Laetitia Masson : « Mon histoire n’est faite que de rencontres avec des personnes qui à un moment donné m’ont repérée et m’ont fait confiance là où d’autres me trouvaient bizarre et nulle ».

Présidente du Jury au dernier Festival du court métrage de Lille, Laetitia Masson ( « Je suis venue te dire », « En avoir (ou pas) », « A vendre », …) est une actrice/réalisatrice rebelle et contemplative inspirée par l’amour de l’être humain et la prise de risques au cinéma. Jeu de regards, jeu de questions.

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Tu as fait la Fémis au début des années 90 alors qu’elle n’en était qu’à ses balbutiements. Comment voyais-tu l’école à cette époque ?

C’est un moment très important dans mon histoire. En tant que provinciale, originaire de Nancy, je ne connaissais absolument personne dans le cinéma. J’avais fait un court métrage avant de rentrer à la Fémis mais ça ne m’autorisait aucunement à penser que j’étais légitime dans la profession. J’étais assez timide et je sentais que j’avais besoin d’une structure. La Fémis a donc été salvatrice pour moi, d’une part j’y ai rencontré des gens de ma génération qui pensaient comme moi et pour qui le cinéma était très important, et d’autre part, j’ai appris énormément en ce qui concerne la technique. Par ailleurs, ce qui était intéressant, c’est que comme c’était le début, l’école se cherchait encore, expérimentait des choses, n’était pas figée. Je pense que c’est toujours mieux une institution qui doute qu’une institution qui est sûre d’elle. Maintenant, j’ai l’impression que l’école est devenue une sorte d’usine à fournir une industrie du cinéma et à fabriquer des gens qui vont faire des téléfilms. Nous, on était des rebelles, des idéalistes un peu fous. On se disait que le cinéma pouvait être une expression artistique en soi et pas seulement un métier. D’ailleurs, très peu de gens de ma promotion ont réalisé des films par la suite.

Aujourd’hui, en tant que cinéaste confirmée, que retiens-tu de ton apprentissage à la Fémis ?

Moi, j’ai pris l’école très simplement. Je voulais faire du cinéma. Je suis rentrée pour faire de l’image et je voulais naturellement faire des films. Le directeur et le créateur de l’école, Jack Gajos, un homme formidable et en même temps fort critiqué, repérait des individus à part, et au lieu de les faire rentrer dans le rang, il les mettait en valeur. C’était parfois injuste parce qu’il pouvait accorder de l’attention à des étudiants qui n’étaient pas dans la section réalisation, ce qui était mon cas.

En fait, mon histoire n’est faite que de rencontres avec des personnes qui à un moment donné m’ont repérée et m’ont fait confiance là où d’autres me trouvaient bizarre et nulle. Jack m’a donné l’assurance d’oser écrire, de développer une histoire, de choisir des acteurs, enfin, de réaliser un film. Très vite, à l’école, dès que je posais ma caméra, ce que je disais, la manière dont j’apparaissais provoquait rejet ou acceptation. Depuis, dans mon métier, ce comportement est plus ou moins resté.

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Un souvenir de soleil

Comment ton film de fin d’études, « Un souvenir de soleil », a-t-il été perçu ? Etais-tu encore dans cette idée de rejet, de marge ?

Oui. J’étais en département image et je faisais un film sur la lumière naturelle. Alors que tout le monde étudiait la manière de manier les projecteurs, je me disais qu’avant d’intervenir, il fallait regarder, observer les choses. A ce moment-là, j’avais été repérée par mon deuxième mentor, Caroline Champetier, une très grande chef opératrice qui fut ma directrice d’études, par la même occasion. Elle m’a protégée, comme d’autres. Une fois que je suis entrée à l’école, je n’étais plus seule.

Ton parcours est fort varié, il est fait de clips, de films de commande, de courts métrages, … Au bout d’un moment, tu t’es mise au long. Etait-ce parce que tu avais le sentiment de ne pas être prête ou parce que tu avais envie d’expérimenter plusieurs choses différentes ?

J’ai effectivement fait des courts, des longs, j’ai même travaillé comme scripte. Je peux être créative dans mille situation, je m’en rends mieux compte maintenant. Aujourd’hui, je peux faire un film avec beaucoup ou avec rien. C’est pour cela que j’accepte les commandes, parce que je vois bien que je suis suffisamment forte pour les faire imploser de l’intérieur tout en gardant un cadre. En tant que cinéaste, j’ai avant tout besoin de créer, de créer et de créer encore…

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Plus spécifiquement, quand on regarde ton cinéma, on s’aperçoit que certains de tes films (« Pourquoi (pas) le Brésil », « Je suis venue te dire »,…) ont des accents autobiographiques. Est-ce ta façon de prendre des risques ou cela répond-il à un besoin de te mettre en scène ?

