léonor et son frère Antonin ou entre celui-ci et une jeune fille.

« Home sweet home », « Une vie radieuse », « Les Oiseaux-Tonnerre » : chacun de ces trois films est très caractéristique de l’école qu’il représente (Supinfocom Arles, Le Fresnoy, La Fémis). D’une manière générale, ces réalisateurs maîtrisent déjà le langage cinématographique avec leur style bien à eux. Reste à savoir si ces films « made in France » plairont au Jury le 22 mai prochain.

Camille Monin

Article associé : l’interview de Méryll Hardt

Peine Perdue de Arthur Harari

Dans sa forme comme dans son fond, « Peine Perdue » ressemble à un documentaire sur l’éducation amoureuse. C’est avec simplicité et fluidité que le réalisateur Arthur Harari filme cette danse des corps en attraction, laissant les comédiens et le décor raconter ce qui ne peut se dire dans les dialogues. Une réalisation très aboutie, presque irréelle, récompensée cette année par le Prix Format Court au Festival de Brive.

« Peine Perdue », deuxième court métrage du réalisateur Arthur Harari (après le déjà très remarqué « La Main sur la gueule » en 2008, Grand Prix du Festival de Brive et Lutin du meilleur court métrage), aborde les complexités de la séduction sur un fond d’environnement bucolique, aquatique et champêtre. Rodolphe (Nicolas Granger) observe au loin le jeune Alex (Lucas Harari) qui tente de se rapprocher de Julia (Émilie Brisavoine), une parisienne en vacances avec une amie (Aude Louzé). Par empathie mais aussi par goût étrangement malsain du jeu de dupes, Rodolphe propose son aide (et son expérience) à Alex lors d’un concert en pleine nature (concert en « live » puisque les personnages dansent sur « Comment ça se danse », de Bertrand Belin, qui interprète le musicien dans le film). Le trio nouvellement créé ne sera qu’éphémère, planant comme une ombre sur la totalité du film : le postulat de départ (comment séduire quand on est timide) se met au service des relations interpersonnelles, chassant les premières attirances, fébriles et maladroites, au profit de rapprochements plus « triviaux ».

Car il est ici essentiellement question d’êtres humains, de leurs failles et de leurs douleurs, de leurs joies légères et de leurs engouements. Rodolphe, a priori personnage principal de « Peine Perdue », traîne sa mélancolie au bord de l’eau. En revêtant pour Alex la figure du grand frère (il le fait même croire à Julia lorsqu’il l’aborde, alors qu’il connaît Alex depuis quelques minutes à peine), Rodolphe se joue de lui-même et des autres, appliquant son désenchantement à une technique de séduction plus que douteuse. Un jeu sur la distance nécessaire qui doit s’établir entre les personnages, laissant éclater à chaque scène la complexité de Rodolphe, contrebalancée par l’apparente « pureté » de comportement d’Alex. Une naïveté chez le personnage d’Alex, timide et maladroit à l’extrême, renforcées par le sous-jeu très contrôlé de Lucas Harari qui nous livre ici une vraie performance d’acteur tout en retenue, en distance et en subtilité. Quant à Julia, elle semble laisser les coqs se (dé)battre entre eux, préférant aller chercher ce qu’on ne lui donne pas dans les bras d’un tiers.

