Dieu, dessine-moi un canard
Avec ses deux personnages qui tuent le temps en dessinant durant leur trajet, Jocelyn Charles fait résonner son propre geste de créateur avec un court-métrage coloré et inspiré qui trompe la pusillanimité contenue dans son titre : Dieu est timide. Le jeune cinéaste vient de proposer son premier film en compétition à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2025. Le moyen non seulement d’attirer les yeux sur son univers plastique mais aussi de confirmer quelques obsessions : un goût pour l’occulte, la métaphysique, l’horreur et la monstruosité. Un style qui s’est joué dans ses clips pour The Weekend (How Do I Make You Love Me) et L’Impératrice (Hématome). Comme une rencontre entre les frères Safdie et Miyazaki, le premier court de Jocelyn Charles ménage l’effroi pressé et le bucolique, du train jusqu’aux flots.
Tandis qu’Ariel et Paul esquissent leurs pires frayeurs sur papier durant leur voyage sur les rails, une étrange femme vient contaminer le récit par sa propre expérience de trouble. C’est une séquence enchantée et colorée quasiment idyllique de baignade dans un lac, à travers les canards et ses plantes, qui amorce Dieu est timide. Avant que ne surgisse le train, celui des transferts, de l’ennui, des rêves et des visions qu’ils induisent.
Ce qui est singulier dans cet acte inaugural de premier film, c’est la façon dont Dieu est timide va poser la question de ce qu’est l’animation, par un jeu d’allers-retours entre le croquis d’un dessin, d’une vision, ici d’une peur, et son jaillissement effectif : le fantasme qui s’accomplit face au trait. C’est cette alternance qui va motiver la croissante inquiétante étrangeté dont le point d’orgue correspond à l’arrivée de Gilda, cette femme mûre qui s’impose dans la narration. Qu’est-ce que l’animation ? Une manière de figurer le réel, tout en pouvant le transcender par le ton qu’on lui donne, ici la terreur. Ce n’est pas autre chose que va dire Gilda en se reconnaissant sur les dessins sinistres des deux jeunes gens.
L’animation de Jocelyn Charles se fait attentive aux flux et aux teintes qu’ils peuvent imprimer. La réussite de Dieu est timide émane aussi de là : ce procédé de faire couler ensemble le sang sur les feuilles, les larmes qui submergent et les nuances saturées d’un foyer conjugal. Ce n’est donc pas anodin que le motif de l’eau ouvre et ferme ce riche et dense court-métrage, motif de l’effroi et du déferlement autant que de la paisible quiétude d’un paysage.
C’est par ailleurs avec le contraste entre les couleurs très vives et les visions plus ou moins cauchemardesques que le film surprend. À l’apparition de ses ciseaux dressés, ses chairs endormies mais loquaces, son kaléidoscope violent de flamboyance et son sous-texte paranormal, on pourrait quasiment penser au giallo, dans cette déflagration gore et mystique. L’histoire de Gilda qui s’enchasse et le tabou de l’origine de l’existence qu’elle confronte mettent en scène la substance de l’animation. Que serait-ce d’autre que des corps inertes auxquels on insuffle un mouvement et une âme ? Une démonstration réflexive et subtile assez vertigineuse et inattendue pour un premier court-métrage qui mérite qu’on la souligne.
Dieu est timide mais à dessein s’esquisse.