Je ne sais pas, chaque film est différent. Selon le sujet, je ressens le besoin de faire passer les choses de façon souterraine, de ne pas m’exposer de trop et par moments au contraire, j’ai besoin de mettre mon corps en jeu pour prendre ce risque-là. Mais si je le fais, c’est davantage dans une optique comique. J’essaie de démystifier le rôle de l’artiste et du réalisateur, de dire que c’est aussi un être humain qui a ses doutes et ses névroses. Au moment où j’ai réalisé « Pourquoi (pas) le Brésil », c’était un moment très difficile pour moi, une période creuse. J’ai donc décidé de me mettre en scène et de montrer par exemple le producteur Alain Sarde en train de me démonter, de me dire : “votre cinéma, c’est de la merde”. J’avais besoin que les gens voient que les cinéastes sont aussi faits de chair et d’os. Après, il y a aussi le côté où j’ai besoin d’expérimenter le fait d’être acteur, de se mettre à nu, d’être filmé. C’est quelque chose d’assez violent d’être tout le temps regardé et jugé. Pas étonnant qu’ils soient tous dingues (ou presque) !

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Comme tu joues parfois dans des films ou que tu te mets en scène, comment envisages-tu ta relation avec les acteurs au moment de les diriger ?

Avant tout, j’ai besoin de les aimer. Je ne pourrai pas tourner avec un acteur que je n’aime pas. Etant donné que je suis une cinéaste contemplative, je suis comme un peintre. Je regarde avec ma caméra, je peux filmer un visage pendant des heures. J’ai tourné avec de très grands acteurs comme Adjani qui peuvent tout jouer mais aussi avec des gens qui ont un créneau plus limité mais qui ont une personnalité très forte, tout comme j’ai tourné avec des gens qui n’étaient pas acteurs. En fait, c’est l’être humain qui m’intéresse. Par exemple, pour « Un souvenir de soleil », j’ai eu envie de filmer le coursier de la Fémis. Il avait un visage tout droit sorti d’un tableau du Louvre. Voilà, c’est ma façon d’être dans la vie. Par exemple, là, vous avez l’impression que je vous parle, mais je vous regarde aussi. J’ai des visions, des arrières-pensées qui apparaissent…

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Je suis venue te dire

Tu as souvent fait référence à l’idée du ressenti des choses pour pouvoir les écrire et les réaliser. Est-ce toujours d’actualité ?

Oui, malheureusement. A cause de cela, il y des choses que je ne pourrai jamais faire, ni pour l’argent, ni pour la gloire. Il m’est arrivé de me disputer ou de refuser des collaborer avec des gens parce que je ne sentais pas que les choses étaient sincères. La liberté a un prix !

Tu es à Lille en tant que présidente du Jury. La notion de prise de risques, est-ce quelque chose dont tu tiens compte et que tu considères comme important quand tu vois les films des autres ?

Oui, absolument. Pour moi, la première chose, c’est prendre des risques. Pas pour prendre des risques en tant que tel, mais pour oser montrer quelque chose de personnel, de différent. Quelque chose qui peut-être n’existe pas encore mais qui exprime une certaine profondeur et une certaine sincérité. Il ne faut surtout pas essayer de plaire, mais bien de toucher.

Propos recueillis par Marie Bergeret et Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « Un souvenir de soleil » et « Je suis venue te dire »

Festival des maudits films, appel à films maudits

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Les courts maudits

– Sur Support 16 ou 35mm

– Durée inférieure à 15 minutes ;

– Réalisés après le 1er janvier 2006

– N’ayant pas participé à un grand festival du court (Cannes, Clermon- Ferrand) et celui de Grenoble.

– Ayant été refusés à cinq autre festivals

– Fiche d’inscription et règlement complet ici

Tout court Tout Bis

– Durée inférieure à 15 minutes ;

– Réalisés après le 1er janvier 2006

– Tournage ayant eu lieu en Rhone Alpes ou le réalisateur ou la société de production se trouve en Rhône Alpes

– Fiche d’inscription et règlement complet ici

Les courts métrage sélectionnés seront projetés le samedi 22 janvier 2011.

Les candidatures doivent parvenir avant le 30 Octobre à l’adresse suivante : Centre Culturel Cinématographique – 4, rue Hector Berlioz – 38000 Grenoble.

Pour toute information : contact@festivaldesmauditsfilms.com

Site internet : www.festivaldesmauditsfilms.com

Armoricourt, appel à films

Conditions de participation

– Le festival est ouvert aux réalisateurs francophones, amateurs ou professionnels, qui présentent des œuvres individuelles ou collectives, en langue française. Les films étrangers en version sous titrée française ne sont pas acceptés.

– Le festival est ouvert aux films de fiction uniquement.

– Le thème est libre.

– La durée des films est limitée à 20 minutes.

– Les films doivent avoir été tournés sur support vidéo ou pellicule hors 35 mm .

– Les films ne doivent pas avoir reçus de soutien du CNC .

– La durée des films est limitée à 20 minutes, générique compris.

– Film tourné à partir de Janvier 2006.

– Le participant peut présenter jusqu’a 3 films .

– La date limite d’inscription est fixée au 30 Décembre 2010 au plus tard.

Inscriptions

– Les frais d’inscription sont de : 5 € (pour 1, 2 ou 3 films) avec frais d’envoi à la charge des participants.

– Les films sont à envoyer sur support DVD uniquement avec identification sur le DVD du Titre du film, Nom du Réalisateur, Durée, Format.