peine-perdue-2

« Peine Perdue » est un exemple d’efficacité dans la simplicité, d’une part dans la façon dont les comédiens s’approprient l’errance de leurs personnages, d’autre part dans la forme choisie par le réalisateur. Arthur Harari ne s’embarrasse pas de démonstration de force filmique : sa mise en scène est simple, fluide, quasi documentaire, et ponctuée de symboles entêtants et obsédants. Visuellement, l’eau prend une place importante : plans d’ouverture et de clôture de son film, une île déserte, un no man’s land (comme l’est également le lieu où se déroule toute l’histoire) devenu chimérique pour le dernier plan grâce à la présence fantomatique de Rodolphe (il n’apparaît pas sur le plan d’ouverture), Robinson Crusoé désenchanté qui trouve la libération dans l’isolement. L’élément aquatique est à souvent l’image, en arrière-plan des ébats amoureux, des rapprochements physiques, du concert et bien sûr des balades en barque. Une présence rendue plus forte encore par la bande son qui lui est associée (au même titre que pour des personnages, l’eau ici à son leitmotiv sonore) : un air de flûte quasi obsessionnelle, extrait de Fantaisie n°3 de Georg Philipp Telemann. « Peine Perdue » ne se contente pas d’explorer différentes formes de séduction, il aborde également la frustration amoureuse, les renoncements et les déceptions. Et ce, tout en sobriété.

Géraldine Pioud

Consulter la fiche technique du film

Articles associés : l’interview d’Arthur Harari, la critique de « La Main sur la gueule »

La Main sur la gueule d’Arthur Harari

Sans concession, le deuxième film d’Arthur Harari tente de décrire en près d’une heure les âpres retrouvailles entre un père et son fils sous le regard de la petite amie de ce dernier.

Une telle histoire peut être filmée de bien des manières différentes et la force du film d’Arthur Harari est de les embrasser toutes avec la même intensité, ce qui rend la progression de son film tout bonnement passionnante.

« La Main sur la gueule », on la prend dès le début. Un homme conduit. Son visage est aussi marqué et plein que la campagne anonyme qu’il traverse et qui défile derrière lui. Il n’y a aucun insert. Puis, au second plan, un train s’éloigne d’un quai vide, laissant derrière lui un couple en habits clairs sur un fond sombre. Le même vacarme mécanique emplit l’espace sonore, comme une insulte à la nature environnante.

LaMain02

Explorant la gare vide, le couple, simple et beau, contraste avec l’homme au visage buriné vu juste auparavant et qui finit par les rejoindre. Va-t-il y avoir un duel ? Une passe d’arme ? L’arrivée en gare est celle d’un début de western.

Dès cette première confrontation, plusieurs éléments attirent avant de mettre mal à l’aise. Harari aime à dire qu’il choisit ses comédiens directement dans son entourage pour travailler avec des personnes au travers de ses personnages. La méthode est d’une efficacité redoutable et on croit avoir deviné dès le début de son film toute la brutalité sourde et muette de Jean-Louis, le père (Christian Chaussex, vu depuis dans « Michael Kohlhaas » d’Arnaud des Palières), la colère prête à exploser de Bruno, son fils (Bruno Clairefond, souvent présent dans des rôles à deux visages) et la force naturelle de Liliane (Shanti Masud, depuis passée principalement à la réalisation).

Contre toute attente et au gré de scènes parfois muettes parcourues d’éclats magnifiques, les personnages se détruisent et se reconstruisent différemment. Un réseau de références bien assumées constitue les marqueurs de ces changements. On retrouvera donc un punk-rock déglingué (« Fontenay-sous-bois » des C Koissa), les stigmates de la comédie et du film noir français où tout se règle autour d’une mobylette, d’une table de cuisine.

LaMain04

Harari joue avec les symboles quand il fait de Liliane un personnage de la Nouvelle Vague au détour d’une marinière ou qu’il convoque le vocabulaire visuel dépouillé d’Alain Cavalier. Tous les moyens sont bons pour être au plus près de ses personnages. La précision du cadre, du son, des dialogues ainsi que les correspondances d’une coupe à l’autre rendent transparents les genres traversés par ce road-movie quasiment immobile et lui donnent cohérence et rythme.

Les visages s’ouvrent, se ferment, les corps se cachent et se dévoilent, le film tendant vers sa confrontation finale, attendue, dérisoire et magnifique, celle d’un fils et de son père.

