En avril dernier, le jury composé de Georges Coste, Nadia Le Bihen, Aziza Kaddour et Marc-Antoine Vaugeois a choisi de décerner le Prix Format Court au film « Comme une grande » de Héloïse Pelloquet lors de la dernière édition des Rencontres du moyen-métrage de Brive. L’ancienne étudiante de la Fémis diplômée de la section montage a également séduit les différents jurys du festival (le jury officiel qui lui a remis le Grand Prix France ainsi que le public qui lui a attribué son prix) avec cette chronique adolescente où fiction et documentaire se mélange avec brio, livrant un portrait de jeune fille saisissant porté de bout en bout par son actrice principale : Imane Laurence. Dans le cadre du Prix Format Court, le film a été projeté le jeudi 14 mai dernier au Studio des Ursulines (Paris, 5è) avec d’autres court-métrages lauréats de Prix Format Court.
Pour la sixième année, le festival CourtsCourts lance son appel à films. Du 23 juillet au 25 juillet, ce festival atypique dans les collines du haut Var attire plus d’une centaine de spectateurs pour assister aux projections chaque soir, en plein air.
Pour sa prochaine édition, le festival lance son appel à films jusqu’au 24 mai. Tous les genres sont admis, fiction, animation, humour, documentaires,… d’une durée maximale de 20 minutes.
Une compétition de courts métrages est organisée le samedi 25 juillet pour et avec les moins de 10 ans. Les films (5-10 minutes) destinés à ce jeune public peuvent également concourir au Prix des Pichoun.
Cette année, le jury du Prix Format Court à Brive a craqué pour une jeune adolescente dont l’enfance investit brillamment le moyen métrage, « Comme une grande », premier film d’Héloïse Pelloquet, sortie dernièrement de la Fémis, dont le dispositif renverse les codes habituellement associés aux films sur le passage à l’âge adulte. Petite tentative de décryptage après sa projection jeudi 14 mai au Studio des Ursulines (Paris, 5è) dans le cadre de son prix.
De Chaplin à Pialat en passant par Céline Sciamma, Peter Bogdanovich ou Richard Linklater, la vie à hauteur d’enfant est un thème inépuisable au cinéma. Pourquoi ? Il est difficile, voire impossible pour tout un chacun de se remémorer dans toute sa précision les premiers émois de l’enfance. Aussi, le cinéma agit comme un catalyseur de souvenirs. Au spectateur de se demander ce qui le concerne ou ce qu’il appréhende de sa propre enfance avec sa sensibilité d’adulte à travers l’identification à un personnage plus jeune que lui.
Même dans cette définition de départ d’un sous-genre que pourrait être « le film d’enfance », le moyen-métrage « Comme une grande » d’Héloïse Pelloquet détonne. Sa durée surprend déjà car il nous propose de parcourir en un peu moins de trois quarts d’heure, quatre saisons dans la vie d’une petite fille qui bascule peu à peu dans l’âge adulte.
Le tour de force de rendre crédible ce long portrait détaillé est relevé haut la main par la réalisatrice mais également par la jeune actrice, Imane Laurence, 13 ans, dont c’est le tout premier rôle de cinéma…mais pas forcement devant une caméra.
En effet, à sa manière, « Comme une grande » fabrique un dispositif original pour filmer l’enfance. Ayant remarqué que sa jeune actrice aimait se filmer elle-même devant une webcam ou avec son téléphone portable, parfois même avec ses amies, Héloïse Pelloquet a récupéré, avec son accord, certaines de ces vidéos, sans même avoir à lui confier une caméra pour le projet du film. Au-delà du dispositif classique qui consiste à montrer l’enfant dans un environnement recrée, ici, il s’agit des propres outils d’image de l’enfant en question.
À la faveur de l’éclosion des jouets numériques, il semble, pour Imane et pour nous spectateurs par la même occasion, que les distances entre l’histoire racontée et l’image saisie soient abolies. On se surprend à apprécier les imperfections de l’image, son grain, le flou, les images verticales (la marque des images tournées avec un téléphone portable), car elles nous amènent au plus près de la vie du personnage, et ce avec une grande pudeur, sans jamais tomber dans le voyeurisme morbide, mais au contraire, avec une grande vitalité, celle de la jeune actrice du film, jouant sa propre vie.
Ces petits moments purement authentiques sont enchâssés dans un récit d’une grande rigueur, enchainant les rites de passage à l’âge adulte. On trouve dans le film une scène de déjeuner de famille, un passage avec des garçons, une scène de dernier jour d’école, un séjour de la cousine montée à Paris où la jalousie d’Imane est bien palpable.
Dans cette autre série de séquences, il y a un dispositif novateur dont on ne saisit que les contours mais qui crée une distance idéale par rapport au personnage. On sent bien que ces scènes ont été tournées par la réalisatrice avec ce surplus de réalisme que seule la proximité permet. Par exemple, quoi de plus évocateur que ces enfants et pré-adolescents noirmoutrins discutant de leur avenir une fois qu’ils auront quitté leur ile ? Et que dire de la présence des parents, manifestement bien connus de la réalisatrice ?
Héloïse Pelloquet réussit donc à nous replonger en enfance grâce à ce lien ténu entre fiction et documentaire, entre authenticité brute et refabrication précise. Un beau moment de cinéma et de vie aussi.
Synopsis : Un an de la vie d’Imane, au bord de l’océan. Un jour Imane sera grande. En attendant, il y le collège, les copines, les garçons, l’été, les vacanciers de passage, l’hiver, les projets, les rêves.
L’animation n’est pas la spécificité du festival Premiers Plans d’Angers. C’est pourtant dans cette section moins connue du festival que nous remettons un Prix Format Court depuis deux ans. Début janvier, nous avons primé « Kijé », un premier film d’une jeune réalisatrice autodidacte, Joanna Lorho. Le film a été projeté le jeudi 14 mai au Studio des Ursulines pour une séance spéciale autour des Prix Format Court, en compagnie de 3 autres films radicaux et pertinents, réalisés par de nouveaux réalisateurs prometteurs etprimés par notre équipe aux festivals Go Short (Nijmegen/Pays-Bas), IndieLisboa (Portugal) et Brive (France).
À Angers, le Jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Géraldine Pioud et Nicolas Thys) avait choisi de récompenser « Kijé », un film extrêmement maîtrisé, tout en nuances de noir et de gris, peuplé d’âmes errantes, de fantômes et de créatures hybrides. Un film étrange, un trait parfois proche de l’esquisse, un monde nocturne angoissant et paradoxalement empreint d’une grande douceur, un stylé épuré et personnel.
Après avoir projeté le film à Paris et en attendant un nouveau film de la jeune réalisatrice (dont le DCP sera doté par notre partenaire, le laboratoire numérique Média Solution), nous vous invitons à consulter son focus en ligne, entre esquisses, petits pas et apprentissage en solitaire.