– Pour s’inscrire, le bulletin d’inscription doit être dûment rempli et renvoyé accompagné du DVD et du chèque de participation à :

Cinéma Le Douron – Festival ARMORICOURT
Place de Launceston 22310 Plestin Les Grèves

Sélection des films

– Les films seront visionnés et sélectionnés par un comité de sélection issu de l’association organisatrice. Les décisions du comité sont sans appels.

– A l’issu de la présélection, 15 Films ou plus seront sélectionnés pour participer à la compétition .

– La liste officielle des films sélectionnés sera annoncée Fin Février 2011 au plus tard .

– Les participants seront avertis par email de leur sélection.

Renseignements, règlement et inscriptions : www.festival-armoricourt.com

L comme A Lost and Found Box of Human Sensation

Fiche technique

Synopsis : Après la mort subite de son père, un jeune homme doit alors se débrouiller avec sa peine. Comment les sentiments changent avec le temps ? Y-a-t-il une date limite pour le chagrin… ?

Genre : Animation

Durée : 15’

Pays : Allemagne

Année : 2010

Réalisation : Martin Wallner et Stefan Leuchtenberg

Scénario : Martin Wallner

Voix : Ian McKellan, Joseph Fiennes

Musique originale : Lars Deutsch

Production : Dancing Squirrel

Article associé : la critique du film

A Lost and Found Box of Human Sensation de Martin Wallner et Stefan Leuchtenberg

« Demain, dès l’aube »

Reparti du chaleureux Festival lillois avec le Prix du Jury Jeune BTS audiovisuel, « A Lost and Found Box of Human Sensation » des Allemands Martin Wallner et Stefan Leuchtenberg anime avec pudeur et ingéniosité le thème du deuil.

Tristesse et dévouement d’un père désœuvré par la perte de son enfant chérie marquent le célèbre poème « Demain dès l’aube » du grand Victor. Comme pour faire « écho/verso » à la poésie d’Hugo, l’animation de Wallner et Leuchtenberg explore les pensées sombres et les sensations fragiles d’un jeune homme qui vient de perdre son père, emporté par un cancer.

Comment vivre la mort ? Comment affronter le vide immense et envahissant qui remplit le monde de celui qui reste? Comment accepter l’arbitraire de la maladie ? Comment surmonter le départ d’un proche ? Autant d’interrogations auxquelles nul n’a de réponse idéale, adéquate, faite sur mesure. Et pourtant, avec charme et délicatesse, le tandem de réalisateurs arrive à saisir et à comprendre la complexité du deuil sans jamais s’enliser dans les sables mouvants d’un pathos mielleux.

Multi-primé dans les différents festivals où il a été sélectionné, « A Lost and Found Box of Human Sensation » est lui-même une boîte à surprises animée dans lequel Thanatos perd petit à petit de son pouvoir face à un Eros à l’intensité lumineuse, aux envies inévitables, aux désirs qui font qu’il est possible de poursuivre le chemin même démembré, même décharné car la vie continue à insuffler sa force dans chaque petit moment passé, présent et futur.

Savoureusement narré par Ian Mckellen et Joseph Fiennes, le film ouvre les portes du jardin des âmes mortes. Un petit voyage à travers le temps et l’espace pour une odyssée qui s’aventure avec aisance et esprit dans l’abîme chaotique et poétique des sentiments humains.

Marie Bergeret

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Lille 2010, le dixième palmarès

Grand Prix International : Legenden – Angélique Dubois, Allemagne

Grand Prix National : Splitting the Atom – Edouard Salier, France

Prix du Public : Second lives – Julien Henry, Belgique

Prix des Très Courts : Bob – Jacob Frey et Harry Fast, Allemagne

BOB from Jacob Frey on Vimeo.

Prix du Jury Jeune : Catafalque – Christoph Rainer, Autriche

2e Prix du Jury Jeune : Los Bessones del Carrer de Ponent – Marc Riba et Anna Solanas, Espagne

Prix du Jury Jeune BTS audiovisuel : A Lost and Found Box of Human Sensation – Martin Wallner, Stefan Leuchtenberg, Allemagne

Article associé : la critique du film

Mention du Jury jeune BTS : Tabu – Vincent Coen et Jean Julien Collette, Belgique

Article associé : la critique du film

Meilleure Fiction : Aprilis Suskhi – Tornike Bziava, Géorgie

Article associé : la critique du film

Meilleure Animation : Rubika – Claire Baudean, Ludovic Habas, Mickaël Krebs, Julien Legay, Chao Ma, Florent Rousseau, Caroline Roux, Margaux Vaxelaire, France

Meilleur Film expérimental : Parallax – Inger Lise Hansen, Autriche

Meilleur Clip : Born Free – Romain Gavras, France / Musique : M.I.A

Mention du Jury : Bastard – Matt Devine, Australie

R comme La Révolution des crabes

Fiche technique

Synopsis : Dans les eaux marron de l’estuaire de la Gironde, entre les rochers repeints au fioul et le sable vaseux qui abrite les meilleures huîtres du monde, personne ne se doute de la tragédie qui nous frappe depuis cent vingt millions d’années, nous les Pachygrapsus Marmoratus, appelés communément « chancres mous » ou plus souvent « crabes dépressifs »…
Identité

Genre : Animation

Pays : France

Année : 2004

Durée : 4’50 »

Technique : photos, ordinateur 2D/3D

Réalisation : Arthur de Pins

Scénario : Arthur de Pins

Graphisme : Arthur de Pins

Animation : Arthur de Pins

Caméra : Arthur de Pins

Musique : Gérard Calvi

Son : Arthur de Pins

Montage : Arthur de Pins

Voix : Arthur de Pins

Production : Metronomic

Distribution : Metronomic

Article associé : la critique du film

La Révolution des crabes d’Arthur de Pins

C’est une bonne situation ça, crabe ?

