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10 min. de Jorge León

Coup de cœur et de poing au Festival Silhouette 2009 à Paris, 10 min. relate l’horreur vécue par une jeune bulgare dans le milieu de la prostitution belge. Construit autour d’un témoignage, d’une voix-off, et d’arrêts sur images, le documentaire de Jorge León, ancien étudiant de l’INSAS, a été réalisé dans le cadre de la journée européenne contre la traite des êtres humains.

Il suffit de taper « prostitution » sur Google pour se retrouver avec une masse d’informations et de témoignages sur le sujet en question. Il suffit d’un film pour saisir l’ampleur du même mot sur le destin d’une jeune fille parmi d’autres. Un cas isolé, mais une histoire universelle. Elle est bulgare, mais elle aurait pu tout aussi bien naître ailleurs. Elle ne sait pas qu’en quittant son pays, elle s’occupera pas de personnes âgées, comme une « amie » le lui promet, mais qu’elle devra travailler en tant que prostituée dans une vitrine de la capitale. Elle ne sait pas que si elle n’enchaîne pas les clients et les passes, elle se fera tabasser. Elle ne sait pas que malgré sa fuite, et son retour en Bulgarie, elle se fera entrainer de force et violer. Elle ne sait pas, elle va le savoir. C’est un être humain, et pourtant, c’est une victime de ses pairs et d’un trafic qui la dépasse. Son histoire, elle la livre à quatre officiers de la Police Judiciaire, et pourtant, elle refuse de signer sa déclaration, par peur de représailles. La violence, elle connaît.

De leur côté, les policiers ont mené leur enquête. Pour rembourser les frais de vitrine, contenter leur « poisson » (proxénète), et éviter la violence gratuite, les filles travaillent en général douze heures par jour, tous les jours de la semaine. « Pour optimiser le rendement de leurs prostituées, certains proxénètes réclament l’usage d’une minuterie de cuisine, limitant le temps de la passe à dix minutes pour cinquante euros », est-il précisé. Dix minutes, c’est le temps de cuisson d’un œuf dur, d’une tarte aux abricots, et d’un poulet au vin blanc. Dorénavant, c’est aussi le temps d’un rapport sexuel monnayé.

S’appuyant sur un témoignage peu anodin sur les dommages moraux et physiques occasionnés par la prostitution, ce film de commande possède une originalité de forme. La victime n’apparaît pas à l’image, le visage floué ou barré de lunettes noires. Son témoignage, recueilli lors de son audition judiciaire, est lu par quelqu’un d’autre, l’acteur et réalisateur Josse De Pauw.

Pour illustrer un sujet tabou, Jorge León a eu recours au photomontage. Chaque phrase est en lien avec une image différente et explicite : une horloge, une chaise, une maison, une chambre, un lit, des chaussures à talons hauts, de l’argent, des minuteries en plastique, … La forme choisie accentue l’importance et la gravité du récit, et suscite, par sa pudeur, l’empathie du spectateur. Un bon documentaire est un documentaire qui provoque une prise de conscience et qui décille le regard. 10 min. s’inscrit, avec force, dans cette optique.

Katia Bayer

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D comme 10 min.

Fiche technique

Synopsis : À travers la lecture d’une feuille d’audition judiciaire, «10 min.» relate le parcours d’une jeune fille projetée malgré elle dans un réseau de prostitution.

Genre : Documentaire

Durée : 19’

Pays : Belgique

Année : 2008

Réalisation : Jorge León

Images : Jorge León

Son : Gilles Laurent, Lazio Umbreit

Montage : Marie-Hélène Mora

Production : Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme

Distribution : Marc Bouteiller

Voix : Josse de Pauw

Article associé : la critique du film

Elles tournent : le festival de films de femmes de Bruxelles

« Elles Tournent », le Festival de film de femmes de Bruxelles, a lieu au Botanique, du 17 au 20 septembre 2009. La deuxième édition de cet événement consacré aux femmes cinéastes, diffusera une soixantaine de films (des courts, moyens et longs métrages) venant de divers pays, représentant divers genres, et traitant de divers thèmes.

Quatre séances de courts métrages sont programmées :

Liens intenses : jeudi le 17 à 22h

Les Belg’animées : samedi le 19 à 17h

D’Afrique : dimanche le 20 à 14h30

Vive le Féminisme : dimanche le 20 à 21h30

ellestournent-09

En dehors d’une programmation dense, l’événement propose des rencontres, des débats, des soirées et d’autres participations, dont :

– Le prix Cinégalité, qui vise à récompenser un film d’étudiant qui présente une vision originale sur le genre.

– Une séance spéciale pour les écoles.

– Une séance de films d’époque (1899-1917) sur les suffragettes et autres rebelles, organisée par la Cinematek.

– Une soirée concoctée par les Girly Mondays, au Café Bota, où les D-Janes mixeront.

Plus d’informations sur : www.ellestournent.be

Fantoche, le palmarès

La 7e édition de Fantoche, festival international d’animation à Baden (Suisse), s’est clôturée dimanche.  223 courts et longs métrages issus de 45 pays y ont été projetés durant 6 jours. En voici le palmarès.