Il s’agit d’un premier film très maîtrisé, tout en noir et gris, au trait épuré, porté par une musique magnifique. Son nom ? « Kijé », un curieux titre qui a révélé un nouveau talent au dernier Festival d’Angers : Joanna Lorho, lauréate de notre Prix Format Court. Dans le cadre du focus qui lui est consacré, la jeune réalisatrice bretonne installée à Bruxelles est revenue sur son parcours, son univers, ses difficultés et son lien à l’illustration et à l’animation. Jeudi passé, nous avons diffusé son film au Studio des Ursulines (Paris, 5è) et organisé une exposition autour de son travail. Aujourd’hui, nous vous proposons de faire la connaissance de son auteure.
Comment es-tu arrivée à l’animation sans l’avoir étudiée au préalable ?
Je n’ai effectivement pas suivi de formation en animation. Je viens des Beaux-Arts de Rennes, une formation assez pluridisciplinaire mais dans laquelle je ne m’épanouissais pas entièrement. J’ai ensuite fait un an d’illustration à l’école Saint-Luc, à Bruxelles, mais ça n’a pas été le coup de foudre non plus. À coté de cela, j’ai toujours nourri une passion pour la musique classique que j’ai étudiée jusqu’à mes 19 ans. L’animation est finalement venue comme un médium qui pouvait réunir à la fois mes deux centres d’intérêt, le dessin et la musique.
Comment as-tu appris à animer ?
J’ai vraiment appris à le faire avec « Kijé ». Ce film s’apparente à un travail de fin d’études qui a mis beaucoup de temps à se faire. Il y a des bouts de ce film qui ont été réalisés alors que je savais à peine animer et d’autres qui sont beaucoup plus récents. J’ai voulu tout faire, l’animation, la musique, et c’est en partie pour cela que j’ai mis autant d’années à le terminer. Ça a été assez compliqué, j’ai eu du mal à le construire, à vivre avec pendant autant d’années. Il y a encore certaines scènes que j’aurais voulu refaire encore et encore, mais au bout d’un moment, il faut savoir mettre fin à un projet. Quand on est autodidacte, il y a des moments de doute et finalement personne à qui se référer.
Pourquoi avoir fait ce film toute seule ?
Pour déléguer, il faut savoir où l’on va, ce que l’on veut. Ce projet était tellement expérimental que c’était compliqué de faire intervenir d’autres personnes. Je n’aurais pas su comment et à qui déléguer des tâches, finalement.
Quelles ont été les références de « Kijé » ?
« Kijé » fait référence à une musique de Prokofiev. Au départ, je voulais illustrer la suite du « Lieutenant Kijé », une musique qui a été écrite pour un film qui n’a jamais eu lieu, mais comme les droits de l’œuvre appartiennent à Universal, le projet était inaccessible pour moi. J’ai reconsidéré l’idée initiale et fait un film dont la structure et la musique étaient juste inspirées de Prokofiev. Progressivement, un univers fantastique s’est installé, il m’a été inspiré par la musique à la fois grotesque et inquiétante.
Même si tu as fait ce film en solitaire, tu as eu l’opportunité de travailler avec deux structures de production belges, Zorobabel et l’Atelier Graphoui. Quel a été leur rôle ?
Ce sont des structures qui aident beaucoup les films d’animation à se concrétiser. Je suis arrivée avec un projet très bizarre, très largement inspiré de la musique. La technique, je l’ai cherchée jusqu’au bout et leurs équipes m’ont laissée faire. Caroline Nugues m’a été très précieuse, elle m’a beaucoup aidée et épaulée. Vers la fin du projet, j’avais beaucoup de doutes. J’ai été conseillée quant aux éléments qui me paraissaient flous. On m’a beaucoup soutenue tout en me laissant aller à mon rythme. J’avais besoin de temps, de réaliser d’autres projets en parallèle. J’ai commencé celui-ci en 2008 et « Kijé » n’a été montré qu’en octobre 2014. C’est génial de pouvoir prendre son temps de cette manière, mais c’est à double tranchant car j’ai quand même souffert de porter ce projet aussi longtemps.
Qu’est-ce que la forme du court métrage t’a apporté sur ce projet ?
Le court métrage est parfait pour l’animation. On peut expérimenter beaucoup plus de choses qu’en fiction et l’équipe est plus réduite. Le format du clip est idéal selon moi. Je trouve qu’une durée de 3 à 5 minutes est très intéressante pour pouvoir développer une histoire. Après une heure, ça devient un autre monde et je sens que ça ne me tente pas du tout.
Tu as envie de te relancer dans un autre projet ?
Pas pour le moment. J’ai mis tellement de temps pour réaliser « Kijé » que je ne me vois pas réaliser un deuxième court métrage dans l’immédiat. Par contre, un clip ou une collaboration me tente, parce que j’aimerais être plus entourée dans mon prochain projet. J’ai envie d’échanges qui faciliteraient et accélèreraient le processus.
Certains animateurs disent beaucoup en peu de traits. D’autres se réfugient derrière la technique et se détournent du message. Quels sont ceux qui t’intéressent ?
Je m’intéresse au travail de Carl Roosens et Noémie Marsily que je fréquente et qui se sont mis à l’animation à peu près au même moment que moi. J’aime aussi les films de Gianluigi Toccafondo.
L’animation, en tant que médium, doit être justifiée. Elle permet des choses innovantes, inédites qui ne peuvent être réalisées que par ce biais. Faire une animation dont le sujet peut être aussi bien développé et percutant qu’en fiction me semble pauvre d’intérêt.
Tu m’as dit vouloir te recentrer sur des illustrations autour de la jeunesse…
La BD et l’illustration m’ont toujours paru plus faciles. Les projets peuvent être faits sur des périodes beaucoup plus courtes et cela demande moins de travail.
As-tu une idée du nombre de dessins que tu as pu réaliser pour « Kijé » ?
J’ai fait un gros travail d’archivage : toutes ces années de travail sur le même projet m’ont donné envie de garder des traces. J’ai environ 8.000 dessins dont beaucoup de travaux de recherche et de dessins de foules également. J’anime les personnages par couche, par superpositions, il y a donc beaucoup de calques.
Au-delà de la question du temps, as-tu rencontré d’autres contraintes sur ce projet ?
J’ai le syndrome de l’autodidacte, j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro. En animation, ma technique est marquée par la contrainte. Par exemple, pour le passage où Kijé commence à se faire enlever par la foule, j’ai commencé à travailler à l’huile et au crayon, j’étais dans la pratique pure. J’ai mis 6 mois pour faire cette scène, je commençais à devenir folle. Si on y prête attention, on peut voir au milieu de la scène un changement de technique : d’un coup, le dessin s’allège. Je n’avais pas le choix, il était nécessaire de faire des compromis. Ces concessions ont, au départ, été lourdes pour moi, mais nécessaires pour aller au bout de mon projet. Je suis contente d’y être arrivée !