La vie est plutôt paisible en Gironde. Après y avoir honoré le patrimoine culturel (vins, châteaux, huîtres, bastides, crépinettes,…), le touriste se repose sur la plage, inconscient du drame que connaît l’un de ses résidents légitimes : le pachygrabsus marmoratus. Appelé communément chancre mou ou, plus souvent, crabe dépressif, celui-ci est raillé depuis 120 millions d’années à Arcachon comme à Tizac-de-lapouyade (canton de Guîtres) par les tourteaux et autres habitants maritimes.

Comment voulez-vous donc crâner lorsque pendant toute votre vie de crustacé, vous avez dû respecter la ligne droite qui vous a été attribuée ? Carrés, pas beaux, puants, même pas bouffables, ces bestioles-là n’ont pas le droit de pouvoir tourner, contraintes de toutes leurs pattes de se déplacer toute leur vie selon la même trajectoire. L’une d’entre elles, devenue philosophe (une première dans la mer), reconsidère pourtant les choses et redonne un semblant de dignité à ses potus pachygrabsus marmoratus.

Anim’ en noir et blanc réalisée en Flash, perle d’humour noir au sujet plus que décalé et à la voix-off impayable, « La Révolution des crabes » a rallié en son temps (2004) de nombreux festivals à sa cause : Anima, Annecy, Ottawa, … . Lille également où le film a remporté le Prix du public et une mention du jury en 2005 et où il vient d’être projeté à l’occasion des dix ans du festival. A l’époque, Arthur de Pins préparait une version longue de sa révolution (« La Marche des crabes »). On l’attend plus que jamais, tant la cause de ces crabes cons et rebelles nous tient à cœur.

Katia Bayer

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Accéder au site de « La Marche des crabes » : www.lamarcheducrabe-lefilm.com

Lille 2010

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10 ans de festival… Depuis une semaine, le Festival international du court métrage de Lille se partage entre les gros gâteaux d’anniversaire et les courts métrages aux apparences variées (anims, clips, fictions, très courts, …). Quelques heures avant la Nuit de l’animation, retrouvez notre focus en court.

Focus 2010

L’interview de Laetitia Masson, Présidente du Jury
La critique de « A Lost and Found Box of Human Sensation » de Martin Wallner et Stefan Leuchtenberg (Allemagne)
La critique de « La Révolution des crabes » d’Arthur de Pins (France)
Lille 2010, le dixième palmarès
La sélection des films courts, cuvée 2010

Redécouvrez également nos anciens sujets en lien avec le festival :

La critique de « Tabu » de Vincent Coen et de Jean-Julien Collette (Belgique)
La critique de « Aprilis Suskhi » de Tornike Bziava (Georgie)
L’interview de Tornike Bziava (Géorgie)
La critique de « The Cow Who Wanted to Be a Hamburger » de Bill Plympton (Etats-Unis)
La critique de « Madagascar, carnet de voyage » de Bastien Dubois (France)
L’interview de Bastien Dubois (France)
Le focus Lille 2009

A comme Aglaée

Fiche technique


Synopsis : Dans la cour du collège, Benoît perd un pari contre ses copains. Son gage : proposer à Aglaée, une élève handicapée, de sortir avec lui.

Genre : Fiction

Durée : 19’

Année : 2010

Pays : France

Réalisation : Rudi Rosenberg

Scénario : Rudi Rosenberg

Images : Régis Blondeau

Son : Julien Perez, Frédéric Le Louet, Rémi Gille

Montage : Emmanuelle Pencalet

Décors : Emmanuel Nail

Interprétation : Géraldine Martineau, Marc Faria-Chaulet

Production : Karé Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview de Rudi Rosenberg

Aglaée de Rudi Rosenberg

Tout juste récompensé du Prix du Jury au FIFF, « Aglaée », le troisième film de Rudi Rosenberg dénote par son ton et son humeur avec le pessimisme ambiant des films récemment présentés à Namur. Interprété par une bande d’ados, le film est porté par un duo masculin/féminin tout en contraste : un mâcheur de chewing-gum invétéré et une handicapée toute en retenue.

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Rudi Rosenberg. Prénom repérable, nom de rose, tronche et C.V. de comédien. Vous l’avez vu marié et sexy dans « Le Tango des Rashevski » (Sam Garbarski) et dans d’anecdotiques séries télé. Vous le retrouvez en réalisateur frais et pas con, après un passage par l’EICAR (École Internationale de Création Audiovisuelle et de Réalisation), la pub et le court (« 13 ans », « Une histoire louche »).