Compétition internationale

Le Jury International, composé de Abi Feijó (PT), Lauri Faggioni (US), Caroline Leaf (US), Thomas Ott (CH), et Tatia Rosenthal (IL) a délivré les prix suivants :

1er Prix : Lucia, Cristobal Leon, Joaquin Cociña, Niles Atallah, CL 2007 , 3’50”

lucia

Prix du Public : Muto, Blu, IT 2008

Mention spéciale : Western Spaghetti, PES, US 2008, 1’44”

Meilleur son : Drux  Flux, Theodore Ushev, CA 2008, 4’46”

Meilleure image: Madame Tutli-Putli, Chris Lavis, Maciek Szczerbowski, CA 2007, 17’21”

Meilleure histoire :  Chainsaw, Dennis Tupicoff, AU 2007, 25’

Nouveau talent : Noteboek, Evelien Lohbeck, NL 2008, 4’52”

Prise de risque : Ezurbeltzak, una fosa común, Izibene Oñederra, ES 2007, 4’ ; Please Say Something, David OReilly, DE 2009, 10’

Compétition suisse

Le Jury de la Compétition Suisse, composé de Fernando Galrito (PT), Ülo Pikkov (EE), et Cilia Sawadogo (CA) a délivré les prix suivants :

1er prix ex-aequo : Retouches, Georges Schwizgebel, CH/CA 2008, 5’35” et Flowerpots, Rafael Sommerhalder,  GB/CH 2008, 5’07”

retouchesflowerpots

Prix du Public : Signalis, Adrian Flückiger, CH 2008

Mention spéciale : Flimmern, Alex Schoop, CH 2008, 2’31”, Amourette, Maja Gehrig, CH 2009, 5’20”

Nouveaux prix pour les enfants

Best Kids (décerné par un jury d’enfants de la Lanterne Magique, pour la première fois en Suisse) :  The Incredible Story of My Great Grandmother Olive, Alberto Rodriguez, GB 2009, 12’18”

Prix du public des enfants : The Incredible Story of My Great Grandmother Olive, Alberto Rodriguez, GB 2009, 12’18”

Le site du Festival : www.fantoche.ch

Plot Point de Nicolas Provost

Waiting for something to happen

Trituration de la matière, effets miroirs, répétitions, chocs visuels… Depuis plus de dix ans, Nicolas Provost hante écrans et galeries d’art avec ses courts métrages hybrides. À mi-chemin entre le cinéma et les arts plastiques, le vidéaste flirte avec les genres, les formes, et se joue des codes narratifs. Plot Point, réalisé en 2007, explore ce qui fait l’essence même du film d’action américain. Film expérimental ? Fiction ? Documentaire ? Difficile de répondre à ces questions sinon par « tout à la fois ».

New York, un soir. Bienvenue dans la jungle urbaine. Des individus marchent, traversent les rues, se retournent, scrutent le ciel. Autour, des ambulances, des taxis, des bus roulent à flot continu…De la lumière partout, phares et néons publicitaires clignotants. Des voitures de police, lentement, sillonnent Times Square. Parmi la foule, des flics en civil échangent des regards entendus avec d’autres en uniformes, prêts à intervenir. Au coin de la rue, un vendeur de journaux énonce les gros titres, puis, un coup d’œil furtif à gauche et à droite, il enfile son capuchon. Une jeune beauté, col en fourrure, vient de traverser la grande avenue… Il va se passer quelque chose… Un flic au regard anxieux, costume noir, lunettes noires, cravate noire scrute le ciel…noir. Là-haut, un hélicoptère slalome entre les gratte-ciel. Il va se passer quelque chose…. Cette fois, c’est sûr !

Pas de doute possible, à la vision de quelques plans, voire aux photos du dernier film de Nicolas Provost, vous ne pourrez imaginer qu’il s’agit d’autre chose que d’un bon film policier à la sauce américaine. Et tout est là, en effet, pour nous le faire croire.

Sauf que… Sauf que, voilà, un film policier américain ne dure pas 15 minutes. Un film policier américain raconte l’histoire d’un « méchant » qui se fera inévitablement arrêter par les « gentils ». Rien de tout cela chez Nicolas Provost. Son but n’est pas de raconter une histoire avec introduction-développement-conclusion attendus, mais bien d’interroger la forme. En effet, Plot Point est un exercice de style dans la lignée oulipienne. Un peu comme Italo Calvino qui dans, Si par une nuit d’hiver un voyageur, proposait un roman intégrant dix débuts de roman sans y donner de suite, Nicolas Provost perce les règles du jeu de ce que l’on appelle au cinéma le « Plot Point », ce moment de déséquilibre qui fait basculer le quotidien dans le drame, qui fait passer du calme à l’angoisse, ce petit moment bien connu où « il va se passer quelque chose de terrible, c’est sûr ! ». En filmant, de façon remarquable, des scènes de rues quotidiennes au cœur de New York, le réalisateur fait monter la tension du spectateur. Grâce à un montage exceptionnel et une bande son adaptée, il parvient ainsi à recréer ce qui fait l’essence même du film d’action américain.

À chaque instant, le doute s’installe. On attend, le cœur battant, que le bus fonce sur la foule, que la vitrine du restaurant explose.  Sa manière de fictionnaliser ces scènes documentaires interroge le spectateur sur le pouvoir que possède l’image à dire ce qui n’est pas, l’entraînant ainsi dans la paranoïa. Qui sera le héros de l’histoire ? Qui sera la victime, l’assassin ?

Étiqueté, trop rapidement peut-être, cinéaste « expérimental », la démarche de Nicolas Provost  parvient à associer l’esthétique, les références et l’émotion. Film expérimental ? Fiction ? Documentaire ? Il s’est passé quelque chose.

Sarah Pialeprat

Article paru sur Cinergie.be

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Article associé : l’interview de Nicolas Provost

Festival Silhouette 2009

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Du 29 août au 6 septembre 2009, s’est déroulée le 8ème Festival Silhouette à Paris. Depuis son apparition, cette manifestation fragile et libre, composée en grande partie de bénévoles, mise sur l’accessibilité du court et organise des projections gratuites en plein air, aux Buttes Chaumont. Au vu des soirées fraiches, l’organisation est de rigueur, année après année, et tient en trois mots : coussins, couvertures, et crêpes. 3 C à l’instar du mot « court métrage ».

Cette année, la 8ème édition de Silhouette était composée de concerts et de plusieurs rendez-vous répartis sur l’intégralité de la semaine (compétition internationale, Focus Belgique, Jeune Public, Clips, Hybride, Documentaire, ateliers, tables rondes).