Elle a lieu en plusieurs mouvements au terme d’un malaise savamment travaillé dans une durée nécessaire et fascinante, donnant ses lettres de noblesse à son format, le moyen-métrage. Avec une durée plus courte, les coups de folie de Bruno, la violence rentrée de Jean-Louis et la sensualité de Liliane ne nous impliqueraient pas autant. Plus longue, la redondance serait un risque tant Harari « verrouille » toutes ses situations.

On sort du film persuadé d’en avoir rencontré les personnages, d’avoir été les témoins muets d’une histoire qui pourrait être la nôtre et qui, faisant fi de notre volonté, l’est devenue.

Georges Coste

Consulter la fiche technique du film

Articles associés : la critique de « Peine perdue » , l’interview d’Arthur Harari

Format Court, nouvelle formule

Souvenez-vous. Fin 2013, notre équipe a lancé une campagne Ulule (“Cours, Format, Cours !”) pour vous offrir un nouveau site internet après avoir œuvré pendant cinq ans à la promotion et à la diffusion du court métrage.

Nous désirions moderniser notre identité visuelle, mieux valoriser la richesse et la diversité de nos publications (près de 3.000 archives !), optimiser la navigation mais aussi développer de nouvelles rubriques pour le plus grand confort de nos lecteurs.

Notre campagne de financement participatif a remporté un grand succès et a largement dépassé son objectif initial. Professionnels, cinéphiles, internautes ou spectateurs assidus de nos soirées Format Court, vous avez été nombreux à nous soutenir et à nous encourager dans cette démarche. Merci encore à toutes et à tous, en particulier à l’Atelier Kuso, notre partenaire officiel.

Notre nouveau site vous est dévoilé aujourd’hui, mercredi 14 mai 2014, jour d’ouverture du Festival de Cannes.

brest2

Comme vous le constaterez, Format Court fait peau neuve avec une nouvelle esthétique, une navigation optimisée, une interactivité améliorée et de nouvelles rubriques.

Ce lifting bien mérité revalorise nos contenus et nos évènements. Nous attirons tout particulièrement votre attention sur un nouvel onglet, les Films en ligne. Nous vous offrons désormais la possibilité de visionner des  courts métrages dans leur intégralité.  Vous pourrez ainsi découvrir ou revoir de nombreux films, connus ou méconnus.

D’origines et de genres différents, ces films ont déjà été chroniqués sur notre site et figurent dans notre vidéothèque. Nous vous en facilitons désormais l’accès.

Par ailleurs, d’autres courts-métrages inédits vous seront proposés chaque semaine par notre équipe, sur le modèle des sorties en salle des longs-métrages (le film de la semaine).

Dans les prochaines semaines, toutes nos archives seront mises en ligne et de très nombreux films chroniqués (critiques, interviews, actualités, …) seront référencés. Nous travaillerons également à la mise en place de nouveaux services destinés à faciliter la navigation et l’accès aux films.

Parallèlement, nous continuerons à collaborer étroitement avec les festivals et à accompagner les auteurs dans leur parcours par le biais de nos Prix Format Court et la programmation mensuelle de nos soirées au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).

Nous souhaitons, vous l’avez compris, aller plus loin que la refonte de notre site internet et étendre nos actions au service du court métrage, tant sur la Toile que dans les salles de cinéma.

Katia Bayer, Diane Jassem (productrice, Realitism Films), Franck Unimon

Katia Bayer, Diane Jassem (productrice, Realitism Films), Franck Unimon

Depuis cinq ans, notre équipe de bénévoles, dévouée et passionnée, vous propose au quotidien des « regards pluriels sur un format singulier », une vision critique et personnelle du court métrage.

La campagne de financement participatif “Cours, Format, Cours !” nous aura permis de vous offrir ce beau site internet, fruit de longs mois de travail.

Nous vous proposons de continuer à nous accompagner et d’être les acteurs de cette belle aventure dédiée au court métrage en nous aidant à développer de nouveaux contenus et à valoriser comme il se doit les œuvres et leurs auteurs.