Le monde de la jeunesse et les accents autobiographiques, RR connaît. Dans « 13 ans », son film de fin d’études, un ado prépubère tentait d’avoir l’air cool en se prenant un Fanta à la soirée de la fille dont il était secrètement amoureux. Dans « Aglaée », un garçon à peine plus âgé se voit contraint de proposer à une fille de sa classe, vulgaire et handicapée, de sortir avec lui.


Tout y est : les filles écervelées, les mecs coincés, les jeux débiles, les secrets d’alcôve, les défis personnels, les émois débutants, la difficulté de se faire accepter par le groupe, le ressenti de la différence, l’expérience de l’humiliation, les boums pourries du samedi, les adultes inexistants ou gênants, …

Avec ironie, humour et douceur, Rosenberg capte le monde de l’adolescence comme si il n’avait pas grandi, comme si ses souvenirs étaient restés intacts, comme si finalement, Jonathan (« 13 ans ») et Benoît (« Aglaée ») étaient des intimes du passé, des doubles, des mini-lui. Jolie surprise que ce film frais et honnête dans ses intentions : rarement, le monde complexe et narquois de l’adolescence avait été si bien scénarisé et interprété.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview de Rudi Rosenberg

N comme Nola

Fiche technique

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Synopsis : C’est une journée particulière dans la vie de Nola : c’est sa première permission de sortie après des années de détention. Le portrait d’une femme autour de qui le monde vacille est ainsi tiré…

Genre : Fiction

Durée : 25’

Année : 2010

Pays : Tchad, France

Réalisation : Askia Traoré

Scénario : Askia Traoré

Images : David Chizallet

Montage : Frédéric Baillehaiche

Interprétation : Mata Claudine Gabin, Sophie Vaude, Satya Dusaugey

Production : Abbel Films

Article associé : la critique du film

Nola de Askia Traoré

Premier film du Tchadien Askia Traoré, « Nola » montre d’emblée la grande maturité et la sensibilité de l’auteur. Dévoilé en compétition internationale cette année au Festival International du Film Francophone de Namur, ce court dresse un portrait émouvant de la détention et de la liberté.

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Nola fait sa première sortie après des années de prison. Avec des pas prudents, un regard méfiant et un manque de confiance flagrant, elle tâche de se réintégrer, le temps d’un souffle, dans la vie normale. Entre des souvenirs de sa relation affectueuse avec sa compagnon de cellule, elle erre dans la ville et essaie de profiter du peu de temps dont elle dispose. Mais lorsqu’une rencontre amoureuse dans un bar dérape au point d’enclencher une réponse violente de sa part, elle se rend compte que la liberté, ne fût-ce que temporaire, n’est pas chose aisée pour une détenue.

Le rôle principal de « Nola » est splendidement interprété par Mata Gabin, dont le visage, mis en valeur par le biais de gros plans, traduit avec justesse chaque angoisse, chaque crainte et chaque joie ressenties par le personnage. Une séquence particulièrement réussie illustre le jeu remarquable de l’actrice : installée dans son bain, Nola vit un moment de répit, où elle savoure pleinement et désespérément cette bribe de liberté qui lui manque tant, tout en sachant que celle-ci est temporaire. Effectivement, beaucoup de choses passent par la gestuelle et le silence du personnage et par l’image en général, ce qui explique par ailleurs les dialogues et le scénario minimalistes.

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Traoré penche pour le parti pris d’une narration indirecte, épaulé par sa maîtrise précoce de la technique. Il exploite notamment l’encadrement pour faire passer le sentiment d’enfermement de façon presque subliminale : les gros plans de Nola contrastent souvent avec des plans très larges de son environnement ; et elle est souvent vue à travers des vitrines, des grilles ou encore à travers l’œilleton de la porte de prison, où elle se fait épier par une codétenue antipathique. Ce même regard réapparait tel un cauchemar pour Nola et représente à la fois l’absence totale d’intimité dans sa séquestration et le jugement critique porté par la société.

Si l’humanisme au cinéma se transmet mieux par l’accompagnement du ressenti que par l’explicitation des faits, le plus grand mérite de « Nola » est sa faculté à susciter de l’empathie chez le spectateur. Une qualité dont toute bonne fiction devrait jouir.