Malgré sa clôture, Silhouette se poursuit sur le Net. Jusqu’au 27 septembre 2009, retrouvez une sélection des films primés en intégralité gratuitement sur le site 6nema.com : Nachtwake, de Menno Otten (Grand Prix), Michel de Antoine Russbach et Emmanuel Marre (Prix d’interprétation masculine), Ripple de Paul Gowers (Prix du Public), et Liminal de Stephen Keep Mills (Mention spéciale – Jury Etudiant).

Retrouvez dans ce Focus :

Et nos anciens articles, en lien avec le Festival Silhouette :

Mostra de Venise : les films primés

Corto Cortissimo, la compétition internationale réservée au court à la Biennale de Venise, a délivré ses récompenses. Le Lion du Meilleur Film, une Mention Spéciale, et une nomination aux Prix UIP pour le meilleur court métrage européen, ont été attribués par un Jury composé de Stuart Gordon, Sitora Alieva, et Steve Ricci.

Lion du Meilleur Film : Eersgeborene (First Born) d’Etienne Kallos (Afrique du Sud, Etats-Unis, 27′)

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Syn. : L’histoire d’une famille de fermiers Afrikaaners racistes et férocement religieux. Les deux films finissent par perpétrer – à travers un homicide – exactement les mêmes abus contre lesquels ils avaient essayer ensemble de se rebeller.

Nomination aux Prix UIP pour le meilleur court métrage européen 2009 : Sinner de Meni Philip (Israel, 28′)

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Syn. : Yotam, un garçon de 13 ans dans une pension juive ultra-orthodoxe, essaie de lutter contre l’éveil de ses désirs sexuels. Confus et rongé par la culpabilité, il consulte son rabbin, qui abuse de sa position et de l’innocence de Yotam. Sans recours ni refuge, Yotam se retrouve piégé par le silence imposé dans sa communauté.

Mention Spéciale : Felicità de Salomé Aleksi (Georgie, 30’)

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Syn. : Tamara habite et travaille en Italie. Elle s’occupe de Paola, une dame âgée. Son boulot lui permet d’économiser et soutenir ses enfants qui vivent avec leur père dans un petit village en Georgie. Entre temps, son marie décède suite à un accident de voiture mais, en raison de son statut illégal, elle ne peut pas quitter l’Italie. Incapable d’assister à l’enterrement de son mari, elle décide de faire le deuil de celui-ci à l’aide d’un appel longue distance. Ses monologues amplifiés qui accompagnent le rituel funéraire nous offrent un regard sur les relations familiales compliquées et les projets inquiétants pour l’avenir.

Pour plus d’informations : www.labiennale.org

A comme Annecy. A comme Animation

Pour clôturer un été sous le signe des shorts et des lardons, Format Court consacre son numéro de rentrée au Festival d’Annecy. Présent au rendez-vous de l’image animée, F.C. a visionné les films courts en compétition, sillonné les ruelles de la vieille ville, participé au Jury Fipresci, et raconté des salades vertes autour d’une fondue.

Sur le chemin du retour, le webzine du court s’est rendu compte qu’il ne voyageait pas seul. Une petite douzaine d’incrustes (critiques, interviews, reportages, chroniques DVD) s’était introduite en douce dans sa valise. Retrouvez les ci-dessous, en vrac et en images, en attendant nos prochains focus en lien avec Le Festival Silhouette et L’Étrange Festival.

Katia Bayer
Rédactrice en chef


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P comme Plot Point

Fiche technique

Synopsis : C’est un pays de flics new-yorkais, avec ses voitures de police, ses uniformes, ses ambulances et ses rues encombrées, le décor parfait pour une nation qui a peur. La recette du film de fiction nous est tellement familière que la réalité peut s’effacer derrière elle.

Genre : Expérimental, Fiction

Durée : 15’

Pays : Belgique, Etats-Unis

Année : 2007

Réalisation : Nicolas Provost

Scénario : Nicolas Provost

Images : Nicolas Provost

Son : Nicolas Provost

Montage : Nicolas Provost

Production : Nicolas Provost

Articles associés : la critique du film, l’interview de Nicolas Provost

Harvie Krumpet et autres histoires

Tout amateur d’animation en a entendu parler ou a vu sa tronche, surmontée d’un n°6, quelque part. « Harvie Krumpet » est un anti-héros en pâte à modeler, porté sur les faits, les clopes, le nudisme et l’affranchissement des poules. Son étoile n’est pas spécialement bonne, mais cela ne l’empêche pas d’attirer la sympathie de ses juges (Prix du Public, du Jury, Fipresci à Annecy, en 2003, et Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2004). Avant « Harvie », son créateur, l’Australien Adam Eliott, s’est librement inspiré de sa famille dans une trilogie de courts métrages. Depuis, il s’est intéressé au format long, avec l’histoire  de deux amateurs de chocolat solitaires. « Mary and Max », récompensé cette année à Annecy du Cristal du long-métrage (ex æquo avec « Coraline » de Henri Selick), sort prochainement dans les salles. En attendant de découvrir cette histoire épatante et émouvante, les quatre courts métrages de Adam Eliott se laissent infiniment (ré)apprécier en DVD.

Un prénom de premier homme, un nom de dragon sympa. Adam Eliott a grandi dans une ferme spécialisée dans l’élevage de crevettes, avec sa famille et ses deux perroquets, Sunny et Cher, avant d’étudier l’animation au Victorian College of Arts, à Melbourne. En 1996, son film de fin d’études, « Uncle », voit le jour, suivi de près de « Cousin » en 1998, et de « Brother », en 1999. Jusqu’à ce que « Harvie Krumpet » surgisse après un an de tournage, et provoque une véritable révolution dans l’animation en volume.