La bonne info : « Kijé » est disponible à la vente. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.
Rares sont les courts-métrages auxquels l’adjectif ludique s’appliquerait aussi bien qu’au nouvel opus de l’Argentin Leonardo Brzezicki, The Mad Half Hour. En compétition à la Berlinale ainsi qu’au dernier festival IndieLisboa (où il a obtenu le Prix Format Court), le film réunit le temps d’une nuit à Buenos Aires quelques gais éléments qui, tout en se déliant, se rapprochent dans le sentiment – que ce dernier soit amoureux ou fraternel. Les personnages sont autant de pions que Leonardo Brzezicki parvient à articuler dans une trajectoire photographique en noir et blanc, dont on retient davantage les variations de gris, les ombres, que l’opposition chromatique. Il faut dire que le jeu n’est pas seulement lié aux déplacements surprenants des personnages, à leurs changements d’humeur, à leurs abandons à répétition, à leur soif d’absolu, à leur tristesse mêlée à une joie insensée, à leurs visions extatiques; car ce qu’on retient de cette folle demi-heure est davantage l’espace béant qui régit indéniablement les rapports. Le jeu, c’est aussi ce qui provoque le frottement, voire la panne, c’est l’espace qu’il y a entre deux pièces, deux règles, au sein d’une mécanique a priori bien huilée. Inutile de dire que le contexte nocturne semble aider à la mise en place de ce chassé-croisé enlevé, où la joie s’allonge sans vergogne dans le désenchantement.
Jeu de société. Tout commence sur un terrain de tennis. Un rêve d’abord, raconté par un frère à sa sœur, qui ouvre le film à travers une image d’archives : on voit un homme tenter de maîtriser un cheval à terre, dans une forme d’étreinte peu banale. Raconter ce rêve au lieu de s’adonner à l’activité sportive, cela signifie tenter de faire quelque chose d’un imaginaire perturbant, qui a du mal à s’intégrer dans le fil de la perception. Et la mise en scène, fondée sur l’embarras des corps et l’inquiétude neutre des visages, vient appuyer une forme d’absurdité du contact. Dans l’air filmique, émerge déjà un embarras de communication, provoquant un rictus chez le spectateur. Le comique de situation est recherché, avec une pointe de systématisme forcé. La première règle du jeu est révélée : en vain, les corps contrôlent ce qu’ils sont. Cut.
Sur le terrain de tennis attenant, on assiste à une crise. Il s’appelle Juan et s’arrête de jouer. La tête dans ses jambes, les mains sur ses cuisses, Juan n’en peut plus. Aveu d’impuissance ? De faiblesse ? Pas si sûr : plutôt un aveu d’envie. Son petit ami lui demande pourquoi. Juan répond simplement : « Je n’ai plus la passion. » Il épilogue ensuite avec difficulté sur l’absurdité de faire ce qu’on fait. Mais le mot passion est ici à prendre à tous les niveaux, et cesser de jouer se réfère (évidemment, mais pas seulement) à l’essoufflement de la relation amoureuse. Juan sort du terrain, laissant son partenaire en plan. Fin de partie. Cut. Dans un bar-karaoké. Juan et son petit ami s’enivrent, un micro à la main, face à l’écran enchanté. Un rebond ? Non, plutôt une ivresse amère. Comme s’il fallait en finir mais qu’on ne savait pas comment.
On saisit bientôt ce que The Mad Half Hour veut dire; plus qu’une folle balade, Leonardo Brzezicki montre une série de tableaux mouvants et drolatiques dans lesquels chacun est hanté par une force intérieure, par l’idée de perte peut-être, ou bien par l’insensé. Là, des éléments extérieurs entrent en jeu pour révéler ce qui est (a été ?) laissé sur le chemin; un poteau sur lequel se cogne Juan, une toile d’araignée musicale dans laquelle ce même Juan se faufile, une vidéo projetée sur un mur (ces mêmes images qui servaient de support au rêve du frère au début du film). Prosaïquement, il s’agit de la visite d’une galerie d’art contemporain. Filmiquement, on dirait que les personnages curieux sont littéralement avalés par cet étrange contexte et que cette exploration ne donne lieu à aucun saisissement de la raison; les hantises peuvent être dépassées par une obscure fantaisie. Telle était la formule que le réalisateur avait déjà développée dans Noche — un long-métrage courageux sur le deuil qu’on avait découvert au Festival des Nouveaux Horizons de Wrocław en 2013.
Tu joues aux confins avec moi ? La trajectoire des deux hommes (re-)croise ainsi celle du frère et de sa petite sœur — oui, ceux-là même du début du film —, auxquels s’ajoutent une autre sœur, plus âgée celle-là, et une (son ?) amie. La ville semble n’appartenir qu’à cette troupe de badauds bien trop beaux pour contredire leurs impulsions. Et la narration s’embrouille, s’enfuit au loin. C’est là que la mise en scène sort le grand jeu et nous délivre la deuxième règle : besoin de (se) fuir. Aussi la ville devient-elle forêt. On voit Juan et son petit ami avancer lentement dans cette jungle inattendue, dans lequel ils sont venus faire l’amour — la référence au Chant d’amour de Jean Genet est évidente. Au loin, on voit et entend les femmes s’enlacer en déclamant de la poésie amoureuse (“J’achèterai plusieurs dragons pour que personne ne t’approche / Mais je permettrai à l’humanité de t’espionner et partager avec elle, mon extase”) et les chats se dotent d’un troisième œil. Tout se déréalise pendant que prennent place les rapports charnels, jusqu’au constat d’une perte finale. L’amant de Juan s’en va, la seconde partie de la paire disparaît. Juan reste seul, sans plus aucune possibilité d’avancer. Il ne sait plus, de son amant ou du chat à trois yeux, qui chercher. Leonardo Brzezicki termine par une adroite pirouette scénaristique, une irrésistible poussée destructrice et mystique vers les formes cylindriques dressées verticalement (en l’occurrence, des troncs d’arbres). On s’empêchera d’y voir une quelconque métaphore phallique. On en restera là. Malgré les tentatives de rendre comique la réalité filmée, on retiendra la face plus tragique du jeu; la présence d’une solitude fantasmatique qui échappe et qui s’impose. On laisse donc Juan dans cette forêt, inconscient, non pas face à lui-même, mais face à un monde qui le hante et qui le perd. Cut.
Synopsis : Headlands Lookout est un documentaire expérimental centrée un tronçon spectaculaire de la côte du Pacifique à l’entrée de la baie de San Francisco. Le film traverse le paysage culturel et naturel de la région, en présentant un environnement «sauvage» traversé par l’activité humaine.