Adi Chesson

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Césars du court, les 12 pré-sélectionnés

La sélection des courts

– 8 Et Des Poussières – Réalisation: Laurent Teyssier / Production: Tita Productions

– C’est Plutôt Genre Johnny Walker – Réalisation : Olivier Babinet / Production: Ferris & Brockman

– Chiennes d’histoire – Réalisation : Serge Avedikian / Production: Sacrebleu Productions

– Enterrez Nos Chiens – Réalisation: Frédéric Serve / Production: Qualia Films

– La guitare de diamants – Réalisation : Frank Beauvais / Production: Les Films du Bélier

– L’Homme à La Gordini – Réalisation : Jean-Christophe Lie / Production: Prima Linéa Productions

– Logorama – Réalisation : François Alaux, Hervé De Crécy, Ludovic Houplain / Production: Autour de Minuit

– Monsieur L’Abbé – Réalisation : Blandine Lenoir / Production: Local Films

– Petit Tailleur – Réalisation : Louis Garrel / Production: Mezzanine Films-

– La République – Réalisation: Nicolas Pariser / Production: Noodles Production

– Un Transport En Commun – Réalisation: Dyana Gaye / Production: Andolfi

– Une Pute Et Un Poussin – Réalisation: Clément Michel / Production: Sombrero Films

J comme les Journaux de Lipsett

Fiche technique

Synopsis : Il s’agit d’une descente dans le maëlstrom des angoisses d’Arthur Lipsett, célèbre cinéaste expérimental canadien, mort à 49 ans. Journal intime transfiguré en bombardement d’images et de sons, exploration d’une prodigieuse frénésie créatrice, ce tableau illustre la chute vertigineuse d’un artiste dans la dépression et la folie…

Genre : Animation

Durée : 14’

Année : 2010

Pays : Canada

Réalisation : Théodore Ushev

Scénario : Chris Robinson

Images : Theodore Ushev

Musique : David Bryant

Voix : Jarvis Robinson Neall, Samuel Jacques

Narration : Xavier Dolan

Production : Damia Films, MD Ciné

Articles associés : le reportage sur la compétition internationale au FIFF, l’interview de Theodore Ushev

La sélection internationale au FIFF 2010

Et nox facta est

La compétition internationale du Festival du film francophone de Namur, composée cette année de 11 titres (dont deux belges chevauchant la compétition nationale), était marquée ces jours-ci par une grande richesse de sujets, de formes, de genres, de durées, de nationalités, … Pourtant, une certaine  noirceur s’était glissée en filigrane à travers toute la sélection, démontrant la grande sobriété et le sérieux qui imprégnaient chaque court et qui régnaient dans la salle. Aperçu global d’une sélection hétéroclite.

Parmi les films visionnés à Namur, le thème de la violence familiale était présent dans pas moins de trois titres. Le plus dur à voir et le plus littéral dans son propos étaitassurément « Khouya » (Mon frère) de Yanis Koussim, venu tout droit d’Algérie. Tract appuyé sur la violence dans un foyer sans père où le frère est roi, ce court plonge son spectateur dans un monde terrible de non respect et de brutalité envers les femmes, et ce faisant décrit une réalité universellement interpellante. Toujours dans la logique de rapports fraternels, « Musafirul » (L’invité) de Razvan Tache Alexandru (Roumanie) montre, sur un ton beaucoup plus léger, les périples d’un frère possessif récemment sorti de prison, obsédé par les activités de sa jeune sœur. Qu’il prenne en otage un vieux couple pour mieux épier celle-ci n’est nullement problématique pour le spectateur qui assiste dans cette tragicomédie à un renversement de situation où le tyran devient le tyrannisé et où les victimes deviennent les êtres bienveillants. En dernier lieu, le réalisateur français Nicolas Sarkissian offre sa propre version de l’agression domestique, sous forme d’un essai psychologique nommé « Fracture ». Ce film a le mérite de bénéficier d’un travail cinématographique impeccable, même si il est peu crédible en ce qui concerne l’histoire, qui met en scène la trop grande rupture entre une vie parfaite et le « mal invisible » ressenti par le protagoniste, montrée par le biais de gros plans et d’une bande-son subjective.

Dans la jungle des villes / In the urban jungle from Annee Zero on Vimeo.

Deuxième thème, moins hostile mais pas pour autant plus réjouissant : le vol, matériel dans « Lord » du Roumain Adrian Sitaru ou plus métaphorique dans « Dans la jungle des villes » de Stéphane Demoustier et Denis Eyriey (France). Tout comme « Valuri » (Vagues) réalisé par Sitaru en 2007, « Lord » charme par l’innocence et l’ironie apportées à un sujet potentiellement pesant pour créer un réalisme sobre et un humour doux-amer que l’on associe au cinéaste roumain. Le deuxième film propose en revanche une sorte de « Mr Ripley » transposé à Strasbourg, où le vol d’un sac provoque une rencontre fatidique entre les trois protagonistes. Mais à l’inverse du drame noir américain, ce court français se clôt sur un ton plus allègre. Notons que le jeu d’acteurs (dont les deux rôles masculins sont assurés par les réalisateurs eux-mêmes) est en lui-même digne d’une comparaison avec le film culte de Minghella.

L’échec est autre thème saillant dans cette programmation bigarrée. Un court belge, « Nuit blanche » de Samuel Tilman, offre un regard très humain et quasi documentaire sur une nuit dans la vie d’un gendarme de secours en montagne, qui essaie de sauver trois jeunes alpinistes perdus dans un orage. Autre film issu du pays plat, « Pour toi je ferai bataille » de Rachel Lang dresse le portrait intime d’une jeune fille à la recherche d’elle-même se soumettant aux supplices de l’armée française. Enfin, « Nola », une coproduction franco-tchadienne, qui fait sa première au FIFF, suit le parcours d’une détenue lors de ses jours de sortie, dont le sentiment d’enfermement est habilement traduit à l’image par le réalisateur Askia Traoré.