« Uncle », « Cousin », « Brother »

La trilogie familiale d’Adam Eliott mêle des chroniques (auto)biographiques, des dentiers solitaires, un narrateur commun (William McInnes), un goût pour le tragi-comique, des collections invraisemblables, des personnages en pâte à modeler, des escargots écrasés, et un univers en noir, gris, et blanc. « Uncle », « Cousin », « Brother » traitent, tous trois, de sujets sombres et difficiles (l’infirmité, la maladie, la déchéance, la mort, …) avec un ton léger, un esprit humaniste et tolérant, et une matrice annonciatrice de « Harvie Krumpet ».

uncle

Initialement intéressé par la 2D, l’animateur s’est initié au volume après avoir dû animer une boule de plasticine en 10 secondes pour l’école. L’exercice a été profitable : Eliott a transformé le scénario de son travail de fin d’études, « Uncle », la biographie d’un homme modeste qui a foi dans les plaisirs simples de la vie, comme l’entretien personnalisé d’un citronnier, la chaleur d’une tasse de café, et la fidélité d’un ami chihuahua.

Deux ans après l’école, apparaît « Cousin », l’histoire d’un petit garçon atteint de paralysie cérébrale depuis la naissance, qui porte des tenues de super héros, et cuisine des gâteaux, tout en essayant de gagner au Scrabble et de collectionner les caddies de supermarché.

Dernier volet de la trilogie, « Brother » est une forme de compromis. Après avoir réalisé des chroniques sur son oncle et son cousin, Adam Eliott est tenté de parler de lui-même, mais il juge ridicule d’appeler son film « Me ». Il fictionnalise donc la vie de son frère, à travers des souvenirs d’enfance (la collecte de mégots, les punitions à répétition, les relations avec le monde adulte, …), tout en s’octroyant une petite place à ses côtés et trois cheveux sur la tête.

« Harvie Krumpet »

« Certains naissent grands. D’autres deviennent grands. D’autres encore se voient attribuer la grandeur… . Et puis…Il y a les autres …. ». Harvek Milos Krumpetzki, né en Pologne 1922, fait partie des autres. Sa mère, Liliana, a beau le considérer comme un miracle, elle continue de converser avec des êtres imaginaires et de compter ses propres doigts. Très vite, Harvek développe lui aussi des tics, dont le plus incommodant est de toucher en permanence ce qui l’entoure avec son index. Verdict : syndrome de Tourette, réputation : débile. Sa mère le retire de l’école et s’occupe de son éducation en lui inculquant de nombreux faits qu’il collectionne dans un carnet accroché autour du cou. En 1942, quand la guerre éclate, Harvek émigre en Australie et se fait appeler Harvie Krumpet, pour faciliter son intégration. Nouveau monde, nouveaux faits. Harvie réussira-t-il à donner un sens à sa vie dans la patrie du kangourou et du koala ?

Une idée vieille de dix ans, une animation image par image, 280 plans, 14 mois de tournage, zéro ordinateur, une narration assurée par Geoffrey Rush, un Oscar, et plein d’autres prix : « Harvie Krumpet » n’est pas seulement un film ambitieux. C’est aussi le film le plus abouti qu’Adam Eliott ait conçu sur la perception de la différence, du handicap et de la maladie. Liliana disjoncte, Harvie souffre, entre autres,  d’hallucinations, du syndrome de Tourette, et de la maladie d’Alzheimer, Ruby, sa fille est atteinte de thalidomide, le Prozac et la morphine sont les alliés des maisons de retraite, … « Harvie Krumpet » n’est pas pour autant un film accablant. Dans son univers modelé en pâte,  la différence est source de blagues et de surprises. On chante (God is better than football, God is better than beer), on cache les dentiers, on met des rideaux sur sa télé, on attend des bus qui n’arrivent jamais, on fait des spectacles de marionnettes avec des chaussettes, et on profite de la vie, même si elle est moche.

Katia Bayer

Édition : Les Films du Préau. Harvie Krumpet + bonus (Uncle, Cousin, Brother, études de cas de comportement humain, storyboard, photos de tournage, commentaires audio du réalisateur)

H comme Harvie Krumpet

Fiche technique

Synopsis : Biographie d’un homme ordinaire apparemment affligé d’une poisse perpétuelle. 

Genre : Animation

Durée : 23’

Pays : Australie

Année : 2003

Réalisation : Adam Eliott

Scénario : Adam Eliott

Images : Adam Eliott

Animation : Adam Eliott

Technique : Pâte à modeler

Son : Peter Walker

Montage : Bill Murphy

Voix : Geoffrey Rush, Julie Forsyth, John Flaus

Production : Melodrama Pictures

Article associé : la critique du DVD Harvie Krumpet

DVD Animatic 6 : l’animation internationale à Annecy

Créée en 1998 à Paris, la revue Repérages est passée par tous les genres cinématographiques avant de se focaliser sur le court métrage. Le magazine suit régulièrement quelques festivals majeurs en France, (Clermont-Ferrand, Némo, l’Étrange Festival, Annecy), et est systématiquement accompagné d’un DVD depuis 2003. Le dernier numéro de Repérages, consacré au Festival d’Annecy, s’intéresse à la 3D et propose un DVD bien étoffé, avec dix courts métrages, plusieurs clips et bonus, ainsi qu’un focus sur la maison de production, The World of Arthur Cox.

Le premier titre de la sélection, « Naïade », de Nadia Micault et de Lorenzo Nanni (France, 2008), établit d’emblée le niveau des films repris sur ce disque. Ava, une nymphe aquatique évocatrice de la petite sirène de Disney, règne dans les eaux limpides d’une forêt entourée de la Nature dans toute sa magnificence. À la surface, l’Homme, cruel et pervers, attrape les animaux et les dissèque sans scrupules, pour sauver son confrère. « Naïade », métaphore élogieuse de la Nature, non pas passive et martyrisée, mais tout puissante et furibonde, nous rappelle les conséquences des abus écologiques. Accompagnée d’une musique éthérée, la plastique marquante de ce film est due à son chromatisme riche et sensuel, inspiré de la palette chagallienne, ainsi qu’à son animation stylisée, miroitante et cristalline.