Vous aussi, courez à nos côtés. Vous aussi, rejoignez la tribu des amis du court !

Bonne navigation @ toutes et @ tous !

Katia Bayer
Rédactrice en chef

Festival Millenium 2014

La sixième édition du Millenium International Documentary Film Festival s’est déroulée du 3 au 11 avril dernier. La rencontre incontournable du cinéma du réel dans la capitale belge a donc fêté donc ses six ans, ce que le directeur Lubomir Gueorguiev a qualifié avec humour comme la fin d’un quinquennat à la soviétique lors de la cérémonie d’ouverture.

Avec plus de cinquante titres internationaux, la sélection était aussi riche et variée que les années précédentes, témoignant du souci constant de la part des organisateurs de dénicher des films engagés et interpellants, qui suscitent des réflexions sur des questions importantes liées aux objectifs millénaires transposés au 21ème siècle, telles que la justice sociale, les atteintes quotidiennes aux droits de l’homme, ici et ailleurs, l’égalité des chances et les crises environnementales. Les films présentés sensibilisent et nous rappellent la part de responsabilité qui incombe à chacun d’entre nous, habitants de la Terre.

kalasha-and-the-crescent

« The Kalasha end the Crescent » d’Iara Lee

À côté de la compétition internationale, le festival proposait d’autres activités habituelles (les Webdoc meetings, les masterclass…) ainsi que quelques nouveautés. Parmi celles-ci, une compétition « Travailleurs du monde », fruit d’une collaboration avec Le P’tit Ciné du festival Regards sur le Travail. Un jury délibérait sur une sélection qui mettait en avant la thématique du travail et son rapport avec les questions des droits de l’homme. En effet, loin du moyen de subsistance du temps de nos ancêtres, le travail est devenu aujourd’hui la marque d’identité première, sa valeur et sa valorisation désormais déterminées non pas par le plaisir ou l’appréciation ressentis par le travailleur, mais par des normes sociétales. Par conséquent, bon nombres de gens, dans des conditions de misère extrême ou dans des lieux de relative aisance socioéconomique, vivent leur vie active comme une obligation, voire un fardeau. S’ajoute alors la perversion d’un labeur visant des fins de plus en plus virtuelles, où très souvent la dignité humaine elle-même est atteinte. Focus sur deux courts de la sélection :

La critique de « Karaoké domestique » d’Inès Rabadán (Belgique, 2013)
La critique d’ « Avec le vent » de Raf Custers (Belgique, 2013)

Deuxième nouvelle compétition toute aussi pertinente et faisant écho à la thématique de l’an dernier, la Jeunesse, « Vision jeune » regroupait six films sur le regard que porte la génération de demain sur le monde d’aujourd’hui. Le jury comprenait pas moins de 30 jeunes belges âgés de 15 à 25 ans. Une éducation à l’image importante qui permettait de faire découvrir le cinéma documentaire à un public pas toujours enclin à s’intéresser à ce genre.

Le reportage sur les courts métrages de cette sélection.

En parallèle, une programmation importante hors compétition venait exemplifier l’engagement du septième art dans la lutte pour la défense des droits de l’homme et des objectifs millénaires. Le panorama « Connaître l’Autre » rassemblait 20 titres qui exploraient la question de l’altérité en nous confrontant à des réalités (faussement) perçues comme étant lointaines, dans les pays de l’Europe de l’Est ou ailleurs dans le monde. La sélection posait un regard sensible notamment sur les rapports Nord-Sud et les effets de la surmédiatisation et la prolifération des images dans nos vies.

Dans le cadre de ce panorama, nous vous proposons :
Le reportage sur « Culture of Resistance », une sélection de trois courts métrages signés Iara Lee (Corée-Brésil)
La critique de « The Ghost of Piramida » (Danemark, 2013)

Nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous l’année prochaine pour renouveler l’aventure du documentaire, cette arme précieuse de la puissance douce.

Adi Chesson