Histoire de poursuivre avec la noirceur, relevons deux courts axés autour du thème du suicide, provenant conjointement du Canada. « Les Poissons » de Jean Malek se présente telle une vignette très courte et archi lyrique sur le « cri ultime » de trois jeune filles prématurément exténuées. À l’instar du sublime « Virgin Suicides » de Coppola fille, « Les Poissons » transporte son spectateur dans l’univers intérieur de ses protagonistes, par le biais d’une bande-son émotionnellement chargée, d’un texte hautement poétique et d’une image très onirique. « Les Journaux de Lipsett », signé Théodore Ushev, est plutôt une fiction-animation frénétique qui transmet avec acuité le tourment mental du réalisateur québécois Arthur Lipsett, qui s’est donné la mort en 1986. L’image surchargée répond parfaitement au texte dense composé à partir de scénarios de Lipsett. Ushev interprète ceux-ci à sa guise pour inventer sa propre narration, sa démarche mettant en évidence la question de la représentation de la réalité dans une optique biographique.

Petit dernier, le Français Rudi Rosenberg apporte heureusement un vent frais avec « Aglaée » et transmet avec justesse et audace ces sentiments troublants qui accompagnent l’éveil sexuel et provoquent autant de cruauté que de souffrance chez l’adolescent.

Que le fil rouge tourmenté qui semble traverser la sélection internationale soit symptomatique de quelque phénomène de marasme universel ou d’une annus horribilus particulière, une chose est bel et bien certaine : au FIFF, la qualité des films choisis reste le critère premier. Quelque soit l’opinion qu’on en ait, même si « ils ne rigolent pas ici », dixit un gamin causeur dans la salle.

Adi Chesson

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L comme Lord

Fiche technique

lord

Synopsis : Bien qu’il déteste les chiens, Toni cherche des animaux perdus dans le but d’opérer un chantage auprès des maîtres et de se faire de l’argent. À cause d’un vieux et laid Pékinois dont Toni n’a pas réussi à se débarrasser, des sentiments d’affection finissent par naître chez lui.

Genre : Fiction

Durée : 26’

Année : 2010

Pays : Roumanie

Réalisation : Adrian Sitaru

Scénario : Adrian Sitaru

Images : Adrian Silisteanu

Son : Florin Tabacaru

Montage : Andrei Gorgan

Interprétation : Sergiu Costache, Andreea Samson

Production : HiFilm Productions

Article associé : la critique du film

K comme Khouya (Mon frère)

Fiche technique

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Synopsis : Trois sœurs, un frère et leur mère ; tels sont les protagonistes de « Khouya », un huis-clos qui se déroule dans un intérieur algérien ordinaire. Le frère bat ses sœurs, et la mère le laisse faire. Quand l’une de ses filles refuse un mariage arrangé pour elle, c’est le drame. La violence atteint alors un point de non retour…

Genre : Fiction

Durée : 17’

Année : 2010

Pays : Algérie

Réalisation : Yanis Koussim

Scénario : Yanis Koussim

Images : Jean-Marie Delorme

Son : Julien Sicart

Montage : Pauline Dairou

Interprétation : Sonia, Samia Meziane, Anya Louanchi, Salima Abada, Nabil Asli

Production : Damia Films, MD Ciné

Article associé : le reportage sur la compétition internationale au FIFF

P comme Les Poissons

Fiche technique

Synopsis : Trois jeunes femmes passent une dernière journée entre amies…

Genre : Fiction

Durée : 5’

Année : 2009

Pays : Canada

Réalisation : Jean Malek

Scénario : Jean-Philippe Payette

Images : Jean Malek

Montage : Jean-Sébastien Létourneau

Musique : AMIINA

Interprétation : Stéphanie Lapointe, Vanessa Pilon, Nastassia Markiewicz

Production : Jean Malek enr., Kino00

Article associé : le reportage sur la compétition internationale au FIFF

La compétition nationale au FIFF

Le temps d’un week-end, le FIFF a réuni nombre de petits films aux voix lointaines, douces et graves venues des différents coins de la Francophonie. Dans la compétition nationale où 15 films concouraient, l’inflexion était parfois excessive, tremblante, hésitante et maladroite mais elle s’est tout aussi bien montrée jouissive, vraie, profonde et torturée. Aperçu de cinq cris de cœur.

Caniche de Noémie Marsily et Carl Roosens

Un clebs tout émoustillé par une revue féminine d’où s’échappent des conseils de beauté désuets, un coiffeur zoophile et des « Desperate housewives » endimanchées. Quoi de plus naturel en somme ? Rien ne l’est plus dans l’univers de Marsily/Roosens… Le duo d’illustrateurs nous livre une joyeuse animation, libre de toute contrainte narrative classique. Un trait souple et crayonné, presque enfantin, auquel s’ajoutent des photos de visages collées nonchalamment sur des bourgeoises rigides, reflète le décor idéal d’un esprit délicieusement dérangé. À l’image de la citation de Céline qui clôt le film, cette courte démonstration animée des amours canines unit absurdité, humour et nihilisme. Oui, sans aucun doute, l’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches, mais des caniches qui ont leur dignité, eux !