Le discours sur la nature-victime se retrouve également dans « Aubade » de Pierre Bourrigault (France, 2007), un conte simple et poignant sur des animaux disloqués. S’il s’attache à « Naïade » par son contenu, il s’en démarque par la sobriété de son image terne et la translucidité de ses teintes matinales.

Ailleurs sur la carte, Georges Shwizgebel propose « Retouches » (Suisse, Canada, 2008), une animation en train de prendre forme. La mise en abyme d’une main qui crée rappelle à la fois Escher et « Le Mystère Picasso » de Clouzot. À l’instar de « #1 » du duo français Noamir, ce film opère une revisitation de l’art, en s’appuyant sur la liberté qu’offre le médium de l’animation.

Le Hollandais d’Adriaan Lokman, offre, lui aussi, dans « Forecast » (2007), un regard transversal lié à l’art plastique. Entre film et art vidéo, cette animation  »stratosphérique » s’étale sur l’écran comme une surcharge visuelle qui joue sur les éléments (air, eau, feu, nuage, pixel y compris). Entre l’éthéré et le bionique, le calme et le tempétueux, « Forecast » glisse aisément d’un registre à l’autre, par le biais de la pulsation musicale chromatique, voire atonale. Cet exercice stylistique se défend par sa légende finale :  »Look up, marvel at the ephemeral beauty and live with your head in the clouds. » (Regarde vers le haut, émerveille-toi de la beauté éphémère et vis avec la tête dans les nuages.)

Sur un ton plus sérieux, « Raging Blues » (France, 2004) tend vers le social. Avant « Persepolis », l’animateur Vincent Paronnaud a dépeint la Grande Dépression des années trente à la manière des films de gangster. Son film offre un souffle à un genre désuet, ainsi qu’un regard particulièrement pertinent sur la crise actuelle. « Raging Blues » est à la fois glauque et léger, cynique et humoristique, osé et pudique. S’il réussit son défi ambitieux, c’est grâce au contrepoint : les événements lugubres (abus sexuel, misère, désespoir, suicide, …) sont représentés de façon allégée, dépourvue de toute sentimentalité. Doté de la marque esthétique de « Persepolis », ce film muet et monochromatique fonctionne par une surexplicité d’expressions, de gestes, de liens de cause à effet, renforcée par un usage appuyé d’effets d’iris et de vignettes, typiques du genre noir. Il livre le portrait d’un monde sans visage et sans espoir, où l’humanité est repoussée à ses limites.

Dans un registre plus léger, quatre films, tous français, se démarquent de la compilation Animatic. « Blind Spot » est un très court ludique co-réalisé par pas moins de six élèves des Gobelins. Le film enregistre, par le biais d’une caméra de surveillance, un hold-up raté et des catastrophes provoquées par un effet domino. Son originalité repose sur le concept du blind spot (le point aveugle) de la caméra, et ses personnages en 3D grotesques et disproportionnés.

Dans la même logique de l’absurde, « For Sock’s Sake » de Carlo Vogele, prix du meilleur film de fin d’études à Annecy 2009, narre la sortie en ville d’un tas de vêtements anthropomorphisés, organisée par une chaussette rebelle. « Une histoire vertébrale » de Jérémy Clapin évoque son deuxième film über primé « Skhizein », par le choix d’un sujet atypique. « Une histoire » relate la rencontre entre un homme au cou replié vers le bas, et une femme avec la tête penchée en arrière. Après une suite de chutes et de rechutes et à l’aide d’un petit oiseau, le couple retrouve son bonheur et, pour ainsi dire, « se complète » physiquement. « Un Jour » de Marie Paccou narre le récit d’une femme qui se retrouve un beau matin avec un homme dans son ventre. Derrière cette façade farfelue, se cache une belle allégorie des relations amoureuses perçues du point de vue de la femme à la recherche de l’homme parfait et de la dimension maternelle de ces relations.

Le film qui se démarque le plus de la sélection est indiscutablement « Chainsaw », une intrigue bien tissée de 24 minutes, avec deux, voire trois récits en parallèle. Le fil rouge du film tient dans le mot  »chainsaw » lui-même, signifiant tronçonneuse en français, et servant aussi de nom à un célèbre taureau, vedette de rodéo. Ce mot clef relie aussi les trois chapitres du film : le pseudo-documentaire (le film éducatif sur la sylviculture), le documentaire (la relation entre le toréador Luis Miguel Dominguin et Ava Gardner, mariée à l’époque avec Frank Sinatra), et le docu-fiction (inspiré du triangle hollywoodien). Le style de l’animation est aussi riche et sophistiqué que sa thématique, et diffère pour chacune des parties du récit : dessins colorés proches des comics des années 50, collages et images d’archives de la belle Gardner et du Crooner, et séquences en live action retravaillées en rotoscopie.

3waystogo

Co-fondée en 2002 par Sally Arthur et Sarah Cox, The World of Arthur Cox est une boîte de production d’animation britannique qui se veut spécialiste dans « tout ce qui bouge ». Elle inclut dans son éventail des techniques d’animation diverses : de la 2D, de l’animation en volume, de travail sur la live-action, … . Six court métrages et sept pubs et films de commande alimentent ce focus, et démontrent une diversité technique et thématique presque aussi grande que celle des films vus ci-dessus. Parmi ces œuvres, se trouve « Heavy Pockets », de Sarah Cox (2004), un mélange de live action et d’animation, gravitant autour de l’histoire fantaisiste d’une jeune fille dans une école publique, qui doit remplir ses poches de pierres lourdes afin de ne pas s’envoler. « Operator » (2007) de Matthew Walker (auteur de « John and Karen »), met en scène la conversation téléphonique frivole entre un homme oisif avec le barbu là-haut, le grand D lui-même. Last but not least, « 3 Ways To Go » de Sarah Cox (1993) analyse trois façons de « manger les pissenlits par les racines » : le suicide, le naufrage et l’accident de voiture. Chacun de ces trois phénomènes sont représentés par un graphisme différent (la typographie, les ratures, les dessins traditionnels, la live action retravaillée,…). Ils prennent chacun, par conséquent, une immédiateté unique, provoquant un sentiment de brutalité liée à l’acte fatal, malgré le ton indifférent de la narration.