Genre : Documentaire expérimental
Durée : 23’55
Année : 2014
Pays : États-Unis
Réalisation Jacob Cartwright et Nick Jordan
Image, montage et son : Jacob Cartwright et Nick Jordan
Présenté dernièrement en compétition Silvestre au festival IndieLisboa 2015, « Headlands Lookout » est un documentaire expérimental coréalisé par Jacob Cartwright et Nick Jordan. Ce court métrage, commandé par le Headlands Center of the Arts, présente, au milieu de la brume caractéristique de la région de San Francisco, les paysages désertés du comté de Marin, en Californie.
Le documentaire raconte l’histoire de ce lieu, à travers ses collines, ses ruines modernes et sa base militaire laissée à l’abandon. Les images d’étendues vierges, où les visiteurs de passage s’attardent, sont accompagnées d’enregistrements d’archives, de lectures de textes et de poèmes de Gary Snyder, d’Elsa Gildow, de Michael McClure ou encore d’Alan Watts. Les réalisateurs ne les ont pas choisi au hasard : tous vécurent dans le comté, sur le mont Tamalpaìs, où ils créèrent une communauté appelée « Druide Heights ». Ces écrivains, poètes, philosophes de la contre-culture y vivaient dans ce qu’ils appelaient « la pauvreté bohème partagée ». Adeptes de la méditation, ils tentaient de trouver une manière de vivre en adéquation avec la nature et leur environnement. Témoignage de ce mode de vie particulier, les images nous mènent à la découverte de la maison d’Alan Watts, apôtre de la culture Zen.
Outre ces enregistrements, de brefs messages provenant de la centrale d’appel du shérif du comté ponctuent tout le film. Une voix féminine énonce les plaintes, les accidents, les altercations qui se sont produits dans le comté. Les faits évoqués tour à tour illustrent ou s’opposent aux images montrées. Le jeu de va-et-vient entre image et son, passé et présent, est permanent.
Au milieu de cet univers, un homme, le seul personnage récurent du film, s’introduit dans la maison abandonnée, encore décorée de statuettes bouddhistes, d’Alan Watts. Il tente, comme le philosophe en son temps, de communier avec la nature grâce à la méditation. La récitation de textes révélant les préceptes du penseur accompagne son cheminement spirituel. L’homme porte un uniforme de l’US Army, ce qui fait écho à un autre morceau de l’histoire de Marin, sa base militaire. Ainsi apparaît le lien entre les différentes thématiques évoquées tout au long du film.
Des images d’archive montrant le lancement d’un missile américain se superposent à celles du même lieu, aujourd’hui désaffecté. Le bruit sourd des moteurs contraste avec la quiétude actuelle. Le bruit de même que le silence est l’un des fils conducteurs du film. Le clapotis des vagues, le vent qui souffle entre les arbres, le chant des grillons ou le bourdonnement des abeilles s’opposent au bruit provoqué par la présence humaine et énoncé dans les différents enregistrements. L’origine des sons, sa perception par l’oreille humaine est d’ailleurs questionnée par l’un des philosophes alors que les images dévoile l’océan.
Dans ce documentaire expérimental, les réalisateurs ne se contentent pas de nous faire découvrir un lieu, ils nous en révèlent l’âme. Présenté comme un havre de paix et de spiritualité, cet espace rendu à la nature apparaît comme une parenthèse dans le monde où l’on vient s’échapper, se ressourcer, se couper du quotidien des hommes.
La 23ème édition du festival de courts métrages belges Le Court en dit long se tiendra du 1er au 6 juin prochain au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Format Court y attribuera pour la première fois un prix au sein de la compétition. Le Jury Format Court (composé de Sylvain Angiboust, Katia Bayer, Juliàn Medrano Hoyos et Paola Casamarta) élira le meilleur court en compétition parmi les 44 films sélectionnés, à l’issue du festival.
Le court-métrage primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une prochaine séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.
Films en compétition
– The opening de l’Atelier Collectif – La Demi-saison de Damien Collet – Une brume, un matin de Joachim Weissmann & Nicolas Buysse – Les sœurs Floris de David Verlant – Chaos de Sébastien Petit – Mémoires sélectives de Pauline Etienne-Offret, Rafaella Houlstan-Hasaerts – Mise à jour de Tom Boccara & Noé Reutenauer
– Jennah de Meryem Ben M’Barek – Paul et Virginie de Paul Cartron – Au moins le sais-tu d’Arthur Lecouturier – Elena de Marie Le Floc’h & Gabriel Pinto Monteiro – Grouillons-nous de Margot Reumont – Point d’orgue de Boris Brenot & Lucas de Thier – Timo, timoris d’Alexia Cooper – Sœur Oyo de Monique Phoba – Le mur de Samuel Lampaert – Kanun de Sandra Fassio – Untitled – figuration libre de Damien Collet – Le guide de François Hien – Vertiges de Arnaud Dufays – Monkey de Cédric Bourgeois – Le zombie au vélo de Christophe Bourdon – Pas plus con qu’un steack de Guérin Van de Vorst – L’ours noir de Xavier Séron & Méryl Fortunat-Rossi – Deep space de Bruno Tondeur – Dans la joie et la bonne humeur de Jeanne Boukraa – Monstre de Delphine Girard – Plein soleil de Fred Castadot – Août 1914 de Fedrik de Beul – Laura de Robin Andelfinger – Jay parmi les hommes de Zeno Graton – Papillons de nuit de Kaspar Vogler – Qui j’ose aimer de Laurence Deydier, Hugo Brassetto – Contre-courant de Gaétan d’Agostino – Mon ange de André Goldberg – Yew feat Arno « between up and down de Frédéric Hainaut & Simon Médard – Sirtaki sur la bande d’arrêt d’urgence de Simon Médard – Jung forever de Jean-Sébastien Lopez – Les pécheresses de Gerlando Infuso – Ineffacable de Grégory Lecocq – The sapiniere of love de Daniel Daniel – La valse mécanique de Julien Dykmans – La légende dorée de Olivier Smolders – Une toile d’araignée de Hüseyin Aydin
Les éditions DVD de courts métrages d’animation à l’unité sont assez rares. Une édition aussi belle que celle de « Kijé » de Joanna Lorho, Prix Format Court à Angers projeté ce jeudi aux Ursulines, est certainement une première. Au point qu’on aura du mal à qualifier le livret qui entoure le disque de « supplément » puisqu’il fait partie intégrante du processus filmique. Il existe différentes façons de découvrir puis de parler d’une œuvre. L’habituelle reste celle de se retrouver face à elle, la laissant défiler sur un écran et ensuite de se mettre à réfléchir avec le matériau final, brut. Avec ce DVD co-édité par Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche, on peut découvrir le film de manière « génétique ». En effet, on a droit à toute la genèse du projet artistique avant, à la toute dernière page, de trouver le disque avec le court. L’avoir placé tout au bout n’est pas un hasard, et prouve bien que (re)voir l’œuvre à l’aune de tout le chemin parcouru, des presque dix années de maturation qu’il a fallu à la réalisatrice pour enfin voir le bout du tunnel, est important. Qu’on aime ou non le film n’est alors même plus la question : nous avons droit à une nouvelle manière de le voir, de l’expérimenter, de se l’approprier. Et c’est un phénomène assez peu courant pour en profiter pleinement.