Pour toi, je ferai bataille de Rachel Lang

Délicat et sensible, proche d’un cinéma intimiste à la Doillon, ainsi se présente le film de fin d’études de Rachel Lang, issue de l’IAD. Lauréate du Léopard d’argent à Locarno, la Strasbourgeoise se sert du langage cinématographique pour exprimer les doutes d’une jeune fille paumée qui trouve dans le service militaire un guide rassurant. Le film ne serait qu’une ode à cette structure spartiate et polémique s’il ne dépassait pas grandement son sujet par une mise en scène résolument confidentielle. La réalisatrice réussit tout simplement à aller au-delà du paraître pour atteindre l’être dans sa fragilité et sa vulnérabilité dans une histoire où l’armée n’est finalement qu’un prétexte à un texte bien plus profond, plus existentiel, plus métaphysique. Car Lang nous parle d’elle-même, de nous, d’une jeunesse sacrifiée prête à faire des choix extrêmes pour trouver un sens à sa vie, tout en restant si vraie. Une vérité qui se confirme dans l’interprétation à fleur de peau de Salomé Richard. Avec un souci du ton juste, une fraicheur et une spontanéité naturelles, l’actrice porte le film sur ses frêles épaules et s’offre sans retenue à une caméra qui tente invariablement de lui ouvrir le cœur.

Na wewe de Ivan Goldschmidt

Dans la région des mille collines, par un matin calme de l’année 1995, la vie de Jean-Luc Pening, agronome belge installé au Burundi, bascule dans le noir. Une balle dans la tête, tirée à bout portant lui ôte la vue. Sur l’écran noir de ses nuits blanches, il rêve de dénoncer l’absurdité de la guerre dans un récit simple et touchant. « Na wewe », signifiant « toi aussi » en kirundi, est une histoire essentiellement humaine, sans amertume ni rancune qui met en scène l’assaut de passagers d’un mini-bus par des rebelles, désireux de séparer les membres de la compagnie selon leur appartenance ethnique. Les acteurs, non professionnels pour la plupart, interprètent une situation fictive maintes fois vécue dans leur réalité d’autochtones. L’expérience cinématographique apparaît dès lors comme une réelle catharsis permettant d’exorciser les démons du passé. Malgré une tension palpable tout au long du film, face à un conflit absurde et dénué de sens, Pening et Goldschmidt ont pris le parti de l’humour. Un humour qui déconcerte dans un premier temps, mais qui fait très vite place à l’empathie pour des personnages criants de sincérité.

Nuit blanche de Samuel Tilman

Quotidiennement, des sauveteurs interviennent en haute montagne pour aider des touristes égarés ou en danger. Tous les jours, des hommes et des femmes tentent de réussir l’impossible pour sauver des vies. Nuit blanche raconte quelques heures dans la vie de Serge, l’un de ces « surhommes », en une fiction habilement réalisée par l’auteur de Voix de garage. Grâce à un montage dynamique, on passe de la centrale où se trouve Serge, lieu de chaleur et de réconfort à l’hostilité nocturne de la montagne qui emprisonne en son sein, Ariane et deux de ses amis. La nuit tombe, le vent glacial annonce un redoutable blizzard et les trois solitudes n’ont plus qu’une voix humaine, celle de Serge, pour les réchauffer, pour les réconforter. Même si au fond de lui, il sent que les chances de les garder en vie sont faibles. Le contraste des lieux et le choix de ne jamais montrer les victimes forcent le spectateur à adopter le point de vue de Serge et à se retrouver à attendre comme lui, les nouvelles d’Ariane qui surviennent au compte goutte. Suspense et confinement contrastent avec l’immensité de cette nature immaculée, sorte de paradis perdu qui peut aussi se montrer terrible et impitoyable.

Thermes de Banu Akseki

Avec son second opus, Banu Akseki confirme son talent de réalisatrice et sa volonté de faire un cinéma social qui se démarque fortement de ses aînés. Thermes ou la violence des échanges en milieux humides nous plonge dans les abysses d’une relation mère/fils problématique. La mère (admirablement interprétée par Sophia Leboutte) sombre dans l’alcool, le fils, quant à lui, est dans un mutisme proche de l’autisme. Et dans cette impossibilité de communiquer, chacun se côtoie tout en restant dans sa bulle. Lorsque Joachim gagne des places pour les thermes de Spa, c’est tout naturellement qu’il invite sa mère dans ce lieu de détente et de bien-être. Il faut croire que Banu aime filmer les femmes dans le désarroi, « Songe d’une femme de ménage » montrait une nettoyeuse turque, en proie à une crise existentielle. À l’instar de Cassavetes qui filme Gena Rowlands dans Une femme sous influence, Akseki capte la déchéance physique et psychique de la mère en un magnifique plan-séquence à travers le spa. Le luxe et la quiétude des lieux contrastent violemment avec son mal-être. Et si seule la dignité vaut la liberté, pour la cinéaste, seule l’immersion complète permet de refaire surface !

Marie Bergeret