Adi Chesson

Consulter les fiches techniques de « Naïade », « Blind Spot », « Raging Blues », « 3 Ways To Go », « Chainsaw »

Animatic volume 6 : le meilleur de l’animation – Co-édition Repérages et Chalet Pointu

C comme Chainsaw

Fiche technique

Synopsis : Le romantisme est comme une tronçonneuse : une bête bien dangereuse.

Genre : Animation

Durée : 24′

Année : 2007

Pays : Australie

Réalisation : Dennis Tupicoff

Scénario : Dennis Tupicoff

Musique : David Herzog

Techniques : Dessin sur papier, ordinateur 2D/3D, rotoscopie

Production : Jungle Pictures

Article associé : la critique du DVD Animatic 6

R comme Raging Blues

Fiche technique

Synopsis : Dans les années trente, à l’approche de Noël, dans les bureaux de l’hôtel de ville d’une grande métropole, un promoteur présente au maire un nouveau grand projet immobilier. Au milieu de la foule qui s’active dans les rues de la ville, une jeune femme en haillons, la main tendue, le dos courbé, demande la charité aux passants.

Genre : Animation

Durée : 6′

Pays : France

Année : 2004

Réalisation : Vincent Paronnaud, Lyonnel Mathieu

Scénario : Vincent Paronnaud, Lyonnel Mathieu

Musique : Olivier Bernet

Production : Je Suis Bien Content

Article associé : la critique du DVD Animatic 6

B comme Blind Spot

Fiche technique

Cliquer sur l’image pour voir le film sur le site des Gobelins

Synopsis : Un voleur entre dans une épicerie pour faire un hold-up. Dans le magasin, une vieille grand-mère qui voit mal fait ses courses comme elle peut. Soudain, tout s’enchaîne dans une confusion totale sous l’oeil de la caméra de surveillance…

Genre : Animation

Durée : 3’

Pays : France

Année : 2007

Réalisation : Johanna Bessiere, Cécile Dubois Herry,  Nicolas Chauvelot, Simon Rouby, Olivier Clert, Yvon Jardel

Scénario : Johanna Bessiere, Cécile Dubois Herry,  Nicolas Chauvelot, Simon Rouby, Olivier Clert, Yvon Jardel

Musique : Gregory Vettraino

Mixage : Julien Aves, Elude/Digimage

Production : Les Gobelins, l’école de l’image

Distribution : Premium Films

Le site du film : www.blindspotthemovie.com

Article associé : la critique du DVD Animatic 6

N comme Naïade

Fiche technique

Synopsis : Ava règne sur un marais peuplé de créatures féeriques. Un étrange personnage observe en secret ce royaume luxuriant, espérant y trouver la solution pour sauver son frère jumeau malade.

Genre : Animation

Durée : 12′

Pays : France

Année : 2008

Réalisation : Nadia Micault, Lorenzo Nanni

Techniques : Animation d’objets, Ordinateur 2D – 3D

Production : Autour de Minuit Productions

Article associé : la critique du DVD Animatic 6

T comme 3 Ways To Go

Fiche technique

3waystogo

Synopsis : Film d’animation sur les derniers moments de trois vies. Plusieurs techniques sont utilisées pour illustrer chaque situation : un homme qui se noie, une fille qui tombe d’un bâtiment et une voiture sur le point d’avoir un accident.

Genre : Animation, expérimental

Durée : 4’16’’

Pays : Royaume-Uni

Année : 1997

Réalisation : Sarah Cox

Scénario : Sarah Cox

Techniques : Dessin sur papier (peinture), dessin sur papier (encre), photocopies, vues réelles

Production : Picasso Pictures

Distribution : Picasso Pictures

Article associé : la critique du DVD Animatic 6

Festival Silhouette 2009 : le Palmarès

Dimanche 6 septembre 2009, s’est achevée la 8ème édition du Festival Silhouette. Aux Buttes Chaumont, trois Jurys ont distingué plusieurs films issus de la compétition.

Grand Prix Silhouette 2009 : Nacht Wake (Le Veilleur de nuit) de Menno Otten (Pays Bas, 2008, 10’, Documentaire)

Synopsis : Un endroit sombre où les bruits de la nuit deviennent musique, où l’on perd les limites de la réalité et de la conscience.

Prix Spécial du Jury : Forbach de Claire Burger (France, 2008, 35′, Fiction)

Synopsis : Samuel revient à Forbach, sa ville natale, pour recevoir une médaille. Dans cette ancienne cité minière de Lorraine, on est fier de sa réussite parisienne : l’enfant du pays est en passe de devenir un comédien célèbre. Pour Samuel, c’est l’occasion de renouer avec sa famille.

Prix de la Meilleure Photo : Lila du Broadcast Club (France, 2009, 12’, Documentaire expérimental)

Synopsis : Ce doit être, se dit-elle, pensive, la forêt où les choses n’ont pas de nom.

Prix de la meilleure interprétation (ex aequo) :

Jean-Benoît Ugueux dans « Michel » d’Emmanuel Marre et Antoine Russbach (Belgique, 2008, 27’, Fiction)

Synopsis : Michel est le jeune stagiaire de Dagosto, le responsable technique désabusé d’un ensemble d’habitations. Il casse par accident la chaudière du bâtiment et n’ose pas avouer sa faute.