De quoi se compose le livret ? Déjà d’une couverture qui donne le point de départ : tout ici est fait main. L’écriture, le titre, le personnage mis en mouvement par les traits qui vont et viennent de tous les côtés comme s’il nous rappelait que l’ordinateur n’aurait jamais pu lui donner vie, tout rappelle la création artisanale. Puis, on a la chronologie du processus de fabrication en images et en mots. On commence, comme dans une exposition sur la fabrique d’une œuvre, par des extraits du premier story-board puis par des recherches plus précises, plus fines : le film est déjà en marche et l’intérêt réside aussi dans les dates apposées en dessous des choix graphiques afin de montrer l’évolution de la matière filmique, du mouvement, ses arrêts de temps en temps avec des coupures qui semblent s’éterniser avant la reprise.
Puis, on a les mots, à la manière d’un journal entremêlé d’entrées thématiques. Si les images bafouillent, les paroles aussi. On sent le désir de créer quelque chose, un univers, un monde, des personnages mais sans trop savoir comment les exprimer. C’est aussi complexe par l’image, qui change, qui tâtonne, qui évolue. On a droit aux espoirs et aux agitations et crispations de l’auteur qui nous parle à la première personne. À ce qu’elle écoute, voit, entend, aux réactions des gens autour d’elle qui ne la comprennent pas toujours bien. Et puis, on a ces plans qui commencent à prendre forme, à s’animer avec des planches où quelques dessins se suivent et au milieu desquels on peut imaginer les intervalles manquants, ce qui va mener au mouvement. On vit avec elle, le temps d’un livre, dans ses souvenirs, sa mémoire, ses fantasmes et ses envies. Lire le livret, c’est un peu partager un moment de vie et surtout la vie d’une œuvre en train d’être créée, comme une future maman qui parlerait de ce qu’elle vit au quotidien sauf que dans le cas de « Kijé », c’est vraiment plus intéressant.
Au final, plus on avance et plus on les découvre, plus elles prennent forme, l’œuvre et sa créatrice. Jusqu’au moment où enfin, on peut prendre le disque, très simple. Un menu avec le titre et une image, on clique et le film commence, et on peut se mettre à le regarder. Un seul bémol : une qualité d’image peut-être pas optimale mais suffisante sur les écrans pas trop grands.
Nicolas Thys
« Kijé », un film de Joanna Lorho. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.
« Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! » (« M, Le Maudit », Fritz Lang, 1931)
Présenté ces jours-ci à IndieLisboa en compétition internationale, lauréat du Prix Format Court et du Prix VEVAM (prix du Meilleur film néerlandais) au Festival Go Short qui s’est déroulé à Nijmigen du 8 au 12 avril dernier, « Onder ons » a séduit le jury de Format Court pour son sujet tabou traité avec autant de sobriété et de pudeur que de sensibilité. Le film sera projeté le jeudi 14 mai 2015, à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence du réalisateur dans le cadre de la séance spéciale Prix Format Court.
Également programmé en début d’année à Clermont-Ferrand dans la section Labo, le film de Guido Hendrikx, ancien étudiant de la Nederlandse Filmacademie, nous confronte à des témoignages de pédophiles qui dévoilent leurs désirs les plus intimes. En partant du conflit qui existe entre la morale et l’instinct naturel, le réalisateur s’est intéressé à ce sujet tabou en donnant la parole à trois personnes qui, dans l’anonymat le plus complet, expliquent leurs difficultés à gérer leur attirance sexuelle.
Le mérite du film d’Hendrikx est bien d’avoir tenté de faire comprendre le phénomène de la pédophilie en lui offrant une voix au travers de récits tantôt fragiles, tantôt choquants mais toujours criants de sincérité. Petit à petit, au fur et à mesure du film, le spectateur se glisse dans la peau des pédophiles pour être amené à ressentir leur souffrance et leur mal-être.
Le cinéaste opte pour une mise en scène métaphorique où l’image illustre les témoignages recueillis. La forme est dès lors au service du contenu et, plus qu’entendues, les paroles deviennent alors tangibles et permettent de donner naissance à une réelle empathie et à une meilleure compréhension du sujet. Le film tourné dans un noir et blanc significatif se compose de ralentis stylistiques et de nombreux travellings qui figent la réalité dans une horizontalité terrienne mettant en évidence la difficulté du pédophile de s’élever et de se libérer de ses pulsions sexuelles qui l’empêchent de vivre normalement.
Dans ses choix de plans et de montage, le réalisateur utilise le motif de la frontière de façon récurrente ; souvent, le regard est gêné par une ligne (fenêtre, barrière) qui traverse le plan, coupant l’image en différentes parties, explorant habilement cette zone grise, cette sorte de no man’s land qui sépare la raison de l’instinct, la normalité de la déviance, le bien du mal…
Film d’école d’une grande maturité, « Onder ons » pose un regard intelligent et sans jugement sur l’une des déviances sexuelles les plus brûlantes de la société moderne.
Synopsis : Trois pédophiles complexés et onsrtuits nous livrent un récit impitoyable de leurs expériences. Comment assumer une orientation sexuelle jugée morbide par toute la société y compris par soi-même?
Pour la onzième fois, le cinéma d’animation était à la fête à Lille. La manifestation, qui se déroulait sur trois jours, du 27 au 29 mars, n’est pas un festival et c’est bien là son intérêt majeur. Nous n’y allons pas pour voir la production récente de courts ou longs-métrages, soigneusement sélectionnés par quelques programmateurs, pour les enchaîner sur plusieurs jours avant une remise de prix. La Fête de l’anim’ est placée sous le signe des rencontres, avec une programmation hétéroclite, pensée avant tout pour inciter les spectateurs à entrer dans les salles et découvrir des films qu’ils ne verront pas forcément ailleurs. En somme, une manière différente de découvrir les choses.