Yéliz Alniak dans « C’est gratuit pour les filles » de Claire Burger et Marie Amachoukeli (France, 2009, 23′, Fiction)

Synopsis : Dans quelques jours, Laetitia obtiendra son brevet professionnel de coiffure. Elle et sa meilleure amie Yeliz pourront concrétiser leur rêve : ouvrir un salon ensemble. Mais avant de passer son examen, Laetitia veut aller à une fête.

Prix du jury junior : Os sapatos de Aristeu (Les chaussures d’Aristeu) de René Guerra Luiz (Brésil, 2008, 17’, Fiction)

Synopsis : Le corps d’un travesti décédé est préparé pour l’enterrement par d’autres travestis. Son corps de femme est amené à sa famille, qui décide de l’enterrer comme un homme.

Prix du public : Ripple de Paul Gowers (Royaume-Uni, 2008, 18’, Fiction)

Synopsis : Un homme ordinaire s’écarte du droit chemin à la suite d’un petit acte de méchanceté qui le plonge dans un sombre voyage qu’il n’oubliera jamais. Une comédie noire sur le hasard du destin.

32èmes Rencontres Henri Langlois : Participez au Jury étudiant

Du 4 au 12 décembre, se dérouleront les 32èmes Rencontres Henri Langlois (Festival International des Ecoles de Cinéma). Le Prix du Jury étudiant, attribué à l’un des films en compétition, sera déterminé par sept étudiants issus de différentes UFR de l’Université de Poitiers, ayant assisté à l’ensemble des séances et participé aux réunions de délibération.

Vous êtes étudiant et souhaitez proposer votre candidature ?

Merci d’envoyer une lettre de motivation avant le 15 octobre 2009, au Service culturel de l’Université/Maison des étudiants. Une connaissance pointue en matière de cinéma n’est pas exigée mais une curiosité pour le 7e Art et votre bonne humeur seront les bienvenues !

Contact & Information : www.etu.univ-poitiers.fr – mde@univ-poitiers.fr – 05 49 45 47 00
Le site du Festival : www.rihl.org

Izù Troin. La débrouille et le son du pinceau

Pays de mots, arbres à lettres, livres interdits, idées reçues, émotions-frissons, … Nourri par des mélodies, des typographies, et des idéogrammes variés, « Le Bûcheron des mots » est un film poétique à la croisée de plusieurs imaginaires, rencontres, et cultures. Interview à Annecy, avec Izù Troin, son réalisateur.

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Les rames, les ailes, le désir

Enfant, j’ai d’abord découvert le cinéma en prises de vues réelles. Curieusement, les films d’animation m’effrayaient. Mes parents m’avaient offert un livre, La traversée de l’Atlantique à la rame, de Jean-François Laguionie. Je le lisais tout le temps, et le connaissais par coeur. Plus tard, j’ai vu l’adaptation de La traversée au cinéma (J-F Laguionie), et « Les ailes du désir » de Wim Wenders. Tous deux m’ont marqué et donné envie de faire du cinéma. Comme la vue réelle me paraissait trop compliquée, j’ai choisi l’animation.

Tremblements et bouts de ficelle

À 14 ans, j’ai fait un petit film, « Conte d’une nuit d’hiver », en Super 8. Deux ans plus tard, j’ai contacté la Fabrique, le studio d’animation créé par Jean-François Laguionie à Montpellier. J’ai montré mon film à Bernard Palacios, un réalisateur qui m’a dit : “c’est bien, mais il faut tout refaire, parce que ça tremble dans tous les sens”. Il m’a prêté une caméra 16mm et j’ai retourné le film. J’ai appris à me servir de la caméra, et après, je me suis débrouillé, dans ma chambre, avec des bouts de ficelle et des livres. J’ai constitué un banc-titre pour filmer des cellos qui n’étaient même pas des cellos. Je ne savais pas ce que c’était, alors à la place, j’ai utilisé des rodoïdes qu’on trouve en papeterie. Et pour payer la pellicule, j’ai utilisé l’argent que mon grand-père m’avait donné pour passer le permis. J’ai payé la pellicule avec, et au bout du compte, je n’ai toujours pas le permis !

atlantique

Les Beaux-Arts

Naïvement, après le bac, j’ai tenté l’examen d’entrée des Gobelins, sans rien préparer. Je me suis retrouvé, dans une salle, entouré de gens qui ne voulaient faire que de l’anim’, et je me suis aperçu que cela ne m’intéressait pas du tout. Sur un film, je préfère travailler le cadre, la lumière, ou le storyboard, que de d’animer les personnages. Je n’ai pas été pris, mais cela ne m’a pas déçu. Comme à l’époque, il n’y avait pas d’écoles comme la Poudrière ou l’EMCA [École des Métiers du Cinéma d’Animation], j’ai fait les Beaux-Arts en attendant de trouver ma voie. Pendant mes études, je faisais de l’art contemporain très conceptuel, et des films expérimentaux. J’apprenais aussi à me servir d’outils et de logiciels, mais ce qui me manquait vraiment, c’était de pouvoir raconter une histoire. Pendant mon cursus, la Poudrière a vu le jour. J’ai réussi le concours, et j’ai laissé tomber les Beaux-Arts, parce que la formation me correspondait beaucoup mieux. C’était le tout début de l’école; je fais partie de la deuxième promotion de la Poudrière.