Et quand on voit la foule envahir les salles lilloises (Le Majestic et l’Hybride), tourquennoises (Le Fresnoy, Les Ecrans et l’Imaginarium) et roubaisiennes (Le Duplexe), on constate que cela fonctionne. La technique : inviter des grands noms de l’animation présenter et parler de leur œuvre. Cette année, on a donc eu droit à l’incontournable Michel Ocelot venu dévoiler ses 6 longs, mais aussi à des masterclass d’auteurs peut-être moins connus mais tout aussi, voire encore plus intéressants. Et si le premier rencontrait le succès, les autres n’étaient pas à la traîne. Pour voir ainsi s’exprimer le Belge Raoul Servais, palmé en 1979 pour « Harpya » et qui vient de finir un film à plus de 87 ans, le Canado-hollandais Co Hoedeman, 74 ans, oscarisé pour « Le Château de sable » en 1977 ou la Tchèque Michaela Pavlátová, Ours d’or à Berlin pour « Repete », Grand Prix d’Annecy en 2012 pour « Tram » et nominée aux oscars pour « Řeči, řeči, řeči », les salles étaient toutes aussi combles.
Les cinéastes viennent également montrer leurs œuvres et on apprécie la variété des publics qu’ils touchent. Autant Hoedeman avec son ourson « Ludovic » parvient à faire des films pour les moins de 3 ans, autant les courts plus expérimentaux ou osés de Pavlatova s’adressaient clairement à une audience plus adulte et avec des envies cinématographiques plus pointues. Pendant ce temps, Servais, lui, parlait tant aux plus jeunes qu’aux plus âgés avec ses métaphores antimilitaristes et ses œuvres surréalistes inspirées par André Delvaux.
Parallèlement, la programmation entremêlait des longs-métrages variés comme « Shaun le mouton » présenté en avant-première ou « Dragon 2 » pour les films plus commerciaux mais aussi « L’Arte de la felicita » ou « Le Garçon et le monde » pour les plus novateurs. Le court métrage était loin d’être en reste avec les nouveautés venues des Films du Nord. La société d’Arnaud Demuynck a offert une jolie sélection de 9 films en 55 minutes. Les histoires n’étaient pas toutes intéressantes avec une énième parodie de fable de La Fontaine ou la sempiternelle histoire de la petite fille qui veut jouer à des jeux de “garçon”. Des propositions jolies mais un peu ressassées. Cependant, les techniques graphiques étaient variées et avaient l’avantage de proposer un éventail de recherches plastiques que le grand public voit peu en salles habituellement. Idem pour le panorama Japanimation qui allait bien au-delà des sempiternelles animations pour montrer des films bien plus expérimentaux, issus de réalisateurs déjà professionnels ou sortant tout juste de l’université et qui ont pu en déconcerter quelques uns.
« The Mechanism of spring » d’Atsushi Wada ou « It’s time for supper » de Saki Muramoto par exemple ont pu faire preuve d’une épure tant dans leurs formes et leur mouvements que dans leur récit, basé sur l’absurde et la répétition. L’abstraction et l’expérimental étaient également de rigueur avec le psychédélique et virevoltant Poker de « Mirai Mizu » et les rêveries devant un miroir du « Crazy for it » de Yutaro Kubo.
Le reste de la Fête, outre les soirées musicales et animées, était tourné autour des étudiants et des plus jeunes. Des ateliers étaient offerts afin de découvrir le cinéma d’animation et ses multiples facettes d’une part. De l’autre, on proposait des challenges créatifs avec un marathon de l’anim’ et des graphiks battles. Et surtout, on avait droit à un tour d’Europe des courts métrages de fin d’études avec plusieurs regards sur la France, l’Allemagne et le Benelux, l’Europe de l’Est, la Scandinavie et le Royaume-Uni. Ne manquait que les pays du sud !
Notre avant-dernière séance de l’année organisée ce jeudi 14 mai dès 20h30, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) est consacrée à 4 Prix Format Court, attribués aux festivals d’Angers, de Brive, de Nijmegen (Go Short) et de Lisbonne (IndieLisboa), en présence de nos invités, les réalisateurs Héloïse Pelloquet (« Comme une grande ») et Guido Hendrikx (« Onder ons »). En prélude à la séance, nous vous invitons à venir découvrir une exposition de dessins et croquis préparatoires autour du film « Kijé » de Joanna Lorho, primé au dernier festival Premiers Plans.
En pratique
– Programmation : ici !
– Jeudi 14 mai 2015, à 20h30.
– Accueil : 20h- Durée : 99′
– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)
– Entrée : 6,50 €
– Réservations vivement recommandées :soireesformatcourt@gmail.com
Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas
Pour réaliser son premier film professionnel, récompensé du Prix Format Court au dernier festival d’Angers, Joanna Lorho a pris son temps. Quasiment dix ans se sont écoulés depuis que l’idée de « Kijé » a germé dans l’esprit de sa créatrice. La première projection du film a eu lieu l’année de ses 30 ans. Une décennie pour accoucher d’un film d’animation poétique, quasi lunaire traversé par la maturité grandissante de son auteur, projeté ce jeudi soir au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) dans le cadre de notre séance Spéciale Prix Format Court.
Cette petite épopée est racontée par le menu sur le blog de la réalisatrice (http://joannalorho.com). Rares sont les réalisateurs à livrer ainsi leurs secrets de fabrication, leurs frustrations ou leur découragement. Joanna Lorho a tenu de 2006 à 2015 ce carnet de tournage et de croquis, témoin des avancées du projet et de ses difficultés à naître.
Le titre du film « Kijé » est emprunté au lieutenant du même nom mis en musique par Prokovief en 1933. Dans l’impossibilité d’obtenir les droits musicaux, Joanna Lorho décide alors de composer elle-même la musique de son film mais de garder la structure musicale et narrative de l’œuvre de Prokovief. L’essai est une vraie réussite pour celle qui a étudié la musique classique jusqu’à ses 18 ans.
Dans l’œuvre de Prokovief, Kijé est un personnage fantôme, un lieutenant qui n’existe pas. Chez Joanna Lorho, son personnage erre lui aussi, perdu dans une ville déserte. « Kijé » ne se raconte pas vraiment, il se voit et s’entend. Le film est un voyage nocturne dans la grisaille urbaine qui laisse peu à peu place à la nature et à ses habitants magiques. On pourrait penser aux décors de « Metropolis » de Fritz Lang ou même aux paysages urbains de Hopper voire aux plans fantasmagoriques de HR Giger. La cinéaste brasse les influences conscientes ou non pour en faire sa propre matière filmique et dessinée. Son film avance ainsi de façon très libre où différentes techniques d’animation se frottent, s’entrechoquent et viennent former un objet hybride et artisanal.
Contrairement à son sujet, « Kijé » n’est pas un film fantôme, sa chair, son trait sont bien palpables. La force et la beauté du travail de fourmi de Joanna Lorho donnent à ce premier film l’allure d’un grand.
La bonne info : « Kijé » est disponible à la vente. Co-édition : Zorobabel, Graphoui et La Cinquième Couche. Prix : 9 € (+ frais d’envoi). Si vous souhaitez vous procurer le DVD & son livret, contactez-nous.
Synopsis : Au crépuscule, alors que la ville se fige et sombre dans le silence, un homme se retrouve malgré lui pris dans une célébration étrange. Il passe la nuit au cœur d’une foule faite de personnages aussi curieux qu’énigmatiques, qui disparaîtront avant l’aurore.
Wouter Jansen est programmateur au festival Go Short, à Nijmegen (Pays-Bas) où nous avons remis pour la première fois un Prix Format Court le mois passé à « Onder Ons » de Guido Hendrikx projeté ce jeudi soir aux Ursulines. Il y a 2 ans, il a monté une petite boîte de distribution, Some Shorts, et constitué un catalogue de films néerlandais. Lors de notre passage au festival, il nous a livrés sa perception du court-métrage, du rapport au public, du travail de programmateur mais aussi de distributeur.
Tu suis Go Short depuis sa première édition. As-tu senti une évolution dans le court-métrage ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans le court et quels films souhaites-tu programmer au festival ?
On voyage de plus en plus, on voit de plus en plus de courts. La première année, on a reçu 800 films. Cette année, on en a eu 3000. Avec le temps, on identifie davantage ce qu’est le court-métrage et on en a une vision de plus en plus globale. Parfois, tu as l’impression d’avoir déjà vu un film, parfois, tu te dis que tu as déjà programmé le même film il y a 3 ans.
Concernant les films qu’on désire programmer au festival, la priorité va toujours à ceux que le public devrait voir. Si le film a déjà tourné et qu’il est bon, on le prend quand même. On est plusieurs à faire partie du comité de sélection, on a des définitions très différentes de ce format, chacun a des opinions différentes et je pense que ça se reflète dans le programme et que cela crée un équilibre. Pour ma part, je m’intéresse aux films audacieux, au style visuellement très marqué.
Comment vous positionnez-vous en termes d’identité ?
On n’est pas vraiment dans l’expérimental ou dans l’accessibilité comme Brest. Je pense qu’on est entre les deux, qu’on va vers des films pas forcément faciles qui n’offrent pas une narration classique, à l’image par exemple de « Onno the oblivious » de Viktor Van der Valk.
Parallèlement à ton activité de programmateur, tu distribues des films néerlandais en festival. Pourquoi t’es-tu lancé dans cette activité et as-tu décidé de suivre certains réalisateurs ?
J’ai commencé cette activité car en me rendant dans certains festivals, je n’y voyais pas certains films néerlandais que j’aimais beaucoup. Ces films n’y étaient jamais sélectionnés et je constatais qu’ils pouvaient vraiment bien s’insérer dans certaines programmations. Je sentais que les auteurs ne les soumettaient pas aux programmateurs et que je pouvais les aider si j’aimais vraiment les films.
Tout le monde connaît Clermont-Ferrand et les festivals de type A, mais personne ne sait que Uppsala (Suède), Tampere (Finlande) ou Brest sont de bons festivals parce qu’ils n’en ont jamais entendu parler. La plupart des producteurs qui produisent des courts-métrages ont en tête les longs-métrages. Ils laissent les courts prendre de la poussière sur une étagère ou pensent déjà aux prochains court mais ne se sentent pas forcément préoccupés par leur visibilité, quelque soit l’endroit. J’ai commence à discuter avec des réalisateurs de la Nederlandse Filmacademie (Amsterdam) qui souhaitaient que leurs films soient visibles, j’ai noué des relations avec certains d’entre eux comme avec Mees Peijnenburg (« Cowboys janken ook ») qui a commence à la Berlinale. Certains films ont remporté un grand succès comme « Reizigers in de Nacht » de Ena Sendijarevic que vous avez aussi diffusé. La grande différence entre ce travail et celui de programmateur, c’est que je fonctionne par goût, par enthousiasme, par égoïsme aussi. Je fais tout sur mon temps libre, j’ai donc vraiment besoin de me sentir connecté au film. Si le film est sélectionné, ça accroît mon enthousiasme ! Comme j’aime le style visuel, les projets audacieux, je vais vers ce type de films pour Some Shorts.
Y a-t-il d’autres initiatives que la tienne en Hollande ? À la Nederlandse Filmacademie, n’y a-t-il pas un service qui s’occupe de la diffusion et des festivals ?
Quelqu’un s’en occupe mais a d’autres tâches à gérer et le fait surtout dans les festivals d’écoles comme celui Tel Aviv et l’aspect « sélection » n’est pas toujours prioritaire. Les films sont envoyés mais pas forcément réservés pour certains festivals comme Berlin, par exemple. Je suis effectivement certains réalisateurs de cette école car certains d’entre eux ont parlé de moi à leurs amis mais je les suis aussi après l’école comme c’est le cas de Mees. J’espère que je pourrai continuer à aider les réalisateurs en dehors de l’école. Sinon, à l’extérieur, il y a une Agence qui s’occupe plutôt des films d’animation comme « A Single Life », liés au festival d’animation KLIK!
Quel est l’état de la production des courts néerlandais ? À l’école, les réalisateurs ont la liberté et les moyens. Que leur arrive-t-il après ?
Ils n’ont pas beaucoup de possibilités à part en passant par des fonds d’aide spéciaux. Ceux qui font des courts sont jeunes car ils ont très peu de guichets vers lesquels se tourner. Par la suite, ils essayent de faire des longs ou de se tourner vers la télévision car le financement est très difficile en Hollande. Je ne sais pas si c’est parce que les jeunes réalisateurs expérimentent plus que je travaille avec eux, mais j’ai l’impression que la jeune génération se tourne plus vers le radicalisme.
En sept ans , as-tu l’impression que le public s’est sensibilisé au court ?
Oui, avant, il y avait un super cinéma mais pas de festival à Nijmegen. C’est un avantage de ne pas être à Amsterdam ou Rotterdam car il y a trop de festivals là-bas. Ici,le public n’était pas en contact avec un festival et des courts, on leur a proposé les deux pour la première fois. Au début, les gens venaient plutôt à une seule séance comme si ils allaient au cinéma. Maintenant, ça a un peu changé. C’est quelque chose sur lequel on travaille dans l’année en programmant d’autres séances.
Quels types de films montres-tu ?
On essaye de distribuer des programmes de courts dans les cinémas du pays, parmi ceux qu’on sélectionne et qu’on aime vraiment. Les salles sont intéressées mais le problème, c’est que le public ne suit pas toujours. On essaye aussi pendant l’année de programmer des films inférieurs à 5 minutes devant des longs-métrages, dans 15 cinémas hollandais. Chaque mois, un film est précédé d’un court, ce qui est aussi une bonne manière de confronter les gens à ce qu’est un court et à des films difficiles d’accès. On ne se focalise pas que sur Nijmegen, mais sur les Pays-Bas en entier.
Qu’est-ce qui, selon toi, pourrait caractériser le court néerlandais ?