La Poudrière

La Poudrière était, à l’époque, une école vraiment à part. Il n’y avait pas d’autres formations pour devenir réalisateur en animation. C’était de l’expérimentation pour tout le monde, pour les professeurs comme pour les élèves. Au début, on n’a pas été beaucoup d’étudiants à se présenter à l’examen d’entrée. Encore aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens préfèrent une école comme les Gobelins, probablement, parce que il y a plus de débouchés quand on en sort et qu’on peut trouver du travail en tant qu’animateur, en tant que technicien de l’image. À la Poudrière, c’est un peu plus risqué : quand on en sort, on est censé être réalisateur, sauf que souvent, on ne l’est pas. On travaille sur d’autres productions ou on devient assistants.

Folimage

En sortant de La Poudrière, je suis entré à Folimage. Pendant plusieurs années, j’y ai fait de la conception de génériques et un peu de compositing sur des courts et un long, « Mia et le Migou ». Depuis la fin de mes études, j’avais un projet de film, « Ceux d’en Haut ». Il s’agit de l’adaptation de L’auberge, une nouvelle de Guy de Maupassant. J’ai soumis le projet à Folimage, mais comme on n’a pas eu l’aide du CNC, le projet a été mis en standby. Sans budget, le film ne peut malheureusement pas se faire.

Les mots dans les arbres

« Le Bûcheron des mots » est né par hasard. Un jour, une amie réalisatrice, Olga Marchenko, m’a dit : “j’ai une idée qui t’irait bien. Pourquoi ne ferais-tu pas un film dans lequel les mots pousseraient dans les arbres ? “ Elle a dessiné un arbre orné de lettres. Mon style est plutôt réaliste, ce n’est pas celui du « Bûcheron ». Je lui ai dit que cette histoire la correspondait mieux qu’à moi. Elle a insisté : “non, ce n’est pas pour moi, cette histoire. Elle te ressemble plus. Prends-la et fais-en ce que tu veux.” À partir de son idée, j’ai développé une trame d’histoire. Comme je n’avais aucune dramaturgie, j’ai demandé à une scénariste, Isabelle Blanchard, de travailler sur le projet, et je l’ai présenté à Folimage. Cette fois, on a eu le CNC.

La typo

Cela fait plusieurs années que je conçois des génériques, et j’aime beaucoup y inclure de la typographie. « Le Bûcheron des mots » a été une occasion intéressante de développer une histoire avec de la typographie, de ne pas faire un générique de 11 minutes, mais presque ! Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire autour des mots et des arbres. J’ai commencé à faire des recherches, du côté des enluminures japonaises et de l’histoire médiévale, pour constituer le décor, le graphisme, et l’ambiance du film.

Le son du pinceau

J’ai eu envie d’utiliser, à un moment, des idéogrammes dans les décors. Le film commence avec un idéogramme de “mélancolie” en japonais, et se termine avec le mot “ressentir une émotion” en chinois. J’ai demandé à Hefang Wei, une amie chinoise, étudiante de la Poudrière, de peindre de la calligraphie pour l’utiliser dans le film. En la voyant travailler, je me suis dit que ce serait intéressant d’utiliser le son de son pinceau. J’en ai parlé à Loïc Burkhardt, responsable de la conception sonore du « Bûcheron » qui trouvait l’idée intéressante, et qui s’interrogeait, tout comme moi, sur le résultat.

Hefang Wei est venue à Folimage. Elle s’est installée, avec sa table et son pinceau, dans la cabine d’enregistrement où on enregistre habituellement les voix au studio. On a placé le micro très, très près du pinceau, et on a fait différents essais (avec plusieurs types de pinceaux et de papiers, avec de l’eau, …). Cette calligraphie sonore a servi à plusieurs moments dans le film, dans les bruitages et les ambiances notamment.

Les livres, la liberté

Dans le film, on retrouve des références à certaines périodes de l’histoire à travers l’interdiction et la destruction des livres. « Le Bûcheron » touche à l’idée de la liberté, à la censure, à la différence, à la peur, et aux livres interdits. La peur des livres revient assez souvent, à de nombreuses époques. J’ai travaillé sur ce projet avec des personnes qui ont vécu, directement comme indirectement, le manque de libertés et certaines répressions. Olga Marchenko, à l’origine du film, vient de Biélorussie, Serge Avedikian, le narrateur, est arménien, et Aldona Nowowiejska, la compositrice, est polonaise. Elle a connu une époque où certains livres circulaient avec de fausses couvertures. Les sensibilités propres à leurs cultures ont nourri en partie le film et m’ont donné un point de vue différent sur le récit.

Musique Babel

« Le Bûcheron des mots » est habité par des “arbres à mots” issus de différents pays et alphabets. De même, la musique, très présente dans le film, mêle plusieurs langues. Par hasard, en cherchant des musiques slaves, je suis tombé sur le site Internet d’une chanteuse polonaise, Aldona Nowowiejska. Je lui ai envoyé un mail, elle a lu le scénario, et a accepté de participer au film. Comme elle est polyglotte, elle était en mesure de faire ce mélange de langues. Les chansons sont en grande partie en polonais sauf une, celle des souvenirs, dans laquelle chaque mot est lié à une langue différente. La phrase commence en hindi, se poursuit en japonais, puis en chinois, etc. Pour comprendre la phrase dans son entièreté, il faudrait connaître toutes les langues utilisées. Je suis un des seuls à en connaître la traduction !

En cours et à venir

Depuis près de sept ans, je travaille sur « Ceux d’en Haut ». C’est un film très sombre de 25 minutes en animation traditionnelle qui est très difficile à financer. À l’heure actuelle, je n’ai plus de producteur, mais 8 minutes du film sont terminées. J’espère l’achever bientôt. J’ai d’autres projets en tête : un court métrage en vue réelle : « Larmes » et une version longue du « Bûcheron des mots ». Isabelle Blanchard, la scénariste du film, a commencé à en écrire le scénario. L’histoire sera assez différente, mais inclura le même univers et le même graphisme que le court métrage.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « La Traversée de l’Atlantique à la rame », du « Bûcheron des mots », ainsi que le blog d’Izù Troin