Ce n’est pas évident de te dire ce qui est typiquement néerlandais. Les Hollandais sont très connus pour leurs documentaires pour enfants comme « Nieuw ». À côté de ça, c’est très divers. On a des comédies qui voyagent beaucoup comme « Suiker » et la Nederlandse Akademie propose chaque année des films très différents. Comme je le disais, les jeunes auteurs expérimentent beaucoup.
Suis-tu d’autres écoles que celle d’Amsterdam ?
Oui, ça arrive qu’on prenne d’autres films comme à l’école d’Utrecht, mais la Nederlandse Akademie a vraiment beaucoup de budget. Les films qui y sont produits reçoivent au moins 20.000 euros et beaucoup d’autres écoles n’ont pas ce budget pour leurs films et ça se ressent dans la qualité. C’est une grande différence et les films bien produits peuvent concourir en festival dans des compétitions internationales.
Cette année, à Go Short, vous avez consacré un focus à Yann Gonzalez et à Gunhild Enger (Prix Format Court à Brest 2012 pour « Prematur ») ayant tous deux des univers très différents. Qu’est-ce qui t’intéresse chez eux ?
Je pense que Gunhild est une réalisatrice de courts très intéressante et son style est très distinct. Yann a fait aussi beaucoup de courts et tous ses films me restent en mémoire. Ils ont tous les deux des styles visuels et personnels et on reconnait leur patte du premier coup d’œil. Ils travaillent sur des projets de longs; c’est le bon moment de leur consacrer un focus pour que les gens se rappellent par la suite les avoir vus chez nous.
Qu’est-ce qui te plait finalement dans le format du court-métrage ?
Quand j’ai commencé, je n’y connaissais rien en court-métrage. Je cherchais un stage, le festival commençait à peine. J’ai commencé à regarder des films, ça m’a de plus en plus intéressé. Même si tu vois beaucoup de films dont certains que tu n’aimes pas trop, à chaque fois que tu en revois un qui te plait, cela continue à te faire aimer le court. Ce qui est bien aussi avec le court, c’est que tu peux faire découvrir des films à un public qui ne s’y connait pas et transmettre ton enthousiasme.
Le court reste, c’est vrai, exclusif. Les films demeurent visibles dans les festivals. Cela participe à un événement, j’aime cette idée que le public soit enfermé pendant 90 minutes en ne sachant pas ce qu’il va voir. Ces films ne sont pas téléchargeables. Voir un court ou un programme de courts participe à cette idée de radicalité car les gens sont confrontés à des films et des auteurs qu’ils ne connaissent pas, à des films invisibles sur la Toile, mais ils font confiance aux programmateurs.
Est-ce qu’il n’y a pas quand même une contradiction propre au format ? Son manque de visibilité, de couverture presse ne l’empêche-t-il pas de toucher un plus large public ?
On a envie de transmettre à la presse locale comme nationale notre enthousiasme mais elle ne connait pas les réalisateurs que nous sélectionnons. On a surtout une couverture locale, il faut chaque fois chercher un angle susceptible d’intéresser les journalistes mais oui, c’est évidemment frustrant que les films n’arrivent pas à se vendre tous seuls. Cette année, la presse a surtout mis en lumière le programme consacré aux chats proposé par le festival du courts-métrages de Vienne ! C’est déjà ça, même si il y a vraiment un travail plus approfondi à mener pour que la presse s’intéresse davantage au court.
Loin de se cantonner aux effets habituels du Super 8, « Motu Maeva », premier film de la réalisatrice Maureen Fazendeiro est un parcours à la fois libre et précis, entre passé et présent, dans la vie de son seul et unique personnage, Sonja André, une étonnante passagère du siècle. Conçu comme une « machine à voyager dans le temps sensible », avec ses allers-retours, ses passages thématiques et ses moments suspendus, ce moyen-métrage a été récompensé du Grand Prix Europe du Festival de Brive et a reçu le soutien du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques).
« Motu Maeva » commence comme un film expérimental en Super 8 avec un lent travelling sur une nature sauvage : une rivière et une foret. L’image est en couleurs, les bordures sont floues, une énorme perforation l’accompagne tout du long, le son est inexistant.
Le temps et les lieux sont inconnus et semblent abolis. Un bruit survient, il est plus net que l’aspect « granuleux » caractéristique de l’image. Puis, le récit commence avec la voix de femme âgée. Sonja André explique comment « elle s’évadait par son esprit » alors que des massacres se déroulaient autour d’elle pendant la guerre. Puis enfin, on la voit à l’image au bout de ces 5 premières minutes où le film déploie son dispositif.
Le Super 8 est en ce moment au cinéma ce que le disque vinyle est à la musique : un retour un brin nostalgique à la matérialité analogique des contenus créatifs s’opposant à la virtualité du numérique. Souvent, le Super 8 se retrouve cantonné à l’évocation de souvenirs de famille, un peu fanés, un peu miraculeusement sauvés du dernier tri du grenier. Et des images de ce type, il y en a dans « Motu Maeva », mais leur usage est bien plus intéressant.
La première force du film est de mêler ces images du passé avec celles du présent. Puisque le Super 8 est là en 2015 comme il l’était dans les années 1960, pourquoi ne pas lier les deux ? Voyager dans le temps et l’espace à la faveur d’une simple coupe de montage ? C’est cette proposition toute cinématographique que « Motu Maeva » nous offre.
Le récit en voix-off est la seconde force du film. Il oriente la reconstitution de ces souvenirs dont l’image vient entériner l’existence. Son inscription dans la structure du film, ni vraiment thématique ni vraiment chronologique, peut dérouter. Aussi, les enjeux de chaque souvenir, souvent liés aux valeurs plus larges de Sonja, forgées au fil de l’expérience d’une vie, forment la seule toile de fond cohérente au propos du film.
Cette structure libre permet au film d’aborder sans lourdeur et de manière subjective des sujets aussi denses que la spiritualité, l’éthique du mariage, le rapport à l’autre, à l’ailleurs et à la mère.
Il y a d’ailleurs une très belle scène dans le film, la seule où Sonja ne parle pas et où sa mère lui laisse une carte postale sonore. L’émotion est palpable derrière la voix émue de cette mère venant aux nouvelles d’une fille lointaine qui la décrit comme autoritaire. Le film est donc un subtil aller-retour entre paroles et images, formant un lien sensible entre souvenirs et sentiments.
L’écriture est véritablement cinématographique car ces paroles et ces images ont toutes été capturées sur le vif, aujourd’hui comme dans le passé. Mais leur disposition méticuleuse leur permet d’entrer en résonance pour faire exister à nouveau ces souvenirs le temps du film.
Libre de la contrainte de lieu, de temps et même de structure narrative, « Motu Maeva » choisit malgré cela de reconstituer une journée, avec un début à l’aube et une fin la nuit. Une journée réduite à 40 minutes de film pour résumer toute une vie, voilà bien le véritable tour de force de ce beau premier film.